Différents points de votre intervention m'interpellent. Vous avez comparé les dépenses de fonctionnement des collectivités locales, en précisant que ces charges sont de 44 % dans le budget des collectivités outre-mer en 2022, contre 35 % dans les collectivités de l'Hexagone. Vous avez en outre ajouté que la situation s'est fortement dégradée par rapport à 2016. La Cour des comptes effectue des analyses de chiffres sans forcément prendre en compte la vision globale Or, dans ces 44 %, il n'y a pas forcément des dépenses fastueuses, mais plutôt des charges supérieures, notamment de centralité pour les communes chefs-lieux comme Fort-de-France. Les autres charges peuvent être liées à des problèmes d'insécurité ou des services publics à mettre en œuvre.
Par ailleurs, la question des personnels dans les collectivités est historique, elle ne date pas d'aujourd'hui. Il existe un vrai sujet d'analyse globale pour ne pas biaiser une comparaison. Une collectivité est un élément moteur en termes d'investissement, de développement et de création d'emplois directs ou indirects. Quand le budget d'une collectivité est réduit, elle n'a plus les moyens de mener une politique publique motrice, au service des populations. Comprenez donc ma gêne.
Il en va de même pour les contrats de convergence et de transformation. Les financements interviennent en complément et donc en partenariat, mais encore faut-il pouvoir les déclencher, ne serait-ce qu'en trésorerie. L'exemple du centre hospitalier universitaire de Fort-de-France est à ce titre très illustratif. Comme la trésorerie manque, les collectivités ne peuvent pas payer les entreprises, générant des allongements de délais de paiement très importants. Certaines entreprises ne peuvent donc plus tenir et d'autres augmentent leur prix, parce qu'elles savent que, de toute manière, l'État ou les collectivités territoriales payent avec un grand retard. Ce problème est historique mais il perdure. Il faut faire en sorte qu'il n'y ait plus de problématiques de trésorerie, ni dans les collectivités locales de proximité, ni dans les outils d'État de proximité comme les hôpitaux, afin de ne pas pénaliser les entreprises.
Ensuite, je souhaite aborder les Corom. Leur montant est de 30 millions d'euros sur trois ans, mais les collectivités qui en bénéficient sont en très grande difficulté financière. Je peux attester que les contraintes énormes pèsent, par exemple dans la communauté d'agglomération du Centre de la Martinique dont dépend Fort-de-France. Ces collectivités se serrent la ceinture, font de grands efforts en diminuant les dépenses de personnels, ce qui contribue à dégrader le service public, les prises en charge et l'accompagnement, alors que ces territoires sont frappés par une plus grande précarité, un taux de chômage plus élevé et un vieillissement de la population plus accentué. À Mayotte et en Guyane, la population augmente, mais le phénomène est inverse à la Martinique et en Guadeloupe. Comment les retraités vont-ils pouvoir vivre dignement si la puissance publique locale ou d'État n'aident pas ?
Vous avez objectivement raison sur le plan financier, mais j'ai l'impression qu'une coordination manque pour relativiser les constats que vous établissez. Quand vous indiquez que six communes de la zone Antilles-Guyane ont enregistré une réduction de leur déficit de 14 millions d'euros, les citoyens peuvent avoir l'impression que leurs communes sont mal gérées. Mais cela n'est pas le cas : les charges sont plus élevées pour diverses raisons, comme la pauvreté ou l'insécurité.
Je me demande donc quand la Cour des comptes pourra changer de paradigme d'analyse, afin de mieux correspondre à la réalité. J'ai bien compris que vous analysez des budgets, mais ces derniers sont rattachés à des politiques publiques. Il importe que la Cour des comptes coordonne ses travaux avec ceux des autres organismes de l'État, pour harmoniser les approches.
Depuis un certain nombre d'années, les modes de calcul des dotations aux collectivités locales d'outre-mer ont été modifiés, conduisant à leur diminution en deux temps, avant et après 2014. Les recettes sont donc diminuées alors que le potentiel fiscal ne génère pas plus d'activité et ne crée pas plus d'emplois. La péréquation a été mise en place mais quelle est votre analyse pour permettre un rétablissement de l'équilibre ? Demander aux collectivités de rentrer aujourd'hui dans un Corom revient à leur demander de perdre 20 kilos alors qu'elles n'ont déjà que la peau sur les os.
Les résultats financiers sont bons dans les territoires où les Corom sont mis place. Mais politiquement, humainement et en termes de dignité, ils sont catastrophiques. Ils n'ont pas créé plus d'emplois ni d'activité, les investissements ne sont pas plus élevés. À l'inverse, la pauvreté, la précarité et le chômage ont augmenté. Comment allez-vous pouvoir conduire les études nécessaires pour faire en sorte que les collectivités d'outre-mer soient à égalité avec les collectivités de l'Hexagone ? Les services publics d'État en France continentale peuvent se mutualiser mais, en Martinique, ils sont à l'échelle des 1 000 kilomètres carrés de l'île.