Je n'ai donc pas complètement tort. Il est dommage que votre collègue Edwige Diaz ne soit plus là, elle aurait pu constater que j'ai parfois la même analyse que la police. Vous le lui direz pour qu'elle constate que je ne suis pas l'ange noir des black blocs qui organise leur action en sous-main…
On ne va pas forcément à sa première manifestation habillé en noir affronter la police et casser des banques. La plupart des black blocs ont, dans un premier temps, défilé pacifiquement. Certains ont été syndicalistes, d'autres militants associatifs ou citoyens légalistes qui pensent que ce n'est pas bien de casser. Mais un phénomène politique a été constaté que je ne suis pas seul à mentionner : beaucoup de ces manifestants ont été déçus par la démocratie. Le traité constitutionnel européen de 2005 est souvent cité comme un péché originel. Un referendum est organisé, que le non gagne largement, à 55 %. Mais ensuite est signé le traité de Lisbonne, et les gens ont eu l'impression d'avoir été entourloupés et que ce traité a servi à réintroduire en catimini ce qu'ils avaient rejeté. Depuis, il n'y a pas eu de referendum. Tout récemment, deux initiatives référendaires ont été rejetées pour des raisons constitutionnelles. Apparemment, le referendum d'initiative partagée est difficile à organiser. Beaucoup se disent alors que le vote ne sert à rien puisque l'on n'en tient pas compte. Vous devez écouter ce discours. Je suis certain que vous le faites puisque, élus vous-mêmes, vous devez aussi vous rendre compte que les partis politiques et les dirigeants sont discrédités. Plus ils sont proches du sommet, plus ils le sont. Les élus de terrain le sont un peu moins. C'est un phénomène inquiétant.
Prenons l'exemple de ce jeune homme qui, en 2012, avait voté avec enthousiasme pour François Hollande, le candidat de gauche qui se disait ennemi de la finance. Lorsque, quatre ans plus tard, cet électeur voit le chef de l'État, qu'il a contribué à élire, impulser une loi libéralisant le marché du travail, il est d'autant plus en colère que cette loi ne figurait pas dans le programme électoral du candidat. C'est perçu comme une trahison. Tous les pouvoirs politiques ont une responsabilité à ce sujet. C'est le débat plus large sur le discrédit des partis et des institutions mais, pour moi, c'est là-dessus qu'il faut s'interroger. Pour beaucoup d'entre eux, les black blocs ne sont pas des gens intrinsèquement violents au départ, même s'il y a certainement des cas individuels ou des personnes qui relèvent du hooliganisme. Le référendum de 2005 revient souvent dans les explications données. En résumé, on peut passer d'une méthode de manifestation légaliste et pacifiste à un mode illégal et violent parce qu'on a été déçu, que l'on a constaté l'inefficacité de l'action antérieure légale, et surtout que l'on a eu l'impression de ne pas être entendu.