La séance est ouverte à dix-sept heures trente.
Mes chers collègues, nous arrivons à la conclusion de notre journée d'auditions. Après avoir reçu le président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pour une audition extrêmement importante, puis M. Xavier Niel, qui fut candidat pour entrer sur la TNT mais dont le projet n'a pas été retenu, nous recevons à présent Mme Rachida Dati, ministre de la culture, dont le portefeuille comprend la politique envers les médias ainsi que le secteur de la communication et de la presse.
Madame la ministre, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Depuis votre nomination, le 11 janvier dernier, vous avez commencé à esquisser votre vision, notamment pour l'audiovisuel. Si vous avez pris la parole en matière d'audiovisuel public, avec l'annonce d'une réforme, les sujets concernant l'audiovisuel privé ne manquent pas puisque quinze fréquences de la TNT (télévision numérique terrestre) sont à renouveler d'ici à la fin de l'année.
Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire d'environ dix minutes, avant d'entendre les questions de notre rapporteur, puis des députés membres de la commission et, le cas échéant, des députés non membres, l'ensemble des groupes politiques nous ayant fait parvenir des demandes de prises de parole et la priorité à apporter à celles-ci.
Dans un souci de transparence, j'invite les députés à rappeler le passé qu'ils ont pu avoir dans l'audiovisuel lors de leur intervention. Je vous remercie également, madame la ministre, de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(Mme Rachida Dati prête serment.)
Je suis ravie de me trouver devant vous aujourd'hui. Cela ne fait pas très longtemps que je suis ministre de la culture et, après avoir été auditionnée par la commission des affaires culturelles pendant un temps très long, puisque j'ai passé trois heures à répondre à l'ensemble des questions des parlementaires, échanger avec les membres de votre commission constitue pour moi une aide à la décision dans mes fonctions et ma mission de ministre.
Avant même d'être ministre de la culture, l'audiovisuel public, la radio, la télévision ont fait partie de mon parcours personnel de citoyenne et m'ont permis d'accéder à une autre condition. Quand vos parents ne sont pas Français, quand ils ne savent ni lire ni écrire, vous vous construisez grâce aux médias publics, qui représentent un formidable moyen d'apprentissage d'une culture, avec les émissions de cinéma, de musique et évidemment aussi de politique.
La télévision joue un rôle essentiel dans l'accès de tous à la culture, à l'information. Elle est diffusée partout, auprès de tous les publics, dans les territoires ruraux, à l'hôpital ou en prison. Elle vous relie au monde quand vous en êtes éloigné ou quand vous êtes seul. Elle joue un rôle dans notre cohésion sociale et c'est cette vision de la télévision que je veux défendre en tant que ministre de la culture.
La télévision contribue aussi à forger la citoyenneté en nous éclairant, en nous informant, grâce à une information pluraliste, honnête et indépendante. Je cite toujours cette remarque de mon père : « Si c'est à la télévision, si c'est dans le journal, c'est que c'est vrai. » Même à l'époque où je subissais des attaques personnelles, lorsque j'ai pris mon premier poste ministériel, il considérait que tout était forcément vrai, parce qu'il a toujours cru en la télévision ou dans ce qu'il pouvait entendre ou voir dans les médias. C'est pour cela d'ailleurs que la télévision est régulée.
Les fréquences sur lesquelles porte votre commission sont attribuées à titre gratuit, en contrepartie d'obligations essentielles en matière de diversité des programmes, de qualité de l'information, d'exposition et de financement de la création française et européenne, avec pour objectifs d'éduquer, d'informer et de divertir. Ces missions, qui sont celles notamment de l'audiovisuel public, s'adressent – on l'oublie parfois – à tous les Français.
Ce modèle, je veux le préserver face à des plateformes étrangères qui sont moins régulées, voire pas du tout. On s'informe de plus en plus sur les réseaux sociaux, notamment les jeunes. Ce n'est pas un problème en soi puisque les médias traditionnels y sont présents. Mais chacun sait aussi que les réseaux sociaux peuvent être des vecteurs de propagation de fausses informations, voire de désinformation. Nous devons donc mener un combat commun : préserver un modèle souverain – c'est le cas de la TNT – qui soit exigeant, accessible à tous, protégé des ingérences étrangères.
Nous devons également œuvrer ensemble pour un paysage audiovisuel français puissant et pour un rayonnement de notre création. Cela suppose que les chaînes et les diffuseurs français soient visibles, ce qui n'est pas facile. L'offre est de plus en plus riche et les gens s'y perdent. Les algorithmes de recommandation orientent leurs choix et certains acteurs, notamment les plateformes étrangères, payent cher pour apparaître dans les premiers résultats d'une recherche ou sur la page d'accueil d'un appareil. C'est tout l'enjeu de la mise en avant des services d'intérêt général : la présence d'un bouton sur les télécommandes pour accéder directement aux chaînes de la TNT est prévue par la loi et l'Arcom vient d'en préciser les modalités de mise en œuvre.
Il faut que nos médias et notre culture soient visibles : c'est un enjeu de souveraineté culturelle. C'est aussi un enjeu économique car, sans visibilité, nos médias risquent de se paupériser et de disparaître. Nous avons besoin d'une vision à la fois industrielle et culturelle de nos médias. Nous avons également besoin que notre audiovisuel marche sur deux jambes, publique et privée.
Je me suis déjà exprimée sur l'audiovisuel public : il doit se rassembler pour être plus fort. Face à la compétition mondiale, face à la révolution des usages, tous les médias s'organisent et cherchent à rassembler leurs forces – médias privés en France, médias publics ailleurs en Europe. Seul l'audiovisuel public français demeure éclaté, ce qui le désavantage pour répondre aux défis du média global, lequel implique de proposer à tous les publics une offre de programmes diversifiée sous forme audio, vidéo, numérique, en direct ou à la demande.
Les entreprises de l'audiovisuel public ont engagé des coopérations sur des sujets essentiels comme la proximité, l'information et le numérique. Mais cela n'avance pas assez, à mon sens, et il faut absolument un rapprochement de la gouvernance pour préserver la puissance de l'audiovisuel public et la qualité des programmes. Cette réforme de la gouvernance doit nous permettre de sécuriser le financement de l'audiovisuel public. Je suis favorable à une modification de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) et à la pérennisation du financement par une fraction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Il faut faire vite : modifier la loi sur ces deux sujets, gouvernance et financement, devra se faire dès cette année.
Du côté de l'audiovisuel privé aussi, les médias rassemblent leurs forces et se restructurent. Le groupe CMA CGM de M. Saadé, qui est déjà présent dans la presse, vient de se porter acquéreur des médias du groupe Altice. Le rachat de Lagardère renforce la position de Vivendi dans le secteur audiovisuel, où Canal+ pesait déjà très lourd. On garde aussi en tête la tentative de fusion entre TF1 et M6. Il faut être réaliste : oui, la production d'une information de qualité coûte cher ; oui, développer une chaîne sur une fréquence de la TNT implique des charges considérables, ce qui explique d'ailleurs que certaines chaînes ne soient pas rentables ; oui, la production de films comporte un risque financier important. À mon sens, il est donc vital que les médias soient soutenus par des groupes industriels capables de leur apporter les moyens de leur développement.
Cela ne peut pas se faire sans garde-fou, ce qui pose la question du contrôle des concentrations. Je suis favorable à ce que nos acteurs nationaux soient en mesure d'affronter la concurrence internationale et de défendre notre modèle de financement de la création et du pluralisme de l'information. Mais cela suppose, au-delà des règles de droit commun appliquées par l'Autorité de la concurrence, d'évaluer correctement les opérations de concentration ayant un impact sur le pluralisme et sur l'indépendance des médias.
De ce point de vue, notre mécanisme de contrôle des concentrations, qui repose sur des seuils fixés par la loi, semble obsolète car il se limite aux médias traditionnels, sans prendre en compte les médias dans leur ensemble ni les opérations impliquant les plateformes. Notre dispositif doit être modernisé et il ne serait pas aberrant, au-delà de l'application de ces seuils légaux, de confier à l'Arcom un contrôle au cas par cas des concentrations au regard de cet objectif de pluralisme et au regard d'un marché pertinent.
L'autre grand sujet pour les chaînes privées, c'est la publicité. C'est même un sujet existentiel car les chaînes gratuites privées vivent de la publicité. Nous avons mené une étude avec l'Arcom, que nous avons rendue publique en janvier. Vous en connaissez les résultats : les médias traditionnels, ceux qui financent en amont les œuvres cinématographiques et audiovisuelles, verront leur part des recettes publicitaires décroître au profit des acteurs numériques. Face à cette situation, l'enjeu n'est pas de savoir comment répartir les recettes entre les médias traditionnels mais de se battre pour que ces recettes publicitaires ne soient pas accaparées par les acteurs du numérique et par leurs services intermédiaires, ceux de Google notamment, qui ont su se rendre indispensables aux annonceurs comme aux médias.
La réponse est nécessairement européenne. Le règlement européen du 14 septembre 2022 sur les marchés numériques dit Digital Markets Act (DMA) apporte une première réponse en permettant une transparence accrue sur le marché de la publicité en ligne, sur les montants payés par les annonceurs et sur les montants versés aux éditeurs. Mais elle est insuffisante et nous devons aller plus loin avec la Commission européenne.
J'en viens maintenant à la mission propre de votre commission, qui enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la TNT. Trois questions essentielles se posent : qui mérite d'être sur la TNT ? Quels engagements leur demande-t-on ? Comment contrôle-t-on que ces engagements sont respectés ? Le législateur a fixé un cadre, laissant une marge d'appréciation au régulateur, l'Arcom, pour mener à bien ces missions. Le régulateur agit donc en toute indépendance, dans le cadre de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dont je rappelle que c'est une loi de liberté. Elle prévoit des obligations – l'indépendance, le pluralisme, le financement de la création – mais même lorsqu'elle est contraignante, c'est pour garantir la liberté d'expression.
Pour conclure, les sujets abordés par votre commission d'enquête sont des sujets de citoyenneté. Il faut se préoccuper de l'offre audiovisuelle mais aussi être à l'écoute de ce qu'attendent nos concitoyens : des programmes de qualité, une offre culturelle riche, diverse, et une information vérifiée. C'est la condition pour que la télévision reste ce qu'elle est aujourd'hui : un facteur de cohésion sociale à l'heure où l'espace public est de plus en plus fracturé, voire détérioré, et un gage de pluralisme et de qualité de l'information. C'est cela qu'attendent nos concitoyens. Pour cela, ils peuvent compter sur moi, comme je pense qu'ils peuvent compter sur vous.
Je souhaite vous interroger sur l'indépendance de l'Arcom. Lors de son audition, le 7 mars dernier, Olivier Schrameck a évoqué la demande expresse, en 2015, du Président de la République d'alors d'écarter deux candidatures à la présidence de France Télévisions. Celles-ci font l'objet d'une enquête judiciaire, raison pour laquelle je n'ai pas signalé cet élément. Les deux candidats en question n'avaient d'ailleurs pas été auditionnés, contrairement à tous les autres. J'aimerais connaître votre avis sur cet épisode et votre vision de l'indépendance de l'Arcom.
Comment définissez-vous la collaboration que vous pouvez avoir avec le président de l'Arcom ainsi que la relation que votre cabinet et la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) peuvent avoir avec l'Arcom ? Cette déclaration d'Olivier Schrameck nous a beaucoup interpellés car elle peut jeter un doute sur l'indépendance de cette autorité, à laquelle nous tenons énormément en tant que législateurs. Elle est en effet la condition de la confiance de nos concitoyens.
Tout d'abord, l'Arcom est un régulateur indépendant. J'ai certes, comme ministre de la culture, des relations avec cette autorité, tout comme l'administration, mais l'indépendance de l'Arcom existe dans les textes, dans les principes et dans la réalité. Nous pouvons lui demander des avis sur des points précis – je l'ai par exemple consultée sur la publicité pour la grande distribution dans les médias – mais elle demeure un régulateur indépendant.
J'ai entendu les propos de M. Schrameck. Je considère qu'un grand commis de l'État n'a pas à tenir ce type de propos. Ce n'était pas à la hauteur de la fonction qu'il a occupée ni de son statut. Quand on a des choses à reprocher, il faut les dire immédiatement et non attendre dix ou quinze ans, précisément pour ne pas être attaqué sur son indépendance. J'ai donc été un peu surprise par les propos qu'il a tenus devant votre commission.
Comme l'a signalé le président, et comme vous l'avez vous-même rappelé, la commission d'enquête porte sur l'attribution des autorisations, leur renouvellement et le respect des obligations qu'emportent ces autorisations.
J'aimerais d'abord vous demander ce que vous savez des raisons du départ de votre prédécesseure.
C'est une question curieuse. C'est la vie politique. Les ministres sont nommés par le Président de la République sur proposition du Premier ministre. Puis, à l'occasion d'un remaniement ou selon le contexte politique, ils sont amenés à changer. Cela m'est arrivé : j'ai été ministre de la justice et d'autres m'ont succédé. Nous ne sommes pas propriétaires d'un ministère. C'est une nomination, ce n'est pas une élection ; il n'y a donc pas forcément de raison.
Je connais la Constitution, je vois même politiquement ce qu'Emmanuel Macron a pu chercher à obtenir, mais je m'interroge, n'ayant pas été moi-même ministre : quelle est la nouveauté de vos vues au ministère ? Quelles décisions politiques pourriez-vous prendre que Mme Abdul Malak n'aurait pas été en mesure de prendre ?
Pour clarifier le déroulement de nos débats, je précise que la commission d'enquête ne concerne que le contrôle de l'attribution des chaînes de la TNT. Vos réponses, madame la ministre, doivent se limiter à cet objet. Vous avez été auditionnée par la commission des affaires culturelles et de l'éducation, dont les attributions sont beaucoup plus larges que celles de notre commission. Je confirme donc que si cette question est posée, elle doit se limiter à l'objet de notre commission.
Je reformule ma question pour correspondre à la demande du président. Quelle est la nouveauté de vos vues au ministère concernant la TNT et quelles décisions politiques pouvez-vous prendre que Mme Abdul Malak n'aurait pas été en mesure de prendre concernant le renouvellement des autorisations de la TNT ?
Très franchement, je ne comprends pas votre question mais je vois où vous voulez en venir, et je n'irai pas sur ce terrain. Le débat que vous souhaitez avoir ne concerne pas cette commission. Étant très légitimiste et très légaliste, je réponds aux questions concernant l'objet de cette commission. Si vous avez des questions à poser à Mme Abdul Malak, convoquez-la ou appelez-la : elle vous donnera peut-être des éléments.
Pour ma part, je ne suis pas dans ce cadre-là. Le Président de la République m'a nommée ministre de la culture pour mener des réformes très précises : réformer l'audiovisuel public, rendre la culture accessible au plus grand nombre, aux Français en zone de ruralité, aux plus défavorisés, à ceux qui n'ont pas accès à la culture de manière évidente et naturelle. J'ai des missions très précises que je souhaite évidemment mener à bien.
Comme vous le savez, une procédure sera ouverte, des candidatures seront déposées, des renouvellements auront lieu. Je laisse le processus s'enclencher et se dérouler en toute indépendance car c'est l'Arcom qui a le pouvoir d'attribuer des fréquences sur la TNT : je ne vois donc pas en quoi je serais concernée.
Mme Abdul Malak – ou son entourage – aurait-elle évoqué avec vous le sujet du renouvellement des autorisations sur la TNT ?
Quand je suis arrivée au ministère, il n'y avait pas de dossier ministre ni même un papier sur le bureau.
Monsieur le rapporteur, si vous avez des états d'âme à propos de Mme Abdul Malak, je ne suis pas concernée. Je suis ministre de la République, avec des missions politiques très précises. Ma personne peut vous déplaire, ma nomination peut vous déplaire ; ce n'est pas l'objet de cette commission.
Madame la ministre, vous êtes ici pour répondre. Vous le faites à votre façon, avec votre franchise. Je n'ai pas d'états d'âme mais des questions et j'attends des réponses. Ici, l'exécutif rend des comptes au Parlement ; n'inversons donc pas l'ordre des choses.
Je n'inverse pas l'ordre des choses : je m'en tiens à l'objet précis de cette commission. Or, en l'occurrence, il est question de ma personne.
Je confirme que l'exécutif rend des comptes mais cette commission d'enquête a un objet précis : il faut s'y tenir. Or nous nous en éloignons de plus en plus depuis quelques questions.
Non, je n'ai formulé que des questions sur le sujet de la TNT et des autorisations, donc je ne m'en éloigne pas. Madame la ministre, il n'y a aucun état d'âme lié à votre personne. Je ne pose que des questions politiques ayant trait à la TNT.
Dans une interview au journal Le Monde du 16 janvier 2023, Mme Abdul Malak avait fait part de son souhait de « responsabiliser les présentateurs, les chroniqueurs mais aussi les patrons de chaîne, pour leur rappeler que l'autorisation d'utilisation gratuite de leurs fréquences s'accompagne d'obligations, comme celle de traiter les affaires judiciaires avec mesure, celle de respecter le pluralisme des opinions, etc. Lorsqu'on arrivera, en 2025, au moment de l'analyse de leur bilan pour la reconduction de leurs autorisations de diffusion, l'Arcom saura regarder comment elles ont respecté ces obligations. » Ces propos résonnent comme une menace. Pourtant, l'Arcom est une autorité indépendante. Considérez-vous que votre prédécesseure a outrepassé ses fonctions ?
Je vous réponds en tant que ministre de la culture ; je ne suis pas là pour commenter des propos. Mes missions sont très claires : je suis la ministre de tutelle de l'audiovisuel public, chargée de faire respecter une organisation et les objectifs que j'ai énoncés dans mon discours liminaire. Je rédige des décrets, je défends des projets de loi. Le régulateur est dans son rôle et, pour ma part, je m'en tiens à mon rôle de ministre de la culture.
Comme chacun s'en tient à ses missions, je vais poursuivre la mienne, qui est de poser des questions et d'espérer des réponses. Je vous demandais une appréciation sur un propos de votre prédécesseure : je crois que vous êtes en état de le faire.
Je n'ai pas d'appréciation à porter sur les propos de ma prédécesseure. Je ne peux porter d'appréciation que sur mon action et sur ma mission.
J'en prends note. Je constate une forme de crispation qui est un peu ennuyeuse.
Vous avez fait la une du JDD du 4 février 2024 avec cette déclaration : « Le service public doit respecter toutes les opinions. » Le 6 février 2024, vous avez abondé en ce sens sur CNews, précisant que « l'audiovisuel public a le soutien des Français, mais s'il veut le garder, il doit être le reflet de la diversité des opinions des Français ». Est-ce que, par ces déclarations, vous sous-entendiez que l'audiovisuel public ne respecte pas le pluralisme ?
Je réagissais à la décision du Conseil d'État rappelant la nécessité pour tous les médias de respecter le pluralisme. Cette décision concernait l'ensemble des médias, y compris l'audiovisuel public.
Vous avez raison de rétablir cette vérité puisque de nombreux médias ont fait croire le contraire.
Néanmoins, je m'interroge sur le fait que vos deux premiers entretiens, ou quasiment, aient été accordés au JDD et à CNews, deux médias du groupe Bolloré. Ainsi, le 6 février, vous étiez en plateau avec Mme Mabrouk et vous admettiez avec elle que le wokisme était devenu une politique de censure. Avant toute chose, pourriez-vous me donner une définition du mot « wokisme » ?
Si, puisque vous dites avec beaucoup d'étonnement que j'étais sur les chaînes du groupe Bolloré. Il n'est pas interdit d'aller sur les chaînes du groupe Bolloré. J'ai la tutelle des médias et de l'audiovisuel public mais aussi la responsabilité du pluralisme, de la transparence, de la probité et de l'éthique pour l'ensemble du paysage audiovisuel français. Pour ma part, je n'oppose pas l'audiovisuel privé à l'audiovisuel public : vous ne me trouverez jamais sur ce sujet. Voilà ce que je voulais répondre.
Pour le reste, empêcher la tenue d'un spectacle, la projection d'un film ou la lecture d'un livre, relève pour moi d'une politique de censure.
Je vous remercie mais ce n'était pas ma question. Je vous demandais si vous pouviez définir le wokisme.
Je n'en connais pas la définition précise. Je réaffirme qu'aucune idéologie, aucune action, aucune cause ne justifie d'empêcher la projection d'un film, la tenue d'une conférence, la tenue d'une pièce de théâtre ou la lecture d'un livre.
Je note néanmoins que vous avez affirmé que le wokisme était une politique de censure et que, ce faisant, vous avez abondé dans le sens de Mme Mabrouk, qui s'est fait une spécialité d'évoquer le wokisme. Malheureusement, cette notion dans le débat public ne fait l'objet d'aucune définition sérieuse. Je me demande donc si vous ne vous êtes pas prêtée à cette occasion à une croisade quasiment politique.
Monsieur le rapporteur, il est important que vous posiez des questions ; elles suivent une logique et respectent le cadre de la commission d'enquête mais on voit bien que lorsqu'on sème une forme d'accusation ou de soupçon, comme vous le faites, cela crée un climat négatif qui n'aide pas Mme la ministre à apporter les réponses concrètes aux vrais sujets de cette commission. Cette audition a commencé il y a vingt-sept minutes mais n'a pour le moment été d'aucune utilité pour nos travaux. Cela ne fait que créer une crispation collective qui n'est propice à rien. Vous n'avez pas à répondre à l'accusation de croisade, madame la ministre, car elle n'a objectivement aucun sens.
Cette accusation est grave, monsieur le rapporteur. Vous me soupçonnez ou vous m'accusez et vous attaquez une journaliste qui n'a jamais été prise en défaut : ce n'est pas digne d'un député. Ma conviction personnelle, je vous le dis avec beaucoup de franchise, c'est que vos propos vont trop loin et dépassent le cadre de votre mission de député. Nous ne sommes plus dans un cadre républicain.
Monsieur le président, vous m'autoriserez à apprécier l'opportunité des questions et à définir si elles apportent quelque chose ou non à la commission d'enquête. Le fait est que, si vous avez besoin que je l'explicite, je me demande s'il existe une forme d'affinité intellectuelle particulière entre la ministre et les médias du groupe Bolloré, en l'occurrence le Journal du Dimanche (JDD), qui est un média d'opinion. Il n'appartient pas à notre commission d'enquête de se prononcer sur le fait que le JDD soit un média d'opinion. En revanche, il est dans le périmètre de notre commission d'enquête de se demander si la chaîne télévisée d'information de M. Bolloré, CNews, est bien devenue une chaîne d'opinion. À cet égard, il est normal que je m'interroge sur la cohérence des prises de position dans le groupe Bolloré et des personnes qui souhaitent y répondre. Il n'y a donc pas d'insinuation ; je pose des questions et je cherche à établir des faits.
Je poursuis donc en vous demandant des faits, madame la ministre et, encore une fois, je pense être seul juge de l'opportunité de ces questions. Avez-vous échangé avec Vincent Bolloré, Yannick Bolloré ou Arnaud de Puyfontaine au sujet des chaînes du groupe Canal+, avant ou après votre nomination rue de Valois ?
Ni avec M. de Puyfontaine, mais je peux vous dire que je reçois l'ensemble des acteurs de l'audiovisuel, public et privé. Les rendez-vous se succèdent. J'ai reçu des patrons de chaînes, des producteurs et des artistes, et ça continue. Je reçois d'ailleurs demain les dirigeants de l'audiovisuel public et, la semaine prochaine, des dirigeants de l'audiovisuel privé. C'est mon rôle et ma mission. Je suis ministre de tous les Français et je n'opposerai pas les médias privés et les médias publics. J'assume totalement le fait de rencontrer l'ensemble des acteurs de l'audiovisuel.
Pour ma part, je n'oppose rien non plus : je pose des questions. Avez-vous eu connaissance de la rencontre qui a eu lieu entre Emmanuel Macron et Vincent Bolloré en septembre dernier, par d'autres moyens que l'article du Monde qui y a été consacré ?
C'est ma réponse : je n'étais pas ministre de la culture, et je n'étais pas dans l'agenda présidentiel ni dans l'agenda ministériel.
Je me permets de vous rappeler que vous avez prêté serment et que je vous ai posé une question précise : avez-vous eu connaissance de la rencontre entre Emmanuel Macron et Vincent Bolloré en septembre dernier par d'autres moyens que l'article du Monde sur le sujet ?
Je n'ai aucune connaissance des rencontres du Président de la République.
Cela devient très personnel, et j'en prends à témoin les députés. Vous allez trop loin, monsieur le rapporteur ! J'ai prêté serment et je réponds clairement. Vous m'auditionnez comme ministre de la culture et je réponds aux questions, mais je ne suis pas ici pour répondre à des attaques évoquant des croisades ou des collusions. Ces questions sont des soupçons.
Vous mettez en cause ma légitimité, ma capacité et ma compétence ? Je ne pourrais être nommée pour exercer une fonction que parce que je serais l'objet d'un contrat entre deux hommes ? Je vous pose la question et je prends à témoin les parlementaires : une telle rencontre est-elle nécessaire pour décider s'il faut ou non me nommer ? En ai-je besoin ?
Je suis une responsable politique engagée politiquement. J'ai fait mes preuves politiquement et j'ai une légitimité. Depuis le début de cette audition, vous souhaitez la mettre en cause, et je ne l'accepte pas. À chaque fois, ça va trop loin. J'ai, moi aussi, le droit d'être absolument mécontente de ce type de questions. Le soupçon n'est pas acceptable. Il suffirait que deux hommes parlent de moi pour que je sois nommée ? Quelle idée avez-vous derrière la tête, monsieur le rapporteur ? Qu'ils auraient conclu quelque chose ensemble et que je serais le prix de ce contrat ? Ce n'est pas acceptable.
Nous entendons, madame la ministre, que ce n'est pas acceptable. C'est dommage qu'il en soit ainsi, car c'est ce n'est pas la première fois que nous vous auditionnons, mais personne ne s'était jusqu'à présent comporté ainsi avec vous, malgré les différences politiques. Pour laisser au rapporteur le temps de s'assurer que ses questions s'inscrivent bien dans le cadre des travaux de notre commission d'enquête et, le cas échéant, de les reformuler en ce sens, je vais donner la parole aux membres de la commission pour poser les leurs.
Je rappelle que les questions doivent vraiment respecter l'objet de cette commission d'enquête.
Je rappelle que les députés membres de la commission d'enquête ont trois minutes pour poser leurs questions, avec un droit de rebond. Les députés non-membres disposent de deux minutes. À l'issue de ces questions, je redonnerai la parole à M. le rapporteur.
Madame la ministre, vous avez souligné le rôle essentiel de la TNT dans le maintien de la cohésion de la société. Au-delà de la TNT, il s'agit de l'audiovisuel, à propos duquel l'un de nos chevaux de bataille est de permettre l'accès de tous et la reconnaissance de la culture de tous.
Ma question porte sur la place de la représentation de la société française à l'écran. J'ai travaillé en tant que journaliste et en tant qu'experte sur la représentation des femmes à l'écran, domaine dans lequel des progrès ont été réalisés. Chaque année, l'Arcom publie un baromètre de la place des femmes dans les médias et un baromètre de la représentation des personnes en situation de handicap, de la diversité sociale et de la diversité d'origines, qui montrent toutefois que de nombreux progrès doivent encore être réalisés pour que chaque Français et chaque Française se sentent représentés à l'écran.
Pourrions-nous aller un peu plus loin dans les conventions de base et exiger un peu plus des entreprises qui prennent la grande responsabilité d'émettre sur ces chaînes ? Comment pourrions-nous faire en sorte que cette représentation présente aussi un intérêt pour elles ? Je suis, en effet, convaincue qu'à mesure qu'elles devront mieux représenter les Français, leur lien avec le public en sera renforcé.
Vous avez raison de souligner la nécessité d'une évolution des cahiers des charges, car les questions de société ont de plus en plus souvent un impact sur les médias, comme on l'a vu pour les violences faites aux femmes, sujet que l'on n'évoquait pas voilà quelques années, et encore moins dans un cahier des charges ou un contrat d'objectifs et de moyens. L'audiovisuel public et les médias en général doivent être exemplaires en la matière.
Nous avons modifié les conventions pour assurer l'accessibilité et une plus grande inclusivité des personnes en situation de handicap. La parité est une composante importante de l'audiovisuel et les cahiers des charges et conventions seront renforcés en ce sens. Certains ministères, dont le mien, n'ont pas atteint les objectifs de taux que nous nous étions assignés pour ce qui est du handicap. Nous avons donc encore une marge de progression, notamment pour l'audiovisuel, qui, je le répète, doit être exemplaire.
Nous avons intégré dans les conventions d'objectifs et de moyens pour 2024-2028 la place des femmes, comme vous le savez pour avoir porté ces sujets, et une plus grande diversité. Cette notion, dont nous avons débattu à la commission des affaires culturelles, ne se définit pas par la couleur de peau ou des critères ethniques : les critères doivent être objectifs afin que ce qu'on voit à la télévision corresponde à la société française.
Je suis député de l'Aisne, secrétaire de la section française de l'Assemblée parlementaire de la francophonie et de l'Association parlementaire de lutte contre le wokisme.
Le principe constitutionnel du pluralisme en politique permet de garantir aux Français de recevoir une information politique diversifiée, afin qu'ils puissent exercer leur liberté d'opinion et de choix. Le présentateur Yann Barthès, dont nous avons obtenu ce matin, avec mes collègues, qu'il soit auditionné par cette commission d'enquête, refuse d'inviter les membres du Rassemblement national. Pourtant, le 7 mars dernier, l'ancien ministre et ancien porte-parole du Gouvernement, Olivier Véran, invité sur son plateau, l'a félicité et a même encouragé les autres médias à boycotter les représentants du peuple que nous sommes, allant ainsi à l'encontre de toutes les règles démocratiques qui régissent notre pays. En effet, parmi les obligations auxquelles sont assujetties les chaînes ayant des fréquences gratuites – toutes les chaînes de la TNT – figure aussi celle d'assurer la pluralité des expressions sur les sujets prêtant à controverse. Dans la même ligne que son confrère, votre prédécesseure a menacé, le 23 janvier dernier, deux chaînes de la TNT, C8 et CNews, de se voir retirer leurs fréquences parce que, d'après son appréciation, elles n'assureraient pas le pluralisme politique attendu. Pour ces chaînes cependant, à l'inverse de ce qui se produit chez M. Barthès, ce sont les intervenants qui refusent de se rendre sur les plateaux.
Madame la ministre, votre franc-parler étant unanimement reconnu, quel est votre regard sur l'état du pluralisme politique dans le paysage audiovisuel français et sur les garanties que lui apporte le gouvernement que vous avez choisi de rejoindre ? Sous votre ministère, l'Arcom devra-t-elle encore craindre les ingérences de vos prédécesseurs ou comptez-vous la laisser faire son travail avec l'impartialité et l'indépendance dont elle a besoin pour mener correctement son action ?
Comme vous avez pu le remarquer, je ne participe pas aux commentaires. Les retraits d'autorisation relèvent de la seule compétence de l'Arcom et je n'ai pas à me prononcer à ce propos. Même si des chaînes ont pu subir des sanctions ou des mises en demeure, cela ne présume pas par avance que leurs autorisations ne puissent pas être renouvelées. Cela relève de la seule compétence de l'Arcom, à qui je la laisse.
Quant au pluralisme, c'est une obligation qui s'impose à tous les médias audiovisuels, et l'Arcom doit y veiller. S'il y a saisine, l'Arcom prendra les mesures nécessaires pour que tous les médias, en particulier sur les chaînes TNT autorisées, respectent ce cahier des charges et ce principe.
Madame la ministre, vous êtes, depuis 2007, une figure médiatique importante, habituée aux plateaux de télévision et identifiée par les Français. Vous avez, depuis votre première entrée au Gouvernement, connu la montée en puissance des chaînes d'information sur la TNT : deux, puis trois, puis quatre chaînes. Ces chaînes ont des avantages : elles rendent l'accès à l'information plus facile et plus instantané. Fortement régulées, elles doivent, du moins en principe, aider chacun à se faire une opinion, sans la dicter. Dans le même temps, beaucoup leur reprochent de participer à la conflictualisation du débat, nécessaire pour faire de l'audience. C'est aussi l'une des causes de la fatigue informationnelle, phénomène très bien documenté dans une étude publiée le 1er septembre 2022 par l'Observatoire société et communication (ObSoCo), Arte et la Fondation Jean-Jaurès, qui touche la moitié des Français et détourne nos concitoyens de cet excès d'informations.
En tant que ministre et, surtout, du fait de votre expérience de ces chaînes, comment jugez-vous leur impact sur la relation des Français à l'information et aux politiques ? Pensez-vous que leur nombre sur la TNT est trop élevé ? Faudrait-il les regrouper au niveau de leur numérotation, serait-ce que pour des raisons d'équité et de visibilité ?
Le bilan de la TNT est un véritable succès : depuis son lancement, en 2005, le nombre de chaînes est passé de cinq à trente et une. Malgré le bouleversement du paysage audiovisuel lié au développement des plateformes numériques et de nombreux médias, plus de 90 % des Français regardent la TNT. Celle-ci conserve une place incontournable et il faut donc veiller au pluralisme, à l'honnêteté, à la qualité et à la fiabilité de l'information.
J'ai certes fait l'objet d'un traitement médiatique marqué par des émissions à charge et divers témoignages, mais d'autres personnes sont aussi concernées et cela fait partie de mes fonctions et de mes missions. Dès lors que l'audiovisuel, public ou privé, respecte les principes énoncés dans la loi de 1986 – qui est, je le rappelle, une loi de liberté d'expression –, même si des propos et des attitudes nous déplaisent, la liberté d'expression s'impose. Le président de l'Arcom a d'ailleurs rappelé ce matin que, s'il n'y a pas de sanction ou de judiciarisation d'un comportement, c'est que la chaîne respecte ses obligations. Nous connaissons aujourd'hui, notamment avec l'irruption de réseaux sociaux, une libération de la parole, dans tous les sens du terme.
Au moment où l'on parle beaucoup de souveraineté industrielle, nous avons, de bout en bout, une souveraineté sur la TNT. C'est là un atout majeur dans notre paysage audiovisuel. La question est celle de la régulation des plates-formes, et ce sera l'une des principales missions du ministre de la culture. Ce sera aussi, pour la TNT, celle des conséquences prévisibles en termes de recettes publicitaires. Aujourd'hui, en effet, les chaînes privées ne vivent que de ces recettes, or la baisse de ces dernières sur la TNT bénéficie de plus en plus aux plateformes numériques, notamment aux services intermédiaires. Le fait que 40 % de la valeur de la publicité soit captée par Google pose question. Nous ne pouvons mener ce combat qu'au niveau européen, et nous avons commencé à le faire. La taxation de ces plateformes numériques et leur contribution à la création artistique sont déjà une avancée.
Vous n'avez pas totalement répondu à propos de la renumérotation des chaînes d'information, mais ce n'est pas grave. Pour ce qui est du transfert de publicité sur le numérique, vous prêchez un convaincu et je reviendrai vers vous pour évoquer les droits voisins.
J'en viens à ma deuxième question. Le rôle de chaque personne présente sur les plateaux de télévision n'est pas toujours très clair pour les téléspectateurs. Anciens politiques devenus chroniqueurs, éditorialistes en position de contradicteurs avec des élus, animateurs tenant des propos politiques proches de certains partis : le flou est fréquent et a d'ailleurs permis à certaines chaînes de contourner leurs obligations. Avez-vous déjà ressenti ce flou quant au rôle des autres personnes présentes sur un plateau ? Pensez-vous qu'il soit nécessaire que les chaînes les identifient plus clairement ?
La réponse est dans la question : c'est évident. Il est d'ailleurs déjà arrivé que l'Arcom rappelle à l'ordre certaines chaînes pour leur demander de bien identifier les personnes qui parlent sur un plateau. Pour ma part, j'aime savoir avec qui je débats et, en général, les débats politiques auxquels j'ai participé étaient avec d'autres responsables politiques. Lorsqu'un commentateur, un chroniqueur ou un éditorialiste est présent, on connaît son titre et son propos. Cela fait d'ailleurs partie de la richesse du débat que d'être confronté à des gens qui ne sont pas forcément de votre bord politique et ne défendent pas les mêmes idées. Il faut, pour reprendre une expression familière, savoir « d'où on parle ». La personne présente sur le plateau parle-t-elle comme responsable politique – auquel cas son temps de parole est décompté –, comme éditorialiste, comme chroniqueur ou comme expert ? L'Arcom veille à ce que les personnes soient bien identifiées sur les plateaux. C'est un moyen de nous assurer du pluralisme et de la diversité des opinions.
Quant à la numérotation, que vous évoquiez de votre précédente question, elle relève de la compétence exclusive de l'Arcom.
Madame la ministre, je vous poserai deux questions.
Tout d'abord, quelle est votre analyse de la procédure de choix des canaux par l'Arcom, fixée précisément par la loi, comme les critères de choix, et quelles modifications jugeriez-vous nécessaire d'opérer dans la loi à cet égard ? Quel est votre regard, notamment, sur la capacité de sanction de l'Arcom ? Actuellement, en effet, les sanctions peuvent être prononcées après mise en demeure sur le même thème et pour des faits exactement de même nature. Ne serait-il pas plus efficace d'armer l'Arcom d'une capacité de sanction plus rapide, ou d'élargir les motifs qui peuvent être retenus ? L'obligation que les faits sanctionnés soient exactement de la même nature que ceux qui ont fait l'objet de la mise en demeure ouvre des débats juridiques sans fin, finalement contre-productifs. C'est d'ailleurs ce risque juridique qui a empêché cette dernière de sanctionner davantage certaines chaînes.
Comme l'échelle des peines, le pouvoir de sanction de l'Arcom suit une gradation. Il n'est, ainsi, pas possible d'émettre une sanction sans mise en demeure préalable et les lettres de rappel, qui ne sont d'ailleurs même pas prévues par la loi, permettent le dialogue.
Vous avez, je crois, auditionné des personnes qui avaient payé de lourdes amendes. De fait, une amende de 3 % du chiffre d'affaires est déjà une sanction pécuniaire assez forte, qui passe à 5 % en cas de récidive. Ce n'est pas rien.
Quant à permettre de prononcer des sanctions plus rapidement, je suis réservée car, si une sanction est prononcée à tort et qu'elle est annulée à la suite d'un recours, l'État peut avoir à payer des dommages et intérêts très importants en raison du préjudice non moins important subi par la chaîne. Si donc il pourrait parfois être justifié d'aller plus vite, il ne faut pas qu'une sanction rapide se retourne contre l'État.
Les pouvoirs de l'Arcom, notamment ses pouvoirs d'enquête, ont été renforcés, entre autres, par ma prédécesseure Roselyne Bachelot, ce qui permet parfois, grâce aux documents fournis avant l'émission d'une sanction, de remettre les choses en ordre. Il peut arriver, en particulier en direct, que le comportement ayant donné lieu à signalement ne soit pas intentionnel. C'est, en tout cas, à l'Arcom d'apporter une réponse. Le panel des sanctions est assez large et je crains qu'il soit contre-productif d'aller plus vite.
Les sanctions n'étant pas très fréquentes, les personnes concernées justifient leurs comportements en disant que ce qu'on leur reproche n'est finalement pas si grave, puisqu'elles n'ont pas été beaucoup sanctionnées. C'est la difficulté de ces procédures.
Ma deuxième question porte sur les concentrations, que vous avez abordées dans votre propos liminaire en évoquant la modernisation de la loi de 1986 par l'introduction d'un contrôle au cas par cas. Seriez-vous donc favorable à une limitation du contrôle des problèmes de concentration, qui prendrait uniquement la forme d'une vérification au cas par cas par l'Autorité de la concurrence pour ce qui concerne globalement le marché et par l'Arcom pour les enjeux liés à l'audiovisuel ? Ou alors au maintien de seuils ? Ou encore à l'idée, qui commence à prendre corps dans de nombreux esprits, de lier le calcul de la concentration aux parts d'audience, c'est-à-dire selon une vision plurimédias – sans séparer, par exemple, les quotidiens et les hebdomadaires ? Les outils dont nous devons nous doter pour lutter contre la concentration et mieux la contrôler sont essentiels et doivent être modernisés. Nous avons besoin de ce débat très vite pour faire évoluer la loi très vite.
Comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, il convient en effet de réformer les pratiques en matière de concentration. Le choix d'une approche au cas par cas tient au fait que certaines situations ne sont pas encore prévues, comme le cas où YouTube souhaiterait racheter une chaîne de télévision.
Lorsqu'on envisage une fusion, un rapprochement ou une concentration, on oublie généralement, les groupes plurimédias et on ne considère que les médias traditionnels ou la télévision, oubliant l'existence éventuelle d'un titre de presse ou d'une plateforme. Il faut donc revoir l'assiette – ce que j'appelais tout à l'heure le marché pertinent, même si je n'emploie pas ici ce terme dans son sens juridique – et prendre en compte la globalité du champ médiatique pour évaluer la concentration. Pour ce qui est des seuils, je suis assez d'accord avec vous, mais pour ce qui est du champ à évaluer, il nous faudra prendre en compte les autres médias appartenant aux groupes concernés. Ainsi, la dernière opération de M. Saadé ne concerne pas seulement BFM TV et RMC, car il possède également La Provence et La Tribune.
L'échelon européen est en effet le plus pertinent pour mettre en œuvre la régulation des plateformes. S'agissant des médias audiovisuels classiques, au Royaume-Uni, en Finlande, les grands groupes audiovisuels, à commencer par ceux de l'audiovisuel public, ont connu une transformation copernicienne. Les médias audiovisuels traditionnels français sont-ils aptes à mesurer l'intensité des défis révolutionnaires qu'ils doivent relever et à en assumer les conséquences et les exigences de transformation ?
La captation des recettes publicitaires par les plateformes, leur attrition posent également un problème : le moment est-il venu d'autoriser la publicité des secteurs interdits à la télévision ?
Les médias audiovisuels traditionnels ont en effet été percutés par les bouleversements technologiques, notamment l'apparition des plateformes numériques. Mon rôle est de réduire l'asymétrie entre ces médias et les plateformes, que nous avons déjà taxées pour soutenir la création artistique. Le vrai enjeu réside toutefois dans la captation des recettes publicitaires par les plateformes numériques, notamment ses services intermédiaires. Ce combat ne peut se mener qu'au niveau européen : vous le savez, nous avons été rattrapés par la patrouille européenne dès que nous avons voulu instaurer une taxe.
Nous avons expérimenté la publicité du cinéma à la télévision : je compte la généraliser. Le fait qu'elle permette à un nouveau public de se rendre au cinéma a contribué à lever les réticences. Les publicités sur les livres créent une bataille interne à la profession, chaque clan défendant des intérêts parfois contradictoires – les disquaires ont disparu et il reste 3 500 librairies. Je ne pense pas que des publicités de livres à la télévision auraient un effet négatif sur le secteur : elles feraient connaître les auteurs ou les maisons d'édition tout en renvoyant l'achat à une librairie, à moins que les téléspectateurs n'optent pour une plateforme. Je reste néanmoins réservée. Une expérimentation peut être tentée, comme nous l'avons fait pour le cinéma.
Par ailleurs, à la suite d'une demande à l'Arcom, nous allons disposer d'un rapport portant sur la publicité des promotions dans la grande distribution. Une consultation est en cours. Ses conclusions me seront remises le 25 mars.
Outre la Finlande et l'Angleterre, la Belgique et l'Italie ont structuré leur audiovisuel public, comme l'audiovisuel privé se structure en France. Nous sommes l'un des rares pays européens où l'audiovisuel public est encore éclaté. Si nous voulons le préserver et qu'il apporte à l'ensemble des Français des émissions d'intérêt général, nous devons regrouper nos forces. Je suis le produit de cet audiovisuel : n'oublions pas que certaines personnes n'ont que la télévision. Si l'on veut garder la qualité, la fiabilité, la puissance de l'audiovisuel public, on ne peut plus rester dans le statu quo.
Le débat parlementaire nous incitera à disposer d'un audiovisuel public très fort, dont le financement sera sanctuarisé. J'ai déjà abordé la question avec les membres de la commission des affaires culturelles. Dix ans ont été nécessaires pour aboutir à une présidence commune entre France 2 et France 3, que personne ne remet en cause aujourd'hui. Il faut aller beaucoup plus loin, par des coopérations et, à terme, par une fusion. Tout cela est ouvert, dans le cadre du débat parlementaire.
Comment concilier la liberté éditoriale des éditeurs, c'est-à-dire le choix des thèmes et des intervenants, et la garantie du pluralisme d'opinions et de pensées au sein des programmes ? Au vu de la décision du Conseil d'État du 13 février 2024, comment apprécier la sensibilité des chroniqueurs et des éditorialistes ? Comment faire évoluer les conventions que les chaînes signent avec l'Arcom ?
La part des recettes publicitaires captées par les géants du numérique doit passer de 50 % à 65 % d'ici à 2030. Comment lutter contre ce phénomène, qui met en péril le modèle économique des acteurs traditionnels de la TNT, lesquels financent la création et l'information ?
Certes, un combat est à mener en Europe, mais des actions sont aussi nécessaires en France, après la taxe sur les services numériques de 2019 – particulièrement dynamique, d'ailleurs.
Dans l'audiovisuel public, les parrainages de produits aux heures sans publicité peuvent poser des difficultés, certains Français se demandant si la publicité est revenue. Ils pourront être revus, notamment quant à la nature des produits. Le cahier des charges est toutefois respecté.
Pour les chaînes privées, la publicité est la seule source de financement. On a déjà taxé les plateformes afin de financer la création artistique. La régulation ne pourra aboutir qu'au niveau européen. Des textes sont d'ailleurs en discussion : c'est l'enjeu d'une taxe numérique européenne, que le Gouvernement avait annoncée bien avant mon arrivée.
La règle des parrainages a en effet été un peu dévoyée par un décret de 2017, qui a permis de placer le produit en son centre.
Rodolphe Saadé, le dirigeant du groupe CMA CGM qui vient de racheter RMC et BFM TV, a répondu selon la presse aux salariés qui l'interrogeaient sur sa réaction en cas de traitement par ses médias d'un éventuel scandale touchant son activité de fret et de logistique : « Je ne réagirai pas bien et je le ferai savoir. » Estimant qu'il trouverait « très agressif », en tant qu'actionnaire, de souffrir d'une « attitude agressive » de la part de la rédaction, il a indiqué : « Je ne vous raconterai pas d'histoires. Quand ça ne va pas, je vous le dirai. Peut-être que ça change d'avant, mais ça a le mérite d'être clair […]. Il faut que l'information existe, mais […] je suis particulièrement déçu quand je vois qu'il y a seulement un petit encart dans mes journaux quand mon groupe fait quelque chose de bien. »
Quelle réaction vous inspirent de tels propos ?
Par principe, la loi garantit l'indépendance de la rédaction à l'égard du pouvoir économique. L'intérêt du groupe ne doit pas affecter cette indépendance. La loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, dite « loi Bloche », offre de nombreuses garanties, notamment le droit d'opposition, la clause de cession ou les chartes prescrites – le principe est ancien, puisque la première charte date de 1918. Certains comités de déontologie étant inconnus des journalistes, on peut travailler à les rendre plus visibles. La loi est claire : l'intérêt de l'actionnaire ne peut pas compromettre l'indépendance du journaliste.
J'en déduis que ces déclarations ne vous conviennent pas. Elles m'ont rappelé les propos de Cyril Hanouna lorsqu'il refusait d'évoquer les affaires de Vincent Bolloré en Afrique au motif que celui-ci détenait la chaîne C8.
Le récent rapport de la mission d'évaluation de la loi Bloche pointe certaines lacunes voire défaillances. Outre les sanctions de l'Arcom, il vise plus largement la concentration et le pouvoir des actionnaires sur leur rédaction. Par ailleurs, il existe plusieurs chartes, alors que la déontologie n'en exigerait qu'une, à laquelle tous se tiendraient.
Considérez-vous que la concentration des médias porte atteinte au pluralisme et à la diversité ? Quelles sont vos intentions pour l'audiovisuel public ? Après le rapport d'information Changer de cap pour renforcer la spécificité, l'efficacité et la puissance de l'audiovisuel public déposé le 8 juin 2022 par les sénateurs Hugonet et Karoutchi, et la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle de M. Lafon, comptez-vous nous ressortir un projet de holding dont tous les acteurs concernés disent qu'il contribuera à réduire le pluralisme ?
Sur ce point, je vous renvoie aux interviews de Delphine Ernotte ou de Sibyle Veil, qui sont favorables à la proposition de loi Lafon. Nous en débattrons avec les parlementaires. Vous devez convenir que l'on ne peut pas rester sur ce statu quo. Les instances seront renouvelées l'année prochaine : c'est le moment ou jamais. Face à un audiovisuel privé qui se structure, l'audiovisuel public ne peut rester totalement dispersé. Voyez les modèles finlandais, italien, belge ou anglais ; regardez la puissance de la BBC. Alors qu'elle est contrainte à de fortes économies, qui imaginerait la supprimer ou la déstabiliser ? Les rédactions y sont puissantes et rassemblées, pour ne pas dire fusionnées.
En France, nous avons sur la table la proposition de loi Lafon, inspirée du rapport Hugonet-Karoutchi, que le Sénat a adoptée. J'espère qu'à l'Assemblée, nous pourrons débattre sereinement de ces questions essentielles, dans un espace médiatique public détérioré.
Quant aux propos tenus par Cyril Hanouna, la chaîne a été lourdement sanctionnée : l'Arcom joue son rôle.
S'agissant des concentrations, l'information fiable, de qualité, a un coût. Je ne vois pas comment parvenir à la créer sans être adossé à un groupe industriel. Plus vous paupérisez les journalistes, plus vous dégradez la nature de l'information, jusqu'à conduire à la désinformation. Il est vital que des groupes industriels puissent être propriétaires de médias. La loi garantit l'indépendance des journalistes, que l'intérêt économique de l'entreprise ne doit pas compromettre. L'Arcom y veille, comme au pluralisme, puisqu'à la suite de la dernière décision du Conseil d'État, son président présentera des propositions dans quelques semaines.
Je suis également prête à travailler avec vous à partir des propositions figurant dans le rapport sur la loi Bloche.
Le rapporteur de notre commission est obsédé par CNews et par Vincent Bolloré, qui cristallisent tous les fantasmes, toutes les haines de la gauche et de l'extrême gauche. Elles n'acceptent pas de céder la moindre place aux idées de droite dans les médias et sont soucieuses de conserver la domination outrancière qu'elles ont acquise depuis plusieurs décennies, en particulier dans le service public. Voilà ce sur quoi nous aurions dû enquêter ! Pour de nombreux Français, CNews offre au contraire une lueur de pluralisme dans un océan d'audiovisuel dominé par la gauche. Et, en plus, cela fonctionne : elle fait de l'audience !
La gauche exerce une mainmise sur le service public, pourtant financé par nos impôts. Vous me savez sensible à la question d'Israël : elle est un des symptômes de cette orientation partiale. Je rappelais ce matin au président de l'Arcom les graves manquements du service public dans le traitement du conflit israélo-palestinien, sa partialité, son manque d'équilibre et de pluralisme, la façon dont il diabolise en permanence le seul et minuscule État juif, en guerre pour sa survie, après tant d'actes barbares, de pogroms.
Je ne reviendrai pas sur les exemples : de l'affaire Mohammed al-Durah lancée par France 2 à l'origine de la seconde Intifada au « Levez-vous, monsieur Hitler. Il y a des personnes qui ont besoin d'être brûlées » d'une journaliste de France 24, en passant par les fausses nouvelles (ou fake news ) récidivantes de France Inter pendant la pandémie de Covid-19, qui accusait Tsahal de détruire des installations médicales palestiniennes, ou les saillies des humoristes comme Guillaume Meurice, qui traitait Benjamin Netanyahou de « nazi sans prépuce ». On me dit médiatique : en dix ans, je n'ai jamais été invité par France Inter, ni par France 5, et France 24 m'a toujours boycotté.
Quelles mesures prendrez-vous en faveur de la pluralité ?
Je ne suis pas la ministre d'un clan ou d'une idéologie, contrairement à d'autres qui, sous couvert d'idéologie, tiennent des propos pour le moins irrespectueux. On a mis en cause ma légitimité, ma nomination, voire ma compétence. Il faut y mettre des limites. Pour certaines personnes, ce n'est jamais bien. Certaines choses ne sont pas acceptables dans une enceinte républicaine.
Vous avez raison de rappeler l'importance du pluralisme ainsi que de la maîtrise des débats et des interviews. Je n'ai pas un rôle de régulateur, ni de contrôle ou de pouvoir de sanction : en l'état actuel des textes, cela revient au régulateur, l'Arcom. Lorsque les débats ne sont pas maîtrisés, l'Arcom agit, soit en s'autosaisissant, soit sur signalement, y compris pour des médias à vocation internationale. Des sanctions ont été prises notamment pour le traitement du conflit israélo-palestinien ou de la guerre en Ukraine.
Par souci de transparence, je précise que j'ai été journaliste près de quarante ans dans les groupes Radio France, Bertelsmann et TF1.
L'avenir de notre souveraineté audiovisuelle française me préoccupe : de puissants mastodontes se dressent face à nous, qui captent les deux tiers de la publicité. Netflix représente 20 milliards de dollars par an contre 1,2 milliard d'euros pour l'ensemble des chaînes françaises. Le problème de l'invisibilité se pose également. L'Arcom a pu agir par l'intermédiaire des fournisseurs d'accès internet (FAI) pour faire en sorte que les chaînes de la TNT soient toujours visibles.
Incontestablement, il faut aller plus loin, Le législateur peut agir sur la publicité ou les fusions – celle de TF1 et de M6 aurait certainement eu du sens – mais le dispositif ne prévoit rien pour empêcher YouTube d'acheter une chaîne française. Les représentants de Netflix, que j'avais auditionnés dans le cadre de mon rapport pour avis sur des crédits « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, ne s'interdisaient pas de faire de l'information, ni d'acheter des droits télévisés, ce qu'Amazon fait déjà, ni de faire de la publicité. Cela ressemble tout à fait à une chaîne généraliste.
Il y a donc péril en la demeure pour notre souveraineté audiovisuelle française. Peut-être que dans cinq, sept ou neuf ans, nous n'aurons pas à créer de commission d'enquête car les chaînes de la TNT auront toutes disparu.
Face à ce péril pour notre audiovisuel français, quelles sont vos pistes ?
Je suis tout à fait favorable à ce que vous proposez. J'ai ainsi indiqué tout à l'heure qu'il fallait revoir la réglementation sur les concentrations. On doit intégrer le plurimédia : le cas de figure que vous avez évoqué n'est absolument pas prévu par la loi.
La souveraineté, française, de bout en bout, est la grande force de la TNT. Il faut préserver cette souveraineté et, pour cela, moderniser. C'est dans ce sens que j'irai.
J'ai aussi répondu tout à l'heure à la question, qui est liée, des recettes publicitaires. C'est un sujet de niveau européen, auquel l'Europe – les textes en discussion le montrent – est d'ailleurs très sensible. Il était question, vous vous en souvenez, d'une taxe supranationale. On nous incite à cela au niveau européen, et je pense qu'on peut avancer. Il est absolument anormal que la valeur liée aux recettes publicitaires soit captée, dans une large majorité, par un seul acteur, Google, au détriment de l'audiovisuel privé.
Je rappelle que, sur décision du bureau de la commission d'enquête, le temps de parole est individuel : je ne peux malheureusement pas en attribuer davantage en procédant par groupes politiques, et ce n'est pas ma faute si certains d'entre eux sont plus représentés que d'autres, étant entendu que le nombre de membres de chaque groupe au sein de la commission d'enquête est proportionnel à sa taille dans notre assemblée. Je relève que, parmi la majorité présidentielle, nous ne sommes pas si nombreux pour cette audition et que, de ce fait, nous n'avons pas beaucoup d'intervenants. Néanmoins, cela crée un équilibre.
Je vais redonner la parole à notre rapporteur, en rappelant qu'il ne s'agit pas de faire le procès politique de Mme Dati, mais d'auditionner la ministre de la culture – nous devons y être très attentifs. Je tiens vraiment à la qualité des débats et à ce que le travail du rapporteur atteigne un niveau optimal. Je ne pense pas avoir été jusque-là un président qui empêche, que soit par l'envoi des convocations ou par la gestion du temps de parole, rebonds compris. Mon but est que nous obtenions tous les éléments qui nous sont utiles, dans le cadre de la commission d'enquête.
Nos auditions sont très suivies – tant mieux – et nous devons être attentifs aussi bien sur le fond, en respectant le cadre de la commission d'enquête et son objet, que sur la forme. Nos concitoyens, tous les e-mails que je reçois depuis que je préside cette commission le montrent, y sont extrêmement attachés.
Pour mettre les choses au point, madame la ministre, je ne mets évidemment en cause ni votre légitimité ni votre compétence : je ne me reconnais aucun titre pour le faire, et ce n'est pas mon intention. Par ailleurs, je ne me suis jamais écarté de l'objet de la commission d'enquête, même s'il vous a peut-être semblé que je le faisais d'une façon implicite ou insinuante.
Olivier Schrameck et Marcel Rogemont ont fait part de leurs doutes quant à la régularité de l'attribution des autorisations en 2012. Il est donc parfaitement légitime de formuler des questions sur la procédure, les intentions du Gouvernement et l'action qu'il pourrait éventuellement entreprendre à l'égard du régulateur. Ces questions, qui ne constituent pas un procès d'intention, appellent des réponses simples et claires.
J'ai une autre question, très factuelle et explicite, que tous les observateurs un peu rigoureux se sont posée : Emmanuel Macron ou Gabriel Attal vous ont-ils demandé à un moment ou à un autre de préserver les autorisations du groupe Bolloré ?
C'est une commission d'enquête contre M. Bolloré ? Je m'interroge.
Je suis ministre de la culture, ministre de la République et de tous les Français. Imaginez-vous un seul instant un Président de la République ou un Premier ministre…
Vous m'avez posé une question et j'ai le droit de vous répondre.
Je suis ministre de la République et je suis engagée en politique depuis très longtemps : je sais ce que c'est, comme parlementaire et comme ministre. Il y a un Président de la République et un Premier ministre. Ce sont des institutions. Imaginez-vous qu'on puisse se commettre avec ce genre de choses ?
Et je vous réponds.
J'ai une mission très claire, que j'ai énoncée tout à l'heure alors que vous mettiez en doute ma compétence et ma légitimité en disant que c'était sans doute au détour d'un rendez-vous entre deux personnalités, à la suite d'un contrat, que j'avais été nommée ministre. Cela n'est pas le cas.
Je respecte le régulateur : le président de l'Arcom n'a jamais subi de pression ou de tentative d'influence pour quoi que ce soit, je vous le dis très clairement. Il a des prérogatives et des missions très claires, notamment celle d'attribuer des autorisations. Nous ne nous en mêlons pas : il agit en toute indépendance.
Il nous l'a rappelé ce matin, et cela devrait permettre à l'ombre de Vincent Bolloré de quitter cette salle.
(Sourires.)
Vous pourriez aussi m'interroger sur d'autres personnes, monsieur le rapporteur.
Mme la ministre a rappelé l'indépendance totale du régulateur et souligné que personne d'autre ne se mêlait de ces questions.
Je n'ai fait l'objet d'aucune demande, venant de qui que ce soit pour favoriser qui ce soit. Vous semblez l'oublier, monsieur le rapporteur, mais si c'était le cas, ce serait du pénal. Vous me soupçonnez donc d'avoir commis une infraction pénale.
Je le connais, et je vous pose précisément la question parce qu'il y aurait un problème si c'était arrivé.
Cela n'aurait pas été un problème, mais une infraction.
Effectivement. Vous caractérisez la situation en des termes plus juridiques, mais je vois que vous avez beaucoup de peine à formuler une réponse simple à une question simple : vous avez mis beaucoup de temps alors que vous auriez pu répondre par oui ou par non…
Il n'est ni excessif ni outrageant de poser des questions factuelles. Je constate, malheureusement, que l'exécutif estime dans notre pays qu'on ne peut pas lui poser des questions factuelles sans avoir l'air insinuant.
Je ne souhaite pas être ainsi mise en cause. Vous êtes le rapporteur d'une commission et non un procureur ou un juge d'instruction. Poser des questions supposant que j'aurais pu commettre une infraction pénale en exerçant une influence ou en intervenant auprès d'un régulateur indépendant, c'est grave, monsieur le rapporteur, je vous le dis.
Nous n'instruisons pas, je l'ai dit, le procès politique ou pénal de Mme Dati : nous auditionnons la ministre de la culture.
J'ai rappelé que MM. Rogemont et Schrameck avaient fait part de doutes sur la procédure suivie en 2012. Il est donc légitime de se poser des questions sur les procédures en cours, et je ne fais rien d'autre : je n'insinue rien, et vous pouvez répondre tranquillement et sereinement.
Si ces personnes ont constaté des irrégularités, leur responsabilité était de les dénoncer.
S'agissant de la réforme de l'audiovisuel public, vous avez renouvelé votre souhait de créer une sorte de BBC à la française, mais je note que le budget de l'audiovisuel public représente dans notre pays 0,16 % du produit intérieur brut (PIB) contre 0,28 % au Royaume-Uni. Peut-on avoir cette ambition quand il existe une telle différence de financement ? Avez-vous pour objectif d'augmenter les moyens de l'audiovisuel public ?
Le budget de l'audiovisuel public a augmenté, dans le cadre de sa trajectoire financière jusqu'en 2028, de 446 millions d'euros, ce qui représente une augmentation de 12 %. Je vous invite, par ailleurs, à regarder le périmètre de la BBC et celui de l'audiovisuel public français. Enfin, la BBC est contrainte de réaliser – si vous ne le savez pas, je vous le dis – d'énormes réductions de dépenses. C'est la contrepartie de son financement, et ce n'est pas ce qui arrive à l'audiovisuel public français aujourd'hui.
Ma mission est de préserver un audiovisuel public puissant. Pourquoi ? Pour permettre, notamment, à ceux qui n'ont rien d'autre pour avoir accès à l'information, à la culture et aux divertissements de le faire. Si demain nous n'avions plus un audiovisuel public indépendant et pluraliste, avec une information de qualité et fiable, pour l'ensemble des Français, la démocratie, je vous le dis, serait dans un bien sale état.
Nous aurons ce débat dans l'hémicycle et en commission dans les prochaines semaines.
En ce qui concerne la concentration dans les médias, l'audition de la directrice générale des médias et des industries culturelles, la semaine dernière, était extrêmement intéressante. Il nous a été dit – je caricature légèrement – qu'une des missions principales de cette direction générale était d'anticiper les évolutions du marché pour garantir la profitabilité des acteurs. Comment pouvez-vous concilier cette mission avec une autre qui, sans doute, vous tient à cœur et qui est la promotion de la diversité, l'émergence de nouveaux talents et la satisfaction de tous les publics ?
C'est dans le cahier des charges et ce n'est pas contradictoire.
Beaucoup de chaînes de la TNT ne sont pas rentables aujourd'hui. D'où l'intérêt d'un adossement à un groupe solide pour avoir les moyens de se développer, notamment en ayant des programmes de qualité.
C'est le sens de toutes nos réformes, qui sont en cours.
S'agissant du mouvement de concentration dans les médias, vous avez redit qu'il fallait se regrouper, y compris dans l'audiovisuel public, afin d'atteindre la taille critique. Si on poursuit le raisonnement jusqu'au bout, cet impératif devrait conduire à accepter l'idée d'un monopole, qui serait seul à même de garantir l'existence d'un champion à l'échelle internationale. À partir de quel seuil passe-t-on du pluralisme au monopole ?
Les seuils de concentration sont inscrits dans la loi, et l'Autorité de la concurrence les fait respecter au regard des marchés pertinents. Et s'il y a des seuils, c'est qu'il n'y a pas de monopole.
J'en ai parlé tout à l'heure. Il y a, s'agissant de l'évaluation de la concentration, à l'aune du développement des plurimédias, une partie qui regarde l'Autorité de la concurrence et une autre l'Arcom.
Les seuils de concentration doivent exister. Si ce n'était pas le cas ou s'ils étaient trop larges, on pourrait effectivement aboutir à un monopole, mais cela ne correspond ni à la situation actuelle ni à l'esprit de ma mission en tant que ministre de la culture.
Vous n'avez donc pas de préconisations spécifiques à faire en ce qui concerne les seuils ?
L'audition de Xavier Niel, ce matin, était également intéressante et rafraîchissante : il a vertement critiqué la procédure de renouvellement des autorisations, la jugeant beaucoup trop favorable aux groupes déjà présents. Il s'est même demandé pourquoi il faudrait perdre du temps et de l'argent pour « se prendre une baffe » en fin de compte. Partagez-vous ce jugement ? Considérez-vous qu'il y aurait matière à modifier la procédure ?
Il peut y avoir de nouveaux entrants, ce n'est pas impossible. L'autorisation est donnée pour dix ans. Or certains veulent cinq ou trois ans, et d'autres dix-huit mois : cela permet d'avoir de nouveaux entrants. La procédure actuelle permet de susciter un grand nombre de candidatures, d'organiser une présélection, comme le fait l'autorité de régulation, puis de faire une sélection. On peut ainsi avoir des dossiers de qualité et, surtout, sérieux. Je le répète : la procédure n'empêche absolument pas d'avoir de nouveaux entrants.
Oui, à moins de vouloir paupériser l'information, ou la disqualifier.
M. Niel a considéré que des chaînes telles que M6 et TF1 étaient des « chaînes gouvernementales ». Comment réagissez-vous à cette qualification ?
Même si vous considérez que c'est déjà possible, le ministère a-t-il des pistes pour permettre éventuellement l'arrivée sur la TNT de nouveaux acteurs, qui ne soient pas des groupes, par exemple, mais auraient un modèle associatif ou autre ?
S'agissant des chaînes nationales, vous savez très bien que ce n'est pas possible aujourd'hui. Il faut avoir les reins solides – c'est la réalité – mais il ne vous a pas échappé qu'il existe beaucoup de télévisions associatives, notamment locales.
Le président de l'Arcom nous a rappelé qu'il y avait aussi un nombre très important de radios associatives, près de 700.
Il a souligné que la viabilité économique était une question importante dans le modèle associatif et qu'il fallait que les chaînes puissent s'engager à assurer une diffusion vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce qui pouvait parfois poser un problème à certains de ces acteurs.
Madame la ministre, je vous remercie et je vous demande d'envoyer au secrétariat de la commission tout document qui vous semblerait utile à nos travaux ainsi que vos réponses au questionnaire écrit qui a dû vous être remis.
Comme convenu, nous tiendrons la semaine prochaine nos ultimes auditions, qui nous permettront notamment d'entendre les responsables de l'émission « Quotidien ». Nous pourrons ainsi aborder la question, légitime, du pluralisme, comme l'ont demandé, notamment, les députés du Rassemblement national. Je ne suis pas, je l'ai dit, un président qui empêche : il est important d'aller au bout de nos travaux et je ne veux pas qu'ils soient entachés d'un quelconque manque de neutralité. Cette audition aura donc bien lieu et nous essayons, chers collègues, même si je ne peux pas m'y engager, de faire en sorte qu'elle se déroule mercredi matin, si possible à neuf heures – nous vous le confirmerons le plus rapidement possible –, ce qui pourrait nous permettre d'entendre, à dix heures trente, M. Rodolphe Saadé et ses collaborateurs, du groupe CMA CGM, dans le cadre de la promesse de vente de BFM TV et RMC.
L'audition de CMA CGM aura lieu à huis clos, afin de permettre à M. Saadé d'apporter plus d'éléments que si la réunion était filmée et qu'elle se déroulait en présence de la presse. Je rappelle que tout ce qui concerne le secret des affaires, notamment les éléments remis à l'Autorité de la concurrence et à l'Arcom, ne peut être communiqué. Le huis clos permettra néanmoins d'aller un peu plus loin dans les réponses, ce qui sera utile. Nous ne sommes pas allés jusqu'à retenir le régime du secret, afin qu'un compte rendu de l'audition soit réalisé et que M. le rapporteur puisse l'utiliser et le citer, s'il le souhaite, dans son rapport. C'est l'équilibre que nous avons trouvé pour organiser rapidement une audition utile.
La séance s'achève à dix-neuf heures dix.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Philippe Ballard, M. Quentin Bataillon, Mme Céline Calvez, M. Jocelyn Dessigny, M. Laurent Esquenet-Goxes, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Constance Le Grip, Mme Sarah Legrain, M. Aurélien Saintoul, Mme Sophie Taillé-Polian
Assistait également à la réunion. – M. Meyer Habib