La réunion

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La commission des affaires étrangères procède à l'audition conjointe, à huis clos, commune avec les commissions des affaires économiques et de la défense nationale et des forces armées, de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, de M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie, et de M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, sur les rapports annuels du gouvernement au Parlement portant sur les exportations par la France d'armements et de biens à double usage.

Co présidence de M. Michel Herbillon, vice-président de la commission des affaires étrangères, M. Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques, et M. Loïc Kervran, vice-président de la commission de la défense nationale et des forces armées

La séance est ouverte à 14 heures.

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Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de M. Thomas Gassilloud, président de la commission de la défense nationale et des forces armées, qui accompagne la présidente Yaël Braun-Pivet dans son déplacement en Pologne et en Ukraine, ce qui me vaut le grand honneur de coprésider cette audition exceptionnelle.

Le rapport sur les exportations de matériels de guerre remis au Parlement met en lumière la responsabilité particulière de la France, patrie des droits de l'Homme, dans ce domaine. Notre vision et notre vocation vont bien au-delà de nos frontières.

Cette responsabilité particulière est aussi celle de notre Assemblée. Contrôler l'action du Gouvernement est l'un des piliers du mandat que nous ont conféré les citoyens français, surtout dans un tel domaine, où la décision relève de l'exécutif et où les enjeux de souveraineté nationale, de sécurité et de discrétion doivent s'articuler avec les exigences du contrôle démocratique.

Je me réjouis de cette audition commune des trois ministres concernés, qui consacre le caractère indissociable des trois enjeux — stratégique, diplomatique et industriel — soulevés par nos exportations d'armement. C'est une première et je m'en félicite. Je remercie vivement les ministres Lecornu, Lescure et Becht d'être présents ensemble devant nous. Je salue également la présence du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), M. Stéphane Bouillon, qui vous accompagne en tant que président de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG).

J'ai un autre motif de satisfaction : l'extension inédite de l'information du Parlement aux exportations de biens à double usage. Ce nouveau dispositif constitue indéniablement un progrès démocratique, car il renforce l'information du Parlement à ce sujet.

Nous ne pouvons ignorer le contexte particulier dans lequel se tient la présente audition. Notre soutien militaire à l'Ukraine a pris la forme d'importantes livraisons de matériels et d'équipements à ses forces armées. Monsieur le ministre des armées, vous aurez sans doute à cœur, dès lors que le sujet est abordé dans le rapport, de préciser les mécanismes et le financement de ces cessions, ainsi que l'articulation de ces livraisons avec les dispositifs de contrôle des exportations d'armements.

Parmi les discours parfois moroses sur la place de la France et son prétendu déclin, les succès à l'export de l'année 2021, au cours de laquelle les prises de commande ont atteint près de 12 milliards d'euros, sont une source de fierté. Je me réjouis notamment de l'augmentation des exportations à destination de nos partenaires de l'Union européenne (UE), grâce à nos partenariats avec la Grèce, qui portent sur des Rafale et des frégates de défense et d'intervention (FDI), avec la Croatie pour des Rafale et avec la Belgique pour du matériel terrestre, dans le cadre de l'accord intergouvernemental « capacité motorisée » (CaMo).

Comme souvent, se forger une opinion exige de faire preuve de nuance. Messieurs les ministres, j'aimerais donc vous interroger sur trois points.

Certaines des exportations précitées ont nécessité des prélèvements sur les parcs de nos armées, notamment les vingt-quatre Rafale d'occasion cédés à la Grèce et à la Croatie. Comment s'assurer que les exportations n'amoindrissent pas nos forces ?

S'agissant de l'évolution de l'encadrement et du contrôle de nos exportations, de nombreux industriels de défense disent craindre leur transfert à l'UE. Jugez-vous ce risque réel ? Quelle est la position de la France sur ce point ?

Enfin, les exportations sont souvent présentées comme un soutien à notre autonomie stratégique. Considérez-vous qu'il existe une dépendance aux exportations de notre base industrielle et technologique de défense (BITD), dans un marché où les acheteurs — de très beaux travaux de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM) le démontrent — n'hésitent pas à recourir au rapport de force, qui est souvent en leur faveur ? Comment peut-on s'assurer que nous exportons bien de la puissance sans importer de la dépendance ?

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Je me réjouis de cette audition conjointe. Inédite, elle témoigne du renforcement de l'information du Parlement et de l'effectivité du contrôle parlementaire sur des enjeux stratégiques. Telle était l'ambition du rapport remis en 2020 par nos collègues Jacques Maire et Michèle Tabarot : démocratiser le contrôle des exportations d'armement et de biens à double usage, en assurant une information complète et régulière de la Représentation nationale à ce sujet, sur le modèle des procédures exigeantes prévalant chez nos voisins, notamment les Allemands, les Britanniques, les Néerlandais et les Suédois.

Je remercie les trois ministres qui, satisfaisant à cette exigence de transparence, sont venus rendre compte au Parlement de cette politique d'exportation très particulière. Ces questions sont très importantes pour la commission des affaires économiques, que j'ai l'honneur de présider, et qui se rendra le 20 octobre prochain, avec la commission de la défense, au salon Euronaval.

La politique d'exportation d'armements n'est pas dissociable de la politique de défense nationale. En tant que président de la commission des affaires économiques, j'insisterai plus particulièrement sur son volet relatif au soutien aux exportations.

Le secteur de l'armement est un atout important pour notre économie et notre balance commerciale. Avec 11,7 milliards d'euros de prises de commande en 2021, la France réalise une très bonne performance, qui la maintient à la troisième place des exportateurs mondiaux d'armements. Si ces succès bénéficient en premier lieu à nos armées, comme le rappelle le rapport, ils consolident aussi un tissu économique, social et industriel essentiel à la vitalité de nos territoires et au rayonnement de la France à l'international.

À bien des égards, il s'agit d'une industrie exemplaire. Neufs grands groupes d'envergure mondiale et européenne font vivre un réseau de sous-traitants et de fournisseurs, constitué de plusieurs milliers de start-up, de petites et moyennes entreprises (PME) et d'entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui sont souvent très innovantes, parmi lesquelles 800 entreprises sont considérées comme stratégiques ou critiques. Le secteur de l'armement représente plus de 200 000 emplois directs et indirects, soit autant que celui de la production automobile. Ces emplois sont répartis sur tous les territoires. Ils sont pour la plupart très qualifiés et non délocalisables.

L'industrie de la défense est structurellement contributrice nette à la balance commerciale nationale. Cette excellence, qui contribue au prestige de la France à l'étranger, crée une dynamique positive pour le développement de partenariats industriels dans d'autres secteurs avec les pays dont nous sommes partenaires. Comme l'indique le rapport, le soutien de l'État est plus particulièrement dirigé vers les PME, pour favoriser leur participation aux grands appels d'offres internationaux et encourager le développement de leur visibilité.

Monsieur le ministre délégué à l'industrie, cher Roland Lescure, pouvez-vous nous rappeler les actions du ministère chargé de l'économie en la matière ? Les exportations d'armement ne peuvent pas être considérées comme des exportations de biens ordinaires. Le premier rapport que vous présentez au Parlement expose très clairement les exigences particulières auxquelles elles sont soumises. Elles doivent être réalisées en parfaite cohérence avec les priorités stratégiques de la France, dans le respect de nos engagements internationaux.

Monsieur le ministre des armées, pouvez-vous nous indiquer les motifs principaux justifiant l'achat d'armements par des pays tiers ? Pouvez-vous nous préciser comment le soutien militaire à l'Ukraine, cible d'une agression armée de la Russie, trouve sa cohérence avec nos principes stratégiques et les modalités de contrôle des exportations de matériels de guerre ?

Le contrôle des exportations est tout aussi essentiel s'agissant de l'exportation de biens à double usage, civil et militaire. Pour la première fois, le Gouvernement remet au Parlement un rapport à ce sujet. Il faut se réjouir que ce rapport soit désormais annuel, ce qui constitue un renforcement important de l'information des assemblées sur cet enjeu stratégique et souvent méconnu. Il s'agit de trouver un juste équilibre entre préservation de la sécurité internationale et limitation des contraintes pesant sur nos entreprises, lesquelles évoluent dans un contexte économique très concurrentiel.

Comme l'indique le rapport, la performance des exportations des biens à double usage est un enjeu économique majeur pour les entreprises exportatrices, qui peuvent être mises en difficulté par un délai excessif d'instruction ou par le refus d'une demande d'autorisation d'exportation. Les acteurs de petite taille, notamment les start-up, les laboratoires et les établissements de recherche, peuvent être plus particulièrement pénalisés.

Monsieur le ministre, Messieurs les ministres délégués, pouvez-vous indiquer comment la procédure de contrôle concilie les enjeux sécuritaires et les enjeux économiques, de façon à ne pas entraver excessivement l'activité des entreprises concernées ?

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Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence du président Bourlanges, qui accompagne également Mme la présidente de l'Assemblée nationale dans son déplacement en Pologne et en Ukraine.

Au nom de la commission des affaires étrangères, je me réjouis et me félicite de la tenue de cette réunion, dans ce format totalement inédit. Dans un rapport d'information dont la commission des affaires étrangères a autorisé la publication le 18 novembre 2020, et qui s'intitule « Renforcer le contrôle des exportations d'armement, une contribution à l'Europe de la défense », Michèle Tabarot et notre ancien collègue Jacques Maire – pour qui nous avons une pensée – ont développé une analyse complète de l'utilité du regard parlementaire sur ces enjeux et formulé des propositions, auxquelles la publication d'un rapport gouvernemental consacré à l'exportation des biens à double usage constitue une réponse bienvenue et attendue.

Il faut bien constater que le débat public est réducteur lorsqu'il s'agit d'expliquer les ventes, par nos industries nationales, d'armes ou de biens pouvant servir à des fins militaires. Ces exportations ont certes un intérêt économique mais elles contribuent aussi à notre souveraineté stratégique et à notre influence en matière de sécurité internationale.

La France ne peut pas exporter ces productions à n'importe quelles conditions. Notre pays porte des valeurs. Il n'est pas possible que ces exportations puissent servir à violer le droit de la guerre ou à réprimer des civils innocents. Cette exigence revêt une actualité particulièrement douloureuse compte tenu de ce qui se passe en Ukraine.

La France est membre fondateur et participant actif des quatre régimes internationaux de contrôle visant à prévenir la diffusion incontrôlée d'armes et de technologies sensibles : le groupe des fournisseurs nucléaires (GFN), pour les biens et technologies nucléaires sensibles ; le groupe Australie (GA), pour les biens pouvant servir à la composition ou à la fabrication d'armes biologiques et chimiques ; le régime de contrôle de la technologie des missiles (MTCR) pour les missiles et les technologies associées ; l'arrangement de Wassenaar sur le contrôle des exportations d'armes conventionnelles et de biens et technologies à double usage.

Notre pays participe également à l'Initiative de sécurité en matière de prolifération (PSI). Il est aussi partie prenante à des conventions internationales majeures, telles que la convention d'Oslo sur les armes à sous-munitions, la convention d'Ottawa sur les mines anti-personnel et le traité sur le commerce des armes (TCA), entré en vigueur le 24 décembre 2014. Au surplus, le cadre normatif du droit communautaire impose des obligations fortes.

Par ailleurs, un contrôle administratif rigoureux des licences d'exportation des armements et des biens à double usage est mené à l'échelon interministériel. Je salue la présence des trois ministres concernés à notre réunion. La présentation de rapports annuels au Parlement, depuis 1997 s'agissant des exportations d'armements et à partir de cette année concernant celles de biens à double usage, participe d'une saine transparence sur ces questions, qui intéressent de plus en plus nos concitoyens. Les échanges à venir n'en sont que plus légitimes.

Le montant des licences octroyées pour les exportations de biens à double usage, soit 9 milliards d'euros en 2021, n'est pas significativement inférieur à celui des exportations d'armements, qui est de 11,7 milliards d'euros. Cet état de fait renforce la pertinence et l'utilité d'une démarche conjointe, qui offre une vision plus globale.

Sur le fond, ces rapports insistent largement sur les cadres juridiques applicables à ces questions, plutôt que sur le détail des licences octroyées. Nous pouvons néanmoins constater la part remarquable prise par le Rafale dans les exportations d'armements, ainsi que celle du nucléaire, des hélicoptères et des biens de cryptologie dans celles des biens à double usage. Surtout, à rebours des fantasmes, le premier bénéficiaire, en valeur, des exportations de biens à double usage, est le Royaume-Uni. L'Inde et l'Égypte sont les principaux clients en matière d'armements.

Les parlementaires que nous sommes, dans la diversité de nos sensibilités, sont particulièrement sensibles au fait que le Gouvernement ait accepté de faire évoluer le cadre de l'information du Parlement sur ces sujets et facilité la tenue de la présente audition.

J'adresserai aux ministres trois questions.

Que représente, en volume et en valeur, le soutien en équipements aux forces armées ukrainiennes depuis le début de l'année ?

D'après le rapport sur l'exportation des biens à double usage, la France a notifié 125 refus de licences d'exportation en 2021 ; pouvez-vous en préciser les motifs et les pays concernés ?

Enfin, les États-Unis ont établi une liste, mise à jour annuellement, d'environ 1 200 entités étrangères vers lesquelles toute exportation, quel que soit le type de biens, doit faire l'objet d'un contrôle systématique. Est-il envisageable d'instaurer, sur le modèle américain, un contrôle par client s'agissant des exportations de biens à double usage, en publiant une liste d'entités soumises à un contrôle renforcé ?

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Sébastien Lecornu, ministre des armées

Merci de nous accueillir dans un cadre doublement neuf : nous venons de prendre nos responsabilités ministérielles et c'est la première fois que l'Assemblée nationale mène, dans ce périmètre et dans ce format, le contrôle démocratique nécessaire, exigeant et indispensable des exportations d'armements. Je salue à mon tour le travail de Jacques Maire et de Michèle Tabarot, ici présente.

L'acceptabilité sociale, sociétale et démocratique des exportations d'armements n'est pas une affaire nouvelle sous la Ve République. Elle suppose que le Gouvernement en rende compte au Parlement. Si certains instruments sont couverts par le secret de la défense nationale, inscrit dans la loi que le Parlement vote, nous ne devons pas nous complaire dans une forme d'opacité, s'agissant de sujets particulièrement susceptibles de nourrir la caricature.

Nous vous devons des excuses pour avoir remis en retard à l'Assemblée nationale le rapport sur les exportations d'armement. Nous avons tous trois été nommés lors du dernier remaniement et avons tenu à endosser le contenu du rapport, même s'il porte sur l'année 2021, au cours de laquelle nous n'avions pas ces responsabilités. Continuité de l'État et de la Représentation nationale obligent, nous venons en rendre compte devant vous.

Quelques grands principes régissent les exportations d'armement.

Tout d'abord, leur mobile n'est pas uniquement économique, ce qui est une constante depuis 1958, quelles que soient les opinions de nos dirigeants, du président de Gaulle au président Macron en passant par le président Mitterrand. Il s'agit, selon la formule du général de Gaulle, d'être « amis, alliés mais pas alignés ».

Ne pas être condamné à acheter des armes soit à Washington, soit à Moscou nécessitait de disposer d'une BITD française. Tel est le pari que font, après-guerre, les gaullistes et les communistes. Dès avant 1958, la IVe République a commencé à constituer une autonomie stratégique à la française, considérant qu'elle gouverne celle de notre modèle d'armée, donc celle de notre diplomatie. Si une armée utilise des armes dont d'autres pays détiennent les clés, et en déterminent la qualité ainsi que la quantité, il s'agit d'une atteinte à la souveraineté, que le général de Gaulle a clairement refusée.

Ensuite, même si la présente audition ne porte que sur les armements conventionnels puisque la France n'exporte pas n'importe quoi n'importe comment, il va sans dire que la dissuasion nucléaire, et plus largement l'aventure des débuts de la Ve République visant à assurer notre autonomie stratégique, ont exigé des efforts soutenus. De ce principe découle la question suivante : le carnet de commandes de l'armée française suffit-il à équilibrer le modèle ?

La réponse, qu'il n'est pas inutile de rappeler, notamment devant nos concitoyens, est non. L'armée française ne peut, à elle seule, remplir le carnet de commandes des entreprises qui fabriquent des Rafale par exemple. Ce point, contrairement à l'autonomie stratégique, ne fait pas l'objet d'un consensus politique.

En effet, la question se pose de savoir quelle part de dépense publique nous sommes prêts à attribuer au financement de notre BITD. Je la pose d'autant plus facilement que mes collègues et moi-même appartenons à un gouvernement qui vous proposera dans quelques jours, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, d'augmenter encore le budget des armées, en franchissant une nouvelle marche de 3 milliards d'euros. Toutefois, l'augmentation du budget de la défense n'épuise pas la question des équilibres économiques de la BITD, dont le modèle repose en partie sur l'export.

Je m'abstiendrai de citer Michel Debré ou Charles Hernu et me contenterai de rappeler qu'il existe, en matière de défense, une permanence française. Il faut le rappeler pour conjurer la tentation de la division sur des sujets ayant fait l'objet de consensus dans le passé. Nous travaillerons à définir systématiquement une logique de consensus dans les temps à venir.

Par ailleurs, ce modèle basé sur les exportations d'armement, qui permet de trouver des équilibres, permet aussi de garantir des lignes de production toujours disponibles, notamment pour l'armée française. Tel est par exemple le cas du modèle industriel du Rafale. Lorsque la commission de la défense auditionnera M. Trappier, dans le cadre des travaux sur la prochaine loi de programmation militaire (LPM), elle l'entendra dire que le Rafale, pour être viable, doit être produit à au moins onze exemplaires par an. L'armée de l'air française ne peut en acheter autant. Quand bien même elle le ferait, cela ne garantirait pas un modèle de chaîne de production sur une durée suffisante.

Tel est aussi le cas des missiles transportables anti-aériens légers (Mistral), dans un exemple inversé. L'armée française en a constitué des stocks importants, ce qui l'a dispensée d'en commander de 2006 à 2022. La chaîne de production a continué d'en construire pour l'exportation. Le retour d'expérience (Retex) du conflit en Ukraine nous enseigne que nous devrons compléter nos stocks en 2023. Nous procéderons à un réassort important en munitions mais la question de recréer une chaîne de production de Mistral ne se pose pas car elle n'a jamais cessé de fonctionner, grâce à l'exportation. Ces exemples concrets – le Rafale par le plancher, le Mistral par le plafond – démontrent que nous conservons des capacités industrielles propres.

J'en viens aux résultats obtenus en 2021, en donnant, à la cavalcade, les chiffres attendus dans le cadre du contrôle démocratique que vous exercez ce jour. L'industrie de défense représente 2,3 % des exportations françaises en chiffre d'affaires. Elle cumule 11,7 milliards d'euros de commandes à l'exportation en 2021, ce qui fait de cette année, pour l'industrie de défense française, l'une des trois meilleures avec les années 2015 et 2016, au cours desquelles le carnet de commandes du Rafale s'est rempli.

Ces bons chiffres s'expliquent par des contrats de gros volumes, notamment pour la vente de Rafale. Plus généralement, le secteur aéronautique, en forte hausse, représente pratiquement 70 % des prises de commandes en 2021. Les chiffres sont calculés sur la base des dates d'entrée en vigueur des contrats.

Six Rafale neufs et douze Rafale d'occasion seront vendus à la Grèce, trente Rafale seront vendus à l'Égypte et douze à la Croatie. Nous vendons également des pièces d'artillerie, notamment le désormais fameux canon Caesar, qui fait l'objet d'un contrat avec la Roumanie. Plusieurs contrats ont été signés pour la vente d'hélicoptères, notamment le modèle H145-M, et de systèmes de défense sol-air à la Serbie.

Une tendance mérite d'être signalée : en dix ans, la part des commandes à l'export vers l'Europe est passée de 10 % à 30 %, et même à 38 % pour l'année 2021. Les ventes de Rafale l'expliquent largement mais pas exclusivement. Ainsi, le type de pays vers lesquels nous exportons évolue, notamment en fonction de nos alliances. Du point de vue de l'acceptabilité sociale des exportations d'armement, la part de marché des pays européens et/ou membres de l'OTAN, est déterminante.

S'agissant des ventes de l'année 2022, qui ne sont pas inscrites à l'ordre du jour de la présente audition, je me contenterai d'indiquer que la vente de six Rafale et de trois FDI à la Grèce est en cours de conclusion et que le contrat d'acquisition de quatre-vingts Rafale par les Émirats arabes unis suit son cours.

Dans l'économie française, l'armement représente neuf grands groupes et surtout plus de 4 000 PME, auxquelles j'appelle la Représentation nationale à s'intéresser. Souvent, ce sont les grands arbres qui retiennent notre attention. Dassault ne produit pas le Rafale seul.

Ces PME forment un réseau très homogène sur le territoire national, à l'exception de l'outre-mer. On trouve des équipementiers et des sous-équipementiers travaillant dans les domaines les plus divers aux quatre coins du pays, donc dans chacune de vos circonscriptions. Cela représente 200 000 emplois de haute technicité, souvent non délocalisables et qui auront même de plus en plus vocation à être relocalisés, comme nous l'enseignent les Retex du conflit en Ukraine et de la pandémie de Covid-19. Depuis 2017, 35 000 emplois ont été créés dans l'industrie de défense, ce qui en dit long sur la dynamique dans laquelle nous nous inscrivons.

L'export d'armement a donc un impact significatif sur l'économie. Les régions qui en bénéficient le plus sont l'Île-de-France, qui compte 30 000 emplois directs, dont pratiquement 20 000 dans le seul département des Yvelines, la Nouvelle-Aquitaine – 12 500 emplois directs –, l'Occitanie – 10 000 emplois directs –, la région PACA – 13 500 emplois directs – et la Bretagne – 8 800 emplois directs.

Certaines de ces PME deviennent des championnes à l'export, notamment d'objets de haute technologie. Tel est le cas du fabricant de détecteurs infrarouges Lynred, installé à Grenoble, qui réalise 90 % de son chiffre d'affaires en export. Si les exportations que vous contrôlez cet après-midi cessent, cette entreprise ferme. Citons aussi le groupe Lohr, qui fabrique des véhicules de transport logistique à Strasbourg, et Piriou Naval Services, qui est un constructeur naval installé à Concarneau. Ces exemples, pour symboliques qu'ils sont, disent quelque chose des PME françaises.

L'analyse par zones géographiques fait ressortir un périmètre UE-OTAN dans lequel nous arrivons à travailler. L'existence de programmes d'armement communs à plusieurs pays européens implique, dans une certaine mesure, à des exports domestiques européens. Citons notamment les programmes Aster/Meteor et NH 90. Le fonds européen de défense (FED), qui est un instrument assez récent, commence à produire des effets en matière de carnet de commandes.

Par ailleurs, nous avons plusieurs partenaires privilégiés. Outre la Grèce, la Belgique en fait partie, notamment pour les équipements de l'armée de terre. Le programme Scorpion devrait y être déployé dès que possible, dans le cadre de l'accord intergouvernemental CaMo. Le canon Caesar présente une interopérabilité complète entre les deux armées de terre, ce qui, s'agissant d'un pays ami et frontalier, est plein de bon sens.

Le Royaume-Uni, est un grand partenaire de défense. Il représente pratiquement 1,3 milliard d'euros de commandes sur les dix dernières années. Les États-Unis comptent parmi nos partenaires, en dépit de la dissymétrie entre l'industrie de défense américaine et la nôtre. Neuvième client de l'industrie française de l'armement, ils représentent, en 2021, pratiquement 250 millions d'euros de livraisons d'armement et 150 millions d'euros de commandes.

L'autre théâtre important où se déploie un agenda d'exportation, c'est l'Indo-Pacifique, qui ne se confond pas avec la position stratégique française, que nous évoquerons avec le Parlement à l'automne dans le cadre de la mise à jour de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale. Nos grands anciens n'ont pas seulement fait le choix de l'autonomie ; ils ont aussi observé que d'autres pays n'avaient pas envie de se résoudre à faire un choix entre Moscou et Washington et ont acheté français pour cette raison.

Indépendamment de la qualité de nos matériels et des segments dans lesquels nous connaissons des réussites, pour de nombreux pays comme par exemple ceux de l'Indo-Pacifique Sud, choisir un produit français, c'est en creux ne pas avoir à choisir entre Moscou, Washington ou Pékin. Mon expérience de ministre des outre-mer me l'a confirmé. Proposer des productions « à la française » permet à certains pays de cranter une diversité stratégique. D'autres, comme l'Indonésie, acquièrent des systèmes d'armes de différents pays, dont la France, pour envoyer un signal de non-alignement, à tout le moins d'autonomie stratégique.

Cet aspect décisif de la question n'est pas assez nettement affirmé dans les rapports remis par le Gouvernement au Parlement au cours des dernières années. Quoi qu'il en soit, c'est aussi souvent pour ne pas en choisir d'autres que l'industrie française est choisie. Je souhaite qu'une réflexion soit menée à ce sujet. Si nous sommes amenés, un jour, à changer de doctrine, nous condamnerions ces pays à entrer dans un schéma binaire, et désormais ternaire.

S'agissant des Émirats arabes unis, je vous rappelle que la conclusion de nos contrats d'armement est guidée par nos partenariats stratégiques et nos accords de défense. Or, nous avons une base prépositionnée dans ce pays.

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Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie

La réindustrialisation de la France est l'une des priorités du Président de la République, qui présentait, il y a près d'un an, le plan France 2030. Les crises récentes, notamment la guerre en Ukraine, ont mis en lumière notre exposition aux perturbations des chaînes de valeur, que nous devons intégrer dans notre stratégie industrielle.

Monsieur Kasbarian, l'implication du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique dans le processus de validation des exportations s'explique par la nécessité d'analyser en détail la situation financière des pays acheteurs, d'évaluer leur capacité à honorer les paiements qui seront dus à l'exportateur français, sur fonds propre ou par endettement, de mesurer l'exposition de la France vis-à-vis de ces États et, en parallèle, d‘apporter des éléments d'analyse des états financiers des entreprises exportatrices, en particulier les PME. L'État, au travers de son opérateur Bpifrance Assurance Export, accompagne les entreprises françaises exportatrices de matériels civils ou militaires par la couverture de leurs risques d'interruption de contrat ou de non-paiement. Ce produit est largement utilisé par les PME et apporte une contribution nette au budget de l'État.

Cette année, nous vous présentons pour la première fois un rapport sur nos exportations de biens à double usage, comme l'ancien Premier ministre Jean Castex s'y était engagé auprès de Jacques Maire et Michèle Tabarot. C'est le prolongement d'une pratique qui a donné satisfaction pour les matériels de guerre. Le document que nous vous soumettons offre une vision d'ensemble de notre action en matière de contrôle des exportations de matériels de défense et de biens à double usage. Si la Représentation nationale souhaitait rendre ce rapport public, nous n'y verrions aucun inconvénient.

Les biens à double usage sont avant tout destinés à des applications civiles mais peuvent aussi avoir des usages militaires. Parmi quelques cas réels, je citerai une souche virale exportée à des fins de recherche médicale mais pouvant permettre de constituer une arme bactériologique, des tissus de fibre de carbone exportés pour la fabrication de clubs de golf mais pouvant servir à la conception de pales d'hélicoptères ou de vecteurs d'armes de destruction massive, ou encore des joints et des vannes destinés à des processus industriels civils mais qui pourraient être utilisés à des fins nucléaires.

Les exportations de biens à double usage concernent souvent des secteurs stratégiques, liés à nos priorités de politique industrielle. Le nucléaire civil, le quantique, l'aéronautique sont autant de domaines dans lesquels ces biens peuvent être présents. Au-delà de l'enjeu de la souveraineté française et européenne, disposer d'une industrie de haute technologie, d'une industrie de la défense forte et résiliente est un facteur de compétitivité. Si la France est le sixième exportateur de biens et services au monde et le troisième en matière de défense, c'est dû en partie à l'excellence de sa recherche, de sa main-d'œuvre et de sa maîtrise technologique.

Le rapport qui vous a été remis présente l'origine et le cadre du contrôle des exportations de biens à double usage, qui est lui-même régi par un règlement européen mis en œuvre par les autorités nationales. Le règlement établit de façon juridiquement contraignante la liste des biens soumis à autorisation préalable d'exportation. Ces dispositions sont issues des régimes multilatéraux de contrôle, qui définissent les biens sensibles au regard de leurs applications possibles pour la fabrication d'armes de destruction massive. Le rapport décrit par ailleurs l'organisation nationale du contrôle, qui est interministérielle. Il vous présente enfin un bilan de l'année 2021.

Le premier acteur du contrôle de la destination ultime du bien exporté est l'exportateur lui-même : l'entreprise doit s'assurer de l'utilisation finale du bien lors de la signature du contrat. Le ministre chargé de l'industrie, qui est représenté par le service des biens à double usage, est l'autorité en charge de la mise en œuvre du contrôle en France. Dans ce domaine, nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère des armées, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le secrétariat général de la défense et la sécurité nationale. Nous examinons chaque demande en mobilisant des compétences géopolitiques, économiques, financières, industrielles, juridiques et techniques. La décision est prise conformément à l'avis de la commission interministérielle des biens à double usage (CIBDU). Nous faisons également appel à la coopération européenne qui permet de renforcer l'efficacité du contrôle au niveau européen.

Le cadre du contrôle a été modernisé par le règlement européen du 9 septembre 2021, dont l'objet est de nous permettre de nous adapter aux risques et aux défis liés à la prolifération d'armes de destruction massive et aux possibles violations des droits de l'homme par l'utilisation des biens et technologies sensibles.

Je me réjouis du dynamisme des entreprises exportatrices de biens à double usage. Nous avons accordé, en 2021, environ 4 000 autorisations d'exportation pour un total de 9 milliards d'euros, montant stable par rapport à 2020, hors exportations vers le Royaume-Uni. Par construction, les exportations réalisées sont inférieures au nombre des autorisations.

Monsieur Herbillon, les 125 refus d'autorisation notifiés par la France en 2021 sont à rapporter à un total d'environ 600 refus en Europe : la part importante que nous prenons à l'effort montre que nous faisons bien notre travail. Le refus peut s'expliquer, par exemple, par un risque de prolifération d'armes de destruction massive, en particulier dans des États qualifiés de « proliférants ». Il peut être dû aussi à la volonté de contourner un régime de sanctions, par exemple contre la Russie, ou d'embargo sur les armes. Par ailleurs, la Chine suit une stratégie de fusion de ses industries civiles et militaires, ce qui justifie que nous soyons très prudents.

Un certain nombre de nos industriels, militaires mais aussi civils, s'inquiètent des difficultés croissantes de financement à l'export. La crise en Ukraine va changer les priorités stratégiques, notamment en Europe, où les dépenses dans le secteur de la défense vont croître. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique suit de très près le financement des exportations. Il entend s'assurer que nos entreprises peuvent continuer à produire, à vendre en France et à exporter partout dans le monde des produits de qualité.

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Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger

Je m'exprime au nom de Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, qui est en déplacement à Kiev et m'a demandé de la représenter.

Le montant total des exportations françaises de biens s'élève à 500 milliards d'euros et celui des exportations d'armements à 30 milliards d'euros. Le rapport que nous vous présentons est le fruit d'un effort collectif du Gouvernement et du Parlement pour renforcer l'association de ce dernier au contrôle des exportations d'armements et de biens à double usage, dans le plein respect de la séparation des pouvoirs. Je voudrais souligner le très fort investissement des administrations concernées. Cet effort collectif a permis d'aboutir au décret du 2 juillet 2021.

Le rapport sur les exportations de matériels de guerre est certainement l'un des plus complets au monde. Il décrit précisément les critères qui ont justifié les autorisations et les refus d'autorisation d'exportation. Les 125 refus qui ont été prononcés ont un sens particulier, celui du respect des valeurs et des principes fondamentaux auxquels la France adhère.

La France est l'un des rares pays à présenter, dans son rapport, l'ensemble des choix méthodologiques qui ont conduit à la prise de décision. L'autorisation ou le refus de l'exportation d'un matériel de guerre est le fruit d'un processus minutieux visant à assurer la conformité de la décision aux engagements internationaux et européens de la France. C'est surtout un acte de confiance réciproque entre deux partenaires : le pays acheteur accepte de placer entre les mains de la France une partie des instruments de sa sécurité, tandis que notre pays met à la disposition d'un autre État son expertise et son savoir-faire.

Dans le cadre de la diplomatie économique, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères apporte, en lien avec le ministère des armées et le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, un soutien actif aux entreprises de notre BITD, en partageant son expertise politique sur les pays destinataires et en appuyant, au moyen de son réseau diplomatique, leurs prospects à l'étranger. Ce soutien n'intervient qu'après l'octroi d'une licence d'exportation et s'inscrit dans le strict respect de nos engagements internationaux et de notre cadre déontologique.

Comme toute activité relevant de la politique étrangère, je me réjouis que le Gouvernement y associe le Parlement, tout en rappelant que l'acte d'exportation est, juridiquement, un acte de gouvernement.

Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères participe au processus d'examen des demandes de licence d'export. Il apporte son analyse de l'état de la relation bilatérale et de la situation intérieure du pays. Il évalue la situation régionale en lien étroit avec le réseau universel des ambassades et des consulats généraux. Le ministère participe également à l'examen de la conformité de toute demande de licence au traité sur le commerce des armes et à la position commune amendée de l'Union européenne, laquelle énumère huit critères de refus. Je voudrais insister sur le deuxième de ces critères, à savoir le respect des droits de l'Homme dans le pays de destination finale et le respect du droit humanitaire international par cet État.

Le rapport sur les exportations de biens à double usage concerne avant tout la politique commerciale – ce qui le différencie du document sur les matériels de guerre – tout en ayant une composante de politique étrangère.

L'association des élus de la nation à ces activités est cruciale. Le rapport d'information présenté par Jacques Maire et Michèle Tabarot en novembre 2020 soulignait la nécessité d'améliorer le dispositif national de contrôle des exportations, particulièrement dans le domaine des biens à double usage. Nous ne pouvons que nous satisfaire de constater que leurs préconisations ont été appliquées.

Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères préside la commission interministérielle des biens à double usage et fonde son rôle sur deux principes fondamentaux en matière de contrôle des exportations de ces biens : la protection des droits de l'Homme à l'échelle internationale et le soutien du tissu industriel français.

Notre diplomatie agit chaque jour pour élargir l'espace de la démocratie et des droits fondamentaux partout où cela est possible. Comme nous le rappelle notre Constitution, chaque être humain est également digne de jouir des droits fondamentaux. C'est sur ce principe que nous fondons notre travail d'analyse des demandes d'exportation de biens à double usage. Nous défendons ce principe dans le cadre du respect de nos engagements européens et internationaux mais également parce que cela a toujours constitué le fondement de la politique étrangère de la France. Au-delà des aspects juridiques, il s'agit d'un engagement quotidien et central de la diplomatie française.

Le travail de la CIBDU se fonde sur un deuxième principe : la protection des intérêts économiques français.

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Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

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Je remercie tous ceux qui participent à cette audition en format exceptionnel.

Avec le plan Action PME, lancé en 2018 par Florence Parly – que je salue – et rénové en avril dernier, le ministère des armées s'est engagé dans une politique active de soutien aux start-up, aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux entreprises de tailles intermédiaire (ETI). Ce plan ambitieux semble être, depuis quatre ans, une réelle réussite : il favorise l'innovation nécessaire de nos armées, permet l'accès aux différents dispositifs d'achat du ministère et contribue au respect des relations contractuelles entre les groupes titulaires des marchés et leurs sous-traitants.

Lorsqu'on parle de l'industrie de défense, on pense souvent aux géants de notre BITD. Or près de 26 000 PME, ETI et start-up françaises fournissent directement le ministère des armées et 4 000 sont sous-traitantes pour de grands programmes d'armement. Ce sont des acteurs indispensables à notre BITD et à nos armées : elles soutiennent le fonctionnement de nos forces au quotidien et permettent à nos armées d'être équipées de matériels dotés de technologies de pointe, répondant au plus haut niveau de performance.

Ce plan mis en œuvre par le ministère des armées, notamment par la direction générale de l'armement (DGA), repose sur cinq axes majeurs : être au contact des PME et des ETI pour leur donner le maximum d'information possible et leur permettre de mieux accéder au ministère, à ses marchés et à ses différents dispositifs de soutien ; soutenir le fonctionnement des PME et des ETI par un accompagnement direct et des outils dédiés ; soutenir le chiffre d'affaires des PME et des ETI en facilitant leur accès aux marchés du ministère ; soutenir l'innovation des PME et des ETI grâce à des outils et des dispositifs adaptés et réactifs ; soutenir l'accès des PME et des ETI à l'export et au Fonds européen de la défense (FED) par un accompagnement spécifique et des outils dédiés – notamment le fameux label « Utilisé par les armées françaises », récemment créé.

Monsieur le ministre des armées, quelles retombées du plan Action PME pouvez-vous d'ores et déjà constater pour les PME de nos territoires en matière d'accès aux exportations ?

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Sur la période de 2017 à 2021, la France a été le troisième exportateur d'armements au monde. Parmi ses clients, on trouve de grandes démocraties respectueuses des droits humains telles que le Qatar, les Émirats arabes unis, l'Égypte ou encore la Russie – vous l'avez rappelé, Monsieur le ministre des armées.

Le préambule de la Constitution de 1946 dispose : « La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international. Elle n'entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple ». Il énonce encore : « Sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix ». Conformité aux règles du droit international, liberté des peuples, défense de la paix, ces grands principes constitutionnels ont été édictés au lendemain de la seconde guerre mondiale et nous avons toutes les raisons d'en être fiers et jaloux.

Au regard de ces principes, les armes sont-elles des marchandises comme les autres ? Non, précisément parce que leur commerce, tel qu'il est pratiqué par la France, annihile tout simplement les principes en question. Les faits montrent que nous n'avons aucune restriction à exporter partout dans le monde ; force est de constater que nos compromissions vont trop loin.

Nos armes, en premier lieu, peuvent se retourner contre nous. La France a ainsi livré des armes à la Libye, dès la levée de l'embargo en 2004. Une fois Kadhafi renversé, en 2011, l'arsenal libyen s'est effondré et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a fait ses emplettes, notamment pour ses opérations au Sahel. L'idée même que des militaires français aient pu être la cible d'armes de conception et de fabrication françaises devrait nous inciter à mettre un frein aux exportations.

Nos armes sont aussi utilisées régulièrement contre la défense de la paix. C'est ainsi que la France a livré des armes à la Russie, entre 2015 et 2020. Les ventes sont légales selon le cadre juridique qui est le leur mais l'appât du gain a permis de concourir à la modernisation de l'armée russe. Au passage, belle vision stratégique !

Nos armes, enfin, sont utilisées contre les peuples, comme ces dernières années au Yémen. D'après l'ONU, ce conflit aurait causé 380 000 morts, en quasi-totalité des civils. Nous parlons bien de crimes de guerre.

Le tableau est lamentable. Cerise sur le gâteau : pris au piège de l'inepte logique de concurrence à laquelle l'armement ne devrait pas être soumis, nous sommes contraints de chercher sans cesse de nouveaux clients pour assurer la production de nos propres besoins. Cette dépendance est telle que la France jette ses engagements internationaux aux orties. C'est ainsi, par exemple, qu'elle ferme les yeux sur le trafic d'armes dont se rendent coupables les Émirats arabes unis au profit du maréchal Haftar. Le respect du droit international s'évapore devant la déférence due à l'un de nos plus gros clients.

Voici, rapidement brossés, quelques-uns des bienfaits d'un modèle économique ouvert à tous les vents de la concurrence – et dont vous présentez aujourd'hui le rapport d'activité. Voici une vision de la souveraineté qui laisse amer. Voici une manière d'assurer notre sécurité qui paraît bien lacunaire. Voici l'œuvre de promotion de la paix bien dénaturée.

À un moment où le regain de tensions internationales entre grandes puissances menace durablement la paix, La France insoumise réaffirme que les armes ne sont pas des marchandises comme les autres. Nous rappelons qu'il est urgent de mettre fin au modèle économique du tout-export, qui fait passer le profit avant les droits humains, avant la paix et, finalement, avant notre propre sécurité.

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Je vous remercie d'avoir organisé cette audition sur un sujet qui, vous l'avez signalé, m'intéresse tout particulièrement : notre ancien collègue Jacques Maire – que je salue avec beaucoup d'amitié – et moi-même avions remis un rapport d'information sur le contrôle des exportations d'armement, dans lequel nous avions formulé trente-cinq propositions tendant à renforcer le rôle du Parlement et la transparence.

L'objectif n'est pas de remettre en cause les ventes d'armes, qui sont essentielles pour la France : elles permettent de soutenir notre base industrielle, de garantir notre indépendance et de renforcer nos partenariats stratégiques. Avec plus de 11 milliards d'exportations en 2021, ces objectifs sont largement soutenus. Toutefois, nous constatons aussi que, depuis quelques années, le consensus autour des ventes d'armes s'est nettement dégradé – nous venons de l'entendre à l'instant –, notamment parce que les efforts pour garantir la transparence sont encore insuffisants.

J'ai bien sûr noté que quelques progrès étaient intervenus. Je salue notamment la publication, pour la première fois, d'un rapport dédié aux biens à double usage. Néanmoins, nous n'avons pas été totalement entendus. D'ailleurs, le fait que cette réunion, dont je salue le principe, se tienne à huis clos est un mauvais signal. Je pense avant tout à notre proposition de créer une délégation parlementaire au contrôle des exportations d'armement. L'objectif n'est pas d'entraver quoi que ce soit : il s'agit simplement de faire en sorte que les parlementaires français bénéficient du même niveau d'information que leurs collègues suédois ou britanniques – l'un des coprésidents l'a souligné –, d'autant plus qu'ils n'auraient pas accès, en définitive, à d'autres informations que celles que contiennent les rapports publics.

Je suis convaincue que nous devons travailler ensemble pour faire progresser la transparence sur plusieurs points. Je pense par exemple à l'identification des utilisateurs finaux ou à la publication de rapports intermédiaires. J'aimerais connaître votre position sur cette demande légitime qui, loin de fragiliser nos exportations, renforcerait leur accessibilité.

J'aimerais également vous interroger sur les conséquences que certaines exportations ont pu avoir sur nos propres armées. Les Rafale d'occasion cédés à la Grèce et à la Croatie ont été prélevés sur nos capacités et il faut du temps pour les remplacer. De même, les trois frégates vendues à la Grèce vont créer un trou capacitaire pour notre marine nationale. Des hauts gradés s'en sont publiquement inquiétés ; c'est assez exceptionnel pour être souligné. La France, du fait de ces manques, n'est pas prête à faire face à un conflit de haute intensité. Monsieur le ministre des armées, qui prend la décision de retarder nos programmes d'équipement ? Le Parlement pourrait-il être consulté sur ces choix ?

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Le groupe démocrate se réjouit que le Gouvernement ait, pour la première fois, joint à son rapport un document distinct sur les biens à double usage, conformément à l'engagement pris par le Président de la République en 2021 de mieux informer le Parlement. Dans le contexte actuel – lutte contre le terrorisme, évolution du contexte international vers des conflits de haute intensité, multiplication des atteintes aux droits de l'homme, notamment à travers la cybersurveillance –, il importe de contrôler étroitement nos exportations d'armements et de biens à double usage. Nous devons veiller à ce que nos matériels, qu'ils soient civils ou militaires, ne soient pas détournés de leur finalité initiale. Nous sommes toujours aux côtés de celles et ceux qui combattent pour la liberté et la démocratie : les Ukrainiens sous le feu de l'agression illégale de la Russie, les femmes iraniennes et tant d'autres, hélas, de par le monde !

Messieurs les ministres, vous soulignez que les contrôles qui s'exercent sur les exportations de matériel de guerre et de biens à double usage sont bien organisés et efficaces. Depuis plusieurs années, une petite musique se fait pourtant entendre, qui invite à fusionner les deux mécanismes de contrôle, comme cela se fait dans certains pays européens : une sorte de guichet unique pour les industriels. Les professionnels à qui j'ai demandé leur avis m'ont fait une réponse en deux temps. Ils m'ont d'abord répondu : « Pourquoi pas ? » tout en notant qu'une telle fusion risquait de se heurter à des rivalités politiques et à des guerres d'egos entre ministères. Dans un deuxième temps, ils ont surtout souligné un problème de fond : les deux plateformes n'obéissent pas aux mêmes impératifs techniques en matière de sécurisation et de confidentialité de la donnée. Que pensez-vous d'une éventuelle fusion des deux systèmes de contrôle ? Est-elle envisageable ? Est-elle souhaitable ? Sur un tout autre sujet, est-il envisageable que les matériels que nous n'utilisons pas soient livrés aux Ukrainiens ?

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Entre 2017 et 2021, cinq producteurs d'armement ont représenté, à eux seuls, 77 % du montant total des exportations mondiales. Le marché mondial de l'armement repose donc encore sur un nombre réduit d'acteurs, même si de nouveaux États arrivent sur le marché. Les tensions géopolitiques aux frontières de l'Europe ont conduit plusieurs pays – l'Allemagne, la Pologne, la Norvège, le Danemark – à accroître fortement leur budget de défense. Les États de l'Union européenne qui accroissent leurs dépenses militaires pourraient être amenés, s'ils privilégient l'offre d'entreprises européennes, à développer des capacités d'achat en commun de matériel ou d'élaboration conjointe d'armement. Toutefois, la très forte concurrence intra-européenne entre la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie et la Suède conduit ces pays à compenser cette insuffisance de coopération par des stratégies de substitution à l'export en privilégiant des pays tiers ou des partenaires étrangers, y compris dans leur dispositif de production.

Face à ces constats et à l'évolution du contexte stratégique qui a conduit la France à faire évoluer ses positionnements, plusieurs questions peuvent se poser. Quid d'une éventuelle insuffisance du soutien militaire français à l'Ukraine ? Plus généralement, en quoi va consister la mise en place d'une économie de guerre, s'agissant de l'adaptation des règles juridiques, de la réorganisation de la production d'armement et de la constitution de stocks ? Si la France exporte davantage, comme c'est prévisible, comment nos militaires formeront-ils nos partenaires étrangers à l'utilisation de ce nouveau matériel ?

Par ailleurs, en septembre 2021, l'Australie annonçait l'annulation du contrat du siècle, d'un montant de 56 milliards d'euros, qui prévoyait la livraison de douze sous-marins. Cette décision a été vécue par la France comme une véritable rupture du lien de confiance unissant nos deux pays et a représenté le point d'orgue d'une crise diplomatique sans précédent entre Paris et Canberra. Si nos relations avec l'Australie se sont améliorées depuis, cet épisode illustre les aléas auxquels notre industrie de défense peut malheureusement être soumise. La perte d'un tel contrat a porté un coup non négligeable à nos exportations d'armements et aux industriels qui y participent directement, en l'occurrence le fabricant de sous-marins Naval Group et ses sous-traitants. Ne conviendrait-il pas de nous recentrer sur le marché européen pour éviter de futures déconvenues et pour répondre plus efficacement aux besoins de la guerre de haute intensité ? N'est-il pas temps de coordonner nos efforts de production au niveau européen ?

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Les résultats de 2021 sont bons, en dépit d'un contexte de forte concurrence et de pénurie de composants électroniques. Le groupe Horizons et apparentés s'en félicite, compte tenu du poids de l'industrie de défense dans notre balance commerciale. Derrière ces excellents résultats, il y a nos savoir-faire technologiques, les compétences humaines de notre industrie, un cadre favorable à l'innovation, ainsi qu'une politique de soutien active à l'exportation.

Le rapport annuel du Gouvernement est plus riche que par le passé, puisqu'il comporte de nombreuses annexes – conformément aux propositions de Jacques Maire et Michèle Tabarot. Nous avons un devoir de transparence vis-à-vis de nos concitoyens ; il permet aussi d'instaurer un climat de confiance avec nos grands partenaires. Cet effort de clarté est assez unique en Europe : la France est l'un des rares pays à publier le détail de ses prises de commandes, comme de ses exportations par pays.

Comme chacun sait, le contrôle des exportations relève de la compétence exclusive des États membres. Avec l'Espagne et l'Allemagne, nous avons défini des règles communes qui facilitent le transfert de composants dans un cadre prévisible, cohérent et favorable au développement de programmes communs. Cependant, le contrat de coalition allemand défend le passage à un système de vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil pour les sujets relatifs à la diplomatie, via ce que l'on appelle les clauses passerelles, ainsi qu'une harmonisation européenne du contrôle export sur la base d'un règlement juridiquement contraignant. Ces propositions trouvent un écho particulier dans le contexte de la guerre en Ukraine, comme en atteste le dernier discours du chancelier Olaf Scholz à Prague, fin août. Sur ces sujets, quelle est la position française ?

Enfin, en réponse à l'agression azérie sur le sol arménien, le Président de la République a demandé hier, à l'issue d'un échange avec le Premier ministre arménien, le retour des forces azerbaïdjanaises à leur position initiale. Un embargo de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) est en vigueur sur les armes pour les forces présentes dans le Haut-Karabagh. Cet embargo est-il suffisant ? Jugez-vous utile de renforcer ces mesures, peut-être à travers un dispositif européen, afin de préserver l'intégrité et la souveraineté territoriale de l'Arménie ?

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Nombre d'ONG notent qu'en matière de contrôle parlementaire, nos voisins européens ont fait beaucoup de progrès ces dernières années et que la France a plutôt tiré l'Union européenne vers le bas. Cela ne saurait se justifier ni par le secret de la défense, ni par le domaine réservé, qui n'a aucun fondement constitutionnel. J'espère que, sous cette nouvelle législature, nous appliquerons certaines des préconisations de Michèle Tabarot et Jacques Maire : la création d'une délégation parlementaire bicamérale ; un débat annuel en séance ; et, pourquoi pas, l'ouverture d'une commission d'enquête.

Messieurs les ministres, vous avez rappelé que nos exportations d'armes sont soumises au droit de la guerre – le traité de 2013 et la position commune de l'Union européenne de 2008. Comment expliquer, dès lors, que la clause du grand-père ait permis de poursuivre les exportations d'armes vers la Russie, malgré l'embargo européen de 2014 ? Qu'est-ce qui justifie la poursuite de nos exportations d'armes en Égypte, en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, alors que les Nations Unies elles-mêmes ont qualifié le conflit du Yémen de pire catastrophe humanitaire au monde ? C'est vraisemblablement avec les armes que nous leur vendons que les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite bombardent les populations civiles du Yémen, malgré ce que le Gouvernement nous a affirmé à plusieurs reprises.

Les États-Unis ont annulé des contrats de ventes d'armes avec les Émirats arabes unis ; l'Allemagne et l'Italie ont révoqué des licences ; les Pays-Bas ont également refusé de vendre des armes aux pays du Golfe.

Monsieur le ministre des armées, vous avez dit que nos ventes d'armes ne dépendaient pas seulement de considérations économiques. Dès lors, qu'est-ce qui peut justifier que nous poursuivions nos ventes d'armes dans les pays du Golfe ? Qu'est-ce qui justifie que le Président de la République soit allé, avec une grande partie du précédent gouvernement, vendre quatre-vingts Rafale aux Émirats arabes unis ?

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Je m'interroge sur le format retenu pour cette réunion : trois heures de débats, 200 députés invités, mais seulement trois minutes par groupe ! Sur un sujet aussi important ! Et pourquoi avoir choisi le huis clos ? Chacun sait que vous n'allez pas révéler des informations classées devant une assistance aussi nombreuse. Je ne suis pas sûr que nous puissions réellement, dans ces conditions, exercer notre mission de contrôle…

Nous sommes attachés à notre autonomie stratégique en matière de défense et nous l'avons toujours défendue. Nous estimons qu'elle ne doit pas dépendre de la politique européenne, pas plus que de nos ventes et de notre politique d'exportation. Elle ne doit pas davantage dépendre des guerres ou des conflits en cours : nous n'attendons pas des guerres qu'elles nous permettent de soutenir notre politique d'armement.

Nous attendons toujours des explications sur notre politique d'exportation en direction de zones de conflit, notamment au Moyen-Orient. Si nous défendons le respect de la dignité de chaque être humain, pourquoi nourrir le feu dans la guerre au Yémen et servir des pays autoritaires comme l'Égypte, la Russie, l'Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis ?

Nous sommes favorables à la création d'une délégation parlementaire en charge du contrôle des exportations d'armements, comme le préconisaient Jacques Maire et Michèle Tabarot dans leur rapport. Les Pays-Bas, l'Allemagne et le Royaume-Uni en ont une. Il importe de faire preuve de la plus grande transparence dans ce domaine, tout en préservant le secret de la défense. Une dernière question : la France a-t-elle effectivement vendu des armes à la Russie en 2021 ? Comment cela a-t-il pu se faire ?

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Le bilan que vous nous présentez pour l'année 2021 est plutôt exceptionnel, puisque la France se place sur la troisième marche du podium, avec 11,7 milliards d'euros. C'est un résultat positif, qui renforce notre position et celle des quelque 4 000 entreprises de notre BITD.

Je voudrais aborder trois sujets, en commençant par les exportations d'armes en direction de l'Ukraine et de la Russie. Les cessions gratuites d'armes à l'Ukraine sont une nécessité, dans le contexte actuel. Je profite de ce que la réunion se tient à huis clos pour vous demander où en sont ces livraisons. J'ai relevé, dans votre rapport, une ligne qui a retenu mon attention : 6,71 millions d'euros en 2021 pour des licences d'exportation à la Russie. De quoi s'agit-il ?

Plusieurs collègues ont déjà relevé une tension entre les besoins de nos propres armées et les cessions à d'autres États. La cession de douze Rafale d'occasion à la Grèce, prélevés sur notre propre parc, a eu un impact opérationnel et vous dites vouloir renforcer notre partenariat stratégique avec ce pays. Dans le même temps, l'Égypte devient notre premier client, avec une commande exceptionnelle de trente Rafale, pour un montant de 3,75 milliards. Cela n'est d'ailleurs pas sans poser certaines questions, compte tenu de la nature du régime du président al-Sissi. Comment assurer la livraison de ces nouveaux Rafale à nos partenaires et la restauration du parc de notre propre armée ? Qui sera prioritaire ? La livraison des douze canons Caesar à l'Ukraine pose le même genre de problème. Ces cessions ont eu un impact sur la trajectoire de notre loi de programmation militaire et son actualisation en 2021 n'a pas suffi. Rénover notre programmation militaire devient indispensable. Quel calendrier et quelle méthode prévoyez-vous pour la nouvelle loi de programmation militaire ?

Enfin, nos clients demandent de plus en plus fréquemment à nos entreprises de consentir à des transferts de technologie. Ils veulent ainsi réduire leur dépendance et développer leurs propres entreprises au niveau local. Je pense notamment à l'Inde, qui est notre quatrième plus gros client avec 492 millions d'euros de prises de commandes, et à son programme Make in India. Ces transferts de technologie ne constituent-ils pas une menace pour les intérêts industriels français ? Comment s'assurer qu'il n'y ait pas de fuite de nos savoir-faire ? Le risque est évidemment que nos clients d'aujourd'hui deviennent nos concurrents de demain.

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Votre rapport est clair : avec près de 12 milliards de commandes, l'attractivité de notre industrie de défense dans le monde est une réalité. Nous la devons à l'ensemble de notre tissu industriel, des grandes entreprises aux TPE et PME qui, jour après jour, œuvrent pour nos intérêts. Ce succès, toutefois, ne doit pas nous faire oublier les difficultés actuelles : ces ventes résultent en réalité d'investissements en recherche et développement datant d'il y a vingt ou trente ans, au moment de la conception du Rafale ou du Caesar. La recherche et le développement sont vitaux pour notre indépendance militaire et assurent à notre industrie de défense un haut niveau technologique compétitif. La future loi de programmation militaire garantira-t-elle un niveau d'investissement suffisant pour pérenniser notre succès ? Pendant la campagne présidentielle, Marine Le Pen avait proposé de porter ces investissements dans la recherche et le développement à 1,5 milliard d'euros par an.

Deuxièmement, la France ne mène plus une diplomatie indépendante, constante, équilibrée et équidistante, qui est pourtant le gage de notre souveraineté. Les ministres, lorsqu'ils se déplacent, ne sont plus les capteurs qui ramènent à Paris des renseignements susceptibles de favoriser nos exportations. Le récent imbroglio avec l'Australie au sujet de nos sous-marins en est malheureusement la meilleure illustration. Enfin, les entreprises de la défense connaissent toujours des difficultés de financement. Les banques ont de plus en plus de réticences à financer les exportations d'armes, du fait de la pression d'ONG et de lobbies qui les stérilisent. Nous proposons depuis longtemps d'adopter une politique assumée en matière d'exportation d'armes. Plus de 50 000 emplois dépendent d'elles en France ; ce n'est pas moi qui le dit : c'est l'un de vos amis, le cabinet McKinsey. Il faut cesser de brader notre souveraineté et nos technologies. Il faut mettre en valeur notre BITD, qui a des atouts évidents.

La France doit se reprendre en main et tracer seule sa route en matière d'armement, n'en déplaise à certains. Les projets de coopération actuels avec nos partenaires européens montrent leurs limites, notamment autour du système de combat aérien du futur (SCAF). Nous serons vigilants et intransigeants. Les armées françaises, qui souffrent de problèmes opérationnels, doivent être soutenues par la commande publique et par la préférence nationale.

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Avant de passer la parole aux ministres, je dirai un mot de la forme de cette audition, puisqu'elle a suscité des questions. D'abord, il est évident qu'elle n'est que l'un des outils à la disposition des parlementaires pour exercer leur droit de contrôle. Vous connaissez les autres ; chaque groupe est notamment libre d'utiliser son droit de tirage pour demander la création d'une commission d'enquête.

Près de quarante parlementaires vont pouvoir s'exprimer cet après-midi : c'est beaucoup plus que d'habitude. Quant au huis clos, il en a toujours été ainsi et son objet est précisément de garantir une parfaite transparence vis-à-vis de nous tous : les ministres pourront s'exprimer plus librement et nous donner ce petit surplus d'information qui fait toute la différence.

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Sébastien Lecornu, ministre

Je répondrai d'abord à Mme Tabarot, sur la question de la transparence. Sommes-nous prêts à aller plus loin ? Oui. Il faudrait y réfléchir avec la présidente et le bureau de l'Assemblée nationale et la Première ministre.

Monsieur le président Kervran, vous m'avez demandé, comme d'autres, si certaines exportations se faisaient au détriment de notre propre parc. Je pense qu'il faut mettre à part les cessions faites à l'Ukraine, qui font l'objet d'une doctrine bien à part, puisqu'elles sont faites à titre gratuit et dans un esprit de solidarité. Ce qui est certain, c'est que le fait d'aller puiser dans les stocks de l'armée française pour remporter un marché doit rester une exception. La prochaine loi de programmation militaire, à laquelle je suis en train de travailler avec les différents états-majors et que nous co-construirons avec le Parlement, devrait nous permettre de ne plus revivre cette situation. Cela dit, la cession de dix-huit canons Caesar n'a pas abîmé la trajectoire de la LPM ; elle n'a pas non plus eu d'impact sur notre système de défense. Elle a seulement impacté le plan de formation des artilleurs utilisant ces canons : ce n'est pas exactement la même chose…

Pour les Rafale, la question est un peu différente. Dans la mesure où ils concourent aussi bien aux missions de dissuasion conventionnelle qu'aux missions de dissuasion nucléaire, il faut que nous ayons une attention particulière pour notre parc de Rafale. En tout cas, je prends un engagement, en ce début de quinquennat : l'export ne doit pas se faire au détriment des capacités opérationnelles françaises.

Est-ce que le contrôle des exportations peut être transféré à l'Union européenne ? La réponse est non. Est-ce qu'il se fait dans le respect des valeurs et dans le cadre des accords pris à l'échelle européenne ? La réponse est oui. Mais cela reste un acte de gouvernement, un acte de souveraineté dont nous devons répondre devant vous. Il n'y a pas de transfert de pouvoir ; s'agissant du +, je suis en train d'expliquer à nos amis allemands que nous devons définir ensemble notre doctrine en matière d'exportation ; c'est une logique d'État à État.

Monsieur le président Kasbarian, la question de l'aide à l'Ukraine méritera une information spécifique de la Représentation nationale par le Gouvernement ; la Première ministre devrait le faire dans l'hémicycle très prochainement. Les armes que nous avons cédées à l'Ukraine en 2022 lui ont permis de renforcer son appareil de défense.

Pourquoi sommes-nous attractifs ? J'ai déjà évoqué la qualité de notre production et le non-alignement mais j'ajouterai l'interopérabilité, qui est un élément-clé dans la sphère de l'OTAN.

Monsieur le président Herbillon, le ministre Lescure a déjà répondu au sujet des refus de licences. J'ajouterai un troisième élément : le risque de spoliation de notre savoir-faire industriel. Il y a des pays où il n'est pas question de transférer ou de vendre du matériel, parce que ce risque est évident.

Monsieur Fiévet, le plan Action PME a fonctionné, puisqu'il a permis à nombre d'entreprises d'accéder à l'export. Il a aussi un lien avec l'économie de guerre, à propos de laquelle plusieurs d'entre vous m'ont interrogé. Indépendamment de la question des exportations, on doit être capable de produire plus vite, en maîtrisant les coûts et sans baisser le standard de qualité. La crise de la Covid-19 nous a montré combien il était dangereux de dépendre de pays situés à l'autre bout du globe pour certaines productions stratégiques.

L'économie de guerre suppose aussi de simplifier les besoins de l'armée : il importera, dans le cadre de la prochaine LPM, d'homogénéiser les besoins des armées. Plus on a de modèles, plus il faut de temps pour les fabriquer.

Madame Pic, vous avez raison, nous parlons des exportations mais jamais du service après-vente (SAV) : soit il est régalien – formation d'armée à armée –, soit il fait l'objet de prestations intellectuelles de la part des industriels – c'est ce qu'on appelle le maintien en condition opérationnelle (MCO) – et dégage dans ce cas de la valeur même si le matériel a été vendu les années précédentes.

Un mot sur l'alliance entre l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, dite AUKUS. À l'époque, j'étais ministre des outre-mer, en charge notamment de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie. J'ai donc analysé la situation en voisin. Quand un partenaire manque à sa parole, c'est bien lui le fautif. Certes, nous étions en pré-campagne présidentielle et certains se sont réjouis de la défaite française en incriminant l'exécutif mais la réalité est tout autre : nous avons été trahis par le gouvernement australien d'alors et nous pouvons le dire entre Français, quelles que soient nos sensibilités politiques.

Les choses ont-elles changé ? Oui, puisque le gouvernement Albanese est venu présenter ce que l'on pourrait appeler des excuses – j'ai moi-même participé au déjeuner entre le Premier ministre Albanese et le Président de la République. On peut parler d'un virage puisque j'ai reçu le ministre de la défense d'Australie à Brest et que M. Becht s'est rendu en Australie.

Cela pose-t-il la question du redéploiement européen ? Non, nous devons être partout. Nous connaîtrons sans doute le même type d'aléas que ceux que nous avons rencontrés avec les Australiens en Europe. Cet après-midi, vous contrôlez le cœur de notre souveraineté et il en est de même dans chaque pays. Les revirements d'alliances sont inévitables. Il faut simplement que les programmes soient tenables et, en l'espèce, l'indemnisation proposée par le nouveau gouvernement australien à Naval Group convient « en tous points » à l'entreprise, même si nous ne nous réjouissons pas de ce qui s'est passé.

Monsieur Jacobelli, je ne pense pas que les visites ministérielles permettent de capter des signaux faibles. C'est malheureusement plus complexe que cela… La France doit tirer son épingle du jeu dans un monde multipolaire dangereux, qui évolue très vite et dans lequel les tensions entre Washington, Pékin et Moscou rebattent régulièrement les cartes.

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Olivier Becht, ministre délégué

Nous pouvons être d'accord sur un point avec La France insoumise : les exportations d'armes sont nécessaires, le ministre des armées l'a expliqué dans son propos liminaire. Un exemple : la France possède dix sous-marins – quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins et six sous-marins nucléaires d'attaque – d'une durée de vie moyenne de trente ans. Si nous n'exportons pas, la production s'arrête et nous perdons les compétences. Nous serons alors contraints d'acheter ces équipements sur catalogue, aux Américains ou à d'autres. Les exportations sont donc nécessaires à notre souveraineté.

En revanche, nous avons un point de désaccord important concernant le respect des droits humains et des traités internationaux : avant d'exporter, nous veillons toujours strictement à ce que les droits internationaux, particulièrement les droits humains, soient respectés. Vous avez évoqué le Yémen. Cette guerre est une sale guerre, qui provoque son lot d'horreurs, dont la population yéménite est la première victime. Elle doit évidemment cesser ; une trêve est d'ailleurs observée depuis le 2 avril. Beaucoup reste à faire pour trouver une solution politique durable, qui prenne en compte les intérêts de la sécurité de chacun, y compris ceux de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. En l'espèce, la France veille à ce que toute exportation vers l'Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis respecte strictement les engagements internationaux et européens.

Vous évoquez la clause du grand-père en Russie. Depuis 2014, l'embargo sur les armes vise à pénaliser la Russie mais il ne porte que sur les nouveaux contrats, afin de préserver les engagements contractuels en cours des entreprises françaises et européennes, qui seraient dans le cas contraire exposées à des contentieux et des versements compensatoires pouvant menacer la viabilité économique de certaines d'entre elles. La France a strictement mis en œuvre les sanctions de 2014, puis celles de 2022 suite à l'invasion de l'Ukraine. À la lecture des rapports distribués, vous aurez noté que les exportations de matériel de guerre en Russie sont désormais proches de 0.

Vous m'avez interrogé sur l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Le Président de la République s'est entretenu avec le Premier ministre arménien et le Président de l'Azerbaïdjan. La ministre de l'Europe et des affaires étrangères s'est également entretenue avec ses homologues. Nous avons transmis trois messages : le strict respect du cessez-le-feu du 9 novembre 2020 ; l'importance du maintien des forces de l'Azerbaïdjan sur leurs positions initiales, la délimitation de la frontière devant s'opérer exclusivement par la négociation ; la reprise du dialogue pour régler par la négociation l'ensemble des questions en suspens, notamment celle de la frontière.

Monsieur Jacobelli, je vous remercie, la diplomatie française va bien. La défense européenne, c'est aussi ce qui permet à la France de préserver sa souveraineté. Si nous n'arrivons pas à développer des armes en commun, vu l'intensité de la recherche et du développement sur les nouvelles armes, nous serons condamnés à acheter sur étagères aux Américains ou à d'autres, je l'ai déjà dit. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne nouvelle pour notre souveraineté… Le fonds européen de la défense permet aux industriels français d'innover.

Bien sûr, les armes sont utilisées dans les guerres. En ce moment, elles le sont surtout pour défendre la démocratie, la paix et la liberté en Ukraine. Certains d'entre vous estiment qu'il faut arrêter de produire des armes et d'en exporter vers nos partenaires. Mais si, demain, seuls MM. Poutine et Xi ont des armées, cela nous permettra-t-il vivre ensemble dans un monde meilleur ?

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Roland Lescure, ministre délégué

Mme Poueyto m'interroge sur la gouvernance du système : le modus operandi doit-il être différent pour les biens à double usage et les biens militaires ? Oui, même si d'autres États n'ont pas fait le même choix. Tout d'abord, le cadre juridique est différent : les biens à double usage font l'objet d'une réglementation européenne, déclinée en France, quand les matériels de guerre ont un cadre national dans le respect des engagements internationaux de la France.

En outre, l'approche est différente : les exportations de biens à double usage sont, par principe, autorisées, sauf interdiction dans le cadre de critères identifiés comme à risque stratégique par le règlement européen ; à l'inverse, les exportations de matériels militaires sont a priori interdites, sauf décision explicite d'autorisation de l'État. Je suis donc – une fois n'est pas coutume – d'accord avec M. Mathieu. Les biens militaires ne sont pas des biens comme les autres.

Mais il n'existe aucune guerre d'egos entre nos services et nous travaillons, tous, autour de la même table. Rassurez-vous, la procédure d'arbitrage est identique dans les deux cas et du ressort de la Première ministre en cas de désaccord.

M. Panifous s'est inquiété d'éventuels transferts de technologie. Bien entendu, cela fait partie de nos préoccupations. Nous analysons les contrats, et autorisons les exportations de biens à double usage, en étant extrêmement sensibles à ce risque potentiel.

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Dans un marché mondial de l'armement en évolution constante, l'offre des industriels français doit répondre au mieux aux besoins des clients. Le rapport sur les exportations d'armements le souligne, de plus en plus régulièrement, ces derniers demandent aussi des transferts de technologie ou des coopérations industrielles.

Or, dans certains pays, les transferts de technologie et de savoir-faire consentis dans le passé ont pu favoriser l'émergence d'une BITD locale plus autonome et opérationnelle. Certes, la maîtrise technologique est encore parcellaire mais, marginalement, elle peut concurrencer les grands pays exportateurs, dont la France. L'Inde en est un exemple et nous assistons à une croissance des transferts que certains qualifient d'exponentielle. Les risques liés sont nombreux : autonomie stratégique des pays, risques économiques pour les fournisseurs, prolifération des capacités de production de ces États et production de systèmes d'armes plus éclatée sur le plan international.

Comment appréhendez-vous le phénomène ?

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Monsieur le ministre des armées, vous avez rappelé, et je vous en remercie, la ligne rouge française qu'est le contrôle de l'export, élément de notre modèle de défense.

J'ai été frappé par les propos de votre homologue allemande, Christine Lambrecht, devant la Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik début septembre : elle a évoqué une Zeítwende, un changement d'époque, employant les mêmes termes que lors de la chute du mur de Berlin. Elle a ajouté qu'en termes de contrôle des armements pour les pays amis, dont la France, les mêmes règles ne devaient plus forcément s'appliquer.

Pensez-vous qu'il s'agisse d'un avis personnel de la ministre ou est-ce plutôt une évolution de fond de la position du gouvernement allemand ? Quelles conséquences devons-nous en tirer ?

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Hier, le Président de la République a tenu une conférence de presse avec le Premier ministre arménien, M. Nikol Pachinian, réaffirmant son soutien à l'Arménie et au respect des frontières souveraines de ce pays reconnu par la communauté internationale. Dans cette partie du Caucase, les attaques de l'Azerbaïdjan se multiplient et, deux ans après la guerre de quarante-quatre jours dans la région du Haut-Karabakh, le territoire arménien est désormais violé. Le combat est inégal car l'Azerbaïdjan est non seulement aidé par la Turquie, mais son armée est aussi équipée de drones par Israël. Durant la guerre au Haut-Karabakh, l'Azerbaïdjan a fait usage de bombes à sous-munitions et de bombes au phosphore blanc, interdites par les conventions internationales.

Monsieur le ministre des armées, va-t-on livrer du matériel militaire de défense au gouvernement arménien, notamment du matériel anti-drones ? Sur les 166 pays couverts par la représentation diplomatique de défense, 90 disposent d'un attaché de défense. L'Arménie n'est pas dans cette liste. L'attaché de défense qui couvre l'Arménie se trouve-t-il bien en Turquie, c'est-à-dire chez le complice de son agresseur ? Avez-vous l'intention d'y remédier en installant une représentation militaire de défense en Arménie ?

Monsieur Lescure, pour assurer son développement, l'Arménie a besoin d'une coopération renforcée en matière économique. Prévoyez-vous d'accélérer la coopération avec ce pays ? Si oui, de quelle manière ?

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Je remercie le Gouvernement d'avoir tenu son engagement de transmettre le rapport sur les exportations par la France de biens à double usage, à l'instar de ce qui avait déjà été fait pour les exportations d'armements. J'ai été particulièrement sensible au rapport sur les exportations d'armements qui démontre la cohérence de la politique française en la matière avec la volonté de préserver la sécurité internationale, tout en préservant notre autonomie stratégique.

Dans ce rapport, le Gouvernement met en avant l'importance de l'équilibre dans la zone Indo-Pacifique – le sujet me concerne directement : « sa stabilité est primordiale pour la prospérité et la sécurité internationale ». Je ne peux que partager ce constat et me féliciter que le Gouvernement le souligne. En effet, Mayotte, un des départements ultramarins français situés dans cette zone, représente une opportunité importante pour notre pays : à proximité de la côte Est-africaine, parfait pour faciliter la lutte contre le terrorisme ; au cœur du canal du Mozambique, parfait pour exploiter les ressources gazières, qui pourraient contribuer à la sécurité énergétique européenne ; au cœur de la route de la soie chinoise, parfait pour développer le commerce international.

Mayotte est, plus que jamais, stratégique. Dans le rapport, vous précisez qu'en Indo-Pacifique, « la France est la seule nation de l'Union européenne à (…) maintenir en permanence ses forces armées ». Compte-t-elle renforcer sa présence militaire dans cette zone stratégique avec un patrouilleur outre-mer (POM), qui aiderait en outre Mayotte dans sa lutte contre l'immigration clandestine ?

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L'expertise sur les biens à double usage (BDU) est l'occasion de revenir sur la première année d'application du nouveau règlement de l'Union européenne relatif au contrôle de l'exportation de ces biens. La clause dite « attrape-tout », qui avait provoqué l'inquiétude et la réticence des entreprises produisant des BDU, a finalement été intégrée à ce règlement. Elle permet de soumettre n'importe quel matériel à une autorisation d'exportation, notamment ceux qui ne sont pas listés par le règlement.

L'inquiétude concernant l'application de cette clause résidait, pour les entreprises concernées, dans les répercussions sur leur compétitivité. Selon ces dernières, l'accroissement de la charge administrative et des coûts liés au contrôle de conformité pourrait leur faire perdre en compétitivité par rapport à leurs principaux concurrents américains ou asiatiques.

Ce règlement étant d'application directe en droit interne, la clause a été insérée dans le processus de contrôle français et, en 2021, six licences individuelles ont été délivrées dans la catégorie de cette clause. L'intégration de la nouvelle réglementation en droit français a-t-elle confirmé les inquiétudes des industriels du secteur ? Leur compétitivité en a-t-elle pâti ? Enfin, combien de licences individuelles ont-elles été refusées ?

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Les sanctions à l'égard de la Russie, en vigueur depuis 2014, sont renforcées depuis février 2022 et l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Or, en mars 2022, des systèmes de visée nocturne fournis par l'entreprise française Thales furent découverts par l'armée ukrainienne dans des chars russes. Depuis 2015, la France a délivré 76 licences d'exportation de matériels de guerre à la Russie, pour un montant de 152 millions d'euros. Ces contrats portent sur des caméras thermiques pour équiper plus de 1 000 chars, mais aussi sur des systèmes de navigation et des détecteurs infrarouges pour les avions de chasse et les hélicoptères de combat. Oui, grâce à la clause du grand-père, la France a maintenu ses engagements d'exportations pris avant 2014, en poursuivant les livraisons jusqu'en 2020 et 2021 de certains matériels de guerre ayant contribué au renforcement militaire de la Russie, alors même que l'embargo avait été prononcé. En 2021, la France a accordé des licences vers la Russie pour un montant de 6,71 millions d'euros, comprenant un satellite militaire d'observation ainsi qu'un lot de jumelles thermiques de combat fabriquées par Thales. Comment le Gouvernement explique-t-il qu'on ait continué à équiper discrètement l'armée de Vladimir Poutine avec des technologies de dernier cri ayant contribué à moderniser ses forces terrestres et aériennes, ces mêmes forces militaires qui ont envahi l'Ukraine le 24 février 2022 ?

Le ministre Olivier Becht nous a dit avoir voulu éviter des contentieux pour les entreprises françaises mais d'autres pays ont pourtant fait le choix de casser des contrats. Les intérêts économiques doivent-ils toujours primer sur les impératifs humanitaires et la cohérence diplomatique ?

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Je vous remercie de vous prêter à cet exercice fondamental. Une nation moderne et démocratique doit permettre au Parlement de contrôler les ventes d'armes car les citoyens y sont de plus en plus sensibles. Le rapport d'information de Jacques Maire et Michèle Tabarot, au nom de la commission des affaires étrangères, sur le contrôle des exportations d'armements de novembre 2020 plaidait d'ailleurs en ce sens.

C'est d'autant plus indispensable du fait du cadre juridique : traité sur le commerce des armes de 2013, loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordres, règlement européen du 20 mai 2021 instituant un régime communautaire de contrôle des exportations, du courtage, de l'assistance technique, du transit et des transferts en ce qui concerne les biens à double usage, entré en vigueur en septembre 2021. En outre, le 2 juin 2022, à Paris, des organisations non gouvernementales ont déposé plainte pour complicité de crimes de guerre contre Dassault, Thales et MBDA France, qu'elles accusent d'avoir vendu des armes à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, qui auraient servi contre des civils au Yémen.

Le contexte ukrainien l'exige également. Je soutiens la livraison d'armes par les pays occidentaux, dont la France, aux Ukrainiens, mais n'oublions pas qu'elles pourraient être utilisées pendant ou après le conflit de façon non respectueuse du droit international humanitaire. Nous devons nous en préoccuper et les entreprises peuvent atténuer les risques par des formations au droit de la guerre ou des adaptations du service après-vente.

Un an après les déclarations du Premier ministre, Jean Castex, je salue la parution du rapport sur les biens à double usage. J'espère que nous mettrons bientôt en place la délégation spécialisée sur les ventes d'armes, l'engagement ayant été pris. Dans ce rapport, je m'interroge sur les montants élevés dans les catégories 5 – télécommunications et sécurité de l'information – et 6 – capteurs et lasers. Ces équipements semblent utilisés pour la surveillance dans des pays peu démocratiques, comme l'Arabie saoudite, l'Égypte, la Chine, la Russie.

Le rapport sur les exportations d'armements a fait des progrès mais des informations, pourtant publiques, n'y figurent pas : ainsi l'Argentine publie des données qu'on n'y retrouve pas. En conclusion, bravo pour ces progrès mais la parlementaire que je suis demande davantage de précisions pour exercer sa mission de contrôle.

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Le rapport annuel au Parlement sur les exportations d'armement de la France, que vous nous présentez, est un document essentiel de contrôle. Il doit nous permettre d'exercer un droit de regard sur ce commerce dangereux et meurtrier trop souvent réalisé dans l'ombre, afin de garantir que le Gouvernement respecte bien nos engagements internationaux. Des engagements, qui, je le rappelle, nous interdisent de transférer des armes susceptibles de servir à commettre et à faciliter des crimes de guerre ou des violations graves du droit international.

Or ce rapport est encore réalisé dans l'ombre, à la discrétion du chef de l'État et des armées. L'essentiel des informations est manquant : ce que l'on vend, à qui, pour quelle utilisation finale, avec quelles garanties liées à cette dernière ? Ni dans l'hémicycle, ni en commission, nous ne pouvons contrôler votre action !

Et quand certaines informations révèlent que vous fournissez des armes aux pires dictatures, vous maintenez l'opacité… En dix ans, nos exportations d'armes ont doublé. Est-ce vers de nouveaux pays ? Pour de nouveaux objectifs ? Quelle a été la part de ces exportations à destination de pays reconnus comme exerçant un pouvoir de manière autoritaire et qui méprisent les droits humains ? Continuons-nous à vendre des armes à ces pays autoritaires ? Si oui, représentent-elles la plus grande part des ventes ?

De plus, au moment où de plus en plus de nations piétinent les droits humains, avez-vous l'intention de vous engager dans une pratique plus transparente ? Plusieurs groupes plaident en ce sens et souhaitent la création d'une délégation parlementaire, qui puisse prendre la responsabilité de bloquer certaines ventes lorsque la situation l'exige ?

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Je remercie les trois ministres de se prêter à cet exercice, inédit et indispensable.

Quel est l'impact des sanctions contre la Russie et la Biélorussie sur l'exportation de biens à double usage ?

Je suis député des Français d'Amérique du Nord, très fier de la relation transatlantique mais conscient que, souvent, nos amis américains ont une attitude malveillante quand il s'agit de contrats commerciaux, notamment militaires. Comment pouvons-nous mieux nous protéger ? Une défense européenne n'est-elle pas indispensable face aux effets de l'extraterritorialité américaine ? Le président Kasbarian s'est beaucoup intéressé au sujet.

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Les biens à double usage sont, et seront, de plus en plus stratégiques dans les années à venir, à la fois pour notre défense nationale mais aussi pour des raisons industrielles. Il est donc primordial de bien connaître le secteur.

La France a notifié 125 refus de licences en 2021 mais ils ne sont pas documentés dans votre rapport. À l'avenir, il est essentiel que le rapport présente les refus de licence par catégorie et par pays. En effet, seul un examen détaillé de ces refus nous permettra d'évaluer si nous sommes trop stricts, prenant le risque de pénaliser notre industrie, ou parfois laxistes, prenant le risque d'une utilisation militaire inappropriée de ces biens.

Peut-on espérer disposer de telles informations l'an prochain ?

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De grands changements – parfois contradictoires – s'opèrent en Allemagne. Comment voyez-vous l'avenir de notre coopération, qui était jusqu'à présent sur de bons rails ? Où en est-on de nos programmes communs ?

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Le 20 janvier dernier, vous avez voté en faveur de la proposition de résolution « portant sur la reconnaissance et la condamnation du caractère génocidaire des violences politiques systématiques ainsi que des crimes contre l'humanité actuellement perpétrés par la République populaire de Chine à l'égard des Ouïghours ». Pourtant, à la lecture du rapport, nous constatons que la France continue de délivrer des licences d'exportation de catégorie 5 au profit du gouvernement chinois. Or, nous savons pertinemment que ce dernier utilise notre technologie pour accroître la cybersurveillance de ses ressortissants et, ainsi, réprimer toute contestation du régime. Notre technologie sert aussi à interner dans des camps des centaines de milliers d'individus issus de minorités ethniques et religieuses.

Lors des débats en janvier, notre groupe avait souligné les contradictions de la majorité qui, un jour, donne des cours d'humanisme dans l'hémicycle et, le lendemain, vend des armes pour permettre aux tyrans de continuer d'opprimer leur peuple. De plus, le renforcement, par l'Union européenne, de l'embargo sur les ventes d'armes à la Russie, en 2022, soulève des questions sur la capacité de la France à s'autoréguler en ce domaine. La France, pays des droits de l'homme, doit-elle être contrainte par un embargo de l'Union européenne ou de l'ONU pour cesser de vendre des armes à des régimes qui oppriment leur peuple ou celui de leur voisin ?

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Lors de la crise sanitaire et économique de la Covid, la France a décidé de renforcer la protection des industries nationales sensibles, qui présentent une importance particulière pour l'intérêt public, l'ordre public ou la défense nationale. En conséquence, elle a abaissé le seuil de contrôle des investissements étrangers non européens de 25 à 10 %. Compte tenu des tensions géopolitiques et de la guerre économique qui a cours, songez-vous à maintenir le seuil de 10 % au-delà du 31 décembre 2022 ?

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Nous avons à nouveau obtenu d'excellents résultats en matière d'exportations d'armements, ce qui démontre la qualité de notre BITD, laquelle est essentielle pour notre indépendance, notre souveraineté et notre économie. Compte tenu du caractère sensible, politiquement et moralement, des exportations d'armements, il est fondamental de contrôler les armes exportées et de déterminer leur traçabilité. Si la CIEEMG assure une régulation efficace, les livraisons d'armes effectuées en soutien des forces ukrainiennes n'en soulèvent pas moins des interrogations : certaines armes pourraient en effet se retrouver entre les mains de réseaux criminels et mafieux, et arriver, par la suite, dans les banlieues françaises. On y trouve déjà des fusils d'assaut et des munitions, ainsi que, parfois, d'autres matériels de catégorie A.

Rappelons qu'en 2015, un ministre tchadien estimait que près de 40 % des armes saisies par les forces armées de son pays aux combattants du groupe Boko Haram étaient de fabrication française. Même si ces accusations ne reposaient sur aucune preuve tangible, le risque de prolifération des armes est bel et bien présent. Comment comptez-vous vous assurer que les armes que nous livrons à l'armée ukrainienne resteront en ses mains, notamment lorsque le conflit cessera ?

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La France cherche à garantir son autonomie stratégique et son indépendance en matière d'exportations d'armements et de biens à double usage. Comment notre pays se positionne-t-il face à la création d'une industrie européenne, promue par la Commission, qui pourrait impliquer l'intégration des États membres ?

Monsieur Lecornu, vous avez indiqué que la part des exportations d'armement à destination des pays européens était passée de 10 %, il y a dix ans, à 45 %, en 2019, avant de diminuer en 2021. Comment expliquer cette évolution ? Le niveau de 45 % constitue-t-il un plafond ?

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Monsieur Becht, vous nous avez dit que le conflit au Yémen, qui donne lieu au bombardement de civils, est une sale guerre, avant de nous expliquer que la livraison d'armes à l'Arabie saoudite – qui est le principal auteur des bombardements – répond aux critères déontologiques des exportations : j'y vois un bel oxymore diplomatico-commercial.

L'effort militaire de l'Allemagne va être porté à 100 milliards d'euros et son industrie militaire suivra cette demande de croissance. N'y a-t-il pas un risque que nous subissions une très forte concurrence de l'industrie de l'armement allemande, au détriment de notre appareil productif ? Nos lignes de production doivent atteindre un point mort pour continuer à produire un type de matériel donné. Si les Allemands prennent des parts de marché, dans quelle mesure la défense et la sécurité nationales de la France pourraient-elles s'en trouver affectées ?

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Les résultats obtenus en 2021 dans le domaine de l'exportation d'armements – principalement grâce au secteur aéronautique et à la vente des Rafale – ont contribué de manière déterminante au renforcement de notre BITD. Il faut souligner l'importance du partenariat conclu, lors de ces ventes, avec des pays du Sud-Est de l'Europe, comme la Grèce et la Croatie, lesquels ne doivent pas être négligés : c'est là le moyen de renforcer notre coopération bilatérale avec des États amis. La France participe activement au renforcement de la coopération stratégique européenne par le biais de ces exportations. À l'heure où nos partenaires européens, en particulier l'Allemagne, envisagent d'augmenter significativement leur budget militaire, comment la France entend-elle continuer à œuvrer à la construction de l'Europe de la défense ?

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La France, troisième exportateur mondial de matériels militaires, réalise l'essentiel de ses ventes avec l'Égypte, la Grèce et un certain nombre de pays du Moyen-Orient. Il semble que nos matériels intéressent surtout des pays à l'économie moins diversifiée, plus fragile que celle des pays occidentaux. Ces derniers privilégient les armes américaines qui, à défaut d'être meilleures, garantissent le renforcement de liens diplomatiques, en dehors de l'OTAN et de l'Union européenne. Le manquement australien au profit de l'AUKUS, l'an dernier, en est la meilleure illustration.

À l'heure du fantasme élyséen d'une armée européenne, les États membres de l'Union et de l'OTAN semblent faire cruellement défaut lorsqu'il s'agit d'acheter notre armement. Que compte faire le Gouvernement pour renforcer nos exportations vers nos voisins européens ?

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Monsieur le ministre des armées, la proposition de Michèle Tabarot et de Jacques Maire consistant à créer un organe parlementaire chargé du contrôle des exportations d'armements semble avoir retenu votre attention. Quand cette instance pourrait-elle être instituée ?

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Une guerre au cœur de l'Europe, une inflation comme nous n'en avons pas connu depuis des décennies, une baisse des salaires réels, un risque de fort ralentissement de la croissance, des turbulences sur l'ensemble des marchés : il est difficile d'imaginer que la géopolitique n'aura pas d'emprise sur nos exportations d'armements. Face à une politique américaine très expansionniste, aux économies d'énergie, à la diminution des salaires réels et au risque de devoir prendre nos distances avec des pays essentiels pour les chaînes de production, comme la Chine, devons-nous nous attendre à un recul de nos exportations au profit des États-Unis ?

Quid d'un ralentissement de notre BITD en raison d'une baisse de notre approvisionnement en énergie ou en pièces détachées ? Dans quelle mesure notre BITD est-elle encore dépendante des exportations, que la géopolitique peut bousculer ? Comment sécuriserez-vous les exportations ?

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Sébastien Lecornu, ministre

Je vais aborder tout à l'heure avec le ministre de la défense de l'Arménie les questions qui m'ont été posées concernant, notamment, l'attaché de défense et la défense de l'intégrité territoriale de ce pays.

Nous sommes à la disposition du Parlement pour ce qui a trait à la transparence et à la mise en place d'un échange régulier avec une délégation de parlementaires sur les exportations d'armement. Il faut veiller, en la matière, à défendre les intérêts de la France tout en respectant la pluralité des opinions. La délégation parlementaire au renseignement (DPR) a permis de le faire, grâce au secret-défense. Ce dernier confère néanmoins quelques devoirs : si le secret est rompu, les intérêts souverains peuvent être atteints. Quant au calendrier, il devra être défini par le Parlement.

Le risque de transfert technologique concerne tous les pays exportateurs, y compris les États-Unis ; il est aussi vieux que l'industrie. Il justifie beaucoup de refus de licence. En la matière, il faut distinguer la conception de la fabrication. Dans le cadre des coopérations que nous concluons, nous demandons à bénéficier d'un retour industriel. Le sujet sensible est celui de l'innovation, à l'égard duquel nous sommes particulièrement vigilants et que nous instruisons en amont. La question est de savoir si l'on cherche des importateurs ou des partenaires.

En France, on a perçu la réaction allemande uniquement à travers le prisme de l'investissement de 100 milliards, ce qui est assez simpliste. L'Allemagne n'est pas une puissance dotée. Le rapport à la sécurité collective y est très différent de celui qu'exprime l'opinion publique française, parce que le modèle d'armée n'est pas le même : au-delà de la dissuasion, la France a un modèle d'emploi. J'ignore au profit de quelle stratégie militaire et industrielle se déploiera le fonds de 100 milliards, mais il s'agit, en tout état de cause, d'une très forte évolution, pour ne pas dire d'une petite révolution. Cela se traduira-t-il par une montée en puissance de la BITD allemande ? On peut se poser la question après la décision de Berlin d'acheter des chasseurs américains F35. L'Allemagne est confrontée à une économie de guerre et se réarme pour disposer, à brève échéance, d'une police du ciel. Au-delà de l'interopérabilité au sein de l'OTAN, ce choix s'explique essentiellement par les délais de livraison, qui demandent toutefois à être confirmés. Parallèlement, l'engagement allemand en faveur du système de combat aérien du futur et du char du futur a été renouvelé, tandis que d'autres programmes – comme le Tigre standard 3 et le patrouilleur maritime – vont passer au second plan car ils ne résisteront probablement pas à l'accélération souhaitée par l'Allemagne. Peut-être avons-nous nous aussi intérêt, dans le cadre de la standardisation et de la simplification de nos systèmes d'armes, à réinterroger ce genre de programmes.

La LPM comportera un titre dédié à l'outre-mer, dans lequel je veux de la visibilité pour chaque territoire – cela concerne, à Mayotte, les forces armées de la zone Sud de l'océan Indien (FAZSOI), qui y sont prépositionnées. Les députés ultramarins seront associés à la réflexion sur la LPM.

Chaque type d'armes fait l'objet d'une documentation, que le SGDSN supervise. S'agissant des capteurs infrarouges, qui sont souvent utilisés en aéronautique, les licences sont parfois refusées s'ils sont destinés, non à agir en légitime défense, dans le cadre du droit international, mais à assurer du maintien de l'ordre intérieur.

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Roland Lescure, ministre délégué

Les autorisations d'exportations de biens à double usage vers la Russie, mentionnées dans le rapport, datent de 2021. Elles concernaient essentiellement des hélicoptères ou des pièces d'hélicoptères, destinés à des opérateurs civils de transport de passagers ou exerçant dans les domaines de la sécurité civile, et le domaine nucléaire civil. Depuis février 2022, les exportations vers la Russie et la Biélorussie sont suspendues, à de très rares exceptions près – le domaine médical et pharmaceutique ou les urgences sanitaires par exemple.

Monsieur Favennec, la liste des autorisations énoncées par le règlement européen est exhaustive. La France a souhaité qu'y figure une clause attrape-tout, qui ne concerne que quelques cas d'autorisation et de non-autorisation de licences, pour des biens qui pourraient faire l'objet d'un détournement. Vous pouvez rassurer les industriels : ils sont très peu nombreux à être concernés et notre compétitivité n'en a pas été affectée.

Madame Clapot, les catégories 5 et 6 sont assez larges et ne concernent évidemment pas les seules technologies de surveillance : je pense aux modems, aux routeurs ou encore aux senseurs. Nous regardons cela de très près. Les autorisations relatives aux technologies de surveillance portent sur des montants très limités, qui représentent moins de 10 % des catégories 4 et 5. La commission interministérielle des biens à double usage veille à ce que l'utilisation finale des technologies soit légitime.

Le rapport évoque 125 refus d'autorisation de licence pour 2021. Si l'on donnait plus de détails, on permettrait l'identification des secteurs, voire des entreprises et des pays concernés. Il n'en reste pas moins que nous avons accompli un effort de transparence inédit.

Monsieur Jacques, nous avons souhaité, dans la loi Pacte, élargir le champ du décret protégeant nos entreprises stratégiques face aux investissements en provenance de l'étranger et accroître le contrôle du Parlement sur ces investissements, sur la base d'un rapport envoyé aux présidents des commissions chargées des affaires économiques et aux rapporteurs généraux des commissions chargées des finances des deux chambres. Le rapport de 2021 indique que, sur les 124 investissements contrôlés déclarés comme sensibles, 67 ont été autorisées, moyennant des conditions expresses. Il est trop tôt pour se prononcer sur le seuil de 10 % ; nous verrons cette question en fin d'année, en fonction des conditions de marché.

Permalien
Olivier Becht, ministre délégué

Madame Petel, la France, qui assure la coprésidence du groupe de Minsk, considère que l'Arménie est une priorité.

Madame Youssouffa, s'agissant de l'Indo-Pacifique, nous accordons la priorité aux traités de commerce et aux partenariats, afin de faire en sorte que la France, qui compte dans cette région 1,6 million de ressortissants et les trois-quarts de sa zone économique exclusive, y joue un rôle majeur.

Monsieur Fernandes, les livraisons d'armes à la Russie pendant l'embargo ont été réalisées dans un cadre strictement légal, en vertu de la clause du grand-père, et ont eu lieu avant l'invasion de l'Ukraine. Il s'agissait d'armes non létales, essentiellement de nature optroniques, telles des jumelles.

Madame Clapot, Monsieur Taverne, les armes qui ont été livrées à l'Ukraine, comme les canons Caesar ou les véhicules de l'avant blindé, ne passent pas inaperçues et sont, de ce fait, difficiles à détourner.

Monsieur Weissberg, la défense européenne est une composante de la souveraineté nationale. Nous entretenons un dialogue nourri avec les États-Unis sur l'extraterritorialité, que nous n'approuvons pas. Nous pourrons évoquer les litiges commerciaux dans les domaines de l'aéronautique, de l'acier ou concernant la loi américaine sur la réduction de l'inflation dans le cadre d'une réunion de la commission des affaires économiques.

Madame Lepvraud, la France respecte pleinement l'embargo sur les armes frappant la Chine et s'engage à ne jamais s'associer à la répression des défenseurs des droits de l'homme dans ce pays – cela s'étend aux biens à double usage pouvant être utilisés en matière de cybersurveillance. Concernant les Ouïghours, notre pays exprime régulièrement sa préoccupation : cela a encore été le cas dans un communiqué public du ministère de l'Europe et des affaires étrangères du 1er septembre. Nous en tirons toutes les conséquences sur notre politique d'exportation et nous soutenons vigoureusement, à l'échelle de l'Union, les travaux visant à interdire la mise sur le marché de produits issus du travail forcé.

Monsieur de Lépinau, concernant les armes livrées à l'Arabie saoudite, il n'y a pas d'oxymore. Nous assurons un suivi en la matière. Les objectifs que nous avons fixés en matière de respect des droits humains et de droit international humanitaire sont parfaitement respectés.

La séance est levée à 16 h 35

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Damien Abad, M. Sébastien Chenu, Mme Mireille Clapot, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Nicolas Forissier, M. Thibaut François, Mme Maud Gatel, M. Hadrien Ghomi, Mme Olga Givernet, Mme Marine Hamelet, M. Joris Hébrard, M. Michel Herbillon, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Sylvain Maillard, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Sabrina Sebaihi, M. Vincent Seitlinger, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye, Mme Laurence Vichnievsky, M. Lionel Vuibert, M. Éric Woerth, Mme Estelle Youssouffa

Excusés. - Mme Nadège Abomangoli, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Moetai Brotherson, Mme Eléonore Caroit, M. Frédéric Falcon, M. Olivier Faure, M. Meyer Habib, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, M. Tematai Le Gayic, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Paul Lecoq, M. Laurent Marcangeli, Mme Emmanuelle Ménard, M. Nicolas Metzdorf, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, Mme Ersilia Soudais, M. Patrick Vignal, M. Christopher Weissberg, Mme Caroline Yadan

Assistait également à la réunion. - M. Karim Ben Cheikh