Je suis ravie de me trouver devant vous aujourd'hui. Cela ne fait pas très longtemps que je suis ministre de la culture et, après avoir été auditionnée par la commission des affaires culturelles pendant un temps très long, puisque j'ai passé trois heures à répondre à l'ensemble des questions des parlementaires, échanger avec les membres de votre commission constitue pour moi une aide à la décision dans mes fonctions et ma mission de ministre.
Avant même d'être ministre de la culture, l'audiovisuel public, la radio, la télévision ont fait partie de mon parcours personnel de citoyenne et m'ont permis d'accéder à une autre condition. Quand vos parents ne sont pas Français, quand ils ne savent ni lire ni écrire, vous vous construisez grâce aux médias publics, qui représentent un formidable moyen d'apprentissage d'une culture, avec les émissions de cinéma, de musique et évidemment aussi de politique.
La télévision joue un rôle essentiel dans l'accès de tous à la culture, à l'information. Elle est diffusée partout, auprès de tous les publics, dans les territoires ruraux, à l'hôpital ou en prison. Elle vous relie au monde quand vous en êtes éloigné ou quand vous êtes seul. Elle joue un rôle dans notre cohésion sociale et c'est cette vision de la télévision que je veux défendre en tant que ministre de la culture.
La télévision contribue aussi à forger la citoyenneté en nous éclairant, en nous informant, grâce à une information pluraliste, honnête et indépendante. Je cite toujours cette remarque de mon père : « Si c'est à la télévision, si c'est dans le journal, c'est que c'est vrai. » Même à l'époque où je subissais des attaques personnelles, lorsque j'ai pris mon premier poste ministériel, il considérait que tout était forcément vrai, parce qu'il a toujours cru en la télévision ou dans ce qu'il pouvait entendre ou voir dans les médias. C'est pour cela d'ailleurs que la télévision est régulée.
Les fréquences sur lesquelles porte votre commission sont attribuées à titre gratuit, en contrepartie d'obligations essentielles en matière de diversité des programmes, de qualité de l'information, d'exposition et de financement de la création française et européenne, avec pour objectifs d'éduquer, d'informer et de divertir. Ces missions, qui sont celles notamment de l'audiovisuel public, s'adressent – on l'oublie parfois – à tous les Français.
Ce modèle, je veux le préserver face à des plateformes étrangères qui sont moins régulées, voire pas du tout. On s'informe de plus en plus sur les réseaux sociaux, notamment les jeunes. Ce n'est pas un problème en soi puisque les médias traditionnels y sont présents. Mais chacun sait aussi que les réseaux sociaux peuvent être des vecteurs de propagation de fausses informations, voire de désinformation. Nous devons donc mener un combat commun : préserver un modèle souverain – c'est le cas de la TNT – qui soit exigeant, accessible à tous, protégé des ingérences étrangères.
Nous devons également œuvrer ensemble pour un paysage audiovisuel français puissant et pour un rayonnement de notre création. Cela suppose que les chaînes et les diffuseurs français soient visibles, ce qui n'est pas facile. L'offre est de plus en plus riche et les gens s'y perdent. Les algorithmes de recommandation orientent leurs choix et certains acteurs, notamment les plateformes étrangères, payent cher pour apparaître dans les premiers résultats d'une recherche ou sur la page d'accueil d'un appareil. C'est tout l'enjeu de la mise en avant des services d'intérêt général : la présence d'un bouton sur les télécommandes pour accéder directement aux chaînes de la TNT est prévue par la loi et l'Arcom vient d'en préciser les modalités de mise en œuvre.
Il faut que nos médias et notre culture soient visibles : c'est un enjeu de souveraineté culturelle. C'est aussi un enjeu économique car, sans visibilité, nos médias risquent de se paupériser et de disparaître. Nous avons besoin d'une vision à la fois industrielle et culturelle de nos médias. Nous avons également besoin que notre audiovisuel marche sur deux jambes, publique et privée.
Je me suis déjà exprimée sur l'audiovisuel public : il doit se rassembler pour être plus fort. Face à la compétition mondiale, face à la révolution des usages, tous les médias s'organisent et cherchent à rassembler leurs forces – médias privés en France, médias publics ailleurs en Europe. Seul l'audiovisuel public français demeure éclaté, ce qui le désavantage pour répondre aux défis du média global, lequel implique de proposer à tous les publics une offre de programmes diversifiée sous forme audio, vidéo, numérique, en direct ou à la demande.
Les entreprises de l'audiovisuel public ont engagé des coopérations sur des sujets essentiels comme la proximité, l'information et le numérique. Mais cela n'avance pas assez, à mon sens, et il faut absolument un rapprochement de la gouvernance pour préserver la puissance de l'audiovisuel public et la qualité des programmes. Cette réforme de la gouvernance doit nous permettre de sécuriser le financement de l'audiovisuel public. Je suis favorable à une modification de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) et à la pérennisation du financement par une fraction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Il faut faire vite : modifier la loi sur ces deux sujets, gouvernance et financement, devra se faire dès cette année.
Du côté de l'audiovisuel privé aussi, les médias rassemblent leurs forces et se restructurent. Le groupe CMA CGM de M. Saadé, qui est déjà présent dans la presse, vient de se porter acquéreur des médias du groupe Altice. Le rachat de Lagardère renforce la position de Vivendi dans le secteur audiovisuel, où Canal+ pesait déjà très lourd. On garde aussi en tête la tentative de fusion entre TF1 et M6. Il faut être réaliste : oui, la production d'une information de qualité coûte cher ; oui, développer une chaîne sur une fréquence de la TNT implique des charges considérables, ce qui explique d'ailleurs que certaines chaînes ne soient pas rentables ; oui, la production de films comporte un risque financier important. À mon sens, il est donc vital que les médias soient soutenus par des groupes industriels capables de leur apporter les moyens de leur développement.
Cela ne peut pas se faire sans garde-fou, ce qui pose la question du contrôle des concentrations. Je suis favorable à ce que nos acteurs nationaux soient en mesure d'affronter la concurrence internationale et de défendre notre modèle de financement de la création et du pluralisme de l'information. Mais cela suppose, au-delà des règles de droit commun appliquées par l'Autorité de la concurrence, d'évaluer correctement les opérations de concentration ayant un impact sur le pluralisme et sur l'indépendance des médias.
De ce point de vue, notre mécanisme de contrôle des concentrations, qui repose sur des seuils fixés par la loi, semble obsolète car il se limite aux médias traditionnels, sans prendre en compte les médias dans leur ensemble ni les opérations impliquant les plateformes. Notre dispositif doit être modernisé et il ne serait pas aberrant, au-delà de l'application de ces seuils légaux, de confier à l'Arcom un contrôle au cas par cas des concentrations au regard de cet objectif de pluralisme et au regard d'un marché pertinent.
L'autre grand sujet pour les chaînes privées, c'est la publicité. C'est même un sujet existentiel car les chaînes gratuites privées vivent de la publicité. Nous avons mené une étude avec l'Arcom, que nous avons rendue publique en janvier. Vous en connaissez les résultats : les médias traditionnels, ceux qui financent en amont les œuvres cinématographiques et audiovisuelles, verront leur part des recettes publicitaires décroître au profit des acteurs numériques. Face à cette situation, l'enjeu n'est pas de savoir comment répartir les recettes entre les médias traditionnels mais de se battre pour que ces recettes publicitaires ne soient pas accaparées par les acteurs du numérique et par leurs services intermédiaires, ceux de Google notamment, qui ont su se rendre indispensables aux annonceurs comme aux médias.
La réponse est nécessairement européenne. Le règlement européen du 14 septembre 2022 sur les marchés numériques dit Digital Markets Act (DMA) apporte une première réponse en permettant une transparence accrue sur le marché de la publicité en ligne, sur les montants payés par les annonceurs et sur les montants versés aux éditeurs. Mais elle est insuffisante et nous devons aller plus loin avec la Commission européenne.
J'en viens maintenant à la mission propre de votre commission, qui enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la TNT. Trois questions essentielles se posent : qui mérite d'être sur la TNT ? Quels engagements leur demande-t-on ? Comment contrôle-t-on que ces engagements sont respectés ? Le législateur a fixé un cadre, laissant une marge d'appréciation au régulateur, l'Arcom, pour mener à bien ces missions. Le régulateur agit donc en toute indépendance, dans le cadre de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dont je rappelle que c'est une loi de liberté. Elle prévoit des obligations – l'indépendance, le pluralisme, le financement de la création – mais même lorsqu'elle est contraignante, c'est pour garantir la liberté d'expression.
Pour conclure, les sujets abordés par votre commission d'enquête sont des sujets de citoyenneté. Il faut se préoccuper de l'offre audiovisuelle mais aussi être à l'écoute de ce qu'attendent nos concitoyens : des programmes de qualité, une offre culturelle riche, diverse, et une information vérifiée. C'est la condition pour que la télévision reste ce qu'elle est aujourd'hui : un facteur de cohésion sociale à l'heure où l'espace public est de plus en plus fracturé, voire détérioré, et un gage de pluralisme et de qualité de l'information. C'est cela qu'attendent nos concitoyens. Pour cela, ils peuvent compter sur moi, comme je pense qu'ils peuvent compter sur vous.