Je vous remercie de vous intéresser à mes travaux. En réalité, j'ai rendu cinq rapports, dont beaucoup pour La Réunion et deux pour Mayotte. J'ai eu l'occasion et le bonheur de m'intéresser aux sujets d'Outre-mer. J'ai suivi avec beaucoup d'attention vos auditions, je souhaiterais commenter certaines d'entre elles. Je n'oublie pas que l'on doit normalement donner des informations exactes devant votre commission, et j'ai peur de voir que dans certaines déclarations il y a eu des déclarations que je qualifierais de fallacieuses à bien des égards.
J'ai bien compris que le souci de l'Assemblée nationale et de cette commission est de s'intéresser aux causes et aux facteurs qui jouent sur la vie chère en Outre-mer, dont personne ne conteste la réalité. Les causes de la vie chère en Outre-mer sont plus évidentes que l'on n'a bien voulu le dire. Je suis préoccupé par le fait que les personnalités que vous avez entendues se concentrent essentiellement sur ce qu'elles considèrent être une des causes majeures de la vie chère, qui serait l'éloignement des marchés d'Outre-mer.
Je ne conteste pas le fait que ce facteur de l'insularité ou de l'éloignement joue un rôle, mais seulement très partiellement. Au risque de vous choquer, je vous dirais que si cette commission ne s'intéresse qu'à ce facteur, elle restera sur « l'écume des vagues ». Bien sûr, les coûts d'acheminement sont réels, mais comme l'a rappelé le président de CMA CGM lors de son audition devant votre commission, dans le coût des produits de grande consommation qui arrivent dans les Outre-mer, la part attribuable au transport est rarement au-delà de 5 %, en tout cas c'est moins de 5 %.
Si l'on ajoute d'autre frais comme l'octroi de mer ou autre, on n'arrive pas, ni à La Réunion, ni aux Antilles, ni en Guyane, au différentiel très important entre les prix de la vie en Outre-mer. Il faut préciser que l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) mesure très bien ce différentiel, mais il est mal perçu par les ultramarins car il donne l'impression que c'est faible – de 27 à 28 % pour La Réunion. Mais il faut bien savoir que cette mesure prendre compte de tous les éléments de la vie. Or, si on regarde juste l'alimentation, c'est beaucoup plus – là-dessus ils ont raison. Les vraies causes de la vie chère ne relèvent pas du sentiment : j'ai rendu des rapports très précis, dont un sur le modèle économique de la grande distribution à La Réunion, dans lequel j'ai consacré vingt pages à la vie chère.
Les facteurs essentiels de la cherté de la vie sont de trois ordres.
Le premier concerne le modèle économique appliqué dans ces départements. Les Outre-mer en sont restés à une économie que l'on pourrait qualifier « d'économie de comptoir ». Ainsi, certains acteurs font la loi dans les Outre-mer. Je reviendrais sur la décision du Conseil d'État qui me semble extrêmement préoccupante. À titre d'exemple, les ouvertures de très grandes surfaces se sont multipliées dans ces territoires. Or quand vous donnez à un opérateur l'autorisation d'ouvrir un hypermarché de 5 000 à 10 000 mètres carrés, de fait, vous lui donnez une position de quasi-monopole sur sa zone.
Ce modèle a été appliqué partout dans les Outre-mer et a rendu le marché extrêmement concentré. C'est le deuxième facteur. Devant votre commission, M. le ministre Bruno Le Maire a rappelé que parmi les facteurs clés figure l'environnement concurrentiel. Je persiste, je signe et je maintien : l'insuffisance de pluralisme concurrentiel à La Réunion, aux Antilles et à Mayotte est l'un des facteurs majeurs de vie chère. Je vais même aller encore plus loin. Il y a non seulement l'insuffisance de pluralisme concurrentiel - en cela, la décision du Conseil d'État est presque irresponsable.
Au-delà de cette insuffisante concurrence, il convient d'évoquer le modèle économique des acteurs de la grande distribution. La loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « loi EGAlim », est très importante et ne s'applique pas dans les Outre-mer. Le modèle économique de la grande distribution est fondé sur les marges arrières. Le président des magasins franchisés E. Leclerc à La Réunion et M. Robert Parfait, président du groupe Parfait aux Antilles, vous l'ont d'ailleurs confirmé. Ce dernier vous a ainsi indiqué que ces marges arrières pouvaient aller jusqu'à 25 %. Je suis d'ailleurs consterné que l'Autorité de la concurrence n'ait pas dit un mot à ce sujet dans son rapport de 2019.
Le dernier facteur porte sur le phénomène des conglomérats, c'est-à-dire des groupes présents à différents endroits de la chaîne de valeur. Par exemple à La Réunion, le groupe GBH est présent dans le marché aval de la distribution alimentaire, mais aussi la distribution d'articles de sport, de bricolage, de location ou la réparation de voitures, de la fourniture de pneus, etc. Ce sont des acteurs qui, pour la grande distribution, sont présents dans le marché aval, mais également dans le marché amont, c'est-à-dire la production agricole. Songez que le même groupe possède tous les produits laitiers de la marque Danone, mais également les magasins du groupe Carrefour.
J'ai rendu un rapport où j'ai écrit les manquements du groupe GBH à ses obligations en matière d'assortiment. À ce jour, aucune enquête n'a été diligentée par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (Dgccrf), alors que ce rapport n'a pas été contesté. J'en suis consterné. C'est la raison pour laquelle je pense que vous avez eu raison de poser sur la table ce débat qui est majeur.
Oui, les causes de la vie chère sont connues. Non, elles ne sont pas dues de façon significative à l'éloignement. Enfin, je ne pense pas qu'il faille supprimer l'octroi de mer. M. le député Philippe Naillet a rappelé que ce dispositif, qui était fait pour le financement des collectivités locales, mais aussi pour protéger la production locale, a globalement fonctionné. L'octroi de mer doit être relativisé avec le taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui est très inférieur dans les Outre-mer. Il est par exemple de 2,5 % à 8,5 % à La Réunion, pour 5 % à 20 % pour l'Hexagone. Je vous suggère de ne pas rechercher les causes de la vie chère sur « l'écume des vagues », car sinon votre volonté louable de vous intéresser à l'un des problèmes de nos concitoyens sera vaine.