La séance est ouverte à dix-huit heures.
Présidence de M. Patrick Hetzel, président.
La commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements, auditionne Mme Florence Marchal, M. Pierre Taïeb et M. Bertrand Caltagirone, du collectif Dernière Rénovation.
Mes chers collègues, nous commençons nos travaux de la semaine avec l'audition des représentants de Dernière Rénovation, que je remercie d'avoir accepté notre invitation. Nous avions d'abord prévu une table ronde, mais les autres associations convoquées n'ont pas souhaité se présenter immédiatement.
Vous savez que des scènes de violence, aussi bien urbaines que rurales, ont émaillé les manifestations et les rassemblements que la France a connus au cours du printemps. Nous avons pour tâche d'étudier les faits commis et d'apprécier la réponse opérationnelle donnée par les autorités administratives aussi bien que judiciaires. Je précise d'emblée que notre commission d'enquête n'a aucun pouvoir de décision, ni sociale ni environnementale, et qu'il ne nous appartiendra aucunement de formuler un avis sur des sujets comme la réforme des retraites ou la relance du nucléaire. Je demande donc à chacun de se concentrer sur l'objet de nos travaux. Un questionnaire vous a été transmis par notre rapporteur. Un certain nombre de questions pourront donner lieu à des réponses écrites par la suite.
Il me revient de poser les deux premières séries de questions qui permettront d'introduire nos débats. En premier lieu, l'option prise par le collectif que vous représentez de ne pas commettre de violences a-t-elle été discutée ou s'est-elle imposée comme une évidence ? Dernière Rénovation procédant toutefois à des actions qui peuvent être pénalement répréhensibles, principalement sur le terrain de l'entrave à la circulation ou la dégradation de biens, cette option aussi a-t-elle fait l'objet de discussions au sein de votre mouvement ?
Deuxièmement, comment réagissez-vous, au cours d'une manifestation, lorsqu'un black bloc commence à se former ? Prenez-vous des mesures par anticipation ? Y a-t-il une consigne préétablie de rupture du contact ? Ou bien chacun est-il laissé libre d'agir en fonction du contexte ?
Avant de vous donner la parole et en application de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous prie de lever la main droite et de dire « je le jure ».
(Mme Florence Marchal, M. Pierre Taïeb et M. Bertrand Caltagirone prêtent serment.)
Nous nous présentons devant vous parce que vous nous avez adressé une convocation. Mais nous nous interrogeons sur celle-ci. Votre commission d'enquête porte sur des groupuscules auteurs de violence. Or, notre collectif Dernière Rénovation n'est pas un groupuscule, ce terme étant péjoratif, et nous sommes fondamentalement opposés à la violence. La non-violence est notre ADN, le principe même de notre action. Quel est donc le sens de notre présence ici ?
Notre campagne revendique des mesures législatives enfin déterminantes contre l'évolution dramatique du climat. Je vous remercie donc de nous donner une nouvelle occasion de délivrer notre message auprès des institutions. Nous avons déjà pu le faire lors d'une audition au Sénat, à propos de la politique du Gouvernement en matière de rénovation thermique des bâtiments. Notre campagne a contribué à l'avènement d'un vote majoritaire sur cette question, en novembre dernier, à l'Assemblée nationale. Nous étions là pour défendre sa légitimité.
Initialement, vous nous aviez invités à participer à une table ronde d'associations de défense de l'environnement. Corrigeons tout de suite : nous ne sommes pas une association de défense de l'environnement, nous sommes une campagne de résistance civile non violente. Nous sommes des citoyens, des gens ordinaires, qui résistent à l'effondrement de notre société, de nos conditions de vie, de notre sécurité vitale. Nous sommes des personnes, jeunes et moins jeunes, présentes dans toute la France : animatrice, boulangère, ingénieur, fromager, étudiant, charpentier. Nous sommes des mères, des pères, des frères et sœurs, des grands-parents qui s'engagent pour protéger les personnes et le monde qu'ils aiment. Des gens comme nous, il y en a partout dans le monde. Dans chaque pays, il y a des poches de résistance qui se battent pour un monde vivable, un monde qui ne se réduirait pas à des niches préservées pour les plus privilégiés et les plus puissants, au milieu d'un enfer.
Ce ne sont pas des convictions que je présente, ce sont des faits scientifiques. Ce ne sont pas nos mots mais ceux, par exemple, du secrétaire général des Nations unies, qui dit que nous sommes sur une autoroute vers l'enfer climatique avec le pied sur l'accélérateur. Dernière Rénovation fait partie d'un réseau, présent dans onze pays, avec des personnes aussi déterminées que nous qui s'organisent pour résister au chaos. Nous espérons de toutes nos forces que, partout dans le monde, les populations enjoignent aux institutions de leur pays d'agir au plus vite.
Notre méthode, la résistance civile non violente, a fait ses preuves dans l'histoire. Le droit de vote des femmes, la reconnaissance des droits des personnes contre les discriminations raciales, le respect des droits fondamentaux des personnes atteintes du sida, tout cela n'a pas été obtenu par le seul fonctionnement parlementaire. Ces victoires sont le fruit d'actions perturbatrices non violentes, menées par des personnes déterminées. Comme elles, nous créons des perturbations non violentes et nous continuerons à le faire jusqu'à obtenir les changements indispensables à notre survie collective. Nous dérangeons un peu le cours des choses pour ne pas le voir nous mener en enfer.
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) a déclaré : « Dans une large mesure, la société civile est la seule force motrice sur laquelle on puisse compter pour pousser les institutions à changer au rythme voulu. » C'est le sens de notre action : produire les changements nécessaires pour nous protéger, les générations à venir et nous, parce que nous prenons nos responsabilités en tant que citoyens.
Nous demandons des choses concrètes, à commencer par l'application des mesures de la Convention citoyenne pour le climat concernant la rénovation énergétique des bâtiments. Il s'agit d'un plan à la hauteur de l'urgence, expertisé, qui mise sur la capacité des institutions à respecter leur mission première : œuvrer pour l'intérêt général. Engager un tel plan de rénovation représenterait un triple bénéfice en diminuant la dépendance énergétique de la France, en réduisant nos émissions de gaz à effet de serre et, enfin, en permettant aux 12 millions de personnes qui vivent dans la précarité énergétique de s'en sortir car, été comme hiver, cette forme de précarité fait chaque année des milliers de victimes dans la plus grande indifférence.
Nous avons adressé un premier ultimatum à l'Élysée en mars 2022, constatant l'inefficacité des politiques publiques. Nous n'avons pas été entendus. En conséquence, nous avons mené trois vagues d'actions successives. Elles ont replacé l'urgence climatique au cœur du débat, mobilisé des centaines de personnes et, en novembre 2022, une hausse considérable du budget alloué aux politiques de rénovation a été votée par les députés. Malgré cela, le Gouvernement a écarté ce résultat en recourant à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution pour se limiter à de très timides réformes. Pour cette raison, nous continuons nos actions et nous assumons nos responsabilités face à l'histoire, là où ce même gouvernement les esquive.
D'une manière générale, l'action politique est indigente. L'État a été condamné par les tribunaux administratifs parce qu'il ne fait pas assez d'efforts pour réduire les émissions de CO2. Le secrétaire général de l'ONU lui-même a qualifié de pitoyable la réponse des États face au réchauffement climatique. Cette indifférence pour nos vies et ce choix des profits immédiats constituent un crime de masse. Si rien ne change, il faut s'attendre au pire. Chaque degré de réchauffement global implique une hausse de plus de 10 % des conflits armés. La trajectoire actuelle condamne des régions où vivent des milliards d'êtres humains à devenir inhabitables. Aucun d'entre nous ne sera épargné. Le déni, le cynisme ne protégera personne.
Et pourtant, nous voici devant une commission d'enquête qui se trompe de combat et de coupables. Les plus grands scientifiques pointent du doigt l'effondrement de nos conditions d'existence. Pendant ce temps, certains députés s'acharnent sur les citoyens qui défendent la vie sans violence. Ils prennent bien soin de ne pas cibler les groupuscules d'extrême droite, qui sévissent par tabassages et agressions dans le pays, attisant la haine quand on aurait plus que jamais besoin de solidarité. Les décisions de la classe politique, depuis des dizaines d'années, ont placé toutes les générations actuelles dans ce que la justice appelle un état de nécessité, un état dans lequel le danger est si grand qu'on est obligé de transgresser des lois pour y faire face. Comme le dit le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l'environnement, et j'espère que vous aurez l'honnêteté d'en convenir, certaines actions illégales sont parfois légitimes.
Non seulement nos actions sont légitimes, mais les choix politiques les ont rendues indispensables. Tous les recours qui existaient pour se faire entendre ont été ignorés et méprisés. Par là même, c'est notre droit à la vie qui a été méprisé.
Les marches, les rapports scientifiques, les pétitions, les recours en justice, les grèves lycéennes, les alertes, les mesures internationales, les rendez-vous de plaidoyer, les luttes locales, les discours aux Nations unies : rien n'a été entendu. Nous en sommes réduits à bloquer des routes, à mener des actions coup de poing et à nous retrouver en garde à vue, tout cela pacifiquement, pour vous faire agir.
Je ne sais pas quelles histoires se racontent les gens au pouvoir. Mais laissez-moi vous dire ce que je vois autour de moi, dans la lutte. Je vois d'autres jeunes gens qui, comme moi, sont poussés vers le précipice. Quand on a mon âge et qu'on regarde la réalité en face, quand on fait ce choix-là, on doit faire le deuil de ses projets de vie, de ses projets de famille, de son avenir. Imaginer un futur à plus de cinq ou dix ans n'a strictement aucun sens pour moi et tous les jeunes comme moi.
En face de nous, il y a des gens, souvent plus âgés, qui exigent que l'on se taise au lieu de nous tendre la main pour essayer de nous aider face à cette catastrophe. J'espère que vous saisirez un jour l'aliénation que cela représente. Cette injonction au silence devant la fin du monde que nous connaissons est une chose que l'histoire retiendra comme profondément obscène. Tout cela est déjà tellement violent que les intimidations ne peuvent plus tellement attaquer notre détermination, malheureusement. Nos mouvements peuvent être dissous. Nous pouvons être stigmatisés, poursuivis, placés en garde à vue ou mis en prison. Nous ne nous arrêterons pas. L'élan et le mouvement ne s'arrêteront pas. Face au plus grand défi que l'humanité ait jamais eu à relever, nous devons être à la hauteur. Nous n'avons pas d'autre choix. La répression de notre action est dérisoire face à ce qui nous attend si l'on choisit de ne rien faire. Chaque fois que l'un de nous sera mis en cellule, tabassé, intimidé, vous verrez que parmi nous, parmi ceux qui défendent la vie sur la planète, personne ne tremble. Nous faisons face à une peur infiniment plus grande. J'espère que chacun ici le comprend.
J'aimerais ajouter une chose, qui explique aussi notre présence ici. Si la résistance civile non violente n'est pas entendue, ce sont des générations entières qui seront encore plus acculées, encore plus désespérées. Cela, c'est extrêmement dangereux. Le réchauffement climatique ne s'arrêtera pas par magie. Par conséquent, la lutte ne s'arrêtera pas non plus. La répression n'y changera rien. Vous êtes les personnes au pouvoir, les puissants dans ce combat. Vous avez donc le pouvoir de décider de la forme qu'il prendra. Sur la question des violences, comme sur le reste, la balle est dans votre camp.
Vous voulez préserver la société des affrontements et de la violence ? Alors validez les méthodes non violentes au lieu de les criminaliser. Donnez des victoires politiques à la résistance civile non violente. Toutes les autres solutions seront nécessairement chaotiques. Qui protégera les populations ? Qui protégera les Français ? Qui protégera nos familles, vos familles ? Qui nous protégera face aux ravages du réchauffement climatique ? Pour l'instant, le Gouvernement ne le fait pas. C'est un fait reconnu en justice. Chaque personne, chaque adulte a donc la responsabilité de regarder la réalité en face, d'agir et de ne pas cesser de le faire tant que le Gouvernement ne prendra pas ses responsabilités.
Je vous remercie d'avoir, à la différence d'autres structures, accepté le principe de cet échange. Madame Marchal, vous vous interrogez sur le sens de cette convocation. Ni le préfet de police de Paris, ni les médias et les réseaux sociaux que nous interrogerons dans quelques jours, ni la professeure d'université auditionnée voilà deux semaines ne font pas partie de groupuscules violents, pas plus que le journaliste Thierry Vincent que nous entendrons tout à l'heure. Il ne doit y avoir aucune méprise sur le sens de votre convocation.
Ce qui nous intéresse, c'est la frontière entre violence et non-violence. Certaines organisations et certains individus ont choisi la radicalité et l'action violente. D'autres organisations ne souhaitent pas entrer dans cette logique de violence, notamment envers les personnes, et s'affirment au contraire pacifiques. C'est le cas de Dernière Rénovation et c'est le sens de votre convocation. Je rappelle, du reste, que lorsque l'on est convoqué par une commission d'enquête, on ne peut s'y soustraire : c'est plus qu'une invitation. Nous entendrons donc les structures qui n'ont pas souhaité se présenter aujourd'hui.
Vous parlez de convictions et de faits. Nous n'avons aucun doute sur vos convictions, ni sur les faits que vous évoquez. Ce qui nous intéresse, ce sont les modes d'action que choisissent les groupes et les individus. Mon collègue Benjamin Lucas, ici présent, a choisi un mode d'action qui s'appelle la représentation politique et il est député. Vous avez choisi d'agir au sein d'une structure qui prône la désobéissance civile et l'action non violente. Vous dites que nous avons négligé l'ultradroite. En réalité, les éléments dont nous disposons à ce stade montrent qu'elle n'aurait pas directement participé aux violences que nous étudions. Cela étant, nous interrogeons systématiquement nos interlocuteurs sur la réalité des violences provenant de l'ultradroite dans les rassemblements et les manifestations dont nous parlons, et on nous a indiqué que des affrontements entre ultragauche et ultradroite s'étaient produits.
Ce qui nous importe, en tant que députés de la nation, est de mieux comprendre où se situe la frontière entre violence et non-violence et comment elle évolue au cours d'actions de plus en plus radicales. Nous nous interrogeons sur le sens même de cette notion de radicalité. Que signifie-t-elle pour vous ? Comment se légitime-t-elle ? Que signifie la désobéissance, qu'elle soit civile ou incivile ? Nous cherchons simplement à nourrir notre réflexion en écoutant des acteurs qu'il nous semble légitime d'interroger.
Vous avez fait le choix de la non-violence. Toutefois, il vous arrive d'aller sur le terrain de l'entrave. Vous avez indiqué que vous faisiez partie d'un réseau transnational et que votre mode d'action était utilisé dans de nombreux pays. Ce que nous voulons comprendre, c'est ce qui vous amène à justifier cela. Lorsqu'on pratique l'entrave, comme vous le faites, on passe du côté de l'illégalité. Vous avez dit, monsieur Taïeb, que certaines actions peuvent être illégales mais légitimes. Il n'en reste pas moins qu'un acte illégal est illégal. La loi reste la loi . Qu'est-ce qui, à vos yeux, légitime de ne pas la respecter ? Vous parlez d'état de nécessité, mais pouvez-vous préciser ce point ?
Vous dites de ne pas nous méprendre sur le sens de notre convocation. Mais vous ne pouvez pas faire abstraction du fait que nous nous présentons devant vous dans un contexte de répression historique, inégalé, de mouvements citoyens engagés. Des mouvements soutenus par des centaines de milliers de personnes sont dissous. Dernière Rénovation fait l'objet d'une répression judiciaire qui n'est pas proportionnée aux délits ou aux entraves dont vous parliez. Ce n'est pas moi qui le dis. Ce sont des rapports des Nations unies. Il me semble important de rappeler que cette audition intervient dans un contexte particulier, à un moment où les collectifs de citoyens engagés pour préserver le bien commun sont menacés par le pouvoir exécutif.
Les actions que nous menons sont des actions de désobéissance civile. Nous les assumons à visage découvert, de façon transparente. Tous les gens qui ont fait des actions avec Dernière Rénovation l'ont fait à visage découvert et ils ont, en tout cas l'immense majorité d'entre eux, assumé leurs actes devant la justice. Certains ont eu la faveur d'une dispense de peine ; d'autres ont été condamnés en première instance et ont fait appel.
J'aimerais recadrer le débat sur un point...
Vous posez la question de la violence. Mais il faut voir ce qu'il nous reste aujourd'hui. Comment se fait-il que des jeunes et des moins jeunes en arrivent à bloquer des routes et à assumer les conséquences judiciaires de leurs actes ? Florence Marchal est médecin et elle s'est retrouvée en garde à vue, comme Bertrand Caltagirone et moi-même. Nous irons probablement tous devant le tribunal. Pourquoi en arrive-t-on là ? Pour répondre à cette question, il faut adopter une perspective historique et constater que tous les autres moyens d'action ont été utilisés. Personne ne fait cela par plaisir. Il faut que vous en ayez conscience. Les premiers impactés, c'est nous.
Nicolas Hulot démissionne en disant qu'il n'a aucun moyen d'action. Les marches réunissent des millions de personnes. Les actions en justice sont victorieuses et ne changent rien… Face à ce constat, nous essayons d'être politiquement lucides. Nous estimons que la meilleure option est la désobéissance civile ou la résistance civile non violente, telle qu'elle a été pratiquée dans l'histoire avec les suffragettes, les mouvements pour les droits civiques en Amérique et, plus récemment en France, pour les droits des personnes homosexuelles et la lutte contre le sida. J'espère qu'elle le restera et c'est votre rôle, en tant qu'institution, de montrer que c'est un mode d'action valide et légitime. Sinon, il risque effectivement d'y avoir des dérives.
Ce qui m'intéresse, en tant que rapporteur, est aussi d'évaluer, sans idée préconçue, ce qui relève de l'incitation ou de la provocation à la violence. Comme tous mes collègues sans doute, je fais évidemment une différence entre, d'une part, une action comme l'entrave de la circulation sur une autoroute qui peut constituer une infraction pénale et que j'ai, je l'avoue, moi-même pratiquée jadis sur une route nationale en militant pour un ancien parti politique et, d'autre part, les violences aux personnes et la dégradation systématique de biens publics et privés. Toutefois, j'ai le sentiment que la frontière entre ce qui relève du militantisme ou de l'activisme et ce qui relève de la violence a tendance à se brouiller, à devenir plus floue.
Nous nous intéressons aux groupuscules violents, à ceux qui s'attaquent aux biens mais aussi aux personnes. Ce choix n'est pas le vôtre. J'entends souvent dire, y compris de la part de militants, que la violence reste le dernier mode d'action lorsque les voies judiciaire et électorale ont échoué. Est-ce un point de vue que vous partagez ? Vous considérez-vous plutôt comme des régulateurs de la violence avant qu'elle ne se commette ? Ou bien votre mode d'action est-il pris dans une succession d'événements pouvant aboutir à la violence ? J'insiste sur ce point parce que la frontière entre violence et action pacifique me semble floue et, parfois, instrumentalisée.
Vous avez parlé de violence pour désigner des atteintes aux biens. Mais le droit pénal fait une distinction entre la dégradation et la violence, qui est exclusivement tournée vers les personnes. On parle de violence lorsqu'on s'en prend aux personnes et nous ne la légitimons en aucun cas.
Lorsque, face à une situation de crise ou d'urgence, les institutions sont bloquées ou incapables de protéger le bien commun et l'intérêt national, ce qui est pourtant la mission première des représentants du peuple, il paraît légitime de se demander ce que l'on peut faire. Mais poser cette question ne signifie pas que tout est permis et que nous faisons n'importe quoi. Ce n'est pas parce que nous sortons du cadre de la légalité que nous sortons de celui de l'éthique. Au contraire : nous nous interrogeons sur ce qui est juste. Nous nous posons des limites morales très claires. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous utilisons des tactiques non violentes. Mais, comme Pierre Taïeb l'a rappelé, avec un réchauffement qui s'accélère, une tension sociale croissante, un désespoir profond chez des jeunes et des moins jeunes qui se sentent impuissants face à une situation qui menace leur vie et celle de leurs proches, le risque est que les actions de contestation se radicalisent et deviennent violentes. Je ne dis pas que c'est légitime. Je dis que cela obéit à une certaine logique. Ce n'est clairement pas ce que nous souhaitons. Ce que nous souhaitons, c'est que nos actions enclenchent des changements de société d'ampleur, qui nous permettent de nous maintenir dans une société qui respecte les limites planétaires. C'est tout.
Je vous ai interrogés tout à l'heure sur votre rapport aux black blocs. Lorsque vous êtes présents dans une manifestation, votre organisation, Dernière Rénovation, donne-t-elle des consignes à ce sujet, sachant que le moteur des black blocs est de commettre des violences ?
Il me semble utile de rappeler les actions de Dernière Rénovation. Jusqu'ici, elles ont consisté principalement en des blocages de route, sur le périphérique parisien et ailleurs, par des petits groupes de personnes. Nous n'avons pas commis la moindre violence, pas même verbale, contre qui que ce soit. Nous n'avons pas été en contact avec les black blocs, parce que ce n'est pas notre mode d'action. Notre mode d'action est perturbateur ; nous ne sommes plus dans la protestation mais dans la perturbation, car notre but est de créer un électrochoc dans la société.
En tant qu'organisation, vous ne participez pas aux manifestations ? Nous nous intéressons notamment à celle qui a eu lieu à Sainte-Soline en mars dernier. Votre organisation était-elle présente ?
Non, nous n'avons pas appelé à participer aux manifestations de Sainte-Soline.
Permettez-moi de revenir sur cette question de la transition entre non-violence et violence. M. Caltagirone vient de dire qu'il peut être légitime de dépasser une certaine limite. Je vous pose la question franchement : ne pensez-vous pas que cela peut être perçu par un certain nombre de citoyens comme le signe qu'il est possible d'aller encore plus loin, vers une radicalisation violente y compris vis-à-vis des personnes ? Par ailleurs, ne pensez-vous pas que cela construit une sorte de face-à-face binaire, qui dessert peut-être la cause que vous défendez ?
Vous regardez les choses par le petit bout de la lorgnette et je ne sais plus comment le dire. Vous avez évoqué les affrontements de Sainte-Soline. Mais des dizaines de milliers de personnes s'y sont rendues de façon non violente. Votre commission d'enquête s'intéresse à la frontière entre les mouvements non violents et le passage à l'action violente : en tant que citoyenne engagée dans Dernière Rénovation, je ne me sens pas du tout concernée par cette question. J'ai un métier et une famille. J'ai fait des actions avec Dernière Rénovation. Je me suis trouvée trois fois en garde à vue, pendant des dizaines d'heures. Je suis passée à plusieurs reprises devant la justice. J'ai été condamnée. La violence que vous évoquez m'effraie mais le projecteur que vous braquez sur elle me paraît disproportionné. Et, pendant ce temps-là, on ne parle jamais de la violence qui arrivera dans nos vies, dans celle de nos enfants et de nos petits-enfants.
Vous ne cessez de nous demander à quel moment une action de militantisme va trop loin. Vous nous dites que les blocages sont tout de même un délit et qu'il est normal que nous passions devant la justice. Je voudrais vous lire un extrait d'un rapport des Nations unies daté du 15 juin 2023.
Je veux préciser qu'il s'agit d'un rapport d'experts des Nations unies, mais qu'il ne provient pas des Nations unies elles-mêmes. Nous avons déjà eu un débat sur ce point. L'institution des Nations unies ne cautionne pas ce rapport.
Pardonnez-moi si j'ai été imprécise. Ce document émane du rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, qui dépend des Nations unies. Il juge que le droit de réunion pacifique est un droit fondamental qui fonde le socle même des systèmes de gouvernance participative basés sur la démocratie, les droits humains, l'État de droit et le pluralisme. Ce rapport rappelle à la France que toute stratégie de maintien de l'ordre doit respecter les principes de nécessité et de proportionnalité dans le seul but de faciliter les réunions pacifiques et de protéger les droits fondamentaux des personnes qui y participent.
La violence, je la vois s'exercer sur les réunions pacifiques et sur tous ces gens auxquels je m'identifie, arrêtés de façon disproportionnée pour des actes répréhensibles certes, mais qui ne justifient pas cette répression aux yeux d'observateurs internationaux.
Le pouvoir en place a choisi la voie de la répression. Cela témoigne d'une incompréhension profonde de la détresse ressentie face au réchauffement climatique, qui interdit de se projeter dans l'avenir. Et les choses ne font qu'empirer. Je ne sais combien de morts nous allons compter cet été, rien qu'en France. Il existe une autre issue, que toutes les personnes au pouvoir doivent considérer : l'action politique. Le meilleur moyen de pacifier l'action militante est de donner des victoires politiques aux méthodes non violentes. Si l'on ajoute la résistance civile non violente à la liste de la honte que j'ai dressée au début de mon propos liminaire, que restera-t-il à ceux qui, de toute façon, puisqu'il s'agit de vie ou de mort, devront agir ? Je vous invite à vous intéresser aux gens beaucoup plus en détresse que nous, dans les pays du Sud. Croyez bien que leur choix n'est jamais l'inaction !
Nous sommes ici au Parlement. L'un des fondements de notre système politique est la séparation des pouvoirs.
Je trouve cette audition pour le moins surprenante, d'abord par la présence même devant nous de membres de Dernière Rénovation. Ils ont rappelé que leur mouvement revendique la non-violence comme moyen d'action. Or, comme Mme Florence Marchal l'a souligné, cette commission d'enquête porte sur « la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences ». Est-ce à dire que Dernière Rénovation est soupçonnée d'avoir commis des violences ?
J'ai bien compris que vous ne les accusiez pas de violences mais que vous vouliez en savoir davantage sur leurs motivations. Mais cela n'entre pas dans le périmètre de notre commission d'enquête. Nous ne sommes pas là pour interroger les gens sur leurs motivations mais, je le répète, pour enquêter sur « la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences ». Vous vous demandez ensuite si leur existence même ne poserait pas un problème à notre démocratie, si le simple fait qu'ils s'expriment ne pourrait pas encourager, à terme, la violence. Je ne comprends pas votre démarche, à moins qu'elle ne vise à détourner l'objet de cette commission d'enquête.
De la même façon, monsieur le président, vous avez tenu à souligner que nous avions devant nous des personnes appartenant à un mouvement qui commet des actions illégales et que la loi est la loi. Or, au moment de la création de cette commission d'enquête, vous avez rappelé que, lorsque nous auditionnons, nous sommes soumis à l'article 40 du code de procédure pénale qui nous impose de rapporter, le cas échéant, un fait illégal, un crime ou un délit. Je ne comprends pas cette ambiguïté.
J'ai vraiment l'impression, mais peut-être est-ce inconscient, que vous leur faites une forme de procès. Je ne comprends pas ce que nous sommes en train de faire. Ce n'était pas une question mais, dans la mesure où nous sommes dans une commission d'enquête, je crois qu'un point de vue peut aussi être exprimé.
Vous vous êtes décrits en militants engagés, respectueux d'un mode d'action non violent. Permettez-moi de vous dire que je ne partage pas tout à fait votre point de vue. Je tiens d'abord à souligner la dureté de l'intonation que vous avez adoptée dans votre propos liminaire, ainsi que la dureté de vos modes d'action. Vous les dites non violents. Mais quand vous participez au blocage du périphérique ou que vous faites irruption dans un événement sportif, vous faites preuve d'une certaine forme de violence puisque vous vous imposez à des personnes qui ne sont pas venues pour vous regarder.
Je voudrais également souligner la dureté de vos propos, de vos accusations et du champ lexical que vous utilisez. Vous parlez d'offensive autoritaire, de militants tabassés, de criminalisation de l'opposition, d'intimidation et de répression. Qu'est-ce qui vous permet de dire vos revendications plus légitimes que d'autres ? Qu'est-ce qui vous permet de vous autoproclamer représentants du camp du bien et d'affirmer que ceux qui ne pensent pas comme vous sont dans le déni et qu'ils n'ont pas conscience du danger de mort qui nous attend ? Votre positionnement me paraît radical et, pour le moins, sectaire.
Par ailleurs, en délégitimant ou en accusant la police, l'État et tout ce qui représente les institutions, ne contribuez-vous pas à l'escalade de la violence, qui est précisément l'objet de notre commission d'enquête ?
Selon vous, nos actions relèveraient d'une « certaine forme de violence ». Mais le droit pénal est clair : une action est qualifiée de violence lorsqu'elle s'exerce envers des personnes, pas sur des biens. Je tiens à insister sur le fait qu'aucun parquet n'a jamais requis la qualification de violence à l'encontre de nos actions. J'ignore ce qu'est « une certaine forme de violence ». Cette qualification est nulle et non avenue.
Vous demandez également ce qui justifierait que nous proclamions être dans le camp du bien. La question est intéressante car, dans l'absolu et dans une perspective relativiste, on pourrait se demander pourquoi, si nous commettons des actions illégales au nom de ce que nous défendons, d'autres groupes ne pourraient pas en faire autant pour défendre des causes différentes. La réponse est claire : nous nous fondons sur un consensus scientifique, c'est-à-dire sur la meilleure manière d'obtenir des connaissances, de savoir ce qui est à peu près vrai. Certes, en tant qu'êtres humains, nous nageons dans l'incertitude, le doute, les opinions et les convictions diverses. Mais la connaissance scientifique est la chose la plus solide dont nous disposions pour avoir un minimum de certitudes et avancer dans la bonne direction. Nous ne prétendons donc pas être dans le camp du bien. Nous nous référons à un consensus scientifique clair selon lequel certains pays deviendront inhabitables à l'horizon de dix, vingt ou trente ans et des milliards de personnes seront sur les routes à cause du changement climatique, qui menace aussi notre biodiversité et notre agriculture. Nos conditions d'existence sont en péril. Il ne s'agit donc pas d'être ou non dans le camp du bien, mais de savoir ce qui est vrai et juste.
Quant à savoir si nos actions contribuent à l'escalade de la violence, nous avons déjà répondu que ce qui contribue à l'escalade de la violence, c'est l'indifférence des pouvoirs publics, le fait que les élites économiques refusent les mesures nécessaires pour restreindre la folie du système économique et le sentiment d'impuissance de tous les jeunes qui n'ont plus aucun moyen de défendre leur vie et leur avenir.
Nous ne délégitimons pas les institutions puisque notre objectif est de promouvoir des mesures législatives. Comme nous l'avons dit en préambule, nous sommes en contact avec les élus et nous nous efforçons d'obtenir de l'Assemblée nationale et du Sénat des lois réellement efficaces. Notre unique revendication est la rénovation thermique des bâtiments. S'il s'agissait de délégitimer les institutions, nous ne serions pas ici aujourd'hui.
Sans engager de polémique inutile avec l'oratrice du Rassemblement national, je dois dire que je n'ai pas entendu un « champ lexical violent ». J'ai entendu, au contraire, une parole lucide, sincère et déterminée, qui montre que nous avons en face de nous des gens qui veulent peser dans le débat démocratique pour que nous prenions des mesures nécessaires, et non remettre en cause notre modèle républicain. À cet égard, je rejoins l'interrogation de mon collègue Aymeric Caron sur la pertinence de cette audition. Au demeurant, puisque ce que vous avez dit me semble utile et nécessaire, je me réjouis que vous ayez été convoqués.
Le rapporteur m'ayant nommément cité tout à l'heure, je précise, pour être député, n'en être pas moins militant. Parlementaire, écologiste qui plus est, je sais ce que notre institution et l'histoire de la République doivent au mouvement social, civique et républicain. C'est d'autant plus vrai dans la période où nous nous trouvons pour ce qui concerne le climat et la biodiversité. Nous ne vaincrons pas le péril climatique, le plus grand de l'histoire de l'humanité, sans une mobilisation de la société, donc sans des citoyens conscients, lucides et déterminés. Parfois, ils le sont beaucoup plus que nous-mêmes dans ces enceintes où nous avons affaire à des forces économiques, à des forces d'inertie et à des groupes de pression puissants. Du reste, même si nous, parlementaires, étions seuls à prendre les bonnes décisions, nous aurions besoin d'un mouvement dans la société comme c'est le cas depuis deux siècles de République. Il n'y a pas d'opposition entre l'engagement parlementaire et le militantisme. On peut faire les deux. Si vous avez cessé de bloquer les routes en devenant parlementaire, monsieur le rapporteur, c'est peut-être parce que quelque chose a mal tourné chez vous. Nous avons besoin de cette conjonction et, à l'échelle de l'histoire que vous avez justement rappelée, la désobéissance à la loi se révèle parfois nécessaire. Nous sommes souvent, dans toutes nos familles politiques, les héritiers de militants qui ont lutté, parfois aux marges de la loi, pour obtenir de grandes avancées pour tous.
Ma question sera double. Tout d'abord, estimez-vous que, dans vos actions non violentes, le maintien de l'ordre soit de nature à entraîner une désescalade et de l'apaisement, ou plutôt à susciter un risque de faire monter la tension ? Ensuite, le mouvement actuel de répression des organisations et des mouvements écologistes est-il de nature à vous effrayer, à affecter votre détermination et à vous faire changer de modalités d'action ou, au contraire, n'a-t-il aucun impact, ce qui démontrerait qu'on peut brutaliser un mouvement mais pas l'empêcher ?
Pour ce qui est du maintien de l'ordre, les situations sont spécifiques à chaque action. Toutes nos actions sont documentées et chacun peut se faire son idée à partir des exemples disponibles sur internet. Pour ma part, j'ai clairement vu des abus et de l'intimidation. Ainsi, nous avons failli ne pas pouvoir entrer tout à l'heure dans les locaux de l'Assemblée nationale. Nous avions organisé un rassemblement de soutien devant le site et les accès étaient bloqués. Ç'aurait été ironique et symptomatique de ce qui se passe dans le pays. À l'échelle du mouvement plus global dont Dernière Rénovation n'est qu'une partie, on observe de nombreux abus à tous les niveaux.
Je pourrais donner de nombreux exemples. Lorsque nous sommes venus devant l'Assemblée nationale, en novembre dernier, défendre le vote exprimé par les députés dans cet hémicycle, une policière a dit qu'il n'y aurait pas besoin de sommations puisque nous savions que ce que nous faisions était illégal. Nous avons également fait l'objet de plusieurs tentatives d'intimidation pour des actions légales, comme le rassemblement tenu tout à l'heure : devoir emprunter huit rues et négocier avec un policier pour nous rendre à la convocation d'une commission parlementaire me semble un abus. De même, alors que j'étais en garde à vue pour l'action menée sur les Champs-Élysées, on a menacé de me casser le bras sans autre raison que ma participation à cet évènement non violent. J'ai vu aussi beaucoup de choses en garde à vue, dont nous pourrions témoigner longtemps. Pour ce qui est de la répression, j'ai déjà dit clairement qu'elle ne fera pas baisser la détermination, en tout cas pas au niveau d'un mouvement. Je vois au contraire qu'elle suscite une révolte encore plus grande en rendant visible une injustice jusqu'à présent masquée.
Malgré le caractère grave de nos propos, je sens beaucoup de décontraction dans cette salle alors que le réchauffement climatique est une énorme injustice, tant géographique que liée à l'âge. Elle rend visible une violence déjà présente. Quelles sont les autres issues possibles ? Que le réchauffement climatique s'arrête, auquel cas nous n'aurions plus de raison de nous mobiliser ? Ce n'est pas ce que prépare l'inaction politique actuelle. Que nous décidions que nous n'avons plus envie de vivre et que nous nous résignions ? Je ne pense pas que ce soit dans la nature humaine, et ce n'est assurément pas ce que j'observe autour de moi.
Pour ce qui est du traitement pénal de nos actions, plusieurs dizaines de personnes, qui n'ont jamais été devant le tribunal correctionnel pour quelque infraction que ce soit, ont été ou seront en procès. Pour ma part, je suis à l'image d'une foule de gens qui ont un boulot, des enfants, une famille et des activités. En un mot, j'ai autre chose à faire. Si nous sommes prêts à continuer malgré les menaces, les procès et les condamnations, c'est parce que l'enjeu concerne notre existence et nos valeurs. Comment regarder mes enfants dans les yeux et faire mon travail de médecin à l'hôpital pour protéger les plus vulnérables tout en sachant qu'ils vont mourir de la chaleur, en France, dès cet été ? Dans cette situation, on ne peut pas s'arrêter. Quand on prend conscience, comme je l'ai fait, de la réelle gravité et de l'imminence du péril, on ne peut plus revenir en arrière. Ne rien faire, c'est cautionner l'immobilisme, l'inaction de l'État condamnée à deux reprises. Nous sommes des citoyens qui prenons nos responsabilités. Nous espérons que les personnes que nous rencontrons dans les institutions, y compris l'institution judiciaire, prendront leurs responsabilités pour la préservation de nos vies, de notre climat, de l'eau et de nos récoltes, sans criminaliser ou condamner ceux qui les défendent.
Monsieur Lucas, nous vous avons peu vu depuis le début des travaux de la commission d'enquête.
N'allons pas sur ce terrain, monsieur Taverne ! Chacun est libre d'assister ou non aux réunions de la commission.
Nous avons parlé pendant des heures du maintien de l'ordre. Si vous aviez assisté aux débats, nous n'en serions pas là.
Madame, messieurs, quelle est votre position lorsque des individus se rendent à une manifestation interdite avec des armes, destinées à donner la mort, et visent les policiers et les gendarmes, dont certains ont été grièvement blessés ? En évoquant le maintien de l'ordre à la française, vous parlez de répression. Mais allez donc voir ce qu'il en est à l'étranger, dans des pays d'Afrique centrale ou du Moyen-Orient. Vous pourrez ensuite faire des commentaires sur ce qui se passe en France !
Vous citez, par ailleurs, les violences de l'extrême droite. Nous condamnons toutes les violences, d'où qu'elles viennent. Toutefois, selon les dernières auditions, l'ultragauche est plutôt majoritaire dans les événements que nous évoquons. Véhiculez-vous un message politique ou défendez-vous véritablement votre cause ?
Vous avez ensuite évoqué des cas de personnes tabassées en garde à vue. Or, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté Dominique Simonnot, que nous avons auditionnée, n'évoque à aucun moment de telles situations. Elle parle plutôt des mauvaises conditions de garde à vue, tant pour les personnes faisant l'objet de cette mesure que pour les policiers eux-mêmes.
Enfin, en ce qui concerne le réchauffement climatique, la France est l'un des pays les plus verts au monde. Dans ma circonscription d'élection, qui est à 90 % rurale, où des élus locaux prennent des mesures pour s'efforcer de limiter la consommation énergétique tandis que des exploitants agricoles font de leur mieux pour préserver l'environnement, on déplore des actions souvent violentes. Voulez-vous faire passer un message politique, comme vous le faites en mélangeant les notions de violence et de maintien de l'ordre ?
Pour ce qui concerne les personnes qui se rendent aux manifestations avec des armes, nous n'avons cessé de répéter depuis le début de cette réunion que nous sommes non violents. Je vous ferai donc la même réponse : nous sommes non violents.
Quant au fait que nous ayons de la chance de vivre en France, je ne pense pas que vous ayez déjà été en garde à vue ou incarcéré pour des actions non violentes ?
L'incarcération, c'est être privé de liberté. C'est le cas en garde à vue. C'est en tout cas comme cela que je l'ai vécu. Nous sommes à des niveaux d'information tellement différents que je ne vois pas quel intérêt il y a à répondre. Puisqu'on nous explique que c'est pire ailleurs et que nous devons être satisfaits de ce que nous avons, je me permets de répondre sur la base de mon expérience.
Si vous pensez que tout va bien quand des personnes ont perdu un œil ou une main pendant les manifestations, c'est votre droit. Ce n'est pas mon avis.
Vous nous invitez à aller manifester en Afrique centrale, en rappelant que les conditions sont pires dans d'autres pays. Certes. Mais ce n'est pas parce qu'on trouve pire ailleurs que ce qui se passe ici est bien. Si on se compare au pire, on ne peut que se sentir bien !
Avec la même méthode de comparaison par le négatif et en invoquant les pires pays industriels, vous dites que la France est beaucoup plus verte. Or, en France, la moyenne annuelle des émissions de CO2 par habitant est de 10 tonnes en comptant les émissions importées. Si nous voulons respecter les accords de Paris et avoir une chance de faire notre part pour rester dans un monde à peu près viable, nous devons passer à 2 tonnes par habitant. Il y a évidemment des disparités importantes au sein de la population car, généralement, les plus riches ont tendance à émettre davantage que les autres. Globalement, cependant, cela n'a aucun sens de dire que la France est l'un des pays les plus verts au monde. Nous sommes citoyens français et estimons que la France ne fait pas sa part, et d'autant moins au vu de sa responsabilité historique et de la quantité de ses émissions de CO2 au long de son histoire industrielle. Nous ne partageons donc pas du tout votre point de vue.
Pour ce qui est du maintien de l'ordre, alors que nous traitons d'un enjeu historique planétaire et humain, la question de droit est celle de la proportionnalité. Souvent, lorsqu'une action militante est condamnée en première instance, la Cour européenne des droits de l'homme reconnaît son caractère proportionné à l'enjeu. Pour la période qui vous occupe, le nombre de placements en garde à vue qui n'ont pas donné lieu à des poursuites judiciaires invite à s'interroger sur l'abus de gardes à vue.
Madame, messieurs, vous n'êtes aucunement sur le banc des accusés. Contrairement à ce qu'indique votre compte Instagram, où vous présentez comme un signal inquiétant pour la démocratie la convocation à laquelle vous avez répondu, votre présence permet de mieux comprendre vos spécificités et vos modes d'action par rapport à ceux d'autres groupes que l'on peut qualifier de violents. Cela nous permettra de mieux légiférer. Vous disiez tout à l'heure qu'il fallait une victoire politique significative de l'action non violente. Pour que vos actions débouchent sur de telles victoires, il faut que nous nous parlions. Où le faire mieux qu'ici, à l'Assemblée nationale ? Votre présence n'est en aucun cas un signe de malaise démocratique. Bien au contraire !
Je vous poserai quatre questions pour mieux comprendre vos actions, ce que vous représentez et les différences qui vous caractérisent par rapport à d'autres organisations. Tout d'abord, vous procédez à des blocages de circulation et à d'autres actions de même nature, manifestement illégales. Qu'est-ce qui, selon vous, différencie l'illégalité et la non-violence ? Une action non violente devrait-elle être par nature légitime et donc légale ? En corollaire, comment espérez-vous convaincre un maximum de Français, ce qui se traduirait par leurs votes dans les urnes, avec de telles actions ? Comment entendez-vous susciter l'adhésion en menant des actions qui perturbent leur quotidien ?
En deuxième lieu, vous évoquez, dans le même message sur les réseaux sociaux, les actions qui ont mené à la dissolution des Soulèvements de la Terre. Vous sentez-vous solidaires des actions de dégradation d'exploitations agricoles menées dans le département de Loire-Atlantique, dont je suis représentant, ou les condamnez-vous ?
Troisième question, toujours dans le même message, que j'invite chacun à lire, vous évoquez des élites politiques et économiques qui organiseraient sciemment l'anéantissement du vivant. De qui parlez-vous ?
Enfin, projetez-vous de mener des actions hors de France, dans les pays qui sont les principaux émetteurs de gaz à effet de serre ?
Je ne comprends pas, dans votre question relative aux blocages de circulation, la différence entre légal et légitime. Nos actions de blocage existent depuis longtemps et d'autres mouvements les ont pratiquées avant nous. Plus généralement, d'autres organisations recourent aux blocages, comme les syndicats depuis le début de l'ère industrielle. Fut un temps où c'était illégal de le faire, et même illégal de se syndiquer, d'organiser des grèves et des blocages. Puis ces droits ont été progressivement acquis. Aujourd'hui, nos actions sortent effectivement de la légalité et aucun dispositif légal ne permet d'en reconnaître la légitimité, à la différence de ce qui existe par exemple pour les lanceurs d'alerte. Voilà dix ans, ils n'étaient pas autorisés à pratiquer leurs actions. Ils sont aujourd'hui protégés par le droit.
Pour ce qui est des Soulèvements de la Terre, nous sommes, d'une manière générale, solidaires de l'ensemble des mouvements qui manifestent de manière non violente au sens du droit français, c'est-à-dire non violente à l'égard des personnes. Nous sommes solidaires de toutes les personnes qui, d'une manière ou d'une autre, engagent des luttes pour préserver le vivant. Les actions de dégradation ne sont pas celles que nous avons choisies et il n'y a donc pas lieu de nous assimiler à ce mouvement. Mais, de fait, nous partageons une même volonté de préserver le vivant.
S'agissant des élites politiques et économiques, on ne peut plus dire qu'elles ignorent la situation. Voilà trente, quarante ou cinquante ans, une grande partie de la population n'était pas sensibilisée à ces questions. Elle n'avait pas lu les rapports du Giec ou étudié la littérature scientifique sur le réchauffement climatique. On pouvait prétendre alors que les élites politiques et économiques faisaient tourner un système sans connaissance de cause. Du moins pouvait-on leur accorder le bénéfice du doute, même si on s'est rendu compte, par exemple, que Total a sciemment caché, voilà plus de quarante ans, des études scientifiques démontrant que son activité était néfaste pour le climat. Aujourd'hui, on ne peut pas se cacher derrière son ignorance. Chacun a lu au moins des articles résumant les propos du Giec. Les élites au pouvoir savent ce qu'elles font. Elles connaissent les conséquences du maintien du système sur lequel repose notre société.
Pour ce qui est de la distinction entre légalité et légitimité, il faut se demander s'il existe d'autres manières d'agir légales et proportionnées à l'enjeu. Nous estimons que bloquer des routes pour lancer l'alerte, perturber pour déclencher une action politique face au changement climatique sont des actions proportionnées compte tenu de ce qui menace la vie sur Terre. Cette proportionnalité a d'ailleurs été partiellement reconnue en janvier dernier par un juge qui, s'il n'a pas totalement retenu l'état de nécessité, a toutefois prononcé une dispense de peine pour ce motif.
Dans vos écrits ou sur les réseaux sociaux, vous dites que « l'objectif est de catalyser des soulèvements populaires massifs dans les quelques années à venir ». Qu'entendez-vous par là ?
Comme nous l'avons évoqué, le Giec déclare que, dans une large mesure, la société civile est la seule force motrice sur laquelle on puisse compter pour pousser les institutions à changer au rythme voulu. Les grands changements de société qui nous attendent doivent s'accompagner de mobilisations sociales d'ampleur. Sans quoi, ils ne se feront pas. S'il n'y a pas, face aux pressions économiques qui s'exercent d'un côté, la pression populaire d'un mouvement social d'ampleur de l'autre, on n'y arrivera pas. Nos actions ont pour but de mobiliser, dans un premier temps, les personnes les plus motivées et les plus conscientes. Mais l'objectif, à terme, est de rassembler bien plus largement autour de nous.
Si nous avons spécifiquement choisi la rénovation thermique, en miroir avec l'objectif de catalyser des soulèvements populaires, c'est parce qu'il s'agit de la mesure la plus simple, la plus consensuelle à la fois dans les classes sociales les plus pauvres et les plus aisées, et à laquelle quasiment personne ne s'oppose. Si le Gouvernement et les personnes au pouvoir ne sont même pas capables de faire avancer la rénovation, qui est la première marche et la plus facile à gravir, c'est qu'on ne peut pas nourrir d'espoir sincère et sérieux du côté de cette action politique.
Je répète à nos collègues qui s'interrogeaient sur la confusion des genres et qui remettaient en cause l'intérêt de cette audition que c'est précisément parce que vous avez choisi l'action non violente que nous souhaitions avoir votre point de vue sur une méthode qui n'est pas la vôtre. De la même façon, nous allons interroger des personnes qui ne sont pas violentes, mais qui ont un jugement, une interprétation, une vision et une définition de ce qu'est la violence en société, notamment la violence politique.
À la différence du Conseil d'État, nous n'avons pas accès au dossier de dissolution des Soulèvements de la Terre. Lorsque des actions violentes sont commises contre des personnes par des activistes ou des militants, et je serai très prudent quant à la façon de les qualifier, vous en sentez-vous solidaires ou considérez-vous ces actions inacceptables par principe ? M. Caltagirone a dit éprouver de la solidarité envers ceux qui mènent des combats communs dans le domaine environnemental. Mais j'imagine que cette solidarité s'arrête à la violence, y compris lorsqu'elle est commise au nom de cette cause.
J'ai l'impression d'avoir déjà répondu. En tant que Florence Marchal, citoyenne impliquée dans ma vie, mon pays, ma famille et mon métier, je suis choquée de ce qui se passe à Sainte-Soline. Et ce qui me choque, ce n'est pas la violence dont vous parlez, mais les 6 000 grenades tirées, qui ne l'ont pas été par les manifestants ! Dans une perspective de proportionnalité, ce qui me choque, c'est que des gens soient envoyés dans le coma alors qu'ils ont une autre vie et qu'ils ne sont pas des black blocs.
Selon les chiffres dont nous disposons, on comptait à Sainte-Soline environ 8 000 personnes, dont 1 000 radicalisées et 250 activistes dans une logique de violence contre les personnes.
Lorsque quelqu'un se rend à une manifestation avec des boules de pétanque ou des armes par destination, quelle est votre réaction ? La question de l'escalade et de la désescalade dans le maintien de l'ordre est importante. J'ai moi-même souhaité que notre commission d'enquête s'attache au déroulement de l'ensemble des manifestations et rassemblements, y compris sur la question du maintien de l'ordre, qui ne doit pas échapper à notre réflexion. Cependant, lorsque vous apprenez que des individus, au nom de la cause environnementale, se munissent d'armes par destination, confirmez-vous votre rejet de cette action ?
C'est en effet un problème. Mais la culpabilité n'est pas de ce côté-là. Elle tient à ce que l'action politique n'offre aucun espoir. La lutte non violente n'est absolument pas écoutée. C'est un problème grave, mais il faut remettre la culpabilité au bon endroit.
Vous commencez votre question en évoquant des manifestations marquées par la radicalité…
On ne peut dissocier le motif qui a réuni les milliers de personnes présentes et les excès de la répression. Je ne connais pas toutes les personnes sur les lieux et je ne suis pas enquêtrice. Mais je vois cette répression et le récit différent qui en est fait selon que l'on se situe du côté des forces de l'ordre ou que l'on est une mère de famille sur place. Cela me choque beaucoup. Cette commission d'enquête parlementaire éclairera-t-elle ce récit ? On ne peut pas distinguer cette question du fait que les bassines en question profitent à 6 % des agriculteurs, aux agro-industriels.
Enfin, vous nous interrogez à propos d'une manifestation contre l'installation et l'utilisation des méga-bassines qui a mobilisé un dispositif policier sans précédent. Avez-vous évoqué dans le cours de vos travaux l'agression commise le 22 mars, donc dans la période couverte par votre commission d'enquête, à la fin d'une manifestation de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), contre le domicile d'un responsable écologique au motif que le tribunal avait interdit ces bassines ? Il n'était pas question, cette fois, d'un dispositif policier de la même ampleur. Il y a donc plusieurs poids et plusieurs mesures. Ceci m'interroge et m'inquiète profondément en tant que citoyenne et votante.
Cette question a bien été posée aux représentants du syndicat que vous évoquez. Ils ont clairement répondu qu'ils se désolidarisaient de tout type d'action de cette nature. Au même titre que vous avez déclaré que vos actions étaient non violentes, ils ont insisté sur le fait qu'ils se situaient sur cette ligne, comme vous pourrez le constater en consultant le compte rendu de cette audition publique.
Il existe évidemment plusieurs récits, que notre commission d'enquête a précisément pour rôle d'entendre. Toutefois, dès qu'il est question de narration, il peut y avoir interprétation. Nous devons parvenir à des éléments factuels et à une objectivation du réel.
Monsieur le rapporteur, je suis surpris de votre dernière question. En effet, alors que vous avez déclaré avoir convoqué Dernière Rénovation pour nous éclairer sur un mode d'action non violent, vous demandez à plusieurs reprises aux personnes invitées si elles condamnent une action violente. On voit clair dans votre jeu : comme nous l'avions pressenti lorsque nous discutions de la résolution portant création de cette commission d'enquête en séance publique, vous voulez criminaliser le mouvement écologiste.
Je ne suis pas d'accord avec Manuel Valls, dont je ne sais pas si vous êtes encore proche, qui disait qu'expliquer c'est excuser. Quand on vous explique comment naît la violence dans la société, vous demandez immédiatement si on la condamne. Allons-nous passer toutes nos auditions à interroger chaque personne auditionnée sur toutes les violences qui existent dans la société et qui ont, de près ou de loin, un rapport avec la cause défendue ? Si tel est le cas, interrogez-moi, qui suis militant de gauche, sur toutes les violences commises dans le cadre de rassemblements sociaux, républicains et démocratiques depuis deux siècles. Et passons-y des heures !
Nous débordons du cadre cette commission d'enquête. Je ne vois pas au nom de quoi on demande individuellement aux personnes auditionnées si elles condamnent telle ou telle action. Je ne vous le demande pas et vous n'avez pas non plus à me le demander. Le fait que vous vouliez installer dans l'opinion un récit médiatique visant les responsables écologistes ne doit pas conduire à faire n'importe quoi avec cette commission d'enquête.
Rassurez-vous, monsieur Lucas, il n'y a pas de procès d'intention. Si toutefois vous souhaitez être auditionné par la commission d'enquête, c'est tout à fait possible.
Pour ma part, je ne suis plus seulement étonné, monsieur le rapporteur. Je suis choqué, d'autant plus que ce n'est clairement plus votre inconscient qui parle lorsque vous tentez de faire dire à nos témoins des choses sans aucun lien avec l'objet de cette commission d'enquête. Nous n'avons pas à leur demander comment ils se positionnent face à un mouvement auquel ils se déclarent complètement étrangers, à moins que vous ne vouliez jeter un doute dans l'esprit de ceux qui suivent ce débat en tentant de montrer que tous les mouvements écologistes ont une attitude nébuleuse et qu'ils manquent de clarté à propos de la violence.
Il y a quelque chose de dangereux dans ce que vous faites. J'insiste pour que figure dans le rapport, et je ne doute pas de votre honnêteté à cet égard, la clarification apportée ce soir : la différence entre violence et dégradation. Pouvez-vous me confirmer que le rapport aura au moins le mérite de corriger la confusion qui tend à s'installer à ce propos ?
Monsieur le rapporteur, pouvez-vous vous engager à bien clarifier cela et nous assurer que cette commission d'enquête n'a pas pour objet de jeter le doute sur tous les mouvements écologistes de ce pays, surtout à un moment où, comme cela a été rappelé en début d'audition, la dissolution d'un de ces mouvements a été prononcée dans des circonstances qui nous gênent terriblement ?
Monsieur Caron, la réponse est dans votre question. Vous savez bien que le rapport donnera lieu à un débat préalable et que chaque commissaire pourra lui adjoindre sa propre vision de la question. Vous savez pertinemment que ce procès d'intention n'a pas lieu d'être. C'est la crédibilité même de notre institution qui est en jeu.
Au-delà des polémiques inutiles, je répète que cela m'intéresse, en qualité de rapporteur, de connaître les frontières d'action en entendant ce soir une structure qui a choisi la non-violence. Je sais ce qu'est la frontière d'action d'un parti politique, d'une structure associative ou d'un syndicat. Je sais quelle est celle de Dernière Rénovation, qui l'a explicitée. M. Caltagirone ayant déclaré que Dernière Rénovation était solidaire des actions menées par des structures telles que Soulèvements de la Terre, je souhaitais qu'il confirme que c'était le cas, à l'exception bien sûr des actions violentes. Ma question était légitime. Elle a permis de lever ce qui aurait pu être considéré comme une ambiguïté à propos des Soulèvements de la Terre.
Ne me faites pas de procès d'intention. Mon rapport sera très clair et j'expliciterai toutes les questions nébuleuses que nous rencontrons dans le débat démocratique, notamment autour des notions de violence et de non-violence. Je m'efforcerai également de définir honnêtement la radicalité en politique et de montrer où en est la frontière, ainsi que celle qui distingue provocation, légitimation et incitation. Ce ne sera pas simple. Et si ce n'est pas simple, s'il est difficile de tracer des frontières, je le dirai aussi. Voilà comment j'essaie de travailler. Il me semble qu'en posant la question, de façon certes insistante, j'ai permis à Dernière Rénovation de clarifier ce qui avait été dit quelques instants auparavant quant à son rapport aux actions menées par les Soulèvements de la Terre.
La commission auditionne ensuite M. Thierry Vincent, journaliste, auteur de l'ouvrage Dans la tête des black blocs – Vérités et idées reçues.
Notre commission d'enquête va maintenant entendre M. Thierry Vincent, journaliste et auteur d'un ouvrage remarqué sur les black blocs. Je vous remercie de votre présence.
Pour commencer, qui sont les black blocs ? Une sociologie spécifique est-elle repérable ? On parle d'une évolution récente, caractérisée par la présence accrue de jeunes femmes ; l'avez-vous observée ? Ils ont une idéologie et des codes d'action propres. Comment se passe leur cohabitation avec d'autres groupes aux visées différentes, qu'il s'agisse des personnes qui ont commencé à s'engager lors de l'apparition du mouvement des gilets jaunes et qui continuent de le faire lors de certaines manifestations, des organisations syndicales ou d'individus présents par opportunité plus intéressés par le pillage de commerces le long des cortèges que par des considérations idéologiques ?
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Thierry Vincent prête serment.)
, journaliste, auteur de l'ouvrage Dans la tête des black blocs – Vérités et idées reçues. Vous me faites l'honneur de me demander beaucoup, mais je ne sais pas tout sur cette mouvance bien que je la suive depuis une dizaine d'années. Les black blocs ne sont ni un groupe ni une idéologie. C'est une méthode de manifestation consistant à s'habiller en noir pour ne pas être identifiable et, comme le nom l'indique, à faire bloc. Ce courant repose sur la solidarité dans l'action. Il s'en prend le plus souvent aux symboles du capitalisme et aux forces de l'ordre. Il y a eu des black blocs d'extrême droite reprenant la même méthode dans les pays de l'Est, et aussi en France. Après le meurtre épouvantable de Lola, notamment, il y a eu quelques manifestations d'extrême droite où l'on a retrouvé l'anonymisation par les vêtements noirs. Ceux-là ne s'en prenaient pas aux forces de l'ordre mais aux journalistes.
Je distingue le black block historique de ce qu'est devenu le mouvement, qui a beaucoup changé depuis l'apparition des gilets jaunes. L'évolution est marquée et il est difficile d'établir un profil. Contrairement à ce qui était le cas pour le black bloc historique et contrairement à ce qui se dit, le mouvement n'est pas composé de fils de bourgeois privilégiés. Le profil n'est pas non plus celui de prolétaires défavorisés. À très gros traits, il s'agit de personnes jeunes, au capital culturel élevé, souvent des étudiants mais aussi des lycéens parce que cette mouvance est très jeune, dont les parents ont aussi un capital culturel élevé. Pour autant, dire que ce sont des fils de bourgeois est caricatural : un fils de professeur ou d'intermittent du spectacle n'est pas un fils de bourgeois. Dans les black blocs, il y a toujours eu aussi des gens de milieux plus défavorisés et ayant accompli moins d'études. Mais c'était relativement marginal.
L'inquiétant pour les pouvoirs publics est que cette méthode de manifestation se répand. Or, l'idée maîtresse des activistes du black bloc est que défiler dans le cadre normal préétabli par l'État et les syndicats n'est pas efficace, ne suffit pas à obtenir satisfaction. J'entends beaucoup de gens ordinaires dire qu'ils ne feraient pas ce que font les black blocs, mais qu'ils n'ont pas tout à fait tort parce si on ne fait pas ça, on n'obtient rien. Je note que votre commission enquête sur des événements qui ont eu lieu à partir du 16 mars 2023, date à laquelle le recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution a provoqué un basculement. Je n'ai pas à en juger, mais le fait est que cette manière de faire a été perçue comme autoritaire, antidémocratique et ne respectant pas la volonté du peuple. Les gens disent : « De toute façon, qu'on manifeste gentiment ou pas, et alors que tous les sondages disent que tout le monde est contre le projet de réforme des retraites et que les Français n'en veulent pas, malgré tout, elle passe ». Le même sentiment vaut pour le referendum d'initiative partagée. Le Conseil constitutionnel a mis en avant un argument juridique pour écarter cette demande mais cette décision de rejet est perçue comme le refus d'écouter le peuple, le signe que les voies du dialogue et de la concertation sont bouchées dans notre démocratie. De là naît l'idée que, la manifestation classique ne fonctionnant plus, il faut aller un cran au-dessus, avec une certaine dose de radicalité et probablement de violence. Et le niveau d'acceptation de la violence en manifestation par des gens ordinaires va grandissant.
Cela a commencé avec les gilets jaunes. La réponse extrêmement ferme, certains diront violente puisque la police a été accusée de violences, et l'utilisation d'armes de plus en plus sophistiquées dans les manifestations a provoqué un sentiment anti-police très virulent. On l'entend dans les slogans. En 2016, lors des manifestations contre la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, alors que la méthode black bloc arrivait en France, les slogans entendus étaient de nature politique, d'extrême gauche révolutionnaire et anticapitaliste classique. Maintenant, beaucoup de slogans visent explicitement la police. Les moyens déployés par les forces de l'ordre ou mis à leur disposition sont de plus en plus importants, les armes de plus en plus sophistiquées, et il y a beaucoup de blessés et de mutilés. En tout cas, c'est perçu ainsi. Dans le cortège de tête, on entend que la police mutile. Force est de constater que l'augmentation des moyens accordés aux forces de l'ordre n'a pas permis la diminution des violences. Il y a une escalade. D'une part, la police devient plus ferme, plus violente parce que les manifestants sont plus violents. Et d'autre part, ces derniers se disent que, puisque la police est violente, ils doivent l'être aussi. C'est l'histoire de la poule et de l'œuf. Je n'entrerai pas dans le débat sur le point de savoir qui a commencé. Mais on n'est pas du tout dans une stratégie de désescalade.
Les black blocs sont, de plus en plus, des gens comme tout le monde. Je ne suis pas le seul à l'observer. Les policiers le disent aussi. Le procureur de la République de Rennes, dans un entretien accordé après les manifestations du 1er mai, se disait étonné de constater que les gens qui lui étaient déférés étaient de tous âges, n'avaient souvent pas de casier judiciaire, étaient insérés dans la société, avaient un travail. Il y a effectivement un nombre croissant de femmes. Les milieux populaires sont de plus en plus représentés. Le mouvement est en train d'infuser. Il ne faut pas imaginer les black blocs en excités furieux coupés du reste des manifestants. En réalité, ils représentent la pointe spectaculaire et radicale d'une colère sociale qui gagne ceux qui étaient, ou qui sont encore, investis dans les syndicats.
Par la pratique particulière que j'ai décrite : vous êtes black bloc le temps d'une manifestation, habillé de noir et cagoulé. Ils ne se connaissent pas. Mais un cagoulé de noir sera d'emblée solidaire d'un autre cagoulé de noir et tentera, le cas échéant, de le soustraire à une arrestation. Le mouvement, issu de l'ultragauche comme la presse aime le dire, c'est-à-dire de l'extrême gauche révolutionnaire ayant une culture politique et des objectifs politiques construits, gagne de plus en plus tout le monde. C'est le symptôme d'une colère sociale et même d'une rage sociale. On retrouve tous types de profils. Au nombre de ceux qui sont vraiment actifs, il y a plutôt des jeunes gens, pour la raison évidente qu'affronter la police est une activité physique. Pour le reste, et sans vouloir éluder votre question, j'ai été frappé de constater que, justement, il y a de moins en moins de caractéristiques propres aux black blocs, aux éléments radicaux et au cortège de tête.
Le cortège de tête, ou pré-cortège, est un phénomène intéressant. Comparons les chiffres de la manifestation parisienne du 1er mai. La police a dit qu'il y avait 112 000 personnes à Paris. Gérald Darmanin a dénombré 2 000 black blocs radicaux et 20 000 personnes dans le pré-cortège, ou cortège de tête comme disent les manifestants. Le cortège de tête se compose des gens qui manifestent devant la manifestation, hors syndicats. C'est donc un signe de défiance envers les organisations institutionnelles que sont les syndicats, et aussi une manière d'exprimer une certaine compréhension, voire un certain soutien envers ceux qui commettent des exactions. Or, 20 000 personnes, c'est énorme ! Entre un cinquième et un sixième de la manifestation exprime ainsi une certaine compréhension ou indulgence vis-à-vis de ceux qui manifestent de manière illégale. Ce n'est pas un phénomène marginal que l'on peut catégoriser comme un groupe d'ultragauche. Même si c'était exact à l'origine, cela a infusé beaucoup plus largement. Ce que j'entends, c'est que les présents ne croient plus en la démocratie. Ils ne croient plus que les formes classiques de dialogue puissent amener un progrès.
Je sais que ma réponse est imparfaite. Je vous l'ai dit d'emblée : j'ai eu beaucoup de mal à définir un profil type. Pour résumer, ce qui était plutôt un mouvement de milieux intellectuels dotés d'une grande culture politique et animés d'une idéologie révolutionnaire anticapitaliste est en train de se diffuser plus largement au sein d'une population mue par une véritable colère sociale.
Nous retenons de vos propos la diversification des profils et une forme de désaffiliation idéologique des nouveaux tenants de cette méthode d'action. Votre analyse recoupe d'autres descriptions présentées devant notre commission d'enquête. Certains de nos interlocuteurs, dont le directeur général de la police nationale, ont indiqué que des individus participant au black bloc suivent des formations. Avez-vous des informations à ce sujet ? Si oui, de quoi parle-t-on ?
Existe-t-il des liens des black blocs avec des pays étrangers, l'Italie et la Grèce en particulier ? Il semblerait qu'il y ait des communications, voire des échanges de pratiques, peut-être même de formation. Êtes-vous au courant ?
Je sais qu'il vous sera difficile de répondre à cette dernière question mais je me dois de la poser : de combien de gens parle-t-on ? Des chiffres sont évoqués pour chaque manifestation, qui s'étagent entre 100 et 600 personnes, parfois un peu plus. Selon vous, que représentent-ils à l'échelle nationale ?
Le bruit court que des formations seraient organisées. Je l'ai entendu mais je ne l'ai jamais constaté. Je n'ai jamais entendu des militants radicaux en parler non plus. J'ai posé la question. On ne m'a jamais répondu que cela existait. Je ne sais pas de quelle formation il s'agirait. Il est possible que la police ait plus d'informations. Pour ma part, je constate que jamais des camps d'entraînement ou de réseaux n'ont été démantelés jusqu'à présent. Je ne connais personne qui délivre des formations.
En Grèce, la mouvance anarchiste, importante depuis longtemps, a été très active au moment de la crise grecque, à partir de 2007 et 2008. À Athènes, le quartier anarchiste Exarchia, où la police a du mal à entrer, est impressionnant. Les manifestations là-bas sont à une tout autre échelle que ce que l'on voit en France, avec une pluie régulière de coquetels Molotov. Bien que m'étant rendu en Grèce pour des reportages à ce sujet, je n'ai pas d'information sur d'hypothétiques liens avec des black blocs de France. Une connexion est possible : il est probable que les émeutiers grecs, dont on a vu les images spectaculaires à la télévision pendant les années 2008 à 2010, aient fasciné ici. Mais je n'ai pas connaissance de liens organisationnels particuliers. J'ai parfois entendu parler allemand ou italien dans les manifestations en France, jamais grec. En Grèce, je n'ai pas souvenir d'avoir vu de Français dans les manifestations, sinon très marginalement. Cela dit, je ne peux exclure rigoureusement l'existence de liens.
En Italie aussi, l'extrême gauche est forte depuis les années 1970 sous une forme ou sous une autre. Il est donc logique qu'il y ait des rapprochements. La mondialisation ne concerne pas que les élites. Elle touche aussi les milieux subversifs. Le programme Erasmus fait que l'on voyage plus facilement. Des liens se développent. Il est normal qu'un militant d'extrême gauche ait envie d'avoir des relations avec des gens de la même mouvance et de la même sensibilité que les siennes. En déduire des liens organisationnels relève des services de renseignement.
Je ne peux répondre plus précisément, non plus que sur le nombre de militants du black bloc. Je ne peux les compter un par un. Mais vous avez interrogé les services de renseignement. Il y a, me semble-t-il, 2 200 fichés S dans le milieu d'ultragauche en France. Il est évident que les personnes qui peuvent se livrer à des actes illégaux au cours de manifestations sont plus nombreuses. De plus, comme je vous l'ai dit, le mouvement prend de l'ampleur, si bien que ce chiffre n'est pas stable. Il augmente probablement.
Pouvez-vous décrire la manière d'opérer et le comportement d'un black bloc dans une manifestation ?
J'ai oublié de le dire en préambule mais je l'ai écrit dans mon ouvrage. J'ai rencontré des personnes de cette mouvance mais, contrairement à ce que les media ont parfois dit, ce n'était pas une infiltration, peut-être une immersion limite si l'on veut. Je me suis toujours présenté comme journaliste et je n'ai pas voulu me trouver dans des situations ambiguës, par exemple avec des gens qui préparent des coquetels Molotov. Je me limite à observer ce qui se produit dans une manifestation. Je ne sais pas forcément ce qui se passe en amont. Je ne suis pas dans les petits secrets. Je peux seulement dire ce que j'ai vu, comme beaucoup d'autres observateurs le pourront également.
Je pense que certains vont en manifestation sans avoir forcément dans l'idée de devenir un black bloc et d'agir comme tel. Pour beaucoup, c'est l'opportunité qui se présente. Ils ont des vêtements noirs dans leur sac ou un tissu noir qui servira de masque en cas de besoin. Ils décident en fonction du rapport de forces si le moment s'y prête, selon qu'il y a ou non sur place beaucoup de radicaux prêts à passer à l'action. Comment opèrent-ils ? On l'a vu sur les images télévisées. Une fois cagoulés, je ne sais plus qui ils sont. Je vois ce que n'importe qui voit en regardant la télévision, comment ils essaient de se dissimuler avec des parapluies, de se cacher derrière une banderole. Il y a une certaine répartition des tâches : certains cassent des cailloux avec un burin pour fournir des munitions, d'autres font le guet pour prévenir de l'arrivée de la police. J'ignore ce qu'ils préparent exactement en amont. J'ai l'impression que cela se fait relativement spontanément. Parfois, on voit des gens qui, je le pense vraiment, n'avaient pas prévu d'aller à l'affrontement, comme cet homme âgé d'une cinquantaine d'années, énervé et même pas cagoulé, qui a jeté un projectile sur la police. Je n'ai pas connaissance de groupuscules vraiment structurés préparant méthodiquement, de manière militaire, ce genre d'action. Si cela existe, ce n'est pas à moi, journaliste, qu'ils se confieraient.
Je pense que, pour l'essentiel, les forces de l'ordre cherchent la désescalade. À votre avis, la réponse policière est-elle adaptée à la violence des black blocs, et s'explique-t-elle par le fait que ces individus sont de plus en plus agressifs ? Pour ma part, je parle de violence radicalisée car quand on utilise des coquetels Molotov, des boules de pétanque, des pavés et des engins explosifs improvisés, c'est pour blesser, voire tuer. Pendant ce temps, les policiers disposent de moyens qui ne sont pas des armes de guerre. Pensez-vous que cette radicalisation de la violence des black blocs entraîne une réponse plus importante des forces de l'ordre ?
Vous avez évoqué des black blocs d'extrême droite après l'affaire Lola. Pensez-vous néanmoins que, dans leur grande majorité, ils font partie de l'extrême gauche, voire de l'ultragauche ?
Je constate, je le répète, qu'il y a une réponse de plus en plus ferme de la police, à l'exception de quelques épisodes que je vais rappeler, et que les moyens des forces de l'ordre sont de plus en plus importants. Quatre mille gendarmes pour une manifestation de huit à dix mille personnes à Sainte-Soline, c'est considérable. À titre de comparaison, il est rare qu'il y ait plus de cinq à six mille membres des forces de l'ordre à Paris. Plus grands ont été les moyens de la police, plus ferme a été la réponse. J'ai compris que vous appelez de vos vœux une réponse plus ferme. Mais je ne suis pas sûr qu'elle soit forcément appropriée, en premier lieu parce qu'une répression accrue entraîne toujours le risque de victimes collatérales parmi des gens qui n'ont rien fait.
Il est heureux que les poursuites judiciaires et les peines soient individualisées en France. Ce n'est pas parce que vous n'êtes pas loin d'un groupe à un moment donné ou parce que vous êtes dans le cortège de tête que vous avez commis un acte répréhensible. Ce n'est pas parce que vous marchez dans le cortège de tête et que quelqu'un a commis des dégradations que l'on peut vous en accuser. Il est difficile de cibler précisément les personnes directement responsables des dégradations. Vous aurez noté que beaucoup de gens placés en garde à vue sont relâchés sans poursuites parce qu'il n'y a pas d'éléments contre eux. Certains me diront, je le sais, que la justice est laxiste et que ce n'est pas parce qu'il n'y a pas d'éléments contre eux qu'ils ne sont pas coupables. Certes, être relâché faute de preuve ne signifie pas que vous êtes innocent. Mais enfin, l'un des principes fondamentaux de notre droit est que la culpabilité d'un accusé doit être prouvée ! Ce principe doit s'appliquer dans ces cas comme dans d'autres. Sinon, on s'engage dans un engrenage dangereux.
Observez les manifestations qui se sont déroulées depuis dix ou quinze ans, et même celle qui a eu lieu contre la loi travail en 2016 : il y a eu des violences, mais moindres que maintenant. Pourtant, on place plus de forces de l'ordre, on leur donne des armes que l'on n'utilisait pas auparavant et dont il m'a été dit que certaines étaient classées armes de guerre. C'est dire qu'elles sont assez dangereuses. Des dizaines de personnes mutilées, qui auront des séquelles à vie, n'avaient pour la plupart rien fait de grave. Rien, en tout cas, ne méritait ça. Une répression plus forte risque de s'abattre indistinctement et, contrairement au but recherché, de radicaliser encore davantage. En effet, des gens disent que leur motivation pour se positionner dans le cortège de tête et à proximité du black bloc, qu'ils soutiennent plus ou moins ou qu'en tout cas ils comprennent, c'est que le bloc est perçu comme un service d'auto-défense de la manifestation. J'ai entendu prononcer le terme.
La police est ressentie comme une force ennemie commettant des violences. Je ne suis pas venu pour dire si c'est à juste titre ou non, mais pour rapporter des impressions et des propos que j'ai recueillis. Cela peut déplaire. C'est ainsi qu'elle est perçue par beaucoup de manifestants, et je ne parle pas de l'ultragauche mais des gilets jaunes. Encore une fois, dans le cortège de tête, la plupart des mots d'ordre sont désormais des slogans anti-policiers plus que des revendications politiques d'extrême gauche classiques.
Selon moi, on est dans une stratégie d'escalade. Je n'accuse pas la police en tant que telle. C'est le pouvoir politique qui est responsable. On observe, par exemple, que tout le monde prévoyait une rentrée sociale difficile à l'automne dernier. La France insoumise avait appelé à quelques manifestations, comme les syndicats, et il n'y a pratiquement pas eu d'incidents. Pourtant, les black blocs étaient là. Mais il n'y a pas eu d'exaction. La stratégie du préfet Laurent Nuñez, qui venait d'être nommé, était de rendre la police la moins visible possible. Des forces très visibles et très proches des manifestants, c'est un élément de tension. Sous la direction du précédent préfet de police Didier Lallement, il y a eu un moment où les manifestations impliquaient carrément tout le monde : il y avait des cordons de police des deux côtés du défilé, ce que certains manifestants perçoivent comme agressif et violent. Lors des cortèges de cet automne, les forces de police étaient extrêmement discrètes et il y a eu très peu de dégradations. La presse a salué l'événement. À mon avis, plus on durcira la répression, plus forte sera la réaction de l'autre côté, et plus souvent des gens qui n'étaient pas violents se convaincront que c'est la seule manière de se faire entendre.
Quant à votre dernière question, je ne sais plus qui se trouve au sein des black blocs. Leur composition a énormément changé. Ce ne sont plus exclusivement les militants d'ultragauche ou d'extrême gauche, mais aussi beaucoup de gens qui n'étaient pas politisés il y a deux ou trois ans. Maintenant, ils sont de fait au nombre des black blocs, en tout cas à l'occasion de certaines manifestations. C'est pourquoi la situation est compliquée à résoudre.
Votre propos est paradoxal. Vous expliquez que le black bloc n'est pas un mouvement organisé et qu'il y aura une expression quasi-spontanée de violence à un moment. Mais votre ouvrage mentionne l'existence de certaines méthodes, que vous dénombrez : messagerie cryptée, textos alertant sur la localisation des forces de l'ordre, dissimulation d'objets défensifs dans les vêtements, dissimulation de munitions en amont des rassemblements, etc. Si c'est spontané, comment expliquer cette quasi-préméditation chez certains ? Planquer des munitions, échanger par textos ou par messagerie cryptée, c'est exprimer une intention préalable à l'action.
Il s'agit là d'une minorité de militants : les plus aguerris, les plus anciens et les plus politisés. Si le black bloc ou ces méthodes violentes et radicales étaient cantonnées à un petit milieu militant marginal d'extrême-gauche, cette commission d'enquête n'aurait pas été constituée. Mis à part les messageries cryptées, rien n'est très nouveau. Voyez les archives relatives aux manifestations des autonomes dans l'après-1968, celle des sidérurgistes le 23 mars 1979 ou celle du 21 juin 1973 contre un meeting du mouvement d'extrême droite Ordre nouveau. Elles sont d'une violence inouïe, incomparable à ce qui se passe maintenant. Leur organisation était incroyable. Ce que j'ai décrit n'est pas nouveau : des munitions sont cachées dans des poubelles et comme, la veille des manifestations, les poubelles de la rue sont parfois inspectées, on les dissimule dans des cages d'escalier. Cette technique est ancienne et, oui, des gens se préparent. Mais ce sont, à mon avis, les militants les plus aguerris. Les autres saisissent plutôt les opportunités : la plupart du temps, ce qu'ils décrivent comme le matériel offensif, c'est-à-dire ce qui sert de projectiles, se trouve sur le parcours lui-même. C'est d'autant plus simple qu'il y a énormément de chantiers en cours et que la grève des éboueurs a été une aubaine incroyable, si bien que la plupart du matériel a été recueilli sur place. Des burins peuvent être utilisés pour briser les pierres, mais ces techniques sont anciennes. Les militants d'extrême gauche révolutionnaire ont toujours recouru à ce genre de méthode pour déjouer la surveillance de la police. Après quoi, ils adaptent leur stratégie à la réponse de la police. Par exemple, dans les manifestations de mai 1968 et au tournant des années 1970, les gens n'avaient pas besoin de se masquer le visage puisqu'il y avait pas de vidéo-surveillance.
À vous écouter, j'ai l'impression qu'il y aurait de bons et de mauvais black blocs. Or, je ne crois pas que ce soient les conclusions de vos travaux. À Sainte-Soline, des boules de pétanque ont été balancées sur les forces de l'ordre. Je doute qu'elles aient été trouvées le long d'un chemin champêtre. Il y a bien préméditation dans les modes d'action, communication et synchronisation. À un moment, quelque chose ou quelqu'un détermine comment l'action va se dérouler. Avez-vous pu identifier d'où venaient les ordres, quelle était la chaîne de commandement ? À Nantes, on voit des indications sur certains appels à manifester : amenez ceci, amenez cela, venez à tel endroit, habillez-vous de telle manière… Mais ce ne sont pas des black blocs. Ce sont des médias auto-proclamés, des associations ou des groupements de fait. Quels sont les liens entre les black blocs à proprement parler et ces organes qui commandent ou organisent les manifestations ?
Tout à l'heure, vous avez parlé des gardés à vue ressortis libres. Au cours de vos travaux, avez-vous pu étudier statistiquement le niveau de condamnation des membres des black blocs reconnus coupables, en fonction de leur catégorie socio-professionnelle ?
Peut-être la police a-t-elle mené ce travail statistique. Ne disposant pas de tous les chiffres, il m'est impossible de le faire.
Je n'étais pas à Sainte-Soline. Je sais, parce qu'on l'a montré, qu'il y avait des boules de pétanque. Je n'ai pas d'information particulière sur la manière dont elles sont arrivées là. Il est effectivement peu vraisemblable qu'on les ait trouvées sur le chemin. Cependant, en me demandant qui donne les ordres, vous faites comme s'il y avait un grand ordonnateur. Je n'y crois pas du tout. Ce sont de petits groupes affinitaires qui se font et se défont. Même pour moi, c'est mystérieux. J'ignore qui décide d'acheter des boules de pétanque. Mais je ne crois pas qu'un grand ordonnateur dirige la manœuvre. C'est ce qui rend le travail des policiers si compliqué. S'il s'agissait d'une structure pyramidale hiérarchisée, les choses seraient simples : il vient un moment où on trouve le lieutenant, puis le chef, on coupe la tête et c'en est terminé des black blocs en France. À mon sens, ce n'est pas cela mais de petits groupes informels, liés entre eux ou pas, dont la composition évolue vite. Tout cela est extrêmement mouvant. C'est une nébuleuse, ce qui rend la chose délicate à résoudre.
Je suis journaliste. Ils le savent. S'ils avaient les intentions très élaborées que vous leur prêtez, si conspiration il y avait, ce n'est pas à moi qu'on le dirait. Pourquoi pas d'ailleurs un vaste complot, des black blocs financés par George Soros ? Je grossis volontairement le trait, je sais que vous ne dites pas cela. Les services de renseignement doivent être plus à même de répondre à ces questions.
Je vous remercie d'être venu exposer vos recherches. Pourriez-vous qualifier vos relations interpersonnelles avec les black blocs, nous dire si vous les avez interrogés face à face et comment vous avez procédé pour creuser leur mode de pensée ? Vous en avez déjà parlé, mais j'aimerais vous entendre préciser s'il y a souvent adhésion aux idées défendues dans les manifestations auxquelles ils participent. On retient de votre propos qu'il y a parfois un besoin individuel de provocation et de violence, qu'ils viennent chercher dans des manifestations. Vous ont-ils expliqué ce qui déclenche cela chez eux ? Trouvent-ils un repère dans le discours de posture radicale de certaines organisations ? Subsidiairement, quand, selon vous, a commencé la diversification des profils dont vous avez fait état ?
La diversification des profils est un processus continu depuis plusieurs années. Elle date surtout de l'épisode des gilets jaunes, qui ont été confrontés à une réponse policière forte entraînant beaucoup de blessés et qui ont perçu cela comme des violences policières. Il y a une sorte d'alliance avec les black blocs qui leur ont prêté main forte et leur ont montré comment, selon leur terme, « se défendre » contre la police. Je pense que ce qui a attiré beaucoup de gens. De même, lors de la contestation de la réforme des retraites, qu'il n'y ait aucune avancée en dépit de la durée et du succès du mouvement en a probablement désespéré certains, et les a convaincus que cette méthode illégale était préférable.
Bien entendu, pour écrire mon livre, j'ai rencontré des gens qui font partie de la mouvance, qui prônent ce genre d'actions et les pratiquent, même si j'ignore à quel niveau. Je n'ai pas voulu en dire trop, vous le comprenez, pour préserver le secret des sources.
Qu'est-ce qui a pu déclencher cela ? Je me souviens de la génération des lycéens de 2016. Un élément déclencheur a, à mon avis, fait basculer ce mouvement et provoqué la constitution d'un vrai black bloc à la française dans ces manifestations : l'incident du lycée Bergson à Paris. C'était le premier mouvement social que tous les portables filmaient. Le lycée Bergson, dans le XIXe arrondissement de Paris, était bloqué. Ça chahutait un peu et des policiers sont intervenus de manière musclée, c'est le moins que l'on puisse dire. L'un d'eux, condamné depuis, se livre à des violences, fait tomber un lycéen à terre, le relève et lui adresse un coup de poing. Les images sont diffusées partout. À l'époque, on n'avait pas conscience de la puissance des réseaux sociaux : ça s'est répandu comme une traînée de poudre. Le lendemain matin, le commissariat du XIXe arrondissement a été attaqué par ces lycéens. Ils étaient des centaines. C'était très impressionnant. J'en connais un certain nombre. Ils m'ont dit qu'ils se sont habillés en noir du jour au lendemain à la suite de cet événement. Nous défilions tranquillement, naïvement m'ont-ils dit, et nous nous sommes radicalisés . Beaucoup disent que cette confrontation avec la violence policière a été la source de leur révolte. Elle les a fait basculer dans une manière de manifester illégale et violente. D'autres peuvent avoir des blessures intimes : il y a autant d'histoires que d'individus. Certains ont vu les huissiers chez eux tous les quatre matins et cela les a révoltés. Il y a aussi de très jeunes gens qui ne savent pas qu'il faut demander une autorisation pour manifester : ils y vont à n'importe quelle heure, chahutent et se trouvent confrontés à un maintien de l'ordre vigoureux et parfois violent. C'est un élément déclencheur fréquent. Ensuite, il y a un effet tache d'huile : connaître une victime de violences a été décisif pour beaucoup.
J'ai lu votre ouvrage attentivement. Vous décrivez des black blocs au caractère jovial et vous employez plusieurs fois le mot « sympathique ». Vous décrivez un contexte enfantin et ludique, par exemple lors du saccage d'une supérette parce que c'est sympa d'aller boire un petit coup ensemble après une manifestation. Vous trouvez presque une excuse ou une justification à la radicalisation en déclarant dans Le Figaro que « le meilleur agent recruteur des black blocs s'appelle Emmanuel Macron », et je le relève alors que je ne soutiens absolument pas la politique d'Emmanuel Macron. Quand vous désignez la police, vous employez souvent le terme « flic » plutôt péjoratif. Vous démystifiez le côté obscur des black blocs en disant que ce mouvement s'est féminisé, que c'est un milieu populaire avec des jeunes naïfs qui ne savent même pas qu'il faut une déclaration pour manifester. En gros, les black blocs, ce sont M. et Mme Tout-le-monde. N'avez-vous pas l'impression d'avoir une part de complicité dans la banalisation, voire la mise en valeur de ces violences ?
C'est surprenant. Je suis venu ici de bon gré pour essayer de vous donner des clefs de compréhension à mon modeste niveau. Je ne suis pas une encyclopédie des black blocs. Je ne connais pas tout le monde. Je ne comprends pas tout. Si vous voulez faire une critique de mon livre pour le juger bien ou mal écrit, allons-y !
Le mot « flic », franchement ! Le livre est écrit de manière un peu familière, comme par des jeunes. Quand je participe à des débats avec Linda Kebbab, policière, que je connais, nous disons « flic » ! Un flic appelle un flic un flic ! Les syndicats de policiers disent « flic » ! On peut, si vous voulez, passer trois heures à faire le procès stalinien de mon livre et me dire que je suis peut-être complice. (Mme Diaz interrompt l'orateur.) Non, je ne suis pas complice. J'ai du mal à comprendre que l'on puisse même poser cette question bizarre, qui n'est pas la plus intéressante. Je ne vous permets pas de dire ça parce que, moi, je ne vous accuse pas d'être complice de quoi que ce soit. (Mme Diaz interrompt à nouveau l'orateur.) Vous avez le droit de pas aimer mon livre. J'ai le droit de ne pas aimer cette question. Je vous ai répondu : non, non et non, je ne suis pas complice.
Je rappelle que l'auditionné est un journaliste expérimenté, un professionnel réputé qui a travaillé pour de grands media, Envoyé Spécial notamment. J'ai lu ce livre, qui est un travail journalistique, certainement pas un plaidoyer en faveur des black blocs ou une vision romantique de leurs actions. Des citoyens peuvent écouter ce qui se dit dans cette salle et votre intervention, madame Diaz, peut leur donner une vision erronée du travail de notre invité. (Mme Diaz proteste). Oui, je donne mon avis comme vous donnez le vôtre, à la différence près que, contrairement à vous, je n'accuse pas M. Thierry Vincent d'encourager les gens à rejoindre les black blocs ou de faire leur promotion, comme vous l'avez dit. Parfois, les questions sont des accusations. Ne jouez pas les innocentes, ce rôle vous va très mal !
La commission d'enquête se réunit pour échanger avec les personnes qu'elle reçoit. Si vous le souhaitez, nous organiserons des temps de débat entre nous. Mais pour l'instant, nous en resterons là. Monsieur Caron, venons-en au fait.
Ce livre intéressant mériterait que l'on s'y arrête longuement. Un de mes collègues vous a demandé si quelqu'un donne des ordres sur la manière de se procurer le matériel. Vous expliquez l'inverse : une considérable autonomie laissée à chaque membre qui décide tout à coup de se joindre au black bloc, terme dont vous expliquez qu'il décrit un mode opératoire. On n'est pas un black bloc : on fait partie du black bloc ponctuellement. Vous expliquez aussi que c'est la colère sociale qui alimente les troupes des black blocs et que, moins il y a de démocratie, plus les vecteurs classiques de l'expression républicaine sont abîmés, plus les violences policières sont visibles, plus augmente finalement le nombre de pratiquants de ce genre d'expression. Nous sommes dans l'objet même de la commission d'enquête, qui est de comprendre les mécanismes d'organisation des violences, et non des dégradations, perpétrées par les black blocs.
Vous expliquez aussi qu'il ne faut pas exclure la présence de militants d'extrême droite dans des black blocs. Peut-être pourrez-vous préciser dans quelle mesure des mouvements d'extrême droite, ou en tout cas des personnalités d'extrême droite, sont actives. Dans votre livre, vous prenez l'exemple des violences commises à l'Arc de Triomphe en 2018, rappelant que les auteurs étaient des militants d'extrême droite, notamment du Front national, des néo-fascistes qui ont été condamnés par la justice. Ils ne sont donc pas exempts du phénomène black bloc. Ils peuvent s'y mêler.
Un lien existe-t-il entre ce mode opératoire et des partis politiques ? Vous semblez dire que non, mais j'aimerais que vous précisiez votre opinion. Vous expliquez que beaucoup des participants au black bloc ne votent pas, sont dépolitisés et se tournent vers ce mode d'action parce qu'ils ne croient plus en la politique. Vous donnez l'exemple d'un jeune homme qui avait voté en faveur de François Hollande lors de l'élection présidentielle et qui, déçu de ce qui s'était passé ensuite, a considéré la violence comme seul moyen d'expression.
Je l'ai dit plusieurs fois : le black bloc est une pratique de manifestation. Il y en a déjà eu dans des manifestations d'ultra-droite. C'est beaucoup plus rare parce qu'il y a peu de manifestations d'ultra-droite et qu'elles rassemblent moins de monde. Mais cela peut arriver. J'ai pris l'exemple des rassemblements qui ont suivi la tragique affaire Lola. Mais c'est arrivé aussi avec la Manif pour tous. On constate alors la constitution d'un petit bloc de gens masqués de noir, avec les mêmes méthodes et, face à la police, les mêmes armes défensives. Je ne voulais pas dire que les black blocs des manifestations du printemps comprennent des militants d'extrême droite. Si cela existe, ils sont extrêmement minoritaires. Mais la mouvance s'est tellement diversifiée et ouverte à tout le monde que la question peut se poser.
C'est notamment vrai pour un événement précis : le 1er mai. Ce jour-là, des militants du Parti communiste ont été attaqués. Que des autonomes s'en prennent à des membres du Parti communiste, c'est la rivalité idéologique connue entre gauchistes et communistes. Ce n'est ni impossible ni incohérent intellectuellement. Néanmoins, on peut s'interroger quand, sur un certain canal d'ultra-droite curieusement encore légal alors qu'il a pour signature la diffusion permanente d'images de violences commises en toute impunité et de gens agressés par des militants d'ultra-droite, des militants se sont mis en image avec un drapeau du Parti communiste qu'ils avaient, disaient-ils, volé à l'occasion de cette manifestation du 1er mai. Ils revendiquaient en quelque sorte cette attaque. Cette affaire est peut-être un détail mais il n'est pas impossible que, par moment, des militants d'extrême droite se soient amusés à se prendre en photo dans la manifestation, où ils étaient à titre individuel, pour affirmer leur présence. En bref, je ne sais pas. C'est très certainement extrêmement minoritaire mais il se peut qu'il y ait aussi, ponctuellement, des militants néo-fascistes là-dedans. On ne reconnaît personne sous les cagoules. C'est le grand mystère et c'est fait pour ça. Ce peut être n'importe qui, méconnaissable même à côté de ses ennemis politiques.
Je n'ai jamais vu de lien avec des partis politiques institutionnels. Au contraire, la radicalité qu'incarne le black bloc s'est construite en opposition aux partis traditionnels, notamment les partis de gauche du champ démocratique. Pour mettre les pieds dans le plat, j'ai lu comme tout le monde que La France insoumise, notamment, est soupçonnée de complicité ou de connivence. Ce que je peux dire, c'est que je n'ai jamais vu quelqu'un lié de près ou de loin à La France insoumise, adhérents ou sympathisants, parmi les militants que j'ai longtemps interrogés.
Le 23 septembre 2017, une manifestation est organisée par La France insoumise à laquelle s'invitent les black blocs sans, évidemment, avoir été conviés. Elle se termine par un discours de Jean-Luc Mélenchon et il y a des incidents, des bagarres entre des militants insoumis et des éléments radicaux qui s'en prennent à eux en leur reprochant d'être déjà complices du système… Jean-Luc Mélenchon n'est pas du tout l'idole des black blocs. Pour parler franchement, quelqu'un qui a été ministre de Lionel Jospin et sénateur pendant 35 ans représente tout ce que ces gens n'aiment pas. En résumé, je ne connais pas de lien avec La France insoumise ni avec un autre parti politique d'extrême gauche. Ce sont des jeunes gens qui se sont construits en opposition aux partis.
Comme je l'ai déjà indiqué, les énonciations de votre ouvrage semblent parfois paradoxales, faisant état à la fois d'une mouvance inorganisée et de modes opératoires organisés. Mais je pense que vous décrivez la réalité. Les choses sont contrastées. Les black blocs se caractérisent par un mode opératoire s'exprimant par la violence. Néanmoins, il peut y avoir une typologie des intervenants, certains considérant cette violence comme un moyen d'obtenir quelque chose, d'autres l'exerçant pour elle-même. J'ai trouvé étonnante votre assertion selon laquelle peuvent se trouver parmi les black blocs des gens qui, au regard de leur filiation idéologique, sont des militants pacifistes. Comment est-ce conciliable ?
Probablement sont-ils déçus par le peu de résultats acquis, selon eux, par la non-violence. Vous avez raison, il y a dans les propos que je tiens aujourd'hui comme dans mon livre des éléments paradoxaux, quoique non contradictoires. C'est que le black bloc est en lui-même un paradoxe. C'est un mélange d'improvisation et d'organisation. La répartition des tâches entre ceux qui ramassent des cailloux, ceux qui les donnent, ceux qui cachent les autres, ceux qui font le guet, tout cela se structure. La force du black bloc est cette grande part d'improvisation. Si c'était une organisation militaire, une armée professionnelle, ce serait beaucoup plus facile pour la police. Il y a donc paradoxe, mais la réalité est elle-même paradoxale. Certains viennent en manifestation sans forcément prendre position au départ : parfois ils sont black bloc, parfois non, et ils outrepasseront les limites de la légalité selon les circonstances.
D'autres interlocuteurs, notamment de services de police, ont utilisé à peu de chose près les mêmes mots.
Je n'ai donc pas complètement tort. Il est dommage que votre collègue Edwige Diaz ne soit plus là, elle aurait pu constater que j'ai parfois la même analyse que la police. Vous le lui direz pour qu'elle constate que je ne suis pas l'ange noir des black blocs qui organise leur action en sous-main…
On ne va pas forcément à sa première manifestation habillé en noir affronter la police et casser des banques. La plupart des black blocs ont, dans un premier temps, défilé pacifiquement. Certains ont été syndicalistes, d'autres militants associatifs ou citoyens légalistes qui pensent que ce n'est pas bien de casser. Mais un phénomène politique a été constaté que je ne suis pas seul à mentionner : beaucoup de ces manifestants ont été déçus par la démocratie. Le traité constitutionnel européen de 2005 est souvent cité comme un péché originel. Un referendum est organisé, que le non gagne largement, à 55 %. Mais ensuite est signé le traité de Lisbonne, et les gens ont eu l'impression d'avoir été entourloupés et que ce traité a servi à réintroduire en catimini ce qu'ils avaient rejeté. Depuis, il n'y a pas eu de referendum. Tout récemment, deux initiatives référendaires ont été rejetées pour des raisons constitutionnelles. Apparemment, le referendum d'initiative partagée est difficile à organiser. Beaucoup se disent alors que le vote ne sert à rien puisque l'on n'en tient pas compte. Vous devez écouter ce discours. Je suis certain que vous le faites puisque, élus vous-mêmes, vous devez aussi vous rendre compte que les partis politiques et les dirigeants sont discrédités. Plus ils sont proches du sommet, plus ils le sont. Les élus de terrain le sont un peu moins. C'est un phénomène inquiétant.
Prenons l'exemple de ce jeune homme qui, en 2012, avait voté avec enthousiasme pour François Hollande, le candidat de gauche qui se disait ennemi de la finance. Lorsque, quatre ans plus tard, cet électeur voit le chef de l'État, qu'il a contribué à élire, impulser une loi libéralisant le marché du travail, il est d'autant plus en colère que cette loi ne figurait pas dans le programme électoral du candidat. C'est perçu comme une trahison. Tous les pouvoirs politiques ont une responsabilité à ce sujet. C'est le débat plus large sur le discrédit des partis et des institutions mais, pour moi, c'est là-dessus qu'il faut s'interroger. Pour beaucoup d'entre eux, les black blocs ne sont pas des gens intrinsèquement violents au départ, même s'il y a certainement des cas individuels ou des personnes qui relèvent du hooliganisme. Le référendum de 2005 revient souvent dans les explications données. En résumé, on peut passer d'une méthode de manifestation légaliste et pacifiste à un mode illégal et violent parce qu'on a été déçu, que l'on a constaté l'inefficacité de l'action antérieure légale, et surtout que l'on a eu l'impression de ne pas être entendu.
Quand j'ai parlé d'escalade et de désescalade, vous m'avez répondu que je souhaitais une réponse policière plus importante. Ce n'est pas du tout ce que je voulais dire. Nous avons auditionné des policiers et des gendarmes qui, au contraire, disent qu'on leur a retiré de plus en plus de moyens au fil des ans. Dans votre livre, vous utilisez le terme de « policiers surarmés ». Policiers et gendarmes disent le contraire, et leur hiérarchie aussi.
Vous avez évoqué des violences policières. Je connais bien le maintien de l'ordre, et aussi les black blocs pour y avoir été confronté des années, notamment à Nantes et à Rennes. Les violences sont brutales. Quand un de vos collègues, policier depuis deux mois, reçoit un pavé en pleine tête et tombe à côté de vous alors qu'il est sous votre responsabilité, je peux vous assurer que ça marque. Considérez-vous la réponse policière adaptée à la violence décomplexée des black blocs ? On parle systématiquement de violences policières. Mais quand on voit les images, ne serait-ce qu'à Sainte-Soline où il y avait beaucoup plus de gendarmes, le milieu rural différant du milieu urbain, ne pensez-vous pas la réponse des forces de l'ordre proportionnée à ce qu'elles subissent ? On parlait de catégories d'armes : un coquetel Molotov est une arme de catégorie A que les Russes utilisaient pour percer les panzers allemands. Alors, pensez-vous que les black blocs sont de plus en plus violents, si bien que les forces de l'ordre doivent répondre d'une façon proportionnée à la gravité de l'atteinte ?
Vous aimez poser souvent la même question en espérant que je fasse la réponse que vous attendez. D'abord, je ne suis pas sûr que l'objet de cette commission d'enquête soit d'entendre mon avis sur les violences policières, ni que ce soit intéressant. Je m'efforce d'être prudent et le plus impartial possible, de parler de perception de violence. Que cela plaise ou non, parmi les gens qui ont manifesté avec les gilets jaunes, il y a eu des mutilés. Vous pensez peut-être qu'ils l'ont mérité…
(M. Taverne s'exclame.)
Vous me faites des procès d'intention, alors je vous taquinais. Vous voulez me faire dire que la réponse policière n'est pas assez proportionnée et qu'il faudrait taper plus dur. Je vous dis ce que j'ai constaté. Au sujet des moyens, ce que vous relevez est intéressant, parce que les policiers disent la même chose que moi : « On a enlevé les moyens humains, et pour compenser, on a donné des armes et des moyens quasiment militaires ». Voilà ce qui se passe ! S'il y avait plus d'effectifs dans les compagnies républicaines de sécurité, vous auriez moins besoin de grenades de désencerclement, utilisées dans les cas où les policiers sont isolés dans un guet-apens et où ils ne peuvent pas se défendre. Elles sont aussi faites pour garder à distance. Mais si vous aviez plus de moyens humains, vous auriez moins besoin de ces armes.
Faut-il armer encore plus la police ? Je doute d'avoir la compétence pour répondre à cette question. (M. Taverne s'exclame.) Vous m'avez bien demandé si la réponse de la police est proportionnée ?
Je vous ai demandé si vous pensiez que la violence des black blocs est plus importante aujourd'hui, si bien que les policiers doivent se défendre.
C'est ce que j'essaye de vous expliquer en reprenant le paradoxe de la poule et de l'œuf. Ce n'est pas mon rôle de trancher ce débat. Je suis un observateur clinique, un journaliste qui essaie de rester impartial. Je constate que les deux violences augmentent en parallèle et je dis qu'une stratégie de désescalade ne consistera pas à armer encore plus la police, avec pour effet une réponse perçue comme plus violente de sa part. Les policiers se plaignent de ce qu'ils ont moins de moyens humains et que, pour compenser, on leur a donné des armes qu'ils ne sont pas forcément ravis d'avoir. (M. Taverne se récrie.) Eh bien, ils disent parfois en secret à un journaliste ce qu'ils ne vous disent peut-être pas ! Cependant, je m'étonne que personne ne se soit plaint de ce manque d'hommes. Évidemment, comme ils ont moins d'effectifs, ils préfèrent avoir des armes plutôt que rien, parce qu'ils ont peur et qu'ils veulent pouvoir se défendre. Mais je vous assure qu'on me l'a dit, croyez-moi ! Ils ont moins de moyens humains et on a compensé : évidemment, ça coûte moins cher de les surarmer que d'embaucher et de maintenir les effectifs.
Pour ma part, je pense que cette réponse peut être dangereuse. Certains policiers vivent dans la terreur qu'il y ait un mort ou un blessé grave, une bavure, comme on disait avant. (M. Taverne interrompt l'orateur) Mais comment pouvez-vous, monsieur, mettre sur le même plan la police, un groupe constitué qui représente l'État, et un groupe complètement flou ? Parce qu'ils sont méchants en face ? Je ne sais que dire, sinon que la police représente l'État, lequel décide de ce que les forces de l'ordre ont le droit de faire, s'il les arme plus, s'il en augmente ou en diminue le nombre. Après m'avoir demandé si la réponse de la police est disproportionnée, allez-vous me demander si les réponses des black blocs ou les attaques des black blocs contre la police sont proportionnées ? Peut-être voudriez-vous que je demande aux black blocs d'être moins violents ? Je ne comprends pas votre question. Selon moi, il y a un certain surarmement de la police. Des armes dangereuses sont utilisées. Il y a eu, vous le savez et vous semblez le regretter, et je n'en doute pas, des mutilés parmi des gens qui défilaient pacifiquement. Si vous voulez aller encore plus loin en ce sens, vous allez évidemment augmenter le ressentiment. Ce n'est pas une stratégie de désescalade !
S'agissant des coquetels Molotov, il faut relativiser. Il est rare qu'il y en ait. Là, il y en a eu. Mais ce n'est pas le cas dans toutes les manifestations. À un moment, il y en avait un, deux, peut-être trois en tout. Je vous accorde qu'il y en a davantage maintenant, mais il ne faut pas faire croire qu'il y a des coquetels Molotov à chaque manifestation. Il est vrai, que quand il y en a, c'est un signe de forte radicalisation.
Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question mais je ne peux pas répondre autre chose. Effectivement, je pense la réponse policière inadaptée. C'est uniquement mon avis et je ne suis pas du tout sûr d'être compétent pour m'exprimer à ce sujet.
Vous avez dit, il y a quelques instants, que la formation par les agents du maintien de l'ordre de colonnes de part et d'autre des manifestants avait pour conséquence d'attiser les violences. Maintenant, vous nous dites que, parce que les effectifs sont moindres et davantage équipés, cela excite les manifestants. Où est la vérité ? Faut-il en mettre plus ou moins ? Pour ma part, je me réjouis d'appartenir à une majorité qui vote des budgets permettant de recruter plus d'agents des forces de sécurité intérieure, y compris pour le maintien de l'ordre. Je pense que les deux doivent aller de pair : il faut plus d'effectifs et plus de moyens techniques.
Je me souviens que l'on a vu apparaître ces groupements en 2001 en marge du G8 de Gênes. Or, dans un entretien au Figaro, vous tenez les propos suivants : « Oui, finalement, Emmanuel Macron est le meilleur agent recruteur des black blocs ». Est-ce une formule ? Sommes-nous en présence d'une mouvance internationale qui contamine nos manifestations ou est-ce que, comme vous semblez le dire dans Le Figaro, ce serait un problème spécifique à la France ? Là encore, où est la vérité ?
Enfin, il n'y a évidemment pas de ligne de commandement permanent de ce mouvement. Mais cela ne signifie pas que, lorsque ces gens sortent de la dissimulation pour s'activer, ce n'est pas dans un ordre établi. Là est la nuance. C'était le sens de ma question tout à l'heure. Vous avez parlé d'une forme d'auto-organisation. Comment cela se structure-t-il ? Le même modèle se retrouve-t-il de manifestation en manifestation ?
Vous me prêtez un savoir que je ne détiens pas. Encore une fois, je n'ai pas fait d'infiltration. Contrairement à ce que dit Mme Edwige Diaz, je ne suis pas complice des black blocs. Je n'ai même jamais été à l'intérieur d'un black bloc. Je ne me suis évidemment pas habillé en noir. Je n'ai rien fait d'illégal. Je suis toujours resté observateur, avec un brassard de presse, regardant avec la distance de sécurité requise. Je ne suis pas dans le secret des dieux. Je suis incapable de vous répondre de manière aussi précise que vous le souhaitez.
Je vois des gens qui se cagoulent à un moment. Mais j'ignore qui donne un signal et comment. Je pense que les codes changent d'une manifestation à l'autre. Mais je ne les connais pas. Y a-t-il d'ailleurs des codes secrets ? Sur place, je constate une division des tâches : ceux qui vont tenir les forces de l'ordre à distance, ce qui signifie se confronter à la police pour qu'elle n'intervienne pas lors des dégradations, ceux qui essaient de dissimuler le visage des autres aux caméras de vidéo-surveillance… Il y a vraisemblablement une division des tâches de cette sorte. J'en sais beaucoup moins que la police à ce sujet. Ce n'était pas mon objet d'étude.
Je ne crois pas tenir de propos contradictoires sur la police. Plusieurs éléments doivent être pris en considération : le nombre de policiers, où ils se placent et ce qu'ils font. Je crois que le préfet de police Laurent Nuñez, à l'automne dernier, n'a pas employé moins de policiers. Mais il les a placés dans les rues adjacentes, un peu plus loin et un peu plus discrètement. Ils étaient presque invisibles et il n'y a pas eu de dégradation. Ce n'est pas une question de nombre. Mettre les forces de l'ordre à touche-touche avec les manifestants dans un rassemblement où une étincelle peut provoquer le désordre, ce n'est pas la bonne technique. La proximité immédiate des policiers est facteur d'augmentation des tensions. C'est ce que j'ai dit.
Le phénomène des black blocs n'est pas spécifiquement français. Il est né en Allemagne et c'est effectivement lors des sommets internationaux qu'ils apparaissent, pour la première fois en 1999 à Seattle où, à la surprise générale, ils parviennent à interrompre le sommet. C'est leur grand succès. À Gênes, cela se termine beaucoup plus mal, avec un mort. Le phénomène n'est véritablement arrivé que tardivement en France, en 2016. On avait bien vu un black bloc lors du sommet de l'Otan en 2009, mais c'était en raison de la proximité de l'Allemagne. Le phénomène n'est donc pas français. Mais maintenant, les Français sont presque en avance. Nous sommes le pays européen où les black blocs sont les plus actifs et les plus nombreux, où ils causent le plus de désordre en manifestation. En Allemagne, le phénomène est beaucoup moins développé qu'avant. Il perdure un peu en Italie, mais également moins qu'avant. Il reste la Grèce mais ce n'est pas comparable étant donné la petite taille du pays. Donc oui, il y a une spécificité française ces dernières années.
Je maintiens que les policiers sont surarmés, ou qu'en certaines occasions des armes sont utilisées qui ne devraient pas l'être, et que la réponse policière est parfois disproportionnée. Évidemment, il y a des cas de violences de l'autre côté. Mais je pense vraiment que baisser la tension suppose une présence policière la plus discrète possible, une réponse la plus mesurée et la plus proportionnée possible.
Mais ce qui est vraiment spécifique à la France, c'est que c'est un pays où on ne se parle plus. Le taux d'abstention y est considérable. Il n'est comparable ni en Italie ni en Allemagne. C'est un pays où les gens ne croient plus en la politique, phénomène qui certes ne concerne pas seulement la France. Or, aucune autre grande démocratie occidentale n'organise le pouvoir de façon aussi verticale et, pardonnez-moi de le dire, aussi autoritaire. C'était vrai avant le président actuel. Mais je puis vous dire, de ce que j'entends dans les manifestations, qu'il est perçu comme très, très autoritaire. Certes, il paie aussi pour ce qui a été fait avant son accession au pouvoir. Il y a quand même des particularités en France, où les black blocs ne sont pas complètement coupés du reste de la manifestation. Il existe un continuum et des gens ont de la sympathie pour eux. Cela ne fait probablement pas plaisir, mais c'est ainsi. J'ajoute qu'il y a une autre spécificité française : nous organisons plus de manifestations qu'ailleurs. Le Président de la République a parlé de « Gaulois réfractaires ». Cet aspect existe. Le dialogue constructif est difficile si bien que les choses se passent souvent par des voies illégales et violentes.
La réunion se termine à vingt et une heures.
Présences en réunion
Présents. – M. Mounir Belhamiti, M. Florent Boudié, M. Aymeric Caron, Mme Edwige Diaz, M. Patrick Hetzel, M. Benjamin Lucas, Mme Sandra Marsaud, M. Michaël Taverne
Excusés. – Mme Aurore Bergé, Mme Emeline K/Bidi