La séance est ouverte à 17 heures 05.
Présidence de M. Sacha Houlié, président.
La Commission auditionne M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur la mise en œuvre des États généraux de la justice.
Monsieur le garde des sceaux, nous avons le plaisir de vous accueillir afin que vous nous présentiez le plan d'action issu des états généraux de la justice que vous avez rendu public la semaine dernière.
Le comité des états généraux de la justice, qui avait été lancé à Poitiers, a travaillé de façon intense entre octobre 2021 et avril 2022. Il a rendu un rapport complet, sur la base de nombreuses contributions émanant de tous les acteurs du monde judiciaire, y compris des justiciables et des détenus. Ses conclusions ont été remises au Président de la République le 8 juillet.
En s'appuyant sur cette base particulièrement riche, le Gouvernement a choisi de prendre le temps d'une concertation étendue, afin de réfléchir à la manière d'appliquer concrètement les recommandations issues des états généraux et de remédier aux dysfonctionnements d'une justice perçue comme trop lente, trop complexe et insuffisamment efficace.
Le budget de la justice a progressé de 26 % en trois ans. Notre commission a été particulièrement attentive à l'augmentation de ces moyens. L'appel des 3 000 nous a fait prendre conscience que le chemin était encore long, mais une partie de celui-ci a déjà été parcourue. La loi de programmation que vous nous promettez prévoit d'atteindre un budget de 11 milliards d'euros en 2027. L'effort est très significatif et a d'ailleurs, une fois n'est pas coutume, été reconnu par les syndicats de magistrats.
Au-delà de l'aspect budgétaire, vous nous présenterez les mesures opérationnelles que vous souhaitez prendre. Nous sommes impatients d'ouvrir ce dossier, qui débouchera sur l'examen d'un projet de loi ordinaire et d'un projet de loi organique.
La justice a connu de nombreuses réformes, mais les états-généraux constituent un exercice démocratique inédit. Nous avons ouvert une plateforme en ligne – parlonsjustice.fr –, pour que nos compatriotes puissent s'exprimer. Nous avons ainsi recueilli un million de contributions. J'ai moi-même parcouru la France à la rencontre de nos concitoyens. Nous avons eu des échanges sans tabou sur leur perception de la justice et les solutions qu'ils préconisaient. Des initiatives ont également été lancées par les chefs de cour et les chefs de juridiction pour ouvrir l'institution et participer à ce débat citoyen.
Nos concitoyens considèrent que la justice est trop lente et trop complexe. Nous devons entendre ces messages.
Après les consultations citoyennes, nous avons interrogé les professionnels. François-Noël Buffet et Yaël Braun-Pivet ont participé au comité présidé par Jean-Marc Sauvé, qui réunissait les deux plus hauts magistrats de ce pays, des professeurs de droit et des avocats. J'ai délibérément souhaité ne pas y appartenir. Transpartisan, il a travaillé en totale indépendance, comme les groupes de travail qui ont été constitués pour approfondir différentes thématiques.
Deux grandes vagues de concertation ont ensuite été lancées. La première l'a été dès la remise du rapport de synthèse des états généraux au Président de la République en juillet. J'ai reçu tous les acteurs qui le souhaitaient. Puis, une seconde consultation a eu lieu à l'automne. Elle s'est achevée en novembre.
Les professionnels considèrent que la justice manque de moyens, que les procédures doivent être simplifiées et que l'organisation n'est pas optimale.
Les mesures que nous avons retenues sont, dans leur grande majorité, consensuelles. Elles sont également opérationnelles et concrètes, l'objectif étant de produire rapidement des effets.
Je ne m'attarderai pas sur la présentation des moyens qui ont déjà été engagés : vous les avez votés ; vous connaissez donc parfaitement la situation. Le budget de la justice a augmenté de 44 % depuis l'élection d'Emmanuel Macron et de 26 % depuis que je suis garde des sceaux. Avec ma prédécesseure Nicole Belloubet, nous avons pu embaucher 700 magistrats, 850 greffiers et 2 000 contractuels.
La prochaine promotion de l'École nationale de la magistrature (ENM) sera la plus importante de son histoire, puisqu'elle comptera 380 auditeurs de justice. Ils seront 470 dès 2024, soit une hausse de plus de 81 % du nombre d'élèves.
Nos efforts seront poursuivis et amplifiés au printemps, par la présentation d'un projet de loi d'orientation et de programmation de la justice.
L'objectif est d'atteindre un budget de 11 milliards d'euros en 2027, soit une augmentation de 60 % pour la période des deux quinquennats. Par rapport à 2022, la justice bénéficiera sur la période de 7,5 milliards supplémentaires. Ces moyens permettront de revaloriser la rémunération des agents du ministère, de poursuivre et de finaliser la création de 15 000 places de prison, de moderniser et d'agrandir les palais de justice, à la fois pour accueillir les nouveaux personnels et pour accompagner la transition énergétique, d'opérer la numérisation et de recruter massivement.
S'agissant des ressources humaines, la justice devrait disposer de 10 000 agents supplémentaires d'ici 2027, dont 1 500 magistrats, 1 500 greffiers et de nombreux assistants. Le personnel pénitentiaire sera également renforcé. En cinq ans, nous aurons recruté autant de magistrats qu'au cours des vingt dernières années.
Les renforts interviendront dès cette année, mais tout ne se résume pas aux aspects budgétaires. Le rapport Sauvé est très clair à ce sujet, nous devons également améliorer la qualité de vie au travail.
Dans les années 2010, la Chancellerie avait souhaité instituer un référentiel de la charge de travail. Le projet avait finalement été abandonné, avant d'être relancé par Nicole Belloubet en 2019. Quand j'ai pris mes fonctions, j'ai souhaité qu'il soit accéléré. Cet outil nous permettra d'identifier précisément nos besoins. Il n'est pas encore finalisé, notamment parce qu'il n'intègre pas les « sucres rapides », mais, dès qu'il le sera, nous l'expérimenterons dans plusieurs juridictions.
En attendant, je souhaite négocier un accord-cadre inédit sur la qualité de vie au travail. Lors de la présentation de ce plan, j'ai appelé les syndicats à travailler avec nous, pour que nous définissions ensemble des objectifs d'amélioration des conditions de travail et que nous réfléchissions à la déclinaison d'actions concrètes permettant de les atteindre.
Notre première obligation est celle de l'efficacité. Or au sein du ministère, nous perdons beaucoup de temps à essayer de compenser des défauts d'organisation. Lorsqu'un chef de juridiction a besoin de nouvelles armoires ou que la visioconférence ne fonctionne pas, les demandes doivent remonter à l'administration centrale. De telles procédures sont trop lourdes ; elles allongent les délais d'intervention et embolisent l'administration centrale, qui a d'autres missions. Par conséquent, je veux que nous fassions confiance aux acteurs de terrain et que, dans une logique de déconcentration, nous les laissions faire les choix qui affectent directement leur vie quotidienne.
Nous devons définir plus précisément les compétences du secrétariat général et de la direction des services judiciaires (DSJ). Cette déconcentration à laquelle nous travaillons doit s'accompagner d'une restructuration des compétences budgétaires et de gestion des principales cours d'appel. Des craintes se sont déjà exprimées à ce sujet, mais j'insiste sur le fait que nous ne modifierons pas la carte judiciaire. Je le répèterai aussi souvent que nécessaire. Revoir la carte judiciaire serait incohérent avec les actions que nous avons engagées pour renforcer la justice de proximité. Nous n'avons pas recréé des juridictions pour ensuite les supprimer.
S'agissant du défi numérique, nous souhaitons supprimer totalement le papier en 2027. Cet objectif peut sembler très ambitieux. Pourtant, les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel l'ont déjà atteint. Il n'y a donc aucune raison pour que les autres juridictions n'y parviennent pas. Nous lancerons un plan de transformation, avec un outil commun pour les greffiers, les magistrats et les avocats. La suppression du papier a en outre le mérite d'être écologique.
Je veux que la justice soit plus ouverte sur le monde extérieur. Nous avons prévu de simplifier les voies d'accès à la magistrature pour attirer des compétences nouvelles, notamment des fonctionnaires ou des avocats. Je souhaite également recruter des magistrats à titre temporaire (MTT) pour renforcer les équipes juridictionnelles.
L'ENM doit apprendre aux magistrats à mieux travailler en équipe et à privilégier la culture de l'amiable. Elle doit être réformée pour élargir son corps enseignant à des professions extérieures. Il n'est évidemment pas question de demander à un plombier d'intervenir sur la manière de rédiger un réquisitoire, mais pourquoi ne viendrait-il pas expliquer ce qu'est l'artisanat par exemple ? De manière plus générale, nous devons encourager la formation des magistrats aux fonctions de managers ou de médiateurs et intégrer la notion d'équipe.
Le rapport Sauvé insiste sur la nécessité de renforcer la qualité de la première instance. Dans cette perspective, je veux permettre à des magistrats très expérimentés d'obtenir leur avancement au sein des tribunaux judiciaires, sans être obligés de rejoindre les cours d'appel pour progresser dans leur carrière.
Une réflexion a déjà été lancée au sujet de la responsabilité des magistrats. Nous avons institué, à titre expérimental, l'évaluation des chefs de cour et de juridiction, en reprenant l'une des suggestions faites par le conseil supérieur de la magistrature (CSM) dans le rapport que lui avait demandé le Président de la République.
Nous avons créé, également à titre expérimental, des « brigades de l'urgence » pour aider les juridictions les plus en difficulté, en particulier en Guyane et à Mayotte. J'ai rencontré ce matin les volontaires qui ont accepté de quitter la métropole pendant six mois et un jour, délai que nous avons choisi pour des raisons fiscales.
Je voudrais insister sur la notion d'équipe autour du magistrat. Vous avez déjà entendu cette expression, que je n'ai pas inventée. Beaucoup de magistrats, notamment parmi les plus jeunes, expriment une forme de solitude et ressentent une perte de sens dans leur mission. Travailler en équipe est susceptible de résoudre ce problème ou au moins d'en atténuer les effets.
Cette équipe autour du magistrat peut être un vivier pour le recrutement de nos futurs magistrats. Elle apporte également de la pluridisciplinarité. Les magistrats doivent apprendre – et ils sont demandeurs – à devenir le chef de cette équipe, composée de greffiers ou d'enseignants. Lorsqu'ils ont à leurs côtés un juriste assistant, les décisions sont rendues deux fois plus rapidement, ce qui correspond aux attentes de nos concitoyens.
L'équipe autour du magistrat a déjà fait ses preuves. Quand nous avons incorporé nos fameux « sucres rapides », nous avons été durement critiqués. Il m'était reproché de ne pas embaucher de magistrats. Or ce ne pouvait être une solution à court terme, puisqu'il faut trente et un mois pour les former. Nous avons donc affecté 1 000 « sucres rapides » dans les parquets, puis 1 000 autres dans les juridictions civiles. Les résultats sont probants. Dans les parquets, certains assistants sont dédiés aux violences intrafamiliales (VIF), d'autres à la relation avec les élus. En matière civile, nous constatons une réduction des stocks et, à l'échelle nationale, une diminution de 25 % du nombre des affaires familiales. Nous sommes passés de la circonspection vis-à-vis de ce dispositif, voire de la critique, à une demande d'institutionnalisation. Nous l'avons entendue. Ces assistants vont être pérennisés.
La proximité avec les justiciables est un autre impératif. Nous allons déployer une application pour smartphone, qui permettra, dès le mois d'avril, d'obtenir des informations sur le fonctionnement de la justice ou sur la localisation du tribunal compétent. Un simulateur de pension alimentaire ou d'aide juridictionnelle sera également disponible. À partir de 2024, de nouvelles fonctionnalités seront ajoutées, pour demander une indemnisation devant le tribunal correctionnel, bénéficier de l'aide juridictionnelle, fixer un rendez-vous avec le conseiller d'insertion et de probation ou recevoir un rappel pour une date d'audience.
La pédagogie est nécessaire, car nos compatriotes estiment que la justice est trop complexe. J'ai souhaité qu'elle soit filmée, mais il faut aller plus loin. Avec Pap Ndiaye, nous créons le passeport Educdroit pour enseigner le droit et la justice dès le collège. Nous pouvons espérer que ces connaissances convaincront certains jeunes de ne pas s'engager dans la voie de la délinquance. Apprendre la République et ses règles ne peut de toute façon pas être inutile.
Les mesures que nous envisageons en matière civile relèvent du domaine réglementaire. Je souhaite néanmoins les évoquer avec vous. Je veux une véritable politique de l'amiable. Nous disposons déjà de conciliateurs et de médiateurs. Nous avons créé le conseil national de la médiation. Il n'est pas question de remettre en cause ce qui existe, mais, pour le moment, seulement 1 % des litiges se règlent à l'amiable.
Je souhaite introduire deux nouveaux modes de résolution amiable des conflits. Le premier, qui s'appelle la césure, vient d'Allemagne et des Pays-Bas. Aux Pays-Bas, cette procédure permet de traiter deux fois plus de contentieux en deux fois moins de temps. Elle a donc éveillé ma curiosité.
En France, dans la procédure actuelle, si vous accusez un collègue d'être à l'origine de votre chute dans l'escalier et qu'il le réfute, vous devez intenter un procès en responsabilité. En tant que demandeur, vous devez rédiger des conclusions. La défense doit faire de même. Il y a des échanges entre les avocats, souvent des renvois. Les justiciables ne le supportent pas, parce qu'à chaque fois, les délais s'allongent de plusieurs mois. Le juge ne statue qu'après une très longue mise en état. Dans la césure, au contraire, il intervient très rapidement et se concentre sur la question de droit, celle de la responsabilité. Si celle-ci n'est pas avérée, la procédure s'arrête. Si elle est reconnue, les parties sont invitées à traiter elles-mêmes le volet indemnitaire.
Dans le cadre de la césure, nous allons revaloriser les avocats, qui joueront un rôle important dans les négociations permettant de parvenir à un accord. Les dossiers traités à l'amiable auront la priorité, ce qui permettra de réduire les délais. La rémunération accordée en cas d'aide juridictionnelle sera également plus élevée. En outre, les justiciables qui auront participé à la décision de justice l'accepteront mieux.
Un tel changement de culture ne peut pas intervenir immédiatement, mais, aux Pays-Bas, l'amiable a réussi à progressivement s'imposer. Il représente désormais 70 % des dossiers.
Je lancerai officiellement la politique de l'amiable le 13 janvier. Des magistrats étrangers seront présents pour faire part de leur expérience et nous aider à nous emparer de cette nouvelle culture. Les mesures nécessaires entrent dans le domaine du réglementaire. Elles peuvent être prises très rapidement. Je suis convaincu qu'elles permettront de diviser les délais par deux.
La seconde procédure, dite de règlement amiable, vient du Canada, où nous nous sommes également rendus. Le changement culturel est également important, et a d'ailleurs suscité quelques réticences dans le pays, car le juge intervient comme conciliateur. Il se départit un peu de son imperium, notamment parce que les discussions se déroulent dans un bureau et non dans une salle d'audience, mais l'aura attachée à sa fonction demeure et permet de débloquer des situations. Une fois qu'un accord est trouvé, il revient aux parties de le finaliser. Cette approche permet de traiter les affaires dans des délais qui ont impressionné tous ceux qui m'ont accompagné.
Si un accord est trouvé, nous voulons qu'il soit homologué dans un délai d'un mois, pour ne pas perdre le bénéfice de cette procédure. Comme celle-ci nécessite tout de même un peu de temps pour mener les discussions et trouver des compromis, je souhaite, pour ne pas alourdir la charge de travail des juridictions, que la première phase de conciliation soit, dans la mesure du possible, conduite par des MTT et des magistrats honoraires.
Plusieurs conditions doivent aujourd'hui être remplies pour devenir MTT. Elles seront assouplies, afin que nous puissions élargir les recrutements.
L'accueil qui a été réservé à ces annonces est plutôt très favorable. De toute façon, nous n'avons pas vraiment le choix. Les états généraux ne pouvaient pas déboucher sur une révolution. La justice est une vieille dame. S'il existait une solution magique, nous l'aurions trouvée depuis longtemps. Nous avons essayé de réfléchir et d'être audacieux. Il faut également reconnaître que, pour la première fois, la réforme qui est proposée s'accompagne des moyens permettant de l'appliquer pleinement.
La journée de présentation du 13 janvier sera très importante. Je me déplacerai ensuite dans les juridictions pour expliquer cette politique de l'amiable. Si nous réussissons tous ensemble, avec les magistrats, les greffiers, les avocats et les agents administratifs, à diviser les délais de la justice par deux, nous n'aurons pas perdu notre temps.
Je souhaite que les décrets Magendie soient modifiés, car ils sont trop contraignants, notamment pour les avocats. Nous avons parallèlement engagé avec ces derniers des travaux pour qu'ils structurent différemment leurs écritures.
L'objectif de réduction des délais est clair. La Chancellerie fixera des indicateurs pour suivre les évolutions et publiera chaque année les résultats obtenus.
S'agissant de la justice économique, la codification du droit international privé est attendue par tous les praticiens. Le rayonnement de la France doit aussi passer par le rayonnement de son droit. Nous devons également ouvrir davantage les acteurs du monde judiciaire aux dimensions économiques. Nous allons créer, à titre expérimental, un tribunal des activités économiques, qui regroupera tous les opérateurs indépendamment de leur statut et de leur domaine d'activité. Une contribution financière sera en outre instituée pour les litiges les plus importants, ainsi que le pratiquent les autres places économiques. Celle-ci permettra d'abonder le budget de la justice, en particulier l'aide juridictionnelle, que je souhaite revaloriser pour les médiations réussies.
En matière pénale, tous les professionnels reconnaissent que le code de procédure pénale est devenu illisible et qu'il doit être simplifié. Il n'est pas question d'en remettre en cause les grands principes. Nous voulons le réécrire à droit constant, ce qui suppose un article d'habilitation. Le code pénitentiaire et le code de la justice pénale des mineurs ont déjà été adoptés dans le cadre de ce parcours législatif. Un comité scientifique a été créé. J'ai également demandé aux parlementaires qu'ils suivent l'évolution de ces travaux.
Certaines mesures peuvent être opérationnelles immédiatement. Lorsqu'un contrôle judiciaire est ordonné par un tribunal correctionnel, par exemple pour interdire à un mari violent de se rendre dans la ville où travaille sa femme, sa modification nécessite de réunir les trois magistrats qui ont initialement siégé, même s'il s'agit uniquement de mettre à jour la commune parce que la personne concernée a changé d'emploi. Je souhaite que de telles décisions puissent être prises par un juge des libertés et de la détention (JLD).
Je veux également renforcer les droits du témoin assisté. Vous me pardonnerez cette présentation, mais le témoin assisté est censé être plus « innocent » que le mis en examen – même si ce dernier est présumé innocent. Or il dispose de moins de droits. Pour qu'il ait la possibilité de démontrer définitivement son innocence, je souhaite que davantage d'actes lui soient notifiés et qu'il ait une plus grande latitude, notamment pour demander des investigations.
Des mesures dérogatoires existent déjà en matière de terrorisme et de bande organisée, mais je souhaite que le régime des perquisitions soit également modifié pour les crimes. Est-il raisonnable qu'un ou deux policiers restent devant une porte toute la nuit ? Ne seraient-ils pas plus utiles ailleurs ? En outre, ce temps laisse la possibilité de dissimuler des preuves.
Je ne peux pas évoquer l'ensemble des mesures qui sont prévues, mais je me tiens à votre disposition pour vous apporter des éléments plus complets à ce sujet.
Concernant la rémunération, les magistrats bénéficieront d'une revalorisation de 1 000 euros à compter de novembre. Les greffiers ont été augmentés de 12 %. Des mesures ont également été prises en faveur du personnel pénitentiaire, à qui j'ai dit que d'autres dispositions leur seraient annoncées dans un calendrier dédié.
En matière pénitentiaire, le rapport Sauvé suggère une évaluation de la loi « bloc peine ». J'y suis favorable et je vais la confier à l'inspection générale de la justice.
Pour développer la formation continue des agents, nous allons créer plusieurs centres de formation dans différentes régions.
Je rappelle que la libération sous contrainte est entrée en vigueur le 1er janvier. L'objectif est d'éviter les « sorties sèches », c'est-à-dire sans accompagnement, car nous savons qu'elles sont génératrices de récidives. Je pense que cette mesure aura des effets positifs, mais nous devons lui laisser le temps.
J'ai plusieurs fois été interrogé à l'Assemblée nationale sur le programme 15 000. Dix nouveaux établissements pénitentiaires seront livrés en 2023. En 2024, la moitié du programme sera opérationnelle. Des établissements d'un nouveau genre – les structures d'accompagnement vers la sortie, dont l'acronyme SAS est particulièrement bien choisi – s'adresseront aux détenus en fin de peine ou condamnés à une peine de moins de deux ans. Implantés au cœur des villes, ils faciliteront la réinsertion et éviteront les « sorties sèches ».
Je m'emploie également à renforcer le travail d'intérêt général (TIG) et je veux inciter les chefs d'entreprise à s'emparer du contrat de détenu travailleur. Vous connaissez le principe de ce dernier, puisque beaucoup d'entre vous l'ont voté. Il vise à permettre aux détenus de travailler et, ainsi, de se réinsérer, ce qui limite les risques de récidive.
Collectivement, nous devons faire en sorte que ces mesures nouvelles soient efficaces. Je défends ces réformes avec enthousiasme et détermination et je souhaite que vous y soyez étroitement associés. L'enjeu est, grâce à des moyens supplémentaires historiques, de restaurer la place de la justice à la hauteur de la mission fondamentale qui est la sienne, à la hauteur de l'engagement de ceux qui la servent au quotidien, et à la hauteur des attentes des Français au nom de qui, il ne faut pas l'oublier, elle est rendue.
Avant de donner la parole à mes collègues, j'aurai moi-même trois questions.
Dans quel délai le référentiel de la charge de travail des magistrats pourrait-il être opérationnel ? Avez-vous une idée de calendrier, sachant que vous avez également mentionné la négociation d'un accord-cadre sur les conditions de travail dans cet intervalle ?
S'agissant des nouveaux modes de règlement amiable, pouvez-vous nous apporter des précisions sur la place du magistrat et nous expliquer en quoi celle-ci diffère d'une procédure de conciliation classique ?
Le tribunal des activités économiques ne traitera pas seulement des sociétés commerciales, mais également des professions libérales ou des agriculteurs. Quelles seront les conséquences de ce changement, notamment dans les procédures de redressement ? Permettra-t-il de sauver des entreprises qui ne l'auraient pas été devant un tribunal judiciaire ?
Le plan que vous nous présentez est totalement inédit. D'un point de vue budgétaire, il s'inscrit dans la continuité des efforts déjà engagés, mais ceux-ci atteignent un niveau particulièrement élevé. D'ici 2027, l'augmentation des moyens devrait atteindre 60 %. Peu de ministères sont dans ce cas.
Les états généraux de la justice ont permis de réaliser un travail de fond qui n'avait jamais été effectué. Le ministre de la justice a enfin conscience de la situation dans laquelle se trouve sa justice et se place en position d'écoute.
Le plan qui est proposé est global. Outre un volet réglementaire et un volet législatif, il s'attache à faire évoluer les pratiques et prévoit des éléments tout à fait nouveaux. La réforme de la justice civile devrait permettre de gagner en efficacité. Même si certains verront leur rôle évoluer, tous les acteurs devraient être gagnants.
Notre groupe est très favorable à cette réforme, car elle nous permettra d'avoir une justice plus protectrice, plus efficace, plus rapide et plus proche de nos concitoyens.
La situation de notre pays exige de faire preuve de davantage de fermeté et d'engager une lutte accrue et massive contre la délinquance. Selon l'Insee, 40 % des personnes condamnées en 2019 étaient en état de récidive ou de réitération. La synthèse des états généraux de la justice affirmait la nécessité d'une réforme systémique, notamment en matière d'application des peines, mais vous l'avez volontairement oubliée.
Nos établissements pénitentiaires se trouvent dans une situation alarmante, puisque quarante-huit d'entre eux affichent un taux d'occupation supérieur à 150 %. Celui-ci dépasse parfois 200 %, comme à Carcassonne ou à Bordeaux.
En voulant trop aménager les peines par manque de place, la justice est devenue laxiste.
Votre prédécesseure, Mme Belloubet, avait une solution pour libérer des places de prison : elle libérait tout simplement des détenus, comme elle l'a fait au début de la crise sanitaire. C'était un scandale !
La création de 15 000 places de prison à l'horizon 2027 ne fera que rattraper une partie du retard qui a été accumulé. Chaque année, la population carcérale augmente de 4 %. Le taux d'occupation restera donc globalement le même.
Demain, aucun magistrat ne devrait juger une personne en sachant que les prisons sont pleines, car cette situation l'incite à faire preuve de laxisme. Les individus qui sont dangereux doivent pouvoir être incarcérés. La justice a vocation à protéger nos compatriotes.
Vous avez pris conscience de l'augmentation de la délinquance et vous avez enfin la volonté de construire des places de prison, validant ainsi le constat fait par le Rassemblement national. Néanmoins, pourquoi avez-vous attendu deux ans et demi pour proposer cette réforme ? Allez-vous réduire les aménagements de peine et les interdire en cas d'atteinte aux personnes, rétablir les peines planchers et, pour libérer des places, expulser les étrangers qui peuplent nos prisons ? Allez-vous répondre aux attentes des Français, qui souhaitent une justice ferme et efficace, qui les protège et qui s'assure que les condamnés purgent vraiment leur peine ?
Vous n'étiez pas élu lors de la précédente législature, mais 3 600 places de prison ont déjà été inaugurées dans le cadre du programme 15 000.
Vous évoquez tellement de sujets qu'il est difficile de saisir la philosophie qui sous-tendra la nouvelle loi de programmation pour la justice.
Vous semblez considérer que l'efficacité de la justice est soluble dans la rapidité. Pour notre part, nous pensons qu'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.
La modification du code de procédure pénale devrait être adoptée par ordonnance, ce qui pose une question démocratique, puisque le Parlement ne participera pas à la prise de décision. Votre projet va en outre introduire de nouvelles évolutions dans le fonctionnement de la justice pénale, sans avoir analysé les impacts des changements précédents.
Nous nous interrogeons sur le lien entre la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et l'armée.
La justice civile représente la part la plus importante de l'activité judiciaire. Elle est la justice du quotidien, celle à laquelle les Français ont le plus souvent affaire. Vous souhaitez privilégier les procédures amiables, comme en 2018. Or en matière de divorce, celles-ci n'ont pas fait leurs preuves, notamment lorsqu'il y a des enfants. L'expérience montre que beaucoup de couples reviennent ensuite devant les tribunaux. Du temps est nécessaire pour prendre les bonnes décisions.
Notre justice est en souffrance. Les magistrats expriment un mal-être. Les avocats doutent. Les prisons sont surchargées. Nos concitoyens trouvent que les procédures sont complexes et beaucoup trop lentes. Face à ces constats partagés, certaines de vos préconisations sont intéressantes.
Il faut rapprocher la justice de nos concitoyens et peut-être réinventer la justice de paix, en adaptant ce modèle, qui a été celui de la IVe République, aux exigences de notre temps. Est-ce l'une de vos ambitions ?
La refonte de la procédure pénale sera-t-elle l'occasion d'accélérer la numérisation ? Cette dernière pourrait faire gagner beaucoup de temps, mais elle fait un peu figure d'arlésienne.
Je me réjouis que vous réaffirmiez votre volonté de construire de nouvelles places de prison, mais le déploiement du programme 15 000 reste insuffisant. Celui-ci nous a été présenté il y a trois ou quatre ans et seulement 20 % des capacités supplémentaires qui étaient prévues ont été inaugurées. Comment comptez-vous accélérer ce chantier ?
Est-il prévu de rétablir les peines planchers ?
Il est important de développer le travail en prison. Au cours de la législature précédente, nous avions réfléchi à ce sujet avec la présidente Yaël Braun-Pivet, Laurence Vichnievsky et Stéphane Mazars.
Vous souhaitez créer un tribunal des affaires économiques. S'il traite des affaires agricoles, marquera-t-il la fin des baux ruraux ?
Les états généraux de la justice ont certes dressé un constat d'une extrême gravité, mais nos compatriotes sont également préoccupés par le coût de l'accès à la justice, qui peut être rédhibitoire pour certains d'entre eux, et par l'exécution des jugements.
Beaucoup de mesures nous semblent positives et utiles pour améliorer le fonctionnement de la justice, d'autant qu'elles s'accompagnent de financements.
Vous visez un objectif d'efficacité de la justice, en mettant notamment l'accent sur le référentiel d'activité. Il nous paraît toutefois surprenant d'avoir attendu 2023 pour se doter d'un tel outil. Je m'étonne que les tribunaux n'aient pas adopté des solutions pour évaluer la charge de travail qu'un magistrat est en mesure d'absorber.
La réécriture du code de procédure pénale est indispensable, même si le choix de l'ordonnance pose un problème. Nous devrons être très vigilants quant au respect des droits de la défense. Nous espérons que la Chancellerie fera preuve d'ouverture à ce sujet.
En matière pénitentiaire, pourquoi ne pas envisager de revenir au dispositif appliqué avec Nicole Belloubet pour gérer la crise du covid ?
L'audition est suspendue de dix-huit heures à dix-heures trente.
Vous l'avez rappelé, la réforme de la justice ne peut se faire sans les magistrats et les justiciables. Je salue la méthode qui a été retenue pour mener les états-généraux et les conclusions qui en ont découlé. Les efforts budgétaires qui sont consentis au fil des lois de finances sont nécessaires pour disposer d'une justice de qualité, à la hauteur de ce que nos concitoyens attendent.
Toutefois, lorsque certaines lois sont votées, il est difficile d'obtenir les décrets d'application. Cette situation fragilise l'effectivité du droit et la confiance que nos concitoyens peuvent avoir dans l'ensemble de notre appareil juridique.
Concernant les réformes procédurales, le groupe Horizons et apparentés est favorable au développement de la politique de l'amiable. Nous considérons que cette piste est très intéressante en matière de justice civile. La médiation permet souvent aboutir plus rapidement et efficacement à des décisions satisfaisantes.
S'agissant des travaux d'intérêt général, quels axes de développement envisagez-vous pour en améliorer les résultats ?
Votre plan d'action comporte des mesures discutables et des silences qui le sont peut-être encore plus. Une grande réforme de la justice ne peut omettre la question de l'indépendance du parquet. Puisque vous voulez restaurer la confiance des citoyens dans la justice, pourquoi ne pas rompre avec la dépendance dans laquelle sont placés les procureurs vis-à-vis de l'exécutif ? Le rapport Sauvé le recommande. Quel est donc le sens de cet oubli ?
Nous sommes inquiets de l'option retenue en matière civile. Pour raccourcir les délais, vous proposez de contourner les tribunaux en privilégiant une politique de l'amiable, mais comment faire pour qu'une des parties n'impose pas sa solution à l'autre, en particulier dans le dispositif de la césure ? Les parties sont rarement à armes égales d'un point de vue technique ou économique. Quelles garanties apporterez-vous pour prévenir les risques de déséquilibre, pouvant conduire à des décisions inéquitables, voire injustes ?
En matière pénale, vous semblez vouloir aligner l'enquête préliminaire sur l'enquête de flagrance, ce qui affaiblirait la procédure. N'est-ce pas contradictoire avec votre promesse de refondre le code de procédure pénale à droit constant ?
S'agissant de la surpopulation carcérale, pourquoi ne pas pérenniser le mécanisme de régulation qui a fonctionné pendant la crise sanitaire, comme le préconisait le rapport Sauvé ?
En 2018, avant la loi de programmation, des professionnels de justice interpellaient sur l'état des tribunaux. Malheureusement, ils continuent de le faire.
Je voudrais prendre l'exemple particulier du tribunal de Nanterre. Comment allez-vous réussir à améliorer rapidement sa situation ?
Au mois de novembre, le barreau des Hauts-de-Seine et l'association des magistrats du tribunal judiciaire de Nanterre ont décidé de former un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État. Par cette procédure inédite, ils voulaient dénoncer la dégradation des conditions de travail des personnels de justice, qui restent consciencieux malgré la charge de travail. Ils ont également évoqué la mémoire de Marie Truchet, leur collègue décédée en pleine audience le 18 octobre, à 44 ans. Je tiens à lui rendre hommage.
Les Hauts-de Seine abritent le quartier d'affaires de La Défense, premier d'Europe et quatrième mondial. Or cette particularité, qui se traduit par des contentieux à fort enjeu financier nécessitant des travaux longs et techniques, n'est pas prise en compte et pénalise fortement la justice ordinaire.
Les délais d'instruction sont indécents : trois à quatre ans pour un jugement de divorce ou de violences conjugales, quinze mois pour des affaires familiales, au minimum quatre ans pour les prud'hommes, voire vingt ans pour des affaires de corruption. Fin décembre, le président du tribunal judiciaire a dû suspendre les audiences pendant six mois et reporter l'ensemble du contentieux des successions. Toutes les audiences de culpabilité du tribunal pour enfants ont été déprogrammées fin novembre par manque de personnel. Les attentes des professionnels en matière de renforcement des moyens alloués à la protection de l'enfance et à l'assistance éducative perdurent.
Une justice maltraitée devient une justice maltraitante. Les professionnels ne veulent plus d'une justice qui n'écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre et comptabilise tout.
Grâce au travail combiné des états généraux de la justice et de la mission Sauvé, nous allons pouvoir réhabiliter l'institution judiciaire et la remettre définitivement au cœur de la cité.
La justice doit être plus rapide, plus protectrice, plus efficace, plus proche et plus exigeante, ce qui nécessite une réorganisation profonde de nos institutions.
Je salue la volonté marquée qui est la vôtre d'une plus grande déconcentration et d'un renforcement de la confiance accordée au terrain. Cumulées au plan de transformation numérique et à la constitution d'une véritable équipe autour du magistrat, ces évolutions permettront de gagner en efficacité. La proximité avec les justiciables sera accrue grâce à l'application pour smartphone et, pour les plus jeunes, au passeport Educdroit.
Le lancement d'une véritable politique de l'amiable en matière civile marque un véritable progrès. La césure et l'audience de règlement limiteront les longueurs procédurales et permettront aux justiciables de devenir de véritables acteurs des décisions qui les concernent.
La simplification de la procédure pénale, grâce à une réécriture du code de procédure pénale par ordonnance à droit constant, permettra une meilleure lisibilité et une plus grande cohérence.
Le groupe Démocrate salue le plan d'action que vous proposez. L'objectif est clair : il faut rendre la justice aux citoyens.
Je commencerai par répondre à vos questions, Monsieur le président. Le référentiel d'activité a été créé dans les années 2010, puis, sans doute, délibérément oublié… Nicole Belloubet a relancé le projet et j'ai souhaité l'accélérer. L'expérimentation débutera très prochainement dans cinq juridictions et nous en tirerons toutes les conclusions qui s'imposent. Ce n'est certes pas en fermant les yeux sur la réalité qu'on améliorera les choses.
Nos compatriotes considèrent que la justice est trop lente, mais également que les juges ne prennent pas le temps de les écouter. Dans certaines procédures civiles, les justiciables ne les rencontrent pas.
Le magistrat jouera un rôle majeur dans les nouveaux modes de règlement amiable, lequel, comme je l'ai dit, existe déjà dans le code de procédure civile à travers les conciliateurs ou les médiateurs. Le juge sera au milieu des parties, notamment dans la procédure importée du Canada. M. Gosselin a évoqué la justice de paix. Lors de la présentation à la presse, j'avais cité l'expression camusienne selon laquelle la justice est la chaleur de l'âme. Par rapport aux dispositifs actuels, l'aura du juge peut tout changer. Du côté des parties, les avocats, mieux rémunérés en cas de solution amiable, seront incités à les privilégier.
Avec la césure, l'appel ne sera possible qu'une fois la procédure terminée, pour éviter les manœuvres dilatoires et une embolisation de la justice qui serait contraire au but recherché.
Je n'ai pas précisé dans ma présentation que nous allions également associer les assureurs, pour qu'ils incitent leurs assurés, dans le cadre de la protection juridique qu'ils proposent, à privilégier les solutions amiables. J'ai demandé à la délégation à l'information et à la communication (Dicom) de mettre en place une communication à ce sujet, car les acteurs doivent avoir connaissance de ces nouvelles possibilités.
Dans un procès en responsabilité, le demandeur veut généralement aller vite, mais le défendeur préfère repousser le moment où il devra, le cas échéant, faire face à ses obligations. Si la question de droit est rapidement tranchée par le juge et que la personne mise en cause est jugée responsable, elle aura également intérêt à ce que la procédure ne s'éternise pas : elle sera au fait de sa condamnation.
Nous souhaitons mettre en place un tribunal compétent pour l'ensemble des activités économiques, les frontières entre elles étant de plus en plus poreuses. Au demeurant, ces activités sont aussi celles d'autres acteurs que les entreprises – les associations, par exemple, ainsi que les agriculteurs, qui sont également des chefs d'entreprise. Dans un premier temps, nous mènerons une expérimentation, afin de déterminer comment ce projet peut concrètement se déployer.
Monsieur Paris, je reçois vos commentaires avec bonheur, parce que vous êtes député, mais surtout parce que vous avez été magistrat. Vous connaissez la situation de la justice. Vous savez ce que ressentent les personnels et les avocats. Vous comprenez à quoi je fais allusion, lorsque je dis que nous devons aussi balayer devant notre porte, que tout ne peut plus remonter au niveau central, avec le risque d'embolisation que cela comporte. Nous avons besoin d'une forme d'autonomie budgétaire, et d'une confiance redonnée aux acteurs de terrain.
Certaines situations, qui nous sont remontées lors des concertations, sont désespérantes. Nous avons ainsi prévu de doter chaque juridiction d'un technicien informatique. Il est insupportable, par exemple, que l'ordinateur tombe en panne lorsque le magistrat commence à rédiger un délibéré.
Les états généraux ont aussi révélé l'urgence de renforcer la première instance et de redonner toute leur place aux juges civils, qui traitent 60 % des contentieux. Il faut les recentrer sur leur mission, qui est de dire le droit. Ensuite, les avocats et les parties peuvent trouver un accord sur le volet indemnitaire. Pour toutes les personnes qui ont vécu un procès, la mise en état, les renvois, les expertises et les contre-expertises paraissent interminables. Elles ne comprennent pas ces délais, notamment pour des sujets très intimes comme les droits de visite et d'hébergement. Cette situation explique la défiance de 77 % des Français à l'encontre d'une institution qui est pourtant à leur service.
Nous avons identifié trois leviers. L'équipe qui entoure le magistrat préparera les dossiers en amont de l'audience, sans empiéter sur le juridictionnel qui restera naturellement l'attribution exclusive du juge. Nous comptons également sur la mise en place d'une politique de l'amiable. Les dispositifs existants ne seront pas remis en cause car ils sont utiles, même s'ils sont trop peu utilisés. Je veux d'ailleurs rendre un hommage appuyé aux conciliateurs et aux médiateurs. S'ils privilégient l'amiable, les avocats bénéficieront d'une revalorisation de l'aide juridictionnelle. Une structuration différente de leurs écritures, demande unanime des magistrats, permettra enfin de simplifier et d'alléger le travail de ces derniers.
Monsieur Guitton, je pense que vous mélangez tout, je vous le dis sans ambages. Les décisions prises par Nicole Belloubet étaient indispensables, car la contamination, la maladie et la mort étaient au rendez-vous. Je vous invite à répéter vos propos aux familles des agents pénitentiaires qui sont décédés en prison !
Vous ne savez manifestement pas ce que j'ai fait depuis mon entrée en fonction, parce que vous n'étiez pas élu – personne ne peut vous le reprocher –, mais surtout parce que vos amis du Rassemblement national n'étaient jamais présents à l'Assemblée nationale, à commencer par Mme Le Pen. Dans mon souvenir, le seul amendement qu'elle a déposé visait à ce que les journalistes soient condamnés à deux ans d'emprisonnement s'ils évoquaient des procès-verbaux couverts par le secret de l'instruction.
Pour le reste, vous ne votez pas les budgets : « Y a qu'à, faut qu'on, faudrait » ! Vous critiquez, mais vous ne proposez rien de sérieux. Le livre blanc – c'est vous qui aviez choisi la couleur – du Rassemblement national en matière de justice vous rend tout à fait légitimes à critiquer ce que nous faisons, puisqu'il proposait 9 000 magistrats à une époque où nous avions largement dépassé ce chiffre et la réclusion criminelle à perpétuité réelle qui existe depuis belle lurette dans le code pénal. Tout cela, vous pourrez le vérifier en consultant vos archives, même si Mme Le Pen a ensuite essayé de corriger ses propos en évoquant 15 000 ou 19 000 magistrats ! De grâce, un peu d'humilité.
Ce n'est pas vous insulter, madame, que de vous rappeler le programme du Rassemblement national sur la justice ! Vous pouvez ricaner : les paroles s'envolent, les écrits restent. Sur les sujets que je viens d'évoquer, on ne vous a plus entendus par la suite, car vos propositions n'étaient pas sérieuses.
Vous évoquez aussi l'immigration, monsieur Guitton, mais comment faites-vous pour renvoyer dans son pays un Syrien ou un Afghan ?
Vous vous bornez aux anathèmes et aux concepts – du moins, les vôtres –, et nous avons tous compris que si vous accédiez un jour au pouvoir, il n'y aurait plus de délinquance dans ce pays. Bref, tout cela n'est pas sérieux.
Les travaux que j'ai l'honneur de présenter ont été conduits par des dizaines de magistrats, de policiers, de greffiers et d'avocats. Un comité présidé par l'ancien vice-président du Conseil d'État a également réuni de très hauts magistrats. Vous voulez lutter contre ce que vous appelez le « Dupond-Morettisme », mais, en l'occurrence, je me suis effacé et je ne suis intervenu qu'à la fin du processus. Les conclusions de ces travaux ne sont pas les miennes, ce qui devrait vous interdire quelques critiques. Pour le reste, révisez vos sujets en matière de justice, car vous êtes complètement à côté de la plaque et personne ne comprend ce que vous voulez.
Je crois que le Rassemblement national a assez eu les honneurs de notre discussion : Mme Martin attend votre réponse, monsieur le garde des sceaux.
Un dernier mot sur le prétendu laxisme de la justice. Tous les chiffres, monsieur Guitton, démontrent le contraire. Nicole Belloubet n'a accordé aucune faveur aux détenus. Elle a pris une mesure sanitaire qui a permis de sauver des vies – ce qui ne vous intéresse peut-être pas. La surpopulation carcérale est bien la preuve que la justice n'est pas laxiste !
Madame Martin, je tiens à vous rassurer sur le choix de l'ordonnance. L'objectif n'est pas d'exclure le Parlement, mais la réécriture du code de procédure pénale à droit constant est un travail technique, qui prendra vraisemblablement dix-huit mois à deux ans. Compte tenu de sa complexité, j'ai d'ailleurs mis en place un comité scientifique.
S'agissant des cadres d'enquête, nous voulons procéder à une simplification. Le code de procédure pénale est devenu illisible. Tous les délais ne se calculent pas de la même façon. Certains articles renvoient à quatre autres articles. Les professionnels ne s'y retrouvent plus, entre le dies a quo et le dies ad quem, la prise en compte ou non des jours chômés, etc.
Le Parlement sera associé à la réécriture du code de procédure pénale, conformément au souhait du Président de la République. Les parlementaires pourront suivre l'avancée des travaux. Les modalités seront précisées prochainement, mais tous ceux qui voudront participer à la démarche en auront la possibilité.
Certaines de ces mesures opérationnelles seront inscrites dans le dur de la loi ; elles ont toutes pour but de donner aux magistrats les moyens supplémentaires, la simplification et la pause législative qu'ils réclament, sans modification, donc, du code pénal. Dans une démocratie, n'est-on quand même un peu obligé de consulter le Parlement – les mesures réglementaires mises à part – pour abroger des dispositions législatives ? Pour simplifier le cadre législatif, je suis donc bien obligé de vous soumettre une loi nouvelle : il ne s'agit pas du tout d'ajouter de la complexité. Si nous voulons éviter que trois magistrats soient obligés de se réunir pour modifier un contrôle judiciaire, par exemple, nous n'avons pas d'autre solution.
S'agissant du partenariat entre la PJJ et l'armée, il ne s'adressera qu'à de jeunes volontaires. Le dispositif associera l'expertise de la première et l'autorité bienveillante – mais autorité tout de même, je le concède – de la seconde, qui transmettra les valeurs qui sont les siennes, comme le dépassement de soi et la solidarité. L'expérimentation menée à Coëtquidan a fonctionné. Placer tous les délinquants dans des casernes ne peut pas être une solution mais, pour certains d'entre eux, cette expérience peut s'avérer très bénéfique.
Nous allons également profiter des Jeux olympiques et paralympiques pour mettre en place des partenariats entre la PJJ et le monde du sport. La création de centres éducatifs fermés doit en outre se poursuivre, parce que les résultats obtenus sont encourageants.
Monsieur Gosselin, j'ai bien aimé votre référence au juge de paix. Je défends totalement cette idée, car les justiciables considèrent à la fois que la justice est trop lente et qu'elle ne les écoute pas.
En matière de procédure pénale numérique (PPN), des avancées ont déjà eu lieu, notamment concernant le classement, et des évolutions importantes interviendront fin 2023.
Les tribunaux paritaires des baux ruraux ne seront pas remis en cause, car cette juridiction fonctionne.
Vous connaissez déjà ma réponse s'agissant des peines planchers. Si je pensais qu'une telle mesure était utile, je la mettrais en place. Mais les résultats n'ont pas été probants. Je suis en outre attaché à la liberté juridictionnelle. Or les peines planchers y sont une entrave, même si, dans le dispositif que vous aviez instauré, les juges avaient la possibilité d'y déroger. Dans ce cas, quel est l'intérêt d'une telle mesure ?
Contrairement à ce que certains affirment, la justice n'est pas laxiste. En matière correctionnelle comme en matière criminelle, les peines ont augmenté en vingt ans. Lorsque certains disent que la justice est laxiste, ils visent le ministre. Ils oublient que le garde des sceaux ne donne aucun ordre aux magistrats, et qu'il en est très bien ainsi : cela s'appelle l'état de droit. Ceux qui critiquent en permanence la justice ont une piètre conception de ce dernier !
Je pense avoir tout dit au sujet du référentiel, Madame Untermaier. Nicole Belloubet a souhaité relancer cet outil, que certains avaient oublié mais qui est très utile. Je le répète, ce n'est pas en cachant les problèmes qu'on peut les régler.
Monsieur Pradal, je vous remercie pour vos propos encourageants. Je partage évidemment vos préoccupations concernant l'application des lois. Pour celles issues des états généraux de la justice, le Parlement sera étroitement associé à l'élaboration des textes réglementaires, de manière à préserver la cohérence de notre plan. De ce point de vue, je me suis déjà longuement attardé sur les mesures civiles.
Je souhaite développer les TIG. Cette peine existe depuis longtemps et elle est utile. Nous avons mis en place la plateforme 360°. Les associations qui auront reçu l'habilitation de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) pourront accueillir des tigistes. Dans ma dernière circulaire de politique générale, j'ai insisté sur l'intérêt des TIG, que je souhaite redynamiser. Depuis 2018, les offres ont augmenté de plus de 43 %. Aujourd'hui, 34 758 places sont disponibles et 26 000 postes sont actifs. Ils sont 3 456 à recevoir des mineurs, pour qui ils représentent souvent une première expérience professionnelle.
À la suite de la loi du 23 mars 2019 de programmation pour la justice et de la loi du 8 avril 2021 améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale, le recours aux TIG a été accru. Les prononcés de peine impliquant un TIG ont diminué en 2020, notamment durant la crise sanitaire. En 2021, ils se sont élevés à 24 000, soit un niveau comparable à 2019. Je souhaite que l'augmentation se poursuive, car cette peine favorise la réinsertion.
Monsieur Iordanoff, vous soulignez mon silence sur la réforme du statut du parquet, mais je vous rappelle que celle-ci est constitutionnelle et qu'une réflexion est en cours sur l'évolution de nos institutions.
J'entends souvent que le parquet ne serait pas indépendant, ce qui n'est pas l'avis des institutions européennes. Je me permets de le rappeler, puisque vous vous citez en permanence la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (Cepej). Je signale en outre que celle-ci a deux ans de retard et que seul son rapport de 2024 prendra en considération les dernières augmentations budgétaires que nous avons réalisées.
Nous ne cherchons pas à contourner les tribunaux, au contraire. Vous évoquez un possible déséquilibre entre les parties, mais vous oubliez, y compris dans le cadre de la césure, le rôle du juge et des avocats, qui bénéficieront en outre d'une aide juridictionnelle revalorisée. Si les justiciables sont insatisfaits de la médiation, ils pourront de toute façon quitter la procédure et revenir dans un schéma classique, c'est-à-dire à une procédure qui, au gré des mises en état, expertises et contre-expertises, dure deux ou trois ans. On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre !
Nous ne pouvons pas considérer qu'une justice rendue dans un délai de deux ou trois ans est acceptable. En tout cas, elle ne l'est pas pour 77 % de nos compatriotes. Il faut donc encourager le développement des solutions amiables. Si vous m'aviez accompagné aux Pays-Bas et au Canada, vous auriez compris ce que nous souhaitons faire. Je vous invite à suivre ce que nous allons présenter le 13 janvier. Des professionnels de ces pays expliqueront à nos praticiens comment ces nouvelles procédures fonctionnent. Elles ont fait leurs preuves au Québec par exemple, où elles sont utilisées par 72 % des justiciables. La justice est mieux rendue, car elle est plus proche des citoyens, plus protectrice et plus rapide.
Quant aux seuils d'occupation carcérale, des réunions sont déjà organisées avec les chefs de cour ou de juridiction, tenus informés de la situation par la DAP.
Mme Faucillon m'a interpellé sur la situation particulière du tribunal de Nanterre.
Vous n'avez pas répondu à ma question sur l'alignement de l'enquête préliminaire avec l'enquête de flagrance.
J'ai évoqué la simplification des cadres d'enquête, mais je ne sais pas ce que préconisera le comité scientifique : si je vous annonçais ce qu'il doit conclure, vous me diriez que je me moque du monde ! Vous serez en tout cas associés à ses travaux, n'ayez aucune crainte sur ce point.
Des magistrats, des greffiers et des assistants supplémentaires rejoindront les juridictions dès 2023, madame Faucillon. Ils ne seront pas aussi nombreux que je le souhaiterais, parce que nous n'avons pas encore ouvert les passerelles permettant d'accroître les recrutements. Il faut du temps pour que les textes entrent en vigueur. Les effets de ces renforts seront toutefois visibles.
Il existe sept voies d'accès à la magistrature : une simplification est assurément souhaitable. Est-il normal que des personnes qui sont déjà des professionnels de la justice doivent suivre une formation de trente et un mois ? Nous devons régler ces questions sans idéologie ni dogmatisme.
Nous souhaitons conclure un accord-cadre relatif à la qualité de vie au travail, ce qui n'avait jamais été envisagé jusqu'à présent. Les syndicats auront toute latitude pour s'exprimer à l'occasion de ces négociations. Je pense que celles-ci règleront de nombreuses difficultés.
M. Balanant ne m'a pas posé de question. Ses commentaires étaient, en revanche, très positifs et j'en suis ravi.
Je partage évidemment les appréciations très positives exprimées par Didier Paris au nom de notre groupe.
La médiation constitue un élément essentiel du plan que vous nous avez présenté. Elle est porteuse de transformation et d'amélioration du fonctionnement de la justice. Pouvez-vous toutefois nous préciser ce qui se passe en cas d'échec du règlement à l'amiable ? Le juge qui a accompagné les parties pour essayer d'obtenir un accord sera-t-il compétent pour trancher le conflit ?
En ce qui concerne l'unification de l'enquête préliminaire et de l'enquête de flagrance, il me semble que vous avez repris la proposition de la commission Sauvé. Celle-ci considérait que l'unification devait être réalisée en faveur de l'enquête préliminaire, plus protectrice des droits de la défense. Ce choix, s'il est confirmé, est-il de nature à permettre la simplification recherchée ?
La sous-dotation du ministère de la justice est structurelle en France puisqu'elle remonte au XIXe siècle. Par conséquent, augmenter les crédits chaque année ne permet pas d'améliorer la situation. Au contraire, celle-ci se dégrade au gré des réformes.
Face à l'état de délabrement avancé dans lequel se trouve la justice française et à la perte de sens que vivent les professionnels, il nous paraît fondamental d'augmenter de manière massive et inédite le personnel judiciaire et d'améliorer rapidement ses conditions de travail. Le corps judiciaire demande une reconnaissance de son travail et de son utilité sociale. Il faudrait également mettre fin au phénomène de « justice-bashing », qui accroît la souffrance des agents.
Monsieur le ministre, vous proposez d'embaucher 10 000 fonctionnaires de justice d'ici à 2027, dont 1 500 magistrats. Or le référentiel qui vous a permis d'estimer les besoins est théorique. Il repose sur une circulaire de localisation des emplois largement sous-évaluée. Selon les syndicats, il manquerait au moins 5 000 magistrats en France. Trente et un mois étant nécessaires pour les former, les recrutements à venir ne pourront pas soulager rapidement les juridictions, qui sont par ailleurs affectées par les départs en retraite et la multiplication des arrêts maladie liés à la souffrance au travail.
Vous souhaitez entourer les magistrats d'une équipe d'assistants. Combien seront-ils ? Quel sera leur contrat de travail ? Quelle sera leur formation ?
Si la France s'alignait sur les autres États du Conseil de l'Europe ayant un PIB comparable, elle devrait disposer de 13 600 magistrats au siège et de 7 400 magistrats au parquet. Or, en 2018, ils étaient 8 500 dans les juridictions, soit seulement 1 200 de plus qu'en 1880, alors que la population a quasiment doublé.
Monsieur le ministre, comment pouvez-vous nous assurer avoir vraiment pris la mesure du problème auquel la justice française est confrontée ? Êtes-vous prêt à travailler avec le Parlement pour réellement reconstruire la justice plutôt que d'ajouter une énième rustine sur un service public détruit ?
Au 1er décembre, 72 836 personnes étaient détenues en France, ce qui constitue un record. Celui-ci sera probablement battu chaque mois. Dans nos établissements pénitentiaires, 2 133 individus dorment sur des matelas installés au sol. Le taux d'occupation des maisons d'arrêt – qui concentrent la surpopulation carcérale – est de 152 %.
En quarante ans, soit dit notamment pour nos collègues d'extrême droite qui ne comprennent guère le sujet, le nombre de personnes placées sous main de justice a doublé par rapport à la population. En quinze ans, la durée des peines a augmenté de 25 %. Vous savez qu'annoncer la construction de 15 000 places de prison ne permettra pas de résorber la surpopulation carcérale, car celle-ci est une réalité à laquelle nous devons faire face maintenant. Elle empêche d'effectuer un travail correct en détention et de préparer la réinsertion des prisonniers. Elle est également intenable pour les personnels.
Certains d'entre nous sont favorables à un mécanisme de régulation carcérale. Celui-ci n'est pas un numerus clausus, au-delà duquel aucun prisonnier ne pourrait entrer en détention. Avant d'atteindre un taux d'occupation de 100 %, les établissements devraient convoquer des commissions de l'application des peines (CAP) extraordinaires pour accélérer la sortie des détenus en fin de peine et ainsi libérer des places. Cette proposition n'est pas dénuée de sens, puisqu'elle a été évoquée ce matin par le procureur général Molins sur RTL.
En matière d'indépendance du parquet, je vous renvoie au discours de M. Molins lors de l'audience solennelle de début d'année judiaire de la Cour de cassation. Chacun appréciera la conception qu'il en a et l'empiètement qu'il se permet sur les pouvoirs du législateur. Si nous faisions de même, je pense qu'il s'en émouvrait. Je me chargerai de le lui dire.
Il faudra s'assurer que les engagements sont respectés, mais je tiens à saluer la méthode retenue pour conduire ces états généraux de la justice, ainsi que les moyens et les objectifs affichés.
Dans les soixante actions que vous avez prévues, je n'ai rien trouvé concernant les associations d'aide aux victimes. Elles réalisent un travail formidable, en assurant le lien entre nos concitoyens et le monde de la justice. Puisqu'elles seront directement concernées par les nouveaux modes de fonctionnement mis en œuvre, il serait souhaitable qu'elles soient associées aux travaux en cours.
Nous pouvons collectivement nous réjouir de la manière dont les états généraux de la justice ont été menés. Ils ont permis de prendre précisément la mesure des difficultés que rencontre l'institution et d'identifier les chantiers de transformation que nous devons engager.
Je voudrais insister sur la nécessaire transformation numérique du ministère de la justice. Les personnels travaillent avec des logiciels obsolètes et les réseaux sont trop lents. Je vais régulièrement à leur rencontre et je constate qu'ils ne disposent pas de matériels et d'outils suffisamment performants pour leur permettre de mener à bien leur mission.
Il y a déjà plus d'un an, le procureur de la République de Lyon, M. Nicolas Jacquet, demandait un réseau informatique digne de ce nom et des logiciels fiables. Lorsque je me rends au greffe, j'ai presque l'impression que les agents utilisent encore une sorte de Minitel.
La modernisation des matériels et des outils permettrait de réduire les délais d'instruction des dossiers et d'en assurer un suivi plus fluide, conformément à l'objectif que nous partageons tous. Comme l'a souligné Jean-Marc Sauvé, les enjeux du numérique doivent être pris en compte dès le lancement des réformes.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous apporter des précisions sur l'avancée de vos travaux permettant d'opérer une transformation numérique de la justice qui corresponde aux besoins et aux attentes à la fois des agents et de nos concitoyens ?
Vous avez annoncé le recrutement de 1 500 magistrats et de 1 500 greffiers, ainsi qu'une trajectoire budgétaire. Pouvez-vous nous confirmer qu'il s'agit de créations nettes d'emplois ? Quelles sont les prévisions d'effectifs réelles en juridiction pour les trois prochaines années ? Il existe parfois des décalages liés à l'utilisation de supports d'emploi pour des embauches temporaires de contractuels, par exemple. En outre, les créations d'emploi ne produisent pas forcément leurs effets dans l'année, compte tenu notamment des délais de formation.
S'agissant du statut du parquet, comment pourrions-nous nous aligner sur les standards de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) ? Puisqu'une réflexion est prévue concernant l'évolution de nos institutions, je pense que ce sujet pourrait y être intégré.
Enfin, comme l'a évoqué ma collègue Cécile Untermaier, des dispositifs avaient été mis en place dans les prisons pour limiter la surpopulation carcérale pendant la crise du covid. Je me suis rendue dans la maison d'arrêt du Mans, où le taux d'occupation atteint 230 %. Quelles mesures envisagez-vous pour remédier à cette situation ?
Les modes de règlement amiable des différends sont essentiels à notre droit. Ils permettent, par une coconstruction des accords entre les parties, de désengorger les tribunaux et de réduire les délais, mais aussi de pacifier les rapports et de bénéficier d'une justice adaptée aux différentes situations. Les exemples du Canada ou des Pays-Bas, qui ont inspiré votre réforme, sont éloquents. Au Québec, par exemple, le taux de succès de ces procédures s'élève à 72 %.
Le rôle des avocats, appelés à devenir des pacificateurs à la faveur, notamment, d'une formation adaptée, est tout aussi essentiel.
Vous avez annoncé la création d'une nouvelle audience de règlement amiable et d'une césure ; mais pouvez-vous nous indiquer plus précisément comment celles-ci fonctionneront ? Comment les différents acteurs de la justice amiable – avocats, juges, médiateurs, experts, greffiers ou conciliateurs – s'intégreront-ils dans ces procédures ? Comment pourrons-nous nous assurer de leur formation à des outils dont l'utilisation ne s'improvise pas ?
Dès les premières pages, le rapport issu des états généraux de la justice dresse un constat particulièrement alarmant puisqu'il reconnaît que « la justice n'a plus les moyens de remplir son rôle ». La partie consacrée aux délais est très révélatrice. En moyenne, en France, plus de quatorze mois sont nécessaires pour que la justice statue sur une affaire, en première instance ou en appel. De tels délais nourrissent, à juste titre, du ressentiment chez nos concitoyens.
Pour remédier à ces difficultés, vous avez annoncé le recrutement de 1 500 magistrats, de 1 500 greffiers et d'un nombre important d'assistants d'ici à 2027. Pouvez-vous être plus précis ?
Pour atteindre la moyenne européenne du nombre de magistrats par habitant, celui-ci devrait doubler, comme Marine Le Pen l'avait proposé en 2022.
Dans votre plan d'action, il est indiqué que les délais de traitement des affaires devraient être réduits grâce à la priorité donnée aux modes de règlement à l'amiable. Si elles le souhaitent, les parties pourront être renvoyées devant un juge qui les recevra rapidement en présence de leurs avocats. Sera-t-il possible de parvenir à une conciliation en une seule audience ? Les différends évidents qui existent entre les parties ne risquent-ils pas de faire durer indéfiniment le règlement de ces affaires ?
Enfin, pouvez-vous nous expliquer ce nouveau rôle de conciliateur qu'aura le juge ? N'est-il pas, au contraire, mandaté pour trancher le litige ?
Comme le dit l'Observatoire international des prisons, vous ne proposez « rien de nouveau pour réduire la surpopulation carcérale, malgré la grave crise pénitentiaire que rencontre actuellement le pays ».
La généralisation du port des caméras-piétons pour les surveillants de prison est-elle votre solution, monsieur le ministre, pour lutter contre les difficultés de recrutement ? Je vous ai interpellé par un courrier le mois dernier, après ma visite au centre de détention d'Eysses dans le Lot-et-Garonne. Je n'ai entendu aucun gardien demander des caméras-piétons. Ils sont, en revanche, préoccupés par le manque d'effectifs, la réforme des retraites ou la revalorisation des salaires. Beaucoup d'entre eux dépassent largement les plafonds d'heures travaillées, parfois jusqu'à 150 ou 250 heures au cours d'un trimestre. Ils se retrouvent – pour reprendre les mots de la directrice – à travailler gratuitement pour permettre à l'institution de continuer à fonctionner. Vous préférez fermer les yeux sur cette réalité.
Alors que vous n'arrivez pas à recruter et que les départs d'agents sont massifs, vous envisagez la construction de 15 000 nouvelles places de prison.
Vous n'avez pas non plus évoqué le recrutement des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, qui connaissent les mêmes difficultés et qui sont également en souffrance.
Vos annonces constituent un nouveau pas vers la maltraitance institutionnelle. L'état de nos prisons, comme l'a rappelé mon collègue Bernalicis, est la conséquence de notre politique pénale, qui pénalise de plus en plus de comportements, renforce les procédures de jugement rapide comme la comparution immédiate, laquelle aboutit, dans 70 % des cas, à de l'enfermement et allonge la durée des peines.
Aujourd'hui, 2 133 détenus dorment sur des matelas au sol. Une telle situation est inacceptable. Nous n'avons pas besoin de plus de places de prison, ni de plus de surveillance, mais de mettre fin à cette politique de surenchère pénale. Nous devons adopter une logique de déflation, qui se traduira par une déflation carcérale et qui permettra aux agents d'effectuer leur travail correctement.
Notre justice est à bout de souffle. Le rapport des états généraux conclut à un « état de délabrement avancé » de notre institution judiciaire. Vous avez présenté un plan d'action permettant de « bâtir une justice plus proche, plus rapide, plus efficace ». Nous en prenons acte, même si votre plan se résume essentiellement à une hausse de l'enveloppe budgétaire de votre ministère. Dans un contexte de défiance généralisée vis-à-vis des institutions, je crains qu'il soit insuffisant. Des mesures de fond pour lutter contre la criminalité et la délinquance auraient été appréciées. Elles pallieraient le découragement des professionnels et l'incompréhension des justiciables.
Nous sommes favorables à une véritable suppression du rappel à la loi. Son remplacement par un avertissement pénal probatoire est une solution dont la vertu dissuasive reste à démontrer. Comme le préconise votre collègue ministre de l'intérieur, il faudrait rétablir une double peine qui ne soit pas facultative et qui permette d'expulser du territoire un étranger condamné pénalement une fois sa peine purgée. Enfin, les peines planchers nous paraissent indispensables, car la lutte contre la délinquance passe, pour les récidivistes, par une automaticité de l'emprisonnement. Monsieur le ministre, quel est votre avis concernant ces trois derniers points ? Êtes-vous prêts à mettre en œuvre de telles mesures ?
Les deux procédures nouvelles que vous souhaitez mettre en place recueillent tout notre intérêt. Actuellement, le règlement amiable des conflits ne concerne que 1 % des litiges. Les outils que vous proposez introduiront toutefois un changement de paradigme, qui est au demeurant bienvenu. La conciliation n'aura plus pour objectif d'éviter un procès civil, mais se déroulera dans ce cadre, sous l'office d'un juge.
Lorsque j'étais avocat, j'ai beaucoup plaidé devant le tribunal paritaire des baux ruraux. Une audience de conciliation y était obligatoire et, quand le juge était acteur et indiquait aux parties le sens du droit, elle permettait de résoudre de nombreuses affaires. La limite de cette procédure était toutefois que le juge devait rapidement en acter l'issue, conciliation ou non entre les parties. Grâce à la procédure que vous proposez, l'action du juge pourra s'inscrire dans le temps.
S'agissant de la césure, l'objectif est de réduire le temps de procédure. La césure pénale mise en place dans le cadre du code de justice pénale des mineurs a été encadrée par des délais. Est-il prévu de faire de même pour la césure civile ? À titre personnel j'y serais assez favorable, au moins pour l'audience relative, non à l'indemnisation, mais à la responsabilité.
Les états généraux de la justice ont mis l'accent sur la longueur des procédures et sur l'insatisfaction générale des justiciables, qui, pris dans les méandres d'une procédure complexe, ne se sentent ni suffisamment écoutés, ni suffisamment protégés.
Vous souhaitez accélérer les procédures et associer autant que possible les justiciables à la justice. Ces objectifs sont louables et nous les partageons. Cependant, nous craignons que les moyens présentés ne permettent pas de les atteindre. Le mécanisme de césure pourrait même s'avérer contre-productif, ajoutant une étape supplémentaire au procès civil. En effet, le juge tranchera le nœud du litige, puis laissera les parties trouver un accord sur les questions annexes, ce qui revient à couper le procès civil en deux. Le juge désignerait ainsi le responsable, et les parties s'accorderaient sur l'indemnisation.
Ces procédures amiables semblent connaître un réel succès aux Pays-Bas. Toutefois, les exemples étrangers ne sont pas forcément transposables en France. La médiation peine à s'y implanter, alors que le Canada la pratique activement depuis des dizaines d'années.
De plus, ce qui prend du temps dans une procédure, c'est justement de trancher le nœud du litige et de déterminer les responsabilités. On ne saurait, au risque de malmener le principe du contradictoire, pilier de notre système juridique, trancher un litige en survolant les preuves ou les arguments présentés par chacune des parties, au doigt mouillé.
La détermination d'une responsabilité nécessite du temps et, bien souvent, des expertises, celles-là mêmes qui allongent la procédure ; on ne voit pas pourquoi les expertises interviendraient après que les responsabilités ont été tranchées. Dès lors, en quoi cette césure de procès civil permettra-t-elle de gagner du temps ? Un calendrier de procédure n'aurait-il pas été préférable ?
Monsieur le garde des sceaux, dans votre catalogue de soixante mesures, vous laissez de côté certains enjeux majeurs, comme la délinquance financière et fiscale, sur laquelle nous souhaitons appeler votre attention et celle des Français. Pourquoi ne pas donner davantage de moyens à notre justice pour qu'elle s'attaque sincèrement et résolument à la criminalité organisée ?
Nous sommes quelque 65 millions de Français. Or la fraude et l'évasion fiscales ainsi que le blanchiment du crime organisé représenteraient, au bas mot, 65 milliards par an. Pour la traduire en souffrance sociale, cette fraude coûte donc, en moyenne, plus de 1 000 euros par an à chaque Français. Or vous ne proposez rien pour lutter contre cette hyperdélinquance.
Cette criminalité financière frappe la grande majorité de nos concitoyens ; destructrice de nos services publics et de notre système de sécurité sociale, elle contribue aussi à corrompre le financement de nos retraites. Signe de votre laxisme, et même de votre connivence avec ce système, l'accès aux données économiques sensibles des détenteurs du capital des entreprises a été, fort discrètement et comme par magie, désactivé sur le registre des bénéficiaires effectifs des entreprises, hébergé par l'Institut national de la propriété industrielle (INPI). Gage de transparence, il était un outil précieux pour les journalistes d'investigation et les lanceurs d'alerte qui luttent contre la corruption.
Enfin, vous dites vouloir rendre le droit privé français plus attractif à l'international en matière commerciale : qu'est-ce que cela signifie ? Pouvons-nous espérer, de la part de votre ministère, des mesures efficaces de lutte contre ce siphonnage du budget et des moyens de l'État par cette criminalité que la loi, quand elle ne l'encourage pas, protège ?
Les cours criminelles départementales (CCD), qui répondent à un souci de rationalisation et visent à désengorger les cours d'assises, ont fait l'objet d'une expérimentation. Celle-ci a été jugée suffisamment positive pour que leur généralisation soit décidée. Le rapport du comité d'évaluation et de suivi, qui a été publié en octobre dernier, fait un intéressant bilan comparatif entre les cours d'assises et les cours criminelles, dont il importe de tenir compte. S'il note que les CCD respectent le format procédural criminel et le contradictoire, il souligne aussi la faiblesse structurelle de leurs moyens humains et fait à ce sujet des recommandations qui recoupent les alertes formulées par le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Saint-Étienne. À Saint-Étienne, comme dans bien d'autres juridictions, on manque à la fois de magistrats et de greffiers. La généralisation des cours criminelles départementales est donc conditionnée au renforcement des moyens humains. Comment va s'opérer la répartition des nouveaux effectifs, année après année ? Tiendra-t-elle compte des recommandations du comité de suivi et d'évaluation ?
Le nombre de détenus n'a jamais été aussi élevé. C'est le signe d'un ensauvagement de notre société, que le Rassemblement national dénonce depuis des années et qu'il faut réprimer sévèrement. Malheureusement, le rapport Sauvé, issu des états généraux de la justice, propose, entre autres mesures, de réduire les courtes peines. La réponse de la justice, face à l'augmentation des incivilités, serait donc de diminuer les incarcérations et de trouver une alternative aux peines. Notre justice n'a jamais aussi peu fait peur aux délinquants qu'avec vous.
Monsieur le ministre, malgré votre arrogance, votre mauvaise foi, votre haine du Rassemblement national, qui confine à l'obsession, et vos leçons de morale incessantes – absolument déplacées compte tenu de votre bilan –, le résultat est là : les Français ont l'impression que les méfaits qu'ils subissent ne sont presque jamais suivis de sanctions.
Un grand juriste du nom de Beccaria disait : « Ce n'est point par la rigueur des supplices qu'on prévient le plus sûrement les crimes, c'est par la certitude de la punition. » Il faut que les peines soient prononcées rapidement et qu'elles soient appliquées, même les plus courtes d'entre elles, grâce à une justice suffisamment dissuasive.
Enfin, j'aimerais savoir pourquoi vous préférez consacrer vos efforts à la diminution de la population carcérale, plutôt qu'à la lutte contre la recrudescence des crimes et la montée de l'insécurité. Pourquoi voulez-vous moins de criminels et de délinquants en prison, alors que ce sont les seuls endroits où, à ma connaissance, vous vous faites applaudir ?
Monsieur Legendre, en cas de césure, c'est le même juge qui interviendra. En revanche, dans la procédure de règlement amiable, inspirée de la procédure canadienne, un autre juge interviendra, de manière à garantir l'impartialité du jugement, conformément à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Monsieur Bernalicis, s'agissant de la surpopulation carcérale, attendons de voir ce que donnera la libération sous contrainte. Le principal objectif, pour moi, c'est d'éviter les sorties sèches, qui sont génératrices de récidives, et c'est pourquoi nous avons imaginé les SAS, ces établissements pénitentiaires particuliers qui doivent aider les gens à se former et à trouver un travail ou un logement. Vous n'en parlez jamais, mais c'est moi qui ai proposé de supprimer les réductions automatiques de peines, parce que je voulais les conditionner à l'effort : se lever le matin, se désintoxiquer, apprendre à lire, travailler, se former, etc. Le sens de l'effort n'est pas un sens interdit. Je crois en la vertu du travail.
Monsieur Breton, je ne l'ai pas évoqué mais il y a aussi un volet qui concerne les victimes. Nous voulons créer un guichet unique et favoriser l'information des victimes, notamment dans les cas de violences intrafamiliales. Nous entendons également développer les unités d'accueil pédiatrique pour l'enfance en danger (UAPED), car elles fonctionnent bien. Le chien d'assistance judiciaire est aussi un dispositif extraordinaire. Il suscitait des réticences pour des raisons budgétaires, mais nous avons désormais les moyens d'y recourir. Un enquêteur nous a dit qu'il ne pouvait plus travailler sans ce chien, une sorte de doudou géant qui libère la parole des enfants. Les victimes sont aussi, cela va de soi, au cœur de notre réflexion.
Madame Lorho, vous déplorez le « justice-bashing », alors que vous passez votre temps à critiquer la justice en disant qu'elle est laxiste. C'est le monde à l'envers ! Pardonnez-moi, mais on ne peut pas dire que 7,5 milliards d'euros, c'est une rustine ! Dans son livre blanc, Mme Le Pen disait qu'il fallait 9 000 magistrats, alors que nous avions déjà dépassé ce nombre. Lorsque vous vous êtes rendu compte du ridicule de votre proposition, vous avez proposé le double et on est passé, comme par magie, de 9 000 à 18 000. C'est tout aussi inepte : on n'aurait pas la place pour les loger. C'est ridicule ! Pourquoi pas 36 000 ?
Les chiffres que je vous propose ne sont pas une lubie ; ils sont issus des états généraux de la justice. Pour ma part je ne suis intervenu que dans le cadre des deux vagues de concertations, après la remise du rapport au Président de la République, après que des professionnels sérieux, au fait des besoins de la justice, aient fait part de leurs réflexions, au terme de centaines d'heures de travail. Ne doutant de rien, vous vous faites la porte-parole des syndicats qui, eux, sont dans leur rôle quand ils demandent davantage de magistrats et de greffiers. Vous n'avez aucun égard pour la justice ; vous ne savez que critiquer l'état de droit et l'institution et raconter n'importe quoi, en faisant preuve d'un populisme invraisemblable.
Madame Brocard, notre objectif, je l'ai dit, c'est zéro papier en 2027. Nous voulons créer un applicatif qui fonctionne pour tout le monde : c'est absolument indispensable pour régler les problèmes auxquels sont confrontés les magistrats et les greffiers. Il faut un informaticien dans chaque juridiction. Je sais que j'aurai l'occasion de revenir sur ces questions devant le Parlement.
Madame Karamanli, je parlais évidemment de créations nettes de postes. Nous avons déjà créé 700 postes de magistrat, 850 postes de greffier et 2 000 postes de contractuel. Nous voulons pérenniser les contractuels : je ne peux pas vous donner leur nombre pour l'instant ; il sera défini au fur et à mesure, grâce à vous. L'objectif, c'est de recruter 1 500 magistrats et 1 500 greffiers ; le reste, ce seront des contractuels et des personnels pénitentiaires.
Madame Yadan, vous êtes avocate, spécialiste de la médiation : vous savez donc de quoi vous parlez. Les modes alternatifs de règlement des différends ne vont pas disparaître. J'ai oublié de dire que tout ce qui concerne le mode amiable sera regroupé dans le code de procédure civile. Nous effectuerons aussi un travail de médiatisation pour attirer les justiciables et les assureurs. Il faudra effectivement faire un effort de formation : l'École du barreau, l'École nationale de la magistrature et l'École nationale des greffes y prendront leur part. Le 13 janvier, des praticiens et des magistrats nous expliqueront comment ils ont réussi ce que, je l'espère, nous réussirons tous ensemble.
Madame Lechanteux, vous dites que la justice est en très grande difficulté et que cela sonne en vous comme une « mise en alerte ». Pourquoi, alors, n'avez-vous pas voté le budget ? C'est quand même fabuleux : vous faites le constat que la justice se porte mal, et vous ne votez pas son budget !
Tous les crédits des missions qui relèvent de la commission des lois ont été votés en commission.
Pourquoi vous êtes-vous abstenus ? Je répète, par ailleurs, que le nombre de 18 000 magistrats sort de nulle part.
Monsieur Portes, les caméras-piétons vous inquiètent mais j'y vois, pour ma part, un moyen de renforcer la sécurité des agents, d'assurer une plus grande transparence et d'éviter des agressions. Nous entreprenons aussi la rénovation des établissements pénitentiaires. S'agissant de la surpopulation, Mme Belloubet a pris la bonne décision au moment de la crise du covid, mais cela n'a rien à avoir avec l'idée selon laquelle il faudrait, au-delà d'un certain seuil, libérer des personnes qui n'ont pas purgé leur peine. Les Français ne veulent pas entendre parler de cela : en prônant une telle mesure, vous savez quel électorat vous favorisez.
Monsieur Pauget, c'est l'adoption de l'un de vos amendements qui a supprimé le rappel à la loi. Le débat sur l'immigration s'ouvrira bientôt et je ne doute pas qu'il sera très riche. J'ai déjà dit ce que je pensais des peines planchers : je n'y reviens pas.
Monsieur Terlier, je souhaite que les délais passent du double au simple. Nous allons créer un indicateur, qui sera rendu public. Il est déjà prévu que l'homologation de l'accord soit prise dans un délai d'un mois.
Madame Roullaud, dois-je penser que vous vous méfiez des procédures qui viennent de l'étranger ? L'expertise pourra bien avoir lieu dans la phase initiale.
Monsieur Coulomme, l'attractivité du droit français, c'est le rayonnement de la France. La codification permet d'avoir un outil : ne la confondez pas avec le code pénal. Les magistrats traquent la délinquance financière et les résultats qu'ils obtiennent sont très encourageants. Une partie de l'argent récupéré permet d'ailleurs d'abonder indirectement le budget de la justice. Par ailleurs, on confisque de plus en plus de biens que l'on distribue à des associations caritatives. Nous nous sommes inspirés de ce qui se fait en Italie et avons multiplié les antennes de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) : c'est une chose dont je suis fier. J'ai redit, dans ma circulaire de politique pénale, qu'il fallait prêter une attention particulière à la délinquance économique.
Monsieur Mandon, on a dit beaucoup de choses sur les cours criminelles départementales, mais on oublie souvent qu'un rapport parlementaire leur a été consacré, que l'on doit à deux avocats, MM. Antoine Savignat et Stéphane Mazars. Puisque je dois conclure, je vous invite à venir me rendre visite à la Chancellerie pour approfondir cette question.
Je vais diffuser le rapport du comité d'évaluation de la cour criminelle départementale que vous nous avez transmis en octobre dernier pour que chacun en prenne connaissance.
Madame Diaz, que vous citiez Beccaria m'enchante infiniment. C'est un grand penseur de la procédure pénale et je vous invite à le lire. C'est un immense humaniste et il était contre la peine de mort. Que vous en fassiez votre allié m'enchante, je le répète.
Vous me prenez pour le gaucho de service : « Taubira en pire », avait dit Marine Le Pen. M. Bernalicis, lui, me prend pour un répressif. J'essaie, avec pragmatisme, d'être humaniste sans être démago, et d'assurer la réponse pénale sans être populiste. C'est une ligne difficile à tenir. Si vous êtes un jour amenée à exercer mes fonctions, vous verrez que c'est moins simple que tout ce que vous racontez.
La séance est levée à 19 heures 55.
Informations relatives à la Commission
La Commission a désigné Mme Laurence Vichnievsky et M. Philippe Gosselin, rapporteurs sur la proposition de loi de Mme Laurence Vichnievsky et M. Philippe Gosselin relative au régime juridique des actions de groupe (n° 639).
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Erwan Balanant, M. Romain Baubry, M. Ugo Bernalicis, M. Bruno Bilde, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, M. Jean-François Coulomme, Mme Edwige Diaz, Mme Elsa Faucillon, Mme Raquel Garrido, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Marie Guévenoux, M. Jordan Guitton, M. Sacha Houlié, M. Timothée Houssin, M. Jérémie Iordanoff, Mme Marietta Karamanli, M. Philippe Latombe, M. Gilles Le Gendre, Mme Julie Lechanteux, M. Didier Lemaire, M. Benjamin Lucas, M. Emmanuel Mandon, Mme Élisa Martin, M. Ludovic Mendes, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, M. Jean-Pierre Pont, M. Thomas Portes, M. Éric Poulliat, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Philippe Pradal, M. Stéphane Rambaud, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Thomas Rudigoz, Mme Sarah Tanzilli, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet
Excusés. - M. Éric Ciotti, M. Philippe Dunoyer, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Emeline K/Bidi, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Rémy Rebeyrotte, M. Davy Rimane
Assistaient également à la réunion. - Mme Marie-France Lorho, Mme Caroline Yadan