La réindustrialisation de la France est l'une des priorités du Président de la République, qui présentait, il y a près d'un an, le plan France 2030. Les crises récentes, notamment la guerre en Ukraine, ont mis en lumière notre exposition aux perturbations des chaînes de valeur, que nous devons intégrer dans notre stratégie industrielle.
Monsieur Kasbarian, l'implication du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique dans le processus de validation des exportations s'explique par la nécessité d'analyser en détail la situation financière des pays acheteurs, d'évaluer leur capacité à honorer les paiements qui seront dus à l'exportateur français, sur fonds propre ou par endettement, de mesurer l'exposition de la France vis-à-vis de ces États et, en parallèle, d‘apporter des éléments d'analyse des états financiers des entreprises exportatrices, en particulier les PME. L'État, au travers de son opérateur Bpifrance Assurance Export, accompagne les entreprises françaises exportatrices de matériels civils ou militaires par la couverture de leurs risques d'interruption de contrat ou de non-paiement. Ce produit est largement utilisé par les PME et apporte une contribution nette au budget de l'État.
Cette année, nous vous présentons pour la première fois un rapport sur nos exportations de biens à double usage, comme l'ancien Premier ministre Jean Castex s'y était engagé auprès de Jacques Maire et Michèle Tabarot. C'est le prolongement d'une pratique qui a donné satisfaction pour les matériels de guerre. Le document que nous vous soumettons offre une vision d'ensemble de notre action en matière de contrôle des exportations de matériels de défense et de biens à double usage. Si la Représentation nationale souhaitait rendre ce rapport public, nous n'y verrions aucun inconvénient.
Les biens à double usage sont avant tout destinés à des applications civiles mais peuvent aussi avoir des usages militaires. Parmi quelques cas réels, je citerai une souche virale exportée à des fins de recherche médicale mais pouvant permettre de constituer une arme bactériologique, des tissus de fibre de carbone exportés pour la fabrication de clubs de golf mais pouvant servir à la conception de pales d'hélicoptères ou de vecteurs d'armes de destruction massive, ou encore des joints et des vannes destinés à des processus industriels civils mais qui pourraient être utilisés à des fins nucléaires.
Les exportations de biens à double usage concernent souvent des secteurs stratégiques, liés à nos priorités de politique industrielle. Le nucléaire civil, le quantique, l'aéronautique sont autant de domaines dans lesquels ces biens peuvent être présents. Au-delà de l'enjeu de la souveraineté française et européenne, disposer d'une industrie de haute technologie, d'une industrie de la défense forte et résiliente est un facteur de compétitivité. Si la France est le sixième exportateur de biens et services au monde et le troisième en matière de défense, c'est dû en partie à l'excellence de sa recherche, de sa main-d'œuvre et de sa maîtrise technologique.
Le rapport qui vous a été remis présente l'origine et le cadre du contrôle des exportations de biens à double usage, qui est lui-même régi par un règlement européen mis en œuvre par les autorités nationales. Le règlement établit de façon juridiquement contraignante la liste des biens soumis à autorisation préalable d'exportation. Ces dispositions sont issues des régimes multilatéraux de contrôle, qui définissent les biens sensibles au regard de leurs applications possibles pour la fabrication d'armes de destruction massive. Le rapport décrit par ailleurs l'organisation nationale du contrôle, qui est interministérielle. Il vous présente enfin un bilan de l'année 2021.
Le premier acteur du contrôle de la destination ultime du bien exporté est l'exportateur lui-même : l'entreprise doit s'assurer de l'utilisation finale du bien lors de la signature du contrat. Le ministre chargé de l'industrie, qui est représenté par le service des biens à double usage, est l'autorité en charge de la mise en œuvre du contrôle en France. Dans ce domaine, nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère des armées, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le secrétariat général de la défense et la sécurité nationale. Nous examinons chaque demande en mobilisant des compétences géopolitiques, économiques, financières, industrielles, juridiques et techniques. La décision est prise conformément à l'avis de la commission interministérielle des biens à double usage (CIBDU). Nous faisons également appel à la coopération européenne qui permet de renforcer l'efficacité du contrôle au niveau européen.
Le cadre du contrôle a été modernisé par le règlement européen du 9 septembre 2021, dont l'objet est de nous permettre de nous adapter aux risques et aux défis liés à la prolifération d'armes de destruction massive et aux possibles violations des droits de l'homme par l'utilisation des biens et technologies sensibles.
Je me réjouis du dynamisme des entreprises exportatrices de biens à double usage. Nous avons accordé, en 2021, environ 4 000 autorisations d'exportation pour un total de 9 milliards d'euros, montant stable par rapport à 2020, hors exportations vers le Royaume-Uni. Par construction, les exportations réalisées sont inférieures au nombre des autorisations.
Monsieur Herbillon, les 125 refus d'autorisation notifiés par la France en 2021 sont à rapporter à un total d'environ 600 refus en Europe : la part importante que nous prenons à l'effort montre que nous faisons bien notre travail. Le refus peut s'expliquer, par exemple, par un risque de prolifération d'armes de destruction massive, en particulier dans des États qualifiés de « proliférants ». Il peut être dû aussi à la volonté de contourner un régime de sanctions, par exemple contre la Russie, ou d'embargo sur les armes. Par ailleurs, la Chine suit une stratégie de fusion de ses industries civiles et militaires, ce qui justifie que nous soyons très prudents.
Un certain nombre de nos industriels, militaires mais aussi civils, s'inquiètent des difficultés croissantes de financement à l'export. La crise en Ukraine va changer les priorités stratégiques, notamment en Europe, où les dépenses dans le secteur de la défense vont croître. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique suit de très près le financement des exportations. Il entend s'assurer que nos entreprises peuvent continuer à produire, à vendre en France et à exporter partout dans le monde des produits de qualité.