La réunion

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Jeudi 16 novembre 2023

La séance est ouverte à neuf heures.

(Présidence de M. Frédéric Descrozaille, président de la commission)

La commission procède à l'audition de M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

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Dans la dernière ligne droite de nos travaux, nous auditionnons les ministres sous la responsabilité desquels les quatre administrations centrales de l'agriculture, de la santé, de la recherche et de la transition écologique conduisent cette politique publique complexe qu'est la maîtrise des usages des produits phytosanitaires.

Nous cherchons à comprendre pourquoi nous avons échoué à atteindre les objectifs que la nation s'est fixés. Nous cherchons à savoir là où cela coince. Les auditions nous ont notamment permis d'identifier un problème de gouvernance.

Vous n'êtes évidemment pas comptable du passé, monsieur le ministre. Nous sommes curieux d'avoir votre regard, depuis votre prise de fonctions, sur la place de cette politique publique parmi les priorités de votre ministère, sur la fluidité de l'interministériel ainsi que sur le plan stratégique national (PSN) dont vous avez assuré la mise en œuvre et qui a été critiqué pour son manque d'ambition agroécologique. Nous attendons aussi une réponse franche de votre part sur notre capacité – et avec quelle méthode – à atteindre des objectifs qui sont sans cesse reportés.

Avant de vous laisser la parole, je vous invite à satisfaire l'obligation faite aux personnes auditionnées par une commission d'enquête, par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Marc Fesneau prête serment.)

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Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Je salue votre volonté, à travers la commission d'enquête, de comprendre les dysfonctionnements qui ont empêché d'atteindre les objectifs ; de décrire la complexité de la situation – si les solutions étaient simples, les blocages observés depuis une quinzaine d'années auraient été levés – ; et de replacer la question des produits phytosanitaires dans le contexte de la stratégie nationale bas-carbone et, plus globalement, de la transition des modèles économiques qu'impose le dérèglement climatique.

Les agriculteurs évoluent dans un contexte de plus en plus complexe où se conjuguent – et c'est sans doute un des effets du dérèglement climatique – l'augmentation de la pression des ravageurs et le retrait de plusieurs substances actives, sans oublier l'impératif de souveraineté alimentaire.

La réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques constitue néanmoins une nécessité pour préserver à la fois la santé, la biodiversité et la qualité de l'eau. La transition de nos systèmes de production est indispensable mais elle doit se faire sans affaiblir notre protection des cultures, notre niveau de production, ni notre souveraineté alimentaire. Transition agroécologique et souveraineté alimentaire sont indissociables et même dépendantes. Il ne faut pas opposer l'une à l'autre mais les conjuguer.

C'est dans ce cadre que le Gouvernement a fait de la baisse de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques une priorité. Le plan Écophyto II+ traduit ses engagements et répond également à une obligation européenne fixée par la directive de 2009 instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, dite directive SUD, en cours de révision.

Le plan Écophyto II+ est la troisième génération de plans visant à réduire l'usage des produits phytosanitaires, issus du Grenelle de l'environnement. Le premier plan, en 2008, affirmait une volonté de réduire l'usage des produits phytopharmaceutiques agricoles de 50 % dans un délai de dix ans. En 2015, devant la faiblesse des résultats, un plan Écophyto II a été adopté, l'objectif de baisse de 50 % étant reporté à 2025 et un objectif intermédiaire de 25 % fixé à l'horizon 2020.

Cet épisode montre la difficulté à décliner de manière opérationnelle un objectif théorique, en prenant en considération les enjeux de santé publique, environnementaux mais aussi économiques pour un secteur stratégique pour le pays. Les gouvernements et les majorités qui se sont succédé depuis 2008 ont tous pu le mesurer.

Entre 2009 et 2013, le nombre de dose unités (Nodu), principal indicateur pour mesurer la quantité de pesticides utilisée, a augmenté de 16 %. Entre 2013 et 2018, il a continué de croître de 2 %. Ce sont ces dix années d'échec qui ont été sanctionnées par le tribunal administratif de Paris dans un jugement dont a pris acte le Gouvernement en 2018.

Lors de la préparation du plan Écophyto II+, le Gouvernement a cherché à tirer les conclusions de l'échec des plans précédents et à donner une nouvelle impulsion pour parvenir à réduire l'usage de produits phytopharmaceutiques de 50 % d'ici à 2025 et à diminuer les autres usages sans laisser les agriculteurs sans solution.

La France est pleinement engagée dans une dynamique de réduction de l'utilisation des produits phyto. Est-ce un effet de sédimentation ou d'accélération ? Depuis 2017, pour la première fois depuis quinze ans, les quantités baissent. Le plan Écophyto II+ produit des résultats concrets. Les données de vente disponibles pour 2022 confirment la baisse des quantités de substances actives vendues – avec 43 000 tonnes en 2022, celle-ci est de 20 % par rapport à la moyenne des années 2015 à 2017, et elle est particulièrement marquée sur les produits considérés comme les plus dangereux. Je signale aussi la baisse concernant le glyphosate. Les Nodu montrent une diminution historique de l'usage des produits phytopharmaceutiques, signe que les actions engagées depuis 2017 portent leurs fruits. L'honnêteté intellectuelle m'oblige toutefois à dire que les efforts menés depuis 2008 trouvent peut-être là leur traduction tardive.

La vente des produits les plus préoccupants, les substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR) de catégorie 1 a baissé de 93 % depuis 2016. Quant à l'utilisation du glyphosate, elle a été réduite de 27 % par rapport à la période de référence précédente 2015-2017.

Outre le plan Écophyto II+, le Gouvernement a pris plusieurs mesures fortes pour accompagner la baisse de l'usage des produits phytopharmaceutiques : un programme prioritaire de recherche doté de 30 millions d'euros et destiné à accroître la mobilisation des scientifiques pour développer des solutions alternatives ; le plan de relance pour aider les agriculteurs à se doter massivement d'agroéquipements, lesquels jouent un rôle central dans la baisse des usages mais aussi, plus globalement, dans la transition agroécologique ; France 2030 qui prévoit 1,2 milliard pour l'agriculture afin de financer des solutions durables et innovantes, telles que les outils de biocontrôle, la sélection variétale, la robotique et le numérique – la technique est l'un des instruments de réponse, qui doit être combiné avec les autres ; un plan de développement de l'agriculture biologique, dont l'objectif est d'atteindre au moins 18 % de la surface agricole utile en bio d'ici à 2027 – je n'ignore pas la situation de la filière bio mais il convient de maintenir la trajectoire que nous avons soutenue jusqu'à présent ; enfin, les actions d'amplification se poursuivent et se renforcent en matière d'anticipation et d'accompagnement.

La stratégie Écophyto 2030, qui participe à accompagner la transition de notre modèle agricole, a été présentée lors du comité d'orientation stratégique et de suivi du 30 octobre dernier. L'ensemble des parties prenantes ont salué le sérieux du travail et la perspective dans laquelle il s'inscrit.

Cette stratégie répond à une triple ambition : préserver la santé publique et celle de l'environnement dans une logique « une seule santé », maintenir un haut niveau de protection des cultures – enjeu majeur pour la sécurité alimentaire – et soutenir les performances économiques et environnementales des exploitations. Surtout, le Gouvernement a voulu proposer une nouvelle approche, que beaucoup appelaient de leurs vœux, fondée sur l'accélération du développement des solutions alternatives, qu'elles soient chimiques ou non chimiques, pour mieux se préparer au potentiel retrait de certaines substances actives. En parallèle, l'accent est mis sur la reconception des systèmes agricoles et alimentaires dans l'ensemble de la chaîne de valeur. Cette méthode répond à une exigence sanitaire et environnementale mais aussi pour le monde agricole : les agriculteurs ne peuvent pas et ne veulent pas vivre de dérogation en dérogation. Je le dis souvent, les interdictions ne préjugent pas des solutions mais les dérogations n'invitent pas forcément à chercher des solutions. La dérogation apporte une réponse immédiate et d'urgence sanitaire mais il faut parallèlement tracer des perspectives à plus long terme. Cet exercice de planification, qui doit être mené avec la profession, est exigeant. Il faut s'interroger, avec lucidité, sur le devenir des molécules et le risque de retrait dans une perspective de moyen et long termes pour définir des trajectoires partagées.

Dans cette logique, la reconception doit s'appuyer sur la mise au point de méthodes alternatives à celles qui existent, y compris non chimiques, au profit de plusieurs filières et à différentes échelles – la parcelle, l'exploitation agricole, le territoire ou la région. Comme l'a dit la Première ministre au salon de l'agriculture, « anticiper, innover, accompagner sont les trois piliers de l'action que nous entendons conduire ». Cela suppose une importance accrue de l'agronomie, seule à même de développer des solutions alternatives permettant de sortir de la logique dominante de substitution d'une substance active à une autre au fur et à mesure des interdictions. Les effets de report qu'on observe après chaque interdiction ont conduit à des impasses. Les professionnels doivent s'engager dans la démarche s'ils ne veulent plus subir des interdictions non anticipées. Le recours à la recherche et à l'innovation pour trouver des alternatives et faire évoluer les pratiques agricoles constitue un axe fort de notre action.

Reconcevoir les modèles, c'est le sens du travail que nous avons engagé avec les instituts techniques et les interprofessions. Il s'agit d'en finir avec la gestion au coup par coup. Ce travail exige de sortir de la logique de silos pour mobiliser l'ensemble des maillons de la chaîne – le monde agricole, les instituts de recherche, les agences publiques, les acteurs privés – pour mieux anticiper et développer des solutions combinatoires. L'objectif est d'élargir l'éventail des possibilités pour éviter que les agriculteurs ne se trouvent sans solution. Pour mener à bien ce travail collectif de long terme, il faut regarder la réalité de la situation phytosanitaire pour s'y préparer du mieux possible, en toute transparence et en confiance, en substituant le débat aux injonctions.

Dans la perspective des renouvellements d'autorisation ou d'homologation à venir, il semble plus judicieux, compte tenu des effets de report constatés, d'examiner lucidement l'ensemble des classes de molécules pour trouver dès à présent des alternatives, sans être soumis à la pression de l'interdiction.

En complément de ceux déjà alloués par le biais de la fameuse redevance pour pollutions diffuses (RPD) – 70 millions sur les 180 millions d'euros de recettes iront au financement de la transition –, de nouveaux moyens importants sont spécifiquement dédiés à la mise en œuvre de la stratégie Écophyto 2030 : 250 millions d'euros sont prévus dans le projet de loi de finances pour 2024 au titre de la planification écologique, dont une part importante financera des plans d'action spécifique des filières sur les usages de produits phytopharmaceutiques identifiés comme critiques ; une aide à l'investissement pour les matériels nécessaires à la transition agroécologique viendra en prolongement de France relance, ainsi que le financement de projets territorialisés. S'ajoutera une allocation de crédits France 2030 dont le montant sera arbitré très prochainement par la Première ministre.

Face au constat d'échec que vous avez souligné, nous essayons d'élaborer une stratégie de moyen à long terme, dotée de moyens dédiés et associant l'ensemble de la filière et de la chaîne de valeur. Il faut embarquer l'amont et l'aval ; la charge de la réduction des produits phyto – la pression, les difficultés et les impasses aussi – ne peut pas peser seulement sur le monde agricole. Cela prendra du temps mais, sans être exagérément optimiste, une trajectoire de réduction commence à se dessiner. Plutôt que de pointer une fois encore les insuffisances – il y a quelque chose de désespérant à entendre toujours : « pas assez, pas comme il faut », s'agissant du monde agricole –, il faut se féliciter de cette bonne nouvelle.

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Dès le début, nous avons envisagé la commission comme une contribution positive au débat public.

Je vous le dis d'emblée, le plan Écophyto 2030 nous paraît une base de travail intéressante. Nous avons eu l'assurance de la Première ministre que les travaux de la commission ainsi que les évolutions du règlement sur l'utilisation durable des pesticides, dit règlement SUR, seraient pris en compte dans la version définitive du plan qui devrait être présentée début 2024. Nous espérons que nos propositions éclaireront les choix que vous aurez à faire.

Hasard du calendrier, nous recevons ce matin le ministre en exercice et l'un de ses prédécesseurs, Stéphane Le Foll. En 2013, lorsque ce dernier était en fonction, étaient publiés le rapport de l'Inserm sur les alertes sanitaires ainsi que celui que j'avais remis au Premier ministre pour préparer le plan Écophyto II. C'est à la période de dix années qui les séparent que s'intéresse notre rapport.

Celui-ci répondra à trois questions : faut-il réduire les phyto à 50 %, voire à zéro à l'horizon 2050 ou plus loin ? Notre réponse, qui s'appuie sur l'état de la science – nous avons reçu presque toutes les autorités scientifiques en la matière – est positive : nous sommes absolument convaincus que cette réduction est indispensable.

Deuxième question, est-elle techniquement possible ? Nous savons qu'une réduction de 30 % l'est ; à 50 %, il faut changer les systèmes et au-delà, il faut une véritable révolution.

Troisième question, est-ce compatible avec la souveraineté alimentaire ? Les adversaires de l'urgente nécessité de baisser les phyto mettent tous en exergue la souveraineté alimentaire et le climat, qui sont deux autres grandes ambitions de la nation. Nous considérons qu'il est possible de concilier réduction de l'usage de la phytopharmacie, atténuation et adaptation au changement climatique, et garantie de notre souveraineté alimentaire.

Le rapport comportera six chapitres : l'état de la science ; le régime d'autorisation ; le continuum entre recherche et développement et accompagnement des agriculteurs ; les politiques publiques – politique agricole commune (PAC) et PSN – ; le poids du marché intérieur, européen et international ; le pilotage du plan qui fait cruellement défaut depuis des années.

Il me semble important de poser les termes du débat. Nous ne reprocherons à aucun ministre de mauvais résultats dans l'exercice de ses fonctions, résultats qui sont d'ailleurs publiés très tardivement – il faut attendre un an et demi pour en avoir connaissance ; la lenteur des informations est l'un des défauts en matière de pilotage. Vous l'avez dit, les résultats peuvent être le fruit des actions des prédécesseurs. Nous ne ferons donc pas de procès. En revanche, nous examinerons, pour chaque ministre, les décisions qu'il a prises et la manière dont il a pesé ou pas. Il s'agit, à nos yeux, d'une obligation de moyens plus que de résultats.

Nous sommes réservés sur la baisse de 20 % que vous annoncez. Si l'on considère les chiffres dans leur totalité et sur la durée depuis le Grenelle de l'environnement, les volumes en quantité de substances actives (QSA) sont en légère baisse et, en Nodu, n'ont pas bougé. Chacun de ces indicateurs est critiquable. Certaines études européennes montrent que l'usage a plutôt augmenté en France ces dernières années alors qu'il a décru dans d'autres pays. Nous n'allons pas nous perdre dans ces controverses. Nous présenterons, avec objectivité, l'ensemble des données disponibles et nous en conclurons qu'il n'y a pas lieu de sauter de joie : les objectifs n'ont pas été atteints et nous reportons sans cesse les échéances. Nous serions les premiers à nous réjouir d'une baisse de 20 %, mais les données dont nous disposons nous incitent à mettre un bémol.

S'agissant de vos responsabilités vis-à-vis du plan Écophyto, je discernerai trois moments importants depuis 2022 : d'abord, le PSN, déclinaison d'une politique publique européenne, et ses incidences sur l'émergence ou non d'une véritable agroécologie ; ensuite, l'élaboration du plan Écophyto 2030 ; enfin, je le dis sans ironie, votre déclaration au congrès de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), le 30 mars dernier, qui a joué un rôle dans la création de la commission d'enquête. Vous avez dit alors : « Je viens de demander à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) une réévaluation de sa décision sur le S-métolachlore parce que cette décision n'est pas alignée sur le calendrier européen et qu'elle tombe sans alternative crédible ». Nous y avons vu une menace qui faisait écho aux travaux de certains sénateurs et à certaines revendications syndicales en faveur d'une remise en cause du régime d'autorisation inscrit dans la loi de 2014 visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national.

Monsieur le ministre, êtes-vous partisan d'une remise en cause du régime d'autorisation ?

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Marc Fesneau, ministre

Je n'ai jamais remis en cause les évaluations des agences de sécurité sanitaire ; j'en fais un principe. Ce serait prendre un risque énorme que de s'aventurer dans cette voie : celui de relativiser les faits scientifiques à l'aune de nos croyances ou de nos convictions. Il faut veiller à étayer scientifiquement les décisions.

Dans l'objectif, que je compte bien tenir, de ne pas créer de distorsion au détriment de la France par rapport aux autres pays européens, ce serait une erreur de s'affranchir totalement des calendriers européens. C'était le sens de la déclaration que vous avez citée.

À votre question, je réponds non, il n'est pas dans mes intentions de remettre en cause le régime d'autorisation. Le sujet n'est pas là. Nous avons besoin de mobiliser toutes les structures et l'Anses est un acteur clé. L'Agence est capable d'évaluer une molécule et ses risques mais aussi de proposer des alternatives. Le fait de remettre en cause le rôle de l'Anses, qui résulte d'une décision politique, plutôt que d'explorer les solutions alternatives serait une erreur. En le disant, je contrarie certains professionnels pour lesquels ce serait la bonne solution. Ce n'en est pas une parce que la trajectoire de réduction est nécessaire et que chacun doit s'en sentir responsable La remise en cause est inopérante. Je suis très clair sur ce point, vous le savez, monsieur le rapporteur.

Faut-il réduire les phyto ? La réponse est oui. Vous avez raison, on peut parvenir à une baisse de 20 % ou 30 % par le matériel et par les pratiques. En revanche, pour atteindre 50 %, il faut reconcevoir les modèles. Cela passe par les fermes de référence, les filières, les instituts techniques, etc.

Peut-on se passer complètement des phyto à l'horizon 2050 ? Je vais peut-être choquer certains ici, mais pourquoi l'agriculture serait-elle le seul secteur qui ne peut pas utiliser de produits de nature chimique ? Il est curieux d'exiger d'elle ce que l'on ne demande pas aux produits pharmaceutiques ou à la plasturgie. Le zéro absolu me paraît un horizon compliqué, d'autant qu'on ne peut pas exclure que des accidents climatiques imposent de recourir aux produits phyto pour ne pas perdre toutes les récoltes. Je le dis aussi simplement que cela.

Est-ce techniquement possible ? J'ai répondu oui. Il me semble toutefois que la solution est nécessairement combinatoire.

J'ai toujours défendu l'idée que l'on peut concilier souveraineté alimentaire et réduction des phyto, à condition de ne pas conduire les gens dans une impasse en leur promettant une alternative qui n'existe pas.

Je suis désolé de dire que nous n'avons pas aujourd'hui d'alternative crédible, qui préserve le rendement, pour la betterave, ni pour la cerise. Sans doute avons-nous pris trop de retard. Parfois on me réclame le diméthoate et le phosmet qui ont été interdits il y a plus d'une dizaine d'années. Les responsables publics n'ont pas fait les efforts nécessaires pour trouver des solutions.

En ce qui concerne les chiffres, nous vous donnons les éléments pour comparer avec chaque séquence triennale et juger de l'efficacité. Nous lirons avec attention ce que vous écrirez sur les Nodu. Sachez que nous n'avons pas changé de méthode pour les quantifier ; j'ai tendance à me fier aux mesures qui sont faites et qui, à une époque, montraient l'absence de réduction.

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J'approfondis le sujet du régime d'autorisation, auquel nous avons consacré beaucoup de temps. Je prends note que le Gouvernement, à travers vous, ne le remet pas en cause.

« Pas d'interdiction sans solution », dites-vous. Or il faut relever une contradiction : dans le cas du diméthoate, l'interdiction a été décidée malgré l'absence d'alternative. Nos travaux nous amènent à la conclusion que le volet réglementaire – autrement dit, le retrait de la molécule – a été plus efficace que la recherche et le développement pour réduire l'usage des pesticides, sans en nier toutefois les effets de bord. Votre affirmation est-elle bien une invitation à trouver des solutions avant les interdictions et non une remise en cause des interdictions ?

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Marc Fesneau, ministre

Je pensais avoir été clair : il faut chercher les solutions et anticiper.

Vous dites que les interdictions ont fait la preuve de leur efficacité. Mais par définition, une fois qu'une molécule est interdite, pardon de le dire, elle n'est plus utilisée. Je note aussi que l'interdiction sans solution n'a pas été sans effet sur notre souveraineté. C'est un fait.

C'est la raison pour laquelle nous changeons de méthode dans la stratégie Écophyto 2030. Il s'agit d'anticiper d'éventuelles difficultés avec certaines molécules en cherchant dès à présent des solutions pour ne pas nous trouver dans une situation d'interdiction sans solution.

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Je vous remercie pour cette clarification, qui est une invitation urgente à trouver des solutions pour garantir notre souveraineté alimentaire.

Nous savons désormais que le Gouvernement ne remettra pas en cause les interdictions décidées par l'Anses et ne soutiendra pas les dispositions en ce sens d'une proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France venue du Sénat. C'est une assurance très importante que vous nous donnez ce matin.

La réglementation européenne admet, en cas d'urgence phytosanitaire, que les États membres autorisent, pendant 120 jours, l'usage d'un pesticide. Il peut exister de vrais décalages au sein de l'Union européenne. La commission d'enquête s'est interrogée sur la pertinence d'une politique européenne unifiée sur les molécules et les produits, qui tiendrait évidemment compte des zonages pédoclimatiques – il n'est pas question d'imposer la même règle à la Lituanie et au Portugal – et s'appuierait sur les agences nationales, pour évaluer et gérer le risque. N'est-ce pas souhaitable pour le grand Européen que vous êtes ?

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Marc Fesneau, ministre

Absolument. Je rappelle que les décisions nationales ne concernent pas les substances actives.

Les questions traitées dans le règlement SUR relèvent nécessairement du niveau européen. D'abord, parce qu'il ne peut y avoir de fermeture de frontières ou de clauses miroir dans le marché unique. Ensuite, si l'on veut pouvoir activer des clauses miroirs à l'extérieur des frontières européennes, nous devons parler d'une seule voix. Nous avons besoin d'harmonisation européenne, notamment pour les autorisations de mise sur le marché. Il faut aussi encourager la collaboration des agences nationales – cela a été le cas pour le glyphosate. Il y a déjà une répartition entre elles de certaines évaluations à mener. En ce qui concerne le processus d'autorisation de mise sur le marché de nouvelles molécules, chimiques ou non chimiques, les délais ne peuvent pas varier autant d'un pays à l'autre. On pourrait considérer que, si la France ou l'Allemagne, par exemple, a déjà procédé aux investigations nécessaires, le processus dans les autres pays européens peut être accéléré, d'autant que le sérieux et la qualité des agences nationales et européennes sont mondialement reconnus. Plus ces questions seront traitées au niveau européen, mieux ce sera, y compris pour trouver des alternatives.

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Le règlement SUR est plutôt porteur d'harmonisation, par sa nature-même. Il ne porte pas d'harmonisation sur les molécules et les produits autorisés, mais sur certains points tels que les obligations faites aux États membres en matière de d'enregistrement des données. On pourrait aller plus loin et nous plaiderons dans le rapport en faveur d'une harmonisation totale de la procédure d'autorisation lors de la prochaine législature du Parlement européen. Je note que vous n'y êtes pas hostile.

La phytopharmacovigilance, qui est financée par une taxe sur la phytopharmacie, est une véritable innovation partant du constat humble qu'on ne peut pas tout envisager avant la mise sur le marché et que certains phénomènes imprévus se produisent in vivo. Actuellement, douze molécules font l'objet d'un réexamen – certaines ont été retirées – au titre de la phytopharmacovigilance. Or celle-ci n'existe pas au niveau européen. Dans le cadre des négociations sur le règlement SUR, le Gouvernement compte-t-il promouvoir cette idée, comme il l'a fait pour la reconnaissance du biocontrôle ? Nous n'avons pas senti une grande sensibilité de nos collègues européens à ce sujet. Pourtant il nous semble que cette innovation mérite d'être portée au niveau européen. L'avez-vous envisagé ?

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Marc Fesneau, ministre

Nous ne l'avons pas envisagé mais la piste me semble intéressante. La France est exemplaire en matière de pharmacovigilance mais l'acculturation n'est pas encore à l'œuvre dans certains États membres.

Le règlement SUR ne touche pas à la question des usages des produits phytosanitaires. C'est une lacune regrettable.

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Nous avons demandé à Julien Denormandie pourquoi son PSN avait été recalé par la Commission européenne – vous avez dû le corriger. De nombreux scientifiques et ONG, et une partie des syndicats et du monde du développement considèrent que ce plan, populaire parce qu'il consolide le revenu des agriculteurs, n'a pas été pensé de façon à enclencher la transition agroécologique. C'est pourtant la condition sine qua non pour aller au-delà de 25 % ou 30 % de résultats – que l'on peut espérer atteindre par l'optimisation et les technosolutions. À travers ce plan, n'avons-nous pas raté quelque chose de majeur ? Le cas échéant, sous quelles pressions avez-vous dû renoncer à présenter un PSN plus ambitieux pour la transition sociale et écologique ?

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Marc Fesneau, ministre

Je n'ai pas l'habitude d'être sous des pressions, y compris lorsque j'ai proposé que le bio bénéficie d'un niveau spécifique d'écorégime, avec une différence de 30 euros par hectare.

Tous les PSN d'Europe ont été recalés : jamais la Commission n'approuve directement un plan – heureusement, d'ailleurs. Qu'il y ait du contradictoire est une bonne nouvelle. Le plan français a été un des premiers approuvés, en août 2022 – les derniers l'ont été en avril 2023.

Ce que nous faisons dans l'écorégime, avec les bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE), notamment la BCAE8 relative aux infrastructures écologiques et aux jachères, permet d'engager une trajectoire : en modifiant certaines pratiques agricoles structurelles, celles-ci contribuent aussi à l'objectif de réduction des produits phytosanitaires. Fallait-il faire plus ou différemment ? On peut toujours le dire, mais le PSN, tel qu'il est conçu, contribue bien, lui aussi, aux objectifs de réduction des produits phytosanitaires.

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Il faut comparer les fonds ciblés sur la transition agroécologique – 40 millions pour le plan Écophyto et 30 millions pour les agences de l'eau – aux 600 millions d'euros du PSN ou à l'ensemble des 9 à 10 milliards de la PAC, voire aux 20 milliards qui bénéficient à l'agriculture, si l'on inclut les exemptions fiscales diverses. La part ciblée sur la transition paraît trop faible pour être un levier : tout le monde fait comme d'habitude, ce qui ne contribue pas à créer un changement systémique à la hauteur de notre ambition.

Nous pointons un décalage entre l'ambition affichée de moins 50 % de produits phytosanitaires en 2030 et l'enclenchement d'un PSN tel que nous le connaissons sur quatre ans. Il ne faut pas fixer des objectifs si on ne se donne pas les moyens de les atteindre.

S'agissant du continuum de recherche et développement, une des propositions du plan Écophyto II visait à développer les fermes Dephy, pour passer de 2 000 à 3 000 entités. Par ailleurs, il fixait l'objectif des 30 000 fermes en transition. Or c'est un peu le triangle des Bermudes : les chambres, les instituts, les ministres, tous disent qu'ils ignorent ce que ce projet des 30 000 fermes est devenu. C'est un mystère absolu. L'argent n'a pas été perdu, il n'a pas été mobilisé.

Sur Dephy, il y a eu des injonctions contradictoires entre deux ministres, en peu de temps. Le laboratoire a été rétréci par Julien Denormandie – qui n'a pas su expliquer pourquoi on était passé de 3 000 à 2 000 fermes ni ce que ces 1 000 fermes étaient devenues. Puis le réseau a été à nouveau agrandi par vos soins, et revenu à 3 000 fermes. Pouvez-vous expliquer cette discontinuité ?

Avec les ingénieurs du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), nous avions estimé, d'après le schéma de développement des années 1950 et 1960, qu'un agriculteur engagé en entraînait sept. Environ 200 000 agriculteurs utilisant des produits phytosanitaires en France, on pouvait donc viser 30 000 agriculteurs engagés, en constituant des grappes de dix exploitants autour de chaque ferme Dephy. Ce processus a été peu mis en œuvre, comme d'ailleurs les groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE). Il n'y a pas eu de massification mais personne ne sait en répondre. Que vaut un plan dont les propositions ne sont pas appliquées ? Cela pose des questions en termes de redevabilité et de pilotage.

Pouvez-vous donc nous éclairer sur ces objectifs de 3 000 fermes et 30 000 agriculteurs engagés, dont on n'arrive pas à avoir la moindre évaluation ?

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Marc Fesneau, ministre

Je ne sais pas évaluer le montant des fonds consacrés à la réduction des produits phytosanitaires dans le PSN : les aides au maintien de l'élevage, au maintien des prairies, les infrastructures agroécologiques, le développement d'un plan Protéines végétales, l'obligation de rotation des cultures y contribuent aussi. Le chiffre que vous donnez mériterait donc d'être documenté, collectivement. Des montants bien plus importants contribuent, dans la PAC, à une trajectoire de réduction des produits phytosanitaires par l'intermédiaire d'autres objectifs.

Les fermes Dephy ont prouvé leur efficacité, et vous me trouverez évidemment sur le chemin, y compris dans les moyens supplémentaires que nous avons, pour renouveler la confiance et massifier le réseau. En termes de Nodu, elles obtiennent un niveau moyen de réduction des produits phytopharmaceutiques de 26 %.

L'argent engagé a été bien utilisé mais on a du mal à capitaliser et massifier. Le bouche-à-oreille fonctionne assez bien, dès lors qu'il y a une densité agricole. Je suis donc assez d'accord avec cette capacité de massification.

Je n'ai pas d'avis quant au passage de 3 000 à 2 000 fermes – il y a eu sans doute une tentative de recentrer le réseau sur certaines priorités. Je ne crois pas qu'il y ait de griefs à adresser, y compris à Julien Denormandie. Ce réseau fonctionnant, on a intérêt, dans la stratégie Écophyto 2030, à le densifier. Il faut peut-être un plus grand nombre de fermes, pour renforcer les réseaux de référence.

Le point noir, c'est l'étape d'après. Je n'ai pas la prétention de penser qu'elle est facile et que ce que les autres ont fait était inopérant. Pour moi, la massification passe par le réseau des chambres, très actives dans le réseau Dephy.

L'accompagnement doit être à la fois individuel et collectif. Les agriculteurs ont parfois besoin de se réassurer mutuellement, notamment s'ils travaillent à une reconception de leurs systèmes. Lorsque vous basculez de système, vous connaissez deux ou trois années d'incertitude dans les pratiques et la production. Faut-il lancer des dispositifs d'accompagnement spécifiques ? Nous l'avons fait, par certains dispositifs fiscaux. Il sera utile, y compris dans votre rapport, d'examiner le travail que l'on peut mener.

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La recherche apporte bien des solutions innovantes, comme nous l'ont montré les représentants d'Arvalis et de Terres Inovia que nous avons auditionnés ; le problème, c'est leur massification.

Le levier des chambres doit être financé, mais pas sous la forme actuelle d'un conseil stratégique phytosanitaire banalisé : une demi-journée tous les deux ans et demi, organisée par n'importe quel organisme, cela ne nous paraît pas sérieux. Nous croyons profondément à la mission des chambres pour faire de l'accompagnement en agronomie. Nous l'avons chiffrée, et le montant ne nous paraît pas insupportable : c'est une question de courage politique et d'orientation des financements.

Mais il y a une autre voie, celle des certificats d'économie de produits pharmaceutiques (CEPP), qui faisaient partie des propositions d'Écophyto II en 2014. Or le groupe de travail chargé d'établir un bilan sur la séparation du conseil et de la vente en matière de produits phytosanitaires, que j'ai conduit avec Stéphane Travert, en a révélé l'échec. Si tout le reste ne fonctionne pas plus qu'avant, pour cette initiative, il y a une responsabilité politique majeure.

Selon la direction générale de l'alimentation (DGAL), c'est une question de temps, mais on est dans l'impasse : Seuls 10 % des conseils stratégiques ont été effectués, ce qui va obliger à modifier le décret. En outre, quand il est délivré, ce conseil stratégique semble de médiocre qualité, banalisé. Quant au conseil commercial, il a continué comme avant, en pire, osons-nous dire avec Stéphane Travert, puisqu'il y a une insécurité juridique. Auparavant, il y avait un engagement du vendeur lors de sa prescription, mais aujourd'hui, tout se fait en off, et cela peut mettre en danger les usagers. D'ailleurs, les premières affaires apparaissent.

Parmi les ministres qui vous ont précédé, Stéphane Travert a sûrement donné du temps au temps – lui-même n'était pas très convaincu par cette mesure. Il a concrétisé la promesse présidentielle dans des conditions qui n'ont pas respecté le Parlement, puisque le décret en trahit les intentions et les assurances que le ministre doit. Didier Guillaume pensait peut-être à autre chose. Julien Denormandie a constaté que cela ne fonctionnait pas. Le groupe de travail parlementaire a rendu ses conclusions ; toute la société civile vous le dira : cela ne marche pas. Pourquoi ne faites-vous rien ?

Cela ne peut pas continuer. Les certificats d'économies phytosanitaires sont un levier majeur, une intuition soutenue notamment par des missions interministérielles et par votre serviteur, après des résistances. On peut essayer autre chose, j'en conviens, mais si cela ne fonctionne pas, combien de temps faut-il à la puissance publique pour évaluer le dispositif et revenir sur sa décision ? Qu'entendez-vous faire en la matière ?

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Marc Fesneau, ministre

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous pour considérer le conseil stratégique comme banal. Je dis souvent aux représentants des chambres d'agriculture qu'il ne faut pas le banaliser, sachant tout de même que la multiplication des différents conseils auprès des exploitants – sur les produits phytosanitaires, le carbone, le bien-être, la haie, etc. –, risque de les conduire à en refuser un de plus, surtout s'il y a eu des échecs. Le ministère travaille sur une délivrance de conseils un peu plus globale – la question des phyto n'est pas sans rapport avec celle du carbone, par exemple.

En 2018, j'ai voté ce texte en pensant que c'était une bonne idée. Comme on l'a fait pour la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim), je trouve positif qu'après un premier texte, le législateur en produise un deuxième puis procède à des ajustements dans un troisième, en fonction de la manière dont les acteurs économiques réagissent aux injonctions de la loi. Tout le monde, me semble-t-il, a pensé de bonne foi que la séparation de la vente et du conseil allait fonctionner et que cela allait dans le bon sens.

Nous nous inspirons aussi du rapport que vous avez rédigé avec Stéphane Travert – le travail parlementaire sert à cela – pour en tirer des conclusions. À court terme, il faut en effet modifier le décret pour ne pas placer les agriculteurs dans l'impasse pour le renouvellement de leur certiphyto. Des initiatives législatives devront peut-être être prises pour faire évoluer le dispositif. Pour les CEPP, un décret est en cours d'examen par le Conseil d'État, qui vise à retravailler la question de la sanction financière – un élément moteur, semble-t-il.

C'était un formidable levier, dites-vous, mais ce n'est pas ce que donne à voir la trajectoire du dispositif – il n'a peut-être pas vécu assez longtemps.

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Il a été tué dans l'œuf !

Je suis fier que cette commission d'enquête ait peut-être suscité ou réactivé la publication d'un rapport de l'Inspection des finances et du CGAAER sur l'évaluation des actions financières du programme Écophyto. Nous n'avons pas un mot à y ajouter à ce rapport, tant la sanction est terrible sur l'ensemble de la période concernée. Il avait été publié de façon trop discrète ; nous avons contribué à le remettre au jour, en auditionnant leurs auteurs. Notre commission ne s'appuiera que sur la science et les rapports faits par l'État : cela suffit au plaidoyer.

Un second rapport avait été demandé, sur la séparation du conseil et de la vente, mais il n'a pas été communiqué spontanément – il a fallu procéder à une saisie sur pièces et sur place. Par les chiffres qu'il donnait et la critique du système qu'il comportait, il constituait un élément important pour évaluer la séparation entre le conseil et la vente. Vous objecterez certainement qu'il s'agissait d'un document technique interne. Pour le respect du Parlement, lorsqu'un ancien ministre et un député qui a porté ces questions dans l'hémicycle constituent un groupe de travail sur cette question, il est bon que le Gouvernement communique toutes les pièces à sa disposition. Au printemps et à l'été dernier, nous avons mené des auditions sans avoir eu communication de ce rapport très précieux.

C'est le seul reproche que j'avais à vous faire, mais je ne peux pas l'omettre.

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Marc Fesneau, ministre

Nous en prenons note. Certains rapports sont techniques ou strictement internes : il n'est pas inutile que ceux qui le souhaitent puissent s'exprimer en termes un peu directs pour le ministre. Vous le savez, je ne mets rien sous le tapis. J'essaie de travailler de manière transparente. En outre, je crois que le rapport dont il est question était en cours de finalisation à l'époque où vous le demandiez.

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Notre groupe a commencé ses travaux en mai 2023, alors que le rapport vous a été rendu au début de l'année.

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Le modèle français de 2014 repose sur la fusion de l'analyse et de la gestion du risque au sein d'une agence indépendante – le ministre ne donne plus l'autorisation de mise sur le marché (AMM). Ce modèle vous semble-t-il exportable au niveau européen, à une agence commune à plusieurs pays, voire à l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) ? Le rapporteur et moi avons une sensibilité légèrement différente sur le sujet. Plus d'indépendance dans la décision garantit la confiance, mais moins de responsabilité du politique ajoute cependant à son discrédit. La question est celle de la définition du risque acceptable, et elle est posée politiquement.

Puisque vous dites que l'on ne se passera jamais complètement de chimie, et que cela n'est même pas forcément souhaitable, êtes-vous favorable à un durcissement des règles dans le domaine de la phytopharmacie, par exemple s'agissant des sanctions pour des mises sur le marché de produits non conformes ou du plafonnement des marges, sur le modèle des répartiteurs – les grossistes pharmaciens – dans le domaine de la santé ? Seriez-vous favorable à un dispositif interministériel, avec le ministère de la santé ?

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Marc Fesneau, ministre

Le modèle français de l'Anses est unique. Nous avons construit un dispositif très atypique, notamment en matière d'indépendance. La question ne peut pourtant pas être déliée d'une décision politique. D'ailleurs, la dérogation à 120 jours en est une, bien qu'elle soit posée dans des termes scientifiques et techniques.

Nous sommes sans doute, par nature, les meilleurs en Europe mais il faut se demander pourquoi les autres ont fait différemment – ce qui ne remet pas en cause mon propos liminaire. Je ne sais pas si l'agence que vous évoquez pourrait voir le jour mais il serait intéressant que l'on pose la question au niveau européen, sans l'arrogance qu'ont parfois les Français, en étudiant les différentes façons de fonctionner et en cherchant un modèle conjoint. Tout le monde reconnaît, par ailleurs, le travail de qualité de l'Anses. L'enjeu est plutôt la fusion entre analyse et gestion du risque.

Pour répondre à votre seconde question, j'ai du mal à voir ce qu'un régime durci de sanctions apporterait au système actuel du double regard, européen sur les substances et national sur les autorisations de mise sur le marché – peut-être un renforcement de la responsabilité de ceux qui mettent sur le marché.

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Il s'agit que tous – opérateurs et société civile – intègrent l'idée que le recours aux produits phytopharmaceutiques fait l'objet d'une vigilance, d'une rigueur et d'une exigence comparables à celles qui valent pour les produits de santé.

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Marc Fesneau, ministre

Il est difficile d'avoir une opinion définitive. Sans même une telle disposition, les producteurs sont très vigilants, car ils savent ce que peut entraîner l'usage de ces produits. Souvent, les molécules dont on pense qu'elles ont été interdites n'ont tout simplement pas fait l'objet d'une demande de réhomologation, sans doute pour les motifs que vous évoquez. Une forme de régulation s'est déjà faite, après divers contentieux. En cadrant mieux, on éviterait peut-être que l'incertitude juridique n'incite à ne pas faire de demande de réautorisation. La piste mériterait en tout cas d'être creusée.

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Hier, sur France Info, vous avez considéré que notre pays plutôt tempéré connaît une situation d'« arythmie climatique exacerbée par des phénomènes exceptionnels » et que l'eau va être « trop rare ou trop abondante ». En Bretagne ou dans le Pas-de-Calais, l'eau trop abondante rend plus vulnérables les points de captage et les réseaux d'eau, stratégiques pour la préservation de notre santé environnementale et humaine. Comment assurer leur nécessaire protection, notamment contre les produits phytosanitaires et les conséquences de leur dilution dans la nature ?

De 2015 à 2022, les premières mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) ont connu une dynamique enthousiasmante pour promouvoir les transitions. Dans la deuxième génération programmée, celle de la PAC 2023-2027, le compte n'y est pas et les aides ne sont plus les mêmes, sans doute du fait de la recentralisation du dispositif. La France serait même l'État de l'Union européenne allouant la plus faible part du second pilier aux Maec. Une enveloppe budgétaire supplémentaire est très attendue, comme l'atteste le courrier qu'ont adressé trente-cinq parlementaires bretons. Comment prôner la réduction de l'usage des produits phytosanitaires et laisser le sentiment de ne pas accompagner suffisamment un outil majeur de nos transitions ? La puissance publique porte une forte responsabilité en la matière.

Je voudrais aussi revenir sur la définition du risque acceptable qu'a esquissée M. le président. Entre 2018 et 2023, la France est passée d'une position d'opposition au renouvellement du glyphosate à l'abstention. Pourquoi ? Quelles évolutions de ce produit, du point de vue de l'impact et des usages, ont motivé une telle variation de point de vue ? Sont-elles d'ordre scientifique, économique ou géopolitique ?

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Je regrette votre réponse sur le statut de l'Anses. Julien Denormandie a expliqué hier que personne ne contestait l'avis scientifique rendu par l'Agence mais qu'il fallait parfois prendre des responsabilités quant au maintien d'une filière ou d'une production. Le directeur général de l'Anses a aussi exposé qu'il ne disposait pas d'une faculté d'adaptation des avis scientifiques. Il est problématique qu'un ministre de l'agriculture, dont la marge de manœuvre est déjà fortement diminuée par le transfert des compétences à l'Union européenne, soit bloqué par une administration sur laquelle il n'a pas la main. Quelle est réellement cette marge de manœuvre ?

Même si le rapporteur n'aime pas qu'on en parle, les critères de quantification posent un énorme problème. Vous-même ne semblez pas le voir non plus. Dans mon activité de viticulteur, en sortant des produits CMR, j'ai dégradé mon indice de fréquence de traitement (IFT) et, par nature, le Nodu et la QSA. On apprécie la baisse de l'utilisation des produits phytosanitaires de manière quantitative sans considérer l'aspect qualitatif. Or, quand, pour lutter contre le mildiou, on remplace 200 grammes par hectare d'un produit CMR par 6 ou 10 kilos de soufre par hectare, on augmente forcément la QSA, sans que l'amélioration qualitative soit valorisée : certaines dégradations du Nodu sont vertueuses. Il faut régler ce problème.

Les viticulteurs font face à de graves difficultés économiques : les vignes qui ne sont plus entretenues, donc plus traitées, se multiplient. On ne peut pas se réjouir de la baisse des produits phytosanitaires dans ces conditions.

Enfin, vous vous positionnez sur une ligne de crête, en refusant les interdictions sans solution, pour préserver la production. Mais, contrairement à ce que vous dites, il y a bien eu des interdictions sans solution, avec des menaces sur certaines productions. De plus, vous n'abordez pas la question de la dégradation de la compétitivité. Sur France Info, arguant d'une diminution de 30 % des quantités de glyphosate, vous vous êtes réjoui que la France ait été plus vertueuse que les autres pays. Or les solutions de remplacement sont plus coûteuses, ce qui entraîne une dégradation de la compétitivité de l'agriculture : la production agricole s'effondre en grande partie de ce fait. Les clauses miroirs fonctionnent très peu et ne concernent pas le marché commun, première concurrence de l'agriculture française. Qu'en pensez-vous ?

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Marc Fesneau, ministre

Madame Thomin, j'imagine que vous posez la question de la vulnérabilité des périmètres de protection des captages ou des captages hors inondations. En cas de phénomène cataclysmique, comme les 200 millimètres de précipitations en cinq jours dans le Pas-de-Calais, on ne peut pas garantir tout à tout le monde, tout le temps. Cela ne résoudrait peut-être pas les problèmes d'inondation mais, dans un cycle d'alternance entre trop d'eau et pas assez, la question des retenues se pose, en veillant à ne pas obérer les nappes.

L'axe 3 du plan Écophyto 2030 traite de la protection des aires de captage dans le cadre des changements de pratiques – recours aux haies, réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires, part du bio. Il prévoit une surveillance régulière et un guide de gestion, sachant que les périmètres de protection des captages concernent des millions d'hectares, largement au-delà des châteaux d'eau et des forages. La question doit donc être traitée au niveau des territoires, par des mesures de réduction.

Pour ce qui est des Maec, le résultat n'est pas nécessairement moins bon lorsque c'est l'État qui agit. En tant qu'élu municipal, régional, communautaire, je suis à l'aise pour le dire : j'ai vu des politiques publiques mal déployées par des collectivités territoriales. Personne n'est parfait, ni à l'échelle nationale, ni au niveau déconcentré. Que ce soit tellement mieux quand les collectivités s'en occupent est une fable discutable – mais peut-être le Loir-et-Cher ne se distingue-t-il pas dans ce domaine ? Je fais confiance aux collectivités, qui peuvent être embarquées sur de nombreuses questions, dont celle des captages, mais s'agissant des Maec, il n'y a pas de débat entre l'État et la région, même si la question a pu se poser pour les mesures dites surfaciques.

On donne aux Maec les mêmes moyens que dans la période précédente mais, comme on l'a toujours fait pour les politiques agricoles, on ne reconduit pas les mesures à l'identique. Ces mesures viennent compenser des pertes liées aux changements de pratiques demandés : une fois que le changement est acté sur cinq ou dix ans, on relève les exigences. Sinon, on reste dans un statu quo qui n'est pas souhaitable pour la trajectoire de réduction des phytos.

Nous travaillons à combler certaines lacunes, mais on ne peut pas simplement réclamer 500 millions que l'on considère comme manquants ; il faut faire preuve de responsabilité budgétaire. Nous expertisons notamment les engagements pris par les agences de l'eau : 70 millions par an permettraient de résoudre une grande partie de la question. Certaines régions, comme les Pays de la Loire ou le Centre, n'ont pas débordé leur enveloppe ; la Bretagne l'a presque doublée par rapport à la précédente programmation. Je ne lui en fais pas grief, mais essayons de travailler ensemble à des solutions financières sans « y a qu'à, faut qu'on ». Il est un peu compliqué d'aller chercher 350 millions sachant que l'augmentation des crédits de l'agriculture dédiés à la planification écologique atteint 1,3 milliard – on me l'a presque reproché lors de mon audition au Sénat.

Ce qui a changé, s'agissant du glyphosate, c'est que son utilisation a été réduite de 30 %. Nous avons étudié ce qu'en dit l'Efsa, qui est à l'origine de la proposition de la Commission et qui s'inspire aussi de travaux de l'Anses. Malgré tout, ces éléments nouveaux ne nous ont pas empêchés d'essayer de trouver une trajectoire de réduction du glyphosate.

La position de la France est de dire qu'on ne peut pas interdire entièrement le glyphosate car on constate de vraies impasses dans certains cas. Bien des solutions de réduction existent, qui ne passent pas par une baisse de la compétitivité. Depuis très longtemps, les communes ont réduit les usages dans les espaces communaux et privés. Le risque est d'ailleurs davantage présent dans cette sphère, car les usagers sont souvent mal renseignés sur la façon dont il faut appliquer les produits.

Monsieur de Fournas, il faut que l'Anses puisse travailler dans une logique de responsabilité. Sur le prosulfocarbe, elle a mené un travail intelligent d'évolution des pratiques et de prescription d'usages, qui permet de réduire sans interdire. Croyez-le, l'Anses évalue globalement les effets des molécules ; elle l'a fait dans ce cas. Il me semble donc que, nonobstant la spécificité de son modèle relevée par le président Descrozaille, revenir dessus serait une erreur. À la fin, les dérogations sont une décision politique. Les discussions sur les usages, pour réduire les effets nocifs, comme la volatilité du prosulfocarbe, sont un travail technique mené avec les instituts. En l'occurrence, nous avons défini une trajectoire de réduction des usages et de limitation des contraintes que subissent les voisins. La méthode me paraît plutôt bonne.

Je vois bien les effets de bord des indicateurs, Nodu et autres IFT, mais ce sont ceux qui ont été choisis il y a une dizaine d'années pour quantifier une trajectoire ; on ne peut pas les faire évoluer en plein milieu. Je ne vois d'ailleurs pas quel autre modèle permettrait de quantifier la réduction devant l'opinion publique, les agriculteurs et la puissance publique.

Il est exact que, dans certains cas, les interdictions dégradent notre souveraineté. La réduction de l'utilisation des phyto nous amène à changer du tout au tout un modèle qui avait prouvé son caractère performant : une maladie, un produit – en préventif ou en curatif. Il ne faut pas faire grief aux seuls agriculteurs de l'avoir utilisé : tout le monde devrait étudier les raisons pour lesquelles on l'a fait à l'époque. Toujours est-il qu'on en connaît les conséquences sur les captages, dont les ONG, mais aussi les collectivités et les citoyens demandent la protection. Si on ne veut pas que ce changement crée des impasses, y compris économiques – je suis très vigilant sur ce point –, il faut non seulement accompagner les transitions, mais les anticiper.

Il n'y a rien de pire que ce que l'on a fait pour la cerise – ça continue de m'énerver tous les jours. Des producteurs me demandent encore pourquoi nous avons interdit un produit qui marchait ; c'était tout simplement parce que c'était un cancérigène avéré. Je ne reviendrai pas sur cette interdiction au nom de la souveraineté. Mais si, il y a dix ans, on avait cherché des solutions alternatives contre la drosophile suzukii, cela aurait été préférable. Ce sont ces situations-là qui ont des conséquences sur la souveraineté.

De même, on a lu à longueur de tribune qu'il existait des alternatives aux néonics. À la vérité, aujourd'hui, on n'a pas de solution totalement opérante face à la jaunisse – je dis bien « totalement ». Il y a peu de métiers où on dise aux professionnels : « Vous allez perdre 30 % de votre production cette année, mais ce n'est pas grave, le modèle va tenir ! » Non, il ne tiendra pas ! Aucune entreprise ne peut supporter une baisse de production erratique – jusqu'à 60 % en 2020. Cela fait s'effondrer le système économique. C'est ce qu'il faut éviter – sur ce point, je suis d'accord avec vous – en anticipant.

De ce point de vue, le plan national de recherche et d'innovation (PNRI) betteraves est exemplaire : pour le faire, on a mis tout le monde autour de la table, notamment tous les acteurs de la chaîne.

Parfois, il existe effectivement un surcoût, en raison d'exigences supplémentaires. Sur ce point, il y a un débat à avoir au sujet de la chaîne de valeur. Les grands distributeurs et les transformateurs ont leur part de responsabilité. Le coût des nouvelles exigences ne peut pas être à la charge des seuls agriculteurs ; ce n'est d'ailleurs pas l'objectif de la loi Egalim. Il faut un débat dans l'opinion publique et que, en responsabilité, on dise que la qualité a un coût, donc un prix. Je ne sous-estime pas les problèmes de pouvoir d'achat de nos compatriotes ; c'est un autre sujet, social, qu'il faut également traiter. Mais la grande distribution et certains opérateurs nous ont vendu l'idée que le bon prix était le prix le plus bas. La compétitivité ? Nous faisons une agriculture différente de celle de la plupart des autres pays. Mon compétiteur n'est pas le Brésil, mais nos voisins européens. Dans cette affaire, il faut toujours poser la question de la rémunération. On me dit que ce n'est pas grave, que les consommateurs paieront, mais la grande distribution ne joue pas le jeu.

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Je lirai d'abord la question de Nicole Le Peih.

Les agriculteurs, notamment les jeunes générations, sont conscients de la nécessité de réduire l'utilisation des produits phyto. Vous avez parlé de solutions combinatoires. Les Jeunes agriculteurs ont participé à un essai d'utilisation de matériel robotisé dans une exploitation. La coopérative Demeter a utilisé un matériel tracté et bourré de capteurs repérant des adventices de la taille d'un ongle afin de pouvoir y déposer une goutte d'herbicide au lieu de pulvériser sur 70 centimètres de large. Le coût de la machine, qui avance tout doucement, est de 600 000 euros : même en coopérative d'utilisation de matériel agricole (Cuma), comment faire ? Comment accompagner les agriculteurs pour ce type d'investissement ?

J'en viens à mes propres questions.

Il peut exister des solutions contre les parasites, mais qu'est-ce qui fait qu'elles ne sont pas utilisées alors que les producteurs le demandent, et dans quel délai pourraient-elles l'être ? Je pense, par exemple, aux insectes évoqués par l'Association nationale pommes poires pour lutter contre la punaise diabolique.

Le label HVE comprend quatre briques, dont une concernant les phyto. Que pensez-vous de l'idée de le développer pour réduire l'usage de ces produits ?

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Vous dites que les interdictions ont des effets sur notre souveraineté alimentaire. On voit des produits qui ne souffrent pas d'interdictions mais sont en grande difficulté. Pourriez-vous donner des exemples de difficultés d'une filière directement liées à une interdiction ?

Je pense, pour ma part, à l'arrêt, en 2017, du système de quotas appliqué aux betteraves, qui garantissait des prix rémunérateurs aux producteurs. Les cours de la betterave ont chuté et les betteraviers ont cherché à retrouver des marges en maximisant les rendements, ce qui n'est possible qu'avec les néonicotinoïdes. N'aurait-on pas pu maintenir à la fois notre souveraineté alimentaire et des objectifs sanitaires et écologiques ?

Vous mentionnez la nécessité d'anticiper et, pour cela, d'accélérer la recherche d'alternatives aux produits phytosanitaires. Là, je songe au S-métolachlore, dont l'autorisation a été prolongée jusqu'en novembre 2024. On connaît depuis 2004, avant la première commercialisation des produits à base de cette substance, leur dangerosité : à l'époque, la Commission européenne alertait déjà les États membres sur le potentiel de contamination des eaux souterraines par ses principaux métabolites. Les risques et les difficultés liés à l'utilisation du S-métolachlore sont donc tout à fait prévisibles. N'est-ce pas la responsabilité de la puissance publique que de les anticiper au lieu de reporter l'interdiction année après année ?

En ce qui concerne l'obligation de moyens et les quelques dizaines de millions investis dans le plan Écophyto, à comparer aux milliards de la PAC, vous dites que l'on ne peut pas évaluer exactement les financements fléchés vers la transition écologique. C'est un peu étonnant, d'autant qu'il s'agit de chiffres qu'un ministre souhaite généralement mettre en avant. Comment l'expliquer ? Votre ministère n'y travaille-t-il pas ?

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Marc Fesneau, ministre

Si j'étais taquin, je vous répondrais que la conditionnalité des aides de la PAC est pour tout le monde. Dès lors, comment quantifier ? Pourquoi parler de 600 millions plutôt que de 100 millions ou 7 milliards ? Comment comptabiliser le fait de favoriser le système herbager ? En comptant un ratio, une part de l'aide au maintien de la surface herbagère ? Et les mesures concernant les haies, quelle part en affecter à l'atteinte des objectifs phyto, des objectifs carbone, des objectifs de biodiversité ? Mieux vaut essayer de faire en sorte que la PAC contribue bien aux objectifs que nous nous fixons – de fait, il me semble qu'elle est plutôt sur cette trajectoire.

Ce que vous dites de l'anticipation correspond exactement à ce que nous essayons de changer dans Écophyto 2030. En ce qui concerne le S-métolachlore – qui a fait l'objet d'une controverse avec M. Potier –, soit on respecte les décisions de l'Anses, soit non. Au printemps, l'Anses a pris la décision éclairée d'interdire les produits. L'Efsa a dit la même chose. Que l'on ne nous reproche pas ensuite de dire que l'Anses a été trop lente, ou alors il faut challenger l'agence en permanence, et c'est un autre débat. C'est bien pour anticiper que nous travaillons en task force, pour examiner les questions qui se posent à propos d'une molécule, même lorsqu'on n'a pas encore la réponse.

Quant aux moyens, je rappelle que nous mettons 250 millions par an en plus des 70 millions venant de la RPD. À ce propos, il faut vérifier que les montants servent bien la trajectoire : il n'est pas illégitime que les agriculteurs se demandent à quoi vont les 110 millions restants de RPD. En tout cas, il ne s'agit pas de quelques millions : en plus de ce qui relève de la PAC, ce montant est spécifiquement destiné à la réduction des phyto.

Je maintiens que des interdictions sans anticipation créent des problèmes de souveraineté. Bien que le prix de la betterave soit aujourd'hui élevé, donc incitatif comme au temps des quotas, les betteraviers que je rencontre – des vraies gens – ne veulent pas risquer de perdre 40 % de leur récolte à cause de la jaunisse. Je le répète, il n'y a pas de modèle économique qui tienne dans ces conditions. Je parle d'économie classique, pas hyperlibérale. Si on perd de l'argent tous les ans, on va cultiver autre chose ; c'est normal. La sole betteravière a baissé de plusieurs dizaines de milliers d'hectares. L'enjeu principal n'est pas la rémunération, mais l'impasse technique. Dans certains départements, des agriculteurs ont perdu 80 % de leur production de cerises à cause de la drosophile. Et qui va payer ? Le consommateur ? Il va débourser 50 euros le kilo parce que la récolte est toute rabougrie ? Il faut des moyens de lutte – qui peuvent être des solutions de biocontrôle – pour se préserver des fluctuations de prix. L'inflation, cette année, du prix de l'huile d'olive, des oranges ou du sucre vient ou d'impasses techniques ou du dérèglement climatique. Vous voyez que l'on peut citer des exemples concrets – mais je n'en fais pas une généralité. On peut trouver des moyens de réduire l'usage des produits tout en préservant notre souveraineté et notre compétitivité ; en tout cas, ce dernier mot ne me choque pas.

En ce qui concerne la question de Mme Le Peih, les robots sont des outils importants, une des voies à emprunter, que nous finançons en partie par France 2030. Dans les secteurs évoqués, ils permettent de réduire de 60 % à 80 % l'utilisation des phyto.

Quant aux solutions de lutte contre les parasites comme la punaise diabolique, il y a beaucoup de fantasmes, sur le thème « j'ai vu quelqu'un qui a vu quelqu'un qui a vu quelqu'un en Italie qui lui a dit que telle molécule… » – et lorsqu'on y regarde de plus près, ce n'est généralement pas tout à fait ça ; la molécule mentionnée est interdite, par exemple ; le produit n'existe plus depuis longtemps dans le pays cité. Sans parler des fraudes, qui sont un autre sujet. Bien sûr, quand nous pouvons activer des dérogations, nous le faisons pour ne pas laisser les gens dans l'impasse.

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En l'occurrence, je faisais référence à des insectes macrophages.

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Marc Fesneau, ministre

Nous étudierons le sujet.

La certification HVE exclut le recours aux produits phyto classés CMR1, valorise la non-utilisation des CMR2, permet de travailler sur les IFT malgré les biais évoqués par M. de Fournas : ce label contribue à l'objectif visé. Il a été vilipendé, mais il s'agit d'une voie intéressante d'amélioration des pratiques dans un contexte de transition. Il ne faut pas s'en priver.

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Il est bon de rappeler que notre agriculture est l'une des meilleures au monde.

Je ne connais pas d'agriculteur qui utilise des produits phyto par plaisir. Reconception du modèle, soit, mais le défi d'entraînement ne marche pas à tous les coups : dans l'organisation de producteurs dont je fais partie, trois sur douze se sont convertis au bio il y a quelques années, mais, faute d'acheteurs et de consommateurs, certains retournent au conventionnel. Produire bio n'est pas produire sans traitement, et cela implique plus de travail manuel, des impasses techniques, des pertes, des déclassements. Personnellement, j'ai arraché la moitié de mon verger et la quasi-totalité de mes cerisiers en quelques années : face aux impasses, il faut changer les variétés, ce qui n'est pas si facile. Les producteurs produisent ce qui se vend ; or la majorité des consommateurs va vers les promotions. Ne faut-il pas commencer par éduquer les acheteurs et les consommateurs à accepter les fruits et légumes « moches » ? Est-il raisonnable d'imposer aux agriculteurs le cahier des charges des grands magasins, d'exiger d'eux des fruits d'apparence impeccable sans pesticides ? En clair, les Français sont-ils prêts, eux, à reconcevoir le modèle économique et à payer le prix juste pour une nourriture d'aspect différent ?

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Comment concevez-vous la relation entre les agriculteurs et les instituts de recherche ou les agences ? Votre prédécesseur regrettait hier que la défiance se soit installée entre eux.

Comment voyez-vous l'avenir qu'ouvrent à l'agriculture des innovations telles que l'IA ou la robotique ? Y croyez-vous au point que l'on puisse envisager un effort de guerre pour accélérer les transitions ?

Les clauses miroirs ne sont pas applicables au sein de l'UE, mais ne serait-ce pas souhaitable qu'elles le soient ? Si oui, comment ?

Pourriez-vous citer un pays inspirant en matière agricole ?

En ce qui concerne le glyphosate, l'agriculture de conservation des sols, dont je parle beaucoup dans le rapport d'information paru en 2020 – j'invite notre collègue à le lire pour comprendre ce qui s'est passé depuis 2018 –, permet d'émettre trois fois moins de CO2, mais nécessite souvent un petit coup de glyphosate à un moment donné. Pourtant, son bilan global est vertueux ; pour le sol, il est même préférable à celui de l'agriculture biologique.

Ce matin, les vingt-sept États membres ne se sont pas mis d'accord sur la réautorisation du glyphosate. J'aurais souhaité connaître votre réaction à chaud. Il semblerait qu'il appartienne désormais à la Commission de trancher. Comment voyez-vous les choses ?

Je profite de l'occasion pour vous renouveler mon invitation à venir rencontrer la coopérative de ma circonscription qui réunit 150 arboriculteurs et à visiter son verger exploratoire, très intéressant du point de vue des questions dont nous parlons.

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Le HVE est exploité pour dévaloriser le bio. La filière Carrefour exigerait des producteurs bio qu'ils aient, en plus, la certification HVE. C'est incroyable !

Nous sommes tous d'accord sur la nécessité d'une transition écologique des exploitations et d'une transformation des modes de production ; le problème, c'est qu'il faut des leviers. Les agriculteurs ont conscience de cette nécessité, mais ils ont besoin de leur revenu. Or, contrairement à ce que vous avez dit, les écorégimes ne créent pas un levier suffisant pour passer du niveau 1 – auquel se situe la quasi-totalité des agriculteurs français – au niveau 2. Les chercheurs le disent, les organisations agricoles aussi.

À des producteurs qui ont investi pour transformer leur mode de production, on dit maintenant qu'on n'a pas l'argent pour être à la hauteur. Votre problème, c'est qu'en ce qui concerne le financement des Maec par les agences de l'eau, vous avez une politique budgétaire de vases communicants. Et de l'autre côté, celui des écorégimes, on ne veut pas toucher à la grande masse, parce que des pressions s'exercent – on sait comment cela fonctionne dans ce pays, je ne vais pas vous faire un dessin.

Enfin, je veux insister sur le problème de l'usage des pesticides. Les ouvriers agricoles embauchés directement ou par l'intermédiaire des agences d'intérim, ces espèces de mafias, utilisent ces produits sans être formés ; ce n'est pas normal.

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Marc Fesneau, ministre

Monsieur Martineau, la question est de savoir si l'alimentation est un levier de transformation de l'agriculture. La perception des fruits « moches » peut changer, mais, là encore, cela relève de la responsabilité de la grande distribution. Quand tout allait bien, il y avait du bio plein les étals ; maintenant que le marché se rétracte, il y en a un demi-rang caché dans un coin, ce qui garantit que la consommation ne va pas se développer. Une partie du gaspillage alimentaire est liée au calibrage : c'est moche, ça part à la poubelle – dans un monde où les gens n'ont pas les moyens et où on ne cesse d'expliquer qu'il faut utiliser au mieux les facteurs de production ! Comment éviter ce gaspillage ? Ce doit être un élément de notre stratégie concernant l'alimentation : nous ferions mieux de nous poser cette question plutôt que celle d'un repas végétarien une fois par semaine.

Monsieur Fugit, cela fait trop longtemps que je dois répondre à votre invitation ; je vais m'efforcer de le faire.

Julien Denormandie a eu raison d'évoquer la disjonction entre agriculteurs et recherche fondamentale. Les premiers reprochent – à tort – à la seconde de ne pas être sur le terrain. L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) font partie des instituts les plus puissants du monde en matière de recherche et d'innovation.

Nous avons travaillé sur le PNRI avec les directeurs de recherche de l'Inrae et les instituts techniques, dont celui de la betterave. Comment massifier ? Les freins peuvent être économiques ou liés aux habitudes.

Je l'ai dit, nous avons besoin de la robotique. Il ne faudra pas non plus – cela fera l'objet d'un débat européen – se priver des nouvelles techniques de sélection des plantes (NBT, pour New Breeding Techniques ) ni des nouvelles techniques génomiques (NGT, pour New Genomic Techniques ) pour assurer la résistance des plantes. Sinon, avec zéro phyto, zéro NBT, zéro NGT, rien ne poussera – j'ai un jardin, on ne va pas se raconter d'histoires.

En ce qui concerne les clauses miroirs, je suis en désaccord total avec vous. Si on va par-là, l'Europe est finie. Dans le contexte du dérèglement climatique, nous aurons intérêt à développer des coopérations au sein de l'Europe et même au-delà de ses frontières. Cette année, nous ne pouvons pas couvrir les besoins en blé dur, voire en blé tendre, d'une partie de l'Europe. Ne nous mettons donc pas trop d'entraves.

Un pays inspirant en matière agricole ? Je ne vois pas quel pays fait mieux que la France. Il faut le dire à nos agriculteurs, d'ailleurs. Mes homologues étrangers sont étonnés des débats internes que nous avons, nous si avancés à leurs yeux. Il faut cesser de dénigrer l'agriculture, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'a pas de progrès à faire et qu'il ne faut pas encourager la transition. Même au bio, on reproche d'utiliser des produits – mais oui, il en utilise, et ils sont parfois toxiques, bien que naturels, quand ils sont employés à haute dose, comme pour tout. Bien sûr, le modèle français doit rester viable économiquement pour continuer d'être une source d'inspiration.

Quant au glyphosate, à la suite du vote, conforme à ce qu'il avait été la fois précédente, la Commission vient d'en annoncer la réautorisation pour dix ans. De notre côté, nous continuerons notre trajectoire d'efforts ; nous n'allons pas revenir en arrière.

Que faire pour l'agriculture de conservation des sols ? Vous avez raison, elle présente de très nombreux avantages en matière de stockage du carbone, de l'eau et de qualité des sols ; elle est utile à la reconception du modèle, notamment en ce qui concerne le matériel. Je ne vois pas d'alternative au glyphosate dans cette situation – on en trouvera peut-être une, mais il faut rester prudent.

Monsieur Chassaigne, ce que vous dites du bio et de la HVE relève de la grande distribution, non du consommateur : celui qui veut du bio ne cherchera pas le label HVE. Il faut donc en parler avec les distributeurs. En tout cas, ce serait une erreur d'espérer gagner des parts de marché en dévalorisant les autres critères que le bio. La HVE est autre chose, mais contribue à la trajectoire.

Concernant les écorégimes, il y a plus d'agriculteurs en niveau 2 qu'en niveau 1. Ce sont 94 % des agriculteurs français qui sont entrés dans le dispositif, ce qui pose d'ailleurs des problèmes de régulation. Les Allemands, qui ont fait un autre choix, n'en ont que 60 %, ce qui induit des difficultés budgétaires. L'intérêt de l'écorégime est de permettre à chacun de prendre sa marche.

Enfin, la formation à l'utilisation des phyto est effectivement nécessaire, y compris dans les communes. C'est parfois l'employeur qui ne fait pas attention, parfois le salarié lui-même, notamment quand il intervient de façon ponctuelle dans une exploitation.

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Merci beaucoup, monsieur le ministre, pour le temps que vous nous avez consacré, pour votre engagement et pour la précision de vos réponses. Je laisse M. le rapporteur conclure.

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Merci pour la qualité de ce dialogue – elle n'est pas une surprise –, que nous aurions aimé prolonger. Le pilotage global de la politique de réduction des phytos et les circuits financiers ne nous paraissent pas du tout adaptés. Nous allons donc essayer de suggérer des modifications d'Écophyto. Il n'est jamais facile pour les institutions de se remettre en cause, mais peut-être notre audace vous aidera-t-elle à prendre les bonnes décisions.

Je ferai deux suggestions très simples pour soutenir l'agriculture bio, qui a bien besoin de signaux positifs. Premièrement, on ne peut pas demander à un paysan bio de payer en plus une certification HVE pour pouvoir distribuer sa production en supermarché. Indépendamment du fait que je milite pour une réforme du label HVE qui le rendrait plus exigeant, je souhaiterais donc, par mesure de simplification, que le bio soit automatiquement considéré comme HVE.

Deuxièmement, les pertes de récoltes bio à cause de la volatilité du prosulfocarbe, qui ne sont pas couvertes faute de pouvoir engager la responsabilité civile de l'utilisateur, devraient l'être par les fonds de garantie existants ou par un fonds que l'on créerait à cet effet.

Nous comptons sur vous, monsieur le ministre.

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Marc Fesneau, ministre

Le second point est prévu dans Écophyto. Quant au premier, il y va de la relation commerciale. Peut-on empêcher une entreprise d'exiger tel ou tel critère ? Mais je suis d'accord avec vous.

Puis, la commission procède à l'audition de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture entre 2012 et 2017.

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Nous achevons nos travaux ce matin avec l'audition de M. Stéphane Le Foll, qui a été ministre de l'agriculture pendant toute la durée du quinquennat de François Hollande, soit de 2012 à 2017.

Monsieur le ministre, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Je dois d'emblée souligner que votre longévité au poste de ministre de l'agriculture a été exceptionnelle. Vous avez ainsi été aux fonctions pendant près de la moitié de la période qui intéresse notre commission d'enquête, soit la période ouverte à partir du constat d'échec du plan Écophyto arrêté à la suite du Grenelle de l'environnement et celle de la mise en route du plan Écophyto II, dans la foulée du rapport de notre collègue et rapporteur actuel Dominique Potier.

Nous sommes particulièrement intéressés par votre témoignage, s'agissant de votre interprétation de cet échec et en tant qu'acteur de la mise en œuvre d'Écophyto II. Avez-vous compris pendant le quinquennat que ce second plan ne réussirait pas non plus ? Si oui, à la faveur de quoi ? Comment avez-vous appréhendé la dimension interministérielle de ce plan ? Il apparaît que la France a des difficultés à conduire des politiques publiques d'une telle dimension.

Je vais vous laisser la parole pour un propos introductif d'une dizaine de minutes maximum, qui sera l'occasion de commencer à nous donner votre regard sur ces questions.

Auparavant, je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

Je vous rappelle également que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Stéphane Le Foll prête serment)

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Stéphane Le Foll, ancien ministre de l'agriculture entre 2012 et 2017

Je vais essayer, en dix minutes, de vous rappeler ce que j'ai fait, pourquoi je l'ai fait et quel était l'objectif stratégique que je poursuivais.

J'avais retiré de mon expérience de vice-président de la commission de l'agriculture et du développement rural au Parlement européen l'idée selon laquelle la baisse du recours aux produits phytosanitaires ne pouvait se contenter d'interdire des produits sans penser à changer de modèle de production. Chaque modèle répond à des critères. Ainsi le modèle d'agriculture conventionnelle avait-il sa propre logique de production, de spécialisation et d'utilisation de produits phytosanitaires. La première « révolution verte » combinait la chimie, les machines et la génétique. Cela a eu des résultats en matière de production dans beaucoup de domaines, mais a eu pour inconvénient de produire de nombreuses externalités négatives, en matière d'environnement, de santé, mais surtout de biodiversité.

Lorsque j'ai été nommé ministre, la première étape a consisté à négocier une nouvelle politique agricole commune (PAC). Je vous rappelle le contexte : le commissaire européen à l'agriculture et au développement rural Dacian Cioloş avait posé les bases du « verdissement de la PAC », aux termes duquel les pays membres de l'Union européenne devaient allouer 30 % de leur aide au revenu au verdissement. Lorsque les négociations débutent, il est plutôt question de 10 % et l'Allemagne, ainsi que d'autres pays, pèsent pour que le choix des actions proposées dans le cadre du verdissement revienne à chaque pays : c'est-à-dire qu'il suffisait de respecter deux critères parmi douze pour que l'action nationale relève du verdissement. Le critère « méthanisation » donnait par exemple un avantage direct à l'Allemagne, qui ne devait plus qu'en cocher un. Nous avons fait évoluer tout cela. L'action de la France et le poids de son agriculture ont fait revenir l'Union européenne (UE) sur une PAC avec du verdissement et 30 % des moyens alloués à celui-ci. J'ai écrit un livre à ce sujet, La première graine, et il existe même un documentaire, « La négociation », dans lesquels vous constaterez que la négociation avait été menée suivant cet objectif, que nous avons atteint.

La deuxième étape a consisté à rédiger une loi intégrant la logique qui était la mienne : faire évoluer les modèles de production pour atteindre des résultats en matière écologique, économique et sociale à la hauteur de l'ambition que je portais alors. C'est la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, dite loi d'avenir, laquelle a été votée, je le rappelle, par le groupe socialiste, le groupe communiste, le groupe écologiste et par le groupe des centristes de l'Union des démocrates et indépendants (UDI). Cette loi devait contribuer au développement de l'agroécologie, un concept que je défendais et qui était à l'époque, certes ancien en matière scientifique, mais nouveau en matière politique. Aujourd'hui, je constate non seulement que le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) inclut l'agroécologie parmi les moyens d'atteindre la neutralité carbone, mais aussi que dans les débats qui opposent agriculture conventionnelle et agriculture biologique, il est de plus en plus question d'agroécologie – c'est tant mieux.

À la suite du Grenelle de l'environnement, qui avait donné lieu au premier plan Écophyto, lequel avait produit des résultats certes intéressants, grâce aux 3 000 fermes Dephy – 12 % de baisse dans le recours aux produits phytosanitaires –, mais qui restaient limités à celles-ci, et du rapport « Pesticides et agroécologie : les champs du possible » présenté par Dominique Potier, j'ai donc lancé le plan Écophyto II. Il visait à aller au-delà, en prenant en considération ce qui avait été déjà fait par Michel Barnier après le Grenelle et ce que nous devions faire afin de réussir une baisse significative du recours aux produits phytosanitaires. À ce sujet, je rappelle que la France avait été le seul pays à fixer des objectifs chiffrés : une première baisse de 25 % dans le recours aux produits phytosanitaires entre 2015 et 2020 par rapport à la référence 2008, suivie d'une seconde baisse de 25 % entre 2020 et 2025.

Je vais entrer dans les détails du plan, cela vous permettra peut-être de comprendre pourquoi il a échoué.

Le plan Écophyto II reposait sur trois piliers. Le premier avait été initié par Dominique Potier qui, constatant la baisse réalisée par les 3 000 fermes Dephy, souhaitait multiplier celles-ci par dix et atteindre 30 000 fermes, c'est-à-dire 10 % des exploitations agricoles françaises. Le deuxième pilier s'appuyait sur la recherche d'alternatives aux produits chimiques, dans le sillage direct des dispositions de la loi d'avenir : le biocontrôle, les biostimulants et les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP), lesquelles ont occupé quelques soirées de travail, avec André Chassaigne entre autres... Le troisième pilier prenait la forme des certificats d'économie de produits phytosanitaires (CEPP), qui m'avaient été proposés par Marion Guillou lors de ma nomination et qui calquaient le dispositif existant des certificats d'économies d'énergie (CEE). Ils devaient inciter à la recherche d'alternatives. Lorsque j'observe les débats contemporains sur les produits phytosanitaires, je constate qu'il est toujours question de supprimer des molécules, pour lesquels il n'y a pas d'alternatives : le véritable sujet est de trouver des alternatives.

Le plan fixait donc un objectif de baisse de 25 % qui s'adressait aux vendeurs des produits phytosanitaires, en les incitant à proposer des alternatives grâce au mécanisme des CEPP. Si l'objectif n'était pas atteint, il était prévu une taxe sur le nombre de doses unité (Nodu) pour les vendeurs de produits phytosanitaires. Cette taxe, initialement fixée à 11 euros le Nodu, serait finalement de 5 euros à la suite de négociations, pendant près d'un an, avec la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). Le plan était cohérent et financé par une taxe sur les pollutions diffuses, à hauteur de quarante millions d'euros, auxquels nous avions ajouté trente millions d'euros.

Le rapport de Dominique Potier est présenté au Premier ministre le 23 décembre 2014, un cadeau de Noël pour le ministre de l'agriculture, que j'ai placé sous mon sapin. La présentation en janvier 2015 du plan Écophyto II a été suivie d'une concertation en juin, puis d'une présentation de la version définitive du plan en octobre, accompagnée des ordonnances et arrêtés relatifs aux CEPP. Ceux-ci ont fait l'objet d'un recours déposé par les distributeurs de produits phytosanitaires et les négociants – Fédération du négoce agricole (FNA) et Coop de France –, lequel a conduit à une remise en cause des CEPP pour des raisons de procédure juridique. Le troisième pilier du plan Écophyto II, c'est-à-dire la stimulation de la recherche d'alternatives aux produits chimiques, était ainsi remis en question. Nous avons réussi à réintégrer les CEPP dans une proposition de loi présentée par Dominique Potier qui a été adoptée en 2017 dans les derniers jours du quinquennat.

La structure du plan Écophyto II intégrait donc les CEPP comme mécanisme de stimulation de la recherche d'alternatives. Certes, il aurait été possible d'augmenter les taxes sur les produits phytosanitaires. La mesure avait été proposée et débattue : les rendre plus chers aurait suffi à les abandonner et conduit à trouver des alternatives. Mais on sortait de six crises agricoles : crise porcine, crise laitière, crise de la fièvre catarrhale ovine (FCO), crise de la grippe aviaire, crise de l'œuf et crise des céréales. J'ai d'ailleurs plaisanté à l'occasion d'une assemblée générale de Sodiaal au Mans en constatant que la tonne de lait était aujourd'hui à 400 euros, alors qu'elle valait entre 240 et 260 euros lorsque j'étais ministre : il était temps que je parte pour faire remonter les prix.

Avec la suppression, par la loi Egalim, de la taxe prévue en cas de non-atteinte de l'objectif des 25 % de baisse, il était évident que l'incitation perdrait de sa force. Certes, et comme l'a rappelé le ministre Marc Fesneau, un nombre non négligeable de molécules dangereuses ont été éliminées, mais un enjeu quantitatif demeure : il faut éviter de se retrouver sans alternative à la suppression ou l'interdiction d'un produit. Cela implique de retrouver un mécanisme qui incite à la recherche d'alternatives.

Je terminerai sur un point qui me semble très important, celui de la mesure des effets de l'utilisation des produits phytosanitaires. Le Nodu, en vigueur seulement en France, présente un défaut : il considère les quantités globales sans examiner la qualité des produits utilisés. Il ne permet pas de savoir si ceux-ci sont moins dangereux pour la santé humaine ou la biodiversité. Ainsi, l'agriculture biologique a recours au cuivre pour lutter contre les champignons ; or le Nodu prend en considération le cuivre. Quel est notre objectif ? Lorsque j'ai été nommé ministre, 3,5 % de la surface agricole utile étaient exploités en agriculture biologique ; lorsque j'ai quitté mes fonctions, nous étions passés à 7 % ; aujourd'hui, nous sommes autour de 10 %. Comment se fait-il que le triplement de la surface exploitée en agriculture biologique s'accompagne d'une augmentation des Nodu ? Il y a quelque chose dans la mesure qui ne va pas.

Pour résumer, on ne peut réfléchir à la baisse de l'utilisation des produits chimiques sans réfléchir à un changement de modèle – cela semble à peu près acquis. Et si vous souhaitez être efficace, il faut prévoir un mécanisme qui oblige à chercher des alternatives. Car, non, remplacer chaque molécule par une autre n'est pas une nécessité ! Prenons l'exemple de la viticulture : hier, le président du conseil départemental de l'Hérault m'a expliqué que lorsqu'ils avaient commencé à mettre en place des incitations au recours au biocontrôle, notamment l'usage des phéromones pour limiter les parasites, cela portait sur 300 hectares ; aujourd'hui, 12 000 hectares de vignes ont recours à ce que l'on appelle joliment la « confusion sexuelle ».

En conclusion, il est impératif de prévoir un mécanisme incitatif et la mesure utilisée pose un problème – le Nodu a un biais qu'il faut corriger. Du reste, dans le comité de suivi du plan Écophyto II que Dominique Potier avait piloté, la possibilité de changer d'indicateur avait été évoquée. Il avait été décidé de conserver le Nodu, mais de réfléchir à un indicateur qui prenne en compte l'aspect qualitatif des produits utilisés. Qu'une substance moins nocive, que ce soit en matière de santé humaine ou de biodiversité, remplace une substance plus nocive doit être pris en considération.

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Cet historique, très lisible et argumenté, était passionnant.

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Cette matinée est importante, car nous avons d'abord auditionné le ministre en exercice, Marc Fesneau, et nous entendons à présent le ministre qui l'a été il y a dix ans. La borne des dix ans nous invite à relire cette décennie, qui a été en grande partie perdue du point de vue des objectifs que nous nous étions fixés. Nous sommes partis du rapport « Pesticides : Effets sur la santé » publié en 2013 par l'Inserm, qui alertait sur la prévalence de certaines maladies liées à l'exposition aux produits phytosanitaires, et nous inscrivons dans la perspective du plan Écophyto 2030, en cours de préparation, et de la proposition de la Commission européenne de règlement sur l'usage durable des pesticides (SUR). L'ancien député européen que vous êtes n'ignore pas qu'un règlement est plus puissant qu'une directive pour mobiliser l'UE sur un sujet.

Merci non seulement pour ce retour sur votre engagement dans la négociation de la PAC, en matière sociale et écologique, son verdissement et la répartition des aides – avec des débouchés très importants en faveur de l'élevage, de la taille des exploitations et la reconnaissance des actifs –, mais aussi sur la loi d'avenir, qui a opéré une véritable révolution culturelle et offert des dispositions pratiques autour de l'agroécologie.

Vous avez oublié de rappeler, et je ne vous en fais pas le reproche, qu'elle prévoyait aussi le principe de phytopharmacovigilance. Je le dis pour votre fierté personnelle, nous proposons d'étendre ce dernier à l'échelle européenne. De même, le biocontrôle, est en passe de devenir une norme au niveau de l'UE. Comme quoi lorsque la France est inspirée, elle peut inspirer l'Europe.

Autre précision, il y avait 2 000 fermes Dephy, que nous proposions de faire passer à 3 000, puis à 30 000. Aujourd'hui, c'est le triangle des Bermudes : que sont devenues ces 30 000 fermes ? On a décidé une politique qui n'a pas été pas mise en œuvre.

Comme il n'y a aucune complaisance dans une commission d'enquête, nous en venons à votre propre responsabilité. Après la présentation du rapport à la fin de 2014, les choses sont freinées : d'abord pendant six mois par le recours de la FNA, puis par une hésitation du Gouvernement. Je me souviens d'une déclaration du Premier ministre à un congrès de la FNSEA qui donnait l'impression de vouloir freiner la dynamique autour de l'agroécologie, telle que vous l'aviez pensée. Pouvez-vous nous dire, avec la rigueur exigée par une commission d'enquête, s'il y a eu un débat interministériel à ce sujet ? Les décisions qui ont été prises, notamment à partir des crises du lait et des céréales, n'ont pas toujours été à la hauteur de vos attentes concernant la mise en œuvre de la loi. J'ai le sentiment qu'il y a eu une hésitation au sommet de l'État. Est-ce que je me trompe ?

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Stéphane Le Foll, ancien ministre de l'agriculture entre 2012 et 2017

Lorsque je parle d'agroécologie à cette époque, il faut se souvenir que les débats autour du verdissement portent plutôt sur la « chimie verte ». Je me souviens de débats à ce sujet, y compris avec le Président de la République François Hollande et les Premiers ministres Jean-Marc Ayrault, puis Manuel Valls. Certes, la « chimie verte » avait permis de produire des molécules moins dangereuses ou d'envisager l'utilisation de la biomasse et d'un certain nombre d'autres produits, mais l'agroécologie demeurait complètement ignorée. Ce sont la négociation de la PAC et son verdissement, puis l'adoption de la loi d'avenir, avec la légitimité que m'avait conférée le vote à l'Assemblée nationale, qui m'avaient permis de faire basculer une partie de l'appareil par la suite. J'avais néanmoins commencé très tôt en créant au sein de la FAO, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, un groupe sur l'agroécologie à l'échelle internationale, puis en convainquant des directrices et directeurs au sein du ministère, qui se sont ensuite totalement mobilisés – c'est encore vrai aujourd'hui. C'est fantastique de constater cette continuité, mais à l'époque on partait de très loin.

Dans les débats, que ce soit avec le syndicalisme majoritaire ou avec la Confédération paysanne – qui travaille uniquement la question sociale, c'est-à-dire la petite exploitation –, l'agroécologie essayait de trouver une forme de « synthèse » entre le conventionnel et le bio. La dialectique était alors que si vous étiez dans le premier cas, vous ne faisiez rien pour l'écologie et, dans le second, rien pour l'économie.

De la même façon, lorsque j'ai proposé la création du programme de stockage de carbone dans les sols « 4 pour 1 000 » à la COP21 pour rappeler à chacun que les sols agricoles et forestiers sont des puits à carbone, je me suis retrouvé en plein débat entre la smart agriculture – une agriculture de précision s'appuyant sur les satellites – et les ONG, qui considéraient que l'agriculture pollue. On retrouve d'ailleurs aujourd'hui ce débat à propos de l'élevage. On partait de loin et, vous le savez, le débat politique n'est jamais facile.

Concernant la mise en œuvre du plan Écophyto II, je n'ai pas souvenir de débats internes durant lesquels on m'aurait dit de ne pas faire ceci ou cela.

S'agissant de l'intervention du Premier ministre à laquelle vous faisiez référence, nous sommes à l'époque en pleine crise du lait et la crise porcine frappait la Bretagne – aujourd'hui le prix du kilogramme de porc est remonté à deux euros, mais il atteignait à peine un euro alors. Le contexte agricole était, socialement et économiquement, extrêmement explosif. Il y a certainement eu un peu de réticence de la part du Premier ministre à poursuivre une logique qui pouvait être contrariante pour des agriculteurs frappés par des crises majeures.

Après le vote de la loi d'avenir, il a fallu accélérer. J'avais compris dans les débats en interne et au sein des réunions interministérielles (RIM) portant sur le calendrier législatif, que si l'on reportait la loi d'avenir après 2014, tout prendrait du retard. De même pour le plan Écophyto II : certes, il s'inscrivait dans le calendrier prévu, mais l'année de mise en œuvre qui nous restait a été perturbée par le recours de la FNA et les débats au sujet de l'azote total, dont la loi intégrait le principe. En la matière aussi, la négociation a duré. Quand on ajoute à tout cela que la deuxième phase de la grippe aviaire s'est déployée dans le Sud-Ouest au tournant de 2016 et 2017… Alors, oui, j'ai été ministre cinq ans, sans doute n'ai-je pas été assez punchy pour aller encore plus loin. Heureusement, la loi d'avenir m'avait donné une légitimité politique quant à l'objectif.

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La loi d'avenir, pour un même objectif, proposait un dispositif collectif, les groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE), et un dispositif individuel, les 30 000 fermes. Comment expliquer qu'ils n'ont pas pris comme ils auraient pu prendre ? Vous me direz qu'il y a eu de très beaux GIEE, qui constituaient, au même titre que les fermes Dephy, de très beaux laboratoires, mais nous sommes loin d'un déploiement massif. Il faut se le dire les yeux dans les yeux : nous avons raté la massification. Aurions-nous dû négocier différemment avec les chambres d'agriculture pour obtenir non seulement des promesses, mais aussi des résultats ? La séparation de la vente et du conseil à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques n'est intervenue que plus tard. Qu'en pensez-vous ?

Certes, il y a les élections et les freins que vous avez mentionnés, mais la massification n'a pas pris. Aurait-il fallu un mandat supplémentaire au ministre Le Foll ?

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Stéphane Le Foll, ancien ministre de l'agriculture entre 2012 et 2017

Lorsque je suis parti, les prix ont remonté ; il était donc temps que je m'en aille. D'autant plus qu'au bout de cinq ans, certains étaient fatigués de me voir. Il fallait savoir s'arrêter.

L'échec des GIEE découle d'un impensé sur le développement agricole. Pour tout le reste, j'avais créé un « Groupe Saint-Germain » qui avait réfléchi à ces sujets. Une question, cependant, avait été mal abordée – par moi en particulier –, celle du développement agricole. Les chambres d'agriculture disposaient de financements et j'en avais prévu pour les ONVAR, les organismes nationaux à vocation agricole et rurale, précisément pour stimuler les GIEE. Nous avons eu des résultats au début : la création d'environ 500 GIEE. J'aimerais savoir ce qu'il en est aujourd'hui ; il paraît qu'il en reste.

La philosophie était simple : il s'agissait de ne pas laisser un agriculteur gérer seul une transition aussi lourde que celle vers l'agroécologie pour éviter de le confronter à des difficultés majeures. L'aversion au risque est légitime, puisque c'est le revenu de l'agriculteur qui est en jeu ; or pour ce dernier, garantir son revenu c'est la condition de la pérennité de son exploitation. Il fallait donc réfléchir sur le plan collectif. Pour les GIEE, j'ai ainsi repris l'idée toute simple des groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC), qui permettent de mettre en commun le matériel agricole. En l'occurrence, il s'agissait de mettre en commun les objectifs qualitatifs environnementaux, afin de créer des dynamiques sociales et économiques.

Il y a donc eu 500 GIEE ; avec des réussites, comme vous l'avez rappelé, mais également des freins. Parlons franchement : certaines chambres d'agriculture n'ont pas créé de GIEE. D'autres ont essayé, tandis que d'autres encore exerçaient des pressions pour ne pas le faire. Quand bien même les ONVAR ont-ils été utilisés, j'aurais dû mener une réflexion plus profonde sur les outils dont nous aurions dû nous doter pour réaliser de tels changements. C'est certain. D'autant plus que le temps qui m'a été imparti après la réforme m'a laissé un peu sur ma faim. Je vous concède qu'il y a là un point sur lequel il faut travailler.

J'observe que la France cherche aujourd'hui, à juste titre, à développer sa production de protéines végétales et de légumineuses. Mais on ne pourra pas opérer ce type de changement si on réfléchit à l'échelle de l'exploitation, et non pas des GIEE. En effet, pour des fermes de soixante à cent hectares, il sera difficile de valoriser les productions dans le cadre d'une plus grande rotation alors qu'à l'échelle de mille ou mille cinq cents hectares, il sera possible, en particulier pour les protéines végétales et les légumineuses, de réaliser des choix économiques performants.

À mes yeux, les GIEE ne remettent pas en cause l'exploitation individuelle, mais s'inscrivent dans une dynamique collective. De la même manière que nous avons pu mettre en commun le matériel agricole avec les GAEC, nous mettons en commun les grands objectifs environnementaux et économiques. Voilà l'enjeu et sur ce point, je ne peux que constater le défaut d'une réflexion initiale sur le développement agricole pour accompagner ces changements.

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Concernant la mise en commun du matériel, ce sont les coopératives d'utilisation du matériel agricole (Cuma) et non les GAEC que vous aviez à l'esprit ?

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Stéphane Le Foll, ancien ministre de l'agriculture entre 2012 et 2017

Oui, pardon.

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D'autant plus que nous avions visité ensemble un salon des Cuma porté sur l'innovation, y compris agroécologique.

Sur les GIEE, la phase d'espérance est donc retombée. Vous assumez votre part de responsabilité quant à l'incapacité d'évaluer et de corriger le mécanisme de développement. C'est un impensé.

L'autre moyen massif d'inflexion de la pratique et des usages, c'est le conseil agricole marchand. C'est l'objet des CEPP. Mais ils vont perdre tout leur sens en 2018, lorsque la taxe sur les Nodu, qui était passée de neuf à cinq euros, passe à zéro. La séparation de la vente et du conseil à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, que nous avions écartée de notre réflexion, a été amenée par le débat présidentiel en 2017 et ruinera la dynamique autour des CEPP, sans pour autant donner de résultats. Le bilan que nous avons dressé avec Stéphane Travert fait en effet état d'un échec de la mesure. On s'est donc privé d'un moyen que nous avions à peine expérimenté. Quand bien même le ministre Fesneau s'est dit prêt à envisager la réintroduction des CEPP, on est sur six, sept ans d'échec. Avez-vous un commentaire à ce sujet ?

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Stéphane Le Foll, ancien ministre de l'agriculture entre 2012 et 2017

Le même que vous. Les CEPP constituaient le troisième pilier du plan Écophyto II, le retirer revenait à déséquilibrer l'ensemble – à l'instar du tabouret, pour lequel il est préférable d'avoir trois pieds, plutôt que deux.

De même que les Cuma, à propos desquels vous avez bien fait de me corriger, mutualisent le matériel, il faut mutualiser les enjeux environnementaux pour qu'ils soient économiquement acceptables et acceptés.

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La loi d'avenir a prévu une réforme du code de la santé publique qui a conféré à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) un pouvoir qu'elle n'avait jamais eu. Vous est-il arrivé de regretter cette disposition ? Pourquoi l'avez-vous prise ? Elle a une importance capitale. Elle est aujourd'hui remise en cause par la droite sénatoriale, par une partie des syndicats et par la filière céréalière. Certains y voient une démission du pouvoir politique en matière de gestion des risques. D'autres considèrent que c'est au contraire la seule manière de s'affranchir de la pression des intérêts économiques à court terme. Avec le recul, comment évaluez-vous cette décision ?

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Stéphane Le Foll, ancien ministre de l'agriculture entre 2012 et 2017

J'ai pris cette décision, parce qu'auparavant l'Anses envoyait ses avis à la direction générale de l'alimentation (DGAL), qui les corrigeait, puis les lui renvoyait. Un certain nombre d'autorisations de mise sur le marché (AMM) se retrouvaient ainsi bloquées, à cause non pas d'un débat scientifique, mais de discussions entre l'Anses et la DGAL. Cela avait été identifié par Générations futures comme un élément qui contribuait à l'opacité du système et alimentait le soupçon pesant sur le ministre de l'agriculture de cacher quelque chose.

J'ai donc décidé de rendre les choses transparentes. J'ai confié à l'Anses la responsabilité de la mise sur le marché, cependant que la décision d'un retrait, dans le cas d'un problème politique, reviendrait au politique. C'est là que réside la responsabilité du politique ! Laisser croire que les centaines d'AMM traitées annuellement par l'Anses pourraient l'être par le responsable politique, laisser croire que le ministre de l'agriculture évaluerait scientifiquement ces AMM est ridicule. Je ne regrette pas d'avoir transféré les AMM à l'Anses ! La décision est critiquée par certains, ceux qui y voient l'action d'un État profond. La responsabilité du politique est de faire des choix politiques, non pas de se pencher tous les jours sur des questions scientifiques et techniques. On n'exigera jamais d'un ministre, quand bien même aurait-il fait les études pour, de passer ses journées à examiner des AMM. C'est pourtant ce qui se passait, malgré l'intervention de la DGAL. J'ai seulement clarifié les choses.

Je sais qu'un débat s'est engagé sur l'existence d'un État profond qui opérerait en dehors de la responsabilité politique. La responsabilité politique doit être assumée là où elle est essentielle, à propos des choix stratégiques et des grandes questions de société.

Laissons l'Anses jouer son rôle. J'ai interdit le Cruiser OSR dès ma prise de fonction, sur la base d'un rapport de l'Agence : c'est moi que l'on a félicité, pas l'Anses.

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Vous êtes plutôt hostile à l'interdiction programmée des néonicotinoïdes décidée par Barbara Pompili, mais on constate surtout que cette décision ne s'accompagne d'aucune réflexion sur les alternatives. Cela a conduit Julien Denormandie, alors ministre de l'agriculture, à réautoriser pour une durée de trois ans les néonicotinoïdes. Que s'est-il passé ? La R&D n'a pas été mobilisée à temps. Ni vous ni votre successeur Stéphane Travert n'avaient cherché à prendre les devants pour assumer les conséquences de cette interdiction programmée.

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Stéphane Le Foll, ancien ministre de l'agriculture entre 2012 et 2017

On en revient à ce que je disais plus tôt : si on n'engage pas de processus scientifique de recherche et d'accompagnement des vendeurs pour trouver des alternatives, alors chaque fois que l'on interdit un produit, on prend le risque de se retrouver sans rien ou d'avoir à revenir, même en partie, sur la décision prise – comme ce fut le cas pour les betteraves. Il en est ainsi aujourd'hui pour le glyphosate. Si vous ne mettez pas en place une politique volontaire de recherche d'alternatives, vous n'en aurez pas !

Je vous renvoie à l'expérience menée par les viticulteurs dans l'Hérault. Je pourrais aussi évoquer l'utilisation des herbicides : à une époque pas très lointaine, s'il y avait de l'herbe, vous étiez considéré comme un mauvais viticulteur. J'ai créé un GIEE, un collectif s'est constitué, « Les enherbeurs ». Et, aujourd'hui la vigne utilise l'enherbage, diminuant ainsi grandement le recours aux herbicides, alors que les Nodu en la matière étaient très élevés.

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Il y a un point qui a souvent été abordé au sein de cette commission d'enquête, celui de la responsabilité de l'aval. C'est à l'échelle territoriale avez-vous dit s'agissant des GIEE qu'on peut avoir les volumes permettant d'avoir les débouchés économiques. Mais les agriculteurs ne peuvent inventer ces débouchés. Le réseau Dephy nous a expliqué que les plus grosses réticences de baisse de produits phytosanitaires découlent d'un verrouillage par le marché, autrement dit des cahiers des charges de la distribution. Ce point-là a-t-il été discuté lorsque vous étiez ministre ?

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Stéphane Le Foll, ancien ministre de l'agriculture entre 2012 et 2017

Ce point précis n'a pas fait l'objet d'un débat spécifique dans le cadre du plan Écophyto II. Il y a en effet un ensemble de freins. À l'époque, nous étions en plein changement de paradigme agricole. Le sujet que vous avez mentionné mériterait d'être approfondi.

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Je commencerai par saluer cette révolution, que l'on pourrait qualifier de copernicienne, engagée par Stéphane Le Foll, lorsqu'il était ministre de l'agriculture. Pour la décrire, j'avais utilisé une citation de René Char, reprise par Stéphane Le Foll dans La première graine : « L'inaccompli bourdonne d'essentiel. » Aujourd'hui, nous sommes dans le bourdonnement : les grandes lignes ont été fixées, faisant de Stéphane Le Foll le Jean XXIII de l'agroécologie.

Je me limiterai à une question sous forme d'observation à propos de l'importance de la réponse collective. On est trop souvent dans la réponse individuelle. Les GIEE avaient précisément vocation à faire du collectif. Ainsi, un GIEE, dans le Puy-de-Dôme, avait réuni des céréaliers en Limagne et des éleveurs du Cézallier qui produisaient des engrais organiques.

De même, alors que les abattoirs connaissent souvent des difficultés, pourquoi ne pas valoriser les engrais organiques qu'ils produisent ? Des GIEE pourraient établir le lien avec des céréaliers, qui limiteraient ainsi l'usage des phytosanitaires.

Je n'ajoute rien à ce qui a été dit et je souligne l'importance de la dimension collective.

Sur l'Anses, je partage l'avis du ministre. Pendant des années, j'ai sollicité l'autorisation de pouvoir consommer à nouveau de la fraise de veau : ce n'était évidemment pas à lui de trancher.

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Concernant le transfert d'autorité à l'Anses, la responsabilité politique porte actuellement sur les cas d'interdiction de mise sur le marché, bien plus rares que les AMM. Qui fait le calcul bénéfice/risque, qui en est responsable devant la société ?

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Vous avez évoqué le développement des alternatives à la chimie comme un des trois piliers du plan Écophyto II. Nous sommes tous d'accord avec ce concept, à condition que le développement d'alternatives implique que celles-ci soient utilisables par nos agriculteurs. Les acteurs des filières évoquent des techniques, notamment de biocontrôle, qui existeraient dans les pays voisins, mais ne seraient pas utilisées en France. Il en irait de même pour certaines molécules, faute d'avoir été réhomologuées. Selon vous, l'absence de solutions s'expliquerait-elle en partie par cette question de l'homologation ? Voire par l'absence de demande d'homologation pour de nouveaux produits ?

Par ailleurs, l'énergie dépensée dans la négociation et la mise en place de la nouvelle PAC a-t-elle pu avoir des conséquences sur les autres politiques agricoles menées lorsque vous étiez en fonction ?

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Stéphane Le Foll, ancien ministre de l'agriculture entre 2012 et 2017

Si nous voulons réussir à avoir une alimentation accessible et diversifiée pour tout le monde, il faut intégrer l'idée selon laquelle une production qui demande beaucoup de financement parviendra difficilement aux résultats attendus : diversité, accessibilité financière pour le plus grand nombre et garantie de revenus pour les agriculteurs. On ne peut pas continuer à demander aux agriculteurs d'avoir des besoins de financement pour créer une exploitation et produire, sans lier ces sujets à notre capacité à leur offrir un prix à l'autre bout.

Ma stratégie en matière d'agroécologie a toujours été de privilégier la baisse de besoin de financement, d'utiliser ce que la nature nous offre gratuitement. C'est pour cela qu'en matière d'agriculture de précision, si l'on demande aux agriculteurs d'investir dans de nouveaux outils, alors on reste pris au piège de la pompe à emprunt. Les GIEE constituent de ce point de vue une solution économique, écologique et sociale au problème posé par le risque et la difficulté des choix à opérer. Le GIEE est une force de frappe. C'est ce qu'illustre l'exemple de Jean-Claude Sabin, lorsqu'il démarre sa production de colza dans le cadre de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et pour qui cela a été profitable. L'intégration de protéines végétales et de légumineuses à des opérations de rotation permet à la fois de nourrir un élevage de manière autonome et de stocker de l'azote dans les sols, ce qui évite en outre à la France d'importer de l'azote minéral. La réflexion au niveau du GIEE ouvre cette perspective, qui serait extrêmement risquée au niveau de l'exploitation individuelle. C'est ainsi que nous atteindrons nos objectifs écologiques, sociaux, en matière de souveraineté et de revenus.

Le non-renouvellement de molécules a parfois des raisons économiques, lorsque le débouché est trop étroit pour les entreprises, qui préfèrent s'en délester. Cela peut conduire, mécaniquement, à la disparition de molécules dangereuses.

La réglementation européenne permet de réduire la distorsion de concurrence et d'éviter que les pays membres s'accusent mutuellement de triche en la matière. L'UE a donc une responsabilité en matière d'harmonisation réglementaire et l'exemple du biocontrôle mentionné par Dominique Potier l'illustre. C'est pour la même raison que j'avais refusé que les pays choisissent leurs critères quand il s'agissait du verdissement de la PAC, car cela aurait introduit de la distorsion de concurrence.

La PAC est votée en 2013 et mise en œuvre en 2014. Or entre 2013 et 2014 survient quelque chose que je n'avais pas anticipé : le refus d'apurement des aides PAC par l'UE, qui considère qu'il y a eu une erreur dans le calcul des surfaces éligibles. Il est question de trois milliards d'euros, que nous négocions à la baisse pour atteindre un milliard d'euros, en contrepartie du renouvellement de l'orthophotographie complète des exploitations françaises. Ce processus nous a coûté énormément de temps. Et ce retard a mis beaucoup de pression sur les paiements du premier pilier de la PAC, qui ont été reportés sur les paiements du deuxième pilier, les mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec), et sur les exploitations en agriculture biologique. Nous étions dans une course dont l'issue pouvait être apocalyptique, si l'on n'arrivait pas verser les paiements du premier pilier. Cela explique la difficulté de la mise en œuvre de la PAC.

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Vous avez dit la vérité sur l'agroécologie et cela dérange quelquefois. Producteur en bio, je constate que nous faisons des choses qui parfois me déplaisent. Ainsi, en bio, pour éviter la tavelure, il faut appliquer un traitement très régulier à base de cuivre. Depuis que j'ai ce label, je traite plus souvent et cela peut inquiéter les voisins de mon exploitation. Comment mettre en avant les actions des agriculteurs sans toujours avoir à parler du nombre de traitements et de la quantité de produits utilisés ?

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J'évoquerai le sujet des plantes orphelines, pour lesquelles il n'existe qu'un seul produit et qui se retrouvent dépourvues de traitement lorsqu'il est interdit – ainsi de la moutarde en Côte-d'Or. Comment prendre en charge les besoins en recherche et en innovation pour ces petites filières qui font l'identité de nos régions, si les industriels n'y ont aucun intérêt ?

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Je voulais revenir sur votre travail fondateur au ministère de l'agriculture d'élaboration de nos objectifs de réduction des produits phytosanitaires et sur le rôle de l'Anses. C'est sous votre ministère, en 2014, que la décision d'AMM a été transférée du Gouvernement à l'Anses. Ce basculement de l'autorité politique à l'autorité scientifique a eu lieu dans un contexte lourd : des soupçons, parfois portés sur le décideur politique, en l'occurrence le ministre de l'agriculture. Ce procédé constituait-il un moyen pour vous de trancher par la science des arbitrages, peut-être conflictuels, entre vous et votre ministère et certains de vos collègues, tel que la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer ? Pensez-vous que lorsque l'autorité de l'Anses est remise en cause, cela a une influence directe sur nos objectifs de réduction à 50 % de l'utilisation des produits phytosanitaires ?

S'agissant enfin du rapport publié par l'Anses en mars dernier sur la présence en quantité élevée de plusieurs métabolites de pesticides dans l'eau potable, quelles décisions politiques doivent être prises, selon vous, pour faire face à cette alerte qui nous semble majeure ?

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Stéphane Le Foll, ancien ministre de l'agriculture entre 2012 et 2017

Il faut réfléchir à la manière dont nous mesurons l'impact des produits que nous utilisons – que ce soit par le Nodu, l'indice de fréquence de traitement (IFT) ou la quantité de substances actives (QSA) – et toujours garder à l'esprit l'objectif que nous poursuivons : moins de chimie dans l'environnement. Je pense en particulier aux molécules persistantes, telles que l'atrazine ou les métabolites. Le Nodu doit donc mesurer non seulement les quantités, mais aussi la qualité des produits utilisés.

La mesure de l'impact doit aussi se faire à l'aune de la biodiversité, qui décline. Ce sujet me préoccupe depuis longtemps – Gaspard Kœnig, qui écrit si bien et qui vient de découvrir les lombrics, aurait pu les défendre avec moi à l'époque. La biodiversité dans les sols et sur les sols constitue, en effet, un élément majeur. Celle-ci devrait être un critère de verdissement dans la PAC. Cela permettrait de limiter l'usage des molécules qui affectent la biodiversité. Oui, l'utilisation de grandes quantités de cuivre peut poser un problème : en viticulture, nous sommes parfois à six kilos l'hectare, il faudrait descendre à quatre kilos. La bio a un sens beaucoup plus vaste : le lien avec la terre, la qualité organoleptique des produits, le contexte général. En tout cas, il faut réfléchir à un autre indicateur, en prenant en compte ce qui se fait au niveau européen pour parvenir à une harmonisation. C'était d'ailleurs prévu dans le plan Écophyto II.

Les plantes orphelines souffrent, à l'instar des maladies orphelines en médecine, d'un manque de solutions, car elles ne débouchent pas sur un marché suffisamment intéressant. Il est de la responsabilité de l'État de fixer des règles afin qu'il existe pour chaque production une solution – chimique ou non. En l'occurrence, la moutarde, ce n'est pas rien ! L'État doit intervenir, car ce n'est pas l'économie qui résoudra le problème.

L'arbitrage entre le risque et le bénéfice, comme la décision qu'elle fonde, sont politiques. C'est pour cela que malgré le transfert des AMM à l'Anses, la décision de retrait d'un produit demeure sous la responsabilité du politique – comme cela avait été le cas pour l'interdiction des néonicotinoïdes pour les plantes à fleurs, compte tenu de l'impact de ces derniers sur les abeilles. Quels sont les risques que l'on accepte, pour quels bénéfices ? C'est un débat démocratique. Or aujourd'hui, les débats, quels qu'ils soient, s'essentialisent. On ne cherche plus à mettre en balance les risques et les bénéfices. C'est notamment le cas du débat autour du glyphosate : il faut examiner quels sont les risques, quels sont les bénéfices. Faut-il accepter une phase de transition avant de s'en passer définitivement – car ce sera possible ? Le débat politique doit s'appuyer sur des données scientifiques. Le politique doit garder à l'esprit l'objectif et la science doit nous donner des moyens.

Le vrai débat porte donc sur l'objectif, car tout le monde ne partage pas les mêmes ambitions : certains veulent simplement supprimer des produits qui règlent des problèmes spécifiques. Ne pourrait-on pas imaginer une dynamique qui règle le problème, sans passer forcément par l'interdiction ? La science est un soutien dans ce cas. Ce fut le cas quand j'ai interdit le Cruiser OSR, sur la base d'un rapport de l'Anses. Le politique fixe l'objectif et les décisions de l'Anses doivent contribuer à atteindre cet objectif : c'est cela la politique.

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Nous vous remercions, monsieur le ministre, pour la clarté, la simplicité et la sincérité de vos réponses, qui ont contribué à la qualité de cette audition et de nos échanges.

La séance est levée à douze heures trente.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Anne-Laure Babault, M. Benoît Bordat, M. André Chassaigne, M. Frédéric Descrozaille, M. Grégoire de Fournas, M. Jean-Luc Fugit, Mme Laurence Heydel Grillere, Mme Nicole Le Peih, M. Éric Martineau, Mme Marie Pochon, M. Dominique Potier, Mme Mélanie Thomin