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Intervention de Christophe Girardier

Réunion du jeudi 6 juillet 2023 à 15h05
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Christophe Girardier, président de Bolonyocte Consulting :

M. le président, je vous ai adressé une lettre le 29 mai 2023, dans laquelle je vous précise des détails très importants. Je l'ai également envoyée aux membres de la commission, qui sont tous au courant. J'ai été très préoccupé de constater les multiples contre-vérités qui ont été prononcées sous serment par les dirigeants du groupe GBH en réponse aux différentes questions posées par certains députés membres de la commission, et surtout d'entendre certaines de leurs affirmations qui à mon sens relèvent d'assertions fallacieuses. Or ces mêmes dirigeants sont des experts de leur secteur, donc des « sachants ». Ils ne pouvaient en effet ignorer les réalités. Ils en avaient parfaitement connaissance, ou bien parce qu'elles concernent les informations internes en leur possession, ou bien parce qu'elles ont été établies par des documents dont ils ont eu connaissance, et notamment mes rapports remis à l'OPMR, qui leur ont été communiqués.

J'ajoute que ces dirigeants ont osé dire que j'aurais des relations avec leur concurrent. C'est totalement méprisable. Je n'ai jamais eu de relations particulières avec celui-ci et j'ai signé ces rapports en toute indépendance pour le compte de l'OPMR, qui est dirigé par un membre de la chambre régionale des comptes. J'avais rendu ces rapports à un excellent président de l'OPMR, M. Sébastien Fernandes, qui est vice-président de la chambre régionale des comptes de La Réunion et dont l'indépendance est exemplaire. Je n'accepte donc pas que l'on puisse dire ou supposer que j'avais des intérêts. Je me réserve le droit de le rappeler à ces dirigeants.

Dans ma lettre, j'ai repris les déclarations effectuées par les représentants du groupe Hayot devant vos caméras. Selon leurs propos, les distributeurs achèteraient au même prix auprès des centrales d'achats métropolitaines des grandes enseignes de la distribution. Je vous explique dans mon courrier qu'ils ne peuvent ignorer que tel n'est pas le cas. Dans mon rapport du 30 avril 2019, j'explique que non seulement les conditions d'achat de gros relèvent des négociations commerciales propres à chaque acteur, mais surtout des marges arrières très conséquentes exigées par les distributeurs auprès des fournisseurs. Ces deux composantes de l'équation font varier très sensiblement les conditions d'achat.

GBH déclare que les marges arrières sont entièrement reversées aux magasins GBH, alors même qu'il ne peut ignorer que cela n'est pas exact pour de nombreux acteurs de la distribution. En particulier pour lui-même : le groupe GBH ne reverse par nécessairement ces marges arrières au niveau de ses magasins, mais de plus il ne les répercute nullement sur le prix de vente aux consommateurs.

Enfin, le dirigeant du groupe Hayot indique que la part de marché de l'enseigne Carrefour serait de 28,6 % après l'opération de rachat de Vindémia, soit moins que celle de 33 % que détenait Vindémia avant l'opération. Il ajoute que le marché de la distribution généraliste à La Réunion ne serait pas concentré et qu'il n'existerait aucun duopole, que les enseignes Leclerc et Système U talonneraient Carrefour, rendant ce marché beaucoup plus concurrentiel et dynamique qu'il ne l'était avant l'opération.

Ma réponse est la suivante : « Alors même qu'il ne peut ignorer, comme l'a établi mon rapport du 5 octobre 2022 et sans qu'aucun acteur ne le conteste sérieusement, à la fin de l'année 2022, le groupe GBH se trouve bien en situation dominante. » Vous avez rencontré les dirigeants de la direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DEETS) représentant la Dgccrf, qui vous ont indiqué que mes chiffres n'étaient pas corrects, ce qui est erroné. Mes chiffres datent de la fin de l'année 2022. Les chiffres que la Dgccrf vous a donné sont à fin 2021. Or à cette époque, les effets de la concentration ne pouvaient pas se voir.

Je l'affirme sous serment : à la fin de l'année 2022, le groupe GBH se trouve bien en position dominante, avec une part de marché en chiffre d'affaires d'environ 37 %, je pense même que c'est 38-39 % maintenant, bien loin des 26,8 % qu'assume M. Hayot et beaucoup plus que la part de marché de Vindémia avant l'opération, contrairement aux affirmations de M. Stéphane Hayot. Cette montée en puissance du groupe GBH s'est accompagnée de la formation d'un duopole avec l'enseigne Leclerc, qui atteint une part de marché de 29 %, soit 7 à 10 points de moins que celle de GBH. On ne peut donc pas dire que Leclerc talonne GBH. Ce duopole effectif totalise à lui seul les deux tiers du marché réunionnais, le troisième acteur, Système U, n'atteignant que 15 % de part de marché – et non pas 21 % comme le prétend GBH – avec une différence de 22 points avec le premier. Tous les autres acteurs sont relégués à moins de 10 %, Leader Price occupant la quatrième place avec environ 8 %, et non pas 17%.

J'ai passé des années à travailler sur ce sujet, quand bien même je n'avais pas accès à un grand nombre de sources. J'ai demandé à tous les acteurs qu'ils me donnent pour 2020 et 2021 les chiffres d'affaires en euros des magasins. Le groupe Hayot ne m'a pas donné d'informations, alors même que tous les autres acteurs m'ont fourni les chiffres en 2022. Cependant, M. le président, il ne faut pas demander le chiffre d'affaires du groupe GBH. En effet, le groupe a 52 sociétés différentes à La Réunion. Le rapporteur soulignait qu'il était très difficile de lire les comptes parce qu'on ne sait pas où va la marge, il a raison. Il faut en réalité demander le chiffre d'affaires des magasins et, en général, on ne vous le donne pas.

Je m'étonne que la Dgccrf n'ait pas ouvert d'enquête à la suite de mon rapport de 2022, dans la mesure où je pense avoir caractérisé les atteintes à la concurrence. Qui plus est, ils peuvent avoir accès aux liasses fiscales. GBH vous a fourni le chiffre d'affaires des magasins, mais n'a pas évoqué les chiffres d'affaires des grossistes, qu'il possède lui aussi. Or, un grossiste vend des produits, donc il faut le mettre dans la part de marché. Lorsqu'il a racheté Vindémia, GBH a récupéré Super Cash, le plus important grossiste alimentaire de La Réunion, qui totalise 80 % de part de marché auprès des petits commerçants de l'île et qui réalise 100 millions d'euros de chiffre d'affaires.

Le groupe Bernard Hayot a beaucoup de chance : l'Autorité de la concurrence lui a donné raison, et même le Conseil d'État. Mais moi je persiste à dire que ces deux institutions se sont trompées. Si on regarde votre loi, la décision de l'Autorité de la concurrence est privée de base légale, car elle a tablé sur des engagements structuraux et comportementaux qui visaient à neutraliser les effets d'atteinte à la concurrence. Or, ce n'est pas ce qui s'est passé. Un exemple : quand on dit qu'un acteur va limiter la part de marché, et qu'au bout de deux ans, cet acteur se casse la figure en perdant 40 % de son chiffre d'affaires au profit du groupe Hayot et du groupe Excellence – Leclerc. En résumé, on a dans mon rapport la preuve que le dispositif de l'Autorité de la concurrence qui était destiné à limiter les effets de la concentration n'a pas été effectif. Je l'ai démontré, mais le Conseil d'État n'a manifestement pas lu mon rapport.

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