Plusieurs députés nous ont interrogés sur les financements.
Monsieur Wulfranc, il n'existe pas de corrélation entre le mode de gestion et le niveau de performance du réseau. Le taux de fuite est très important dans certaines régies, tandis que des systèmes de délégation présentent un meilleur rendement lorsque le prix payé est un peu plus élevé. Le choix entre un service public en régie ou délégué ne paraît donc pas probant dans l'élaboration d'un plan « eau ». Il pourrait relever d'autres logiques, mais en tout cas pas de la qualité ni de la quantité.
Les financements des agences de l'eau exercent un effet de levier. En effet, les dépenses pour l'eau ne proviennent pas uniquement des agences de l'eau : elles s'élèvent au total à environ 20 milliards d'euros par an, dont 2,2 milliards d'euros sont constitués par le budget consacré à l'eau de ces agences. D'après nos estimations, qui s'appuient sur de nombreuses études, le plan permet un effet de levier de 6 milliards d'euros. Le rapport entre cette somme et ses effets est de un à dix : pour 180 millions d'euros prévus pour lutter contre les fuites, l'effort annuel s'établit à 1,8 milliard d'euros. Ces chiffrages proviennent des agences et des comités de bassin.
Le delta se fait avec les « aqua-prêts » de la Caisse des dépôts, et à partir du principe suivant : l'eau paie l'eau. Dans certains territoires, l'eau ne coûte presque rien en raison des refus d'effectuer des travaux sur les canalisations. Les taux de fuite y sont importants. Cependant, l'effort doit être partagé afin de ne pas pénaliser ceux qui paient déjà l'eau à son tarif normal.
Un foyer consomme environ 120 mètres cubes d'eau par an et paie en moyenne 4 euros le mètre cube – un tarif qui varie cependant de 1 euro à des montants parfois bien plus élevés. Si les redevances étaient répercutées sur les foyers, la facture reviendrait à environ 1 euro par mois et par foyer. Le Gouvernement a pour ambition de rééquilibrer une partie de ces redevances, afin que la production électrique nucléaire, qui représente une part très marginale du financement global de l'eau, soit davantage mise à contribution. La répartition des 475 millions d'euros ne sera donc pas proposée de manière homogène en fonction des pourcentages existants. Ce point devra être abordé dans le cadre du projet de loi de finances.
Monsieur Dragon, quelques-unes de ces mesures devront faire l'objet d'une validation législative, mais pas toutes : vous ne pouvez à la fois souligner l'urgence à agir et regretter que certaines mesures soient prises de manière réglementaire – et encore moins que la concertation ait été menée avec les élus locaux et les comités de bassin. Martial Saddier, par exemple, a salué le plan et a contribué à son élaboration, parce que nous nous sommes appuyés sur des élus de gauche et de droite au sein des territoires. Le plan a été coconstruit avec l'ensemble des comités de bassin et le Comité national de l'eau.
La récupération des eaux grises dans les immeubles est bien prévue dans le plan. Nous souhaitons par exemple réutiliser l'eau des machines à laver dans les toilettes. Nous ne visons pas les particuliers : dans le cadre de l'Ecowatt de l'eau, nous entendons sensibiliser et responsabiliser tout le monde. La consommation individuelle d'eau quotidienne s'établit à 148 litres : des efforts de sobriété peuvent donc aussi être réalisés à ce niveau. Les économies d'eau sont surtout précieuses pendant l'été, notamment parce que nous observons des déplacements touristiques dans les secteurs en plus fort stress hydrique durant cette période – je pense notamment au pourtour méditerranéen.
Je n'ai pas détaillé la situation de l'eau en outre-mer. Les taux de fuite y sont supérieurs à ceux observés en métropole, ce qui justifie les 35 millions d'euros – qui génèrent l'équivalent de 400 millions – complémentaires de soutien à ces réseaux. C'est à Mayotte que la situation est la plus critique en matière d'eau potable. Alors que la saison des pluies est terminée et qu'elle n'a pas permis de recharger suffisamment les nappes, et face à l'afflux de population, les infrastructures ne permettront pas de répondre aux besoins. Une nouvelle usine de désalinisation ouvrira à la fin de l'année, mais elle ne permettra pas d'éviter les restrictions. Ces tensions sont en partie responsables des frictions qui agitent l'île. Le taux de fuite le plus dégradé s'observe en Guadeloupe, où il est en moyenne de 60 %.
Si la désalinisation peut ponctuellement représenter une aide bienvenue, elle n'est pas une solution pour tous les territoires. Au-delà de son coût énergétique très important, en cas de hauts niveaux de sécheresse, ce procédé présente un risque d'infiltration d'eau de mer dans une partie des espaces intérieurs. Il peut donc s'agir d'une fausse bonne idée.
S'agissant de la gouvernance, nous préférons laisser aux préfets la main sur les restrictions, car ils jouent un rôle d'arbitre nécessaire et souhaité par les comités de bassin.
Plusieurs d'entre vous m'ont demandé s'il fallait une loi sur l'eau. Notre priorité a été d'apporter des réponses à la situation que nous avons vécue l'an dernier et de poser des bases, qui pour une grande partie ne relèvent pas du domaine de la loi. Depuis l'été dernier, 500 chantiers ont été lancés pour sécuriser des réseaux d'eau, dont certains sont déjà achevés. Il n'empêche que certaines des mesures présentées pourraient nécessiter des approfondissements législatifs. C'est notamment le cas de la mesure 35, qui prévoit qu'un département peut se réintéresser à un schéma départemental de l'eau, alors que certaines lois votées avant l'élection de M. Emmanuel Macron à la Présidence de la République avaient, en spécialisant les compétences, interdit aux départements d'y participer. La demande unanime de l'Assemblée des départements de France (ADF) est de permettre aux départements qui le souhaitent de rejouer un rôle. Il faudra donc trouver un véhicule législatif pour reprendre cette disposition, qui fait l'objet d'un consensus entre les départements et le Gouvernement.
Il est souhaitable que la tarification sociale soit progressive. Nous respectons la libre administration des collectivités territoriales, mais nous estimons qu'il faut sortir d'une logique selon laquelle le centième mètre cube d'eau coûte moins cher que le premier. Une étude et une réflexion ont été commandées au Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur le sujet afin que nous nous appuyions sur une expertise diversifiée.
La qualité de l'eau fait l'objet d'une dizaine de mesures du plan.
Madame Pochon, la sécheresse touche des pays dans lesquels les écologistes sont au pouvoir, et d'autres dans lesquels ils ne le sont pas. Gardons-nous de simplifications extrêmes. Je crois à la nécessité d'étudier la situation territoire par territoire. Ce constat vaut pour les projets de retenue, qui dépendent, par exemple, de la qualité des sous-sols, mais il s'applique aussi aux propositions trop générales. Certes, la consommation de viande doit diminuer à l'échelle mondiale. Cependant, remplacer nos prairies – qui participent au captage du carbone – par des plantations spécialisées poserait d'autres problèmes dans l'équilibre global. Nous avons déjà des marges sur lesquelles avancer, compte tenu des niveaux d'importation qui engendrent une empreinte carbone encore plus forte que celle de notre propre production. Il faut donc adopter une approche globale. Il en va de même concernant l'idée d'un accaparement de la ressource par les agriculteurs, qui oublie que cette consommation d'eau est intégrée à notre propre consommation par la nourriture.
N'oublions pas non plus qu'une partie de l'empreinte hydrique est aussi liée à ce que nous portons : la consommation hydrique du secteur textile est immense. Nous ne produisons que 3 % du textile que nous portons en France. Il faut environ 8 000 litres d'eau pour fabriquer un jean. La lutte contre l' ultra-fast fashion participe donc à l'équilibre écologique global, qui doit considérer l'ensemble de nos usages, dont l'empreinte est liée à des schémas de mondialisation parfois trop poussés.