Je vais essayer, en dix minutes, de vous rappeler ce que j'ai fait, pourquoi je l'ai fait et quel était l'objectif stratégique que je poursuivais.
J'avais retiré de mon expérience de vice-président de la commission de l'agriculture et du développement rural au Parlement européen l'idée selon laquelle la baisse du recours aux produits phytosanitaires ne pouvait se contenter d'interdire des produits sans penser à changer de modèle de production. Chaque modèle répond à des critères. Ainsi le modèle d'agriculture conventionnelle avait-il sa propre logique de production, de spécialisation et d'utilisation de produits phytosanitaires. La première « révolution verte » combinait la chimie, les machines et la génétique. Cela a eu des résultats en matière de production dans beaucoup de domaines, mais a eu pour inconvénient de produire de nombreuses externalités négatives, en matière d'environnement, de santé, mais surtout de biodiversité.
Lorsque j'ai été nommé ministre, la première étape a consisté à négocier une nouvelle politique agricole commune (PAC). Je vous rappelle le contexte : le commissaire européen à l'agriculture et au développement rural Dacian Cioloş avait posé les bases du « verdissement de la PAC », aux termes duquel les pays membres de l'Union européenne devaient allouer 30 % de leur aide au revenu au verdissement. Lorsque les négociations débutent, il est plutôt question de 10 % et l'Allemagne, ainsi que d'autres pays, pèsent pour que le choix des actions proposées dans le cadre du verdissement revienne à chaque pays : c'est-à-dire qu'il suffisait de respecter deux critères parmi douze pour que l'action nationale relève du verdissement. Le critère « méthanisation » donnait par exemple un avantage direct à l'Allemagne, qui ne devait plus qu'en cocher un. Nous avons fait évoluer tout cela. L'action de la France et le poids de son agriculture ont fait revenir l'Union européenne (UE) sur une PAC avec du verdissement et 30 % des moyens alloués à celui-ci. J'ai écrit un livre à ce sujet, La première graine, et il existe même un documentaire, « La négociation », dans lesquels vous constaterez que la négociation avait été menée suivant cet objectif, que nous avons atteint.
La deuxième étape a consisté à rédiger une loi intégrant la logique qui était la mienne : faire évoluer les modèles de production pour atteindre des résultats en matière écologique, économique et sociale à la hauteur de l'ambition que je portais alors. C'est la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, dite loi d'avenir, laquelle a été votée, je le rappelle, par le groupe socialiste, le groupe communiste, le groupe écologiste et par le groupe des centristes de l'Union des démocrates et indépendants (UDI). Cette loi devait contribuer au développement de l'agroécologie, un concept que je défendais et qui était à l'époque, certes ancien en matière scientifique, mais nouveau en matière politique. Aujourd'hui, je constate non seulement que le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) inclut l'agroécologie parmi les moyens d'atteindre la neutralité carbone, mais aussi que dans les débats qui opposent agriculture conventionnelle et agriculture biologique, il est de plus en plus question d'agroécologie – c'est tant mieux.
À la suite du Grenelle de l'environnement, qui avait donné lieu au premier plan Écophyto, lequel avait produit des résultats certes intéressants, grâce aux 3 000 fermes Dephy – 12 % de baisse dans le recours aux produits phytosanitaires –, mais qui restaient limités à celles-ci, et du rapport « Pesticides et agroécologie : les champs du possible » présenté par Dominique Potier, j'ai donc lancé le plan Écophyto II. Il visait à aller au-delà, en prenant en considération ce qui avait été déjà fait par Michel Barnier après le Grenelle et ce que nous devions faire afin de réussir une baisse significative du recours aux produits phytosanitaires. À ce sujet, je rappelle que la France avait été le seul pays à fixer des objectifs chiffrés : une première baisse de 25 % dans le recours aux produits phytosanitaires entre 2015 et 2020 par rapport à la référence 2008, suivie d'une seconde baisse de 25 % entre 2020 et 2025.
Je vais entrer dans les détails du plan, cela vous permettra peut-être de comprendre pourquoi il a échoué.
Le plan Écophyto II reposait sur trois piliers. Le premier avait été initié par Dominique Potier qui, constatant la baisse réalisée par les 3 000 fermes Dephy, souhaitait multiplier celles-ci par dix et atteindre 30 000 fermes, c'est-à-dire 10 % des exploitations agricoles françaises. Le deuxième pilier s'appuyait sur la recherche d'alternatives aux produits chimiques, dans le sillage direct des dispositions de la loi d'avenir : le biocontrôle, les biostimulants et les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP), lesquelles ont occupé quelques soirées de travail, avec André Chassaigne entre autres... Le troisième pilier prenait la forme des certificats d'économie de produits phytosanitaires (CEPP), qui m'avaient été proposés par Marion Guillou lors de ma nomination et qui calquaient le dispositif existant des certificats d'économies d'énergie (CEE). Ils devaient inciter à la recherche d'alternatives. Lorsque j'observe les débats contemporains sur les produits phytosanitaires, je constate qu'il est toujours question de supprimer des molécules, pour lesquels il n'y a pas d'alternatives : le véritable sujet est de trouver des alternatives.
Le plan fixait donc un objectif de baisse de 25 % qui s'adressait aux vendeurs des produits phytosanitaires, en les incitant à proposer des alternatives grâce au mécanisme des CEPP. Si l'objectif n'était pas atteint, il était prévu une taxe sur le nombre de doses unité (Nodu) pour les vendeurs de produits phytosanitaires. Cette taxe, initialement fixée à 11 euros le Nodu, serait finalement de 5 euros à la suite de négociations, pendant près d'un an, avec la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). Le plan était cohérent et financé par une taxe sur les pollutions diffuses, à hauteur de quarante millions d'euros, auxquels nous avions ajouté trente millions d'euros.
Le rapport de Dominique Potier est présenté au Premier ministre le 23 décembre 2014, un cadeau de Noël pour le ministre de l'agriculture, que j'ai placé sous mon sapin. La présentation en janvier 2015 du plan Écophyto II a été suivie d'une concertation en juin, puis d'une présentation de la version définitive du plan en octobre, accompagnée des ordonnances et arrêtés relatifs aux CEPP. Ceux-ci ont fait l'objet d'un recours déposé par les distributeurs de produits phytosanitaires et les négociants – Fédération du négoce agricole (FNA) et Coop de France –, lequel a conduit à une remise en cause des CEPP pour des raisons de procédure juridique. Le troisième pilier du plan Écophyto II, c'est-à-dire la stimulation de la recherche d'alternatives aux produits chimiques, était ainsi remis en question. Nous avons réussi à réintégrer les CEPP dans une proposition de loi présentée par Dominique Potier qui a été adoptée en 2017 dans les derniers jours du quinquennat.
La structure du plan Écophyto II intégrait donc les CEPP comme mécanisme de stimulation de la recherche d'alternatives. Certes, il aurait été possible d'augmenter les taxes sur les produits phytosanitaires. La mesure avait été proposée et débattue : les rendre plus chers aurait suffi à les abandonner et conduit à trouver des alternatives. Mais on sortait de six crises agricoles : crise porcine, crise laitière, crise de la fièvre catarrhale ovine (FCO), crise de la grippe aviaire, crise de l'œuf et crise des céréales. J'ai d'ailleurs plaisanté à l'occasion d'une assemblée générale de Sodiaal au Mans en constatant que la tonne de lait était aujourd'hui à 400 euros, alors qu'elle valait entre 240 et 260 euros lorsque j'étais ministre : il était temps que je parte pour faire remonter les prix.
Avec la suppression, par la loi Egalim, de la taxe prévue en cas de non-atteinte de l'objectif des 25 % de baisse, il était évident que l'incitation perdrait de sa force. Certes, et comme l'a rappelé le ministre Marc Fesneau, un nombre non négligeable de molécules dangereuses ont été éliminées, mais un enjeu quantitatif demeure : il faut éviter de se retrouver sans alternative à la suppression ou l'interdiction d'un produit. Cela implique de retrouver un mécanisme qui incite à la recherche d'alternatives.
Je terminerai sur un point qui me semble très important, celui de la mesure des effets de l'utilisation des produits phytosanitaires. Le Nodu, en vigueur seulement en France, présente un défaut : il considère les quantités globales sans examiner la qualité des produits utilisés. Il ne permet pas de savoir si ceux-ci sont moins dangereux pour la santé humaine ou la biodiversité. Ainsi, l'agriculture biologique a recours au cuivre pour lutter contre les champignons ; or le Nodu prend en considération le cuivre. Quel est notre objectif ? Lorsque j'ai été nommé ministre, 3,5 % de la surface agricole utile étaient exploités en agriculture biologique ; lorsque j'ai quitté mes fonctions, nous étions passés à 7 % ; aujourd'hui, nous sommes autour de 10 %. Comment se fait-il que le triplement de la surface exploitée en agriculture biologique s'accompagne d'une augmentation des Nodu ? Il y a quelque chose dans la mesure qui ne va pas.
Pour résumer, on ne peut réfléchir à la baisse de l'utilisation des produits chimiques sans réfléchir à un changement de modèle – cela semble à peu près acquis. Et si vous souhaitez être efficace, il faut prévoir un mécanisme qui oblige à chercher des alternatives. Car, non, remplacer chaque molécule par une autre n'est pas une nécessité ! Prenons l'exemple de la viticulture : hier, le président du conseil départemental de l'Hérault m'a expliqué que lorsqu'ils avaient commencé à mettre en place des incitations au recours au biocontrôle, notamment l'usage des phéromones pour limiter les parasites, cela portait sur 300 hectares ; aujourd'hui, 12 000 hectares de vignes ont recours à ce que l'on appelle joliment la « confusion sexuelle ».
En conclusion, il est impératif de prévoir un mécanisme incitatif et la mesure utilisée pose un problème – le Nodu a un biais qu'il faut corriger. Du reste, dans le comité de suivi du plan Écophyto II que Dominique Potier avait piloté, la possibilité de changer d'indicateur avait été évoquée. Il avait été décidé de conserver le Nodu, mais de réfléchir à un indicateur qui prenne en compte l'aspect qualitatif des produits utilisés. Qu'une substance moins nocive, que ce soit en matière de santé humaine ou de biodiversité, remplace une substance plus nocive doit être pris en considération.