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Intervention de Jean-Louis Martineau

Réunion du mercredi 3 avril 2024 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Louis Martineau, adjoint au coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) :

Pour les deux derniers attentats, nous avons un pressentiment de menace impulsée. Nous n'en avons pas encore la confirmation, car les affaires sont en cours d'enquête. D'autres cas relèvent de la menace inspirée. L'assassin de Samuel Paty s'est autoradicalisé en consultant des sites russophones.

La communication d'Al-Qaïda, de l'État islamique et de leurs satellites dans la djihadosphère touche des populations très jeunes, complètement perméables à ce qu'elles apprennent par le biais des réseaux sociaux, où elles passent leurs journées. Ces individus ont le cerveau lavé par la propagande, dont ils sont abreuvés. La menace inspirée est certaine. Elle est parfois activée, mais il est difficile de démontrer qu'il y a eu une impulsion ou un guidage de l'étranger.

L'aggravation de la menace terroriste est nourrie par deux dynamiques internes.

La première est le renouveau et le rajeunissement de la mouvance endogène, qui demeure pour nous la première et la principale menace, avant la menace exogène. Les profils sont plus jeunes. En 2023, le parquet national antiterroriste (PNAT) suivait une douzaine de mineurs, d'une moyenne d'âge de seize ans. Des profils plus jeunes ont été récemment interpellés et incarcérés. Cette tendance se poursuit. Elle est susceptible de s'aggraver en 2024.

La deuxième dynamique est la persistance de l'idéologie de l'État islamique sur les réseaux sociaux. Que le califat ait été balayé en mars 2019 n'a pas réduit l'État islamique au silence. La propagande d'Al-Qaïda n'a pas davantage disparu.

Ces propagandes se spécialisent et ciblent des populations en particulier. Les réseaux russophones sont travaillés par l'État islamique. La wilaya du Khorassan, appelée ISKP, gère ou fait gérer à distance par ses agences des réseaux dans lesquels les gens sont embrigadés, et où le contact est maintenu et entretenu dans l'espoir d'activer une menace.

Cet outil fonctionne bien s'agissant de populations captives des réseaux sociaux et perméables à la propagande. Le thème du blasphème est très présent. Al-Qaïda et l'État islamique surfent dessus et n'hésitent pas à en faire le socle de leur narratif pour entretenir la haine de l'Occident, des chrétiens et des juifs. À la moindre caricature ou manipulation d'un Coran, l'argument est utilisé.

Par ailleurs, cette jeune génération souffre de troubles du comportement. Tel est le cas d'environ 20 % de la population inscrite au FSPRT.

En mars, la DGSI, en coordination avec ses homologues belge et suisse, a procédé à plusieurs interpellations au sein d'un groupe de très jeunes mineurs – le plus jeune a treize ans, le plus âgé dix-sept. Ce groupe s'était radicalisé par le biais d'un réseau social très connu. Ses membres parlaient de commettre un attentat, dans une logique mortifère. Les conversations sont assez effrayantes à entendre s'agissant de gamins de cet âge.

Nous avons et aurons aussi affaire à des profils aguerris. Les services de renseignement le disent depuis plusieurs années. Nous avons procédé à de nombreuses interpellations et incarcérations à la suite des retours du djihad, mais ces revenants, tôt ou tard, sortent de prison.

En 2023, quatre-vingt-dix en sont sortis. À l'heure actuelle, les prisons françaises comptent 380 détenus terroristes islamistes (TIS). Beaucoup sont des revenants et sortiront d'ici quelques mois ou quelques années. Ils sont allés combattre. Ils sont aguerris au sens propre du terme et représentent une menace. Tous et toutes – une centaine de détenus TIS sont des femmes – s'inscrivent dans une radicalité assez impressionnante.

L'auteur de l'attentat du pont de Bir-Hakeim, par exemple, est un jeune homme de vingt-six ans, d'origine iranienne chiite, ayant reçu une éducation laïque, et qui s'est radicalisé dans le sunnisme. Interpellé en 2016, condamné en 2018, incarcéré pendant quatre ans puis suivi par toutes les structures possibles et imaginables, il commet un attentat le 2 décembre près du pont de Bir-Hakeim. À cet endroit se trouve le jardin du Vel' d'Hiv', dans lequel sont exposées des photographies d'enfants. Il espère y trouver une cible juive, après avoir effectué des repérages auprès de personnels de santé portant des noms à consonance juive. Ne trouvant personne, il se jette sur le premier passant venu, un malheureux touriste allemand, qui décède.

Outre ces deux dynamiques, cinq facteurs externes dimensionnent la menace susceptible de viser notre territoire ou de peser sur nos intérêts et nos ressortissants à l'étranger.

Le premier est le conflit israélo-palestinien, qui peut inspirer des jeunes adhérant à la cause palestinienne et désireux de venger le Hamas, par le biais de narratifs diffusés par Al-Qaïda et par l'État islamique. Al-Qaïda a salué l'attaque du Hamas dans les vingt-quatre heures qui l'ont suivie. L'État islamique ne l'a pas fait, en raison de son absence de proximité avec le Hamas.

Eu égard au caractère fédérateur de la cause palestinienne dans le radicalisme constaté en France, nous nous attendons à des velléités d'attaques contre des cibles de la communauté juive. Depuis 2012, sept projets d'attentats ont visé des cibles en son sein, dont deux ont abouti – l'affaire Merah en 2012 et l'affaire Coulibaly en 2015. En janvier dernier, la DGSI a interpellé à Marseille un jeune partisan de l'État islamique, qui s'apprêtait à commettre un attentat visant une synagogue marseillaise.

Le deuxième facteur est l'évolution de la situation au Sahel et plus largement en Afrique. Nous concentrons notre attention sur les pays du Maghreb. La région du Sahel a été bouleversée par trois coups d'État successifs – au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Les conséquences ont été directes et immédiates : les forces armées françaises ont été contraintes de partir du Niger, où elles avaient une action antiterroriste forte ; la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) a dû quitter le pays en décembre dernier ; les autorités nigériennes ont exigé des forces américaines qu'elles quittent le territoire nigérien dans un court délai.

Tout cela laisse place aux groupes terroristes – le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM), qui représente Al-Qaïda, et la wilaya Sahel, qui représente l'État islamique. Ces deux structures ont des velléités d'extension à partir du Sahel. Elles combattent activement les forces armées des juntes au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Au Mali, elles se heurtent aussi au groupe Wagner.

Pour l'État islamique, l'Afrique est un marqueur fort. Il y a beaucoup investi, comme en témoigne le nombre de groupes combattants, appelés wilayas. On en trouve notamment au Sahel, en Afrique centrale, au Mozambique et en Somalie. La wilaya somalienne est très active, puissante et bien organisée. En 2023, un émir somalien a été désigné. Pour la première fois, un homme noir représente l'État islamique. Il s'agit d'un signal fort envoyé aux populations musulmanes africaines.

Tout cela nous fait craindre une menace pour les ressortissants occidentaux – des ressortissants anglais ont récemment été tués dans un parc – et pour nos intérêts économiques. Les nombreuses entreprises françaises et occidentales présentes dans la région, telles que TotalEnergies et Orano, seront confrontées à la velléité d'expansion de l'État islamique, qui entend joindre l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique de l'Est pour construire un continuum islamique, certainement dans la perspective d'instaurer un grand califat sur le continent africain.

Nous savons que des combattants étrangers, notamment des Maghrébins et des Moyen-Orientaux, renforcent ces wilayas. Les Européens y sont peu nombreux, certainement parce que les conditions de vie sont bien plus difficiles au Sahel qu'en Syrie. À ce jour, les services n'ont pas identifié de menace projetée susceptible de provenir d'Afrique subsaharienne.

La situation au Maghreb nous inquiète davantage. Le Maroc, l'Algérie et la Tunisie ont envoyé environ 5 500 combattants en Syrie, contre 2 500 pour la France. Environ 1 200 d'entre eux en sont revenus, ce qui les a mis en contact avec deux autres catégories d'islamistes : ceux qui se sont radicalisés et ceux que les pays occidentaux ont expulsé en raison de leur radicalisation ou d'une condamnation pour actes de terrorisme.

Les pays du Maghreb sont un point d'assemblage de ces trois populations, ce qui fait craindre, par anticipation, l'émergence d'une menace projetée, sur le modèle de ce qui s'est produit en 1995. Les services locaux travaillent sur ces populations. Des interpellations ont récemment eu lieu au Maroc et en Tunisie, à la suite de la résurgence de cellules. En Algérie, d'anciens membres du bureau de la coordination de l'État islamique avaient reconstitué des cellules, dont une a été démontée récemment, en coopération avec l'Espagne, la Suisse et la Suède. Les choses prennent tournure.

Le troisième facteur est l'intensification de la composante extérieure de la menace, en raison du déploiement des réseaux de communication russophones, centrasiatiques – principalement tadjiks – et nord-caucasiens – tchétchènes et ingouches. Ces réseaux peuvent être activés par les messageries russophones depuis notamment l'Afghanistan via l'ISKP. Cette wilaya est très active et puissante, en raison de sa capacité de conviction et de travail des esprits et de sa capacité à activer et à exporter de la menace.

Dans les pays occidentaux, ces réseaux s'appuient sur une frange délinquante et sur la deuxième génération de l'immigration tchétchène des années 1990.

Depuis 2018, nous avons subi trois attentats mortels commis par des ressortissants nord-caucasiens : outre l'attentat d'Arras, l'attaque de l'opéra en 2018 par Azimov et l'assassinat de Samuel Paty. En 2022, la DGSI a déjoué un projet d'attentat à Strasbourg et interpellé sept personnes dans le milieu nord-caucasien, dont un Tadjik, ce qui est inédit. Il est fort probable que l'ISKP était à l'origine de ce projet, téléguidé depuis l'Afghanistan.

La menace impulsée de l'ISKP s'est récemment renforcée. Le 4 janvier, son porte-parole a diffusé un communiqué intitulé « Tuez-les là où vous les trouvez », incitant les islamistes à commettre des attentats par tout moyen et « de la manière la plus cruelle possible ». Ce message a eu beaucoup d'écho.

Il est indissociable de l'attentat survenu la veille à Kerman, en Iran. Cet attentat a touché la communauté chiite, réunie pour commémorer la mort de Ghassem Soleimani, l'ancien chef des Pasdarans droné par les Américains. Il a fait quatre-vingt-quatorze victimes. Le 28 janvier, un attentat visant une église italienne à Istanbul n'ayant pas fait de victimes, était téléguidé par l'ISKP, qui l'a revendiqué.

Son dernier attentat, le plus marquant, est celui ayant visé le Crocus City Hall dans la banlieue de Moscou, le 22 mars dernier. L'État islamique a dû le revendiquer à plusieurs reprises, car les Russes incriminaient d'Ukraine. Cet attentat est d'une grande complexité. Commettre un attentat de cette ampleur, avec des armes et des engins incendiaires, à quatre personnes, nécessite de faire des repérages, ce qui n'est pas facile dans une ville comme Moscou. Que ses auteurs y soient parvenus démontre une capacité logistique impressionnante.

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