Nous sommes ravis de vous présenter les mesures du plan « eau » présenté fin mars par le Président de la République à Savines-le-Lac.
Je tiens d'abord à vous rappeler le contexte dans lequel ce plan a été établi. Indépendamment de la sécheresse de 2022, la question est bien celle d'une trajectoire de diminution de la ressource en eau disponible, comme le confirment les experts du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec). Il tombe en France environ 500 milliards de mètres cubes de précipitations, dont la part disponible pour faire l'objet de prélèvements s'établit à 160 milliards de mètres cubes. Nous en prélevons 33 milliards, dont 5 milliards sont consommés. Le plan « eau » distingue les activités très consommatrices en prélèvements, qui correspondent à des usages temporaires de l'eau avant de rejeter cette dernière dans le milieu – je pense aux centrales nucléaires –, des activités de simple consommation, qui n'aboutissent pas à ce rejet – l'irrigation, par exemple.
Les experts ne disent pas qu'il pleuvra moins, mais que la quantité d'eau dont nous disposerons sera moins importante. En effet, l'élévation des températures entraînera une amplification du phénomène d'évapotranspiration et une augmentation de la part d'eau absorbée par la végétation. Nous disposerons donc de 10 à 40 % d'eau en moins, selon les trajectoires de température et en fonction de la sensibilité des territoires au réchauffement climatique.
La prévision Explore 2070, opérée par l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), repose sur les compilations existantes, fondées sur des données datant d'une dizaine d'années. Cette trajectoire sera actualisée en 2023 pour présenter un modèle Explore2, qui nous permettra de calculer, en fonction de l'actualité du dérèglement climatique, les prévisions sur les différents territoires – et qui seront moins favorables que la carte actuelle.
J'en viens à l'impact de la sécheresse de 2022. Le graphique des cumuls mensuels de pluies efficaces – celles qui permettent de recharger les nappes, et qui s'achèvent généralement à la fin du mois d'avril – fait état d'une aggravation de la situation au mois de juillet, avec un déficit de pluviométrie de 88 %. À l'issue de l'été, une mission d'inspection interministérielle – l'eau potable relevant en effet du ministère de la santé, et l'eau disponible dans les milieux de mon propre pôle ministériel – a produit une carte présentant les communes qui ont connu une situation de tension ou de rupture avérée en eau potable. Je souligne à cet égard que certains maires répugnent à indiquer s'ils ont connu des tensions, de peur d'être contraints à mutualiser leur service d'eau potable avec leurs voisins.
Au 1er avril 2022, 58 % des nappes se situaient à un niveau inférieur à la moyenne. Au 1er avril 2023, ce taux s'établit à 75 %. La raison en est relativement simple : l'année a commencé avec un gros déficit lié à la sécheresse, et malgré des pluies un peu plus importantes dans l'hémisphère nord, notamment, la sécheresse hivernale a pénalisé une partie de la recharge, tandis que la situation sur le pourtour méditerranéen est catastrophique. Exemple emblématique, les Pyrénées-Orientales n'ont pas connu une vraie journée de pluie en douze mois. En revanche, les pluies de mars conduisent à une situation plus favorable dans l'Ouest que dans le couloir rhodanien et sur le pourtour méditerranéen.
Dès le mois de septembre 2022, nous avons entamé à Marseille un vaste tour, qui a permis de lancer le retour d'expérience de l'été et qui a commandé aux agences de l'eau et au Comité national de l'eau (CNE) des suggestions afin de construire un plan, auxquelles ont été ajoutées des propositions ou des demandes de crédits issues de rapports du Parlement ou de structures dépendant du ministère produits ces dernières années. Comptant cinquante-trois mesures, ce plan s'appuie sur trois grands axes : la quantité ; la qualité ; la gouvernance et le financement.
Ce plan repose sur une idée simple : dès lors que l'eau sera disponible en moindres quantités, il n'y aura pas d'alternative à la sobriété. Nous pouvons toutefois compter sur deux sources d'optimisation. La première concerne les fuites d'eau, puisque 20 % de l'eau potable – soit un litre sur cinq – se perd en France. La deuxième piste est la réutilisation des eaux usées. En effet, notre pays ne réutilise qu'entre 0,6 et 0,8 % de ses eaux usées. Seules soixante-dix-sept stations d'épuration sur 30 000 utilisent cette eau pour un autre usage plutôt que de la rejeter dans le milieu – cette proportion est pourtant de 8 % en Italie et de 15 % en Espagne, tandis qu'Israël réutilise 85 % de ses eaux usées retraitées. Le plan facilitera la réutilisation des eaux usées en soutenant 1 000 projets et en donnant la priorité à ceux situés sur le littoral, car les rejets à l'intérieur des terres permettent de recharger les rivières là où la réutilisation sur le littoral évite un rejet dans la mer.
Bien d'autres aspects sont traités dans le cadre de ce plan, dont de nombreux ont trait à la qualité de l'eau. Seules 43 % de nos masses d'eau sont évaluées en bon état écologique ; or la sécheresse entraînera une augmentation mécanique du taux de concentration en intrants en raison de la diminution des volumes d'eau. Plusieurs mesures permettront donc le rachat d'aires de captage par le Conservatoire du littoral, ou le soutien budgétaire à l'installation en agriculture biologique ou en agroécologie sur les points de captage.
Le plan fait reposer la sobriété sur une gouvernance territoriale. En effet, la sobriété en matière d'eau diffère de la sobriété énergétique : si, en matière énergétique, nous sommes tous dépendants les uns des autres, nous ne dépendons en revanche pas des mêmes bassins. La France est divisée en six bassins et en 1 100 sous-bassins, qui sont autant d'écosystèmes possibles où les situations sont différentes, et à l'échelle desquels la sobriété doit donc s'organiser. Or seulement la moitié de ces sous-bassins sont dotés de plans de gestion de l'eau. Le plan préconise donc d'équiper la totalité des sous-bassins de dispositifs de ce type, et chacun des captages d'un plan de gestion sanitaire, afin que des mesures préfectorales conservatoires puissent être décidées en cas de non-conformité.
J'en viens à la question des financements. Lors de l'élaboration des mesures, les demandes des agences de l'eau s'élevaient à environ 500 millions d'euros. Ce sont 475 millions qui sont promis par le plan – voilà pourquoi les comités de bassin et agences se sont réjouis de ces annonces, qui mettent un terme à des années de baisses budgétaires. Le plan repose à la fois sur une augmentation des ressources et sur la suppression des plafonds mordants. En effet, ce mécanisme aboutissait à la ponction par l'État des recettes des agences de l'eau au-delà du montant maximum de prélèvement des redevances, ce qui a conduit à une diminution de ce prélèvement au cours des dernières années.
S'agissant de la gouvernance territoriale, il existe aujourd'hui 11 000 services d'eau potable différents, en raison de la persistance d'un émiettement considérable des compétences et des gestions communales. La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République – la loi Notre – a prévu le transfert obligatoire des compétences en matière d'eau et d'assainissement aux intercommunalités d'ici à 2026. En réalité, plus de la moitié des Français dépendent déjà de services intercommunaux. Le nombre très élevé de services est donc lié à une gestion communale dans les secteurs les plus ruraux, tandis que les grandes villes sont dotées de services unifiés. Or, sans interconnexion, dès lors que le prélèvement dans la rivière n'est plus possible et qu'il n'existe qu'un seul point de captage, la commune est privée d'eau. Ainsi, 80 % des 382 communes qui ont dû être alimentées en citernage et des 200 communes approvisionnées en bouteilles durant une partie de l'été dernier n'étaient pas interconnectées.
Nous observons le même phénomène pour ce qui concerne les fuites. Nous avons décidé de cibler en 2023 les 170 communes où le taux de fuite est supérieur à 50 % et s'élève jusqu'à 92,7 % : 120 d'entre elles sont des communes isolées. Nous voulons donc assumer le refus des communes isolées pour éviter les problèmes sanitaires et de mauvaise gestion.
À Savines-le-Lac, le Président de la République a cependant tenu à faire preuve de souplesse en indiquant que l'intercommunalité n'était peut-être pas le chemin à suivre pour tous les territoires, notamment pour les plus étendus, les communes de montagne ou celles dont la topographie justifierait un traitement spécifique. Il me semble d'ailleurs que le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) envisage de reprendre une proposition de loi issue du Sénat sur la gestion de l'eau et de l'assainissement afin d'élargir les possibilités de mutualisation.
Enfin, la mission d'inspection de l'été 2022 a émis dix-huit propositions. Huit d'entre elles sont d'ores et déjà mises en œuvre, huit figurent dans le plan et deux n'ont pas été prises en compte car elles nécessitent des compléments. L'une porte sur les sanctions et leur effectivité qui doit être assurée par l'Office français de la biodiversité (OFB), dont le directeur général, avec lequel nous devrons définir cette mesure, sera prochainement désigné. La seconde concerne la retenue des grands plans d'eau, qui requiert une concertation importante.