La commission auditionne M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, sur la préparation du Conseil des affaires étrangères (commerce) du 25 mai 2023.
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président
La séance est ouverte à 9 h 00
Monsieur le ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, je vous souhaite la bienvenue. Comme nous en avons pris mutuellement l'engagement au début de la législature, nous vous recevons pour la deuxième fois, afin d'évoquer le Conseil affaires étrangères de l'Union européenne consacré au commerce qui se tiendra demain à Bruxelles.
Depuis votre dernière audition en novembre, plusieurs faits ont retenu notre attention.
Le 7 février dernier, vous avez publié les résultats du commerce extérieur pour 2022 : la balance courante est devenue déficitaire de 53,5 milliards d'euros et le déficit commercial des biens s'est dégradé de 78 milliards en un an, la facture énergétique expliquant 86 % de cette hausse. Des signaux positifs méritent, malgré tout, d'être relevés. La reprise de nos échanges de services s'est accélérée, permettant d'atteindre un excédent de 50 milliards d'euros, grâce au tourisme, en hausse de 14 milliards, au secteur des transports, en progression de 25 milliards, et aux services financiers, en hausse de 9 milliards. Les échanges de biens s'inscrivent aussi dans une dynamique positive, puisqu'ils dépassent en valeur leur niveau antérieur à la crise sanitaire. Avec une hausse de 37 %, les produits agricoles affichent l'une des meilleures performances. Les exportations automobiles retrouvent quasiment leur niveau de 2019 et nos traditionnels champions à l'exportation – cosmétiques, aéronautique, vins et spiritueux, pharmacologie – enregistrent des excédents.
À l'international, la Commission européenne a dévoilé, le 1er février, son projet de Pacte vert pour l'Europe, programme de soutien au développement d'une industrie verte destiné à protéger la compétitivité européenne, notamment en réponse à l' Inflation Reduction Act (IRA) américain promulgué en août 2022. Ce Pacte prévoit notamment la flexibilisation et la prolongation jusqu'en 2025 du cadre temporaire pour les aides d'État, en le ciblant sur les énergies renouvelables. Notre commission souhaite vous entendre à ce sujet, car nous avons le sentiment que l'action de l'Europe va dans la bonne direction mais reste trop modeste.
La Commission européenne a également transmis au Conseil de l'Union européenne un projet d'accord commercial avec la Nouvelle-Zélande, en vue de sa signature. Fruit de négociations engagées en 2018, cet accord est le premier à intégrer la nouvelle approche communautaire en matière de commerce et de développement durable. Très vigilante quant à ce type d'accord, notre commission souhaite savoir quelles seront les prochaines étapes.
D'autres accords de même nature pourraient suivre, comme l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et l'Indonésie dont les négociations semblent s'être accélérées dans la perspective d'une signature à la fin de l'année. Ce calendrier vous paraît-il réaliste ?
Je n'omets pas l'accord avec le Mercosur, le Marché commun du Sud, au sujet duquel nous nous prononcerons par une résolution transpartisane validée hier par la conférence des présidents. L'élection présidentielle brésilienne pourrait-elle changer la donne ?
Le Conseil affaires étrangères de demain intervient dans un contexte dense. Il abordera les relations commerciales de l'Union avec les États-Unis et la Chine, la réforme de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et les préparatifs de sa treizième conférence ministérielle. Cette réunion sera également l'occasion d'échanges avec vos homologues concernant les relations commerciales intracommunautaires et bilatérales. Quelles sont vos attentes à l'égard de ce rendez-vous semestriel et quelles positions entendez-vous y défendre ?
Sur l'exercice 2022, nous enregistrons un déficit record, de 164 milliards d'euros. Ce doublement par rapport à 2021 est en quasi-totalité imputable à la facture énergétique. De fait, l'an dernier, la plupart de nos réacteurs nucléaires étaient à l'arrêt : il fallait non seulement rattraper les deux années de maintenance non effectuée durant la crise du Covid mais des fissures dans une douzaine de réacteurs nécessitaient également des travaux lourds. Il a donc fallu importer plus d'énergie que par le passé ; or ces importations ont eu lieu alors que les prix avaient doublé, voire triplé du fait du choc énergétique provoqué par l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et dans un contexte de dépréciation de l'euro de 10 à 15 % par rapport au dollar. Cette balance énergétique a entraîné la balance commerciale dans un déficit considérable.
Au sein de ce déficit, 80 milliards sont structurels, en partie liés à la désindustrialisation de notre pays au cours des trente dernières années. Nous sommes en train d'inverser la tendance, avec davantage d'implantations que de fermetures d'usines – le solde est positif d'environ 300 usines – et la création d'emplois industriels. Cela nous permettra de ne plus importer certains biens, et même de recommencer à les exporter. L'autre partie de ce déficit structurel est liée à la faiblesse de nos petites et moyennes entreprises (PME) à l'exportation. Même si les chiffres s'améliorent, le nombre des entreprises exportatrices étant passé de 125 000 à 145 000 en moins de cinq ans, ils restent inférieurs à ceux de nos partenaires italiens et allemands et nous disposons de marges de progression. La première ministre présentera prochainement le plan « export », conformément à la feuille de route des 100 jours que s'est fixée le Gouvernement.
Malgré ce déficit de la balance des biens, des sources de satisfaction existent. La balance des services enregistre un excédent record d'un peu plus de 50 milliards d'euros, dont une partie est structurelle, liée au tourisme qui retrouve certains de ses niveaux d'avant la crise du Covid. La balance des services financiers s'améliore de 9 milliards d'euros. C'est une bonne nouvelle, qui passe souvent inaperçue. Elle témoigne du fait que la place de Paris a détrôné la City de Londres pour devenir la première place financière d'Europe, notamment pour le marché des capitaux. Cette évolution se confirme, avec le rapatriement de grandes banques et de salles de marché qui opéraient depuis Londres.
Quant aux bonnes performances des transports, elles sont en partie conjoncturelles, liées à la hausse du prix des conteneurs après la crise du Covid. Toutefois, les résultats de l'un des fleurons mondiaux qu'est l'entreprise française CMA-CGM risquent de refluer dans les prochaines années, en fonction du prix des conteneurs, qui a déjà baissé.
Des sources de satisfaction existent aussi dans la balance des biens. Ainsi, les exportations de produits agricoles ont crû de près de 37 % et les exportations automobiles ont quasiment retrouvé leur niveau de 2019. Même s'il reste une marge de progression dans l'aéronautique, les traditionnels champions de l'export ont tous enregistré des excédents : 23,5 milliards dans l'aéronautique, 2 milliards dans les parfums et 15 milliards dans les cosmétiques.
Enfin, comme nous l'avions annoncé, le déficit énergétique commence à reculer avec le retour à des niveaux de prix de marché d'avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie. En parallèle, notre parc de centrales nucléaires remonte en puissance. Nous n'avons plus besoin d'importer autant d'énergie, notamment électrique, que l'an dernier.
En somme, le déficit commercial conjoncturel s'effacera de lui-même avec le reflux des prix de l'énergie, et le déficit structurel doit être attaqué par la réindustrialisassions, ainsi que par le portage de nos PME à l'exportation.
J'en viens au Conseil des ministres de l'Union européenne consacré au commerce. Le premier point à l'ordre du jour concerne les relations entre l'Union européenne et les États-Unis et les négociations autour de l'IRA. La task force a avancé dans plusieurs domaines, comme celui des voitures en leasing, dans lesquels les conditions seraient les mêmes que pour les entreprises américaines. Nous pourrions également signer un accord – qui ne serait pas un accord de libre-échange – relatif aux minéraux critiques qui composent les batteries, dans une vision stratégique commune. Pour autant, la loi votée par le Congrès laisse peu de marges d'interprétation à l'administration américaine dans le cadre de l' executive power du président des États-Unis : l'administration ne pourra pas changer la loi et il est illusoire d'imaginer que le Congrès modifiera de lui-même l'IRA. L'Union européenne doit donc s'organiser et réagir. Plusieurs textes permettront de maintenir la compétitivité européenne dans les domaines concernés, comme le Green Deal Industrial Plan, le Critical Raw Materials Act ou encore le Chips Act.
Vous le savez, l'argent est le nerf de la guerre. En l'occurrence, l'Union européenne a déjà engagé, notamment au travers des plans de relance, 550 milliards d'euros : c'est plus que les 369 milliards de dollars investis par les États-Unis dans l'IRA. En France, qui plus est, des instruments permettent de surabonder certaines enveloppes. C'est le cas du plan France 2030, d'un montant colossal de 54 milliards d'euros. Nous parviendrons à maintenir l'attractivité de notre pays pour les grands investissements dans les énergies renouvelables et dans la transition énergétique. Je pense aux annonces de la semaine dernière lors du sommet Choose France, en particulier concernant l'implantation de ProLogium à Dunkerque. Si nous n'avions pas eu la capacité d'attirer ces projets, ils seraient partis ailleurs. Nous attendons de nouveaux crédits de l'Union européenne mais force est de constater que nous ne sommes pas démunis face aux États-Unis.
Le deuxième point à l'ordre du jour concerne les relations entre l'Union européenne et la Chine. Ce pays est à la fois un partenaire, un compétiteur et un rival systémique de la France et de l'Union européenne. Nous attendons que celle-ci crée des instruments permettant de maintenir une concurrence loyale sur les marchés. Nous serons donc vigilants quant au dumping qui pourrait être effectué, aux subventions qui pourraient être allouées à certaines entreprises et qui fausseraient la compétitivité-prix des produits chinois, ainsi qu'à la coercition que la Chine peut exercer sur certains pays. Plusieurs instruments existent déjà, comme les mesures anti-dumping, et d'autres seront progressivement instaurés, comme l'instrument anti-subventions ou l'instrument anti-coercition qui a fait l'objet d'un accord en trilogue et dont nous attendons l'adoption rapide.
Le troisième point porte sur la réforme de l'OMC. Lors de la douzième conférence ministérielle (MC12), en 2021, plusieurs avancées avaient été enregistrées. Je pense notamment à l'accord de lutte contre la pêche illégale et à d'autres, que nous souhaitons voir signer. Nous souhaitons aussi entamer les discussions relatives aux surcapacités de pêche et les voir aboutir lors de la MC13, à l'instar des accords visant à la protection des ressources. S'agissant de la réforme de l'organe de règlement des différends et de l'organe d'appel de l'OMC, des discussions sont en cours et plusieurs sujets ont été mis sur la table par les Américains. La France insiste pour que l'Union européenne incite ses partenaires à définir une organisation permettant de sanctionner les acteurs qui ne respectent pas les règles du jeu. Nous sommes convaincus de l'intérêt de maintenir un multilatéralisme et des règles du jeu pour le commerce mondial. Ne soyons pas naïfs : sans une OMC fonctionnant correctement, la loi du plus fort s'appliquera, au détriment d'un certain nombre de nos intérêts commerciaux. Mais ne soyons pas les seuls à continuer à appliquer les règles du jeu ! Nous avons une discussion assez franche avec nos amis chinois et américains à ce sujet. La manière dont les Chinois sursubventionnent certaines de leurs industries et celle dont les États-Unis ont instauré l'IRA, dont 200 milliards ne respectent pas les règles de l'OMC, sont des sources d'inquiétude. Il ne faudrait pas que l'Union européenne soit le dernier grand acteur à respecter les règles du commerce mondial. Un moment de vérité doit voir le jour à l'OMC, pour que celle-ci soit réformée et continue à fonctionner et pour que les règles du jeu que nous nous sommes fixées continuent à s'appliquer.
Le dernier point est celui des accords commerciaux. Le Conseil devrait autoriser la signature de l'accord avec la Nouvelle-Zélande en juin. Cet accord révolutionne la politique commerciale, avec l'accord de Paris comme clause essentielle, le règlement visant à enrayer la déforestation, la protection de la biodiversité ou encore les accords de l'Organisation internationale du travail (OIT) pour l'interdiction du travail forcé et du travail des enfants. Cette nouvelle politique commerciale remet l'humain et la planète en son cœur, tout en se dotant de mécanismes de sanction permettant de faire tomber les accords commerciaux en cas de non-respect.
Un instrument additionnel devrait être intégré au projet d'accord avec le Chili, qui avait été négocié avant celui avec la Nouvelle-Zélande, pour illustrer la nouvelle approche de la Commission européenne en matière de protection de l'humain et de la planète. Cet accord est également indispensable pour permettre à l'Europe de disposer de lithium pour ses batteries, puisque le Chili concentre 40 % des réserves mondiales.
Les négociations avec l'Australie avancent. Nous sommes très offensifs sur le volet agricole – la filière porcine nous y pousse – et nous avons des intérêts en matière de minéraux critiques.
Des discussions, plus compliquées, sont en cours avec l'Inde et l'Indonésie. Je ne suis pas certain qu'elles seront conclues d'ici à la fin d'année. Plusieurs points nécessitent encore d'être soulevés et dépassés, comme le contentieux relatif à l'huile de palme avec l'Indonésie.
Enfin, je ne doute pas que nous aurons l'occasion d'aborder, lors de nos échanges, le sujet du Mercosur.
Vous avez rappelé le contexte délicat marqué par l'IRA, les relations commerciales compliquées avec la Chine et les questions autour du Mercosur qui inquiètent tant nos agriculteurs.
La capacité de nos petites et moyennes entreprises à exporter est un enjeu de taille. Je ne rappellerai pas l'importance du tissu des PME pour l'économie de notre pays. Dans un contexte géopolitique difficile mais aussi de hausse des prix des matières premières et des coûts de l'énergie, nos PME et ETI ont enregistré de belles performances puisque, en un an et demi, le nombre de ces entreprises exportatrices est passé de 130 000 à près de 140 000, si mes chiffres sont exacts. Pour autant, nombre d'entre elles témoignent que l'adaptation de leurs produits aux normes des marchés étrangers, les efforts de promotion, la nécessité de disposer d'une logistique adaptée et l'obligation de traiter avec de multiples acteurs institutionnels sont autant de freins qu'il conviendrait de lever. D'autres pays proches de nous, comme l'Allemagne et l'Italie, enregistrent des performances plus prometteuses que les nôtres dans ce domaine. Quelles mesures le Gouvernement applique-t-il ou envisage-t-il d'instaurer pour soutenir les PME dans leur développement à l'international et favoriser leur accès aux marchés étrangers ?
Merci de souligner que les chiffres s'améliorent et qu'un plus grand nombre de PME s'engagent dans l'exportation. Pour autant, ce nombre reste insuffisant, comparé à ceux de nos voisins. L'accompagnement constitue le cœur de notre réponse au défi de l'exportation de nos PME. De fait, entre 80 et 90 % des entreprises accompagnées se maintiennent durablement à l'export, contre 40 % des entreprises non accompagnées. Tous les ans, 30 000 entreprises partent à l'exportation mais ne s'y maintiennent pas l'année suivante. Or il suffirait que, chaque année, la moitié d'entre elles y parvienne pour atteindre le chiffre de 200 000 entreprises exportatrices d'ici à 2030.
Cet accompagnement est la mission de la Team France Export (TFE), constituée de Business France, de BPIFrance, des chambres de commerce et d'industrie, des régions, des conseillers du commerce extérieur et de l'OSCI, la fédération des sociétés privées dédiées au développement international des entreprises. Il concerne à 90 % des PME. Les mesures que nous annoncerons, avec la première ministre et le Gouvernement, viseront à mieux les accompagner, notamment dans les salons et dans les foires, en leur procurant des ressources humaines et en leur proposant du mentorat, mais aussi en effectuant du porte-à-porte pour diffuser une culture de l'export.
La mondialisation et le libre-échange dérégulé, que le Rassemblement national a toujours dénoncés, ont laissé nos frontières grandes ouvertes. Nos industries et nos agriculteurs ont dû faire face à une concurrence déloyale. Les différences de salaire, de protection sociale, de normes sanitaires et, souvent, l'absence de normes écologiques les ont affaiblis et parfois contraints à mettre la clé sous la porte. Nous assistions alors à des délocalisations en masse. Aujourd'hui, vous dressez le constat de ce que nous avons toujours annoncé et dénoncé.
Devant les difficultés économiques, l'inflation, la délocalisation de nos industries et la souffrance de nos agriculteurs, vous évoquez l'application de mesures miroirs. Nous saluons cette prise de conscience mais cela ne rattrape pas le mal qui a déjà été fait, car il est plus facile de prévenir que de guérir. Pensez-vous que ces mesures permettront d'imposer les mêmes conditions de protection sociale – système de retraite, santé – et de normes environnementales ? N'est-ce pas un vœu pieux ?
Le 12 mai, le président de la République a appelé à une pause réglementaire européenne pour permettre la réindustrialisation de la France. Vous reconnaissez implicitement la nécessité d'un protectionnisme mais il reste tremblant et européen. Encore un peu de courage ! Si vous voulez bien défendre les Français, il faut favoriser le souverainisme. L' Inflation Reduction Act de nos amis américains en est la preuve. Qu'allons-nous réellement faire en la matière ?
Un rapport du Sénat de 2018 évoque les préjudices dont se plaignent les entreprises françaises : surcharge administrative, surcoûts massifs, contraintes commerciales et risques juridiques supplémentaires. Pourrez-vous les inclure dans les clauses miroirs ?
Vous déplorez des échanges commerciaux inégaux et vous reconnaissez que l'OMC peine à régler les différends, ce qui revient à mettre en cause le multilatéralisme. Depuis des années, le Rassemblement national promeut le localisme et la logique du « made in France » et des circuits courts, si importants pour notre économie, qui doivent être privilégiés. Lors du Conseil des affaires étrangères dédié au commerce du 25 mai, nous vous enjoignons de privilégier la défense des intérêts français, de notre indépendance énergétique et de la souveraineté commerciale de notre pays, plutôt que de proposer aux producteurs de l'autre bout du monde des normes de production que nous devrions appliquer.
Nous pouvons nous retrouver sur un point : durant des décennies, la politique commerciale européenne a peut-être été trop souple vis-à-vis du dumping qui pouvait s'exercer sur les plans sanitaire, environnemental et social. C'est la raison pour laquelle nous menons, depuis la présidence française de l'Union européenne de l'année dernière, une véritable révolution visant à réintroduire dans la politique commerciale la protection de l'humain et de la planète, mais aussi de la santé du consommateur, de l'environnement et des normes sociales. Cette révolution est permise par l'intégration de l'accord de Paris comme clause essentielle, des accords de l'OIT et des mesures miroirs qui consistent à imposer aux producteurs étrangers les mêmes normes que celles que nous imposons à nos propres producteurs, pour favoriser une concurrence loyale.
La différence entre vous et nous, c'est que vous pensez que l'on protégerait le pays en instaurant des murailles pour empêcher les produits des autres pays d'y entrer. Mais ces mêmes murailles empêcheraient nos propres produits de sortir. Or nombre d'entreprises françaises sont des champions à l'international. Si des murailles empêchaient leurs produits de sortir, 4 millions d'emplois disparaîtraient du jour au lendemain.
Nous pouvons construire des traités de commerce équitable et loyal, en particulier grâce aux mesures miroirs. J'en veux pour preuve le CETA – l'Accord économique et commercial global –, qui profite à l'agriculture française et a fait progresser les exportations de 30 %. Je sais que cela fait mal à tous ceux qui affirmaient que l'inverse se produirait mais nous exportons trois fois plus de bœuf français au Canada que nous n'importons de bœuf canadien en France. Cet accord est loyal et comporte des mesures miroirs. Sur ce modèle, nous pourrons construire de nouveaux accords favorables à notre agriculture, à nos producteurs et à notre économie.
Il y a une semaine, Emmanuel Macron recevait en grande pompe, à Versailles, 200 présidents de multinationales, parmi lesquels Elon Musk – un modèle pour le président de la République mais pas vraiment pour nous. D'abord, on peut fustiger le symbole douteux d'une rencontre entre des milliardaires et leurs amis macronistes. Les casserolades ont rappelé que nous n'aimions pas trop ce genre d'entre-soi, en France. Ensuite, on nous a annoncé des investissements étrangers, des industries prétendument vertes et une relance économique. Ces promesses peuvent sembler belles pour qui croit encore au libéralisme, au marché et à son autorégulation, mais elles ne nous convainquent pas vraiment.
Les choix commerciaux français et, a fortiori, européens ne tiennent aucunement compte de la reconfiguration des puissances dans le monde, des choix politiques récents de ces dernières ou des urgences sociales et écologiques. Il n'y a qu'à voir la multiplication des traités européens de libre-échange à l'heure du changement climatique – avec le Mercosur, avec le Japon pour le JEFTA, avec les États-Unis pour le TAFTA, avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Indonésie… Pour le Gouvernement, qui l'a encore rappelé hier lors des questions d'actualité, il convient seulement d'acter la prochaine augmentation de température de 4 degrés, sans pouvoir agir sur ses causes. On y peut pourtant quelque chose. Promouvoir des relations commerciales internationales fondées sur le codéveloppement et la coopération plutôt que sur la compétition et la guerre économique, cela pourrait être une solution. Changer nos modes de production, retrouver une agriculture paysanne respectueuse de l'environnement, ne pas avoir à importer du lait, des légumes ou du bœuf de l'autre côté du globe, cela pourrait être une solution. On pourrait aussi instaurer une taxe carbone aux frontières de l'Union européenne pour favoriser les productions écologiques de proximité, et ainsi de suite… C'est le choix qu'ont fait les États-Unis, qui n'ont pas hésité à rétablir des taxes douanières pour des produits venant de Chine mais aussi d'Europe.
Nous avons parlé de l' Inflation Reduction Act. Les États-Unis ont fait le choix d'investir massivement dans la transition énergétique, par opposition au Pacte vert industriel au sujet duquel Thierry Breton et Ursula von der Leyen ont à plusieurs reprises martelé qu'il ne s'agissait pas de protectionnisme, d'interventionnisme ou d'économie planifiée. En quoi ces pratiques sont-elles mauvaises ? Pourquoi ne peut-on pas les viser ?
Il faut protéger les industries stratégiques contre le pillage général par la finance. On nous a annoncé l'arrivée de multiples investisseurs et entreprises étrangères dans le Nord de la France, où des entreprises comme Samsonite ou Whirlpool ont dû mettre la clé sous la porte. Nous avons besoin d'une planification industrielle écologique, ambitieuse et protectionniste.
Je m'inscris en faux contre deux de vos affirmations. D'abord, vous dites que nous n'avons pas de taxe carbone aux frontières. Si : nous sommes en train d'instaurer le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), qui a précisément cette vocation. Ensuite, vous indiquez que nous ne consacrons pas un euro à la transition énergétique, contrairement aux États-Unis à travers l'IRA. Si : l'Union européenne s'y engage massivement, dans ses plans de relance d'un montant total de 550 milliards d'euros dont une partie va à cette transition. En France, la moitié des 54 milliards d'euros du plan France 2030 est consacrée à la décarbonation de notre industrie. Nous investissons donc massivement, comme les États-Unis, dans la transition énergétique et environnementale.
Concernant l'attractivité, la France a enregistré 1 259 projets d'investissements étrangers l'année dernière. Les vingt-huit grands projets annoncés lors du sommet Choose France, à Versailles, créeront 8 000 emplois. À Dunkerque, la seule usine de batteries ProLogium créera 3 000 emplois. Faut-il dire aux salariés qui les occuperont qu'il ne fallait pas accepter cet investissement et accueillir des entreprises étrangères en France ?
Nous avons une différence conceptuelle de taille. Votre projet est de faire de la France un grand Venezuela. Ce modèle ne nous fait pas rêver ! Nous pensons qu'il est possible de réindustrialiser la France. Nous ne partageons pas le programme de La France insoumise. Aux paroles, nous préférons les actes : 300 usines ouvrent, des milliers d'emplois industriels sont créés et le chômage n'a jamais été aussi bas depuis près de quarante ans. Le Gouvernement prend le taureau par les cornes et réindustrialise le pays en assurant, en parallèle, la transition énergétique.
Votre discours est le même que celui que tenaient Jean-Yves Le Drian et Jean-Baptiste Lemoyne. Lorsque vous êtes arrivés aux affaires, il y a six ans, vous teniez les mêmes propos, en affirmant que rien n'avait été fait au cours des trente dernières années et que tout allait changer ; or, six ans plus tard, au-delà de la crise énergétique et de celle du Covid que vous avez mentionnées et qui ont touché le monde entier, nous faisons encore preuve d'une forme de naïveté. J'aimerais avoir un ministre combatif, demain à Bruxelles, pour aborder le sujet du subventionnement de l'économie aux États-Unis et en Chine. Alors que l'État intervient massivement dans ces deux pays, l'Europe s'interdit de réguler et d'intervenir, considérant que les États ne doivent pas participer aux négociations ou subventionner l'économie, ce qui se traduit par une perte de parts de marché.
Bruno Le Maire – comme avant lui Jean-Yves Le Drian et Jean-Baptiste Lemoyne – explique que nous devons avoir des entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui exportent. Mais les chefs d'entreprise de la vallée de la Meuse, très industrielle, me disent ne pas savoir comment s'y prendre. Comment améliorer le dispositif et orienter davantage nos entreprises vers l'exportation ?
La France compte 145 000 entreprises exportatrices, contre 125 000 il y a cinq ans. J'estime que cela reste insuffisant et que nous pouvons faire beaucoup mieux : c'est la raison pour laquelle nous annoncerons un plan « export », avec des mesures d'accompagnement humain. La stratégie de Roubaix a déjà permis de coordonner les acteurs, d'accompagner les entreprises et de faire croître de 20 000 le nombre d'entreprises exportatrices. L'objectif est d'engager des mesures additionnelles qui permettront de compter 190 000 voire 200 000 entreprises exportatrices d'ici à 2030. Y parvenir requiert avant tout un accompagnement humain ; il ne suffit pas d'ajouter des milliards aux milliards.
Par ailleurs, l'Union européenne a radicalement changé de position quant à sa capacité à intervenir dans l'économie. Au cours de la crise du Covid, un plan de relance de 750 milliards d'euros a été engagé pour soutenir nos entreprises, avec un endettement commun que l'Europe s'était toujours refusée à accepter. Cela n'a été fait nulle part ailleurs dans le monde. En France aussi, nous avons protégé les entreprises et les citoyens de façon inédite. Nous sommes aux côtés des entreprises pour investir dans la transition, avec un plan France 2030 doté de 54 milliards d'euros. Les instruments et les opérateurs sont là. L'argent est sur la table, tant au niveau de l'Union européenne qu'à celui de l'État. Nous n'avons rien à envier aux États-Unis ou à la Chine.
Nous devons faire en sorte que l'Union européenne soit ferme, au travers de ses dispositifs, pour que la concurrence reste loyale entre les différentes parties du monde. Je le dirai demain à Bruxelles, comme je l'ai dit lors des précédents conseils des ministres de l'Union européenne.
Notre commission reconnaît unanimement que l'Union européenne tend à passer du concept d'exemplarité en matière de libre concurrence – que le président de la République a qualifiée de « naïveté » – à une exigence de réciprocité. Nous avons toujours défendu ce virage et nous commençons à être entendus, bien qu'encore trop timidement.
Je suis ravi que notre commission discute des relations commerciales que la France et l'Union européenne entretiennent avec la Chine et les États-Unis. En prévision du Conseil des affaires étrangères dédié au commerce, il est essentiel de s'arrêter un instant sur les enjeux des négociations commerciales en cours : je pense notamment à l'objectif de souveraineté européenne. La promulgation de l'IRA menace les intérêts commerciaux de l'Union européenne. Certains des paquets d'allégements fiscaux et des subventions qui y sont prévus enfreignent les règles commerciales de l'OMC.
La situation est d'autant plus alarmante que, dans de nombreux domaines, l'écart entre l'Union européenne et nos partenaires chinois et américains demeure trop important, en particulier dans l'industrie des semi-conducteurs. Les États-Unis sont en tête pour le design et les équipements, tandis que la Chine est souveraine dans la fabrication, l'assemblage et le conditionnement. L'Union européenne contribuant faiblement à la fabrication de ces produits, elle dépend encore une fois des économies américaine et chinoise. Aussi est-il essentiel d'établir un plan permettant de protéger la souveraineté de l'Union, en réduisant sa dépendance aux importations américaines et chinoises. Comme vous l'avez affirmé, si ses concurrents ne changent pas leurs habitudes, l'Union européenne doit réagir en compensant leurs effets négatifs par des droits de douane plus élevés et en renforçant ses instruments de défense commerciale.
Je salue, au nom du groupe Démocrate, les travaux du Gouvernement qui ont permis à la France de développer son activité en accueillant des usines, notamment par le biais du groupe franco-italien STMicroelectronics. Ces avancées sont majeures pour assurer notre souveraineté. Nous devons continuer en ce sens et amener l'Union européenne vers cette souveraineté. Comment comptez-vous embarquer nos alliés européens, en particulier les Allemands, nos principaux partenaires, dans cette politique globale de souveraineté, pour cette filière comme pour l'ensemble des filières industrielles ?
L'Union européenne soutient, par ses investissements stratégiques, une politique de souveraineté stratégique dans plusieurs domaines. Le Critical Raw Materials Act et le Chips Act sont respectivement consacrés aux minéraux critiques et aux microprocesseurs, deux secteurs dans lesquels il est impératif que nous dispositions de capacités souveraines de production et d'approvisionnement.
Certains minéraux critiques, indispensables à la construction de batteries, ne se trouvent pas en Europe, d'où l'importance des traités de commerce qui nous permettent d'y avoir un accès direct. Sans batteries, il n'y aura pas de voitures électriques, donc pas de transition énergétique. Il importe de le rappeler, notamment à ceux qui s'opposent aux traités de commerce.
S'agissant des microprocesseurs, l'alliance entre STMicroelectronics et GlobalFoundries a permis d'investir 5,3 milliards d'euros dans la construction d'une nouvelle usine de production à Crolles. Pour ceux qui ne voient pas l'intérêt de ces microprocesseurs, je rappelle qu'une voiture normale en dénombre 3 000 aujourd'hui et qu'une voiture électrique en comptera 7 000 demain. Ces composants ne concernent pas seulement les téléphones portables et les outils de communication : nous en aurons besoin sur le plan industriel. Aussi investissons-nous massivement, avec des fonds français mais aussi européens, pour bâtir cette industrie. Le plan France 2030 consacre 5 milliards d'euros à ce secteur stratégique, dont 800 millions sont dédiés à la recherche et au développement de semi-conducteurs ultraminces, inférieurs à 10 nanomètres.
J'ajoute que nous devons nous montrer fermes quant à l'application du principe de réciprocité par nos partenaires. Nous ne pouvons pas être ouverts au monde si les autres n'ouvrent pas leurs marchés. Nous appliquerons ce principe de réciprocité de la manière la plus déterminée.
Nous sommes tous préoccupés par la dégradation du solde de notre commerce extérieur, et pas uniquement pour les raisons conjoncturelles que vous avez mises en avant. Nous avons également tous bien compris l'enjeu qu'a représenté votre récent déplacement en Asie centrale, afin de renforcer nos relations commerciales avec les États concernés. Pour autant, il ne faut pas que ces relations commerciales se fassent au détriment de notre souveraineté, de filières nationales fortes ou de la priorité donnée au climat.
Vous avez cité l'accord avec le Mercosur comme le type de traité commercial de libre-échange dont nous ne voulions plus – c'est en tout cas ce qu'affirme le Gouvernement à chaque fois qu'il est interrogé à ce sujet. Or je note une contradiction entre ce que vous proclamez et ce que vous avez signé. En effet, le traité conclu avec la Nouvelle-Zélande lors de la présidence française de l'Union européenne fragilise certaines de nos filières : je veux témoigner de ce que les agriculteurs nous disent concernant la traçabilité des produits importés et l'autorisation d'utiliser des produits interdits chez nous, comme l'atrazine. Soyons lucides et honnêtes intellectuellement ! Quelle sera la position du Gouvernement français s'agissant de la ratification du traité conclu avec le Mercosur, au moment où l'Union européenne tente de le découper en tranches pour mieux le faire passer ? Par ailleurs, quelle est votre position vis-à-vis de la résolution transpartisane qui sera soumise au Parlement ?
Je m'inscris en faux contre vos propos concernant l'accord avec la Nouvelle-Zélande, que nous signerons probablement en juin. Cet accord de nouvelle génération protège l'humain et la planète comme jamais aucun accord de libre-échange ne l'a fait.
Je connais bien le dossier de l'atrazine pour avoir été maire d'une commune – dans laquelle je réside encore – dont l'eau a été polluée par cette substance durant des décennies. Le traité impose le même seuil de détection que celui que nous appliquons chez nous. En effet, même si l'atrazine est interdite en France, il en reste dans les sols, de même que ses molécules de décomposition telles que la déséthylatrazine. La règle est très stricte : la France n'importera pas de produits contenant de l'atrazine au-dessus de son seuil de détection. Je reçois tous les mois les filières agricoles au ministère et j'entends leurs craintes ; je leur demande de conduire une politique offensive, et pas seulement défensive. Nous sommes défensifs quand il faut l'être mais nous voulons aussi être offensifs. C'est d'ailleurs en ce sens que nous menons les négociations avec l'Australie concernant la filière porcine. En outre, force est de constater que les craintes ne se réalisent pas toujours. Je l'ai dit pour le CETA : alors qu'on nous affirmait qu'il était le « dernier clou enfoncé dans le cercueil de la filière bovine », nous exportons trois fois plus de viande bovine au Canada que nous n'importons de viande bovine canadienne. C'est une réalité. Cinq ans d'expérience nous permettent de le savoir.
S'agissant du Mercosur, la position de la France est très claire. Nous discutons avec ces pays depuis vingt ans, puisque le mandat de la Commission européenne date de 1999. La France attend que l'Europe rehausse ses ambitions vis-à-vis du Mercosur, en posant plusieurs conditions : inclure l'accord de Paris comme élément essentiel dans l'instrument additionnel ; modifier le chapitre consacré au commerce et au développement avant l'entrée en vigueur de l'accord, pour l'aligner avec nos plus hauts standards et prévoir des sanctions commerciales en cas de non-respect ; renforcer les mesures miroirs, ainsi que l'a annoncé le président de la République, pour protéger davantage nos producteurs contre une concurrence déloyale, qu'elle soit sanitaire, environnementale ou sociale. Ces conditions sont sur la table. Je les ai rappelées à plusieurs reprises au Conseil des ministres de l'Union européenne et je le referai lorsque nous discuterons de votre proposition de résolution la semaine prochaine.
L'Indopacifique s'impose comme l'espace commercial stratégique du XXIe siècle. La montée en puissance de la Chine a bouleversé les équilibres traditionnels. Le centre de gravité de l'économie mondiale s'est déplacé vers cette zone qui compte désormais six pays membres du G20. Ce tropisme chinois ne risque-t-il pas de nous aveugler et de nous faire perdre de vue d'autres enjeux et d'autres espaces commerciaux ? Je pense notamment au sous-continent américain.
Sans parler de désintérêt de la France pour l'Amérique latine, notre diplomatie économique n'exprime-t-elle pas une forme de désengagement pour cette zone au moment même où les États-Unis, totalement obnubilés par la Chine, délaissent le sous-continent américain ? Cette zone compte un grand nombre de pays qui entretiennent depuis longtemps des relations positives avec la France mais dont la francophilie risque de s'éroder si l'on ne l'entretient pas assez. Cet éloignement relatif n'explique-t-il pas en partie les difficultés du dialogue sur l'accord avec le Mercosur ?
La zone indopacifique est stratégique pour la France, qui en fait partie puisque plus de 1,6 million de nos concitoyens vivent dans les territoires français de l'Indopacifique et que plus de 2 millions de Français résident dans les autres pays de la zone. C'est là que bat le cœur économique de la planète, probablement encore pour plusieurs années, et que vit une grande partie de l'humanité.
Pour autant, je ne pense pas que nous nous désintéressions de l'Amérique latine. Au contraire : un accord est en phase de signature avec le Chili, où je me rendrai, ainsi qu'au Brésil, pour entretenir le dialogue avec les communautés françaises et les autorités de ces pays. Un accord est également en discussion avec le Mexique. Nous sommes toujours en discussion avec les pays du Mercosur – certes, depuis vingt ans, mais cela montre que nous cherchons à entretenir des relations commerciales, avec une politique de commerce équitable et loyal.
Nous investissons également dans certains de ces pays, par exemple dans les minéraux en Argentine, où Eramet est en train de construire une mine, mais aussi dans le lithium au Chili et dans le smartfloor au Mexique. Nous entretenons ces relations stratégiques, qui vont dans le sens de la souveraineté européenne dans l'accès aux matières premières.
Vous nous avez déjà apporté quelques réponses, pas toujours satisfaisantes, mais nos interrogations demeurent concernant le Mercosur. Nous avons entendu que le changement de président au Brésil pourrait corriger la situation ; je n'en suis pas sûr, puisque nous parlons ici de commerce. J'estime que les accords commerciaux doivent intégrer l'accord de Paris mais aussi prendre en compte l'avenir de la forêt amazonienne. Nous devons peser dans tous ces domaines ; or nous doutons que la France y soit prête.
Que pensez-vous de l'accord d'association entre l'Union européenne et le Maroc ? La Cour de justice de l'Union européenne a jugé illégal le commerce de marchandises originaires du Sahara occidental mais la France et l'Europe tentent systématiquement de contourner cet arrêt. Toutefois, nos relations avec le Maroc s'étant dégradées, peut-être pourrions-nous remettre les pendules à l'heure et respecter le droit international.
S'agissant du déficit du commerce extérieur, il va falloir nous expliquer les choses. Vous affirmez qu'il faut réindustrialiser le pays pour éviter d'avoir un tel déficit ; mais vous parlez ensuite toujours de l'Europe, comme d'ailleurs en matière de souveraineté, par exemple pour les médicaments. Or, quand il est question de commerce extérieur, c'est bien de la France qu'il s'agit, car je présume que notre déficit commercial résulte aussi de nos échanges avec les pays européens.
Enfin, quel regard portez-vous sur la répartition géographique de la réindustrialisation, en termes d'aménagement du territoire ? Les collectivités d'outre-mer semblent toujours être les grandes oubliées. On se demande même si l'Europe tient compte des territoires d'outre-mer français.
Il n'est pas simple de répondre brièvement à toutes ces questions.
Concernant le Mercosur, personne n'a jamais dit que l'élection de M. Lula permettrait miraculeusement la signature de l'accord, même s'il est plus simple de discuter avec lui qu'avec M. Bolsonaro. Nos exigences restent rigoureusement les mêmes ; en revanche, nous ignorons si la position du Brésil changera. C'est le cas dans le discours mais il reste à savoir si cela se traduira dans les faits. Je rappelle que l'Union européenne a adopté un nouvel instrument, le règlement contre la déforestation et la dégradation des forêts, qui s'appliquera aux nouveaux traités de commerce, y compris à celui avec le Mercosur s'il devait être signé. Il est hors de question d'importer en Europe et en France des produits cultivés ou élevés dans des terres gagnées par la déforestation de l'Amazonie.
Nous investissons au Maroc. La France et l'Union européenne souhaitent continuer d'entretenir avec ce pays de bonnes relations, non seulement diplomatiques mais aussi commerciales.
La réindustrialisation est nécessaire pour lutter contre le déficit commercial. En effet, quand on n'a plus d'industrie, non seulement on est obligé d'importer les produits qu'on ne fabrique plus mais on ne peut plus non plus les exporter : c'est la double peine. La réindustrialisation est donc capable d'inverser, à terme, notre déficit commercial. Le plan France 2030 lui consacre 54 milliards d'euros.
Enfin, les territoires d'outre-mer ne sont pas oubliés, ni dans la réindustrialisation, ni dans le commerce international. J'étais en Nouvelle-Zélande il y a deux mois, avec des entreprises polynésiennes et néocalédoniennes, pour voir comment projeter ces dernières dans l'Indopacifique, afin que nos territoires ultramarins puissent s'enrichir et bénéficier du commerce international réalisé dans cette zone.
Par-delà vos explications très complètes, vous nous roulez dans la farine avec des éléments de langage que l'on entend depuis des années !
Vous êtes au pouvoir depuis six ans et nous enregistrons un déficit extérieur record, lequel n'est pas seulement lié au Covid et aux prix de l'énergie, comme le montre la comparaison avec les autres pays européens. Vous annoncez des projets magnifiques, à renfort de propagande : c'est très bien, et je me réjouis de voir des emplois arriver en France. Mais pourquoi continuez-vous d'aligner le prix de l'électricité dans notre pays sur celui du gaz allemand, ruinant du même coup des milliers de PME ? C'est une bonne chose de développer des entreprises exportatrices mais que se passera-t-il s'il n'y a plus de PME ? Combien de PME ferment parce qu'elles ne peuvent pas assumer leurs factures d'électricité, alors que nous pourrions produire trois à quatre fois moins cher grâce à notre industrie nucléaire, comme l'ont fait l'Espagne et le Portugal ? Je ne comprendrai jamais comment un gouvernement peut suicider nos entreprises tout en faisant du grand cinéma lors de sommets à Versailles. C'est insupportable ! Pourquoi ne faisons-nous pas comme l'Espagne et le Portugal ? Cela permettrait de doper nos entreprises.
Je n'accepte pas vos propos relatifs à l'accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande. J'ai lu tous les arguments de la fédération ovine. Après avoir parcouru 22 000 kilomètres dans des sacs d'azote, le kilo d'agneau se vend à 10 euros, quand il est produit à 23 euros en France. Nous importons la moitié de notre consommation de viande ovine, le nombre de brebis a été divisé par deux en vingt ans, et l'on va encore signer un accord pour 38 000 tonnes ? C'est complètement délirant ! Vous nous faites du grand cinéma au sujet des clauses miroirs. Certes, c'est un progrès, mais c'est surtout de l'habillage pour poursuivre la même politique.
S'agissant de l'accord avec le Chili, il y a finalement une scission, contrairement à ce que vous aviez annoncé.
Enfin, je connais bien l'affaire du Mercosur. Je suis président du groupe d'amitié France-Brésil et je me suis récemment rendu dans ce pays. Quand on voit ce qui s'y passe en matière de déforestation, quand on voit que 46 % des pesticides utilisés au Brésil sont interdits en Europe et quand on voit le désastre écologique en cours dans ce pays que j'aime, signer l'accord avec le Mercosur serait une pure folie ! Or vous allez vous trouver au pied du mur, parce que l'Allemagne et la Commission européenne veulent le signer. La pression est énorme. Le Gouvernement sera-t-il cohérent, ou continuera-t-il à nous enfumer en nous servant toujours le même discours jamais traduit par des actes ?
Ma réponse à votre interpellation sera d'abord politique. En matière de commerce et de relations extérieures, nous ne sommes d'accord sur rien, puisque votre stratégie consiste à isoler la France. Or les stratégies proposées par les souverainistes, de droite comme de gauche – généralement plutôt aux extrêmes –, entraîneraient la ruine de notre pays. Construire des murailles, c'est empêcher les produits des autres pays d'entrer mais aussi nos propres produits de sortir. Vous ne le dites jamais mais les entreprises qui exportent seraient ruinées par les mesures que vous proposez.
L'accord avec la Nouvelle-Zélande sera profitable à la France. Vous citez les chiffres avancés par la filière ovine mais vous omettez de dire que les quotas de l'OMC concernant l'agneau – donc hors du traité avec la Nouvelle-Zélande – ne sont pas atteints par la France, pour des questions de diversification. Nous favorisons cette même diversification dans la filière porcine, afin que la Chine ne soit pas notre principal client. Ce faisant, les accords de commerce profitent à nos filières.
Nous sommes à la manœuvre pour découpler le prix de l'électricité de celui du gaz.
Des négociations sont en cours avec nos partenaires européens pour trouver une nouvelle formule de calcul. Nous avons bon espoir qu'elles aboutissent prochainement et que nous puissions offrir à nos consommateurs, qu'il s'agisse des entreprises ou des particuliers, un prix de l'électricité au plus proche du prix de production à l'unité marginale.
Alors que l'IRA comporte des mesures historiques en termes de réduction des émissions de CO2, les États-Unis comptent stimuler la production de technologies vertes. Plusieurs milliards de dollars ont été accordés sous forme d'incitations fiscales – subventions et crédits d'impôt –, mais celles-ci restent assorties d'exigences strictes en matière de composants locaux : les entreprises qui veulent en bénéficier doivent s'approvisionner en Amérique du Nord, à quelques exceptions près – notamment pour l'Amérique latine –, par le biais du nearshoring. Outre la volonté de réduire l'inflation et de protéger l'emploi américain, ces mesures visent à réduire la dépendance des États-Unis à l'égard d'entités étrangères préoccupantes dans des secteurs essentiels. Nous avons évoqué ce que l'Europe allait faire en réponse à l'IRA. Agirons-nous aussi pour réduire nos dépendances vis-à-vis de la Russie et de la Chine ?
Au-delà de l'accord avec le Mercosur, quelle stratégie allons-nous adopter pour nous rapprocher de nos partenaires historiques et stratégiques en Amérique latine ? Ce rapprochement stratégique est très attendu par la communauté française sur place, en particulier par les milliers d'entreprises françaises qui participent au rayonnement de la France et sont affectées par ces politiques commerciales.
Avec la Chine, nous ne menons pas une stratégie de découplage, à l'instar des États-Unis, mais plutôt une stratégie de de-risking. Cela signifie que nous souhaitons colocaliser certaines productions pour ne pas dépendre exclusivement de nos partenaires chinois.
Cette stratégie de de-risking implique des relocalisations, en France, d'entreprises stratégiques et souveraines, tandis que d'autres entreprises, moins stratégiques et moins souveraines, pourront être relocalisées ou colocalisées dans des territoires d'Asie centrale, de la zone indopacifique, d'Afrique et d'Amérique latine, où il existe souvent une main-d'œuvre qualifiée et abondante. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je me rendrai au Brésil et au Chili dans quinze jours.
Nous pourrions peut-être employer le mot de « sécurisation », plus compréhensible que l'anglicisme « de-risking ».
Venant d'une région majeure, voire emblématique de la production avicole française, la Bresse, où même les poulets sont « bleu-blanc-rouge » et dotés d'appellations et de papiers en règle, j'aimerais évoquer les difficultés que rencontrent les éleveurs français de volailles. Ils font face à une concurrence moins regardante sur le bien-être animal et à une main-d'œuvre moins bien payée, sans pour autant bénéficier de barrières commerciales. Pire encore, les importations extra-européennes sont camouflées à leur entrée dans l'Union européenne, le poulet brésilien devenant par exemple néerlandais à son arrivée à Rotterdam. Le dernier problème en date, pour nos producteurs, est l'ouverture du marché européen aux volailles ukrainiennes, depuis mai 2022, avec la levée des droits de douane en solidarité avec ce pays. Bien que nous soutenions cette solidarité avec le peuple ukrainien, nos producteurs avicoles ne doivent pas y laisser des plumes. Face aux difficultés de leurs producteurs, la Pologne, la Slovaquie et la Hongrie ont choisi de fermer leur marché aux nombreux produits agricoles ukrainiens, une décision qui a été jugée inacceptable. Quelle est la position du Gouvernement s'agissant d'une éventuelle restriction de l'accès au marché européen des poulets ukrainiens, qui pourrait être discutée au Conseil ?
Le Gouvernement est solidaire avec les éleveurs dans le contexte d'épizootie qui frappe durement la filière volaille, que nous devons protéger face à cette terrible grippe aviaire. Nous le faisons à travers les mesures miroirs, en particulier l'interdiction d'importer des produits animaux ayant fait l'objet d'utilisation d'antibiotiques comme facteur de croissance, conformément au règlement européen adopté le 27 février dernier.
Nous sommes très attentifs à la situation ukrainienne et n'excluons pas d'activer, si cela s'avère nécessaire, les mêmes clauses de sauvegarde que la Pologne ou d'autres pays. Cela prouve que ces clauses sont utiles et fonctionnent quand on les applique.
Il est important de faire de la politique et j'apprécie ce débat. Cependant, ma question sera très technique. Des PME et des grands groupes français veulent aller en Ukraine et participer à la reconstruction du pays mais, dans une forme de schizophrénie, nous leur demandons de le faire tout en leur interdisant de s'y rendre, du fait de cette mesure administrative qu'est la couleur de l'Ukraine sur la carte publiée sur le site du ministère. Je comprends que l'Ukraine soit coloriée en rouge pour empêcher le tourisme mais nous devons permettre à nos entreprises de s'y rendre et de discuter avec leurs assureurs pour prouver qu'elles s'y trouvent. Nous appelons l'attention de votre administration sur cette contradiction depuis août ou septembre. Ce problème purement technique doit être réglé car il bloque nos entreprises et explique les six mois de retard que nous accusons par rapport aux Italiens et aux Allemands.
Nous devons effectivement inciter nos entreprises à participer à la reconstruction de l'Ukraine. Nous le faisons, par exemple, dans le cadre du salon qui s'est tenu à Varsovie et auquel plusieurs entreprises françaises étaient présentes. Nous avons nommé un nouveau directeur pays de Business France pour l'Ukraine et, en début d'année, le président de la République a nommé un envoyé spécial pour l'aide économique et la reconstruction de l'Ukraine, en la personne de Pierre Heilbronn. Nous réfléchissons à la question fondamentale des assurances et à la création d'un mécanisme permettant d'assurer les entreprises contre les risques liés à la guerre en cours sur le sol ukrainien.
Il est compliqué de modifier la couleur rouge de la carte de l'Ukraine sur le site internet du ministère : cela pourrait être interprété comme une incitation à se rendre dans ce pays pour des raisons touristiques, ce qui n'est pas possible compte tenu des risques actuels.
Pour la quatrième année, la France est le pays le plus attractif d'Europe pour les investissements étrangers. On a pu le constater à l'occasion des annonces d'implantation d'usines dans le Nord et lors du sommet organisé la semaine dernière à Versailles. Cette capacité à attirer massivement les investisseurs étrangers est le fruit des négociations que nous menons et des accords commerciaux que nous concluons à l'échelle française et avec nos partenaires européens.
Depuis quelques années, un accord de libre-échange est en cours de négociation entre l'Australie et l'Union européenne. Nos relations bilatérales avec l'Australie ont souffert de la rupture du contrat de livraison de sous-marins français, posant alors la question de l'aboutissement de ces négociations. Depuis, la situation semble s'être un peu normalisée. Dès lors, pourriez-vous nous donner un peu plus de détails sur l'avancement des négociations, qui pourraient aboutir à un partenariat commercial majeur dans la zone indopacifique ?
Nos relations avec l'Australie ont souffert de l'affaire AUKUS mais le gouvernement australien qui avait pris cette décision a été lourdement battu dans les urnes et nous avons noué de très bonnes relations avec celui qui lui a succédé. Je me suis rendu en Australie et j'ai reçu mon homologue australien en France. Les négociations avec ce pays avancent bien. Comme je l'ai dit, nous poussons certains intérêts de manière offensive, en particulier pour la filière agricole ; j'ai parlé de la filière porcine mais je pense également à la filière charcuterie, qui souhaite s'implanter davantage en Australie. Nous poussons aussi l'industrie agroalimentaire et nous avons des intérêts stratégiques dans les minerais critiques afin d'alimenter notre propre transition énergétique.
Les négociations avancent. J'ignore si elles se concluront rapidement. Ce pourrait être le cas d'ici à la fin de l'année si le rythme est tenu. Trouver l'équilibre que nous recherchons serait une bonne nouvelle pour la France.
Avant le début du conflit en Ukraine, 95 % du fret ferroviaire entre la Chine et l'Europe transitaient par le corridor Nord du China-Europe Railway Express, qui relie l'Allemagne à la Chine en passant par la Russie. À la suite des sanctions contre cette dernière, le volume de fret ferroviaire eurasiatique a diminué de 80 %, alors qu'il est principalement constitué de convois transportant du matériel électronique et des pièces destinées aux machines et aux véhicules. La carte des approvisionnements a été largement réorganisée plus au Sud, sans permettre de retrouver le même volume d'échanges. L'entreprise française Decathlon, par exemple, a été mise en difficulté par cette coupure de la voie d'approvisionnement. En Allemagne, BMW a dû cesser tout le transport ferroviaire passant par la Russie. Le recours au corridor transcaspien s'est imposé mais celui-ci est plus difficile d'accès puisqu'il nécessite de traverser la mer Noire, la mer Caspienne et de nombreux pays. Comment le commerce français avec l'Orient s'effectuera-t-il au cours des prochaines années ?
Nous prêtons une grande attention aux voies du commerce mondial, lequel passe à 90 % par la mer. Les 10 % restants se font majoritairement par des transports terrestres, le ferroviaire étant alors privilégié par rapport à la voie routière. Il y a quinze jours, je me suis rendu au Kazakhstan et en Ouzbékistan, où j'ai pu étudier les questions relatives aux voies d'accès. Nous y travaillons avec nos partenaires. Je rappelle que cette difficulté, qui peut handicaper certaines entreprises dans l'acheminement de leurs matériels, a été créée par la Russie : c'est la Russie qui a envahi l'Ukraine et provoqué les sanctions. Couper des voies d'accès n'était pas une décision brutale de l'Union européenne. Nous espérons que la Russie mettra fin le plus rapidement possible au conflit, qu'elle se retirera de l'Ukraine et qu'elle restaurera la souveraineté territoriale intégrale de ce pays : cela permettra un rétablissement des voies de communication classiques.
Le déficit commercial français atteint des sommets, à 164 milliards d'euros. Il n'est pas seulement lié à l'énergie : ainsi, le déficit lié aux produits manufacturiers a doublé depuis 2019, passant de 35 à 78 milliards d'euros. Selon une note du haut-commissariat au plan, nous sommes déficitaires pour les deux-tiers des produits. Or, malgré la crise du Covid qui a montré combien nous étions « à poil », malgré la guerre en Ukraine qui a montré notre dépendance, votre discours reste inchangé : il faut aller chercher le capital des multinationales anglo-saxonnes et faire la danse du ventre lors de Choose France plutôt que de mobiliser le capital national qui, d'après la note du haut-commissariat au plan, n'est pas au rendez-vous.
On nous rabâche depuis quarante ans qu'il faut exporter plus et vous nous parlez vous-même d'un plan « export ». Pourtant, notre premier objectif devrait être d'importer moins. Plutôt que de signer des accords de libre-échange, il faudrait négocier des accords de coopération.
Lors de son voyage en Chine, de quoi le président de la République a-t-il discuté, en matière de déficit commercial, avec le président chinois ? L'accord avec le Mercosur passera-t-il devant l'Assemblée nationale ?
La France est favorable à ce que l'accord avec le Mercosur, qui n'est pas tout à fait de même nature que ceux que nous avons signés avec d'autres pays, fasse l'objet d'un vote des Parlements nationaux.
Concernant la réindustrialisation, nous sommes d'accord, pour une fois : c'est par la réindustrialisation qu'on importera moins et qu'on exportera plus. En rapatriant des usines en France et en Europe, nous serons moins dépendants de l'extérieur et nous pourrons produire et exporter des biens à l'étranger, comme nous le faisions avant les années 1990 durant lesquelles nous avons massivement désindustrialisé notre pays.
Lors de sa visite en Chine, le président de la République a rappelé au président Xi les positions défendues par la France. Il a également souhaité que nous puissions conserver notre partenariat économique tout en « dérisquant » ou en sécurisant certains approvisionnements par le rapatriement d'industries stratégiques en France. La crise du Covid a montré qu'on ne peut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Ce n'est pas une politique de défiance vis-à-vis de la Chine mais une politique de diversification de notre production et de nos approvisionnements.
On vous a accusé de répéter des éléments de langage. Mais cela fait six ans que j'entends les mêmes éléments de langage concernant l'AECG, pour utiliser l'acronyme francophone du CETA, lequel déstabiliserait les importations bovines. Il serait intéressant de connaître la réaction des députés qui ont refusé cet accord de libre-échange par idéologie et par principe, alors que les faits montrent qu'il a des effets vertueux pour notre économie.
Toutefois, ma question s'adresse à vous, monsieur le ministre, puisque c'est vous qui êtes auditionné. Le tribunal des conflits n'a toujours pas pris effet, faute de ratification. Pensez-vous que, si tel était le cas, il renforcerait les règles du jeu du traité ?
Vous avez raison de rappeler que le CETA, à l'égard duquel beaucoup nourrissaient des doutes lors de sa ratification par l'Assemblée nationale, est un succès pour la France. Il a ainsi permis une augmentation de 30 % des exportations agricoles et de 37 % des exportations dans tous les domaines couverts par le traité. Nous avons donc beaucoup gagné à son application.
Par ailleurs, il est essentiel, quand on fixe des règles du jeu, que des instances puissent arbitrer en cas de non-respect des obligations de l'un ou l'autre des partenaires – ce qui n'est pas le cas. Nous gagnerions donc à ce que le tribunal des conflits prenne effet, comme nous gagnerions, au niveau mondial, au déblocage de l'organe d'appel de l'OMC et à la réforme de son organe de règlement des différends.
Je rentre d'Israël et, ces dernières semaines, j'étais en contact avec la direction d'Alstom. Un contrat de plus de 1 milliard d'euros devrait être signé entre Alstom et l'État d'Israël : nous croisons les doigts en attendant la décision.
Par ailleurs, l'Italie, où vous vous rendez cette semaine, est un pays frère et démocratique qui supporte souvent seul la crise migratoire depuis plus de dix ans. Elle ne doit pas être la victime collatérale d'un duel entre certains ministres Renaissance et le Rassemblement national. Je le dis avec tout le respect et l'amitié que j'ai pour le ministre de l'intérieur. Député des Français d'Italie, je vous assure que ces attaques ont un effet désastreux et sèment le trouble chez nos compatriotes.
Depuis deux ans, les retraités français en Italie sont confrontés à une terrible injustice fiscale, avec une imposition italienne sur leur pension de source française. Le Gouvernement refuse de résoudre cette situation. Il suffirait pourtant d'amender la convention fiscale bilatérale entre nos deux pays afin que les retraites soient uniquement imposées en France, comme c'est le cas pour tous les autres pays.
Le ministre va vous répondre mais cette question pourrait aussi être posée à M. Gabriel Attal.
Je me réjouirais de la conclusion d'un contrat entre Alstom et Israël. Nous suivrons ce dossier comme le lait sur le feu.
Avec l'Italie, nous entretenons une relation ancienne, empreinte d'amitié et de solidarité, et fondée sur le respect mutuel entre nos pays et nos dirigeants. C'est l'esprit du traité du Quirinal, et c'est dans ce même esprit que je me rendrai à Rome, où je m'entretiendrai avec la communauté française. Je suis au courant des difficultés que vivent nos compatriotes retraités, ainsi que les plus démunis. Nous essaierons de travailler avec Bercy pour trouver une issue favorable à ce dossier.
Pendant de nombreuses années, l'OMC a été considérée comme l'institution symbolique du commerce international, garante du bon développement de la mondialisation. Or, du fait des diverses crises auxquelles nous sommes confrontés, les échanges commerciaux internationaux se heurtent à des obstacles. Les dynamiques commerciales mondiales évoluent et engendrent de nouveaux défis pour notre Union européenne. En parallèle, la montée du protectionnisme et des mesures unilatérales constitue un enjeu majeur pour le système commercial multilatéral. La concurrence accrue des économies émergentes met nos industries européennes sous pression. Une approche stratégique et coordonnée au niveau de l'Union européenne est donc nécessaire. Comment comptez-vous renforcer la compétitivité de nos entreprises sur les marchés mondiaux, tout en préservant les normes sociales, environnementales et de qualité auxquelles nous sommes attachés ?
Vous avez raison, nous devons réformer l'OMC pour que chacun suive les mêmes règles du jeu et que, dans le cas contraire, des sanctions effectives puissent être prononcées par des organes de règlement des différends. C'est le cœur même de l'OMC, dont les règles sont favorables à un commerce équitable ; c'est dans ce cadre que nous avons signé un accord d'interdiction des subventions à la pêche illicite et que nous souhaitons agir contre la surpêche et les surcapacités. Si nous ne le faisons pas dans le cadre de l'OMC, nous ne le ferons nulle part.
Nous devons aussi nous prémunir contre des positions de dumping ou de subventions abusives. Pour ce faire, nous utilisons des instruments particuliers : anti-subventions, anti-dumping, anti-coercition. Pour protéger l'humain et la planète, nous cherchons aussi à empêcher le dumping social, environnemental et sanitaire à travers les mesures miroirs que nous imposons dans la législation européenne et qui s'appliquent à tous les acteurs, avec ou sans traité international.
Selon vous, notre modèle serait le Venezuela. C'est évidemment faux ! Je vous suggère de mettre vos fiches de propagande à jour puisqu'en novembre, M. Macron a eu un entretien très chaleureux avec le président vénézuélien, qui nous aurait presque fait passer pour des anti-vénézuéliens. Ce n'est pas la première fois que des membres du Gouvernement ne soutiennent pas, ou ne semblent pas soutenir, les orientations diplomatiques impulsées par le président, y compris sur des sujets plus importants que celui-là. C'est assez étonnant et il ne faudrait pas que cela affaiblisse la parole de la France.
S'agissant de la politique commerciale et industrielle française et européenne, il y aurait beaucoup à dire mais j'aborderai le seul exemple des semi-conducteurs. Cette industrie est stratégique, peut-être au cœur de ce que d'aucuns appellent « la nouvelle guerre froide », et en tout cas au cœur des enjeux stratégiques mondiaux. Comme le rappelait récemment L'Usine nouvelle, les Pays-Bas ont signé un accord dit secret avec les États-Unis, qui tranche avec la politique officielle de l'Union européenne – vous avez parlé de de-risking. La politique de l'Union européenne n'est pas de s'enliser dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Or c'est aux Pays-Bas que se trouve le leader mondial de la lithographie, étape essentielle dans la fabrication des semi-conducteurs. Comment contourner ces difficultés et conduire une véritable politique européenne dans ce domaine ?
Il me semblait que pour M. Mélenchon, fondateur de La France insoumise, le Venezuela était un modèle à travers la révolution bolivarienne. C'est ce qu'il a toujours dit. Or, sous l'impulsion du président Chavez, la révolution bolivarienne a transformé le Venezuela, qui était l'un des pays les plus riches au monde, en l'un des pays les pauvres. Si vous avez changé de modèle, tant mieux !
Concernant les semi-conducteurs, nous devons, en Europe et particulièrement en France, garantir notre souveraineté dans la production de ces composants indispensables à l'ensemble de notre industrie. Les semi-conducteurs sont partout et l'on ne peut pas réindustrialiser le pays si on n'en produit pas. L'objectif, pour l'Europe, est de représenter au moins 20 % de la production mondiale. Pour y parvenir, nous ne devrons pas doubler mais tripler, voire quadrupler, notre production car la demande mondiale de semi-conducteurs augmentera de manière exponentielle. C'est la raison pour laquelle nous créons des gigafactories en Europe, notamment en France avec STMicroelectronics et GlobalFoundries, ainsi que des entreprises de recherche et développement dans le domaine des semi-conducteurs.
Ma question porte sur la prise en compte de la protection de l'environnement dans le commerce international. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté une résolution, que j'ai soutenue, proposant d'améliorer la gouvernance de l'OMC et les accords commerciaux de l'Union européenne en intégrant des normes environnementales élevées et en établissant une cour multilatérale des investissements à la place des tribunaux d'arbitrage, afin de mieux prendre en compte l'impératif écologique. Que pensez-vous de cette proposition ? Où en est cette réforme, aux niveaux européen et international ? L'objectif est que le commerce international ne soit pas synonyme de conséquences désastreuses pour l'environnement.
La France entend mener, avec ses partenaires européens, une révolution dans la politique commerciale pour intégrer dans les accords commerciaux la protection de l'environnement et de la biodiversité, ainsi que la protection sanitaire du consommateur. L'accord avec la Nouvelle-Zélande en est une première mouture. Nous le faisons aussi avec l'accord de Paris, avec le règlement visant à lutter contre la déforestation et avec les mesures miroirs que nous instaurons pour protéger la santé du consommateur et l'environnement. Nous cherchons également à protéger le bien-être animal.
J'étudierai avec plaisir la résolution de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe que vous évoquez. Elle doit s'inscrire dans la réforme de l'OMC que nous souhaitons engager pour permettre la poursuite du multilatéralisme, avec la possibilité de sanctionner ceux qui ne respectent pas les règles du jeu.
Ma question porte sur la filière bois. Mon département de l'Ain, qui compte les plus grandes scieries de France, rencontre des difficultés dans l'exploitation des grumes. En effet, le gouvernement chinois interdit pour quatre-vingt-dix-neuf ans la récolte de chênes sur son territoire, tandis que la Russie réduit progressivement les exportations de résineux des forêts sibériennes pour valoriser elle-même cette ressource stratégique. La Chine se tourne donc vers d'autres fournisseurs, parmi lesquels la France et l'Europe. Elle achète notre bois et le transforme dans des unités de production aux normes sociales et environnementales largement inférieures aux nôtres, puis nous le revend au prix du produit fini. Des mesures doivent être prises au niveau européen pour remédier à cette situation. Comment entendez-vous intégrer les normes environnementales de l'accord de Paris pour éviter un dumping économique fondé sur des critères sociaux et écologiques ? Qu'est-ce que ces nouvelles réglementations européennes pourront faire dans le cas précis de la filière bois ?
Nous avons été informés de ce problème et restons vigilants. Nous avons mobilisé près de 500 millions d'euros dans le cadre du plan France 2030, en complément des 300 millions déjà déployés par France Relance, pour augmenter la surface des forêts françaises et renforcer la compétitivité de l'industrie de transformation du bois.
Par ailleurs, l'accord de Paris est intégré comme clause essentielle des traités, conformément à la politique de l'Union européenne. Nous souhaitons également intégrer le règlement visant à lutter contre la déforestation que nous venons d'adopter. Voilà qui répondra aux objectifs de protection environnementale et de maintien de la compétitivité de nos filières.
J'appelle votre attention sur le projet européen de restauration de la nature, et plus particulièrement sur l'objectif du Pacte vert visant à restituer 10 % des surfaces agricoles à l'état naturel. Au Parlement européen, de nombreux groupes – dont le nôtre – ont exprimé leur opposition à ce projet. Le chef de l'État lui-même a demandé une pause dans la réglementation européenne. Qui plus est, cet objectif va à l'encontre de ceux de souveraineté et de sécurité alimentaires. Un tel rehaussement des ambitions n'est pas soutenable. Êtes-vous d'accord pour stopper ou ralentir ce processus qui peut nuire à notre commerce extérieur ?
Il est fondamental que nous puissions conserver en Europe, et particulièrement en France, une souveraineté alimentaire qui nous évitera de dépendre, comme de nombreux pays, d'importations de produits agricoles. Il faut donc conserver les terres de culture et observer la pause normative demandée par le président de la République dans certaines réglementations environnementales. Je rappelle que l'Europe et la France, qui sur-transpose les directives européennes, ont les règles les plus ambitieuses et les plus exigeantes au monde. Nous devons faire en sorte que nos agriculteurs continuent de produire mais aussi de maintenir la productivité, c'est-à-dire le rendement des exploitations. C'est la raison pour laquelle nous veillons à ce qu'ils puissent conserver la surface agricole nécessaire pour poursuivre leurs cultures.
Merci pour vos réponses précises et pour votre ambition, avec l'objectif affiché de 180 000 à 200 000 entreprises exportatrices en France.
Il existe une partie du monde dans laquelle nous avons des partenaires naturels, pour des raisons géographiques, et qui arrangerait nos affaires en matière de déplacements et d'émissions de CO2 : je parle de l'Afrique, qui représente 19 % de la population mondiale – 25 % en 2050, 40 % en 2100. De manière contre-intuitive, nos trois principaux partenaires économiques en Afrique, hors Maghreb, sont l'Égypte, le Nigeria et l'Afrique du Sud. Un rapport de Deloitte relatif à l'attractivité de ce continent place pourtant la Côte d'Ivoire en tête. La part de nos partenaires naturels que sont les pays francophones est insuffisante. Y a-t-il eu un défaut de stratégie ? Quelle nouvelle stratégie permettrait de le compenser et de faire du développement avec des partenaires francophones ?
L'Afrique est effectivement un continent stratégique pour la France en matière de commerce international ; notre objectif est d'y renforcer nos partenariats. Je me suis rendu au cours des derniers mois en Algérie, au Maroc, en Côte d'Ivoire, au Cameroun, au Bénin, au Kenya et en Tanzanie car il ne faut pas négliger l'Afrique non francophone, en particulier l'Afrique anglophone, dont les pays représentent des parts de marché pour nos entreprises. Oui, nous cherchons à renforcer la présence des entreprises françaises en Afrique. Oui, nous cherchons à renforcer les échanges avec ces pays. Quand on parle de colocalisation dans la stratégie de de-risking, de nombreux pays africains peuvent accueillir des investissements pour améliorer la diversification des approvisionnements dans le cadre du commerce international.
Au terme de ces échanges, je constate que notre commission a globalement exprimé trois préoccupations.
En premier lieu, elle s'interroge sur l'intérêt d'une économie fondée sur le libre-échange ou sur d'autres bases. Sur cette première préoccupation, les membres de la commission sont divisés ; pour les deux autres, en revanche, une unité se fait jour.
Notre deuxième préoccupation concerne la réciprocité sur laquelle doivent être fondés les échanges. Nous attendons que le Gouvernement soit très ferme, dans les négociations, quant au respect des exigences par tous les partenaires. Comme le président de la République, nous espérons que l'ère de la naïveté est close.
La troisième préoccupation, partagée par tous les groupes, porte sur le lien entre le développement des échanges commerciaux et le maintien d'un très haut niveau d'exigence en matière écologique, pour la lutte contre la déforestation et le réchauffement climatique, et pour protection des ressources naturelles.
Si vous défendez, au niveau international, ces deux principes – la réciprocité et la sauvegarde de la planète –, vous serez profondément soutenu par cette commission. Pour le reste, chacun a ses opinions idéologiques.
Je vous remercie de vous être prêté à cet exercice difficile du « ping-pong », qui ne laisse pas aux membres du cabinet le temps de rédiger des notes entre deux questions et permet, de ce fait, de tester la compétence du ministre. Elle a été testée, de façon satisfaisante à mes yeux !
La séance est levée à 11 h 00
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Damien Abad, Mme Nadège Abomangoli, Mme Véronique Besse, Mme Chantal Bouloux, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jérôme Buisson, Mme Eléonore Caroit, M. Sébastien Chenu, Mme Mireille Clapot, M. Pierre Cordier, M. Alain David, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Frédéric Falcon, M. Olivier Faure, M. Nicolas Forissier, M. Thibaut François, M. Bruno Fuchs, M. Guillaume Garot, Mme Maud Gatel, M. Hadrien Ghomi, Mme Olga Givernet, Mme Claire Guichard, M. Philippe Guillemard, M. Michel Guiniot, M. Meyer Habib, Mme Marine Hamelet, M. Joris Hébrard, M. Alexis Jolly, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Brigitte Klinkert, Mme Stéphanie Kochert, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, Mme Christine Le Nabour, M. Jean-Paul Lecoq, M. Sylvain Maillard, Mme Emmanuelle Ménard, M. Nicolas Metzdorf, Mme Nathalie Oziol, M. Frédéric Petit, Mme Michèle Peyron, M. Kévin Pfeffer, Mme Barbara Pompili, M. Jean-François Portarrieu, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Laetitia Saint-Paul, M. Vincent Seitlinger, Mme Ersilia Soudais, M. Aurélien Taché, M. Patrick Vignal, M. Lionel Vuibert, M. Christopher Weissberg, M. Éric Woerth, Mme Caroline Yadan, M. Frédéric Zgainski
Excusés. - Mme Clémentine Autain, M. Carlos Martens Bilongo, M. Louis Boyard, M. Moetai Brotherson, M. Michel Herbillon, M. Tematai Le Gayic, Mme Marine Le Pen, M. Laurent Marcangeli, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, M. Adrien Quatennens, Mme Michèle Tabarot, Mme Laurence Vichnievsky, Mme Estelle Youssouffa
Assistait également à la réunion. - M. François Ruffin