La réunion

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La séance est ouverte à dix heures.

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Mes chers collègues, nous auditionnons, à huis clos, M. Jean-Louis Martineau, adjoint au coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT). Cette audition ne s'inscrit pas dans le cycle d'auditions consacré à la défense globale. Elle est justifiée par le relèvement du niveau d'alerte Vigipirate à son niveau le plus élevé, « urgence attentat », en raison de l'attentat survenu à Moscou le 22 mars, qui a fait plus de 130 morts.

Monsieur Martineau, vous êtes inspecteur général des services actifs de la police nationale. Vous exercez vos fonctions depuis le 1er septembre 2023. Vous remplacez ce matin le préfet Mailhos.

Depuis le début de l'année, d'après le renseignement d'origine sources ouvertes, deux projets d'attentat ont été déjoués en France, notamment grâce à l'action des services de renseignement. Comme l'a rappelé le Premier ministre : « La menace terroriste islamiste est réelle, elle est forte ». Dans le cadre du relèvement de Vigipirate à son niveau maximal, 4 000 militaires supplémentaires ont été placés en alerte. Depuis 2017, quarante-cinq projets d'attentat auraient été déjoués et 760 étrangers radicalisés reconduits à la frontière.

Le CNRLT est habituellement auditionné par la délégation parlementaire au renseignement (DPR) mais la présente audition par la commission de la défense, dans le contexte que nous connaissons, m'a semblé nécessaire. Ce poste a été créé en juillet 2008. La première fonction de son titulaire est de conseiller le Président de la République dans le domaine du renseignement et de préparer la Stratégie nationale du renseignement (SNR).

Le premier cercle du renseignement compte six services : trois relevant du ministère des armées – la direction générale des services extérieurs (DGSE), la direction du renseignement militaire (DRM) et la direction du renseignement de la sécurité de la défense (DRSD) –, un du Ministère de l'intérieur : la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), et deux du ministère de l'économie et des finances : la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et Tracfin.

La CNRLT synthétise, à l'attention du Président de la République et d'autres autorités, les informations émanant de la communauté du renseignement. Par ailleurs, elle s'assure de la bonne coopération entre les services et veille à la cohérence de leur action, dans la mesure où leurs modes de fonctionnement et leurs habitudes ne sont pas identiques.

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Jean-Louis Martineau, adjoint au coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT)

Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir convié à aborder devant vous un sujet majeur pour la sécurité de nos concitoyens et pour l'activité des services. Je suis accompagné de M. Yvan Carbonnelle, conseiller contre-terrorisme de la CNRLT. Membre de la gendarmerie nationale, il a été en poste à la DGSI et à l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat).

Je vous prie de bien vouloir excuser le préfet Mailhos, retenu auprès du Président de la République pour un Conseil de défense, prévu ce jour à onze heures.

La récente décision de rehausser la posture Vigipirate au niveau « urgence attentat », qui est la plus haute graduation du plan, fait suite à l'attentat du Crocus City Hall, dans la banlieue de Moscou, le 22 mars dernier. Elle s'explique aussi par l'échéance du 8 mai, jour de l'arrivée de la flamme olympique à Marseille, qui cheminera jusqu'à l'ouverture des Jeux olympiques et paralympiques (JOP).

La CNRLT n'est pas un service de renseignement. Elle est composée de femmes et d'hommes issus des services de renseignement. Nous sommes tous aguerris à la matière « Rens » mais, sitôt nommés à la CNRLT, nous quittons nos habits d'officiers de renseignement pour nous placer au service de la coordination.

La CNRLT est une structure de coordination. Aux six services du premier cercle rappelés par M. le président de la commission, il faut ajouter les quatre services du second cercle : la Direction nationale du renseignement territorial (DNRT), qui a peu ou prou le même périmètre que les anciens Renseignements généraux (RG) et est fortement présente dans la lutte contre la radicalisation et le contre-terrorisme de premier niveau ; le Service national du renseignement pénitentiaire (SNRP), qui relève du ministère de la justice ; la sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) de la gendarmerie nationale ; la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP).

Ces dix services forment la communauté nationale du renseignement. La CNRLT est chargée d'en coordonner l'activité. Elle a un autre rôle majeur : conseiller le Président de la République, sur la base des productions des services des deux cercles et des travaux que nous entreprenons avec eux.

Les services travaillent à partir de capteurs classifiés secret défense ou très secret défense. Tout ce que je dirai au cours de la présente audition est issu de la production des services et présente comme tel un caractère sensible. M. Carbonnelle et moi-même sommes habilités et soumis au secret défense ; nous ne pourrons pas répondre à toutes les questions.

Dès sa création en 2014, la DGSI a été désignée chef de file de la lutte antiterroriste. En dix ans, la France a subi vingt-quatre attentats aboutis. Vingt attentats ont échoué (mais ont pu occasionner des blessés) ; soixante-quatorze ont été déjoués avant leur exécution. Le bilan des victimes est lourd : 265 morts et près de 1 200 blessés.

Les services suivent, au titre de la radicalisation, un peu plus de 5 000 individus, qui sont inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Ce fichier de référence, tenu par les services, fait l'objet d'un suivi attentif. Les personnes qui y sont inscrites sont prises en charge, à un degré ou un autre, par l'un des dix services de renseignement, notamment la DGSI, la DNRT et la DRPP.

Depuis 2020, la France a subi dix attentats, qui ont fait onze morts et seize blessés. Leur dynamique est distincte de celle ayant prévalu en 2015 et en 1995. La menace d'alors provenait de l'extérieur du territoire. Elle était le fait de profils très aguerris – le groupe islamique armé (GIA) algérien en 1995, les filières syriennes en 2015. Les modes opératoires étaient complexes – des engins explosifs en 1995, des ceintures explosives associées à l'usage d'armes à feu en 2015.

Les dix attentats commis depuis 2020 – six en 2020, un en 2021, un en 2022 et deux en 2023 – l'ont tous été par un seul auteur, dont l'âge moyen était vingt-cinq ans. La moitié d'entre eux sont de nationalité étrangère ; six présentent des troubles du comportement. Tel est d'ailleurs le cas d'environ 20 % des 5 000 personnes inscrites au FSPRT. Cette donnée est importante dans la perception de la dangerosité et de la capacité de passer à l'acte des auteurs, dont les critères ne s'inscrivent pas dans un raisonnement.

S'agissant du mode opératoire, il s'agit d'armes blanches dans huit cas sur dix, d'un assassinat à mains nues – celui d'Yvan Colonna en prison – et d'une attaque à la voiture bélier. Six attentats sur dix ont eu lieu en région parisienne, trois dans le quart sud-est et un dans le Nord, à Arras. Trois attentats ont visé des cibles indiscriminées dans l'espace public, deux ont ciblé des forces de l'ordre, deux des personnels de l'éducation nationale. Un attentat a visé un lieu de culte, un autre les anciens locaux de Charlie Hebdo, un autre a été commis en détention – l'affaire Elong Abé.

Pendant dix-neuf mois, il n'y a pas eu d'attentat en France. Le 13 octobre dernier, la série a repris lorsqu'un jeune radicalisé d'origine nord-caucasienne, plus précisément ingouche, Mogouchkov, âgé de vingt ans seulement, a assassiné un enseignant, Dominique Bernard, dans un lycée d'Arras. Cet attentat est le quatrième visant un établissement scolaire depuis 2012, après celui commis en 2012 à Toulouse par Mohammed Merah, l'agression à la machette d'un professeur de confession juive par un mineur à Marseille en 2016 et l'assassinat de Samuel Paty en octobre 2020 par Anzorov, lui aussi membre de la communauté caucasienne.

Le second attentat de 2023 est celui du pont de Bir-Hakeim, commis le 2 décembre. Son auteur, Armand Rajabpour-Miyandoab, avait vingt-six ans. Affilié à l'État islamique, présentant un profil psychologique instable, il est récidiviste. Condamné en 2018 pour des actes de terrorisme, il était sorti de prison en 2020. Il s'agit du seul cas de récidive.

Ces deux attentats commis après le 7 octobre sont inséparables du conflit israélo-palestinien, qui a aussi provoqué une tentative déjouée par la DGSI début mars. Un Égyptien d'une soixantaine d'années souhaitait s'en prendre à des fidèles sur le parvis de Notre-Dame de Paris. Sa motivation était ce qu'il appelle la répression israélienne contre le Hamas.

L'attentat commis à Bruxelles le 16 octobre l'a été par un ressortissant tunisien revendiquant de façon affirmée son affiliation à l'État islamique. Les deux victimes sont des Suédois, visés comme tels et identifiables aux maillots de football qu'ils portaient. La motivation de l'auteur était liée aux autodafés du Coran commis en Suède quelques mois auparavant. De façon générale, le thème du blasphème, en lien avec les autodafés, est très prégnant dans la menace terroriste et les motivations d'attentats.

La conjugaison de ces éléments a augmenté le niveau de la menace. Constante depuis 2015, celle-ci n'avait jamais atteint un tel niveau d'intensité depuis 2020, lorsque trois événements majeurs ont eu lieu en cinq semaines : l'attaque des anciens locaux de Charlie Hebdo, liée à une nouvelle publication de caricatures, l'assassinat de Samuel Paty et l'attentat visant la basilique de Nice. Le plan Vigipirate avait été rehaussé au niveau « urgence attentat ».

J'aimerais préciser le vocabulaire employé par les services de renseignement pour caractériser les menaces. Une menace projetée provient de l'étranger. Il s'agit d'un commando venant commettre un attentat sur notre territoire, comme en 1995 et en 2015. Une menace activée ou impulsée est le fait de groupuscules et de réseaux commettant un attentat pour le compte d'une organisation extérieure, par exemple l'État islamique. Une menace inspirée résulte d'une démarche autonome inspirée par la propagande qui tourne énormément dans la djihadosphère. Une menace exogène arrive de l'extérieur ; une menace endogène naît dans le pays d'origine.

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Depuis 2020, la menace est-elle plutôt impulsée ou inspirée ?

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Jean-Louis Martineau, adjoint au coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT)

Pour les deux derniers attentats, nous avons un pressentiment de menace impulsée. Nous n'en avons pas encore la confirmation, car les affaires sont en cours d'enquête. D'autres cas relèvent de la menace inspirée. L'assassin de Samuel Paty s'est autoradicalisé en consultant des sites russophones.

La communication d'Al-Qaïda, de l'État islamique et de leurs satellites dans la djihadosphère touche des populations très jeunes, complètement perméables à ce qu'elles apprennent par le biais des réseaux sociaux, où elles passent leurs journées. Ces individus ont le cerveau lavé par la propagande, dont ils sont abreuvés. La menace inspirée est certaine. Elle est parfois activée, mais il est difficile de démontrer qu'il y a eu une impulsion ou un guidage de l'étranger.

L'aggravation de la menace terroriste est nourrie par deux dynamiques internes.

La première est le renouveau et le rajeunissement de la mouvance endogène, qui demeure pour nous la première et la principale menace, avant la menace exogène. Les profils sont plus jeunes. En 2023, le parquet national antiterroriste (PNAT) suivait une douzaine de mineurs, d'une moyenne d'âge de seize ans. Des profils plus jeunes ont été récemment interpellés et incarcérés. Cette tendance se poursuit. Elle est susceptible de s'aggraver en 2024.

La deuxième dynamique est la persistance de l'idéologie de l'État islamique sur les réseaux sociaux. Que le califat ait été balayé en mars 2019 n'a pas réduit l'État islamique au silence. La propagande d'Al-Qaïda n'a pas davantage disparu.

Ces propagandes se spécialisent et ciblent des populations en particulier. Les réseaux russophones sont travaillés par l'État islamique. La wilaya du Khorassan, appelée ISKP, gère ou fait gérer à distance par ses agences des réseaux dans lesquels les gens sont embrigadés, et où le contact est maintenu et entretenu dans l'espoir d'activer une menace.

Cet outil fonctionne bien s'agissant de populations captives des réseaux sociaux et perméables à la propagande. Le thème du blasphème est très présent. Al-Qaïda et l'État islamique surfent dessus et n'hésitent pas à en faire le socle de leur narratif pour entretenir la haine de l'Occident, des chrétiens et des juifs. À la moindre caricature ou manipulation d'un Coran, l'argument est utilisé.

Par ailleurs, cette jeune génération souffre de troubles du comportement. Tel est le cas d'environ 20 % de la population inscrite au FSPRT.

En mars, la DGSI, en coordination avec ses homologues belge et suisse, a procédé à plusieurs interpellations au sein d'un groupe de très jeunes mineurs – le plus jeune a treize ans, le plus âgé dix-sept. Ce groupe s'était radicalisé par le biais d'un réseau social très connu. Ses membres parlaient de commettre un attentat, dans une logique mortifère. Les conversations sont assez effrayantes à entendre s'agissant de gamins de cet âge.

Nous avons et aurons aussi affaire à des profils aguerris. Les services de renseignement le disent depuis plusieurs années. Nous avons procédé à de nombreuses interpellations et incarcérations à la suite des retours du djihad, mais ces revenants, tôt ou tard, sortent de prison.

En 2023, quatre-vingt-dix en sont sortis. À l'heure actuelle, les prisons françaises comptent 380 détenus terroristes islamistes (TIS). Beaucoup sont des revenants et sortiront d'ici quelques mois ou quelques années. Ils sont allés combattre. Ils sont aguerris au sens propre du terme et représentent une menace. Tous et toutes – une centaine de détenus TIS sont des femmes – s'inscrivent dans une radicalité assez impressionnante.

L'auteur de l'attentat du pont de Bir-Hakeim, par exemple, est un jeune homme de vingt-six ans, d'origine iranienne chiite, ayant reçu une éducation laïque, et qui s'est radicalisé dans le sunnisme. Interpellé en 2016, condamné en 2018, incarcéré pendant quatre ans puis suivi par toutes les structures possibles et imaginables, il commet un attentat le 2 décembre près du pont de Bir-Hakeim. À cet endroit se trouve le jardin du Vel' d'Hiv', dans lequel sont exposées des photographies d'enfants. Il espère y trouver une cible juive, après avoir effectué des repérages auprès de personnels de santé portant des noms à consonance juive. Ne trouvant personne, il se jette sur le premier passant venu, un malheureux touriste allemand, qui décède.

Outre ces deux dynamiques, cinq facteurs externes dimensionnent la menace susceptible de viser notre territoire ou de peser sur nos intérêts et nos ressortissants à l'étranger.

Le premier est le conflit israélo-palestinien, qui peut inspirer des jeunes adhérant à la cause palestinienne et désireux de venger le Hamas, par le biais de narratifs diffusés par Al-Qaïda et par l'État islamique. Al-Qaïda a salué l'attaque du Hamas dans les vingt-quatre heures qui l'ont suivie. L'État islamique ne l'a pas fait, en raison de son absence de proximité avec le Hamas.

Eu égard au caractère fédérateur de la cause palestinienne dans le radicalisme constaté en France, nous nous attendons à des velléités d'attaques contre des cibles de la communauté juive. Depuis 2012, sept projets d'attentats ont visé des cibles en son sein, dont deux ont abouti – l'affaire Merah en 2012 et l'affaire Coulibaly en 2015. En janvier dernier, la DGSI a interpellé à Marseille un jeune partisan de l'État islamique, qui s'apprêtait à commettre un attentat visant une synagogue marseillaise.

Le deuxième facteur est l'évolution de la situation au Sahel et plus largement en Afrique. Nous concentrons notre attention sur les pays du Maghreb. La région du Sahel a été bouleversée par trois coups d'État successifs – au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Les conséquences ont été directes et immédiates : les forces armées françaises ont été contraintes de partir du Niger, où elles avaient une action antiterroriste forte ; la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) a dû quitter le pays en décembre dernier ; les autorités nigériennes ont exigé des forces américaines qu'elles quittent le territoire nigérien dans un court délai.

Tout cela laisse place aux groupes terroristes – le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM), qui représente Al-Qaïda, et la wilaya Sahel, qui représente l'État islamique. Ces deux structures ont des velléités d'extension à partir du Sahel. Elles combattent activement les forces armées des juntes au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Au Mali, elles se heurtent aussi au groupe Wagner.

Pour l'État islamique, l'Afrique est un marqueur fort. Il y a beaucoup investi, comme en témoigne le nombre de groupes combattants, appelés wilayas. On en trouve notamment au Sahel, en Afrique centrale, au Mozambique et en Somalie. La wilaya somalienne est très active, puissante et bien organisée. En 2023, un émir somalien a été désigné. Pour la première fois, un homme noir représente l'État islamique. Il s'agit d'un signal fort envoyé aux populations musulmanes africaines.

Tout cela nous fait craindre une menace pour les ressortissants occidentaux – des ressortissants anglais ont récemment été tués dans un parc – et pour nos intérêts économiques. Les nombreuses entreprises françaises et occidentales présentes dans la région, telles que TotalEnergies et Orano, seront confrontées à la velléité d'expansion de l'État islamique, qui entend joindre l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique de l'Est pour construire un continuum islamique, certainement dans la perspective d'instaurer un grand califat sur le continent africain.

Nous savons que des combattants étrangers, notamment des Maghrébins et des Moyen-Orientaux, renforcent ces wilayas. Les Européens y sont peu nombreux, certainement parce que les conditions de vie sont bien plus difficiles au Sahel qu'en Syrie. À ce jour, les services n'ont pas identifié de menace projetée susceptible de provenir d'Afrique subsaharienne.

La situation au Maghreb nous inquiète davantage. Le Maroc, l'Algérie et la Tunisie ont envoyé environ 5 500 combattants en Syrie, contre 2 500 pour la France. Environ 1 200 d'entre eux en sont revenus, ce qui les a mis en contact avec deux autres catégories d'islamistes : ceux qui se sont radicalisés et ceux que les pays occidentaux ont expulsé en raison de leur radicalisation ou d'une condamnation pour actes de terrorisme.

Les pays du Maghreb sont un point d'assemblage de ces trois populations, ce qui fait craindre, par anticipation, l'émergence d'une menace projetée, sur le modèle de ce qui s'est produit en 1995. Les services locaux travaillent sur ces populations. Des interpellations ont récemment eu lieu au Maroc et en Tunisie, à la suite de la résurgence de cellules. En Algérie, d'anciens membres du bureau de la coordination de l'État islamique avaient reconstitué des cellules, dont une a été démontée récemment, en coopération avec l'Espagne, la Suisse et la Suède. Les choses prennent tournure.

Le troisième facteur est l'intensification de la composante extérieure de la menace, en raison du déploiement des réseaux de communication russophones, centrasiatiques – principalement tadjiks – et nord-caucasiens – tchétchènes et ingouches. Ces réseaux peuvent être activés par les messageries russophones depuis notamment l'Afghanistan via l'ISKP. Cette wilaya est très active et puissante, en raison de sa capacité de conviction et de travail des esprits et de sa capacité à activer et à exporter de la menace.

Dans les pays occidentaux, ces réseaux s'appuient sur une frange délinquante et sur la deuxième génération de l'immigration tchétchène des années 1990.

Depuis 2018, nous avons subi trois attentats mortels commis par des ressortissants nord-caucasiens : outre l'attentat d'Arras, l'attaque de l'opéra en 2018 par Azimov et l'assassinat de Samuel Paty. En 2022, la DGSI a déjoué un projet d'attentat à Strasbourg et interpellé sept personnes dans le milieu nord-caucasien, dont un Tadjik, ce qui est inédit. Il est fort probable que l'ISKP était à l'origine de ce projet, téléguidé depuis l'Afghanistan.

La menace impulsée de l'ISKP s'est récemment renforcée. Le 4 janvier, son porte-parole a diffusé un communiqué intitulé « Tuez-les là où vous les trouvez », incitant les islamistes à commettre des attentats par tout moyen et « de la manière la plus cruelle possible ». Ce message a eu beaucoup d'écho.

Il est indissociable de l'attentat survenu la veille à Kerman, en Iran. Cet attentat a touché la communauté chiite, réunie pour commémorer la mort de Ghassem Soleimani, l'ancien chef des Pasdarans droné par les Américains. Il a fait quatre-vingt-quatorze victimes. Le 28 janvier, un attentat visant une église italienne à Istanbul n'ayant pas fait de victimes, était téléguidé par l'ISKP, qui l'a revendiqué.

Son dernier attentat, le plus marquant, est celui ayant visé le Crocus City Hall dans la banlieue de Moscou, le 22 mars dernier. L'État islamique a dû le revendiquer à plusieurs reprises, car les Russes incriminaient d'Ukraine. Cet attentat est d'une grande complexité. Commettre un attentat de cette ampleur, avec des armes et des engins incendiaires, à quatre personnes, nécessite de faire des repérages, ce qui n'est pas facile dans une ville comme Moscou. Que ses auteurs y soient parvenus démontre une capacité logistique impressionnante.

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Les Américains avaient pourtant prévenu les Russes.

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Jean-Louis Martineau, adjoint au coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT)

Le 7 mars, nonobstant le conflit en Ukraine, les Américains ont avisé les partenaires russes de la probable commission d'un attentat dans une salle de concert. Les Russes ont démantelé une cellule début mars, croyant peut-être qu'il s'agissait de celle signalée par les Américains.

Le 28 mars, l'État islamique a renouvelé son appel à la violence et à commettre des attentats pour fêter, avec un peu d'avance, le dixième anniversaire de la proclamation du califat en Syrie, en juin 2014. La date du 28 mars coïncide avec une fête religieuse au cœur du ramadan et bénéficie de surcroît de la réussite de l'attentat de Moscou.

Le quatrième facteur est l'activisme de la wilaya de Turquie de l'État islamique. Sans être en Europe, la Turquie en est très proche, ce qui offre des capacités de projection et de dissimulation. À la chute du califat, en mars 2019, plusieurs centaines de combattants de l'État islamique ont constitué la wilayat de la Badiya, dans une zone désertique de la Syrie où l'on situe le commandement de l'État islamique. D'autres se sont réfugiés en Turquie, où ils ont créé une wilaya, considérée par les services de renseignement comme une base arrière logistique.

Le cinquième facteur est le ciblage de l'Europe, notamment de la France, dans le discours de l'État islamique et d'Al-Qaïda au sein de la djihadosphère. Les autodafés du Coran en Suède et au Danemark ainsi que les prises de position européenne et française en faveur d'Israël à la suite de l'attaque du Hamas sont des marqueurs forts utilisés pour fédérer les gens. L'Europe et les États-Unis sont des cibles. En février, Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) a diffusé une vidéo appelant spécifiquement à cibler les Israéliens, les Anglais et les Français.

Cette propagande est ciblée. Elle utilise des moyens modernes. Elle s'attaque à une population captive et malléable. Les 20 % d'individus connus des services souffrant de troubles mentaux sont particulièrement perméables à ce discours. Les moyens de le contrer sont peu efficaces : un site internet détruit est reconstitué en miroir une demi-heure plus tard. Or il s'agit de la première source d'inspiration pour les djihadistes.

Avant de céder la parole, j'évoquerai la menace qui pèsera sur les JOP à compter de l'arrivée de la flamme, le 8 mai. La France a accueilli la coupe du monde de rugby sans alerte particulière. Elle accueillera les JOP de juillet à septembre. Elle sait gérer les rassemblements de masse. Il faudra héberger les équipes, les accompagnants et les soutiens, soit plusieurs dizaines de milliers de personnes. Plus de 20 000 journalistes et de 11 à 14 millions de touristes sont attendus, partout en Île-de-France et sur huit sites en province. Il y a donc un intérêt, pour l'État islamique et Al-Qaïda, à commettre un attentat ou à se manifester.

Aucune de ces centrales n'a évoqué les JOP à ce jour. Il n'y a pas eu d'appel à commettre des attentats pendant cette période ni à cibler telle ou telle délégation. Toutefois, les services estiment que la probabilité d'un attentat est accrue. Tous sont mobilisés, en partenariat avec nos homologues étrangers.

Des dispositions ont été prises pour cette période et pour les semaines qui précèdent. La CNRLT a beaucoup travaillé à coordonner ces actions au préalable. Nous espérons être prêts et capables de prévenir toute menace. Pour nous, le risque principal est endogène et certainement inspiré par l'État islamique.

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Monsieur Martineau, je vous remercie de cet exposé complet, clair et structuré. Je vous félicite, ainsi que tous les services de renseignements par votre truchement, de votre travail. En moins d'une heure, nous venons d'avoir l'exposé synthétique d'un travail réalisé par des milliers de personnes pendant plusieurs années.

Les deux dynamiques internes et les cinq facteurs externes que vous avez présentés dressent un tableau inquiétant de la situation, mais notre rôle de responsables politiques est d'avoir les yeux ouverts sur sa dangerosité. Aux risques provenant de l'extérieur s'ajoutent des risques internes impulsés par les réseaux sociaux, et d'autres liés à la deuxième lame des revenants de Syrie, même s'ils font l'objet d'un suivi une fois relâchés dans la nature.

Mes chers collègues, ayons une pensée pour les victimes des dix attentats survenus depuis 2020 et pour leurs familles.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

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Monsieur Martineau, je vous remercie de cet historique très complet, mais aussi dramatique, voire anxiogène. J'ai été profondément affectée par l'attentat tragique qui a coûté la vie à Dominique Bernard, dont le lycée se trouve dans ma circonscription. Cet événement douloureux met en lumière notre vulnérabilité, en dépit de l'engagement et de l'efficacité remarquables de nos services de renseignement. Outre la menace constante et endogène, nous observons la résurgence de menaces exogènes, en raison notamment de l'émergence de l'État islamique au Khorassan.

Les JOP attireront plus de 15 millions de visiteurs. La charge de travail des services de renseignement sera exceptionnellement élevée. Quels mécanismes et processus de renseignement seront spécifiquement mis en œuvre pour identifier et prévenir les risques liés à cet afflux massif de touristes ? Comment les services de renseignement ajustent-ils leurs activités pour surveiller efficacement et discrètement une telle multitude d'individus ? Comment assurer le criblage préalable de millions de participants et de visiteurs sans entraver la liberté de mouvement ou altérer l'expérience globale des JOP ?

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Jean-Louis Martineau, adjoint au coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT)

La mobilisation humaine est maximale. Les services travaillant sur le contre-terrorisme seront présents à 100 % à partir du 8 mai, date de l'arrivée de la flamme. En trente ans de métier, je n'ai jamais connu une telle mobilisation, qui est d'autant plus considérable que l'activité quotidienne ne cesse pas.

La coopération internationale est essentielle. Nous travaillons en complète coordination et de manière très rapprochée avec nos partenaires proches, tels que les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne, soit une vingtaine de pays, et de façon plus large avec soixante-dix pays environ.

Ces services partenaires ont commencé à travailler pour identifier la menace qui pourrait provenir de chez eux ou viser leurs ressortissants. Pendant les JOP, ils enverront des officiers de liaison, qui seront rassemblés sur un plateau à la main de la DGSI, de manière à nous coordonner en continu. Nous sommes aussi allés chercher de l'expérience auprès des pays ayant organisé les JOP, notamment le Royaume-Uni.

Sur le plan technique, nous avons demandé un rehaussement des capacités d'interception, dont les quotas sont définis par les services du Premier ministre. En raison de l'augmentation du nombre de cibles à suivre, il faut mobiliser plus de techniques de renseignement.

Par ailleurs, nous procédons à une orientation de capteurs – les moyens de recueil de renseignement – à bande passante inchangée. La capacité à recueillir et à analyser le renseignement n'est pas extensible. Nous nous concentrerons, pendant un temps restreint mais suffisant, sur la menace pesant sur les JOP. Nous renforcerons les suivis dans la djihadosphère, ce qui requiert du personnel.

Ce dispositif est piloté de Levallois-Perret par la DGSI, chef de file de la lutte antiterroriste, grâce à un renforcement des états-majors, dans le cadre d'un état-major permanent (EMAP), auquel participent tous les services de renseignement et les services judiciaires engagés dans la lutte antiterroriste. Cette tour de contrôle à 360 degrés fonctionnera vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Nous utilisons aussi des méthodes classiques de renseignement, notamment en activant des sources humaines, des sources en ligne et des agents virtuels, et en plaçant des interceptions de sécurité sur des individus qui nourrissent des soupçons, qui sont sur le point de sortir de prison ou dont nous assurons un suivi car ils ont commis un attentat.

Nous mènerons un travail de criblage, en deux catégories. La première est constituée des 70 000 personnes entourant les délégations sportives. Leur criblage sera assuré par la totalité des services dans le cadre du service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS).

Sur les sites d'épreuves, toutes les personnes seront criblées. Les services ont créé des outils de grande capacité, permettant le criblage de centaines de milliers de personnes. L'informatique fait un premier criblage, systématiquement complété par l'œil humain de l'enquêteur, qui décide si une personne peut ou non entrer dans un site, pour telle ou telle raison.

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Monsieur Martineau, je vous remercie de votre exposé très complet, sur un sujet, le terrorisme, qui inquiète beaucoup nos compatriotes.

Quelques jours après le terrible attentat perpétré à Moscou, qui nous rappelle bien tristement l'attentat du Bataclan, de nombreux pays, dont le nôtre, redoutent qu'un tel événement se produise ou se reproduise sur leur sol. Vous venez de confirmer que la menace terroriste est à un niveau très élevé. À quelques semaines des JOP, la France est sur le qui-vive.

La DGSI aurait déjà conseillé au ministre de l'intérieur de reconsidérer l'organisation de la cérémonie d'ouverture, tant la possibilité qu'elle soit le théâtre d'un attentat terroriste est forte. Nous sommes face à un dilemme aussi terrible qu'inadmissible : soit nous revoyons nos plans pour la cérémonie d'ouverture et cédons aux barbares islamistes, soit nous maintenons l'organisation prévue en nous exposant à un risque sécuritaire élevé. À l'évidence, tout doit être mis en œuvre pour que cet événement mondial se passe sans drame.

Notre groupe prend acte de l'annonce du recours à des militaires de pays voisins pour renforcer la sécurité des sites olympiques, qui soulève toutefois la question de notre capacité à assurer seuls notre sécurité intérieure à long terme. Il est illusoire de penser que la menace terroriste disparaîtra ou même s'atténuera dès la fin des JOP. Elle est présente sur notre territoire depuis de nombreuses années et risque malheureusement de l'être encore longtemps, car elle s'enracine dans des territoires de notre République conquis par l'islamisme.

Quelles actions estimez-vous qu'il est urgent d'entreprendre pour lutter contre la menace terroriste islamiste intérieure, que vous qualifiez d'inspirée ? Par ailleurs, combien de personnes sont dédiées à la surveillance des 5 000 personnes fichées au FSPRT ?

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Jean-Louis Martineau, adjoint au coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT)

Concernant la lutte contre l'islam radical et la prévention du terrorisme, la France a un dispositif reposant sur dix services. Le partage de compétences a été éprouvé et fonctionne plutôt bien. Certes, des attentats sont commis, mais beaucoup sont déjoués – plusieurs dizaines depuis 2012. Tout est toujours perfectible mais, à titre personnel, je ne vois pas comment faire plus.

Nous ne pouvons malheureusement pas mettre un policier derrière chaque velléitaire. À titre d'exemple, je rappelle que la surveillance continue d'un individu occupe une équipe de vingt à trente personnes. Toute la police ne suffirait pas à suivre les 5 000 personnes du FSPRT. Nous savons que nous ne pouvons pas tout faire. Il faut jouer des divers capteurs, en utiliser la technique et l'humain. Tel est le travail quotidien des services. Ils le font bien, avec conviction et, le plus souvent, avec passion.

Par ailleurs, la liste des inscrits au FSPRT est passée au crible en permanence. Elle est adossée à des dispositifs tels que les groupes d'évaluation départementaux (GED), qui sont à la main des préfets. Chaque semaine, dans chaque préfecture, une réunion des services concourant à la lutte antiterroriste, de l'administration pénitentiaire et des services sociaux est organisée sous l'égide du préfet. Le cas de chaque inscrit au FSPRT est réexaminé, et un suivi minutieux assuré.

Certaines des 5 000 personnes du FSPRT font l'objet d'une surveillance de bas niveau, d'autres d'une surveillance de haut niveau, incluant un suivi de la DGSI et la mobilisation de toutes les techniques de renseignement, dont les plus intrusives. S'il existe une matière qui est véritablement pilotée, c'est le contre-terrorisme, dans le cadre d'une articulation non seulement de tous les services de police et de gendarmerie, mais aussi de ceux de l'éducation nationale, des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et de tous les intervenants possibles et imaginables. Il est difficile de déterminer combien de femmes et d'hommes sont engagés dans ce suivi.

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Pouvez-vous rappeler la différence entre le FSPRT et le fichier S ?

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Jean-Louis Martineau, adjoint au coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT)

Le FSPRT recense les individus signalés pour leur radicalisation. Il est géré à l'échelon départemental et administré par l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat).

Le fichier des personnes recherchées (FPR) est un fichier de suivi et de mise en attention. Certaines personnes y sont inscrites pour un défaut de permis de conduire ou pour un non-paiement de pension alimentaire. Sa partie S rassemble les individus les plus dangereux, parmi lesquels les individus suivis par le contre-terrorisme. Les services inscrivent les personnes qu'ils veulent porter à l'attention de la communauté du renseignement.

Il s'agit avant tout d'un fichier de surveillance. À chaque fiche correspond une conduite à tenir si une personne contrôlée « sonne » au FPR. Le niveau le plus bas consiste à noter l'identité de la personne et de ses accompagnants, éventuellement le numéro de la voiture, et à ne pas attirer l'attention. Parfois, il s'agit de prévenir le service enquêteur sans délai.

Ces deux outils sont complètement différents, même si la plupart des individus inscrits au FSPRT le sont aussi au FPR. Ce double fichage permet d'assurer un suivi des déplacements, des personnes rencontrées et des lieux fréquentés. Ces outils permettent d'avoir des yeux et des oreilles ailleurs que dans son bureau.

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Nous saluons les agents qui se dévouent au quotidien pour notre sécurité.

L'attentat du 22 mars à Moscou, qui a fait 144 morts, nous a rappelé des épisodes de terreur vécus par notre pays, des attentats de Mohammed Merah aux plus récents en passant par celui du Bataclan. Il nous rappelle aussi que les forces de l'État islamique se sont reconfigurées. D'après le président du Centre d'analyse du terrorisme (CAT), Jean-Charles Brisard, des acteurs exogènes issus d'Asie centrale – des Tadjiks, des Ouzbeks, des Turkmènes – et des Pakistanais forment l'essentiel du contingent de l'État islamique.

La prévention de cette menace protéiforme nécessite que nos services aient des moyens. Avons-nous un nombre suffisant d'agents en capacité de communiquer dans les langues des divers acteurs et de les comprendre ? Combien avons-nous d'agents locuteurs des langues concernées ? Combien avons-nous d'anthropologues et de chercheurs permettant de bien comprendre les systèmes des pays concernés et les groupes djihadistes qui y prospèrent ?

La situation au Sahel nourrit des inquiétudes légitimes. De quels moyens nos services de renseignement disposent-ils dans cette région ? Nos services suivent-ils la situation qui prévaut au Soudan, dont on entend peu parler mais qui semble explosive ?

La DGSI a annoncé avoir déjoué de multiples attentats au cours des cinq dernières années. Certains étaient projetés par des islamistes, d'autres par l'extrême-droite. Qu'en est-il de cette menace ?

Vous avez indiqué que la moitié des personnes passées à l'acte dans notre pays ont des troubles comportementaux. Ce phénomène est-il nouveau ? Est-il en croissance ? Est-il lié au manque de moyens alloués pour traiter à la racine certains problèmes psychiatriques ?

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Jean-Louis Martineau, adjoint au coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT)

Nous n'avons jamais assez de traducteurs dans les langues rares. Les interprètes sont rares par définition, ceux qui peuvent être habilités le sont plus encore, ce qui réduit considérablement le vivier.

Depuis plusieurs années, les services travaillent à des outils de traduction, notamment grâce à l'intelligence artificielle (IA). Ils travaillent de concert et progressent vite. La difficulté inhérente à l'IA est qu'il faut de la documentation pour l'entraîner, en l'espèce dans la langue à traduire et dans la langue d'arrivée.

Cette démarche est longue. Tous les services s'y emploient. Nous commençons à avoir de bons résultats pour les langues classiques. Pour des langues telles que le tchétchène, l'ingouche, le wolof ou le tamasheq, la situation est plus complexe.

Les services ont perçu d'emblée la difficulté soulevée par la traduction. Toutefois, nous n'avons jamais, à ma connaissance, échoué dans une enquête faute de traducteur. Nous avons toujours trouvé une solution. Si l'urgence le commande, nous pouvons nous passer d'un traducteur habilité et nous contenter d'un traducteur assermenté pour agir sans délai.

En somme, les difficultés existent mais elles n'ont jamais été incapacitantes. Par ailleurs, la technique remplace de plus en plus l'humain dans la première approche de la traduction, de l'écrit à l'écrit, de la parole à l'écrit et de la parole à la parole.

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Le site de la DGSE propose dix offres d'emploi pour des linguistes. L'examen des langues recherchées n'est pas sans intérêt.

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Jean-Louis Martineau, adjoint au coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT)

Nous travaillons beaucoup avec l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), mais si quelqu'un ici connaît des traducteurs en tamasheq, nous sommes preneurs

Par ailleurs, les services – cela se sait peu – ont de nombreux liens avec le monde de la recherche académique. Lorsque nous avions des difficultés avec de jeunes Maliens de la communauté peule, nous avions travaillé avec des chercheurs et des anthropologues pour qu'ils nous aident à comprendre leur fonctionnement, leur état d'esprit et ce qui pouvait les motiver ou les démotiver. La DGSE fonctionne beaucoup ainsi. À la CNRLT, nous ne cessons de rencontrer des chercheurs. Ce n'est jamais assez, mais c'est une réalité.

S'agissant du Sahel, les services français ont été mis à la porte de tous les pays de la région. Ils travaillent à une recomposition du dispositif de renseignement, au sujet de laquelle je ne pourrai pas entrer dans le détail. La situation est la même au Soudan. Nous suivons moins le Soudan du Sud que le Soudan, car les populations ne sont pas les mêmes. Celle du Soudan, musulmane, présente un risque fort de contamination islamiste ; celle du Soudan du Sud est chrétienne et présente un risque de contamination assez faible.

Concernant l'ultradroite, la DGSI, la DNRT et la DRSD travaillent beaucoup sur cette menace. Nous suivons particulièrement deux mouvances, celle des accélérationnistes et celle des conspirationnistes insurrectionnels. Depuis 2017, une douzaine d'attentats a été déjouée et des associations ont été dissoutes. Cette matière est très suivie et bien pilotée. La dernière affaire date de 2023.

Les personnes qui souffrent de troubles mentaux représentent environ 20 % de la population inscrite au FSPRT. Six des auteurs des dix derniers attentats souffraient de troubles du comportement. Après l'attentat du pont de Bir-Hakeim, le retour d'expérience (Retex) effectué par la CNRLT a nourri des recommandations, qui ont été portées à la connaissance du Président de la République. Des arbitrages, couverts par le secret de la défense nationale, ont été rendus.

Les troubles du comportement sont un problème majeur, notamment parmi les jeunes. Il existe un débat entre l'injonction de soin et l'injonction de diagnostic.

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Yvan Carbonnelle, conseiller contre-terroriste de la CNRLT

Nous avons incorporé des psychiatres et des psychologues dans les services de renseignement, pour évaluer les objectifs ainsi que certaines menaces. Lorsqu'un signalement fait apparaître des troubles du comportement, leur analyse aide les services à définir le profil psychopathologique de l'individu et à affiner le mode de recherche et de renseignement.

Un service de renseignement s'intéresse à une personne à condition qu'elle ait une forme de responsabilité. Une personne complètement irresponsable ne relève pas des services de renseignement. Celles qui ont commis les attentats précités ont toujours été jugées responsables pénalement.

Nous veillons à associer à notre travail la profession médicale, dans le cadre d'un partenariat étroit entre le ministère de la santé et le ministère de l'intérieur. Au demeurant, le FSPRT est interconnecté, à la suite de modifications législatives et réglementaires, avec le fichier Hopsyweb du ministère de la santé, qui recense les personnes ayant fait l'objet de soins sans consentement.

Depuis juillet 2020, le FSPRT, chaque nuit, interroge automatiquement Hopsyweb pour savoir si les personnes dont le nom lui a été soumis dans la journée ont été hospitalisées sans consentement. Cela permet de colorer la nature du suivi. Depuis plusieurs années, des progrès tangibles ont été réalisés dans ce domaine.

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Le monde est frappé par deux conflits majeurs, au Proche-Orient et en Ukraine, dont chacun connaît les répercussions. Même s'ils n'ont apparemment rien à voir – la Russie, visée par l'ISKP, est aussi victime du péril islamique –, ils ont un point commun : faire de l'Occident global l'adversaire.

Des signaux faibles et des indicateurs suggèrent-ils une éventuelle coagulation entre les deux, telle que l'utilisation par la Russie, directement ou par procuration, de mouvances islamistes ayant l'intention de nous nuire, par exemple dans le cadre d'une guerre hybride lors des JOP ?

Avez-vous des signaux faibles d'une éventuelle mobilisation de la diaspora des pays de la bande sahélo-saharienne (BSS) en faveur d'activités terroristes sur notre sol ?

Concernant les troubles du comportement, serait-il utile que nous, législateurs, nous nous saisissions du secret médical ? L'article L. 226-14 du code pénal autorise les médecins à le rompre pour dénoncer des sévices sur mineur. Faut-il réfléchir à une obligation, pour les médecins, de signalement des cas de terrorisme ?

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Jean-Louis Martineau, adjoint au coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT)

Nous n'avons pas de signal attestant d'un ciblage de l'Occident global.

Les diasporas du Sahel sont suivies un peu plus que les autres. Aucune ne bouge. Cet axe de suivi est pris en compte dans le cadre de la menace activée. Pour l'heure, il n'y a pas de signal, ni même de manifestation de soutien ou de contestation. Ces communautés sont nombreuses en France, notamment la communauté malienne, mais aucune n'agit en réaction à la situation dans son pays d'origine.

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Yvan Carbonnelle, conseiller contre-terroriste de la CNRLT

En matière de secret médical, nous avons progressé au cours des dernières années. L'article L. 226-14 du code pénal autorise le médecin à informer les autorités s'agissant de personnes dont ils savent qu'elles détiennent une arme ou qu'elles ont manifesté leur intention d'en acquérir une. Il s'applique aussi, notamment, aux violences conjugales.

Un important travail a été effectué avec les professions de santé. Chaque agence régionale de santé (ARS) a signé une convention avec la préfecture correspondante. Les problèmes relationnels que nous connaissions il y a quelques années ont quasiment disparu.

La combinaison de l'article L. 226-14 du code pénal et de l'article relatif à la non-assistance à personne en danger permet d'obtenir, de façon tout à fait légale, des signalements. Par ailleurs, la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, qui pérennise l'interconnexion du FSPRT et de Hopsyweb, permet de lever en partie le secret médical, tout en préservant la profession médicale.

Nous portons surtout notre attention sur les moyens de la profession ainsi que sur les moyens juridiques dont disposent les préfets pour intervenir dans certains secteurs, qui sont des trous dans la raquette, à l'issue du Retex de l'attentat d'Arras : en l'absence de demande d'un tiers, un individu ne peut pas être hospitalisé ; en l'absence de trouble sur la voie publique, le préfet ne peut pas intervenir au titre des soins sans consentement sur décision d'un représentant de l'État (SDRE) ; lorsqu'un individu est en fin de suivi judiciaire, le juge pénal ne peut plus intervenir. Des réflexions législatives visent, depuis 2021, à prévoir, en cas de risque majeur de trouble à l'ordre public, une tierce voie permettant au préfet de solliciter une injonction de diagnostic susceptible d'entraîner une injonction de soins administrative.

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Ce que vous appelez les troubles du comportement sont des troubles psychiques, souvent psychiatriques. Nous devrons réfléchir à la façon d'améliorer la prévention et le repérage. Quelle est l'efficacité de la désintoxication et de la déradicalisation ? Ceux qui sont dans cet engrenage sont une menace persistante.

Lorsque l'on parle des groupes terroristes du Sahel ou d'Afghanistan, on les imagine vivre dans la rusticité. En réalité, il y a parmi eux beaucoup d'ingénieurs et de gens très capés en informatique, qui sont à l'origine de l'ampleur de la propagande sur les réseaux sociaux. J'ai pris note que votre marge de manœuvre en la matière est faible.

En revanche, caractérisez-vous ce que l'on appelle le cyberterrorisme ? Les ingérences étrangères sont de plus en plus significatives dans l'espace numérique, sous forme de désinformation et d'attaques numériques. Les attaques cyber visant à préparer des attaques physiques ou à atteindre directement des installations et des domaines sensibles représentent-elles une véritable menace susceptible de mettre à mal le fonctionnement d'un pays et d'y faire de nombreuses victimes ? Menez-vous une lutte spécifique dans ce domaine ?

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En France, 1 % de la population souffre d'un trouble psychiatrique schizophrénique, soit environ 600 000 personnes.

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Yvan Carbonnelle, conseiller contre-terroriste de la CNRLT

Nous n'inscrivons pas au FSPRT les personnes souffrant d'affections psychiatriques dès lors qu'elles sont privées de leur responsabilité. Nous retenons les personnes souffrant de troubles du comportement ou d'ordre psychologique. Une personne relevant de la psychiatrie ne relève normalement pas d'un service de renseignement, si violente qu'elle puisse être, car elle est incapable de fomenter un complot.

En matière de prévention de ces situations, il faut rendre hommage au dispositif créé en 2014 par M. Cazeneuve, alors ministre de l'intérieur. Il a introduit, en association avec la fonction répressive des services de renseignement, la Cellule de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles (CEPRAF) qui a vocation, en réunissant divers intervenants dont l'éducation nationale, les services sociaux, les ARS et Pôle emploi, à informer les services de renseignement et à proposer un filet social de sécurité permettant de ramener à la raison les personnes en voie de radicalisation. Cette politique a pu être appelée « déradicalisation » ; nous préférons parler de désengagement ou de désistance.

Ce dispositif est arrivé à maturité. Il accompagne environ 3 000 personnes, qui sont en phase naissante de radicalisation ou pour lesquelles la justice n'a plus de suivi ouvert et dont le suivi est assuré par l'autorité administrative. Les CPRAF incluent souvent des psychologues et des psychiatres, ainsi que des hôpitaux relais. Les mineurs revenant de zone font l'objet d'un dispositif spécifique très engagé, qui comporte un volet relatif à la santé.

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Jean-Louis Martineau, adjoint au coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT)

S'agissant du cyberterrorisme, nous avons connu quelques cas d'attaques cyber menées par des groupuscules. Les groupes terroristes ont de très bons ingénieurs, de très bons informaticiens et de très bons bidouilleurs. Tel est notamment le cas de l'État islamique, qui a lancé en 2015-2016 une campagne de défacement sur certains sites, où étaient diffusés des messages à la gloire de la mouvance au lendemain de l'attentat sur la promenade des Anglais, à Nice. Il ne s'est rien passé depuis lors.

Dans les services, nous ne suivons pas spécifiquement le cyberterrorisme. Nous suivons le cyber. Une fois l'action réalisée, nous pouvons la caractériser et l'attribuer à un groupuscule terroriste.

En matière d'attaques cyber, notre posture est défensive et ne peut pas être offensive, même si presque tous les services ont des structures cyber chargées de partir en chasse et de faire du repérage. Quant à la caractérisation des attaques étatiques, elle relève de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi).

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Au lendemain de l'attentat de Moscou du 22 mars dernier, le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin a rappelé la menace terroriste très élevée qui pèse sur la France. La situation est alarmante : jamais nous n'avons déjoué autant d'attentats – quatorze depuis 2020, soit un tous les deux mois. Tout le monde peut être visé, n'importe où sur notre territoire, dans un établissement scolaire ou dans une salle de spectacle, dans une mairie ou dans une réunion.

Dans un contexte de tensions géopolitiques fortes qui risque de se pérenniser, imaginez-vous embarquer la nation tout entière dans la lutte contre le terrorisme et, le cas échéant, comment ? J'aimerais savoir comment y associer les acteurs locaux, et pas uniquement s'agissant de la prévention de la radicalisation religieuse.

Comme l'ont rappelé les sénateurs Bockel et Carvounas dans leur rapport d'information sur les collectivités territoriales et la prévention de la radicalisation publié en 2017, les collectivités n'ont pas à se substituer à l'État et leurs élus n'ont pas à connaître les informations qui lui sont destinées. Elles pourraient toutefois jouer un rôle important, au même titre que les établissements scolaires et les établissements de santé.

Certes, la lutte antiterroriste est un sujet régalien, mais, compte tenu des nouvelles formes que prennent les menaces, une nouvelle stratégie est-elle envisagée en lien avec les territoires ? Cette question s'inscrit dans le cadre de nos travaux sur la défense globale et sur la résilience de la nation.

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Yvan Carbonnelle, conseiller contre-terroriste de la CNRLT

Depuis 2014, l'essentiel de la lutte contre la radicalisation est ancrée dans les territoires, dans le cadre des groupes de travail (GED et CPRAF) réunissant tous les services concernés autour du préfet.

S'agissant des collectivités territoriales, le rapport d'information de MM. Bockel et Carvounas a inspiré la circulaire publiée en 2018 par M. Castaner, alors ministre de l'intérieur, invitant les maires disposant d'un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) ou d'un conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance (CISPD) à conclure des conventions avec les préfets pour affiner le dialogue qu'ils ont avec eux.

Il s'agissait de permettre aux préfets de donner aux maires un état de la menace et d'assurer une interaction entre l'élu local ainsi que son administration et les services de l'État au sujet des signalements et des retours dont ils font l'objet. Des conventions ont été signées, offrant un cadre à l'initiative locale.

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Élue locale et conseillère principale d'éducation (CPE), j'ai observé la multiplication des hospitalisations d'office parmi les jeunes dont le parcours migratoire, parfois émaillé de violences récurrentes, les porte à la radicalisation. L'évaluation psychologique des jeunes réfugiés arrivant en France à l'issue d'un parcours migratoire difficile a été envisagée, au même titre que l'évaluation de leur âge. Une telle évaluation ne relèverait-elle pas de l'aide sociale à l'enfance et de l'enfance en danger, compte tenu des profils que vous avez décrits ?

L'augmentation du nombre de ces profils a induit l'utilisation d'outils algorithmiques. Sont-ils pertinents compte tenu de l'évolution rapide de ces profils ? Que peut-on en attendre ? Comment ont-ils transformé le travail des agents de renseignement ?

L'Afrique n'a jamais été un terrain de formation des Français ayant mené ou organisé des actions terroristes en France, à l'exception de deux d'entre eux, en raison notamment de la dureté des conditions. L'augmentation du nombre de Maghrébins qui s'engagent dans les conflits au Sahel et le retrait de nos forces armées de la région peut-elle changer la donne sur ce point ?

Notre capacité à obtenir du renseignement de qualité dans la zone dépend désormais de notre coopération avec les Américains. Pourrons-nous la maintenir après leur retrait ? Devrons-nous modifier nos techniques ?

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Yvan Carbonnelle, conseiller contre-terroriste de la CNRLT

En avril 2020, l'attentat de Romans-sur-Isère a été commis par un demandeur d'asile qui était manifestement en phase de décompensation. S'agissant du suivi psychiatrique et psychologique, tout moyen supplémentaire est bon à prendre. Nous avons noué des partenariats étroits, notamment avec la direction de l'asile (DA) de la direction générale des étrangers en France (DGEF).

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Jean-Louis Martineau, adjoint au coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT)

L'utilisation des algorithmes dans le renseignement est autorisée par l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure (CSI). L'usage de cette technique est circonscrit à la lutte contre le terrorisme. Sa mise en œuvre est très difficile. Elle permet de faire des recherches dans le flux des métadonnées des communications téléphoniques, ce qui limite fortement son champ d'application. Le temps que nous autorisions le suivi d'une URL, les fournisseurs d'accès l'ont chiffrée.

Construire un algorithme prend environ deux ans. Le régler en prend un. Cette technique est donc peu utilisée. Je ne peux divulguer le nombre d'algorithmes, qui est classifié, mais je puis dire qu'il n'est pas élevé. Seules la DGSE et la DGSI ont la capacité humaine et technique d'en créer.

À titre personnel, je crois beaucoup à ces techniques. Elles économiseront de la ressource humaine, d'autant que les dimensions du big data excèdent les capacités de l'humain, même si la validation sera toujours humaine. Les algorithmes n'ont pas encore eu un impact sur les méthodes de travail des agents, mais ils seront déterminants à l'avenir, s'agissant notamment des comportements normés.

En contre-espionnage, par exemple, les comportements des agents chinois, tous peu ou prou passés par la même école, sont plus facilement repérables. Les islamistes ont des comportements anarchiques et irrationnels, surtout s'ils présentent des troubles psychologiques. Un algorithme a besoin de rationalité, car il recherche des comportements typiques. Telle est la limite de l'exercice.

S'agissant de la recomposition du dispositif de la France au Sahel, elle est un problème majeur. Pour l'heure, nous n'avons identifié aucun cas d'exportation de la menace sahélienne vers l'Europe ou ailleurs.

Ce que craignent les services, c'est la déstabilisation de la zone. Il s'agit d'éviter que le centre de l'Afrique devienne la Syrie de 2011 et que la menace remonte du Sahel vers le Maghreb, donc vers l'Occident. Les services travaillent à leur recomposition, qui est classifiée. Je ne peux en prédire le résultat faute d'avoir à en connaître.

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Nous en venons aux interventions des autres orateurs.

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Membre du Comité de pilotage de l'expérimentation prévue à l'article 10 de la loi du 19 mai 2023 relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions, je m'intéresse particulièrement au cyberterrorisme. Il s'agit notamment d'évaluer le contrôle visuel des foules visant à identifier des personnes en particulier. Les services de renseignement se pencheront-ils sur cette expérimentation en vue d'élaborer des logiciels utilisables dans la lutte antiterroriste ?

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Yvan Carbonnelle, conseiller contre-terroriste de la CNRLT

La loi du 19 mai 2023 a notamment réformé le criblage. L'expérimentation est pilotée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Les services de renseignement y sont associés, d'autant qu'elle s'inscrit aussi dans le cadre du Plan d'action contre le terrorisme (PACT) piloté par la CNRLT.

Outre l'élaboration du cadre législatif et les expérimentations, des Retex seront effectués après les JO. Ces mesures s'inscrivent dans un cadre juridique très strict, fixé notamment par la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dite loi informatique et libertés.

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S'agit-il de reconnaissance faciale ou d'étude comportementale ?

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Yvan Carbonnelle, conseiller contre-terroriste de la CNRLT

Il s'agit d'une détection des comportements atypiques.

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En préambule, j'aimerais appeler l'attention de nos collègues sur un documentaire consacré à la DGSE, qui sera diffusé le 9 avril prochain sur France 2 et restera visible sur le site internet de la chaîne pendant un mois. J'ai assisté hier, au cinéma Beaugrenelle, à sa diffusion en avant-première, en présence de Nicolas Lerner et de Bernard Émié. Je recommande ce film pédagogique, qui montre l'humilité des services face à l'immensité de leur tâche.

S'agissant du secret médical, je rappelle que la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement a permis d'avancer, en autorisant la transmission aux services de renseignement des informations couvertes par le secret, quel qu'il soit. Toutefois, il s'agit d'une possibilité et non d'une obligation.

Si un individu condamné pour terrorisme arrive en fin de peine et présente un risque de récidive, le tribunal d'application des peines peut, sur réquisition du procureur, prononcer une mesure judiciaire incluant un suivi psychologique ou psychiatrique. De telles mesures ont-elles été prononcées ?

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Yvan Carbonnelle, conseiller contre-terroriste de la CNRLT

Cette mesure est complémentaire de celles adoptées précédemment, notamment le sursis avec mise à l'épreuve, dont relevait l'auteur de l'attentat du pont de Bir-Hakeim.

Sous réserve de vérification auprès du ministère de la justice, il me semble que cette mesure n'a été mise en œuvre que deux ou trois fois. Le recul sur sa mise en œuvre, qui nécessite une évaluation préalable de plusieurs mois, manque. S'agissant des mesures post-sentencielles et présentencielles, le suivi psychologique, imposé ou suggéré, est très présent.

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Les individus concernés peuvent-ils rester plus longtemps en prison ?

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Yvan Carbonnelle, conseiller contre-terroriste de la CNRLT

Non. Cette possibilité est circonscrite à certains crimes sexuels.

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Monsieur Martineau, j'ai remarqué que vous avez parlé d'ultradroite et non d'extrême-droite, que j'appelle, moi, droite patriote, et dont chacun sait qu'elle n'est une menace ni pour la démocratie ni pour la sécurité en France. En revanche, certains groupes d'extrême-gauche flirtent avec l'islamisme et présentent un danger.

S'agissant de la recrudescence des cyberattaques, j'aimerais évoquer celles qui visent les établissements scolaires. Le logiciel Atrium a montré ses failles, exposant les établissements à des alertes à la bombe et les élèves, ce qui est plus grave, à la propagande islamiste et à des images de décapitation, leur permettant notamment d'avoir accès à des liens sur Telegram. Cette messagerie est la première source d'inspiration des profils jeunes, donc des menaces inspirées.

Quel est votre sentiment sur ces événements ? Les établissements scolaires sont-ils assez cyberprotégés ? Comment peut-on pirater aussi facilement le système Atrium ?

Quel est l'objectif des auteurs de ces attaques ? S'agit-il d'une tentative de déstabilisation, d'un test de notre capacité de réaction ou d'une plaisanterie de potache plus ou moins inconscient ? La piste islamiste est-elle avérée ? Les parents d'élèves sont-ils suffisamment sensibilisés à ces dangers ? Avons-nous une idée précise de l'identité et des intentions des auteurs de ces actes ?

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Jean-Louis Martineau, adjoint au coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT)

Ces événements sont entièrement aux mains de l'autorité judiciaire. Je n'ai donc aucun élément de réponse. Ils n'ont pas été identifiés par les services de renseignement comme une attaque islamiste.

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Messieurs, nous vous remercions de vos propos complets et clairs, et de votre action quotidienne. Chaque jour, plusieurs milliers de personnes travaillent à la lutte antiterroriste avec passion et énergie, au service de la France et de la sécurité des Français.

La séance est levée à douze heures cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Christophe Bex, M. Christophe Blanchet, M. Frédéric Boccaletti, M. Benoît Bordat, M. Hubert Brigand, M. Vincent Bru, M. Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Geneviève Darrieussecq, M. Olivier Dussopt, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Jean-Marie Fiévet, M. Thomas Gassilloud, M. Frank Giletti, M. José Gonzalez, M. Jean-Michel Jacques, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Anne Le Hénanff, Mme Gisèle Lelouis, Mme Jacqueline Maquet, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Anna Pic, M. François Piquemal, Mme Valérie Rabault, M. Julien Rancoule, M. Aurélien Saintoul, Mme Nathalie Serre, M. Philippe Sorez, M. Bruno Studer, M. Michaël Taverne, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Corinne Vignon

Excusés. - M. Xavier Batut, M. Mounir Belhamiti, M. Pierrick Berteloot, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Cyrielle Chatelain, Mme Martine Etienne, M. Emmanuel Fernandes, Mme Anne Genetet, M. Christian Girard, Mme Patricia Lemoine, M. Olivier Marleix, Mme Alexandra Martin (Alpes-Maritimes), Mme Lysiane Métayer, Mme Josy Poueyto, M. Fabien Roussel, M. Mikaele Seo