Intervention de Olivier Becht

Réunion du mercredi 24 mai 2023 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargées du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger :

Sur l'exercice 2022, nous enregistrons un déficit record, de 164 milliards d'euros. Ce doublement par rapport à 2021 est en quasi-totalité imputable à la facture énergétique. De fait, l'an dernier, la plupart de nos réacteurs nucléaires étaient à l'arrêt : il fallait non seulement rattraper les deux années de maintenance non effectuée durant la crise du Covid mais des fissures dans une douzaine de réacteurs nécessitaient également des travaux lourds. Il a donc fallu importer plus d'énergie que par le passé ; or ces importations ont eu lieu alors que les prix avaient doublé, voire triplé du fait du choc énergétique provoqué par l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et dans un contexte de dépréciation de l'euro de 10 à 15 % par rapport au dollar. Cette balance énergétique a entraîné la balance commerciale dans un déficit considérable.

Au sein de ce déficit, 80 milliards sont structurels, en partie liés à la désindustrialisation de notre pays au cours des trente dernières années. Nous sommes en train d'inverser la tendance, avec davantage d'implantations que de fermetures d'usines – le solde est positif d'environ 300 usines – et la création d'emplois industriels. Cela nous permettra de ne plus importer certains biens, et même de recommencer à les exporter. L'autre partie de ce déficit structurel est liée à la faiblesse de nos petites et moyennes entreprises (PME) à l'exportation. Même si les chiffres s'améliorent, le nombre des entreprises exportatrices étant passé de 125 000 à 145 000 en moins de cinq ans, ils restent inférieurs à ceux de nos partenaires italiens et allemands et nous disposons de marges de progression. La première ministre présentera prochainement le plan « export », conformément à la feuille de route des 100 jours que s'est fixée le Gouvernement.

Malgré ce déficit de la balance des biens, des sources de satisfaction existent. La balance des services enregistre un excédent record d'un peu plus de 50 milliards d'euros, dont une partie est structurelle, liée au tourisme qui retrouve certains de ses niveaux d'avant la crise du Covid. La balance des services financiers s'améliore de 9 milliards d'euros. C'est une bonne nouvelle, qui passe souvent inaperçue. Elle témoigne du fait que la place de Paris a détrôné la City de Londres pour devenir la première place financière d'Europe, notamment pour le marché des capitaux. Cette évolution se confirme, avec le rapatriement de grandes banques et de salles de marché qui opéraient depuis Londres.

Quant aux bonnes performances des transports, elles sont en partie conjoncturelles, liées à la hausse du prix des conteneurs après la crise du Covid. Toutefois, les résultats de l'un des fleurons mondiaux qu'est l'entreprise française CMA-CGM risquent de refluer dans les prochaines années, en fonction du prix des conteneurs, qui a déjà baissé.

Des sources de satisfaction existent aussi dans la balance des biens. Ainsi, les exportations de produits agricoles ont crû de près de 37 % et les exportations automobiles ont quasiment retrouvé leur niveau de 2019. Même s'il reste une marge de progression dans l'aéronautique, les traditionnels champions de l'export ont tous enregistré des excédents : 23,5 milliards dans l'aéronautique, 2 milliards dans les parfums et 15 milliards dans les cosmétiques.

Enfin, comme nous l'avions annoncé, le déficit énergétique commence à reculer avec le retour à des niveaux de prix de marché d'avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie. En parallèle, notre parc de centrales nucléaires remonte en puissance. Nous n'avons plus besoin d'importer autant d'énergie, notamment électrique, que l'an dernier.

En somme, le déficit commercial conjoncturel s'effacera de lui-même avec le reflux des prix de l'énergie, et le déficit structurel doit être attaqué par la réindustrialisassions, ainsi que par le portage de nos PME à l'exportation.

J'en viens au Conseil des ministres de l'Union européenne consacré au commerce. Le premier point à l'ordre du jour concerne les relations entre l'Union européenne et les États-Unis et les négociations autour de l'IRA. La task force a avancé dans plusieurs domaines, comme celui des voitures en leasing, dans lesquels les conditions seraient les mêmes que pour les entreprises américaines. Nous pourrions également signer un accord – qui ne serait pas un accord de libre-échange – relatif aux minéraux critiques qui composent les batteries, dans une vision stratégique commune. Pour autant, la loi votée par le Congrès laisse peu de marges d'interprétation à l'administration américaine dans le cadre de l' executive power du président des États-Unis : l'administration ne pourra pas changer la loi et il est illusoire d'imaginer que le Congrès modifiera de lui-même l'IRA. L'Union européenne doit donc s'organiser et réagir. Plusieurs textes permettront de maintenir la compétitivité européenne dans les domaines concernés, comme le Green Deal Industrial Plan, le Critical Raw Materials Act ou encore le Chips Act.

Vous le savez, l'argent est le nerf de la guerre. En l'occurrence, l'Union européenne a déjà engagé, notamment au travers des plans de relance, 550 milliards d'euros : c'est plus que les 369 milliards de dollars investis par les États-Unis dans l'IRA. En France, qui plus est, des instruments permettent de surabonder certaines enveloppes. C'est le cas du plan France 2030, d'un montant colossal de 54 milliards d'euros. Nous parviendrons à maintenir l'attractivité de notre pays pour les grands investissements dans les énergies renouvelables et dans la transition énergétique. Je pense aux annonces de la semaine dernière lors du sommet Choose France, en particulier concernant l'implantation de ProLogium à Dunkerque. Si nous n'avions pas eu la capacité d'attirer ces projets, ils seraient partis ailleurs. Nous attendons de nouveaux crédits de l'Union européenne mais force est de constater que nous ne sommes pas démunis face aux États-Unis.

Le deuxième point à l'ordre du jour concerne les relations entre l'Union européenne et la Chine. Ce pays est à la fois un partenaire, un compétiteur et un rival systémique de la France et de l'Union européenne. Nous attendons que celle-ci crée des instruments permettant de maintenir une concurrence loyale sur les marchés. Nous serons donc vigilants quant au dumping qui pourrait être effectué, aux subventions qui pourraient être allouées à certaines entreprises et qui fausseraient la compétitivité-prix des produits chinois, ainsi qu'à la coercition que la Chine peut exercer sur certains pays. Plusieurs instruments existent déjà, comme les mesures anti-dumping, et d'autres seront progressivement instaurés, comme l'instrument anti-subventions ou l'instrument anti-coercition qui a fait l'objet d'un accord en trilogue et dont nous attendons l'adoption rapide.

Le troisième point porte sur la réforme de l'OMC. Lors de la douzième conférence ministérielle (MC12), en 2021, plusieurs avancées avaient été enregistrées. Je pense notamment à l'accord de lutte contre la pêche illégale et à d'autres, que nous souhaitons voir signer. Nous souhaitons aussi entamer les discussions relatives aux surcapacités de pêche et les voir aboutir lors de la MC13, à l'instar des accords visant à la protection des ressources. S'agissant de la réforme de l'organe de règlement des différends et de l'organe d'appel de l'OMC, des discussions sont en cours et plusieurs sujets ont été mis sur la table par les Américains. La France insiste pour que l'Union européenne incite ses partenaires à définir une organisation permettant de sanctionner les acteurs qui ne respectent pas les règles du jeu. Nous sommes convaincus de l'intérêt de maintenir un multilatéralisme et des règles du jeu pour le commerce mondial. Ne soyons pas naïfs : sans une OMC fonctionnant correctement, la loi du plus fort s'appliquera, au détriment d'un certain nombre de nos intérêts commerciaux. Mais ne soyons pas les seuls à continuer à appliquer les règles du jeu ! Nous avons une discussion assez franche avec nos amis chinois et américains à ce sujet. La manière dont les Chinois sursubventionnent certaines de leurs industries et celle dont les États-Unis ont instauré l'IRA, dont 200 milliards ne respectent pas les règles de l'OMC, sont des sources d'inquiétude. Il ne faudrait pas que l'Union européenne soit le dernier grand acteur à respecter les règles du commerce mondial. Un moment de vérité doit voir le jour à l'OMC, pour que celle-ci soit réformée et continue à fonctionner et pour que les règles du jeu que nous nous sommes fixées continuent à s'appliquer.

Le dernier point est celui des accords commerciaux. Le Conseil devrait autoriser la signature de l'accord avec la Nouvelle-Zélande en juin. Cet accord révolutionne la politique commerciale, avec l'accord de Paris comme clause essentielle, le règlement visant à enrayer la déforestation, la protection de la biodiversité ou encore les accords de l'Organisation internationale du travail (OIT) pour l'interdiction du travail forcé et du travail des enfants. Cette nouvelle politique commerciale remet l'humain et la planète en son cœur, tout en se dotant de mécanismes de sanction permettant de faire tomber les accords commerciaux en cas de non-respect.

Un instrument additionnel devrait être intégré au projet d'accord avec le Chili, qui avait été négocié avant celui avec la Nouvelle-Zélande, pour illustrer la nouvelle approche de la Commission européenne en matière de protection de l'humain et de la planète. Cet accord est également indispensable pour permettre à l'Europe de disposer de lithium pour ses batteries, puisque le Chili concentre 40 % des réserves mondiales.

Les négociations avec l'Australie avancent. Nous sommes très offensifs sur le volet agricole – la filière porcine nous y pousse – et nous avons des intérêts en matière de minéraux critiques.

Des discussions, plus compliquées, sont en cours avec l'Inde et l'Indonésie. Je ne suis pas certain qu'elles seront conclues d'ici à la fin d'année. Plusieurs points nécessitent encore d'être soulevés et dépassés, comme le contentieux relatif à l'huile de palme avec l'Indonésie.

Enfin, je ne doute pas que nous aurons l'occasion d'aborder, lors de nos échanges, le sujet du Mercosur.

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