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Intervention de Georges Malbrunot

Réunion du mercredi 13 mars 2024 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro :

Les deux précédentes interventions ayant été extrêmement pertinentes, je n'ajouterai que quelques éléments, à la lueur mon expérience du terrain.

S'agissant des positions arabes, les dirigeants – en particulier les dirigeants jordaniens et égyptiens qui ont signé les accords d'Abraham – sont souvent liés avec Israël sur le plan sécuritaire. Ils observent donc une quasi-neutralité. En revanche, les peuples, qui suivent le conflit sur les chaînes de télévision, sont en colère. Il est exact qu'aux horreurs du 7 octobre 2023, se sont succédées d'autres horreurs.

Je me suis rendu il y a deux mois en Jordanie et j'ai pu y constater à quel point l'opinion publique est très remontée et le roi Abdallah embarrassé. Pourtant, il s'agit du dirigeant arabe le plus occidentalisé du monde arabe ; il est d'ailleurs à moitié Anglais. La Jordanie est un petit pays, soutenu à bout de bras par les États-Unis et disposant d'une coopération sécuritaire avec le Mossad. Or lors d'une conférence au Caire, en novembre dernier, le roi Abdallah de Jordanie a indiqué à un certain nombre de ministres des affaires étrangères, dont notamment Catherine Colonna, qu'il avait compris que la vie d'un Arabe compte moins aux yeux des Occidentaux que la vie d'un Israélien. Ce discours a été repris par son épouse, la reine Rania, qui n'est pas non plus une fedayin, même si elle est d'origine palestinienne. Avant-hier, sur la chaîne CNN (Cable News Network), elle a tenu des propos extrêmement durs à l'encontre Israël.

Je me suis également rendu au Liban. J'ai été frappé de voir que des personnes comme Samir Farid Geagea, responsable des forces libanaises qui ont collaboré activement avec Israël dans les années 1980, défendent aujourd'hui la cause palestinienne. Il se passe donc quelque chose. En 1982, lorsque l'armée israélienne a quitté Beyrouth, les jeunes filles maronites de Beyrouth arboraient des tee-shirts portant la mention « I love Israël ». Aujourd'hui, visiblement, elles n'aiment plus Israël.

En Jordanie, j'ai rencontré un ancien conseiller du roi Hussein, un Jordanien non palestinien, qui avait été très impliqué dans les négociations des accords de paix de Wadi Araba entre Israël et la Jordanie, en 1994. Il m'a dit : « Je n'aime pas les Palestiniens mais j'aime la cause palestinienne car il s'agit d'une cause juste ». Selon lui, pour les Arabes, le problème va au-delà du simple problème israélo-palestinien, pour concerner la coexistence entre Israël et le monde arabe.

À cet égard, nos amis israéliens doivent, selon moi, adopter une perspective allant au-delà des trois mois. Les accords d'Abraham ont été particulièrement intéressants pour Israël, qui a obtenu une normalisation de ses relations avec quatre pays arabes, sans opérer la moindre concession sur le dossier palestinien. Mais cela ne pouvait pas marcher. Un premier signal faible a été perçu lors de la Coupe du monde au Qatar, lorsque des journalistes israéliens ont été surpris de constater que leurs homologues arabes ne voulaient pas leur parler.

J'ai vécu neuf ans en Israël et je connais très bien cette région. Je pense que le logiciel de la force, qui a été celui d'Israël et qui a fonctionné pendant cinquante-soixante ans, ne fonctionne plus. Aujourd'hui, la question consiste à savoir si Israël est capable de changer de logiciel. Ce point de vue est exprimé par des personnes très intéressantes en Israël comme Ephraïm Halevy, l'ancien chef du Mossad, comme Ami Ayalon, l'ancien chef du Shin Bet, comme Gadi Eizenkot, l'ancien chef d'état-major des armées de Tsahal. Le paradoxe est que ces personnes ont été pendant trente ans aux affaires, période durant laquelle ils se sont employés à « s'amuser » avec les Palestiniens, en écoutant entre autres toutes leurs conversations, et qu'après avoir quitté le pouvoir, ils prônent le retour à une solution politique.

Certes, Mohammed ben Salmane souhaite renouer avec Israël et une nouvelle normalisation interviendra sans doute à l'avenir. Cependant, si les paix égypto-israélienne et jordano-israélienne ont été des paix froides, les paix qui se dessinent entre le monde arabe et Israël seront glaciales.

Ensuite, il faut être réaliste : le Hamas ne disparaîtra pas, quelles que soient les promesses du gouvernement israélien. Le rapport des renseignements américains l'a clairement indiqué, en soulignant qu'Israël serait probablement confronté à une menace armée du Hamas au cours des prochaines années. En outre, ayant rencontré Khaled Mechaal à Doha, je ne pense pas non plus que le Hamas disparaîtra politiquement. Simplement, il doit régler l'équation de la monétisation politique de sa résistance.

Aujourd'hui, tous les partis politiques palestiniens sont conscients de la nécessité d'avoir une scène palestinienne unifiée pour pouvoir peser et ils reconnaissent que le Hamas doit avoir une place au sein de celle-ci. Lorsque j'ai rencontré Khaled Mechaal, je lui ai indiqué que, si le Hamas résistait toujours, il demeurait néanmoins infréquentable. Il m'a répondu qu'à une époque, les Talibans et même Nelson Mandela ont été infréquentables aux yeux des Américains. Il a ajouté qu'en 2006, Jimmy Carter est venu le voir à Damas et lui avait posé la même question. Pour qu'il soit possible de discuter avec le Hamas, je lui ai demandé quel geste ce dernier était prêt à accomplir, évoquant la charte rénovée du Hamas en 2017 qui, en substance, avalise les frontières d'Israël du 6 juin 1967. Je lui ai indiqué qu'il faudrait reconnaître Israël, ce à quoi il m'a répondu avoir tiré les leçons de l'échec de Yasser Arafat et des accords d'Oslo : pour lui, Arafat n'a rien obtenu de la reconnaissance d'Israël. Par conséquent, la question de la reconnaissance d'Israël, pour le Hamas, se posera le jour où il existera un État palestinien.

Le Hamas est un mouvement, une idée partagée par des gens en Cisjordanie, au Liban, en Jordanie. Ces gens ne disparaîtront pas d'un coup de baguette magique. Je pense que les négociations en cours conduiront à une trêve. Benyamin Netanyahou ne veut pas d'un cessez-le-feu mais d'une trêve qui lui permette de récupérer quarante otages, pour ensuite « continuer le travail », c'est-à-dire éradiquer le Hamas. Mais il n'y arrivera pas. Le Hamas, est quant à lui d'accord pour s'engager sur trois séquences de trêve de quarante jours mais avec des garanties internationales qu'il y aura finalement un cessez-le-feu.

Des négociations sur les échanges de prisonniers se déroulent actuellement. Les exigences du Hamas sont élevées, parce qu'il détient un grand nombre d'otages, en particulier des responsables militaires. En échange de la libération de ces otages de valeur, le Hamas réclame notamment la libération des responsables politiques – Marwan Barghouti et Ahmad Saadat – mais aussi le retour des réfugiés du Sud vers le Nord, l'entrée de l'aide humanitaire et un retrait israélien.

Comme l'indique William Burns, le responsable de la Central Intelligence Agency (CIA) impliqué dans ces négociations, le 7 octobre 2023 a naturellement constitué un drame, lequel peut paradoxalement constituer une opportunité. Il y a là une occasion, saisie par les Américains et le monde arabe, de remettre cette question palestinienne sur le devant de la scène. Mohammed ben Salmane a clairement indiqué à Antony Blinken, le secrétaire d'État américain, qu'il est prêt, en compagnie d'autres pays arabes – dont les Émirats arabes unis et le Qatar –, à stabiliser et éventuellement sécuriser la bande de Gaza en envoyant quelques troupes aux côtés de l'Autorité palestinienne. En contrepartie, il demande un engagement clair des Américains, afin que la solution des deux États soit cette fois-ci acceptée par Israël.

Les Israéliens disposent d'un très grand nombre d'informations mais font aussi parfois preuve d'une grande capacité à instrumentaliser, y compris les journalistes. En conséquence, je suis méfiant quand ils annoncent que dix-sept bataillons du Hamas sur vingt-quatre ont été démantelés. De leur côté, les services de renseignement américains constatent que la police du Hamas se reconstitue lorsqu'Israël se retire, ce qui ne satisfait pas la population palestinienne. C'est la raison pour laquelle je pense que la situation repose entre les mains de Yahya Sinwar, qui semble relativement sensible à la préoccupation des civils palestiniens.

Le drame du 7 octobre 2023 a représenté un regrettable retour en arrière. Pour demeurer optimiste, voire très optimiste, il est envisageable de considérer qu'une porte de sortie demeure. En revanche, je ne crois pas qu'il faille se faire d'illusions vis-à-vis de Benyamin Netanyahou et de ses alliés. En 1996, j'étais à Tel-Aviv lorsqu'il a été élu pour la première fois. Il a passé sa vie politique à casser le projet national palestinien. S'il continue de diriger Israël, il n'y aura pas de solution à deux États et il n'y aura pas de paix.

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