Je salue votre volonté, à travers la commission d'enquête, de comprendre les dysfonctionnements qui ont empêché d'atteindre les objectifs ; de décrire la complexité de la situation – si les solutions étaient simples, les blocages observés depuis une quinzaine d'années auraient été levés – ; et de replacer la question des produits phytosanitaires dans le contexte de la stratégie nationale bas-carbone et, plus globalement, de la transition des modèles économiques qu'impose le dérèglement climatique.
Les agriculteurs évoluent dans un contexte de plus en plus complexe où se conjuguent – et c'est sans doute un des effets du dérèglement climatique – l'augmentation de la pression des ravageurs et le retrait de plusieurs substances actives, sans oublier l'impératif de souveraineté alimentaire.
La réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques constitue néanmoins une nécessité pour préserver à la fois la santé, la biodiversité et la qualité de l'eau. La transition de nos systèmes de production est indispensable mais elle doit se faire sans affaiblir notre protection des cultures, notre niveau de production, ni notre souveraineté alimentaire. Transition agroécologique et souveraineté alimentaire sont indissociables et même dépendantes. Il ne faut pas opposer l'une à l'autre mais les conjuguer.
C'est dans ce cadre que le Gouvernement a fait de la baisse de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques une priorité. Le plan Écophyto II+ traduit ses engagements et répond également à une obligation européenne fixée par la directive de 2009 instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, dite directive SUD, en cours de révision.
Le plan Écophyto II+ est la troisième génération de plans visant à réduire l'usage des produits phytosanitaires, issus du Grenelle de l'environnement. Le premier plan, en 2008, affirmait une volonté de réduire l'usage des produits phytopharmaceutiques agricoles de 50 % dans un délai de dix ans. En 2015, devant la faiblesse des résultats, un plan Écophyto II a été adopté, l'objectif de baisse de 50 % étant reporté à 2025 et un objectif intermédiaire de 25 % fixé à l'horizon 2020.
Cet épisode montre la difficulté à décliner de manière opérationnelle un objectif théorique, en prenant en considération les enjeux de santé publique, environnementaux mais aussi économiques pour un secteur stratégique pour le pays. Les gouvernements et les majorités qui se sont succédé depuis 2008 ont tous pu le mesurer.
Entre 2009 et 2013, le nombre de dose unités (Nodu), principal indicateur pour mesurer la quantité de pesticides utilisée, a augmenté de 16 %. Entre 2013 et 2018, il a continué de croître de 2 %. Ce sont ces dix années d'échec qui ont été sanctionnées par le tribunal administratif de Paris dans un jugement dont a pris acte le Gouvernement en 2018.
Lors de la préparation du plan Écophyto II+, le Gouvernement a cherché à tirer les conclusions de l'échec des plans précédents et à donner une nouvelle impulsion pour parvenir à réduire l'usage de produits phytopharmaceutiques de 50 % d'ici à 2025 et à diminuer les autres usages sans laisser les agriculteurs sans solution.
La France est pleinement engagée dans une dynamique de réduction de l'utilisation des produits phyto. Est-ce un effet de sédimentation ou d'accélération ? Depuis 2017, pour la première fois depuis quinze ans, les quantités baissent. Le plan Écophyto II+ produit des résultats concrets. Les données de vente disponibles pour 2022 confirment la baisse des quantités de substances actives vendues – avec 43 000 tonnes en 2022, celle-ci est de 20 % par rapport à la moyenne des années 2015 à 2017, et elle est particulièrement marquée sur les produits considérés comme les plus dangereux. Je signale aussi la baisse concernant le glyphosate. Les Nodu montrent une diminution historique de l'usage des produits phytopharmaceutiques, signe que les actions engagées depuis 2017 portent leurs fruits. L'honnêteté intellectuelle m'oblige toutefois à dire que les efforts menés depuis 2008 trouvent peut-être là leur traduction tardive.
La vente des produits les plus préoccupants, les substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR) de catégorie 1 a baissé de 93 % depuis 2016. Quant à l'utilisation du glyphosate, elle a été réduite de 27 % par rapport à la période de référence précédente 2015-2017.
Outre le plan Écophyto II+, le Gouvernement a pris plusieurs mesures fortes pour accompagner la baisse de l'usage des produits phytopharmaceutiques : un programme prioritaire de recherche doté de 30 millions d'euros et destiné à accroître la mobilisation des scientifiques pour développer des solutions alternatives ; le plan de relance pour aider les agriculteurs à se doter massivement d'agroéquipements, lesquels jouent un rôle central dans la baisse des usages mais aussi, plus globalement, dans la transition agroécologique ; France 2030 qui prévoit 1,2 milliard pour l'agriculture afin de financer des solutions durables et innovantes, telles que les outils de biocontrôle, la sélection variétale, la robotique et le numérique – la technique est l'un des instruments de réponse, qui doit être combiné avec les autres ; un plan de développement de l'agriculture biologique, dont l'objectif est d'atteindre au moins 18 % de la surface agricole utile en bio d'ici à 2027 – je n'ignore pas la situation de la filière bio mais il convient de maintenir la trajectoire que nous avons soutenue jusqu'à présent ; enfin, les actions d'amplification se poursuivent et se renforcent en matière d'anticipation et d'accompagnement.
La stratégie Écophyto 2030, qui participe à accompagner la transition de notre modèle agricole, a été présentée lors du comité d'orientation stratégique et de suivi du 30 octobre dernier. L'ensemble des parties prenantes ont salué le sérieux du travail et la perspective dans laquelle il s'inscrit.
Cette stratégie répond à une triple ambition : préserver la santé publique et celle de l'environnement dans une logique « une seule santé », maintenir un haut niveau de protection des cultures – enjeu majeur pour la sécurité alimentaire – et soutenir les performances économiques et environnementales des exploitations. Surtout, le Gouvernement a voulu proposer une nouvelle approche, que beaucoup appelaient de leurs vœux, fondée sur l'accélération du développement des solutions alternatives, qu'elles soient chimiques ou non chimiques, pour mieux se préparer au potentiel retrait de certaines substances actives. En parallèle, l'accent est mis sur la reconception des systèmes agricoles et alimentaires dans l'ensemble de la chaîne de valeur. Cette méthode répond à une exigence sanitaire et environnementale mais aussi pour le monde agricole : les agriculteurs ne peuvent pas et ne veulent pas vivre de dérogation en dérogation. Je le dis souvent, les interdictions ne préjugent pas des solutions mais les dérogations n'invitent pas forcément à chercher des solutions. La dérogation apporte une réponse immédiate et d'urgence sanitaire mais il faut parallèlement tracer des perspectives à plus long terme. Cet exercice de planification, qui doit être mené avec la profession, est exigeant. Il faut s'interroger, avec lucidité, sur le devenir des molécules et le risque de retrait dans une perspective de moyen et long termes pour définir des trajectoires partagées.
Dans cette logique, la reconception doit s'appuyer sur la mise au point de méthodes alternatives à celles qui existent, y compris non chimiques, au profit de plusieurs filières et à différentes échelles – la parcelle, l'exploitation agricole, le territoire ou la région. Comme l'a dit la Première ministre au salon de l'agriculture, « anticiper, innover, accompagner sont les trois piliers de l'action que nous entendons conduire ». Cela suppose une importance accrue de l'agronomie, seule à même de développer des solutions alternatives permettant de sortir de la logique dominante de substitution d'une substance active à une autre au fur et à mesure des interdictions. Les effets de report qu'on observe après chaque interdiction ont conduit à des impasses. Les professionnels doivent s'engager dans la démarche s'ils ne veulent plus subir des interdictions non anticipées. Le recours à la recherche et à l'innovation pour trouver des alternatives et faire évoluer les pratiques agricoles constitue un axe fort de notre action.
Reconcevoir les modèles, c'est le sens du travail que nous avons engagé avec les instituts techniques et les interprofessions. Il s'agit d'en finir avec la gestion au coup par coup. Ce travail exige de sortir de la logique de silos pour mobiliser l'ensemble des maillons de la chaîne – le monde agricole, les instituts de recherche, les agences publiques, les acteurs privés – pour mieux anticiper et développer des solutions combinatoires. L'objectif est d'élargir l'éventail des possibilités pour éviter que les agriculteurs ne se trouvent sans solution. Pour mener à bien ce travail collectif de long terme, il faut regarder la réalité de la situation phytosanitaire pour s'y préparer du mieux possible, en toute transparence et en confiance, en substituant le débat aux injonctions.
Dans la perspective des renouvellements d'autorisation ou d'homologation à venir, il semble plus judicieux, compte tenu des effets de report constatés, d'examiner lucidement l'ensemble des classes de molécules pour trouver dès à présent des alternatives, sans être soumis à la pression de l'interdiction.
En complément de ceux déjà alloués par le biais de la fameuse redevance pour pollutions diffuses (RPD) – 70 millions sur les 180 millions d'euros de recettes iront au financement de la transition –, de nouveaux moyens importants sont spécifiquement dédiés à la mise en œuvre de la stratégie Écophyto 2030 : 250 millions d'euros sont prévus dans le projet de loi de finances pour 2024 au titre de la planification écologique, dont une part importante financera des plans d'action spécifique des filières sur les usages de produits phytopharmaceutiques identifiés comme critiques ; une aide à l'investissement pour les matériels nécessaires à la transition agroécologique viendra en prolongement de France relance, ainsi que le financement de projets territorialisés. S'ajoutera une allocation de crédits France 2030 dont le montant sera arbitré très prochainement par la Première ministre.
Face au constat d'échec que vous avez souligné, nous essayons d'élaborer une stratégie de moyen à long terme, dotée de moyens dédiés et associant l'ensemble de la filière et de la chaîne de valeur. Il faut embarquer l'amont et l'aval ; la charge de la réduction des produits phyto – la pression, les difficultés et les impasses aussi – ne peut pas peser seulement sur le monde agricole. Cela prendra du temps mais, sans être exagérément optimiste, une trajectoire de réduction commence à se dessiner. Plutôt que de pointer une fois encore les insuffisances – il y a quelque chose de désespérant à entendre toujours : « pas assez, pas comme il faut », s'agissant du monde agricole –, il faut se féliciter de cette bonne nouvelle.