Je répondrai d'abord à Mme Tabarot, sur la question de la transparence. Sommes-nous prêts à aller plus loin ? Oui. Il faudrait y réfléchir avec la présidente et le bureau de l'Assemblée nationale et la Première ministre.
Monsieur le président Kervran, vous m'avez demandé, comme d'autres, si certaines exportations se faisaient au détriment de notre propre parc. Je pense qu'il faut mettre à part les cessions faites à l'Ukraine, qui font l'objet d'une doctrine bien à part, puisqu'elles sont faites à titre gratuit et dans un esprit de solidarité. Ce qui est certain, c'est que le fait d'aller puiser dans les stocks de l'armée française pour remporter un marché doit rester une exception. La prochaine loi de programmation militaire, à laquelle je suis en train de travailler avec les différents états-majors et que nous co-construirons avec le Parlement, devrait nous permettre de ne plus revivre cette situation. Cela dit, la cession de dix-huit canons Caesar n'a pas abîmé la trajectoire de la LPM ; elle n'a pas non plus eu d'impact sur notre système de défense. Elle a seulement impacté le plan de formation des artilleurs utilisant ces canons : ce n'est pas exactement la même chose…
Pour les Rafale, la question est un peu différente. Dans la mesure où ils concourent aussi bien aux missions de dissuasion conventionnelle qu'aux missions de dissuasion nucléaire, il faut que nous ayons une attention particulière pour notre parc de Rafale. En tout cas, je prends un engagement, en ce début de quinquennat : l'export ne doit pas se faire au détriment des capacités opérationnelles françaises.
Est-ce que le contrôle des exportations peut être transféré à l'Union européenne ? La réponse est non. Est-ce qu'il se fait dans le respect des valeurs et dans le cadre des accords pris à l'échelle européenne ? La réponse est oui. Mais cela reste un acte de gouvernement, un acte de souveraineté dont nous devons répondre devant vous. Il n'y a pas de transfert de pouvoir ; s'agissant du +, je suis en train d'expliquer à nos amis allemands que nous devons définir ensemble notre doctrine en matière d'exportation ; c'est une logique d'État à État.
Monsieur le président Kasbarian, la question de l'aide à l'Ukraine méritera une information spécifique de la Représentation nationale par le Gouvernement ; la Première ministre devrait le faire dans l'hémicycle très prochainement. Les armes que nous avons cédées à l'Ukraine en 2022 lui ont permis de renforcer son appareil de défense.
Pourquoi sommes-nous attractifs ? J'ai déjà évoqué la qualité de notre production et le non-alignement mais j'ajouterai l'interopérabilité, qui est un élément-clé dans la sphère de l'OTAN.
Monsieur le président Herbillon, le ministre Lescure a déjà répondu au sujet des refus de licences. J'ajouterai un troisième élément : le risque de spoliation de notre savoir-faire industriel. Il y a des pays où il n'est pas question de transférer ou de vendre du matériel, parce que ce risque est évident.
Monsieur Fiévet, le plan Action PME a fonctionné, puisqu'il a permis à nombre d'entreprises d'accéder à l'export. Il a aussi un lien avec l'économie de guerre, à propos de laquelle plusieurs d'entre vous m'ont interrogé. Indépendamment de la question des exportations, on doit être capable de produire plus vite, en maîtrisant les coûts et sans baisser le standard de qualité. La crise de la Covid-19 nous a montré combien il était dangereux de dépendre de pays situés à l'autre bout du globe pour certaines productions stratégiques.
L'économie de guerre suppose aussi de simplifier les besoins de l'armée : il importera, dans le cadre de la prochaine LPM, d'homogénéiser les besoins des armées. Plus on a de modèles, plus il faut de temps pour les fabriquer.
Madame Pic, vous avez raison, nous parlons des exportations mais jamais du service après-vente (SAV) : soit il est régalien – formation d'armée à armée –, soit il fait l'objet de prestations intellectuelles de la part des industriels – c'est ce qu'on appelle le maintien en condition opérationnelle (MCO) – et dégage dans ce cas de la valeur même si le matériel a été vendu les années précédentes.
Un mot sur l'alliance entre l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, dite AUKUS. À l'époque, j'étais ministre des outre-mer, en charge notamment de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie. J'ai donc analysé la situation en voisin. Quand un partenaire manque à sa parole, c'est bien lui le fautif. Certes, nous étions en pré-campagne présidentielle et certains se sont réjouis de la défaite française en incriminant l'exécutif mais la réalité est tout autre : nous avons été trahis par le gouvernement australien d'alors et nous pouvons le dire entre Français, quelles que soient nos sensibilités politiques.
Les choses ont-elles changé ? Oui, puisque le gouvernement Albanese est venu présenter ce que l'on pourrait appeler des excuses – j'ai moi-même participé au déjeuner entre le Premier ministre Albanese et le Président de la République. On peut parler d'un virage puisque j'ai reçu le ministre de la défense d'Australie à Brest et que M. Becht s'est rendu en Australie.
Cela pose-t-il la question du redéploiement européen ? Non, nous devons être partout. Nous connaîtrons sans doute le même type d'aléas que ceux que nous avons rencontrés avec les Australiens en Europe. Cet après-midi, vous contrôlez le cœur de notre souveraineté et il en est de même dans chaque pays. Les revirements d'alliances sont inévitables. Il faut simplement que les programmes soient tenables et, en l'espèce, l'indemnisation proposée par le nouveau gouvernement australien à Naval Group convient « en tous points » à l'entreprise, même si nous ne nous réjouissons pas de ce qui s'est passé.
Monsieur Jacobelli, je ne pense pas que les visites ministérielles permettent de capter des signaux faibles. C'est malheureusement plus complexe que cela… La France doit tirer son épingle du jeu dans un monde multipolaire dangereux, qui évolue très vite et dans lequel les tensions entre Washington, Pékin et Moscou rebattent régulièrement les cartes.