Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 13 mars 2024 à 9h00

La réunion

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La commission auditionne, dans le cadre d'une table ronde ouverte à la presse sur la situation au Proche-Orient, M. Hasni Abidi, politologue, directeur du centre d'études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (CERNAM), M. Ran Halévi, historien, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et directeur de collection à Gallimard, et M. Georges Malbrunot, grand reporter spécialiste de la région au Figaro.

Présidence M. Jean-Louis Bourlanges, président.

La séance est ouverte à 9 h 00.

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Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle ce matin la tenue d'une table ronde destinée à nous permettre de mieux appréhender la perception, par le monde arabo-musulman, du conflit actuel au Proche-Orient.

Nous sommes entrés, ces derniers jours, dans le mois du ramadan et certains observateurs font valoir, non sans inquiétude, que les opérations dans la bande de Gaza pourraient avoir, de ce fait, une résonance particulière sur les opinions des pays sensibles à la question palestinienne. Nous ne pouvions donc nous désintéresser de cette dimension importante, notamment au regard des risques de débordement, tels que nous les observons notamment en mer Rouge mais aussi au Sud-Liban, et des enjeux géopolitiques sous-jacents.

Avant de brièvement brosser le contexte et les attendus de nos échanges, je tiens à souhaiter la bienvenue aux intervenants qui ont bien voulu nous faire bénéficier de leur expertise sur ce sujet.

Monsieur Hasni Abidi, vous êtes politologue, directeur du centre d'études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (CERNAM), à Genève. Enseignant au Global Studies Institute de l'Université de Genève, vous êtes également chercheur invité à Paris Panthéon-Sorbonne. Vous avez contribué à plusieurs publications, dont Monde arabe, entre transition et implosion : les dynamiques internes et les influences externes, en 2015, et Le Moyen-Orient selon Joe Biden, en 2021. Indéniablement, votre expertise nous sera très utile pour essayer de comprendre davantage ce qui se joue aujourd'hui à Gaza pour l'ensemble de la région.

Monsieur Ran Halévi, vous êtes quant à vous historien, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), rattaché au centre d'études sociologiques et politiques Raymond Aron, et directeur de collection à Gallimard. Vous avez enseigné comme professeur invité dans de nombreuses universités à l'étranger, notamment les universités de Chicago, de Virginie et de Toronto et à l'École normale de Pise. Vos travaux, qui portent entre autres sur l'histoire politique d'Israël, vous désignent comme un interlocuteur à même d'enrichir notre perception sur un dossier indissociable de l'histoire contemporaine de l'État hébreu.

Enfin, Monsieur Georges Malbrunot, vous êtes une figure du journalisme dont beaucoup de membres de cette commission ont lu les articles. Grand reporter spécialiste de la région au Figaro, vous avez arpenté le Moyen-Orient souvent au péril de votre vie, à telle enseigne que vous avez été l'otage d'un groupe islamiste en Irak en 2004. Vous avez couvert la première Intifada en 1987 et, à partir de 1994, vous vous êtes durablement installé au Proche-Orient, que vous avez sillonné comme correspondant pour l'agence France-Presse (AFP) et plusieurs médias. Votre connaissance intime de la région, ainsi que votre regard, nous seront assurément des plus précieux.

Depuis le 7 octobre 2023, au cours duquel le Hamas a procédé à des actions monstrueuses contre des Israéliens innocents, le Proche-Orient se retrouve entraîné dans une spirale de violence et une absence de réelles perspectives d'amélioration. Dès les premiers jours, nous avons porté toute notre attention sur ces événements car nous redoutions un embrasement régional, dans le sillage de la réaction d'Israël. De fait, si des tensions sont indéniablement apparues en Cisjordanie, à la frontière israélo-libanaise, dans le Golan et en mer Rouge, du fait des proxys iraniens notamment, le conflit n'a pas véritablement excédé jusqu'alors les frontières de la bande de Gaza.

Votre présence ce matin devrait nous permettre de comprendre pourquoi, même si nous nous doutons bien que la présence militaire américaine, les accords d'Abraham et les arrière-pensées d'acteurs régionaux à l'égard d'une normalisation, à terme, de leurs rapports avec Israël, ont joué un rôle non négligeable à cet égard. L'horreur de la situation à Gaza devrait susciter des potentialités révolutionnaires dans le monde arabe, dont nous pouvons penser qu'elles ne se sont pas développées jusqu'à présent avec la force que nous pouvions envisager. Quel est, selon vous, le sentiment qui prédomine aujourd'hui chez les populations arabes ? Peut-il influencer les prises de position et les décisions de certains dirigeants clé du monde arabo-musulman, comme le président égyptien, le prince Mohammed ben Salmane ou le guide suprême iranien ?

D'autre part, sur la base de votre grande connaissance d'Israël et du Proche-Orient, comment envisagez-vous les évolutions possibles de cette crise ? Pour le court terme, tout d'abord, l'espoir de la conclusion d'un accord de cessez-le-feu pour une durée de plusieurs semaines, en contrepartie de la libération des otages toujours détenus par le Hamas, a été au cœur d'intenses tractations diplomatiques ces dernières semaines. Vous connaissez tous l'état de la situation aujourd'hui.

Les Américains se sont investis, dans des limites assez fortes, pour essayer de parvenir à un cessez-le-feu, dans l'idée de créer une situation de relatif apaisement susceptible de déboucher sur des avancées plus définitives. Cependant, nous voyons à quel point la campagne électorale et les sentiments profonds du président Biden conduisent l'administration américaine à adopter une attitude extrêmement prudente. Les autorités israéliennes, quant à elles, ne font pas mystère de leur volonté de lancer, le cas échéant après un cessez-le-feu, une offensive sur Rafah, où se retrancheraient les derniers bataillons de la branche militaire du Hamas. Nous sommes nombreux à penser que le drame de cette situation est notamment lié au fait qu'Israël déploie une force militaire impressionnante mais que son offensive militaire n'est adossée à aucune perspective politique claire et réaliste. Dès lors, la violence ne cesse de s'aggraver et le bilan humain devient véritablement catastrophique.

À plus long terme, la solution à deux États, à laquelle beaucoup se raccrochent aujourd'hui, conserve-t-elle d'après vous de la substance, alors que l'Autorité palestinienne manque assez sérieusement de légitimité et qu'Israël ne peut concevoir de discuter ou négocier avec des représentants du Hamas ?

En somme, nous vous interrogeons sur deux éléments différents : d'une part, sur vos perceptions des acteurs du monde arabe et du monde israélien et de leurs modes de réaction ; d'autre part, sur la crise en tant que telle. Ce sont évidemment deux angles assez différents et je comprendrais très bien que vous ne puissiez pas les traiter en totalité.

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Hasni Abidi, politologue, directeur du CERNAM

Je vous remercie pour cette invitation. Afin de répondre à votre question sur la modification des perceptions et leurs conséquences sur l'espace arabo-musulman et au-delà, il me semble nécessaire de s'arrêter sur deux éléments précis : les limites de tous les acteurs, y compris les Israéliens et Palestiniens, et les nouvelles dynamiques qui secouent la région.

Le Hamas a engagé le 7 octobre 2023 cette action horrible, aux conséquences terribles, avec la volonté de réhabiliter la violence et de s'inscrire contre la marche du Fatah et de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui ont banni la lutte armée et la résistance pour parvenir à un État palestinien. Le Hamas veut montrer qu'en plus de la non-reconnaissance d'Israël, la violence constitue le seul moyen pour ramener la question palestinienne à la centralité qu'elle avait perdu depuis plusieurs années. Cependant, le Hamas est confronté à des limites : il ne parvient pas et ne parviendra pas à traduire politiquement ses actions militaires.

Il convient de distinguer la perception du Hamas par l'opinion publique arabe, c'est-à-dire par la rue arabe, de celle des gouvernements, qui ont jusqu'à aujourd'hui observé une retenue hors du commun, et du système régional arabe représenté par la Ligue arabe et l'Organisation de la conférence islamique. Pour les États arabes, il n'est pas question de voir le Hamas jouer un rôle important. Le Hamas est donc conscient de ne pas avoir d'avenir politique et, ces derniers temps, toutes ses branches – surtout la branche politique – demandent à être intégrées dans une nouvelle Autorité palestinienne ou dans une « OLP élargie ».

La deuxième limite concerne Israël. Selon les chiffres des Nations Unies, 400 000 personnes sont menacées de famine à Gaza. La domination militaire très marquée d'Israël ne s'est pas traduite, pour le moment, par une solution ou une victoire politique. Au-delà des divergences sur le plan intérieur et sur le plan régional, Israël n'est pas parvenu à convaincre certains États d'accepter un exode massif de la population de Gaza. Enfin, les divergences sont perceptibles également avec les États-Unis, qui ont demandé que la solution à deux États soit à nouveau étudiée.

La troisième limite est celle des États arabes eux-mêmes : aucun État arabe ne veut, comme le souhaiteraient les États-Unis, jouer un rôle important auprès du Hamas ou de l'Autorité palestinienne, pour parvenir à une sortie de crise acceptable. Les « poids lourds » du monde arabe, dont l'Arabie saoudite a pris le leadership depuis le déclin de l'Égypte, ne le souhaitent pas.

La dernière limite concerne les États-Unis : elle est inédite dans la région, malgré une présence militaire massive. Les États-Unis souhaitent se désengager progressivement du Moyen-Orient et ne parviennent pas à faire peser leur influence sur l'allié israélien, ni sur les Palestiniens. De même, les États-Unis n'arrivent pas à contenir ce conflit, comme en témoignent les attaques houthies ou la situation à la frontière entre Israël et le Liban. Cela ne signifie pas non plus que les Russes ou les Chinois, qui ont aujourd'hui le vent en poupe dans les opinions publiques arabes, souhaitent prendre leur place dans la résolution du conflit. Bien que de plus en plus courtisés, ils ne veulent pas intervenir, estimant que ce conflit est une guerre d'usure qui doit permettre d'affaiblir les Américains, lesquels font également face à la situation en Ukraine.

Ensuite, il convient de parler des nouvelles dynamiques, dont la première a trait à la fracture qui frappe le monde académique et le monde universitaire, que certains sociologues appellent le « campisme ». Chacun semble presque choisir son camp, ce qui laisse des traces sur les opinions publiques, puisque les universitaires sont des faiseurs d'opinions.

Un autre élément marquant concerne la remise en cause de l'universalisme. Aujourd'hui, celui qui envisage, dans un pays arabe, de parler de l'universalisme, de la bonne gouvernance ou de la question des droits de l'Homme est inaudible. Il lui est rétorqué que les champions des droits de l'Homme, les promoteurs de l'universalisme sont absents face à la situation à Gaza. La médiatisation du conflit est pourtant très marquée, comme en témoigne la mobilisation des chaînes comme Al Jazeera, la BBC (British Broadcasting Corporation) en arabe, Sky News Arabia, très regardées par les opinions arabes.

L'autre dynamique porte sur le retour de la violence en tant qu'agent de régulation, compte tenu de la faillite de la gouvernance mondiale et du rôle des Nations Unies. Finalement, le Hamas a montré que la violence est un moyen efficace, non seulement pour parler de la cause palestinienne mais aussi faire échouer certains plans, dont celui de la normalisation des relations entre l'Arabie saoudite et Israël.

Les États arabes ont observé une position de retenue, qui ne déplaît pas à Israël, ni aux États-Unis. S'il existe des lignes rouges, notamment les frontières du Sinaï ou l'exode des Gazaouis, ces pays ont interdit toute manifestation. Les seuls pays ayant connu des manifestations sont la Jordanie, pays où plus de 50 % de la population est d'origine palestinienne mais aussi le Maroc, soit le pays qui est allé le plus loin dans sa normalisation avec Israël et qui envisage ces manifestations comme une soupape, un moyen pour les Marocains de manifester leur colère.

Le Hamas n'a donc pas bonne presse auprès des élites au pouvoir. En outre, il existe une espèce de formalisme dans les pays arabes, qui conduit à défendre et soutenir tout ce qui est institutionnel et représente une certaine légitimité. Soutenir le Hamas revient ainsi à trahir le Fatah et l'OLP. Il existe une volonté de ne pas confondre le soutien à la cause palestinienne avec le soutien du Hamas.

En revanche, la rue arabe est plurielle, très politisée et très connectée. Une petite minorité pense que le Hamas est une émanation des Frères musulmans et qu'il ne faut probablement pas s'immiscer dans les affaires qui ne la concernent pas. Au Maroc, un slogan dit « Taza – une ville de la région de Fès – avant Gaza » : les questions locales priment sur les questions internationales. Une partie de l'opinion publique pense ainsi que la question de Gaza n'est pas primordiale.

La plupart des régimes arabes sont des régimes autoritaires, où l'expression libre est contrôlée, même quand il s'agit, par exemple, de la question palestinienne. Certes, on laisse les médias condamner et parler de la nécessité d'une solution pour les Palestiniens mais sans que cela ne modifie l'attitude officielle. Les pays européens et surtout les États-Unis se soucient peu de leur image auprès de la rue arabe mais s'attachent surtout à la position des régimes en place.

Enfin, il me faut revenir sur les « poids lourds » des pays arabes, au premier rang desquels figure l'Arabie saoudite. Hormis le Qatar et Al Jazeera, dont la position est singulière, nous constatons une grande retenue de la part de l'Arabie saoudite. Ce pays a réussi à présider la Ligue arabe et à organiser un double sommet, sans déboucher sur une contestation ferme d'Israël ou de la politique américaine. L'Arabie saoudite et l'Iran, les deux grands invités de ces sommets, ont finalement décidé de ne pas laisser le conflit israélo-palestinien et la guerre de Gaza, affecter leur entente, qui est notable ; les deux pays souhaitent conserver de bonnes relations. L'Arabie saoudite tient à son processus de normalisation avec Israël et les événements de Gaza sont perçus comme défavorables. De leur côté, les Iraniens ne veulent pas saboter cette normalisation. Les Saoudiens sont conscients que la sécurisation du trône passe par une sécurité régionale et un rapprochement avec Israël. En résumé, la situation à Gaza n'est pas favorable aux plans de l'Arabie saoudite du prince Mohammed ben Salmane.

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Je vous remercie pour cette analyse passionnante, qui cerne extrêmement bien la manière dont les acteurs sont amenés à contrôler leurs propres réactions.

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Ran Halévi, historien, directeur de recherche au CNRS

L'intervention de M. Abidi a été si riche sur la situation de l'opinion arabe et des États arabes, que je propose de concentrer la mienne sur un état des lieux de la guerre en cours, d'une part, et sur la situation respective des deux principaux protagonistes, d'autre part.

Aujourd'hui, la guerre se poursuit et nous ignorons comment et quand elle s'achèvera. Nous n'avons aucune idée de ce que sera l'après-guerre entre Israël et le Hamas. Les négociations sur la trêve menées à Paris sont dans une impasse, en raison de l'obstination ou de l'espoir du Hamas d'obtenir davantage. Actuellement, le Proche-Orient paraît vraiment assis sur un baril de poudre.

Le ramadan, période très inflammable, vient de commencer et le regard se porte sur l'esplanade des Mosquées, où des incidents peuvent intervenir à n'importe quel moment, notamment avec le concours des quelques provocateurs israéliens, dont le ministre israélien de la police, responsable du maintien de l'ordre sur ce site. Depuis une dizaine de jours, les tensions sont bien plus vives qu'auparavant en Cisjordanie. La guerre avec le Hezbollah au Sud du Liban, qui est une guerre de basse intensité, tend à s'intensifier et il suffit d'une étincelle pour que l'incendie se propage bien au-delà des deux fronts actuels, le Sud-Liban et Gaza.

Quelle est la situation du Hamas à l'heure actuelle ? Le Hamas est aujourd'hui confronté à quelques espoirs déçus : en lançant l'attaque du 7 octobre 2023, il espérait généraliser la guerre « ralliée », avec la participation du Hezbollah, au Nord, à des attaques beaucoup plus massives que celles auxquelles nous avons assistées mais également avec une intervention beaucoup plus intense de l'Iran. Le Hamas se fondait sur son analyse d'une crise et d'un affaiblissement de la démocratie israélienne, qui devaient permettre d'ouvrir un front beaucoup plus large. Ensuite, il espérait que la trêve de novembre 2023 se prolongerait – mais Israël est reparti à l'offensive –, ainsi qu'un effondrement des accords d'Abraham qui, tant bien que mal, tiennent encore. Il espérait un soulèvement palestinien en Cisjordanie, une révolte des Arabes d'Israël qui se montrent exemplaires à tous égards, même s'ils critiquent vivement la conduite de la guerre par le gouvernement en place. Enfin, il espérait surtout un accroissement de la fragilisation de la société israélienne, à la suite d'une crise politique majeure qu'a vécu la démocratie dans le pays les mois précédant la guerre. Mais la société israélienne, effectivement déchirée par une sorte de « coup d'État légal » mené par le gouvernement contre la démocratie, a montré depuis le début de la guerre une résilience surprenante, une solidarité à toute épreuve, de même que la volonté de s'engager dans cette guerre, qui a surpris les Israéliens eux-mêmes.

L'esprit de sacrifice ne s'est pas éteint. Ni la mort des civils, ni celle des soldats ne suscitent des manifestations en Israël. Ces dernières portent surtout sur la question des otages, que l'opinion israélienne place au centre du débat public.

Malgré ces espoirs déçus, le Hamas conserve un certain nombre d'atouts. D'abord, il s'est affranchi de considérations humanitaires, ce qui lui offre une marge d'action que d'autres n'ont pas. De plus, il joue une sorte de « coup double » : il sacrifie les Palestiniens et tire des bénéfices de cette guerre horrible et de la situation catastrophique de Gaza, laquelle suscite des élans de sympathie. Ensuite, le Hamas est toujours là, malgré les promesses de destruction tenues publiquement par le gouvernement israélien. Il se déplace dans les tunnels, il est invisible mais il tient des cartes et dicte même l'ordre du jour des négociations. D'après un rapport des agences de renseignement américaines publié avant-hier, il est loin d'être dans un état de destruction : il est toujours debout, même sous terre. Selon ce même rapport, il est peu probable qu'Israël réussisse, dans un avenir proche, à le détruire.

Je passerai sur le bilan militaire du point de vue israélien, puisqu'il est connu. Sur le plan économique, une sorte d'effondrement économique a été redouté au début de la guerre. L'agence de notation Moody's avait ainsi dégradé la note souveraine israélienne il y a quelques mois. Malgré cette dégradation, l'économie a tenu le choc, la monnaie reste forte, la bourse a gagné presque 7 % et la high-tech israélienne, en crise au début de la « révolution » judiciaire du gouvernement Netanyahou, reprend des forces et continue à exporter dans les domaines du cyber, de l'intelligence artificielle et des technologies médicales.

L'alternative à laquelle le gouvernement et l'opinion israélienne sont confrontés est très simple : privilégier la libération des otages ou poursuivre la guerre. Selon les annonces ou les promesses du gouvernement, poursuivre cette guerre consiste à attaquer du côté de Rafah. D'après les experts militaires israéliens et le rapport des agences américaines que je viens de mentionner, l'armée israélienne est encore loin d'avoir achevé les préparatifs qui pourraient lui permettre d'attaquer Rafah mais le gouvernement israélien parle d'une attaque comme si elle pouvait être imminente.

En résumé, le dispositif militaire est intact, l'économie résiste et la société civile se montre vigoureuse et mobilisée, tout en étant toujours très divisée. Le véritable problème qui mine la démocratie israélienne est un problème dont quasiment personne ne parle mais qui déteint sur la conduite même de la guerre. Il est à la fois d'ordre politique et constitutionnel. Il est d'abord d'ordre politique, parce que le déterminant des objectifs de guerre – ainsi que le président Bourlanges l'a souligné dans ses remarques introductives – est la vision politique de l'après-guerre.

Or nous sommes dans une situation quasiment inouïe : le gouvernement refuse, presque par principe, de déterminer, d'expliquer ou de dessiner une vision d'après-guerre qu'il n'a d'ailleurs jamais cherché à concevoir. Monsieur Netanyahou, le premier ministre israélien, n'a aucune vision précise de l'après-guerre et de l'avenir, aucune vision stratégique sur le conflit de cent ans entre Israéliens et Palestiniens. C'est un « magicien politique » chez qui tout est tactique. Depuis son retour au pouvoir il y a une dizaine d'années, nous observons une sorte de division de travail, avec une étrange extension des colonies, sans but précis. Quel est l'objectif d'étendre indéfiniment les colonies, de grignoter des terres palestiniennes ou de poursuivre les provocations auprès des populations palestiniennes en Cisjordanie ? Il n'y a pas de but final à cette extension quelque peu rampante.

Par ailleurs, il existe une forme de coopération schizophrénique avec l'Autorité palestinienne. Ainsi, on parle peu de la coopération militaire et sécuritaire entre Israël et l'Autorité palestinienne, qui fonctionne très bien. Sans cette coopération, les attentats en Israël seraient infiniment plus nombreux. Simultanément, il existe un dénigrement et un abaissement politique systématique de cette même Autorité. À cela s'ajoute cette ruse perverse qui consiste à alimenter, consolider et financer indirectement le Hamas.

Le second problème est d'ordre constitutionnel. L'environnement constitutionnel et électoral israélien exerce une portée indirecte extraordinaire sur la guerre. En effet, ce système électoral de la proportionnelle intégrale crée des coalitions où de très petits partis peuvent, par la pression et le chantage, déterminer la politique du gouvernement et l'infléchir à leur avantage. Tant qu'il s'agissait des avantages pour le parti religieux, la situation était plus ou moins gérable. Désormais, avec deux partis d'extrême droite indispensables au maintien de la coalition, la politique israélienne – voire même la conduite de la guerre – est subordonnée en partie à ces pressions. Nous voyons ici comment les procédures politiques d'une démocratie exercent une influence directe ou indirecte sur le sort de la guerre.

À titre d'exemple, le ministre d'extrême droite de la police a autorisé des manifestations à Kerem Shalom, à la frontière avec Gaza, qui ont empêché l'acheminement des vivres vers la bande de Gaza. Le système même de fourniture de vivres à Gaza a été détraqué par la volonté d'un homme appartenant à un mini-parti qui « tient » le gouvernement, d'une certaine manière. Cet exemple illustre les conséquences géopolitiques redoutables d'un système électoral qui, au nom de la démocratie, ne cesse depuis des années de dégrader cette même démocratie.

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Je vous remercie. Il est assez fascinant de constater l'existence simultanée d'une société unie, d'une économie forte, d'une armée extrêmement solide et, en même temps, d'une forme de « trou noir » en matière d'orientation politique.

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Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro

Les deux précédentes interventions ayant été extrêmement pertinentes, je n'ajouterai que quelques éléments, à la lueur mon expérience du terrain.

S'agissant des positions arabes, les dirigeants – en particulier les dirigeants jordaniens et égyptiens qui ont signé les accords d'Abraham – sont souvent liés avec Israël sur le plan sécuritaire. Ils observent donc une quasi-neutralité. En revanche, les peuples, qui suivent le conflit sur les chaînes de télévision, sont en colère. Il est exact qu'aux horreurs du 7 octobre 2023, se sont succédées d'autres horreurs.

Je me suis rendu il y a deux mois en Jordanie et j'ai pu y constater à quel point l'opinion publique est très remontée et le roi Abdallah embarrassé. Pourtant, il s'agit du dirigeant arabe le plus occidentalisé du monde arabe ; il est d'ailleurs à moitié Anglais. La Jordanie est un petit pays, soutenu à bout de bras par les États-Unis et disposant d'une coopération sécuritaire avec le Mossad. Or lors d'une conférence au Caire, en novembre dernier, le roi Abdallah de Jordanie a indiqué à un certain nombre de ministres des affaires étrangères, dont notamment Catherine Colonna, qu'il avait compris que la vie d'un Arabe compte moins aux yeux des Occidentaux que la vie d'un Israélien. Ce discours a été repris par son épouse, la reine Rania, qui n'est pas non plus une fedayin, même si elle est d'origine palestinienne. Avant-hier, sur la chaîne CNN (Cable News Network), elle a tenu des propos extrêmement durs à l'encontre Israël.

Je me suis également rendu au Liban. J'ai été frappé de voir que des personnes comme Samir Farid Geagea, responsable des forces libanaises qui ont collaboré activement avec Israël dans les années 1980, défendent aujourd'hui la cause palestinienne. Il se passe donc quelque chose. En 1982, lorsque l'armée israélienne a quitté Beyrouth, les jeunes filles maronites de Beyrouth arboraient des tee-shirts portant la mention « I love Israël ». Aujourd'hui, visiblement, elles n'aiment plus Israël.

En Jordanie, j'ai rencontré un ancien conseiller du roi Hussein, un Jordanien non palestinien, qui avait été très impliqué dans les négociations des accords de paix de Wadi Araba entre Israël et la Jordanie, en 1994. Il m'a dit : « Je n'aime pas les Palestiniens mais j'aime la cause palestinienne car il s'agit d'une cause juste ». Selon lui, pour les Arabes, le problème va au-delà du simple problème israélo-palestinien, pour concerner la coexistence entre Israël et le monde arabe.

À cet égard, nos amis israéliens doivent, selon moi, adopter une perspective allant au-delà des trois mois. Les accords d'Abraham ont été particulièrement intéressants pour Israël, qui a obtenu une normalisation de ses relations avec quatre pays arabes, sans opérer la moindre concession sur le dossier palestinien. Mais cela ne pouvait pas marcher. Un premier signal faible a été perçu lors de la Coupe du monde au Qatar, lorsque des journalistes israéliens ont été surpris de constater que leurs homologues arabes ne voulaient pas leur parler.

J'ai vécu neuf ans en Israël et je connais très bien cette région. Je pense que le logiciel de la force, qui a été celui d'Israël et qui a fonctionné pendant cinquante-soixante ans, ne fonctionne plus. Aujourd'hui, la question consiste à savoir si Israël est capable de changer de logiciel. Ce point de vue est exprimé par des personnes très intéressantes en Israël comme Ephraïm Halevy, l'ancien chef du Mossad, comme Ami Ayalon, l'ancien chef du Shin Bet, comme Gadi Eizenkot, l'ancien chef d'état-major des armées de Tsahal. Le paradoxe est que ces personnes ont été pendant trente ans aux affaires, période durant laquelle ils se sont employés à « s'amuser » avec les Palestiniens, en écoutant entre autres toutes leurs conversations, et qu'après avoir quitté le pouvoir, ils prônent le retour à une solution politique.

Certes, Mohammed ben Salmane souhaite renouer avec Israël et une nouvelle normalisation interviendra sans doute à l'avenir. Cependant, si les paix égypto-israélienne et jordano-israélienne ont été des paix froides, les paix qui se dessinent entre le monde arabe et Israël seront glaciales.

Ensuite, il faut être réaliste : le Hamas ne disparaîtra pas, quelles que soient les promesses du gouvernement israélien. Le rapport des renseignements américains l'a clairement indiqué, en soulignant qu'Israël serait probablement confronté à une menace armée du Hamas au cours des prochaines années. En outre, ayant rencontré Khaled Mechaal à Doha, je ne pense pas non plus que le Hamas disparaîtra politiquement. Simplement, il doit régler l'équation de la monétisation politique de sa résistance.

Aujourd'hui, tous les partis politiques palestiniens sont conscients de la nécessité d'avoir une scène palestinienne unifiée pour pouvoir peser et ils reconnaissent que le Hamas doit avoir une place au sein de celle-ci. Lorsque j'ai rencontré Khaled Mechaal, je lui ai indiqué que, si le Hamas résistait toujours, il demeurait néanmoins infréquentable. Il m'a répondu qu'à une époque, les Talibans et même Nelson Mandela ont été infréquentables aux yeux des Américains. Il a ajouté qu'en 2006, Jimmy Carter est venu le voir à Damas et lui avait posé la même question. Pour qu'il soit possible de discuter avec le Hamas, je lui ai demandé quel geste ce dernier était prêt à accomplir, évoquant la charte rénovée du Hamas en 2017 qui, en substance, avalise les frontières d'Israël du 6 juin 1967. Je lui ai indiqué qu'il faudrait reconnaître Israël, ce à quoi il m'a répondu avoir tiré les leçons de l'échec de Yasser Arafat et des accords d'Oslo : pour lui, Arafat n'a rien obtenu de la reconnaissance d'Israël. Par conséquent, la question de la reconnaissance d'Israël, pour le Hamas, se posera le jour où il existera un État palestinien.

Le Hamas est un mouvement, une idée partagée par des gens en Cisjordanie, au Liban, en Jordanie. Ces gens ne disparaîtront pas d'un coup de baguette magique. Je pense que les négociations en cours conduiront à une trêve. Benyamin Netanyahou ne veut pas d'un cessez-le-feu mais d'une trêve qui lui permette de récupérer quarante otages, pour ensuite « continuer le travail », c'est-à-dire éradiquer le Hamas. Mais il n'y arrivera pas. Le Hamas, est quant à lui d'accord pour s'engager sur trois séquences de trêve de quarante jours mais avec des garanties internationales qu'il y aura finalement un cessez-le-feu.

Des négociations sur les échanges de prisonniers se déroulent actuellement. Les exigences du Hamas sont élevées, parce qu'il détient un grand nombre d'otages, en particulier des responsables militaires. En échange de la libération de ces otages de valeur, le Hamas réclame notamment la libération des responsables politiques – Marwan Barghouti et Ahmad Saadat – mais aussi le retour des réfugiés du Sud vers le Nord, l'entrée de l'aide humanitaire et un retrait israélien.

Comme l'indique William Burns, le responsable de la Central Intelligence Agency (CIA) impliqué dans ces négociations, le 7 octobre 2023 a naturellement constitué un drame, lequel peut paradoxalement constituer une opportunité. Il y a là une occasion, saisie par les Américains et le monde arabe, de remettre cette question palestinienne sur le devant de la scène. Mohammed ben Salmane a clairement indiqué à Antony Blinken, le secrétaire d'État américain, qu'il est prêt, en compagnie d'autres pays arabes – dont les Émirats arabes unis et le Qatar –, à stabiliser et éventuellement sécuriser la bande de Gaza en envoyant quelques troupes aux côtés de l'Autorité palestinienne. En contrepartie, il demande un engagement clair des Américains, afin que la solution des deux États soit cette fois-ci acceptée par Israël.

Les Israéliens disposent d'un très grand nombre d'informations mais font aussi parfois preuve d'une grande capacité à instrumentaliser, y compris les journalistes. En conséquence, je suis méfiant quand ils annoncent que dix-sept bataillons du Hamas sur vingt-quatre ont été démantelés. De leur côté, les services de renseignement américains constatent que la police du Hamas se reconstitue lorsqu'Israël se retire, ce qui ne satisfait pas la population palestinienne. C'est la raison pour laquelle je pense que la situation repose entre les mains de Yahya Sinwar, qui semble relativement sensible à la préoccupation des civils palestiniens.

Le drame du 7 octobre 2023 a représenté un regrettable retour en arrière. Pour demeurer optimiste, voire très optimiste, il est envisageable de considérer qu'une porte de sortie demeure. En revanche, je ne crois pas qu'il faille se faire d'illusions vis-à-vis de Benyamin Netanyahou et de ses alliés. En 1996, j'étais à Tel-Aviv lorsqu'il a été élu pour la première fois. Il a passé sa vie politique à casser le projet national palestinien. S'il continue de diriger Israël, il n'y aura pas de solution à deux États et il n'y aura pas de paix.

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Je vous remercie pour vos interventions passionnantes. Vous êtes revenus sur la retenue des dirigeants arabes ou le paradoxe du Hamas, qui était défavorable à la solution à deux États mais a finalement replacé sur le devant de la scène les préoccupations de l'Autorité palestinienne et de OLP. De son côté, Israël combine une hyper-présence militaire et une totale inexistence de projet politique. De leur côté, les puissances arabes sont partagées entre des dirigeants, qui veulent maintenir une relation de coopération avec Israël, et des opinions publiques, qui sont de plus en plus réservées, de plus en plus hostiles à Israël. En Israël, le déblocage passe évidemment par une modification institutionnelle, selon M. Halévi.

Je cède à présent la parole aux orateurs des groupes.

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Je vous remercie pour vos éclairages sur ce conflit. L'agression du Hamas est une violation du droit international, que nous devons condamner avec la plus grande force. La réplique d'Israël n'est pas propice à un apaisement et les conflits qui perdurent dans la région conduisent à des crises humanitaires extrêmement inquiétantes, non seulement à Gaza, mais aussi au Yémen. À l'heure où nous parlons, l'extrême précarité, la faim ou des maladies comme le choléra entraînent un nombre préoccupant de victimes. J'aimerais exprimer, dans ce sens, une pensée toute particulière à ces civils qui sont victimes du conflit. Nous devons poursuivre notre mobilisation dans la région pour leur venir en aide.

L'instabilité dans les pays du Proche-Orient conduit également à des mouvements considérables de populations contraintes de fuir les conflits ou enfermées sans possibilité de fuite ou de mise à l'abri. À Rafah, près de 1,3 million de Palestiniens sont entassés à la suite des bombardements incessants. Après avoir progressivement migré jusqu'à la frontière égyptienne, ces populations disent ne plus savoir où aller. De l'autre côté de la frontière, en Égypte, la pression de devoir gérer seule un nouveau flux migratoire conséquent se fait également sentir.

De fait, le pays constitue déjà une terre d'asile pour de nombreuses personnes. Actuellement, près de 9 millions de migrants, venant pour la plupart du Yémen et du Soudan, où la situation est extrêmement préoccupante, y ont trouvé refuge. Si le pays essaye tant bien que mal de se préparer, se posent la question de sa capacité à accueillir un nombre aussi important de réfugiés mais également celle de la crainte des autorités égyptiennes d'importer ce conflit et la menace terroriste.

Selon vous, l'Égypte est-elle en mesure de gérer une potentielle arrivée massive de Palestiniens et de Palestiniennes ? Quel rôle la France et l'Union européenne (UE) peuvent jouer, afin d'accompagner le pays, alors qu'un partenariat entre l'UE et l'Égypte comprenant un volet migratoire devrait prochainement voir le jour, comme l'a rapporté le Cairo Institute ?

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Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro

L'Égypte a constamment et clairement indiqué qu'elle ne voulait pas de l'arrivée massive des Gazaouis. Cette perspective, qui n'est pas souhaitable, n'interviendra pas. L'enjeu essentiel consiste à convaincre Israël et le Hamas de conclure cette trêve de trois fois quarante jours.

Chacun doit sauver la face. Benyamin Netanyahou prétend vouloir éradiquer le Hamas, ce qui impliquerait entre autres d'éliminer Yahya Sinwar et Mohammed Deïf, le chef de la branche militaire – que les Israéliens n'ont pas réussi à atteindre pour le moment –, mais aussi récupérer les otages. De leur côté, le Hamas et ses soutiens veulent revendiquer l'établissement d'une trêve durable. Le Hamas ne reconnaît pas Israël mais peut accepter d'envisager une trêve, une houdna, de cinq ans, dix ans, trente ans.

En résumé, chacun doit sauver la face. Il y aura des vaincus – les civils – mais il n'y aura pas de vainqueurs politiques. Benyamin Netanyahou y laissera sa peau et le Hamas éprouvera bien des difficultés à rester ce qu'il a été.

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Hasni Abidi, politologue, directeur du CERNAM

Il existait des tractations entre certains États, dont l'Égypte, et Israël pour accueillir une partie des réfugiés. Mais je rappelle que les deux-tiers de la population de Gaza sont déjà des réfugiés. Finalement, leur transfert sur le territoire égyptien ne fait que déplacer le problème, il ne résout pas la question.

Ensuite, le président al-Sissi, dont le pays est en grande difficulté économique, a besoin de tenir ses promesses. Se posent donc les enjeux de l'effacement de la dette égyptienne, des soutiens économiques importants de la part de l'Union européenne et des États-Unis. Le président al-Sissi ne veut pas paraître comme complice d'une deuxième Nakba, après celle de 1948. Il n'est pas question d'un déplacement massif de la population de Gaza vers le territoire égyptien.

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Au cours de son histoire, la France a toujours porté une voix singulière dans la diplomatie internationale. Cette singularité, issue de mille ans de tradition diplomatique et militaire, a permis à notre pays d'être un repère pour d'autres nations dans un monde en perpétuel mouvement. La politique de la France, hormis les atermoiements d'Emmanuel Macron, a toujours adopté cette constante dans sa parole. La situation internationale inquiète et préoccupe nos concitoyens et, depuis le 7 octobre 2023, une nouvelle escalade a vu le jour. Il s'agit de la plus meurtrière depuis 2006.

Dans la bande de Gaza, 38 870 personnes, dont plus de 5 350 enfants et au moins 3 250 femmes, seraient décédées. D'après le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), il s'agit d'un drame humain et nous observons l'horreur et les stigmates de la barbarie. Le nombre de victimes civiles est important pour chacune des parties.

La position du Rassemblement national est constante : la France n'est pas une nation moyenne mais une grande puissance, qui compte encore. Notre pays peut être un artisan de paix et doit permettre à notre diplomatie de créer des liens pour établir cette paix. La politique étrangère française est orientée depuis de nombreuses années en ce sens, afin de rétablir une paix stable et durable dans cette partie du monde. Marine Le Pen a toujours défendu la continuité de la position française et l'a rappelé durant sa dernière campagne présidentielle.

Ce qui se joue dans cette zone est un drame pour les populations et entraîne des répercussions dans l'ensemble de la région. Nous sommes également très préoccupés par la situation au Liban et au Sud-Liban. Nous savons que la route est encore longue pour aboutir à une paix durable mais le rôle de la diplomatie internationale consiste à continuer à travailler en ce sens. La paix est la chose la plus précieuse que nous pouvons léguer à nos enfants. Tout en respectant la souveraineté de ces peuples, le rôle de la France est de favoriser une solution qui convienne à l'ensemble des parties. Des acteurs crédibles, ayant la capacité de trouver un compromis, pourraient-ils émerger ?

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Ran Halévi, historien, directeur de recherche au CNRS

La France dispose d'un atout aujourd'hui : elle entretient d'excellentes relations avec la plupart des parties concernées, sauf le Hamas. La marge de pression que la France et l'Europe peuvent exercer sur les belligérants est limitée mais la voix de la France compte, elle résonne à travers le Proche-Orient, où elle dispose de relations privilégiées, notamment au Liban mais aussi avec les États du Golfe.

Le seul langage qui peut positionner la France dans ce conflit est un langage de vérité, un langage cohérent vis-à-vis de tous les acteurs. La cohérence est en effet essentielle lorsque l'on intervient dans un conflit aussi sanglant et tragique. Elle consiste par exemple à signifier au gouvernement israélien que la poursuite d'une guerre sans aucun horizon politique de l'après-guerre n'a pas d'issue. Il serait erroné de penser que la France est inaudible mais je suis sûr que nous pourrions l'entendre davantage, à la fois au sein de l'Union européenne et aussi directement avec les protagonistes.

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D'autres acteurs que les États-Unis disposent-ils véritablement d'une clef pour résoudre cette situation ?

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Hasni Abidi, politologue, directeur du CERNAM

Les États-Unis ne veulent pas intervenir. Pendant les mandats du président Obama, Joe Biden a été traumatisé par l'absence totale de volonté de Netanyahou d'aborder cette question. L'erreur des Israéliens a consisté à vouloir tout bloquer, pour conserver le monopole sur la question israélo-palestinienne, dont nous payons aujourd'hui les conséquences.

Pour ma part, je ne suis pas si optimiste concernant la France, qui est inaudible. Certes, la France entretient d'excellentes relations avec tous les États du Proche-Orient. En revanche, la perception est différente au sein de l'opinion publique, des médias et des centres de recherche, qui ne comprennent pas pourquoi des manifestations en faveur de la paix sont interdites en France. Les opinions retiennent surtout l'affirmation par la France du droit d'Israël à se défendre sans qu'elle n'ait été accompagnée de nuances.

Le troisième aspect concerne l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Israël a fermé les accès pour maintenir les triples contrôles à la frontière et l'absence de soutien vis-à-vis de l'UNRWA a été très mal comprise.

En résumé, je considère que des pays comme la France mais aussi les États-Unis ont atteint leurs propres limites, raison pour laquelle ils s'associent à d'autres États comme la Jordanie ou le Qatar. Le fait que la France ou les États-Unis recourent au largage de colis humanitaires représente aussi un indicateur objectif de nos limites dans ce conflit.

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En tant que président de cette commission et sans être sûr d'être soutenu par tous, j'ai publié un communiqué estimant qu'il était très inopportun d'interrompre les aides financières à l'UNRWA, quelle que soit par ailleurs la nécessité d'opérer la clarification sur son rôle.

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Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro

À partir du 7 octobre 2023, la France a clairement opéré un repositionnement en faveur d'Israël, qui a été assumé. Il est loin d'être anodin que treize ambassadeurs de France sur dix-sept au Moyen-Orient et au Maghreb aient, pour la première fois depuis cinquante ans, envoyé une note dissidente à l'Élysée pour souligner que la position française est incomprise. Cette alerte reflète effectivement ce que nous constatons sur le terrain, c'est-à-dire une perte d'influence considérable.

De plus, l'idée d'une coalition internationale pour lutter contre le Hamas a suscité une incompréhension considérable, qui se traduit dans les faits. Je rappelle que lors de sa visite en Jordanie au mois de novembre, le président de la République n'a pas été accueilli par le premier ministre ni le roi, mais par le maire d'Amman. Aujourd'hui, la singularité de la France, qui était encore vivace en 1996 ou en 2003, n'existe plus au Moyen-Orient.

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Cette allusion à une coalition a complètement perturbé le message de la France, qui reste sur le fond acquise à la solution des deux États.

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Je vous remercie pour la teneur de vos propos, qui nous font vraiment du bien. Nous sommes partis à Rafah au sein d'une délégation et il nous a été confirmé que l'Égypte était en cours de renégociation de sa dette avec les États-Unis, alors même que des vies sont en jeu. Pouvez-vous nous éclairer sur les considérations de certains, qui soulignent le financement du Hamas à la fois par le Qatar mais aussi le gouvernement d'extrême droite israélien, et notamment M. Netanyahou ?

Ensuite, je n'ai pas encore entendu dans votre bouche l'évocation du risque génocidaire, qui a été mentionné par la Cour internationale de justice. Ce risque existe-t-il selon vous ? Aujourd'hui, il nous est difficile de faire entendre un autre son de cloche dans les médias, qui relayent en revanche les propos des responsables politiques français, lesquels ne portent que sur la libération des otages, tout comme le gouvernement d'extrême droite israélien. Je précise que nous partageons naturellement la volonté d'une libération des otages, dont trois Français encore détenus.

Enfin, dans le quartier de Château-Gombert à Marseille, une usine française fournit des pièces pour une usine d'armement israélienne. Notre gouvernement devrait-il interrompre sa collaboration avec l'armée israélienne ?

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Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro

Le financement du Hamas est assez transparent. Depuis des années, le Qatar finance ce mouvement et, depuis au moins cinq à six ans, avec l'aval israélien. Les sommes en question sont environ de 30 millions d'euros chaque mois, pour éviter que les Gazaouis ne meurent de faim. C'est aussi cette hypocrisie que le Hamas a voulu faire exploser : certains dirigeants du Hamas vivent dans de belles maisons dans le quartier des ambassades à Doha mais d'autres, notamment Sinwar ou ceux qui vivent dans les tunnels, n'apprécient que très peu les Qataris. Au-delà de ses excès, la vision de Sinwar est d'abord palestinienne : il n'est pas lié à la confrérie des Frères musulmans, ni proche de l'Égypte.

Cette hypocrisie nous a également conduits vers le drame du 7 octobre. Je pense que Sinwar et Netanyahou négociaient au préalable via des intermédiaires. Pour les besoins de mon livre Des pierres aux fusils : les secrets de l'Intifada de 2002, j'avais rencontré le chef du Hamas, Cheikh Yassine, qui avait passé quinze ans en prison avec son traducteur. Il me disait avoir discuté pendant des dizaines d'heures avec le Shin Bet. De fait, Israël négocie tous les jours dans les prisons, qui sont un des foyers de la puissance du Hamas.

Les États-Unis ont indiqué qu'après la guerre, ils essayeront de convaincre le Qatar d'en finir avec cette position, pour le moins complexe, mais qui est utile aujourd'hui. Si le Qatar n'était pas là aujourd'hui, il n'y aurait pas de négociations. Les services de renseignement égyptiens ont certes des bons contacts avec le Hamas, parce qu'ils sont présents à Gaza, mais nous avons besoin du Qatar.

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Au nom du groupe Démocrate, je remercie les intervenants pour l'éclairage qu'ils ont apporté mais également la précision et la vérité de leurs propos. Il faut, selon moi, distinguer deux séquences.

La première a débuté le 7 octobre dernier par l'attaque terroriste d'ampleur et les horreurs perpétrées par le Hamas. Elle s'est soldée par de multiples victimes, dont quarante-deux Français et des centaines d'otages ; 140 personnes sont aujourd'hui captives et, parmi elles, trois ressortissants français pour lesquels nous devons concentrer les efforts de notre diplomatie. S'y ajoute la problématique humanitaire dans la bande de Gaza, avec environ 30 000 morts. L'épisode du 24 février dernier, qui a donné lieu à des bombardements sur un point de ravitaillement de civils, ainsi que la menace d'une famine de masse doivent permettre à la communauté internationale d'agir pour obtenir plus de résultats. À quel titre et avec quel mandat pouvons-nous collectivement intervenir plus efficacement et régler la question humanitaire ?

La deuxième séquence, plus responsabilisante, se conçoit dans un temps plus long et impose plus de recul. La solution à deux États est réapparue plus fortement dans le débat public depuis le début de la guerre mais cette solution se heurte à la poursuite – et même à l'accentuation – de la colonisation, qui est jugée illégale par les Nations Unies. Aujourd'hui, le nombre de colons est estimé à 500 000 environ. La France et l'Espagne viennent d'ailleurs de condamner l'extension des colonies en Cisjordanie. Ne pensez-vous pas qu'il y ait là un obstacle déterminant ? Il semble que la résolution politique du dossier ne peut intervenir qu'en traitant clairement la question de la colonisation.

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Hasni Abidi, politologue, directeur du CERNAM

Aujourd'hui, l'urgence porte sur un cessez-le-feu, une trêve humanitaire. À chacune des visites d'Antony Blinken, les Palestiniens et les États arabes ont répondu que le moment n'est pas à l'évocation de l'après-guerre, tant que la situation actuelle demeure, où Gaza quitte la vie et la vie quitte Gaza. Sur quel objet négocier si les conditions de la vie n'existent plus ?

Pour le moment, des projets de résolution, notamment émanant des Émirats arabes unis, que l'on ne peut soupçonner d'être pro-Hamas, ont été balayés d'un revers de la main par les États-Unis. Il est très difficile de demander un rôle de la communauté internationale quand les États-Unis refusent le projet d'une trêve humanitaire. Sans cette trêve humanitaire, il n'est pas envisageable de parler d'une solution à moyen terme.

Ensuite, même en ordre dispersé, l'Europe doit jouer un rôle. Pour le moment, elle a été malheureusement piégée par sa position initiale, après l'émotion compréhensible du 7 octobre. Selon moi, il est temps de parler de trêve, pour préserver Israël de lui-même et de ses démons. Ceci est essentiel car il en va de la paix des prochaines générations, non seulement d'Israéliens et de Palestiniens mais aussi ici, chez nous. Vous ne pouvez pas imaginer les conséquences qui seront liées à l'absence de réaction du monde occidental face à ces milliers de femmes et d'enfants qui meurent à Gaza.

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Je remercie nos remarquables intervenants, qui ont permis de de cerner effectivement la difficulté de ce conflit. Nous vivons une tragédie comme nous en avons peu connu, qui emporte des conséquences pour Israël et pour la Palestine mais aussi dans le monde entier. Le regard porté sur ce conflit conduit à juger l'Occident sur sa capacité à envisager la vie humaine de la même façon, qu'il s'agisse de quelqu'un qui vient du monde arabe ou qui vient d'Ukraine.

Avant le 7 octobre 2023, le Hamas et M. Netanyahou étaient deux alliés objectifs qui, l'un comme l'autre, ne veulent pas la paix ou ne cherchent pas la paix. Chacun représente l'épouvantail commode de l'autre et justifie la présence de l'un à la tête gouvernement israélien et celle de l'autre comme acteur dominant à Gaza. Depuis le 7 octobre, chacun a poursuivi un but de guerre. Le Hamas veut faire lever le monde arabe et permettre un déblocage de la situation, quand Netanyahou veut officiellement éradiquer le Hamas. Mais en réalité, ni les uns, ni les autres ne parviendront à atteindre leurs buts de guerre.

Quelles issues sont aujourd'hui possibles ? Les sociétés respectives sont très divisées, fracturées, sans parler de la santé mentale des populations concernées, israéliennes comme palestiniennes. Quels sont les potentiels « game changers » ? Il est souvent question de Mohammed Dahlan et de Marwan Barghouti mais la libération de l'un et le retour de l'autre permettraient-ils de faire évoluer la situation ? Un embargo sur les armes serait-il pertinent ? Quelle solution nous permettrait-elle de conserver un peu d'optimisme ?

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Ran Halévi, historien, directeur de recherche au CNRS

Nous savons tous à peu près quelle serait l'issue idéale de ce conflit : l'établissement d'un État palestinien et la pacification relative de la région. En revanche, nous ne savons pas comment y parvenir. Monsieur Malbrunot a parlé de la branche politique et de la branche militaire du Hamas mais cette branche militaire est celle qui, pour l'instant, dessine la politique du Hamas. Nous avons l'impression que les responsables politiques logés au Qatar essayent de négocier non seulement avec les Israéliens et les Américains mais aussi avec la branche militaire du mouvement, dirigée par Yahya Sinwar. Celui-ci est un homme profondément religieux : pour lui, la nouvelle rédaction de la charte palestinienne n'a pas modifié son but, qui consiste à mener une lutte militaire à mort pour les l'éradication d'Israël, qu'il a préparée pendant des années avec l'argent qatari. La branche politique est susceptible de s'asseoir à la table des négociations mais nous savons peu de choses de la branche militaire, qui ne semble pas pour l'instant disposée à ouvrir une voie en faveur d'une pacification ou même d'un arrangement.

Au risque de vous surprendre, dans cette guerre de cent ans avec les pays arabes, Israël a gagné : il a apaisé les tensions avec tous ses voisins, soit par des relations diplomatiques, soit par un cessez-le-feu qui dure depuis la fin des années 1970. Il avait, d'une certaine manière, la clef pour œuvrer vers une solution politique qui complète sa victoire militaire. À deux reprises, Israël a d'ailleurs pris des initiatives en ce sens avec les accords d'Oslo, initiés par le premier ministre Rabin, et en 2003, quand le premier ministre Ariel Sharon a décidé d'évacuer toute la population israélienne vivant dans la bande de Gaza et de rendre cette dernière aux Palestiniens.

Il est temps maintenant de reprendre l'initiative et de créer des conditions pour l'établissement d'un État palestinien, qui n'est certes pas pour demain. Tocqueville nous explique que la démocratie est d'abord un instinct. Il faut donc d'abord créer des conditions permettant à un État palestinien non seulement d'exister mais aussi de durer. Le premier pas, modeste, d'une solution repose sur une séparation de corps entre ces deux peuples, que Rabin avait entamée et que Sharon avait poursuivie.

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Hasni Abidi, politologue, directeur du CERNAM

Il convient de rappeler les conditions du plan de paix de 2002. Le roi Abdallah avait enfermé l'ensemble des chefs d'État dans une salle à Beyrouth pour établir un plan de paix reposant sur le retour aux frontières de 1967 en échange de la sécurité, avec l'engagement des États arabes à reconnaître Israël, mais aussi pour normaliser leurs relations. Malheureusement, ce plan a été refusé.

Ensuite, il faut nuancer l'idée qu'Israël a pacifié ses relations avec ses voisins. La paix « transactionnelle » – par exemple reconnaître la marocanité du Sahara occidental en échange de la normalisation des relations – n'est pas réellement une paix véritable, laquelle se fonde sur la justice. Il est certes intéressant de rechercher la paix avec la Mauritanie ou le Soudan mais il faut d'abord rechercher la paix avec ses voisins, avec des propriétaires qui vivent sur cette terre.

Pour sortir de cette spirale de violence, il importe de revenir à la politique, à des résolutions, à la légalité et au droit international. Aujourd'hui, le danger majeur est que des centaines de millions – voire des milliards – de personnes ne veulent plus croire au droit international, ni à l'universalisme. Telle est notre plus grande faillite morale et politique. À ce titre, la France est évidemment concernée parce qu'elle défend les droits de l'Homme. Mais ce discours n'est pas le bienvenu aujourd'hui, compte tenu du sort réservé au droit international.

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Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro

Parler de paix n'est pas d'actualité. Aujourd'hui, il faut au mieux envisager une séparation, comme M. Halévi l'a évoqué. Mais cette séparation est impossible à l'heure actuelle, compte tenu des 750 000 colons vivant en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Des échanges de territoires peuvent toujours intervenir mais cela sera extrêmement complexe, d'autant que la société politique israélienne a évolué et ne veut pas, à l'heure actuelle, d'un État palestinien.

Il ne peut donc pas exister d'autres solutions qu'une solution imposée, puisque les deux parties n'arrivent pas à se mettre d'accord, comme l'attestent les tentatives passées. La solution des deux États devra donc être ratifiée par un vote au Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies (ONU), mais nous en sommes très loin actuellement. Les Américains sont prisonniers d'une schizophrénie, qui les conduits à livrer des armes à Israël tout en demandant un usage modéré pour limiter les victimes civiles. En résumé, seule l'imposition d'une solution est possible, tout en demeurant très compliquée.

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Le 7 octobre 2023, l'attaque terroriste du Hamas subie par Israël, d'une ampleur et d'une barbarie sans nom, a choqué le monde entier. Le Hamas s'est rendu coupable de la pire barbarie et tuerie antisémite que nous ayons connu depuis la seconde guerre mondiale.

Nous sommes nombreux à rappeler qu'il reste, à ce jour, cent-trente otages, dont trois Français, que leurs familles attendent depuis des mois. Cette situation doit cesser. Cependant, nous ne pouvons nier que la situation au Proche-Orient est dramatique. Vous l'avez rappelé dans vos propos. Le groupe Horizon appelle au respect du droit international, à la nécessité d'un cessez-le-feu et d'une trêve humanitaire plus que pressante, notamment face à la détresse des civils pris au piège de ce conflit dévastateur. En ces temps difficiles, il est impératif que la communauté internationale s'unisse pour appeler à ce cessez-le-feu immédiat, point de départ de discussions plus approfondies sur la manière de construire un avenir dans la paix et la sécurité.

Ensuite, les conditions de la couverture médiatique de ce conflit sont très difficiles et je suis heureux que monsieur Malbrunot soit devant nous aujourd'hui pour répondre à ces questions. Entre quatre-vingts et une centaine de journalistes auraient été tués depuis le 7 octobre, même si le décompte précis reste à établir. Ils travaillent dans des conditions sans précédent et continuent d'assurer le suivi médiatique, malgré le risque qu'ils encourent et qu'ils connaissent.

Certaines organisations internationales, comme le Comité pour la protection des journalistes ou Reporters sans frontières, ont dénoncé le ciblage délibéré des journalistes. Je souhaiterais aussi vous entendre sur ce point. Ceux-ci jouent un rôle essentiel en tant que seul lien entre le conflit en cours et la population mondiale, en fournissant des informations et des images qui nous permettent d'avoir un aperçu direct de la réalité sur le terrain. Aussi, je voulais connaître votre avis sur la situation des journalistes dans l'exercice de leur métier à Gaza. Comment mieux les protéger, comment mieux les défendre dans ce contexte ?

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Ran Halévi, historien, directeur de recherche au CNRS

L'historien des guerres Georges Mosse a notamment étudié la première guerre mondiale et a expliqué comment, à la faveur de cette guerre, s'est opéré un processus de brutalisation des populations. Les drames indicibles que vivent deux populations très différentes et opposées vont changer complètement le narratif national dans les deux pays : il y aura un avant et un après le 7 octobre 2023, des deux côtés.

Aujourd'hui, il est exact que l'opinion israélienne n'accepterait pas d'envisager l'idée de deux États mais nous ne savons pas ce qu'il se passera dans cinq ans. La tâche des politiques, en cas de trêve ou peut-être d'un cessez-le-feu, consiste à entamer un processus de « débrutalisation » des sociétés et des opinions et de préparer les esprits à l'idée que la solution à ce conflit est politique.

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Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro

Il est vrai que de nombreux journalistes ont été tués, dont une partie au Sud-Liban. Malheureusement, cela n'est pas nouveau : la journaliste Shireen Abu Akleh, correspondante pour la chaîne Al Jazeera dans les territoires palestiniens, avait été tuée en 2022 à Jénine.

Israël interdit l'accès des journalistes à la bande de Gaza et nous sommes donc tributaires d'informations obtenues par téléphone ou tout autre moyen. Cette situation est à la fois compliquée et insatisfaisante. Comme dans chaque guerre, il existe des tentatives d'instrumentaliser certaines informations et les journalistes doivent s'efforcer d'éviter ces pièges.

En France, je suis frappé par notre vision anhistorique du conflit, c'est-à-dire détachée de la réalité historique, qui nous conduit à commettre des erreurs. Or pour bien connaître ce conflit, il faut d'abord connaître l'histoire – le passé, le sionisme, l'antisémitisme, les guerres – et la géographie. Cela signifie aller sur le terrain, et pas uniquement à certains endroits. Lorsque l'on s'y astreint, il est possible de réintégrer l'histoire et non plus seulement l'émotion dans l'analyse. Malheureusement, dans le débat politique français, nous avons basculé dans l'émotion, en oubliant l'histoire. Les deux sont nécessaires.

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Je crois pouvoir dire que dans cette commission, nous sommes tous extrêmement sensibles à la mission essentielle des journalistes et au danger qu'ils courent dans l'accomplissement de cette mission. Nous ne pourrions rien faire, en tant que citoyens, en tant qu'élus, en tant que responsables politiques, si vous n'étiez pas vraiment aux avant-postes, exposés à la violence. C'est votre honneur d'accepter de déplaire aux uns et aux autres et votre courage d'être vraiment très exposés.

De même, nous défendons ici les diplomates, qui sont toujours injustement critiqués, alors qu'ils mènent une vie très complexe, très dure. Nous estimons que la nation doit leur rendre hommage, au même titre que les journalistes, les correspondants de guerre et les analystes situés dans les pays, qui mènent un travail aussi redoutable qu'essentiel.

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Je tiens d'abord à remercier nos trois intervenants pour la qualité de nos échanges. S'agissant des accords d'Abraham, estimez-vous qu'il existe aujourd'hui une différence entre les dirigeants et les populations des pays concernés, qui pourrait à terme créer des instabilités, si cette zone du globe ne parvient pas à être apaisée ?

Ensuite, la seule manière aujourd'hui pour Israël de mettre fin à l'influence du Hamas ne consiste-t-elle pas à soit avancer vers une solution à deux États, soit établir une solution à un seul État mais avec une égalité de droits pour les Palestiniens et les Israéliens ? Finalement, la paix n'est-elle pas le seul moyen de faire disparaître le Hamas ?

Vous avez fait remarquer que M. Netanyahou n'avait pas de vision pour l'après-guerre. Mais ne pensez-vous pas que ce conflit et cette instabilité lui permettent précisément de rester au pouvoir aujourd'hui ? Si la paix régnait, serait-il encore là ?

Quelles sont les répercussions à moyen et long termes pour la France et l'Europe au Proche-Orient, compte tenu du « deux poids, deux mesures » en vigueur sur le traitement de la question palestinienne ? J'ai par exemple observé que des manifestations s'étaient déroulées en Tunisie devant l'ambassade de France.

Enfin, une réélection de Donald Trump à la tête des États-Unis pourrait entraîner des répercussions significatives sur le Moyen-Orient. S'il devait continuer la politique menée lors de son premier mandat, quelles seraient les implications sur la viabilité d'une solution à deux États ? De quelle manière une administration Trump renforcée pourrait-elle influencer les dynamiques de pouvoir au sein des pays arabes vis-à-vis du conflit israélo-palestinien ?

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Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro

Parmi les pays non-signataires des accords d'Abraham, l'Arabie saoudite est prête à réengager Israël dans les négociations sur la normalisation mais Mohammed ben Salmane a bien fait comprendre que le prix serait plus élevé. Désormais, il est obligé de tenir compte de l'opinion arabe et de sa population.

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Hasni Abidi, politologue, directeur du CERNAM

De manière assez paradoxale, aucun pays ne remet en cause les accords d'Abraham, ni les Émirats arabes unis, ni le Bahreïn, ni le Maroc. Ensuite, Trump fait preuve de retenue et de la volonté de ne pas s'engager publiquement, ce qui est assez rare. De son côté, le Hamas se nourrit du manque de perspective, de l'absence de solution. Simultanément, il sera difficile de penser l'après-guerre sans le Hamas, dont une partie a montré son intérêt à intégrer l'Autorité palestinienne et à reconnaître l'État d'Israël.

L'idée d'un « deux poids, deux mesures » est effectivement assez largement partagée dans le Sud global aujourd'hui, qui se réjouit finalement de ce décalage, de cette fracture entre le monde occidental et les pays du Sud qui se sentent brutalisés. Si elle n'est pas partagée par tous les États, cette question est aussi importante.

Vous nous avez enfin interrogés sur les conséquences pour la France. Jusqu'à aujourd'hui, les États partenaires de la France tiennent la rue et, tant que cela restera le cas, il n'y aura pas vraiment de dérapages en dépit des manifestations. Mais jusqu'à quand ? Les États du Sud eux-mêmes ne sont pas en mesure d'y répondre.

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Je vous remercie pour cette réponse très nuancée et un peu préoccupante.

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Il est vrai que la nuance règne aujourd'hui. Aucun d'entre vous, qui critiquez la politique de Benyamin Netanyahou, ne sera accusé d'antisémitisme. Malheureusement, lorsque notre groupe a produit une résolution avant le 7 octobre 2023 pour expliquer que l'État d'Israël mettait en place une politique d'apartheid, nous étions taxés d'antisémites. Désormais, le monde entier a observé qu'une telle politique était bien à l'œuvre mais nous n'avons pas pour autant reçu d'excuses.

Les rues françaises devraient être remplies de gens qui manifestent contre le massacre en cours à Gaza, comme cela est le cas des centaines de milliers de manifestants qui défilent en Allemagne, en Espagne, en Irlande, en Angleterre, aux États-Unis pour protester contre ce génocide. Le peuple français n'est pas à la hauteur, parce que les conditions ont été créées pour qu'il ne puisse pas l'être. Les gens pensent que s'ils manifestent pour condamner la politique de Benyamin Netanyahou, ils seront accusés – voire déférés en justice – pour antisémitisme. Comment notre pays a-t-il pu en arriver là ? C'est une grande question.

Vous nous avez également fait part de la retenue, voire de l'acceptation des dirigeants de pays arabes. Mais comment le Maroc ne peut-il pas être en accord avec Israël ? Le Maroc colonise le Sahara occidental et Israël colonise la Palestine. Cette solidarité entre colons n'est guère étonnante.

Enfin, je souligne l'honnêteté intellectuelle de M. Malbrunot, lorsqu'il indique que le Hamas est une idée. En effet, il est impossible d'écraser une idée militairement. Au contraire, le crime en cours contre les Palestiniens va provoquer la propagation de cette idée partout dans le monde.

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Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro

Je ne pense pas que les idées du Hamas se répandront à travers le monde pour une raison très simple : contrairement à ce qui a été dit, notamment après le 7 octobre, le Hamas n'est pas un mouvement djihadiste mais un mouvement islamo-nationaliste, même s'il a recouru ce jour-là à une barbarie semblable à Daech. Il ne rêve pas de conquérir Paris, l'Espagne ou le pôle Nord : son combat est confiné à la Palestine.

Je suis désolé de jouer l'avocat du diable pour le Mossad mais le Hamas ne rêvait pas de voir le monde arabe se soulever et, d'ailleurs, il n'a rien fait pour cela. Yahya Sinwar a informé seulement une demi-heure avant l'offensive Saleh al-Arouri, son collègue du Hamas à Beyrouth, pour qu'il prévienne Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. Le Hezbollah et l'Iran, « l'axe de la résistance » à Israël et aux États-Unis ont fort peu apprécié ne pas avoir été avertis au préalable. Le Hamas a pris de court ses alliés, qui ne l'ont pas apprécié. De toute manière, ils ne s'aiment guère entre chiites et sunnites.

L'influence politique du Hamas ne va pas disparaître, ni croître. Les Palestiniens, dans leur majorité, ne sont pas pro-Hamas, et en particulier dans la bande de Gaza. Cependant, le Hamas jouera un rôle dans des instances palestiniennes rénovées. Le Hamas est né – il faut le rappeler – en 1987, en raison d'une certaine bienveillance d'Israël, dont l'ennemi numéro un à l'époque était Yasser Arafat. Si la paix intervient, le Hamas se dégonflera.

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Hasni Abidi, politologue, directeur du CERNAM

L'idée de la résistance se répand, selon ce que la sociologie marxiste appelle la révolte de la périphérie contre le centre. En revanche, il est exact que le Hamas s'inscrit dans un registre national mais jamais international, ni d'un djihad global, ni d'un djihad « local ». Sa force réside dans cette idée de la lutte armée et le refus de négociation tant que les droits ne sont pas respectés.

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Je soutiens évidemment l'idée d'une solution à deux États mais comment peut-elle être mise en place ? Sera-t-il possible de reloger 750 000 personnes ? Dans l'immédiat, si la paix intervient, comment faire en sorte que la bande de Gaza puisse commencer à être gérée dans des conditions minimales d'acceptabilité de la part d'Israël ?

Ensuite, il ne sera pas possible de parvenir à une solution sans Israël. Vous avez rappelé les problèmes institutionnels dont souffre le pays. Au-delà de la question de la proportionnelle qui a conduit les partis les plus extrémistes au pouvoir, l'opinion publique israélienne fait partie de l'équation. Or l'opinion publique a toujours les responsables politiques qu'elle mérite. De quelle manière cette opinion évolue-t-elle ?

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Ran Halévi, historien, directeur de recherche au CNRS

Vous posez des questions essentielles, pertinentes, auxquelles il est très difficile de répondre.

En premier lieu, l'horizon de deux Etats doit commencer par une séparation des corps, qui devra se poursuivre en Cisjordanie et se faire à Gaza. En Cisjordanie, le gouvernement actuel est non seulement incapable de contenir l'extension des colonies mais, plus encore, il les encourage souvent. En complément aux réponses déjà apportées à Mme Sebaihi, j'ajouterai qu'il ne peut y avoir un seul État avec deux peuples qui ne veulent pas vivre ensemble.

Ensuite, nous sommes face à un phénomène très nouveau dans l'histoire des démocraties, où l'égalité politique est profondément défiée par la société civile au sein de la vie démocratique. Ce phénomène est apparu au moment où le gouvernement Netanyahou a voulu modifier le fondement de la Constitution, réformer la Cour suprême et affaiblir les ressorts de du système israélien d'équilibre des pouvoirs.

Face à ce « coup d'État légal », l'opinion a opposé une légitimité démocratique qui provient d'un réflexe démocratique très profondément ancré dans la société israélienne. Nous en revenons ici à la distinction établie par Tocqueville entre les régimes démocratiques et le réflexe démocratique. Ce même réflexe démocratique n'est pas encore mûr dans tous les pays arabes, mais davantage chez les Palestiniens qu'ailleurs.

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Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro

La solution à deux États est « le cache-sexe » de notre impuissance, parce qu'il est trop tard. Nous en reparlons aujourd'hui mais c'est en 1996 qu'il fallait l'évoquer, voire en 2000.

En 1994, il y avait 250 000 colons en Cisjordanie et Israël était dirigé par des « peacemakers », Shimon Peres et Yitzhak Rabin. Mais la colonisation s'est poursuivie, sans réponse adaptée. En septembre 1996, le ministre des affaires étrangères Hubert Védrine s'est rendu à Jérusalem après des émeutes consécutives au souhait de nationalistes israéliens de construire un tunnel sous le mont du Temple. Les journalistes lui ont demandé s'il n'était pas possible d'envisager des sanctions contre Israël, notamment sur les produits fabriqués dans les colonies et estampillés « Made in Israël », contrairement aux stipulations du droit international : Hubert Védrine nous a alors répondu qu'au sein de l'Europe des Quinze, les Allemands et les Hollandais étaient opposés à de telles sanctions.

Les Américains viennent pour la première fois de sanctionner des colons mais le monde se réveille trop tard. Israël se retrouve pris à son propre piège : les accords d'Oslo organisaient l'autonomie des hommes mais ne prévoyaient pas l'autonomie de la terre, alors même qu'il s'agissait d'un conflit territorial. L'Occident a été incapable de faire cesser la colonisation.

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Hasni Abidi, politologue, directeur du CERNAM

Je souhaite malgré tout regarder l'avenir avec sérénité. Rien n'est perdu dans la mesure où la solution à deux États s'impose. Il s'agit d'un processus long, vulnérable et très critique, mais il faut avoir le courage de l'entamer, en sécurisant des élections en Cisjordanie et, pourquoi pas, à Gaza, pour laisser les Palestiniens décider qui les gouvernera. Sommes-nous capables, en Europe, de plaider en faveur de ce premier élément ?

Ensuite, il a longtemps été reproché aux Palestiniens de ne pas avoir dans leurs rangs des partenaires capables de négocier. Aujourd'hui, l'équation se renverse : la communauté internationale recherche du côté israélien des partenaires prêts à accepter des concessions. Or sans concessions de part et d'autre, nous n'arriverons pas vraiment à construire ce chemin difficile vers la paix.

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Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro

Les accords d'Oslo prévoyaient la création d'un État palestinien, à l'issue de négociations dont le terme n'avait pas été fixé. Aujourd'hui, il faut inverser la logique : imposer un État et ensuite négocier. Si tel n'est pas le cas, aucune solution ne pourra être trouvée.

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Hasni Abidi, politologue, directeur du CERNAM

Des solutions concrètes sont nécessaires. Par exemple, la France et d'autres États pourraient reconnaître l'Autorité palestinienne en État palestinien. En effet, la portée symbolique de ce conflit est incontournable. Il existe une panoplie d'initiatives qui sont vraiment en mesure d'offrir une dynamique à la solution pacifique et de sortir de cette impasse, dans laquelle à la fois le Hamas et le gouvernement israélien nous enferment.

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À la fin du XIXe siècle, les socialistes avaient inventé une doctrine intéressante, l'étapisme. Cela doit nous faire réfléchir : nous ne pourrons pas construire du jour au lendemain un État palestinien mais il est possible d'en jeter les bases.

Je cède à présent la parole aux parlementaires qui veulent s'exprimer à titre individuel.

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Je voudrais tout d'abord remercier les intervenants pour leur éclairage tout à fait passionnant mais aussi réagir sur la façon dont a été évoquée la position française, notamment par M. Abidi. Cette position était équilibrée dès le départ. Il ne m'a pas échappé qu'elle peut être mal comprise, jugée trop pro-palestinienne par certains et trop pro-israélienne par d'autres, mais je ne peux pas laisser dire que la France n'aurait pas immédiatement, dès la riposte d'Israël, rappelé qu'Israël avait le droit de se défendre mais dans le respect du droit humanitaire international.

Je rappelle par ailleurs qu'au moment où la Commission européenne a évoqué l'idée de suspendre l'aide à l'UNRWA, nous avons immédiatement indiqué que nous maintiendrions notre aide, qui était très contrôlée, y compris par les Israéliens eux-mêmes. J'ai moi-même été conduite à exprimer, en tant que première ministre, cette position lors des questions d'actualité.

La France a appelé très tôt à une trêve humanitaire et à la libération des otages. La France a renforcé son soutien humanitaire, y compris avec l'envoi d'un bâtiment de la marine nationale, le Dixmude, pour soigner des civils au large de Gaza. La France a rappelé que la seule issue était politique et qu'elle avait, de façon constante, soutenu la solution à deux États. La position française que je viens de rappeler a bien été portée, depuis le début.

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Ran Halévi, historien, directeur de recherche au CNRS

Madame la première ministre vient de nous démontrer ce qu'il peut y avoir de bon, de juste et de cohérent dans une politique du « en même temps ».

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Je vous remercie pour vos interventions très éclairantes. Je souhaite aborder la situation d'un pays qui est cher aux Français, avec lequel nous entretenons des liens extrêmement forts : le Liban. Cela fait maintenant plusieurs années que ce pays vit une crise politique, économique, sociale profonde, à laquelle s'ajoutent une tension militaire aux frontières, des flux migratoires déstabilisateurs venant de Syrie et l'action de groupes armés, au premier rang desquels figure le Hezbollah.

Comme l'a rappelé le ministre libanais des affaires sociales dans une tribune parue hier dans la presse, près de 2 millions de réfugiés syriens et près de 500 000 Palestiniens sont présents au Liban. Les réfugiés représentent 30 % de la population du pays et déséquilibrent gravement ses fondements. La question de leur retour est donc primordiale pour sortir le Liban de cette crise actuelle. Quelle est la position de la communauté internationale sur ce retour ? Quels sont les acteurs qui ne favoriseraient pas ce retour, sacrifiant ainsi le pays du Cèdre ? Les organisations non gouvernementales (ONG) ou les institutions onusiennes ont-elles ou non une part de responsabilité dans le maintien de ces réfugiés sur le territoire libanais ?

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Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro

La position de l'Europe et des États-Unis sur la question du retour des réfugiés syriens au Liban a peu évolué. Elle consiste à dire que ce retour est souhaitable mais qu'il doit s'effectuer dans des conditions de sécurité garanties pour les personnes concernées, ce qui n'est pas encore le cas. Ils font effectivement peser au Liban un poids extrêmement élevé et déstabilisant pour la situation intérieure.

Le conflit syrien n'est pas terminé. Dans ce cadre, j'ai l'habitude de dire que le « game changer » concerne une éventuelle réconciliation entre al-Assad et Erdoğan, qui permettrait de régler un certain nombre de problèmes, notamment la poche d'Idleb. Mais je doute qu'à terme le régime syrien, qui a malgré tout maintenu sa position, accepte le retour d'un grand nombre de réfugiés. Ceux qui ont été très impliqués dans la résistance face au régime d'al-Assad ne seront pas les bienvenus. Comme le disait Anwar Gargas, le secrétaire d'État des Émirats arabes unis, le projet syrien est un projet sur vingt ans. Hélas, il faudra effectivement patienter et les réfugiés, y compris au Liban, en paieront le prix.

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Je vous remercie pour vos interventions, qui ouvrent pour nous des abîmes de réflexion. Nous sommes toujours beaucoup trop ignorants de ce qu'il se passe dans cette région du monde.

Vous avez évoqué les sujets majeurs concernant Israël que sont l'issue politique et l'issue institutionnelle. M'étant rendue récemment en Israël, j'ai ressenti très fortement la scission entre la société civile, très mobilisée sur la libération des otages, et ce gouvernement de guerre, que nous n'avons pas rencontré alors même que nous avons échangé avec le président de l'État. Selon vous, Israël est-il mûr pour une recomposition politique avec des éléments plus modérés du cabinet, tels Benny Gantz, par exemple ?

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Ran Halévi, historien, directeur de recherche au CNRS

Je crois que cette issue est inévitable et qu'une recomposition interviendra au moment où le gouvernement Netanyahou terminera sa course. Tant que la guerre continue, cette coalition demeure soudée et reste au pouvoir.

Le système israélien produit trop d'exclusion de la société civile et une recomposition est envisageable. Cette question a été mise sous le boisseau pendant vingt ans mais elle ressurgit. Je crois que les procédures électorales et le système politique israélien seront exposés à des réformes. Mais cela n'interviendra que dans l'après-Netanyahou, lequel me paraît assez proche.

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Quel est le rapport de représentation entre les sociétés civiles gazaouie et israélienne vis-à-vis, d'une part, du Hamas et, d'autre part, du gouvernement israélien ? Ces sociétés civiles se sentent-elles représentées aujourd'hui par ceux qui s'expriment au titre des responsabilités qu'ils occupent ?

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Hasni Abidi, politologue, directeur du CERNAM

J'esquisserai une tentative de réponse, dans la mesure où Gaza fait partie de ce que l'on appelle les terrains impraticables à la recherche car il y est très difficile de réaliser des sondages d'opinion. Cependant, des collègues palestiniens ont réalisé un tel travail à Ramallah avant le 7 octobre et il apparaissait que le Hamas n'était pas très populaire, qu'il rencontrait des difficultés de gestion économique et sociale.

Le Hamas est-il contesté ? Le seul référentiel objectif concerne les élections gagnées en 1986, en présence d'observateurs internationaux. Après le départ du Fatah, de nombreuses restrictions ont vu le jour. De nombreux militants proches de ce parti ont quitté Gaza, par exemple Mohammed Dahlan, dont le nom est cité aujourd'hui, qui s'est réfugié aux Émirats arabes unis. Dès lors, il est très difficile de mesurer vraiment le lien existant entre la société civile et le Hamas. Cependant, les événements du 7 octobre ont probablement changé la donne, dans la mesure où les Palestiniens se sont rendus compte qu'ils vivent comme dans une prison.

Les événements du 7 octobre et leur suite ont entraîné une polarisation de la rue, à la fois en Cisjordanie mais aussi en Israël – je parle sous le contrôle de M. Halévi. Des pans entiers de la population, qui étaient jusque-là proches de Mahmoud Abbas et du Fatah, sont désormais aussi partisans du Hamas.

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Près de 700 de nos militaires sont déployés à la frontière du Sud-Liban, dans le cadre de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l'ONU datant de 2006. Ces militaires sont présents au titre de la force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) – dont l'état-major est français –, qui comporte au total 10 500 casques bleus provenant de quarante-huit nations.

Selon le ministre Séjourné, la situation est sérieuse mais non irréversible. La France s'implique dans la résolution du conflit et souhaite contribuer à éviter la survenue d'une nouvelle guerre au Liban. À cet effet, la France arme, entraîne et finance l'armée libanaise et a encore livré en janvier quinze tonnes de fret sanitaire à l'hôpital militaire de Beyrouth. Par la voix du ministre Lecornu, la France a également promis, en novembre 2023, le don de véhicules de l'avant blindés (VAB) à l'armée libanaise. Une précédente livraison avait d'ailleurs eu lieu en 2018.

Pour permettre une application suffisante de la résolution 1701, ne faudrait-il pas que la mission de la FINUL soit présente des deux côtés de la frontière ?

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Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro

Compte tenu de ce qu'il se passe aujourd'hui, Israël souhaite que les règles du jeu soient modifiées. La résolution 1701 a été votée en 2006, après la dernière guerre entre le Hezbollah et Israël. Israël voudrait repousser le Hezbollah au-delà du fleuve Litani, c'est-à-dire sur une trentaine de kilomètres. La France conserve une influence au Liban et relaye ces messages. Le Hezbollah n'y est pas fondamentalement opposé mais il n'est prêt à engager une discussion qu'à l'issue de cette guerre.

Il faut le dire clairement : aujourd'hui, l'inquiétude ne porte pas sur le Hezbollah, dont la réponse est mesurée. En revanche, l'état-major français s'inquiète de savoir si, en cas d'accalmie à Gaza, Israël continuera de frapper le Hezbollah avec l'objectif de le faire reculer sur ces trente kilomètres dont je vous parlais.

Il y a aujourd'hui un équilibre précaire sur place, les acteurs s'attachant à éviter l'escalade. Le Hezbollah respectera une trêve si celle-ci est conclue mais il faut voir quels sont les objectifs israéliens et notamment si Israël veut aller plus loin au Sud du Liban une fois qu'une trêve aura été décidée à Gaza.

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Nous assistons à une dégradation de la situation humanitaire sans précédent à Gaza. L'avenir du Proche-Orient dépend en majorité du conflit israélo-palestinien qui se déroule aujourd'hui. L'escalade du conflit demeure préoccupante. Il faut reconnaître avant tout la responsabilité du Hamas dans cette ignoble attaque du 7 octobre 2023. Ces derniers temps, de nombreux dirigeants semblent ignorer le rôle des terroristes dans l'aggravation de la situation, voire dans le déclenchement de ce conflit.

Le terrorisme islamiste est un fléau qu'il faut combattre. Selon le premier ministre Netanyahou, douze membres de l'UNRWA – agence qu'il considère comme totalement infiltrée par le Hamas – seraient impliqués dans l'attaque du 7 octobre. Une enquête interne à l'ONU a été ouverte afin de déterminer ses allégations mais ces soupçons n'ont toutefois pas interrompu l'aide européenne, contrairement à une quinzaine de pays tels que l'Allemagne, l'Italie et la France, qui ont suspendu la leur. La Suède et le Canada ont annoncé mettre fin au gel de ces versements à la suite de la publication d'un audit sur le fonctionnement interne de l'UNRWA.

Depuis le début du conflit, une bataille de l'information fait rage et augmente évidemment la pression dans la région. Pensez-vous que ces prises de position et ce conflit international peuvent entraîner des conséquences sur l'évolution du conflit ?

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Hasni Abidi, politologue, directeur du CERNAM

Des interrogations se font jour sur cet article, qui a été écrit par une journaliste israélienne pour le Wall Street Journal. Jusqu'à présent, la défense de l'UNRWA et des observateurs consiste à indiquer qu'ils ne disposent pas des preuves tangibles de la responsabilité d'un nombre aussi important de personnels de l'UNRWA.

Philippe Lazzarini, le commissaire général de l'UNRWA, effectue un excellent travail et je pense qu'une enquête plutôt indépendante serait en mesure de nous éclairer sur la responsabilité de la gouvernance au sein de l'agence. Affaiblir l'UNRWA représente à mon sens une grande erreur, dans la mesure où elle est la seule institution à pouvoir sauvegarder des vies palestiniennes. J'observe par ailleurs que le couloir maritime en cours de mise en œuvre ne permettra pas, selon moi, de répondre aux besoins urgents de la population civile sur place.

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Nous vous remercions tous les trois de nous avoir apporté des éclairages extrêmement intéressants et stimulants, originaux et nuancés. Nous tentons de faire notre travail sur cette question extrêmement grave. Depuis le début, nous nous sommes intéressés à tous les aspects de cette crise. Nous avons multiplié les réunions et tables rondes sur le sujet et, indéniablement, celle-ci figure parmi les plus riches d'entre elles.

La séance est levée à 11 h 35.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Véronique Besse, M. Carlos Martens Bilongo, Mme Élisabeth Borne, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Bertrand Bouyx, M. Jérôme Buisson, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, M. Sébastien Delogu, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Olivier Faure, M. Nicolas Forissier, M. Thibaut François, M. Bruno Fuchs, Mme Stéphanie Galzy, M. Guillaume Garot, Mme Maud Gatel, M. Hadrien Ghomi, M. Michel Guiniot, M. Meyer Habib, M. Éric Husson, Mme Stéphanie Kochert, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, M. Jean-Paul Lecoq, M. Vincent Ledoux, M. Nicolas Metzdorf, Mme Nathalie Oziol, M. Jimmy Pahun, M. Bertrand Pancher, M. Didier Parakian, M. Kévin Pfeffer, M. Adrien Quatennens, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Laetitia Saint-Paul, M. Vincent Seitlinger, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, M. Olivier Véran, Mme Laurence Vichnievsky, M. Patrick Vignal, M. Lionel Vuibert

Excusés. - Mme Eléonore Caroit, M. Sébastien Chenu, Mme Julie Delpech, M. Michel Herbillon, M. Alexis Jolly, Mme Marine Le Pen, Mme Karine Lebon, Mme Élise Leboucher, M. Laurent Marcangeli, Mme Mathilde Panot, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Ersilia Soudais, M. Éric Woerth, Mme Estelle Youssouffa

Assistait également à la réunion. - Mme Sabrina Sebaihi