La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a auditionné M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, et M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, sur la présentation du plan « eau ».
Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, et M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Cette journée est historique : jamais la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire n'avait eu l'occasion d'auditionner en même temps les ministres de la transition écologique et de l'agriculture, sur un sujet aussi important que celui de la ressource en eau. Je veux y voir la marque de l'importance que vous accordez, messieurs les ministres, à notre commission, ainsi que celle de votre volonté de bâtir ensemble une stratégie ambitieuse pour cette ressource, l'eau – l'or bleu, un bien rare, vital –, dont la préservation est un enjeu du XXIe siècle. Les problématiques de sa gestion apparaissent nettement dans nos territoires, autour des conflits d'usage et de la répétition des périodes de stress hydrique, qui s'aggraveront dans les années à venir. C'est la raison pour laquelle notre commission a décidé de lancer un cycle d'auditions, ainsi qu'une mission d'information sur l'adaptation de la politique de l'eau au défi climatique, avec l'ambition de proposer des solutions.
Des solutions, c'est bien ce que vous proposez au travers des cinquante-trois mesures du plan que vous avez établi avec le Président de la République. Je vous invite à nous les présenter afin que la représentation nationale puisse à son tour les défendre et répondre à cette problématique essentielle pour l'avenir de notre pays.
Nous sommes ravis de vous présenter les mesures du plan « eau » présenté fin mars par le Président de la République à Savines-le-Lac.
Je tiens d'abord à vous rappeler le contexte dans lequel ce plan a été établi. Indépendamment de la sécheresse de 2022, la question est bien celle d'une trajectoire de diminution de la ressource en eau disponible, comme le confirment les experts du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec). Il tombe en France environ 500 milliards de mètres cubes de précipitations, dont la part disponible pour faire l'objet de prélèvements s'établit à 160 milliards de mètres cubes. Nous en prélevons 33 milliards, dont 5 milliards sont consommés. Le plan « eau » distingue les activités très consommatrices en prélèvements, qui correspondent à des usages temporaires de l'eau avant de rejeter cette dernière dans le milieu – je pense aux centrales nucléaires –, des activités de simple consommation, qui n'aboutissent pas à ce rejet – l'irrigation, par exemple.
Les experts ne disent pas qu'il pleuvra moins, mais que la quantité d'eau dont nous disposerons sera moins importante. En effet, l'élévation des températures entraînera une amplification du phénomène d'évapotranspiration et une augmentation de la part d'eau absorbée par la végétation. Nous disposerons donc de 10 à 40 % d'eau en moins, selon les trajectoires de température et en fonction de la sensibilité des territoires au réchauffement climatique.
La prévision Explore 2070, opérée par l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), repose sur les compilations existantes, fondées sur des données datant d'une dizaine d'années. Cette trajectoire sera actualisée en 2023 pour présenter un modèle Explore2, qui nous permettra de calculer, en fonction de l'actualité du dérèglement climatique, les prévisions sur les différents territoires – et qui seront moins favorables que la carte actuelle.
J'en viens à l'impact de la sécheresse de 2022. Le graphique des cumuls mensuels de pluies efficaces – celles qui permettent de recharger les nappes, et qui s'achèvent généralement à la fin du mois d'avril – fait état d'une aggravation de la situation au mois de juillet, avec un déficit de pluviométrie de 88 %. À l'issue de l'été, une mission d'inspection interministérielle – l'eau potable relevant en effet du ministère de la santé, et l'eau disponible dans les milieux de mon propre pôle ministériel – a produit une carte présentant les communes qui ont connu une situation de tension ou de rupture avérée en eau potable. Je souligne à cet égard que certains maires répugnent à indiquer s'ils ont connu des tensions, de peur d'être contraints à mutualiser leur service d'eau potable avec leurs voisins.
Au 1er avril 2022, 58 % des nappes se situaient à un niveau inférieur à la moyenne. Au 1er avril 2023, ce taux s'établit à 75 %. La raison en est relativement simple : l'année a commencé avec un gros déficit lié à la sécheresse, et malgré des pluies un peu plus importantes dans l'hémisphère nord, notamment, la sécheresse hivernale a pénalisé une partie de la recharge, tandis que la situation sur le pourtour méditerranéen est catastrophique. Exemple emblématique, les Pyrénées-Orientales n'ont pas connu une vraie journée de pluie en douze mois. En revanche, les pluies de mars conduisent à une situation plus favorable dans l'Ouest que dans le couloir rhodanien et sur le pourtour méditerranéen.
Dès le mois de septembre 2022, nous avons entamé à Marseille un vaste tour, qui a permis de lancer le retour d'expérience de l'été et qui a commandé aux agences de l'eau et au Comité national de l'eau (CNE) des suggestions afin de construire un plan, auxquelles ont été ajoutées des propositions ou des demandes de crédits issues de rapports du Parlement ou de structures dépendant du ministère produits ces dernières années. Comptant cinquante-trois mesures, ce plan s'appuie sur trois grands axes : la quantité ; la qualité ; la gouvernance et le financement.
Ce plan repose sur une idée simple : dès lors que l'eau sera disponible en moindres quantités, il n'y aura pas d'alternative à la sobriété. Nous pouvons toutefois compter sur deux sources d'optimisation. La première concerne les fuites d'eau, puisque 20 % de l'eau potable – soit un litre sur cinq – se perd en France. La deuxième piste est la réutilisation des eaux usées. En effet, notre pays ne réutilise qu'entre 0,6 et 0,8 % de ses eaux usées. Seules soixante-dix-sept stations d'épuration sur 30 000 utilisent cette eau pour un autre usage plutôt que de la rejeter dans le milieu – cette proportion est pourtant de 8 % en Italie et de 15 % en Espagne, tandis qu'Israël réutilise 85 % de ses eaux usées retraitées. Le plan facilitera la réutilisation des eaux usées en soutenant 1 000 projets et en donnant la priorité à ceux situés sur le littoral, car les rejets à l'intérieur des terres permettent de recharger les rivières là où la réutilisation sur le littoral évite un rejet dans la mer.
Bien d'autres aspects sont traités dans le cadre de ce plan, dont de nombreux ont trait à la qualité de l'eau. Seules 43 % de nos masses d'eau sont évaluées en bon état écologique ; or la sécheresse entraînera une augmentation mécanique du taux de concentration en intrants en raison de la diminution des volumes d'eau. Plusieurs mesures permettront donc le rachat d'aires de captage par le Conservatoire du littoral, ou le soutien budgétaire à l'installation en agriculture biologique ou en agroécologie sur les points de captage.
Le plan fait reposer la sobriété sur une gouvernance territoriale. En effet, la sobriété en matière d'eau diffère de la sobriété énergétique : si, en matière énergétique, nous sommes tous dépendants les uns des autres, nous ne dépendons en revanche pas des mêmes bassins. La France est divisée en six bassins et en 1 100 sous-bassins, qui sont autant d'écosystèmes possibles où les situations sont différentes, et à l'échelle desquels la sobriété doit donc s'organiser. Or seulement la moitié de ces sous-bassins sont dotés de plans de gestion de l'eau. Le plan préconise donc d'équiper la totalité des sous-bassins de dispositifs de ce type, et chacun des captages d'un plan de gestion sanitaire, afin que des mesures préfectorales conservatoires puissent être décidées en cas de non-conformité.
J'en viens à la question des financements. Lors de l'élaboration des mesures, les demandes des agences de l'eau s'élevaient à environ 500 millions d'euros. Ce sont 475 millions qui sont promis par le plan – voilà pourquoi les comités de bassin et agences se sont réjouis de ces annonces, qui mettent un terme à des années de baisses budgétaires. Le plan repose à la fois sur une augmentation des ressources et sur la suppression des plafonds mordants. En effet, ce mécanisme aboutissait à la ponction par l'État des recettes des agences de l'eau au-delà du montant maximum de prélèvement des redevances, ce qui a conduit à une diminution de ce prélèvement au cours des dernières années.
S'agissant de la gouvernance territoriale, il existe aujourd'hui 11 000 services d'eau potable différents, en raison de la persistance d'un émiettement considérable des compétences et des gestions communales. La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République – la loi Notre – a prévu le transfert obligatoire des compétences en matière d'eau et d'assainissement aux intercommunalités d'ici à 2026. En réalité, plus de la moitié des Français dépendent déjà de services intercommunaux. Le nombre très élevé de services est donc lié à une gestion communale dans les secteurs les plus ruraux, tandis que les grandes villes sont dotées de services unifiés. Or, sans interconnexion, dès lors que le prélèvement dans la rivière n'est plus possible et qu'il n'existe qu'un seul point de captage, la commune est privée d'eau. Ainsi, 80 % des 382 communes qui ont dû être alimentées en citernage et des 200 communes approvisionnées en bouteilles durant une partie de l'été dernier n'étaient pas interconnectées.
Nous observons le même phénomène pour ce qui concerne les fuites. Nous avons décidé de cibler en 2023 les 170 communes où le taux de fuite est supérieur à 50 % et s'élève jusqu'à 92,7 % : 120 d'entre elles sont des communes isolées. Nous voulons donc assumer le refus des communes isolées pour éviter les problèmes sanitaires et de mauvaise gestion.
À Savines-le-Lac, le Président de la République a cependant tenu à faire preuve de souplesse en indiquant que l'intercommunalité n'était peut-être pas le chemin à suivre pour tous les territoires, notamment pour les plus étendus, les communes de montagne ou celles dont la topographie justifierait un traitement spécifique. Il me semble d'ailleurs que le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) envisage de reprendre une proposition de loi issue du Sénat sur la gestion de l'eau et de l'assainissement afin d'élargir les possibilités de mutualisation.
Enfin, la mission d'inspection de l'été 2022 a émis dix-huit propositions. Huit d'entre elles sont d'ores et déjà mises en œuvre, huit figurent dans le plan et deux n'ont pas été prises en compte car elles nécessitent des compléments. L'une porte sur les sanctions et leur effectivité qui doit être assurée par l'Office français de la biodiversité (OFB), dont le directeur général, avec lequel nous devrons définir cette mesure, sera prochainement désigné. La seconde concerne la retenue des grands plans d'eau, qui requiert une concertation importante.
Le dérèglement climatique impose de nouvelles contraintes, en premier lieu l'arythmie et l'évapotranspiration causée par les épisodes de canicule extrême. Ces phénomènes seront amenés à s'amplifier dans les années à venir. Bien que les experts du Giec s'attendent à ce que la quantité d'eau reste équivalente à celle d'aujourd'hui – même si elle diminuera sans doute dans le Sud-Ouest et le Sud-Est –, le stress hydrique et thermique fera émerger de nouveaux défis pour l'agriculture.
Sur le volet agricole, le plan s'inscrit dans la continuité du Varenne de l'eau, qui posait trois principes. Le premier est de bénéficier d'un système assurantiel qui permet une garantie face aux événements climatiques – la sécheresse, mais également les épisodes de gel ou de grêle. C'est le cas depuis cette année. Deuxièmement, il s'agit de s'interroger sur la nature des ouvrages à élaborer pour répondre à la contrainte d'une arythmie de l'eau, lorsque les conditions les rendent pertinents. Enfin, le plan prend en compte l'évolution des pratiques, à la fois sur les assolements et sur la nécessité d'un matériel plus économe en eau.
La stratégie agricole du plan « eau » prône une sobriété à l'hectare. Certains territoires, qui n'en avaient pas besoin, risquent de devoir recourir à l'irrigation ; or les prélèvements ne devront pas augmenter dans les décennies à venir. Seule voie possible, cette sobriété repose sur des systèmes ou des variétés plus économes en eau et moins sensibles aux stress hydrique et thermique.
Il me semble par ailleurs que nous devons prendre en compte l'enjeu de communication auprès de l'opinion publique : il convient en effet de rappeler que l'eau prélevée en agriculture est destinée à l'alimentation. Elle est d'intérêt général et public : il ne s'agit pas d'une forme de privatisation. Elle sert à tous, comme l'eau potable ou l'eau prélevée pour lutter contre les incendies. Il faut donc la préserver et assurer sa bonne répartition ; aussi les efforts de sobriété sont-ils nécessaires.
J'en viens à la question des réserves de substitution. C'est en effet la voie que nous devons emprunter. Ce sujet doit être appréhendé au niveau du territoire, et non relever de décisions nationales. Certains territoires ont plus d'avance que d'autres dans ce domaine. Ce n'est pas un hasard si le Président de la République a choisi de faire ses annonces dans une région qui, depuis longtemps, se soucie de cette question, au pied d'un système d'irrigation très puissant, appuyé sur une réserve d'eau considérable. Personne, aujourd'hui, ne remettrait en cause l'ouvrage qui a été construit à Serre-Ponçon, utile à la fois à l'irrigation, à l'alimentation en eau potable, au maintien des étiages et au tourisme. Les ouvrages multiusages devraient à mon sens être favorisés, car ils permettent le partage collectif de la contrainte – y compris entre les usages en amont et en aval.
En France, 7 % de la surface agricole est irriguée, soit un pourcentage beaucoup plus faible qu'en Italie, en Espagne ou même aux Pays-Bas. La réflexion sur les ouvrages nécessaires doit viser l'adéquation entre les étiages et la réalité agricole française.
Au-delà de ces mesures, la réutilisation des eaux est un enjeu de taille. La France accuse un retard considérable en la matière, causé, sans doute, par notre rapport à l'eau usagée. Il s'agit principalement d'un sujet de réglementation.
En outre, de nombreux ouvrages existent, mais un tiers à un quart du volume qu'ils produisent n'est pas utilisé en raison d'un envasement ou d'un problème lié à leur entretien.
S'agissant de la qualité de l'eau, des périmètres de protection de captage sont nécessaires. Il faut cependant souligner que certains périmètres ont été établis en raison de molécules interdites il y a quinze ou vingt ans. Le temps de rémanence me paraît suffisamment long pour nous inviter à la modestie en la matière.
Enfin, en matière de gouvernance, nous devons réfléchir à définir la bonne autorité compétente en matière de décision sur les retenues et les interdictions. Le cas des Pyrénées-Orientales est emblématique : la retenue est gérée par le département et les interdictions par le préfet de département. La politique de gestion quantitative et la politique de restriction quantitative ne relèvent donc pas de la même gouvernance. Nous devons plutôt penser une gouvernance générale. Dans ce département, mais également dans d'autres à l'avenir, il nous faut montrer la part des efforts réalisés par chaque acteur, qu'il s'agisse d'activités agricoles ou touristiques. Il ne s'agit pas d'attiser la guerre de l'eau, mais au contraire de l'apaiser. Or, pour cela, nous devons réfléchir à des répartitions d'usages pertinentes.
La publication du plan « eau » répond à une urgence de plus en plus perceptible. Si l'été 2022 s'est caractérisé par une série de vagues de chaleur et par une sécheresse inédite, l'été 2023 et les suivants s'annoncent pires encore.
Le plan « eau » associe un large panel de leviers d'actions – réduction des usages, optimisation de l'efficacité des réseaux, préservation de la qualité de l'eau, amélioration de la gouvernance et prévention. Chacun d'entre eux devra être soutenu par des moyens suffisants.
Le secteur agricole consomme 58 % de l'eau douce en France – et certaines cultures jusqu'à un quart. Le plan « eau » alloue 30 millions d'euros à la sobriété des usages agricoles, mais deux enjeux en particulier nécessiteront plus encore de moyens : je pense au soutien massif à la diversification des cultures pour réduire la demande et à l'essor de modes d'irrigation compatibles avec le niveau des nappes phréatiques alimentant des cultures avec parcimonie, et alignés sur les critères pédoclimatiques locaux, comme l'écoulement ou le bon débit écologique des rivières. Quels financements sont prévus pour répondre à ces deux impératifs ?
S'il y a un élément sur lequel nous pouvons tous nous mettre d'accord, c'est bien l'importance du sujet de l'eau – cette ressource que nous avons longtemps considérée comme acquise, mais qui se révèle plus que jamais précieuse. Pourtant, qu'il est grand le regret de voir ce sujet aussi rapidement expédié ! En effet, nous n'avons reçu que le dossier de presse comportant vos cinquante-trois mesures, qui ne sont en réalité que des coups de communication : aucun dispositif concret, aucune action réelle, mais une sorte d'enfumage que l'eau n'arrivera d'ailleurs pas à éteindre !
Il aurait fallu un véritable débat au sein de l'Assemblée nationale, avec des échanges constructifs, dans l'intérêt de nos compatriotes. Où est cette coconstruction, tant vantée dans les médias mais absente ici ?
En clair, vous décidez, et nous devrions nous exécuter – alors que nous aurions pu nous enrichir mutuellement en menant un travail transpartisan, avec les élus locaux, afin de proposer des mesures véritablement utiles. Nous aurions par exemple pu réfléchir à la récupération de l'eau dans les immeubles en construction ou à des dispositifs de désalinisation couplés aux centrales nucléaires en bord de mer.
L'eau, bien de première nécessité, n'a jamais coûté aussi cher, alors même que les services concernés n'ont jamais été aussi dégradés. Des milliards de litres fuitent dans les canalisations, trop souvent délabrées. Où passe donc l'argent des Français ?
L'urgence nous commande d'agir sans attendre 2024, 2025 ou plus tard encore. Pourquoi ne pas avoir élaboré un projet de loi dont nous pourrions débattre dès maintenant ? Doit-on vraiment être surpris de l'amateurisme de ce gouvernement, si déconnecté du peuple français que le Rassemblement national continuera à protéger envers et contre tout ?
La question du droit humain à l'eau et à l'assainissement est essentielle, et je me réjouis que l'ensemble des partis politiques s'en saisissent. Il est en effet difficile de passer à côté, entre sécheresses estivales et hivernales, feux de forêt, pollution des eaux, polluants éternels et lutte contre les mégabassines.
Toutefois, le plan « eau » présenté par le Président de la République passe à côté de l'essentiel, et d'abord sur les propositions concernant la sobriété de la consommation de la ressource en eau. Le développement d'un « Ecowatt de l'eau », pour se concentrer sur les gestes du quotidien, est un moyen de détourner le regard des questions réellement politiques.
Vous évitez tout particulièrement de faire contribuer le secteur agricole, dont l'activité est la principale source de consommation d'eau. Le Président a en effet affirmé que l'irrigation pourra être maintenue au niveau actuel. De plus, votre plan réaffirme la volonté de construire d'autres bassines d'eau, dont les effets néfastes – notamment en matière d'évaporation – ne sont plus à démontrer. Vous continuez ainsi à apporter votre soutien à une agriculture productiviste. Dans le domaine de l'élevage industriel, de nombreux scientifiques documentent l'impact de la consommation de viande sur le gaspillage de l'eau ; or aucune mesure concrète n'est annoncée pour endiguer la surconsommation de viande en France.
Le Président reconnaît que l'état des réseaux de canalisation est alarmant en raison d'un sous-investissement collectif mais, encore une fois, la réponse est bien insuffisante : 180 millions d'euros par an pour les points noirs et 35 millions d'euros supplémentaires pour les outre-mer. Vous vous trompez d'échelle ! Pour véritablement remettre en état nos réseaux de canalisation, il faudrait investir sur l'ensemble du quinquennat 10 milliards d'euros, dont 2,5 pour les outre-mer.
Enfin, nous attendons des précisions sur la traduction concrète de la proposition de tarification progressive de l'eau.
Le 30 mars, M. Emmanuel Macron a promis une modernisation sans précédent de notre politique de l'eau. Il annonce vouloir économiser 10 % d'eau d'ici à 2030 ; or les assises de l'eau, conclues il y a quatre ans sous sa présidence, projetaient déjà de réduire de 10 % les prélèvements d'ici à 2025 et de 30 % d'ici à 2030. Ce premier plan « eau » qui n'a pas vraiment réussi et n'a pas été évalué ne nous incite pas à l'optimisme. En promettant 475 millions d'euros de plus pour les agences de l'eau, l'Élysée nous trompe, puisque ces crédits ne seront pas issus du budget de l'État, mais des redevances payées par les clients. Parler de nouveaux réseaux alors que les réseaux actuels sont à l'agonie, et d'économies sur la facture alors que les Français paieront plus, ce n'est pas correct.
Les agriculteurs ne sont pas en reste, alors qu'on leur en demande déjà beaucoup. Le mur administratif et la volonté de mettre fin à brève échéance aux autorisations de prélèvements dans les secteurs en tension doivent nous alerter. Les conséquences de telles décisions seraient dramatiques pour notre filière agricole et pour notre souveraineté alimentaire. Il faut simplifier et sécuriser les cadres législatifs et réglementaires, tant pour favoriser la réutilisation des eaux usées traitées en agriculture et dans l'agroalimentaire que pour remobiliser des ouvrages de stockage existants et développer de nouveaux projets hydrauliques, notamment en multiusage.
Nous serons vigilants envers toute velléité d'augmentation des redevances des agences de l'eau, tant pour les agriculteurs que pour les industriels de l'agroalimentaire déjà fortement contributeurs du plan « eau ».
Ce plan passe à côté de sujets très importants comme celui de la gouvernance. La Cour des comptes dénonçait récemment une organisation inadaptée aux enjeux de la gestion quantitative de l'eau. Qu'avez-vous prévu pour corriger cette carence et clarifier enfin le modèle de décision sur le droit de prélèvement quand la ressource se raréfie ?
Le groupe Les Républicains souhaite que le Gouvernement soumette son plan à un débat au Parlement dans le cadre d'une programmation pluriannuelle ou d'une loi-cadre, ce qui nous permettrait de vous aider à l'améliorer.
En Bretagne, la qualité de l'eau est un enjeu majeur, sur lequel nombre d'acteurs restent mobilisés afin de la préserver et l'améliorer, aussi bien dans les cours d'eau que sur notre littoral. Cependant, les dernières années nous rappellent qu'outre la question de la qualité, nous devons nous pencher sur celle de la quantité. Certaines entreprises ont déjà franchi le pas depuis plusieurs années, mais elles pourraient être encore plus ambitieuses si elles n'étaient pas freinées par la réglementation. En effet, pendant que certains s'offusquent, d'autres s'affairent.
Les usages doivent évoluer. Les cinquante-trois mesures pour l'eau devraient pouvoir répondre prochainement aux enjeux dans le domaine agricole et agroalimentaire. Un autre domaine doit être exploré et faire l'objet de mesures obligatoires : celui de la réutilisation des eaux usées et des eaux pluviales pour sortir du système « tout tuyau » en intégrant des aménagements permettant la réutilisation, mais aussi l'infiltration des eaux pluviales. La réutilisation des eaux usées peut répondre aux besoins agricoles, industriels ou domestiques, et l'exploitation des boues d'épuration doit devenir obligatoire pour nos délégataires.
L'ambition est de rattraper notre retard par la réglementation, mais aussi par la recherche pour disposer d'un cycle de l'eau vertueux. Ainsi, les collectivités participeraient à la souveraineté énergétique et à la préservation de l'eau, tout en ayant en ligne de mire la qualité de nos eaux.
Quelles sont les directives vertueuses programmées pour l'attribution des délégations ou régies afin que ces dernières s'emparent du sujet et répondent aux enjeux de préservation et d'optimisation des usages de l'eau ?
Les épisodes de sécheresse enregistrés ces dernières années, notamment en 2022, ont montré la nécessité d'anticiper la raréfaction de la ressource en eau, qui pourrait, à horizon 2050, priver notre pays de 30 à 40 % de sa ressource. C'est dans ce contexte particulièrement dégradé que le Président de la République a décrit les contours du plan « eau » du Gouvernement.
Une vision d'ensemble du plan donne à voir des éléments pour renforcer la sobriété et l'optimisation de la ressource. Je veux saluer les efforts allant dans le sens d'une levée des freins réglementaires entravant le recours aux eaux usées dans de nombreuses activités, notamment l'agroalimentaire. Les acteurs de terrain sont volontaires pour déployer des solutions innovantes.
Par ailleurs, nous nous réjouissons de l'attention portée à la question de l'entretien des réseaux, qui souffrent depuis trop longtemps d'un sous-investissement chronique. Il sera pour cela indispensable de renforcer plus largement les capacités d'investissement de nos collectivités pour poursuivre le chantier de la modernisation des réseaux. Le cabinet Carbone 4 chiffre à 1,5 milliard d'euros les besoins annuels pour moderniser les réseaux.
En revanche, nous ne pouvons que constater le statu quo sur l'agriculture, alors que cette dernière représente 58 % de la consommation des ressources en eau. Le choix de la responsabilité aurait dû consister à encourager et à accompagner nos agriculteurs vers un modèle plus résilient, plus sobre et en adéquation avec la disponibilité de la ressource.
Enfin, nous prenons acte de l'objectif du Président de la République de réduire la consommation d'eau de 10 % à horizon 2030, qui était déjà prévu par les assises de l'eau de 2019 – mais pour 2024, associé à une réduction de la consommation de 25 % d'ici à 2034. Quelles seront les modalités de suivi des indicateurs de réalisation de ce plan pour éviter un retard similaire en 2030 ?
Je vous interpellais en juillet dernier sur la nécessité de prendre des mesures d'urgence ainsi que des engagements de long terme, et, plus récemment, sur la réutilisation des eaux. Notre groupe est heureux de soutenir ce plan complet, à la hauteur des enjeux, tant sur le volet de la sobriété des usages que sur l'optimisation de la disponibilité de la ressource et sur la qualité.
Si ce plan nous satisfait, nous pouvons nous interroger sur les suites qui lui seront données ainsi que sur ses éventuelles limites. J'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreux acteurs, au niveau local ou national, privés ou publics ; les débats se sont très souvent orientés vers la question d'une potentielle nouvelle loi sur l'eau, pour prendre la suite de celles de 1992 et de 2006. Plusieurs acteurs de la politique de l'eau ont notamment plaidé en ce sens. Bien sûr, beaucoup de solutions sont à portée de main. Vous avez développé, dans les moyens d'atteinte des objectifs, une amélioration de la gouvernance de la gestion de l'eau et une modernisation des schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage) : c'était urgent.
Par ailleurs, le réglementaire est un levier essentiel, notamment en matière sanitaire. Les problèmes résident souvent moins dans la loi que dans son application. Cependant, de nombreux défis persistent : tarification, investissement, modernisation des réseaux, réutilisation des eaux usées, articulation avec les documents d'urbanisme, ou encore cohérence entre les acteurs. Ainsi, pensez-vous qu'il serait opportun de réfléchir à une nouvelle loi, plus complète, plus ambitieuse et propice à une mise en œuvre effective de ce plan ?
Enfin, en tant qu'élue de Haute-Savoie, je suis convaincue que les territoires de montagne sont au cœur des enjeux écologiques et présentent des spécificités auxquelles nos politiques publiques doivent être attentives. Je vous remercie d'y avoir répondu dans votre propos liminaire.
Cinquante ans après René Dumont, les écologistes alertent toujours sur la raréfaction de la ressource en eau et peinent encore à se faire entendre. Ce plan « eau » en est l'un des nombreux symptômes. En effet, le Gouvernement annonce un recul sur l'objectif de sobriété, en passant à 10 % d'économies d'eau d'ici à 2030, alors que les assises de l'eau de 2019 – sous votre majorité – proposaient une diminution de 10 % en cinq ans et de 25 % en quinze ans. Ces objectifs, non déclinés, sont divisés par deux à l'heure des plus grandes sécheresses que la France a jamais connues.
Comment justifier cette régression incompréhensible, alors que l'on craint une diminution de la ressource de 30 à 40 % d'ici à 2050 ? Comment cet objectif s'appliquera-t-il à l'ensemble des secteurs, y compris à l'agriculture, bizarrement absente de ce plan alors qu'elle représente près de la moitié de la consommation en eau du pays ?
Aider nos agriculteurs, ce n'est pas attaquer les scientifiques et les écologistes qui alertent depuis des années. Aider nos agriculteurs, ce n'est pas non plus organiser des processions pour implorer Dieu de faire tomber la pluie sur les champs. Aider nos agriculteurs, ce n'est pas prétendre que rien ne devrait changer en perpétuant notre dépendance aux pesticides qui menacent nos sols et notre santé. Aider nos agriculteurs, c'est dépasser les coups de communication pour regarder la réalité en face : toutes les plantes n'ont pas les mêmes besoins et toutes les productions ne sont pas adaptées partout. Il nous faut consommer moins de viande, arrêter d'arroser des monocultures de maïs et développer les cultures économes en eau. Aider nos agriculteurs, c'est écouter la science. Concrètement, cela signifie lutter contre l'artificialisation des sols et les pollutions chimiques, et remettre en cause le modèle dominant de l'agriculture conventionnelle, loin des petits gestes individuels.
Vos ministères s'emploient aujourd'hui par tous les moyens à défendre des mégabassines qui sont des dérogations aux arrêtés préfectoraux d'interdiction des pompages pour certains agriculteurs, sur fonds publics. À quand une remise en question de votre modèle ?
Nous inscrivons toute politique publique en matière d'eau, bien commun de première nécessité, dans l'accompagnement d'une volonté politique qui se matérialise de plus en plus sur le terrain : le retour au service public de sa gestion, afin que l'eau ne soit plus considérée comme une marchandise lambda et qu'elle reste exempte de toute profitabilité privée.
Portant cette conviction, nous devons aller au-delà, car deux enjeux pèsent sur la ressource : l'impérieuse nécessité de la sobriété et l'indispensable garantie du droit d'accès à l'eau pour tous. Or, dans le cadre des modes de gestion, ces deux exigences écologique et sociale éclairent définitivement le caractère dépassé du système de financement actuel de l'eau. Baisser la consommation pour s'adapter à l'urgence climatique et établir une tarification sociale progressive, c'est diminuer les recettes pour les communautés qui font face à un mur d'investissement pour la rénovation des infrastructures et la sauvegarde de la haute qualité sanitaire des eaux. L'État, au nom de la solidarité nationale, doit revenir en force et de manière pérenne aux côtés des collectivités. Telle est la logique qui devrait présider à un véritable plan national de l'eau que nous réclamons d'urgence.
Votre plan marque-t-il cette rupture ? La vérifie-t-on en termes de moyens ? Les 475 millions d'euros supplémentaires et la légitime suppression du plafond mordant constituent une amorce qui n'augure cependant pas un renversement du point de vue politique du Gouvernement en la matière.
Selon un rapport publié le 6 avril par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), un tiers de l'eau potable distribuée en France ne serait pas conforme à la réglementation. Elle est notamment polluée par les métabolites du chlorothalonil, un pesticide interdit en 2019 et dont les filières de traitement conventionnelles ne parviennent pas à se débarrasser de certaines molécules. Les données sur leurs effets sanitaires restent lacunaires. Un plan de rattrapage sur la qualité de la ressource est donc nécessaire. Or le sujet de la contamination des ressources hydriques par les micropolluants – les métabolites de pesticides et les substances perfluoroalkylées (PFAS) – est quasiment absent du plan « eau ». Quels moyens l'État entend-il apporter afin de financer les nouvelles filières de traitement toujours plus coûteuses pour lutter contre la concentration des molécules issues de pesticides interdits mais encore utilisés, comme le S-métolachlore, ou de médicaments, qui seront prochainement recherchés dans l'eau ?
Vous avez évoqué la nécessité de préserver la ressource avec différents points de captage pour sécuriser l'approvisionnement. Il existe des schémas départementaux d'alimentation en eau potable (SDAEP), rédigés il y a plus d'une vingtaine d'année, pour la plupart par des départements, mais ils sont obsolètes et ne sont plus pilotés. Ils préconisent souvent de regrouper des syndicats de l'eau et de supprimer certains points de captage, en contradiction totale avec vos recommandations. Il paraît donc urgent de réorganiser la gouvernance de ces schémas et de prévoir une révision conforme aux objectifs que nous définissons aujourd'hui.
Plusieurs députés nous ont interrogés sur les financements.
Monsieur Wulfranc, il n'existe pas de corrélation entre le mode de gestion et le niveau de performance du réseau. Le taux de fuite est très important dans certaines régies, tandis que des systèmes de délégation présentent un meilleur rendement lorsque le prix payé est un peu plus élevé. Le choix entre un service public en régie ou délégué ne paraît donc pas probant dans l'élaboration d'un plan « eau ». Il pourrait relever d'autres logiques, mais en tout cas pas de la qualité ni de la quantité.
Les financements des agences de l'eau exercent un effet de levier. En effet, les dépenses pour l'eau ne proviennent pas uniquement des agences de l'eau : elles s'élèvent au total à environ 20 milliards d'euros par an, dont 2,2 milliards d'euros sont constitués par le budget consacré à l'eau de ces agences. D'après nos estimations, qui s'appuient sur de nombreuses études, le plan permet un effet de levier de 6 milliards d'euros. Le rapport entre cette somme et ses effets est de un à dix : pour 180 millions d'euros prévus pour lutter contre les fuites, l'effort annuel s'établit à 1,8 milliard d'euros. Ces chiffrages proviennent des agences et des comités de bassin.
Le delta se fait avec les « aqua-prêts » de la Caisse des dépôts, et à partir du principe suivant : l'eau paie l'eau. Dans certains territoires, l'eau ne coûte presque rien en raison des refus d'effectuer des travaux sur les canalisations. Les taux de fuite y sont importants. Cependant, l'effort doit être partagé afin de ne pas pénaliser ceux qui paient déjà l'eau à son tarif normal.
Un foyer consomme environ 120 mètres cubes d'eau par an et paie en moyenne 4 euros le mètre cube – un tarif qui varie cependant de 1 euro à des montants parfois bien plus élevés. Si les redevances étaient répercutées sur les foyers, la facture reviendrait à environ 1 euro par mois et par foyer. Le Gouvernement a pour ambition de rééquilibrer une partie de ces redevances, afin que la production électrique nucléaire, qui représente une part très marginale du financement global de l'eau, soit davantage mise à contribution. La répartition des 475 millions d'euros ne sera donc pas proposée de manière homogène en fonction des pourcentages existants. Ce point devra être abordé dans le cadre du projet de loi de finances.
Monsieur Dragon, quelques-unes de ces mesures devront faire l'objet d'une validation législative, mais pas toutes : vous ne pouvez à la fois souligner l'urgence à agir et regretter que certaines mesures soient prises de manière réglementaire – et encore moins que la concertation ait été menée avec les élus locaux et les comités de bassin. Martial Saddier, par exemple, a salué le plan et a contribué à son élaboration, parce que nous nous sommes appuyés sur des élus de gauche et de droite au sein des territoires. Le plan a été coconstruit avec l'ensemble des comités de bassin et le Comité national de l'eau.
La récupération des eaux grises dans les immeubles est bien prévue dans le plan. Nous souhaitons par exemple réutiliser l'eau des machines à laver dans les toilettes. Nous ne visons pas les particuliers : dans le cadre de l'Ecowatt de l'eau, nous entendons sensibiliser et responsabiliser tout le monde. La consommation individuelle d'eau quotidienne s'établit à 148 litres : des efforts de sobriété peuvent donc aussi être réalisés à ce niveau. Les économies d'eau sont surtout précieuses pendant l'été, notamment parce que nous observons des déplacements touristiques dans les secteurs en plus fort stress hydrique durant cette période – je pense notamment au pourtour méditerranéen.
Je n'ai pas détaillé la situation de l'eau en outre-mer. Les taux de fuite y sont supérieurs à ceux observés en métropole, ce qui justifie les 35 millions d'euros – qui génèrent l'équivalent de 400 millions – complémentaires de soutien à ces réseaux. C'est à Mayotte que la situation est la plus critique en matière d'eau potable. Alors que la saison des pluies est terminée et qu'elle n'a pas permis de recharger suffisamment les nappes, et face à l'afflux de population, les infrastructures ne permettront pas de répondre aux besoins. Une nouvelle usine de désalinisation ouvrira à la fin de l'année, mais elle ne permettra pas d'éviter les restrictions. Ces tensions sont en partie responsables des frictions qui agitent l'île. Le taux de fuite le plus dégradé s'observe en Guadeloupe, où il est en moyenne de 60 %.
Si la désalinisation peut ponctuellement représenter une aide bienvenue, elle n'est pas une solution pour tous les territoires. Au-delà de son coût énergétique très important, en cas de hauts niveaux de sécheresse, ce procédé présente un risque d'infiltration d'eau de mer dans une partie des espaces intérieurs. Il peut donc s'agir d'une fausse bonne idée.
S'agissant de la gouvernance, nous préférons laisser aux préfets la main sur les restrictions, car ils jouent un rôle d'arbitre nécessaire et souhaité par les comités de bassin.
Plusieurs d'entre vous m'ont demandé s'il fallait une loi sur l'eau. Notre priorité a été d'apporter des réponses à la situation que nous avons vécue l'an dernier et de poser des bases, qui pour une grande partie ne relèvent pas du domaine de la loi. Depuis l'été dernier, 500 chantiers ont été lancés pour sécuriser des réseaux d'eau, dont certains sont déjà achevés. Il n'empêche que certaines des mesures présentées pourraient nécessiter des approfondissements législatifs. C'est notamment le cas de la mesure 35, qui prévoit qu'un département peut se réintéresser à un schéma départemental de l'eau, alors que certaines lois votées avant l'élection de M. Emmanuel Macron à la Présidence de la République avaient, en spécialisant les compétences, interdit aux départements d'y participer. La demande unanime de l'Assemblée des départements de France (ADF) est de permettre aux départements qui le souhaitent de rejouer un rôle. Il faudra donc trouver un véhicule législatif pour reprendre cette disposition, qui fait l'objet d'un consensus entre les départements et le Gouvernement.
Il est souhaitable que la tarification sociale soit progressive. Nous respectons la libre administration des collectivités territoriales, mais nous estimons qu'il faut sortir d'une logique selon laquelle le centième mètre cube d'eau coûte moins cher que le premier. Une étude et une réflexion ont été commandées au Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur le sujet afin que nous nous appuyions sur une expertise diversifiée.
La qualité de l'eau fait l'objet d'une dizaine de mesures du plan.
Madame Pochon, la sécheresse touche des pays dans lesquels les écologistes sont au pouvoir, et d'autres dans lesquels ils ne le sont pas. Gardons-nous de simplifications extrêmes. Je crois à la nécessité d'étudier la situation territoire par territoire. Ce constat vaut pour les projets de retenue, qui dépendent, par exemple, de la qualité des sous-sols, mais il s'applique aussi aux propositions trop générales. Certes, la consommation de viande doit diminuer à l'échelle mondiale. Cependant, remplacer nos prairies – qui participent au captage du carbone – par des plantations spécialisées poserait d'autres problèmes dans l'équilibre global. Nous avons déjà des marges sur lesquelles avancer, compte tenu des niveaux d'importation qui engendrent une empreinte carbone encore plus forte que celle de notre propre production. Il faut donc adopter une approche globale. Il en va de même concernant l'idée d'un accaparement de la ressource par les agriculteurs, qui oublie que cette consommation d'eau est intégrée à notre propre consommation par la nourriture.
N'oublions pas non plus qu'une partie de l'empreinte hydrique est aussi liée à ce que nous portons : la consommation hydrique du secteur textile est immense. Nous ne produisons que 3 % du textile que nous portons en France. Il faut environ 8 000 litres d'eau pour fabriquer un jean. La lutte contre l' ultra-fast fashion participe donc à l'équilibre écologique global, qui doit considérer l'ensemble de nos usages, dont l'empreinte est liée à des schémas de mondialisation parfois trop poussés.
L'agriculture est bien traitée dans les volets du plan relatifs à la qualité, à l'optimisation de la ressource et à la sobriété. L'appel théorique d'eau va augmenter ; puisque nous ne pouvons en consommer un volume supérieur, la sobriété à l'hectare est nécessaire. Or il s'agit déjà d'un défi immense pour l'agriculture, notamment dans certains territoires.
Plusieurs d'entre vous nous ont interpellés sur les moyens. France relance a créé différents outils en matière de stockage et d'économies d'eau ; France 2030 y consacrera également des moyens spécifiques. Des moyens supplémentaires seront alloués dans le cadre des programmes mis en œuvre par les agences de l'eau ; ils pourront être complétés par les régions ou d'autres collectivités qui décideront de se saisir de la question. Nous aurions tout intérêt à montrer que l'ensemble des acteurs vont dans la même direction en soutenant collectivement cet effort.
J'ai entendu à plusieurs reprises qu'il suffirait de changer de modèle. Madame Pochon, vous êtes élue dans la Drôme, où je ne pense pas que de nombreux hectares soient dédiés à la production de maïs. Dans ce département comme dans d'autres, l'enjeu est que chacun puisse avoir accès à l'eau, afin que les activités de production de lavande, de vigne ou de maraîchage puissent se poursuivre. Quelle autre solution proposez-vous ? Ces territoires subissent déjà la contrainte de l'eau. Vous voudriez faire appliquer une mesure uniforme. Je rappelle que pour produire un kilo de blé, il faut deux à trois fois plus d'eau que pour un kilo de maïs. L'appel d'eau du blé n'a pas lieu à la même période que celui du maïs ; cette eau n'en est pas moins prélevée dans la réserve totale de 500 milliards de mètres cubes. Si nous raisonnons au niveau global, et non territoire par territoire, il faudrait donc produire moins de blé. En Poitou-Charentes, l'assolement de maïs a déjà été réduit de 25 à 30 % : ne croyez pas que nous partons de rien. Par ailleurs, l'eau est toujours prélevée en fonction du niveau des nappes.
Enfin, vous voudriez que nous soyons plus autonomes et que nous ne dépendions pas du soja brésilien pour l'alimentation animale. Il faut donc davantage de prairies ; or ces dernières sont menacées par le dérèglement climatique, notamment dans le Massif central. Sans prairies, il faut un complément – soit du soja, qui nécessite de grandes quantités d'eau, soit du maïs, qui permet une autosuffisance pour l'alimentation animale. On ne peut demander à l'agriculture tout et son contraire. Cela ne signifie pas que les modèles alimentaires ne doivent pas évoluer, mais toute production a besoin d'eau. Le transfert théorique que vous recommandez ne fonctionne pas, dès lors que sont prises en compte les valeurs énergétiques des productions, la qualité et la quantité d'eau ou la réappropriation de la souveraineté alimentaire. René Dumont, auquel vous vous référez, était selon moi une figure pragmatique, et non pas dogmatique. Faisons preuve de pragmatisme, nous aussi, plutôt que d'essayer de répondre à des injonctions constamment contradictoires.
Je ne dis pas qu'il ne faut pas faire évoluer les modèles – c'est d'ailleurs ce que font d'ores et déjà les agriculteurs. Nous devons adopter un point de vue global, car la France n'est pas isolée. En Italie, l'agriculture prélève 25 milliards de mètres cubes d'eau, contre 3 milliards en France. Ne pensez-vous pas que notre système est bien plus vertueux que celui d'autres pays ? Cela ne signifie pas que l'agriculture ne doit pas fournir sa part d'effort, mais il est erroné de prôner la fin de nos capacités de production. Le sujet est celui de la gestion de l'eau, pas du changement de modèle. Quelle autre solution proposeriez-vous à ces territoires ?
J'invite maintenant les autres députés à poser leurs questions à M. le ministre Marc Fesneau, qui leur apportera une réponse groupée avant de nous quitter, tenu par un autre engagement.
Le président Macron l'a dit lui-même le 30 mars : le changement climatique va nous priver, à l'horizon 2050, de 30 à 40 % de l'eau disponible dans notre pays. Dès lors, comment votre plan peut-il faire l'impasse sur l'une des activités les plus gourmandes en eau, l'agriculture intensive, et plus particulièrement l'élevage industriel ? La culture du maïs représente à elle seule 60 % des surfaces irriguées et 20 à 25 % du volume d'eau douce consommée en France ; or sa finalité première est de nourrir les animaux d'élevage, notamment des poulets et cochons, majoritairement élevés de manière industrielle. Il faut ainsi 7 900 litres d'eau pour produire un kilo de protéines carnées. Le véritable gaspillage est là. L'élevage industriel est aussi responsable de 74 % de l'eutrophisation des espaces aquatiques et du phénomène des algues vertes en Bretagne.
Quand allez-vous interdire les fermes usines et mettre au point une véritable politique pour une plus grande végétalisation de notre alimentation, comme le recommandent le Giec et les plus grandes organisations environnementales ?
Le 30 mars dernier, monsieur Fesneau, vous avez dit aux agriculteurs de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) qu'ils n'auraient pas d'efforts supplémentaires à faire. Ne prétendez donc pas le contraire devant nous.
Vous deviez vous rendre demain dans mon département pour visiter un lycée agricole et entendre les conclusions de la concertation régionale sur le pacte et la loi d'orientation et d'avenir agricoles (PLOAA). Étant donné que vous avez annulé votre déplacement, je tenais à vous informer de l'une de ses conclusions : certaines personnes concertées proposent de désanctuariser les zones humides pour y installer des réserves de substitution. Un étudiant en agronomie présent a cru à une coquille, tant l'approche paraît à rebours de tout impératif écologique. Au regard de l'intérêt des zones humides pour favoriser l'infiltration et le maintien de l'eau dans le sol, quel est votre avis sur cette proposition ? J'aimerais aussi avoir le point de vue de M. Béchu sur ce sujet, alors que le plan « zone humide 2022-2026 » vient d'être lancé par le Gouvernement.
Je suis corapporteur d'une mission d'information de la commission des affaires économiques sur la gestion de l'eau pour les activités économiques – en particulier l'industrie, l'agriculture, le tourisme et l'énergie. À travers ses exportations de légumes, l'Espagne a exporté énormément d'eau à un grand nombre de pays européens. Nous serons prochainement confrontés à un problème de gestion des priorités. Dans la gouvernance générale que vous avez évoquée, quelle priorité l'État accordera-t-il à la préservation de notre eau ? Notre production agroalimentaire sera-t-elle destinée à l'exportation, ou devra-t-elle uniquement couvrir les besoins de notre pays ?
Dans un contexte de sécheresse, l'État s'achemine vers la prise d'arrêtés départementaux prévoyant différents niveaux d'alerte, avec des mesures de vigilance et de restriction pour chaque niveau. Cependant, la pression médiatique est forte, tout comme le risque de voir édicter des mesures de restriction uniformes ne tenant pas compte des spécificités locales et des différents usages. Ainsi, les agriculteurs craignent que les mêmes restrictions s'appliquent à l'eau prélevée dans les milieux et dans les réserves stockées, alors que la vocation de ces dernières est précisément d'être sollicitées en période de sécheresse sans affecter les milieux naturels. Je souhaite vous rappeler l'absence de fondement réglementaire à considérer sur le même plan ces deux types de prélèvements. Si les mesures de restriction sur les ressources stockées sont bien nécessaires, il convient, dans la répartition des stocks, de bien objectiver au préalable l'impact de toute mesure de restriction afin de préserver les usages prioritaires comme l'eau potable et l'agriculture, qui répondent à un impératif de souveraineté alimentaire.
Le département du Rhône est confronté à une situation paradoxale. Nos agriculteurs se concertent pour rénover et créer des retenues collinaires de taille raisonnable. Ils obtiennent assez souvent les autorisations nécessaires à ces réalisations, mais ne sont pas toujours éligibles aux aides publiques car ces projets sont situés dans des zones rouges. Faute de moyens suffisants, de nombreux projets ne peuvent pas voir le jour alors qu'ils sont autorisés par la police de l'eau. Les mesures que vous proposez permettront-elles de mettre fin à ce paradoxe ? Ces projets, comme le travail sur la mise à disposition d'une partie de l'eau stockée dans des retenues privées, permettraient d'éviter aux portes de Lyon la disparition de l'agriculture nourricière dont notre bassin de vie a tant besoin.
« Il faut se baser sur la science pour évaluer avant de décider, mais l'Anses n'a pas vocation à décider de tout, tout le temps, en dehors du champ européen et sans jamais penser aux conséquences pour nos filières », avez-vous déclaré le 30 mars dernier au congrès de la FNSEA. Il semble, monsieur le ministre, que la science vous dérange, surtout quand notre agence sanitaire interdit enfin l'herbicide S-métolachlore, dont les métabolites cancérigènes sont présents dans toutes nos masses d'eau.
Vous remettez en cause l'indépendance – certes perfectible – de l'Anses, uniquement pour complaire aux lobbies de l'agriculture chimique. Le fait que ce pesticide soit cancérigène et que des millions de concitoyens en boivent tous les jours passe au second plan ; que l'agence soit également sous la tutelle des ministères de l'écologie et de la santé ne vous préoccupe pas davantage.
Du haut de votre vision productiviste de l'agriculture, vous vous estimez seul compétent pour discuter les décisions de sécurité sanitaire du pays. Quand allez-vous troquer votre veste de VRP de l'industrie phytosanitaire pour celle de ministre de l'agriculture et de l'alimentation, chargé d'engager le pays dans l'impérative transition agroécologique ?
Le débat sur la ressource vitale qu'est l'eau doit être abordé avec le plus grand sérieux. J'en appelle à tous mes collègues : moralement, nous n'avons pas le droit de faire de la politique, il en relève uniquement de notre responsabilité.
N'avons-nous pas l'occasion d'encourager et de renforcer la dynamique de diversification à l'échelle des bassins systémiques, afin de répondre de façon multifactorielle aux questions qui se posent en matière de difficultés climatiques ? La diversification résoudra des problèmes liés à la résilience et à la biodiversité. N'oublions pas que le lagunage peut compléter les techniques habituelles d'assainissement. Enfin, pensons à favoriser chez tous les élus de nos territoires une nécessaire prise de conscience face aux problèmes posés par la raréfaction de la ressource en eau et aux périmètres de protection de captage, alors que les arrêtés préfectoraux en la matière ne sont pas toujours appliqués.
Nous apprenons que 30 millions d'euros supplémentaires par an seront consacrés au soutien des pratiques agricoles. Les territoires ultramarins seront-ils bien concernés par ces aides ?
Vous avez opté pour une stabilisation des prélèvements du secteur agricole, contre des changements de pratiques significatifs comme la conversion à des cultures moins voraces en eau ou un virage agroécologique. La profession est un peu désorientée face à une feuille de route aux injonctions aussi contradictoires, qui légitiment en même temps le modèle actuel et une transition périlleuse vers une nouvelle carte de la France agricole. Les 30 millions d'euros que vous promettez au secteur à cette fin lui paraissent-ils suffisants ? Les agriculteurs redoutent un renforcement excessif de l'écoconditionnalité des aides et une application à sens unique de la logique pollueur-payeur, qui ne valoriserait pas leur action en faveur de la nature. Pouvez-vous les rassurer à ce sujet ? Comptez-vous enfin lever les contraintes qui limitent la possibilité de stocker de l'eau entre le 1er novembre et le 31 mars, de désenvaser les fossés ou les étangs sans attendre le feu vert de l'administration, ou de laisser faire la nature ?
Vous ne m'entendrez jamais dire que le statu quo est la voie à suivre. La géographie agricole va changer, mais c'est le climat qui la modifiera, et non le Gouvernement. Les contraintes que connaissent dès à présent certains territoires seront amenées à évoluer. Le monde agricole en est bien conscient, car l'agriculture est la seule activité qui dépende principalement de ce qui se passe dans le ciel. Dans le Massif central, les prairies sont très durement affectées par le dérèglement climatique. Même s'il continue de pleuvoir, les quantités d'eau diminuent. Les 30 millions d'euros s'ajoutent à des dispositifs qui existent déjà dans les agences, à ceux de France 2030 et au système de la politique agricole commune (PAC). Pour ma part, je ne crois pas à la rupture dans des systèmes biologiques qui ont besoin de temps. Cependant, assumer ce temps de transition ne signifie pas que nous ne sommes pas décidés à mener cette dernière.
L'outre-mer bénéficiera d'une enveloppe spécifique de 35 millions d'euros, qui s'ajoutera à une partie de ces 30 millions pour répondre aux défis particuliers de ces territoires.
Monsieur Prud'homme, les pratiques agricoles doivent bien entendu évoluer. Sur le volume global, nous souhaitons une meilleure sobriété à l'hectare, qui reposera sur des efforts consentis par le secteur.
Je ne remets pas en cause les avis de l'Anses. Certains de vos collègues me demandent d'ailleurs d'aller à l'encontre des préconisations de l'agence en matière de claustration des animaux pour prévenir la grippe aviaire ; or personne ne vous accuse d'être à la solde de tel ou tel lobby ! Ce sujet doit vous inviter à faire preuve de subtilité. Encore une fois, la France n'est pas isolée : si je prends une décision qui sera remise en cause par une décision européenne dans quelques années, nous nous retrouverons avec des produits importés d'Allemagne, d'Espagne ou de pays extra-européens qui ne respectent pas les mêmes règles que nous. Nous avons besoin de synchroniser les calendriers : cela ne remet en rien en cause l'analyse scientifique.
S'agissant de la restitution de la concertation sur le PLOAA, ni M. Christophe Béchu ni moi-même ne remettons en cause la protection des zones humides. Aujourd'hui, il n'est pas possible de construire un ouvrage dans une zone humide – ce qui n'empêche pas que nous ayons besoin de réserves dans certains territoires. J'en profite pour dire un mot de Sainte-Soline, que personne n'a mentionné, à mon grand étonnement : l'objectif est de passer de 21 millions à 6 millions de mètres cubes prélevés l'été à la fin du projet, associé à des engagements sur la plantation de haies, la réduction de l'usage des produits phytosanitaires et la modification des assolements. Si ce projet n'est pas accepté, comment enclencher la transition que nous souhaitons ?
S'agissant de la consommation de viande et de légumes, nous devons commencer par reconquérir notre souveraineté. Dans un contexte de dérèglement climatique, pour assurer la sécurité alimentaire, il nous faut ajuster la production, notamment par le stockage. Nous ne pouvons renoncer à notre vocation exportatrice. Certains pays ne pourront plus produire en raison du dérèglement climatique : dans notre intérêt géopolitique et humanitaire, nous devrons pourvoir à leurs besoins – certes, pas de manière illimitée…
La limite n'est pas facile à établir : il faudrait regarder production par production. Pour reconquérir notre production de fruits et légumes, dont une partie importante est importée d'Espagne, nous avons besoin d'eau.
La tendance naturelle est à une diminution de la consommation de viande, mais quelqu'un serait-il capable de me définir une ferme usine ou un élevage industriel ? Comment le quantifiez-vous ?
Vous devriez vous rendre à l'étranger pour constater ce qu'est un élevage industriel. 50 % de la volaille consommée dans notre pays n'est pas d'origine française : si nous n'avons pas plus d'élevages, nous devrons importer davantage, par exemple de la volaille brésilienne – ce qui aura un fort impact environnemental. Nous devons faire correspondre la demande de consommation et l'offre. Il ne suffit pas de décréter qu'il faut réorienter la consommation. La France n'est autosuffisante sur aucune production de viande.
Monsieur Lovisolo, les usages prioritaires varient selon les besoins des territoires. Il est donc difficile de répondre à votre question.
Monsieur Fugit, la question du zonage renvoie à un débat européen et non national. Le zonage est justifié par l'état de la nappe. Cependant, les zonages n'ont pas été excessivement étendus, car il serait contre-productif de ne pas pouvoir construire d'ouvrages qui permettent de limiter les difficultés de gestion de l'eau.
Monsieur Ott, nous avons besoin d'une gestion nettement territoriale, et non nationale. Les difficultés varient fortement d'un territoire à l'autre. Les Pyrénées-Orientales font face à une crise récurrente et dramatique : à peine 200 millimètres d'eau y sont tombés en treize mois. Certains territoires sont confrontés à des problèmes liés aux nappes, d'autres à la fonte des glaciers. Il me semble que cette différenciation ne relève pas de l'État, mais des régions, des départements, des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et des communes. Certaines régions ont déjà modélisé la coopération entre les acteurs : c'est le cas en Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Nous devons acculturer beaucoup plus de territoires aux contraintes d'usage : c'est aussi l'une des vocations du plan « eau ».
Je souhaiterais répondre moi aussi à Mme Belluco à propos de la préservation des zones humides. Sur les 475 millions d'euros, 50 millions sont spécifiquement dédiés à ces zones. En outre, cette année aura lieu la remise à plat de la stratégie nationale biodiversité (SNB), qui accordera une large part aux zones humides, en complément du plan 2022-2026. Leur sanctuarisation est une priorité.
Monsieur le ministre Marc Fesneau, je vous remercie pour votre présence. Il est rare que la commission du développement durable reçoive un ministre de l'agriculture à deux reprises en un an.
Mes chers collègues, je vous invite maintenant à poser vos questions à M. le ministre Christophe Béchu.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué la désalinisation et mis en avant les territoires littoraux sur la question de la réutilisation. Votre collègue Mme Bérangère Couillard s'est rendue la semaine dernière aux Sables-d'Olonne pour aborder ce sujet et a signé un accord avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Malgré les limites de la désalinisation, je m'étonne que cette question ne soit pas plus largement abordée dans le plan « eau ». Les expérimentations qui ont été menées, notamment sur l'île de Groix, ont en effet démontré leur efficacité. Les territoires d'outre-mer sont également concernés. Il me semble que le volet recherche et innovation devrait davantage explorer cette piste, qui représente un vrai gisement de disponibilité de la ressource en eau.
La production d'un litre d'eau douce à partir d'un litre d'eau de mer génère un litre et demi de saumures, pour un coût cinquante à quatre-vingts fois plus élevé que celui d'un litre d'eau potable sans recours à ce procédé. En outre, la désalinisation entraîne des émissions de gaz à effet de serre importantes en raison des besoins énergétiques. Les saumures provoquent des excès de salinisation qui menacent les coraux et une partie des fonds marins aux bordures immédiates des usines. Certes, dans les pays du Golfe, à Mayotte ou dans d'autres territoires, ce procédé se justifie ; mais compte tenu de l'eau dont nous disposons, il me semble que nous lancer dans cette voie reviendrait à jouer aux apprentis sorciers.
En revanche, nous aurions intérêt à encourager la recherche et le développement. Ainsi, aux États-Unis, des techniques de membrane permettent de limiter les rejets. En outre, une partie des saumures pourraient être utilisées comme fertilisants.
La qualité de l'eau est la grande absente de votre plan, en dépit de l'avalanche de scandales sanitaires. Votre plan prévoit de maigres incitations à réduire l'usage des pesticides qui contaminent notre eau dans les aires d'alimentation et de captage. Pourquoi ne prévoir aucune interdiction des pesticides les plus problématiques au cœur de ces zones sensibles ?
Le plan ne dit rien sur les pesticides utilisés à proximité des cours d'eau ou des côtes, qui sont pourtant des zones particulièrement vulnérables.
Enfin, votre plan est muet sur les PFAS, alors qu'il s'agit d'une source massive de contamination de l'eau et que le rapport commandé par le ministère de l'écologie à ce sujet préconise la surveillance des eaux potables. Pourquoi ne pas instaurer un contrôle obligatoire des PFAS dans les eaux de consommation ?
Un plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (PGSSE) est prévu pour chaque point de captage. Il est d'ailleurs aberrant que nous n'en disposions pas dès à présent. De même, le plan prévoit la fermeture préfectorale des points où des dépassements de seuil sont constatés. Actuellement, 3 000 aires de captage sont fermées compte tenu des niveaux de concentration que vous évoquez.
S'agissant des pesticides et des intrants, le plan compte déjà cinquante-trois mesures. Les mesures 23 à 32 portent sur la qualité de l'eau et prévoient que le plan Écophyto – que nous devons relancer et amplifier en raison du manque de succès qualitatif du précédent – devra être dupliqué dans ces PGSSE.
Nous sommes encore au début de l'histoire des PFAS. Lors du G7 de Sapporo, des ministres du climat ont pour la première fois appelé à se pencher sur cette question, alors que la seule précédente mention internationale de ce sujet remontait à la convention de Stockholm, en 2009, où seules trois catégories de PFAS étaient visées. Les mesures que nous avons lancées en janvier pour approfondir notre connaissance sur ces pesticides et la mission parlementaire qui sera confiée à M. Isaac-Sibille nous permettront d'aller plus loin.
Seulement 1 % des eaux traitées dans les stations d'épuration sont aujourd'hui recyclées, alors que les performances de ces stations sont de plus en plus élevées pour répondre aux normes de rejet. Quels obstacles administratifs faut-il lever rapidement pour une réutilisation de ces eaux ? Quelles modalités de réemploi pourraient être déclinées ? Sur le littoral, en particulier, l'afflux touristique pendant l'été conduit à une très forte production d'eau qui gagnerait à être réutilisée.
Le niveau moyen de réutilisation s'établit à 0,8 %. Il nous faut surmonter les freins posés par le ministère de la santé et les agences régionales de santé (ARS). Le principe de précaution élargi à la question de l'eau amène à considérer que l'eau potable est partout préférable à l'eau de source. C'est ce qui explique l'interdiction d'utiliser des eaux grises dans les cuvettes des toilettes, par mesure de sécurité, notamment envers les enfants.
Le plan prévoit d'autoriser le lancement de 1 000 projets, qui formeront une première vague d'expérimentations. Ces projets sont ciblés : je pense par exemple au nettoyage de voirie entre Cannes et Antibes ou à l'arrosage d'espaces verts ou de pelouses. Ces eaux usées sont par ailleurs potentiellement potables : les entreprises françaises sont championnes dans ce domaine. Elles sont très actives en Espagne ou en Italie. Si nous devons progresser en la matière, la réutilisation ne sera néanmoins pas une solution miracle : un rejet d'eaux usées dans une rivière n'a pas le même impact qu'un rejet sur le littoral, où le gain de la réutilisation est immédiat, notamment en période de stress hydrique et de fort afflux touristique.
Aux termes du point 28 du plan « eau », « en cas de dépassement des exigences de qualité fixées pour les eaux destinées à la consommation humaine par un pesticide toujours utilisé, des mesures de gestion permettant de juguler le risque seront mises en place ». Qu'en est-il des pesticides comme les métabolites de chloridazone, identifiés dans l'eau potable d'une vingtaine de communes de ma circonscription dans l'Aisne ? Ce pesticide autorisé durant longtemps et utilisé en toute légalité par nos agriculteurs a été interdit le 1er janvier 2021. Depuis quelques mois, du fait du dépassement du seuil de métabolites, certaines communes telles que Le Thuel ou Merlieux-et-Fouquerolles sont ravitaillées en packs d'eau. La maire de Merlieux s'est vu proposer que sa commune soit raccordée à un réseau voisin pour diluer la présence de ces métabolites ; or cette opération nécessite un investissement de près de 800 000 euros, pour un village de 260 habitants. Comment l'État compte-t-il aider les habitants de ces communes ?
Je prendrai contact avec les élus de ces communes et le préfet pour activer une partie des mesures d'urgence décidées. La mesure 28 est claire : en cas de dépassement des seuils, le captage est interdit et il convient d'adopter d'autres solutions. Les interconnexions, à nouveau, sont un moyen efficace d'éviter ces problèmes à l'avenir.
Dans les Hautes-Alpes, nous disons souvent qu'il est heureux que le barrage de Serre-Ponçon ait été construit car cette réalisation ne serait plus possible aujourd'hui. Or, que ferions-nous en 2023 sans Serre-Ponçon ? Pas d'activités touristiques, pas d'irrigation pour l'activité agricole de la vallée de la Durance jusqu'à la plaine de Crau, pas d'alimentation en eau potable de la métropole Aix-Marseille ni de gestion des crues dévastatrices de la Durance ou des sécheresses multiples qui se sont succédé pendant de nombreuses années !
Si les usages permis par cette retenue sont partagés, le risque, lui, ne l'est pas entre l'amont et l'aval. Depuis le 1er janvier 2018, les EPCI doivent assumer la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations. La taxe, votée par le conseil communautaire, est limitée à 40 euros par habitant : le département des Hautes-Alpes, peuplé de 140 000 habitants, doit donc gérer les risques naturels et ses milieux aquatiques avec une somme de 5,6 millions d'euros. Il est temps que le citoyen de l'aval participe au financement de la gestion des cours d'eau en amont, si nous voulons éviter des catastrophes humaines et environnementales.
La question de la solidarité est en effet cruciale, et elle dépend fortement des usages et des territoires. Dans les Pyrénées-Orientales, les frontières du département correspondent à celles des nappes et des ressources. À l'inverse, ce que vous décrivez correspond à la réalité d'une partie des territoires de montagne, qui nécessitent une amélioration des modèles de solidarité – sachant que la diminution de l'enneigement soulèvera de nouvelles problématiques à l'avenir.
Le plan « eau » du Gouvernement prévoit d'augmenter le budget des agences de l'eau de 475 millions d'euros par an et de relever le plafond mordant unique qui pèse sur leurs dépenses d'investissement à partir de 2025. Il était temps, car nous faisions face à une véritable incompréhension. Chaque année, l'État prend 300 millions d'euros aux agences pour combattre le déficit public tout en leur imposant d'apporter l'essentiel des recettes de l'Office français de la biodiversité (OFB), au détriment de la modernisation des réseaux et des stations d'épuration. Aujourd'hui, l'eau ne paie plus pour l'eau, mais pour la biodiversité.
Pourriez-vous nous en dire davantage sur l'évolution de cette logique, qui fait peser sur l'usager et le petit cycle l'essentiel du financement de la politique de l'eau ? Pourquoi la biodiversité ne paierait-elle pas pour l'eau, comme l'ont suggéré le rapport Richard-Jerretie – en affectant une part de la taxe d'aménagement des départements aux agences – ainsi que la directive européenne sur les eaux résiduaires urbaines ?
Vous avez raison : les moyens consacrés à l'eau ont été diminués depuis une quinzaine d'années par tous les gouvernements confondus, en suivant des règles parfois purement comptables, comme celle des plafonds mordants. Les agences de l'eau ont ainsi diminué leur niveau de redevance. Il est arrivé que les collectivités aient maintenu les centimes d'euros diminués par les agences, ce qui a conduit à une évaporation des moyens publics destinés à agir dans ce domaine.
En ajoutant un demi-milliard d'euros, nous revenons à la philosophie selon laquelle l'eau paie l'eau. Parallèlement aux prélèvements destinés à l'OFB, nous construisons dans le cadre de la SNB une trajectoire de financement de la biodiversité. Nous nous retrouverons avec environ 2,5 milliards d'euros pour l'eau. Les moyens alloués à la biodiversité restent très éloignés de ce que nous devrions y consacrer. Or, l'inaction en matière de protection de la biodiversité a un coût : la prolifération des ravageurs affecte les rendements agricoles, tandis que le coût estimé de la sécheresse de 2022 s'élève, au minimum, à 2 milliards d'euros. Ces deux trajectoires parallèles devront se rejoindre au moment de la prochaine loi de finances.
La gouvernance de l'eau est complexe : syndicats de rivières, SAGE, schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage), établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (Epage), établissements publics territoriaux de bassin, commissions locales de l'eau (CLE) – les acteurs sont si nombreux que l'on finit par s'y perdre…
Les conseils départementaux sont des acteurs clés et historiques de la gestion de l'eau. Ils établissaient autrefois des schémas départementaux d'approvisionnement en eau potable et d'assainissement. Les départements, enfin, sont les principaux financeurs aux côtés de l'État, puisque l'agence de l'eau ne bénéficie pas de la même proximité avec le terrain. L'échelon départemental est donc essentiel pour mutualiser les investissements, mais aussi pour établir une solidarité grâce aux interconnexions ainsi que pour la prospection. Je me demande en effet si nous avons bien fait l'inventaire de toutes nos réserves en eau : outre les nappes phréatiques, nous avons des nappes aquifères souterraines, notamment dans le Jura, qui ne sont pas utilisées.
Par ailleurs, vous avez parlé de l'utilisation des eaux grises dans les toilettes. Ne pourrions-nous pas développer davantage la recherche sur les toilettes sèches ?
L'écheveau formé par la gouvernance compte en effet une grande quantité de niveaux. Toutefois, il convient de distinguer ce qui relève parfois d'une capacité à s'adapter aux territoires. Pour éviter les guerres de l'eau, il faut en effet que tous les usagers puissent échanger au sein d'instances dédiées. Vous estimez qu'il y a trop d'instances ou de structures ; c'est le point de vue de ceux qui n'en font pas partie. Cependant, le besoin de simplification est réel, car le système actuel est source de gaspillage et d'inefficacité.
Nous devons en outre parvenir à couvrir l'ensemble du territoire. La moitié des sous-bassins n'a pas de plan de gestion, tandis que certains secteurs ne font pas l'objet d'une réflexion collective – en raison, généralement, d'une forme de déni face aux difficultés. Or, l'année dernière, quatre-vingt-treize départements ont fait l'objet de restrictions, dont un grand nombre n'avaient jamais connu cette situation. Il n'y avait donc ni arrêté sécheresse, ni instance de discussion. Plusieurs jours ont été nécessaires pour bâtir une doctrine. Pour se préparer aux épisodes comme ceux que nous avons connus – et qui surviendront à nouveau –, la totalité du territoire doit être couverte par des mesures de restriction homogène. Dans quelques jours, j'aurai l'occasion de présenter le plan « sécheresse », dont la version de 2021 a été actualisée, et qui apporte un cadre pour les restrictions, afin que les préfets puissent durcir les règles lorsqu'ils le souhaitent mais qu'à l'inverse, un seuil minimal soit établi. Par exemple, le préfet des Pyrénées-Orientales va interdire la vente de piscines hors sol sur son territoire afin d'empêcher le premier remplissage, qui est une cause de dérogation, et de protéger l'arboriculture.
S'agissant des toilettes sèches, il me semble que nous devons d'abord considérer l'ampleur des gisements d'eaux grises. Commençons par autoriser l'utilisation de ce type d'eau pour alimenter les cuvettes des toilettes, dont la consommation n'est pas du tout marginale puisqu'elle représente 18 % de la consommation journalière, contre 39 % utilisée pour se laver.
Les eaux pluviales pourraient être utilisées, notamment dans les bâtiments, pour alimenter les toilettes ou les machines à laver. Dans le cadre des travaux d'élaboration du plan « eau », avez-vous réfléchi à une obligation de récupération des eaux pluviales pour ces usages visant les nouveaux bâtiments tertiaires ou résidentiels ?
Dans un contexte de tensions accrues sur la ressource, de plus en plus de particuliers s'équipent en cuves pour retenir les eaux pluviales pour leurs besoins de jardinage ou de maraîchage. Une étude a-t-elle été menée sur l'impact potentiel de la généralisation de ces cuves sur le cycle de l'eau ?
Certains territoires versent des aides financières pour permettre aux particuliers de s'équiper en cuves. Une réflexion sur cette mesure pourrait être menée en amont du prochain projet de loi de finances. De telles aides existaient il y a une dizaine d'années encore, mais le sujet s'est progressivement effacé du débat public. Dans des territoires en crise, ces dispositifs pourraient avoir une forme d'utilité pour les particuliers, à condition d'être assortis d'un plafond de ressources.
La généralisation des cuves n'est pas suffisante pour évaluer l'impact sur le cycle de l'eau.
Le véritable sujet est celui du « zéro artificialisation nette » et de la lutte contre l'artificialisation des sols. La « ville éponge » doit permettre la recharge des nappes en évitant une imperméabilisation totale des sols. Le fonds vert a démontré son efficacité à cet égard : en témoignent les demandes de perméabilisation, de renaturation ou de déminéralisation des cours d'école. De même, le plan de plantation de 1 milliard d'arbres est crucial. Les arbres jouent en effet un rôle de pompe à eau, et favorisent le stockage de l'eau dans les sols. La lutte contre la déforestation dans les grands bassins est donc un enjeu majeur.
Nous n'avons toutefois pas souhaité établir d'obligation, car la situation varie en fonction des bassins et des secteurs. Nous avons privilégié une logique d'incitation ou de soutien. L'eau de pluie, en effet, sert également à recharger la terre, dès lors qu'elle ne tombe pas sur une surface goudronnée.
Le 13 décembre 2022, lors des questions au Gouvernement, vous m'aviez indiqué que vous finalisiez avec M. Fesneau un décret permettant de combler les failles dans lesquelles s'engouffrent les industriels pour exporter des pesticides interdits sur le sol européen. Il s'agissait d'actualiser le décret de mars 2022 d'application de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « Egalim ». Quatre mois plus tard, ce décret n'est toujours pas paru et la France continue à exporter ces pesticides. Avez-vous renoncé à le publier ?
Ce n'est pas le pesticide, mais la molécule active qui était en cause : l'interdiction des produits n'avait pas précisé que cette dernière était également visée. Je vous avais indiqué que nous finalisions le décret, et que nous faisions également face à un enjeu européen, puisque la production de pesticides avait augmenté chez nos voisins. Ainsi, une partie des produits qui n'étaient plus autorisés en France étaient exportés en Suisse et en Allemagne. Ce combat européen repose notamment sur le règlement Reach et il doit être soutenu par la Commission, afin que certains de nos voisins y participent. Nous poursuivons ce double mouvement. J'en discuterai avec le commissaire M. Thierry Breton dans les jours à venir, au regard de la tentation de repousser ce débat au-delà de 2023 ; or les élections européennes de 2024 risqueraient de le retarder davantage encore.
La gestion intégrée des eaux pluviales est un concept que nous devrions appliquer à la lettre pour éviter des infrastructures coûteuses pour les collectivités. Dans le cas de la construction d'un lotissement, le lotisseur reporte ce coût sur celui du terrain, alors qu'il revient à la collectivité d'effectuer les travaux en cas de renouvellement.
La France a la chance de compter de grands groupes parmi les leaders mondiaux sur la thématique de l'eau. Malheureusement, nous n'en voyons pas les bénéfices sur notre territoire, mais seulement en dehors de nos frontières, par exemple en Espagne ou en Italie où les eaux usées sont réutilisées et où les boues d'épuration font rouler les flottes de véhicules de certaines collectivités. Que pourrions-nous faire pour que ces pratiques soient appliquées en France ? Comment faire pour que les collectivités publiques arrêtent de procéder à des délégations de service public sur cinq ans qui empêchent ces leaders d'investir davantage ? En effet, à l'étranger, les délégations sont de l'ordre de quinze ans, ce qui encourage ces groupes à y réaliser des travaux, plutôt que dans notre pays.
Il n'est pas obligatoire de passer une délégation auprès de l'un de ces groupes pour obtenir ce type de résultats. Il suffit de lui demander, au moment où il fabrique la station d'épuration, de le faire. Je le dis d'autant plus que j'ai été à la tête d'une collectivité qui assure une gestion en régie mais a fait appel à ces groupes pour améliorer ses procédés ; elle fait aujourd'hui partie des territoires d'expérimentation, par exemple pour ses pelouses – c'est la ville la plus verte de France en termes de surface d'espaces verts par habitant.
Nous avons vécu avec deux faux principes : le principe de précaution, en misant à tort sur l'abondance, et la présupposition d'une absence d'acceptabilité sociale. Dans le cadre du plan « eau », le ministère a commandé un sondage auprès des Français, pour un coût de 8 000 euros. J'ai été très surpris de ses résultats sur les questions ayant trait à l'acceptabilité : une majorité de Français seraient même prêts à boire de l'eau réutilisée – ce qui est le cas dans une partie des pays européens –, preuve que les mentalités ont évolué bien plus vite que la réglementation dans ce domaine.
Si cet argument ne tient plus, celui du principe de précaution, en revanche, reste valable : c'est ce qui explique le travail auprès du ministre de la santé et l'objectif de 1 000 projets. Le plan « eau » a été présenté avec Mme Agnès Firmin Le Bodo, qui s'est engagée à publier les décrets rendant effectifs ces débuts de réutilisation d'eaux usées d'ici à l'été. Certains groupes sont prêts à déployer ces solutions, qu'ils ont déjà établies dans les usines de retraitement existantes.
Vous avez parlé de la situation préoccupante des canalisations d'eau potable à La Réunion. Pas moins de 50 % de notre eau n'arrive pas au robinet, alors que le plan « eau » prévoit de réaliser 10 % d'économies d'ici à 2030 – sans même parler de la nature problématique du matériau utilisé.
Pouvez-vous me confirmer que les 35 millions d'euros seront utilisables pour le renouvellement des canalisations ?
Pour préserver l'usager, qui finance déjà le plan « eau » à travers ses impôts, serait-il possible d'alerter les EPCI et les collectivités concernées sur la nécessité de ne pas augmenter le prix de l'eau déjà chère, afin d'éviter de fragiliser le pouvoir d'achat déjà faible des familles ultramarines ?
Enfin, ma collègue Estelle Youssouffa, députée de Mayotte, fait face à une crise de l'eau d'une ampleur sans précédent en raison d'un manque d'investissement de la part de l'État. Comment le Gouvernement entend-il répondre à cette urgence ?
Il n'est pas exclu que je me rende à La Réunion dans les prochaines semaines afin d'aborder ces questions. Nous avons une idée précise des besoins spécifiques de ce territoire, notamment en matière d'accompagnement d'une partie de ces financements en ingénierie.
Mayotte nous préoccupe particulièrement. Nous y avons délégué un inspecteur général. L'usine de désalinisation, qui permettra de produire environ 2 000 mètres cubes par jour, ouvrira en fin d'année. Il ne me semble pas que le problème découle d'un manque d'investissement de l'État. Dans le cadre du quinquennat, 187 millions d'euros seront consacrés à l'eau potable à Mayotte, soit près de 40 millions par an – alors que 35 millions d'euros sont prévus pour l'ensemble des outre-mer. Par ailleurs, à Mayotte, l'agriculture ne représente que 5 % de la consommation, contre 80 % pour les habitants. Lorsque les pluies ne sont pas suffisamment abondantes et que s'y ajoutent des afflux de population, les problèmes prennent une ampleur immense. Les mesures de restriction ne sont donc pas comparables aux territoires où il est possible d'établir des limitations des usages agricoles et industriels.
La saison des pluies est déjà finie. Le défi est donc celui d'une alimentation en eau potable en grande quantité, de bonne qualité, en évitant une inflation des prix, grâce à des coupures horaires journalières avec des tournées d'eau. L'usine de désalinisation visait à les éviter, mais l'augmentation de la population a entravé cette démarche. L'émotion de Mme Youssouffa se comprend donc très bien, au vu de la complexité de ce que vivent les Mahorais.
Je souhaitais vous interroger sur l'étang de Berre. Vous vous êtes rendu sur place et avez analysé les propositions de la mission d'information transpartisane menée durant la précédente législature, qui visaient notamment à valoriser les 800 millions de mètres cubes rejetés chaque année dans cette véritable pépite écologique. Certains médias font état de la volonté de l'État de troquer une partie de cette eau contre du pétrole. Vous avez dit à plusieurs reprises que vous étiez opposé à ce projet. Pourriez-vous de nouveau le confirmer ? De même, pourriez-vous réitérer l'engagement de votre ministère de valoriser ces 800 millions de mètres cubes, notamment au niveau de la nappe phréatique de La Crau ?
Je n'oublierai pas cette visite, qui est l'une des premières que j'ai effectuées après mon entrée en fonction, à vos côtés, monsieur le président, et à ceux de Pierre Dharréville, qui coprésidait la mission d'information de grande qualité dont vous étiez le rapporteur.
Un article publié dans Marianne avait fait état de « conseillers de l'ombre » venus à l'Élysée pour proposer d'exporter des volumes d'eau douce en échange de pétrole. Ce rendez-vous a bien eu lieu, mais il n'a jamais donné de suites, tant cette offre nous a paru farfelue. Il ne s'agissait en rien d'un projet du Gouvernement.
La situation est unique : la plus grande lagune d'Europe est confrontée à une pollution à l'eau douce, qui a entraîné une procédure de justice contre la France. En effet, la chaîne de centrales hydroélectriques se termine dans l'étang de Berre. Pendant longtemps, la priorité a été donnée à l'étude de la possibilité de rouvrir des canaux afin que l'eau soit rejetée dans la mer. Les parlementaires, en anticipant la sécheresse, ont trouvé cette solution peu pertinente. Deux autres types d'usage ont donc été identifiés : une partie de cette eau pourrait réalimenter le système hydroélectrique pour produire davantage – puisque la contamination à l'eau douce a conduit à préconiser une diminution de la production hydroélectrique, qui est notre première source d'énergie renouvelable. La deuxième piste consiste à utiliser des canaux dirigés vers l'intérieur des terres, en particulier vers la plaine de La Crau, afin de sécuriser des usages agricoles menacés par la sécheresse.
À l'issue de ma visite dans votre territoire, j'ai demandé à EDF de financer une partie de ces études, en donnant la priorité à une réutilisation de l'eau à destination de la plaine de La Crau, puis à une augmentation de la production électrique – et, en dernier recours, à un rejet dans la mer. Les études sont en cours, et nous voulons qu'elles soient aussi sérieuses que possible.
Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mercredi 3 mai 2023 à 16 h 45
Présents. - M. Damien Adam, M. Gabriel Amard, Mme Nathalie Bassire, Mme Lisa Belluco, M. Jean-Yves Bony, M. Jorys Bovet, Mme Pascale Boyer, M. Anthony Brosse, Mme Danielle Brulebois, M. Stéphane Buchou, M. Sylvain Carrière, M. Mickaël Cosson, Mme Annick Cousin, Mme Catherine Couturier, Mme Christine Decodts, M. Stéphane Delautrette, M. Vincent Descoeur, M. Nicolas Dragon, Mme Sylvie Ferrer, M. Jean-Luc Fugit, Mme Clémence Guetté, M. Yannick Haury, Mme Chantal Jourdan, Mme Sandrine Le Feur, M. Jean-François Lovisolo, Mme Aude Luquet, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, Mme Laure Miller, M. Bruno Millienne, M. Hubert Ott, Mme Christelle Petex-Levet, Mme Claire Pitollat, Mme Marie Pochon, M. Loïc Prud'homme, M. Benjamin Saint-Huile, Mme Anne Stambach-Terrenoir, M. Jean-Pierre Taite, M. David Taupiac, M. Vincent Thiébaut, M. Nicolas Thierry, M. David Valence, Mme Anne-Cécile Violland, M. Hubert Wulfranc, M. Jean-Marc Zulesi
Excusés. - M. Aymeric Caron, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Manon Meunier, M. Pierre Meurin, M. Marcellin Nadeau
Assistaient également à la réunion. - Mme Anne-Laure Babault, M. René Pilato