La commission procède à l'audition à huis clos, de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.
La séance est ouverte à 17 h 35
Nous avons l'honneur et le plaisir d'accueillir la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Mme Catherine Colonna. Je vous remercie, madame la ministre, de vous prêter à cet exercice pour la cinquième fois depuis votre prise de fonction et aujourd'hui à huis clos, à votre demande, ce qui permettra des échanges plus directs.
Depuis notre dernière rencontre en cette salle, le 7 mars 2023, des événements marquants ont ponctué l'actualité, en premier lieu la guerre en Ukraine. Il est souvent question du « brouillard de la guerre » et, dans l'étrange affaire qu'est cette guerre-ci, nous sommes dans le brouillard du brouillard : on a appris qu'une contre-offensive ukrainienne est en cours parce que Kiev n'en dit rien. Dans une intéressante stratégie de communication post-moderne, l'information vient de l'absence d'information… Nous espérons donc que vous nous en direz plus que les dépêches de presse sur cette offensive : est-elle réelle ? S'agit-il simplement de coups de butoir donnés ici et là pour tester la solidité du dispositif russe ou des actions en profondeur plus importantes sont-elles déjà engagées ?
La Chine, que le président de la République avait invitée à s'impliquer davantage dans la résolution de ce conflit, semble bouger ; comment percevez-vous son attitude actuelle ? Les États européens ont formulé de nouvelles promesses d'aide en matériel militaire au président Zelensky et la question de la livraison d'aéronefs se pose de façon de plus en plus pressante ; qu'en sera-t-il ? Lors du prochain sommet des chefs d'État et de gouvernement de l'Alliance atlantique, à Vilnius, l'Ukraine espère voir s'ouvrir des perspectives d'adhésion, une fois le conflit terminé ; se pose alors la question des garanties de sécurité à donner à l'Ukraine dans le cadre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) ou par un autre moyen. Dans tous les cas, les discussions à Vilnius seront complexes, nos partenaires turcs continuant de marquer une forte opposition à l'adhésion de la Suède à l'OTAN.
Les propos du président de la République au sujet de Taïwan, au retour de sa visite d'État à Pékin, ont suscité une certaine incompréhension chez nombre de nos alliés et partenaires. Quelle est l'approche précise de la France ? Beaucoup d'entre nous craignent la tentation d'une attitude intermédiaire entre la Chine et les États-Unis alors que nous sommes dans le même système de valeurs que les États-Unis. Nous pouvons, certes, avoir des intérêts divergents des leurs mais c'est une chose de constater des divergences au sein du camp occidental, une tout autre chose de se positionner entre ces deux blocs.
Dans le reste du monde, de très importantes modifications des relations internationales ont eu lieu, sous l'égide de la Chine, justement. Au Moyen-Orient, l'Arabie saoudite et l'Iran ont rétabli leurs relations diplomatiques. Cela ouvre la voie à une issue au conflit du Yémen mais aussi au retour en grâce de M. Bachar El-Assad au sein de la Ligue arabe, et cet événement sanctionne un échec fondamental des puissances occidentales et des défenseurs de l'État de droit. Quelle appréciation portez-vous sur cette évolution et quelles conséquences en tirerez-vous ?
Quelle issue voyez-vous, si tant est qu'il en existe une, aux affrontements d'une extrême violence en cours au Soudan ? Nous avons entendu le directeur de la cellule de crise de votre ministère qui a géré l'évacuation d'un millier de Français et d'étrangers dans des conditions difficiles avec brio et une grande efficacité, nous a-t-il semblé. Au-delà, l'enjeu est de faire cesser la violence pure dans laquelle peut basculer toute cette région.
Les Arméniens du Haut-Karabakh nous semblent bien seuls. Ils ont le soutien de la Grèce et de Chypre mais la France est la seule grande puissance solidaire de l'Arménie et, en Europe, nos efforts semblent observés avec distance, y compris par nos amis les plus proches. J'ai reçu dans cette commission des responsables arméniens et azéris et nous avons eu le sentiment d'un jeu complexe entre la Russie, l'Azerbaïdjan et l'Arménie, très préoccupant pour l'avenir de nos amis arméniens. Pourrez-vous faire le point ?
Je n'évoquerai que pour mémoire d'autres foyers de crise : au Sahel, en Birmanie, en Haïti, en Afghanistan, rien ne va.
Nous attendons beaucoup du rendez-vous fixé par le président de la République à l'occasion du sommet pour un nouveau pacte financier mondial. La délégation de notre commission qui s'est rendue en Inde récemment en est revenue frappée par le fait que la variable essentielle du succès de la lutte contre le réchauffement climatique est notre capacité à mettre en œuvre une solidarité mondiale, sur le plan privé en mobilisant des capitaux, sur le plan public par des solidarités effectives. Quelle analyse faites-vous de ce nouveau pacte et comment se prépare-t-il ?
Je conclurai par quelques mots au sujet du comité interministériel de la coopération internationale et du développement, le CICID, cette Arlésienne toujours annoncée…
Pour être préparé, il l'aura été, en particulier par le conseil présidentiel du développement. Comment se présentent les choses ? Notre commission est aussi préoccupée par les modalités de constitution de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement prévue par la loi du 4 août 2021. Nous avons des divergences marquées avec le Premier président de la Cour des comptes, qui s'est mis en tête que l'organisation de la nouvelle commission devrait être profondément différente de celle qu'a votée le Parlement.
Madame la ministre, vous savez nos préoccupations, nos interrogations et nos inquiétudes ; vous avez la parole.
Je vous remercie, monsieur le président, et je vous remercie aussi d'avoir accepté que cette audition se tienne à huis clos ; cela nous permettra d'avoir des échanges approfondis.
Je commencerai par faire le point sur la situation en Ukraine et le début de la contre-offensive – ou de l'offensive – ukrainienne car il y a parfois débat sur les termes. Les belligérants entrent dans une nouvelle phase du conflit et, en conséquence, débute une nouvelle phase du soutien que nous devons apporter à l'Ukraine. Ces derniers mois, comme nos alliés, nous avons mis l'accent sur la livraison rapide des matériels nécessaires à l'Ukraine pour préparer ses actions offensives. Nous avons donc répondu aux besoins exprimés, qui ne sont pas des avions pour l'heure mais des moyens de défense anti-aérienne ; cette nuit encore, des attaques ont eu lieu, entraînant la mort de civils, et il faut à l'Ukraine des moyens de défense avant des moyens d'offensive : les pays rassemblés dans le format de Ramstein lui ont fourni de l'artillerie et des munitions, de la maintenance, des véhicules de l'avant blindé, différents types de missiles, du carburant. Pour sa part, la France a livré à l'Ukraine trente canons Caesar, des munitions, des véhicules de l'avant blindé, des chars AMX 10 RC dits légers et des moyens de maintenance. Nous continuerons. Tout ce qui avait été promis au président Zelensky, lors de sa rencontre avec le président de la République le 9 février dernier à sa demande expresse, a été livré avant la fin du mois de mai – et nous sommes sans doute le seul pays dans ce cas – pour permettre, avec d'autres, à l'Ukraine d'être suffisamment équipée pour avoir formé de nouvelles brigades, les avoir entraînées et être en mesure de mener son offensive.
L'enjeu immédiat, ce ne sont donc pas les avions, qui ne pourraient de toute façon pas être livrés à temps pour l'action déjà engagée par les Ukrainiens, aux délais de livraison s'ajoutant des mois de formation. Mais le président de la République a dit que la France était prête à assurer, si nécessaire, la formation de pilotes et de mécaniciens ukrainiens : au moins la formation de premier niveau, sachant que l'Ukraine privilégiera, comme elle l'a fait pour les chars, une flotte homothétique composée de F-16 à des matériels disparates qu'il est compliqué de faire manœuvrer ensemble et qui requièrent des formations différentes. Il faut donc distinguer formation et livraison éventuelle d'avions. Celle-ci n'est ni décidée, ni exclue mais, je vous l'ai dit, ce n'est pas ce que l'Ukraine recherche. Nous avons respecté notre part de ce qui était convenu pour permettre à l'Ukraine de se lancer dans l'action en cours, dont personne ne sait quel sera l'effet militaire.
À ce jour, les Ukrainiens n'ont pas engagé l'ensemble de leurs forces armées et lancent des offensives dans plusieurs directions, comme ils l'avaient fait à la fin de l'automne 2022. Sans doute s'agit-il d'une phase de tests conçus pour déterminer les faiblesses de l'occupant en plusieurs points du territoire. Les Russes, qui ont eu le temps de se préparer à cette contre-offensive annoncée, ont constitué plusieurs lignes de défense, jusqu'à sept parfois. Nous verrons à quelles conclusions parviendront les Ukrainiens après ces premiers combats et comment ils engageront le plus gros de leurs forces dans la deuxième phase de leurs actions contre-offensives. Une succession de revers sur le terrain peut conduire le président Poutine à reconsidérer ses options, estime l'Ukraine. C'est la stratégie qu'elle suit et que suivent ses alliés : tenter, par des actions militaires réussies, de modifier le rapport de force pour conduire le président russe à raisonner autrement. Le président de la République a dit hier soir au chancelier Scholz et au premier ministre polonais, qu'il recevait à l'Elysée, qu'il faut s'attendre à ce que ces opérations militaires durent des mois.
L'autre moyen de venir en aide à l'Ukraine c'est de rendre publiques des garanties de sécurité à son égard. À court terme, nous signalerons ainsi à la Russie que nous soutiendrons l'Ukraine dans la durée et qu'elle ne doit escompter ni l'affaiblissement de notre détermination, ni notre lassitude. À long terme, les garanties de sécurité doivent dissuader la Russie de répéter une agression de l'Ukraine dans le futur. La discussion sur les garanties de sécurité a débuté il y a plusieurs mois dans le format diplomatique dit du « Quad », qui rassemble États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne et France ; l'Ukraine y est désormais associée, puisque l'on ne saurait traiter de sa sécurité sans elle. Un texte définissant les paramètres des garanties apportées à l'Ukraine pourrait être agréé avant le sommet de Vilnius, prévu les 11 et 12 juillet prochains. De cette manière, le plus grand nombre possible d'États affinitaires pourraient indiquer quels seraient leurs engagements bilatéraux.
Le sommet de Vilnius sera très largement dominé par le soutien à l'Ukraine, dans ses trois composantes : politique, institutionnelle et opérationnelle.
Sur le plan politique, l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN n'est pas consensuelle. L'adhésion maintenant, alors que la guerre fait rage, signifierait étendre la garantie de l'article 5 du traité de Washington au territoire ukrainien. Cette hypothèse n'est pas à l'ordre du jour, et pas seulement en raison de la position américaine. L'Ukraine elle-même ne demande plus que l'ouverture d'une perspective d'adhésion, sans qu'elle ait lieu à Vilnius. Notre position à ce sujet est la position moyenne des États qui participaient il y a quinze jours à la réunion ministérielle informelle de l'OTAN à Oslo : il est indispensable d'afficher à Vilnius l'union dans le soutien à l'Ukraine, non une division ou une hésitation au sujet de l'adhésion. Aussi n'y a-t-il aucun intérêt à se montrer très allants dans quelques lignes d'un communiqué n'emportant aucun engagement juridiquement contraignant. Les Ukrainiens l'ont compris.
Mais un consensus pourrait se dégager sur une formule plus engageante que celle adoptée en 2008 lors du sommet de l'OTAN à Bucarest, qui avait décidé de ne pas accepter l'adhésion de l'Ukraine.
En matière de soutien opérationnel enfin, la situation est contre-intuitive puisque le soutien militaire et létal est essentiellement le fait de l'Union européenne, l'Alliance atlantique n'étant pas engagée en tant que telle en Ukraine. Le secrétaire général de l'OTAN a proposé d'apporter à l'Ukraine un accompagnement sous la forme d'un « paquet d'aide global ». Le dispositif examiné par les États membres détaille l'aide complémentaire que l'Alliance pourra apporter dans la durée, avant l'adhésion. Elle consisterait en une assistance à caractère non létal visant à aider à la réforme des armées ukrainiennes, au renforcement de l'interopérabilité et au déminage.
La Finlande a complété son parcours d'adhésion à l'Alliance atlantique au cours d'une belle cérémonie le 4 avril dernier, ce que, regrettablement, la Suède n'a pu faire, la Hongrie et la Turquie n'ayant pas ratifié le traité d'adhésion. La victoire du président Erdogan aux dernières élections lui permettra peut-être plus facilement de faire un geste. Aussitôt après l'élection, M. Stoltenberg s'est rendu en Turquie où il a eu des conversations jugées plutôt positives. La Suède, qui conduit elle-même un dialogue avec la Turquie, a mené à leur terme les modifications législatives fixées dans l'accord tripartite de Madrid. Elle considère avoir fait son travail. Pour afficher, comme d'autres États l'ont fait, notre soutien à la Suède, je recevrai mon homologue et ami suédois dans trois jours. Nous avons bon espoir que la Suède soit présente à Vilnius en qualité de membre de l'Alliance atlantique.
Comment s'explique l'opposition de la Hongrie, qui n'a pas d'opposants kurdes à la Turquie sur son sol ?
Par une raison non proclamée : c'est une prise de gage consécutive au refus de la Commission européenne, justifiée et approuvé par les États membres, de libérer les sommes du plan de relance prévues pour la Hongrie, que ce pays ne mérite pas de recevoir aussi longtemps que, ne respectant pas ses engagements, il commet des violations avérées et nombreuses des principes de l'État de droit. On peut supposer que la Hongrie cherche un donnant-donnant. Mais si la Turquie ratifiait le traité d'adhésion de la Suède à l'OTAN, il serait difficile à la Hongrie, Etat membre de l'Union européenne, de justifier qu'elle ne ratifie pas l'entrée d'un autre État membre de cette même Union dans l'Alliance atlantique.
J'en ai fini avec le sommet de Vilnius et j'en reviens à l'Ukraine pour souligner que la bataille sur le terrain diplomatique est aussi une bataille narrative. Depuis le début, la Russie essaie de faire douter de ses responsabilités. Je ne suis pas en mesure de vous dire quelle personne, quel groupe ou quel État a saboté le barrage de Kakhovka, mais l'intérêt de la propagande russe, et elle a pour partie réussi, est de faire oublier que ce barrage est situé dans une zone de l'Ukraine qu'elle occupe illégalement. Sur le fond, la responsabilité première et unique de la Russie dans le déclenchement de la guerre doit être rappelée. On ne se poserait pas ce genre de question si Moscou n'avait pas attaqué l'Ukraine le 24 février 2022, rompant un processus diplomatique auquel concouraient la France et d'autres États. La Russie s'attache en permanence à jeter le trouble dans les esprits, à épaissir le brouillard dont vous parliez, monsieur le président, par exemple sur le succès ou l'insuccès des premières opérations ukrainiennes.
Mais quelle que soit l'issue de l'offensive en cours, les difficultés militaires que connaît la Russie sont avérées puisque son plan d'origine a raté : Kiev n'est pas tombée en 48 heures, l'Ukraine ne s'est pas effondrée et résiste, l'Union européenne a réagi, les alliés sont unis. Rien ne se passe comme la Russie le souhaitait. Si ces difficultés devaient persister, elle serait tentée de les compenser en continuant de diluer ses responsabilités, voire de les inverser, et de faire prospérer des propositions de paix non fondées sur les principes de la Charte des Nations Unies mais qui appelleraient – on en voit déjà quelques prémices – à un cessez-le feu immédiat, sur le thème : « Des gens meurent, il faut arrêter les frais, nous sommes pour la paix ». Tout le monde est pour la paix, les Ukrainiens plus que quiconque, mais nous ne devons pas oublier quelles sont les responsabilités respectives.
La vigilance doit être vive, d'autant que de nombreux pays non alignés commencent à se positionner et que la Russie peut être tentée d'exploiter certaines échéances : les rencontres économiques de Saint-Pétersbourg, le sommet Afrique-Russie prévu à la fin du mois de juillet, ou encore le sommet des BRICS – pour Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – à la fin du mois d'août, prévu en Afrique du Sud – en principe, car l'Afrique du Sud, partie au statut de Rome, est liée par les obligations qui en découlent, dont l'arrestation de toute personne sous mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale présente sur son territoire, si bien qu'en l'état du droit, ce pays devrait arrêter le président Poutine s'il venait sur son sol.
Les intérêts de la Chine et de la Russie ne sont pas identiques. On l'a vu, lors du déplacement du président chinois à Moscou, à la difficulté de négociation du communiqué conjoint, à ce qui y figure et surtout à ce qui n'y figure pas. On y a noté le rappel qu'un État ne doit pas disséminer des armes nucléaires en dehors de son territoire et je pense que les Chinois ont peu apprécié que, le 25 mars 2023, la Russie, qui s'était dite d'accord sur cette assertion quatre jours auparavant, annonce par la voix du président Poutine qu'elle déploierait début juillet des armes nucléaires en Biélorussie. Ce serait une erreur de croire que les positions de la Chine et de la Russie sont parfaitement alignées. Nous devons donc contribuer à convaincre la Chine de plaider en faveur de la paix. Ses vues ne sont pas les mêmes que les nôtres mais elle ne cesse de rappeler son attachement à la stabilité et aux grands principes de la Charte des Nations Unies, dont celui de l'intégrité territoriale des États. Il n'est pas indifférent que la Chine envoie au sommet de Paris des 22 et 23 juin son premier ministre et ce sommet sera l'occasion d'entretiens entre le président de la République et M. Li Qiang.
La position de la France au sujet de Taïwan n'a pas changé ; notre politique – « une seule Chine » – reste la même. Elle se traduit par la reconnaissance diplomatique de la Chine continentale et pas de Taïwan. Avec l'île, nos relations sont d'ordre commercial, économique, universitaire, parlementaire, mais rien ne concerne ce qui toucherait à la sphère diplomatique. Nous sommes défavorables à tout changement du statu quo, a fortiori par la contrainte. La France est le seul pays ayant fait passer un bâtiment militaire dans le détroit de Taïwan pour des missions de souveraineté visant à assurer la liberté de circulation dans les eaux internationales lors des manœuvres chinoises de fin avril. J'ai rendu visite à l'équipage et au commandant de la frégate Prairial qui ont assuré cette mission lorsque j'étais en Corée. Les missions de souveraineté de notre marine sont fréquentes et je ne peux pas laisser dire que nous aurions une position ambiguë alors que nous sommes le seul pays à en avoir effectué une en cette période tendue.
Le document de position chinoise sur l'Ukraine n'est pas sans valeur. Son article premier, qui rappelle les principes de la Charte des Nations Unies, est excellent, et certains disent que la Chine aurait pu s'en tenir à cela. De même, nous avons des conversations intéressantes avec l'Afrique du Sud. Nous souhaitons continuer de dialoguer avec ces pays et rappeler que toute initiative de paix doit veiller à ce que soient respectés les principes fondamentaux de la Charte : la non-agression, la souveraineté des États, leur indépendance, l'intangibilité des frontières, le respect de l'intégrité territoriale. Il faut être vigilants et s'assurer que les initiatives de paix en gestation n'avalisent pas de fait les annexions russes.
Toute proposition conçue sous la forme : « Cessez-le-feu immédiat, pour le reste on verra plus tard » entérinerait les annexions condamnées par l'Assemblée générale des Nations Unies à une très forte majorité parce qu'illégales ; le président de la République l'a dit clairement à Bratislava le 31 mai dernier. Une telle situation créerait un nouveau conflit gelé et, à coup sûr, une nouvelle guerre à l'avenir. Cela nous affaiblirait tous. La seule paix possible est une paix dont les termes respectent le droit international ; elle doit être négociée et conclue par le pays, attaqué, envahi et dont une partie du territoire est aujourd'hui illégalement occupé. Il faut éviter que la fausse neutralité affichée par un certain nombre de pays non alignés aboutisse de facto à avantager l'agresseur russe par l'adoption d'une initiative de paix déséquilibrée, soit à l'une des occasions que j'ai évoquées soit lors de l'Assemblée générale des Nations Unies, fin septembre.
Forts de ces considérations, le président de la République, moi-même, Sébastien Lecornu et d'autres dans leur champ de compétences déployons nos efforts auprès de pays qui ne sont pas seulement des pays occidentaux, européens ou membres de l'Alliance atlantique. Tout récemment, je me suis entretenue avec mes homologues sud-africaine et brésilien ; j'ai eu des entretiens bilatéraux en Arabie saoudite et au Qatar et je serai à Pretoria lundi et mardi prochains.
Il nous faut aussi répondre aux préoccupations des pays dont je viens de parler au sujet des conséquences négatives en matière de sécurité alimentaire, de transport des céréales et de prix de l'énergie, dues à une guerre qui est de la responsabilité russe. Nous avons beaucoup fait à ce sujet et continuerons de faire. L'un des objectifs du sommet pour un nouveau pacte financier mondial des 22 et 23 juin prochains est de montrer que nous cherchons à faciliter l'accès des pays en développement aux financements internationaux.
La guerre russe nous vise aussi, pour le moment sous des formes non létales mais actives. Le site du Quai d'Orsay est le site le plus attaqué de France après celui de l'Élysée. Nous ne pouvons pas toujours attribuer ces attaques mais je puis vous dire qu'elles sont très souvent russes ou chinoises, et en ce moment majoritairement russes. Nous avons dénoncé aujourd'hui même la fabrication par les Russes de faux sites de journaux destinés à diffuser de fausses informations et la tentative d'usurpation d'identité du site Internet du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. De telles dénonciations publiques sont rares ; nous y avons procédé délibérément pour alerter sur ce que fait la Russie.
Un mot sur l'Europe, à présent : comme l'a montré le discours du président de la République à Bratislava, l'une des conséquences indirectes de la guerre russe en Ukraine est que nous devons tirer toutes les conséquences du bouleversement géopolitique en cours. Cela signifie nous engager davantage en Europe centrale et orientale, et nous avons tous les atouts pour le faire. Les pays concernés y ont tout intérêt. Ils n'ont pas particulièrement envie d'être trop exposés au risque d'un recul américain dans les décennies qui viennent ; ils ont besoin d'une Europe forte et, en son sein, de partenaires autres que la seule Allemagne.
Nous devons donc nous investir et reconnaître, comme l'a fait le président de la République, les intérêts stratégiques de ces pays, dire que nous serons plus présents, les encourager à aller de l'avant par les réformes qui les rendront aptes à nous rejoindre. Nous devons, en parallèle, travailler au renforcement d'une Europe plus politique, plus autonome, plus souveraine. Ils doivent avancer dans la voie des réformes et nous devons avancer sur les garanties de sécurité. Les perspectives d'élargissement aux Balkans occidentaux sont ouvertes depuis la fin de l'année 2000 et l'élargissement se fera, peut-être à un rythme plus rapide que ce qui avait été envisagé. Cela signifie que nous devrons réformer plus vite nos processus de décision, de manière qu'une Europe élargie puisse prendre des décisions sans être paralysée par la nécessité d'unanimité. Même si désormais les décisions sont prises à la majorité qualifiée dans presque tous les champs, il faudrait aller plus loin, adapter les modalités de prise de décision et aussi, sans doute, les formats et les contenus des politiques pour permettre que certains pays membres fassent plus vite à condition de permettre aux autres de les rejoindre.
L'Arménie n'est pas seule. Nous la soutenons avec l'aide de l'Union européenne et des États-Unis, engagés dans des efforts de médiation et, comme lors du premier sommet de la Communauté politique européenne il y a six mois, le président de la République a à nouveau réuni avec Charles Michel et, cette fois, le chancelier Scholz les dirigeants arménien et azéri. Je me suis rendue dans les deux pays fin avril 2023 ; j'ai été reçue par leurs dirigeants et par mes collègues.
Nous expliquons que la paix est possible et que seul un accord de paix permettra de régler durablement les difficultés, y compris du point de vue azerbaïdjanais. Mais l'Azerbaïdjan, étant en position de force, tend à faire pression, n'a toujours pas accepté de mettre en œuvre la décision de la Cour internationale de justice du 22 février 2023 et continue de bloquer le corridor de Latchine, qui donne accès au Haut-Karabakh. Cependant, il faut dire les choses comme elles sont : le Haut-Karabakh est peuplé en majorité d'habitants arméniens aux droits desquels nous tenons mais ils ne souffrent pas de famine puisque les convois des Nations Unies et ceux de la Croix-Rouge y parviennent. Dire que 120 000 personnes sont en train d'y mourir n'est pas exact. La nouvelle réunion prévue à Bruxelles fin juillet est une manifestation de bonne volonté.
Les Européens nous suivent : je me suis rendue à la frontière, du côté arménien, là où est déployée la mission européenne d'observation. Elle existe très largement grâce aux efforts de la France mais d'autres Européens ont accepté d'en être. Le commandant est allemand, son adjoint est français et de nombreux autres pays y participent. Je pense être la seule ministre d'un pays européen à avoir visité cette mission, pour montrer son utilité ; de fait, sa présence a réduit la tension.
J'en viens à la situation dans le golfe arabo-persique. En Arabie saoudite, début février, j'ai été reçue par le prince héritier qui m'a exposé la stratégie que l'on a vue se dérouler depuis lors. L'Iran reste la principale préoccupation des Saoudiens, à la fois parce que ce pays arrive au seuil nucléaire, s'il ne l'a déjà franchi, et parce qu'il mène des activités déstabilisatrices dans la région. Le prince Mohammed ben Salmane constate que les Occidentaux ne parviennent pas à traiter la question et considère qu'il faut l'aborder autrement, en cherchant un modus vivendi avec l'Iran. C'est le sens de l'accord conclu aux termes de discussions engagées à Oman et qui se sont poursuivies en Chine, le rôle joué par les Chinois étant difficile à mesurer mais réel. Cet accord prévoit le rétablissement des relations diplomatiques et l'Arabie Saoudite attend des Iraniens qu'ils modèrent les ardeurs de leurs proxies, tous ceux qui s'agitent pour eux par procuration dans plusieurs pays dont le Yémen, où l'on constate une légère amélioration, un calme précaire due à une trêve non officielle avec les Houtis.
Au cours de cet entretien, le prince m'a aussi exposé son deuxième axe d'action : avancer sur le dossier syrien, que les Occidentaux n'ont pas non plus traité complétement. En réintégrant Bachar El-Assad au sein de la Ligue arabe, les Saoudiens espèrent parvenir à détacher l'Iran de la Syrie, pari audacieux sur lequel je ne me prononcerai pas. Au Yémen, la stratégie saoudienne fonctionne relativement mais le calme est précaire. Pour l'Irak, on observera le déroulement et les conclusions de la troisième conférence en format Bagdad rassemblant tous les pays de la région, Iran compris, pour aider l'Irak à se relever.
Au sujet de la Syrie, nous avons publiquement exprimé des doutes et rappelé nos exigences, qui sont celles du Conseil de sécurité des Nations Unies : il faut veiller à la lutte contre la résurgence de Daech, contre le trafic de stupéfiants auquel le régime syrien se livre et contre l'impunité ; déterminer les conditions du retour des millions de réfugiés syriens pour l'instant hébergés dans les pays voisins ; soutenir nos alliés kurdes, efficaces dans la lutte contre Daech au point d'avoir permis le recul territorial et la fin du califat.
Le sommet qui se tiendra les 22 et 23 juin prochains à Paris démontrera qu'il n'y a pas « deux poids deux mesures » et que l'on aide les pays en développement, les plus vulnérables en particulier, à accéder plus facilement aux financements internationaux, en usant de la méthode multilatérale qui, incidemment, n'est pas morte. Cette méthode a permis l'accord historique de Montréal sur la biodiversité, l'accord aux Nations Unies sur la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité en haute mer, et des progrès il y a deux semaines, à Paris, dans les discussions en vue d'un accord sur un traité juridiquement contraignant mettant fin à la pollution plastique. L'objectif est de poser les principes d'une refonte des mécanismes de financement international et d'accès des pays qui en ont le plus besoin aux financements internationaux, tant multilatéraux que privés.
Le CICID se tiendra après le conseil présidentiel du développement, qui a réaffirmé les grands piliers de notre politique de développement tout en affirmant l'intention de transformer des objectifs géographiques en objectifs de fond. Le terrain est ainsi préparé pour le CICID que Mme la première ministre présidera, je l'espère, le 13 juillet, pour mettre en musique au niveau interministériel les conclusions du conseil présidentiel du développement, ce qui permettra d'exercer une politique plus agile et un meilleur pilotage des opérateurs, notamment l'excellent opérateur qu'est l'Agence française de développement.
Cela se passera d'autant mieux que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères se transforme pour faire face à ses nombreuses tâches, dont je n'ai cité que quelques-unes, avec le « réarmement » annoncé par le président de la République et auquel le Parlement donnera, je l'espère, son assentiment lors de la discussion des projets de loi de finances pour 2024 et les années suivantes. Le président a pris des décisions qui couvrent la période allant jusqu'à la fin de son mandat mais il vous reviendra de nous donner les moyens financiers et humains nous permettant de réaliser son ambition.
Madame la ministre, je vous remercie. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
On constate avec effroi que les moyens militaires mis en œuvre par la Russie sont sans limites. Après le chantage nucléaire de Vladimir Poutine menaçant de bombarder la centrale nucléaire de Zaporijjia, la Russie s'en prend maintenant à la viabilité de l'environnement en détruisant le barrage hydro-électrique de Kakhovka. Des villes ont disparu, 8 000 personnes ont dû être évacuées et 25 au moins sont décédées. Pouvez-vous nous en dire plus sur les opérations d'aide humanitaire conduites par le centre de crise de votre ministère ? Les conséquences environnementales de la destruction du barrage sont incommensurables : marée noire et pollution des eaux du Dniepr, qui désormais charrie des mines ; pollution jusqu'à la mer noire ; disparition d'écosystèmes et d'espèces endémiques ; destruction de zones naturelles protégées ; atteinte à l'approvisionnement en eau des régions alentour ; atteintes à l'agriculture dans ce grenier à blé du monde. En 1941 déjà, Staline avait fait dynamiter la centrale hydro-électrique de Zaporijjia pour ralentir l'avancée des nazis, causant la mort de dizaines de milliers de civils. Je mentionnerai d'autre part le saccage du parc naturel de Kahuzi-Biéga en République du Congo, la dispersion d'uranium appauvri lors de la guerre du Kosovo, l'agent orange déversé au Vietnam… L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe demande la création de mécanismes internationaux visant à sanctionner de tels crimes environnementaux. Que fera la France en la matière ?
Au-delà des conséquences militaires des inondations et des interrogations sur le point de savoir à qui profite le crime pour en arriver à une attribution, le sabotage de ce barrage est une catastrophe humanitaire et environnementale, qui peut nuire aussi à la sûreté nucléaire. Sur le plan humanitaire, nous n'agissons pas seuls. L'Union européenne a activé son mécanisme de crise et les Nations Unies travaillent à un plan de plus grande ampleur. Nous avons immédiatement répondu à la demande formulée par le président Zelensky auprès du président de la République en expédiant plus de dix tonnes de matériels répondant aux spécifications exprimées. L'acheminement, compliqué, demande une semaine. Comme les frappes qui ont eu lieu cette nuit sur des infrastructures civiles, les attaques contre les barrages sont expressément interdites par la convention de Genève.
Ces violations du droit international constituent des crimes de guerre. Nous soutenons donc les juridictions ukrainiennes, ainsi que la Cour pénale internationale qui va enquêter sur l'aspect « crime environnemental » de ce qui vient de se produire à Kakhovka. Nous avons rendu public le départ en Ukraine, il y a deux jours, de deux nouvelles équipes relevant du ministère de l'intérieur dans le cadre d'une opération conjointe avec mon ministère. L'une des équipes travaillera sur le volet « environnement » en lien avec la justice ukrainienne et la Cour pénale internationale, l'autre sur les aspects plus classiques des crimes de guerre.
Enfin, le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a indiqué que le sabotage du barrage induit un risque de manque d'eau dans le bassin de refroidissement de la centrale de Zaporijjia. Nous aidons l'AIEA à envoyer une mission sur place pour faire l'état des lieux et demander que l'on s'attache à assurer la sûreté dans la zone. J'ai parlé tout à l'heure à son directeur général, arrivé à Kiev ce matin et qui a bon espoir de se rendre sur place au plus vite. Les conditions de sécurité sont précaires, l'inondation ayant aussi eu pour effet, comme vous l'avez signalé, de dégager des mines jusqu'alors enfouies.
Le groupe du Rassemblement national s'inquiète des préparatifs devant conduire à un nouvel élargissement de l'Union européenne, sur fond de guerre en Ukraine et de regain de tensions dans les Balkans, de la refonte du corps diplomatique, de l'accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur, qui fait l'objet d'une résolution débattue en ce moment même en séance.
Ma question portera sur les Balkans, où mon collègue Frédéric Petit et moi-même nous sommes rendus en mission en mars 2023. Des élections ont eu lieu en Albanie et au Kosovo. Dans ce dernier pays, quatre maires ont été élus avec une très faible représentativité, ce qui provoque de forts remous ; le président de la République a d'ailleurs indiqué souhaiter l'organisation de nouvelles élections. En Albanie, les élections ont été l'occasion de nombreuses irrégularités, pour dire les choses sobrement, dont l'intimidation d'électeurs ; l'opposition a fourni des vidéos montrant des manquements très graves. De plus, un des candidats est en prison, son seul tort étant d'être issu de la minorité grecque, ce pourquoi le premier ministre grec a émis des réserves sur l'adhésion de l'Albanie à l'Union européenne – une sage décision que la France pourrait suivre. Ce candidat est-il toujours emprisonné ? Les multiples irrégularités commises lors du processus électoral ne sont-elles pas un frein à l'intégration de ces pays dans l'Union européenne ?
Au Kosovo, quatre municipalités ont fait parler d'elles, mais quatre seulement. Il faut aussi dire que les élections ont été boycottées par les électeurs serbes et, comme ils sont de loin les plus nombreux, les maires élus l'ont évidemment été avec un très faible pourcentage de voix. La contestation a dégénéré en incidents violents et la communauté internationale a appelé chacun à la raison. Lors de la réunion de la Communauté politique européenne à Chisinau, une réunion a rassemblé le président de la République, la présidente du Kosovo et le président serbe. Nous demandons la tenue de nouvelles élections, se déroulant cette fois dans des conditions normales, ce qui signifierait que l'ensemble du corps électoral y participe ; le boycott n'était sans doute pas la meilleure idée pour faire s'exprimer la démocratie.
Sur l'Albanie, nous connaissons la position de la Grèce, dont le ministre des affaires étrangères a interpellé son homologue albanais lors du dernier conseil « affaires étrangères » à Bruxelles, où les pays candidats à l'adhésion étaient présents. La réponse qui lui a été faite est qu'il s'agit d'un dossier purement juridique. Nous avons été un certain nombre à interroger nos amis albanais et nous serons attentifs au cheminement de ce dossier « purement juridique ».
La France soutient l'Arménie mais elle doit prendre des initiatives encore plus fortes. Depuis six mois, M. Aliev, le président azerbaïdjanais, opère un blocus inhumain contre la zone restée libre de la République du Haut-Karabakh en bloquant l'entrée du corridor de Latchine, ce qui provoque des pénuries de médicaments et de nourriture et des coupures d'électricité. L'objectif de l'Azerbaïdjan est d'affamer et de chasser les 120 000 Arméniens qui vivent là. Le renforcement du blocus, le 23 avril dernier, fait craindre l'aggravation de la crise humanitaire.
L'ordonnance rendue le 22 février 2023 par la Cour internationale de justice, exigeant la levée du blocus, est restée sans effet. Le groupe Les Républicains lance un cri d'alarme. Nous ne pouvons rester silencieux face à la fin programmée de la République autodéterminée du Haut-Karabakh et aux risques de massacres encourus par la population arménienne de ce territoire. Nous appelons à une nouvelle saisine du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies (ONU) pour imposer que les négociations en cours aient pour préalable la garantie absolue de l'exclusion de tout processus d'épuration ethnique des Arméniens du Haut-Karabakh.
La France doit exiger qu'un mandat soit donné à une force d'interposition internationale suppléant les forces russes de maintien de la paix, qui ont montré leur inefficacité. Cette résolution doit impérativement réaffirmer le principe du droit à l'auto-détermination des Arméniens du Haut-Karabakh comme garantie ultime de leur droit fondamental à la vie et la dignité face à un État azerbaïdjanais construit sur la haine raciale à leur endroit. La France compte-t-elle saisir à nouveau le Conseil de sécurité de l'ONU à cette fin ?
Vous avez raison mais votre propos doit être précisé. Des garanties de sécurité et l'assurance que la population du Haut-Karabakh peut exercer librement ses droits culturels traditionnels sont indispensables. C'est notre position, celle de l'Union européenne et celle de la communauté internationale. Nous l'exprimons et, je l'ai dit, nous faisons pression sur l'Azerbaïdjan pour que ce pays respecte ses obligations internationales et applique la décision de la Cour internationale de justice.
Je rappelle que le Haut-Karabakh fait partie du territoire internationalement reconnu de l'Azerbaïdjan. La précondition à un éventuel accord de paix est que chacun réitère la reconnaissance mutuelle des frontières intervenue en 1991 : c'est ce que le président de la République avait obtenu à Prague, le 6 octobre dernier. Cela ne signifie pas que l'Azerbaïdjan peut priver une partie de sa population de ses droits culturels et économiques ; pour autant, ne parlons pas de famine, c'est exagéré. Dire que le Haut-Karabakh est une partie du territoire de l'Azerbaïdjan peuplée très majoritairement d'Arméniens et qui entend rester dans le territoire de l'Azerbaïdjan, c'est aussi la position de l'Arménie. Je suis donc surprise d'entendre certains Français aller au-delà des positions arméniennes pour soutenir l'Arménie, alors que leur demande ne reflète ni la position de la communauté internationale, ni celle du premier pays concerné. Cette voie ne peut prospérer puisqu'il faut être deux pour passer un accord, à moins de partir en guerre, et je ne crois pas que quiconque s'y risque au moment même où nous encourageons les deux parties à une désescalade.
Nous ne sommes pas contre une résolution du Conseil de sécurité. Depuis les incidents de septembre, c'est toujours à l'initiative de la France que l'on traite de ce sujet au Conseil de sécurité. Nous avons obtenu que deux réunions se tiennent mais elles ne mènent à rien : une résolution n'est pas envisageable car elle ne serait pas votée, la Russie bloquant tout. Elle veut vraisemblablement garder l'Arménie sous sa coupe sans désormais lui apporter les garanties qu'elle lui avait apportées un temps et elle n'a pas fondamentalement intérêt à un règlement de ce conflit, qui lui permet de jouer des uns et des autres et d'exercer une forme de tutelle sur ces pays ou de les entretenir dans une position de dépendance.
Nous constatons le retour violent des agressions sur la scène internationale : violation des droits et des libertés fondamentales en Iran, violation de l'intégrité territoriale et de la souveraineté ukrainiennes, violation du droit international par des dirigeants et leurs soutiens. Au cœur de tout cela, il y a l'Iran dont, il y a quelques jours, le président de la République a appelé le président à mettre immédiatement fin au soutien, par ses livraisons de drones, à la Russie dans la guerre que ce pays mène en Ukraine. L'Iran, qui ne respecte pas ses obligations relatives à l'enrichissement de l'uranium, a dévoilé au mois de mai son missile balistique hypersonique, fabriqué en violation de la résolution 2231 du Conseil de sécurité de l'ONU. La Russie soutient son allié et ces deux pays s'attachent à contourner les sanctions internationales. Sur le plan intérieur, on assiste depuis huit mois en Iran à des exécutions massives d'opposants et les manifestations se poursuivent. Les mollahs et le corps des gardiens de la révolution orchestrent tout cela. Je n'oublie pas nos quatre otages en Iran mais la France ne peut-elle renforcer ses sanctions à l'égard du corps des gardiens de la révolution ? Quels dispositifs pourraient être durcis ?
Par ailleurs, au cours du plus grand rendez-vous diplomatique de l'année, le sommet pour un nouveau pacte financier mondial, le président de la République aura la lourde tâche de rassembler des intérêts très divergents autour du financement multilatéral pour la transition écologique. Que peut-on attendre de ce sommet ? Quelle est la position de nos alliés européens ?
Otages, activités nucléaires, complicité dans la guerre russe en Ukraine : ce sont les trois sujets évoqués par le président de la République lors de son entretien avec le président iranien Raïssi, entretien – dont il ne faut pas s'étonner puisque nous souhaitons maintenir un canal de dialogue – utile pour faire passer des messages et éviter toute méprise sur nos positions. Les gardiens de la révolution ne sont pas les seuls auteurs d'exactions et de la répression des mouvements populaires en Iran. Il est tentant de les sanctionner en tant qu'organisation terroriste mais ce n'est pas si simple. Pour commencer, ce corps, en tant qu'entité, était déjà sous sanctions bien avant les manifestations en Iran et bien avant la guerre en Ukraine, à la suite des activités nucléaires et de prolifération conduites par l'Iran. D'autre part, des individus et des responsables sont sous le coup du nouveau régime de sanctions adopté par l'Union européenne depuis qu'il est avéré que l'Iran prête la main à la Russie dans sa guerre en Ukraine et que nous avons pu pointer des responsabilités individuelles précises dans la répression des manifestations en Iran.
On peut continuer de renforcer les sanctions mais, sur le plan juridique, inscrire le corps des gardiens de la révolution dans la liste des organisations terroristes au titre de ce régime est compliqué : il faudrait qu'une action en justice soit engagée, et même conclue, contre ce corps dans l'un des États membres pour une action qu'il aurait commise sur le territoire de l'État membre en question ou contre l'un de ses ressortissants, ce qui n'est heureusement pas le cas pour ce qui nous concerne. Fin décembre 2022, le Conseil européen a demandé à la Commission d'analyser ce qu'il était possible de faire et la conclusion juridique a été que pour le moment, les conditions ne sont pas remplies. Aussi, cela ne changerait pas grand-chose puisque le corps des gardiens de la révolution est déjà sous sanctions en tant qu'entité, de même que ses principaux responsables, sanctionnés plus récemment.
Une autre crise internationale perdure, fait des victimes nombreuses, aggrave une situation humanitaire déjà délicate et entraîne des déplacements massifs de population. Je parle de la Birmanie où, loin du regard des médias et des diplomates, la junte militaire poursuit sa répression et sa prise en main du pays. Votre prédécesseur avait évidemment réagi après le coup d'État de février 2021 ; des sanctions avaient été prises et les entreprises françaises s'étaient retirées du pays. Hélas, ces mesures de la communauté internationale sont pour l'heure sans effet sur la junte, qui poursuit d'ailleurs ses achats d'armes et de matériel civil à double usage. De nouvelles initiatives diplomatiques ou une nouvelle batterie de sanctions sont-elles envisageables pour accentuer la pression internationale ?
Vous avez raison de rappeler que la gravité de la situation en Ukraine et les implications de ce qu'il s'y passe pour notre sécurité au cours des décennies à venir ne doivent pas nous faire oublier le sort du peuple birman. Là aussi, des sanctions ont été prises après le coup d'État, qui n'amènent malheureusement pas la junte à modifier son comportement. Le Conseil de sécurité a demandé la libération des prisonniers politiques et la fin des violences et a lancé un mécanisme d'enquête. La junte birmane n'en tient aucun compte et continue même de réduire l'espace des libertés. Des sanctions européennes ont été prises, largement à l'instigation de la France, et renforcées six fois. Aujourd'hui, sont sous sanctions européennes certains des principaux responsables de la junte : 93 individus et 18 entités, en particulier les principaux conglomérats contrôlés par les militaires et qui servent à leur financement. Nous envisageons de nouvelles sanctions ; force est de constater qu'à ce jour le comportement de la junte n'en a pas été modifié.
Aussi, au-delà de nos efforts dans le cadre des Nations Unies et de l'Union européenne et par le biais de l'aide humanitaire que nous apportons à titre national et à titre européen, nous soutenons les États de l'Association des nations d'Asie du Sud-Est (ASEAN), dont la Birmanie est membre, dans leurs efforts pour essayer de convaincre la junte de modifier son comportement. Nous en avons parlé avec certains d'entre eux au sommet du Forum de coopération économique Asie-Pacifique où le président de la République s'est rendu fin novembre après la réunion du G20 en Indonésie. Tout récemment, je me suis entretenue de ce sujet avec mes homologues malaisien et vietnamien, mais aussi avant cela avec la présidence indonésienne de l'ASEAN, qui est déterminée à peser sur la junte birmane. Je suis consciente que ces réponses sont sans doute jugées insuffisantes parce qu'elles ne produisent pas les effets escomptés. Pour ce qui nous concerne, nous avons décidé d'abaisser notre niveau de représentation en Birmanie en ayant simplement sur place un chargé d'affaires ; c'est un signal diplomatique. Je redis, sans pouvoir donner de calendrier, que nous envisageons un nouveau train de sanctions.
La semaine dernière, l'Australie a menacé de cesser les discussions engagées depuis cinq ans à propos de l'accord de libre-échange avec l'Union européenne, pour la raison que le projet n'autorise pas les producteurs australiens de fromage, de vin ou de charcuterie à employer des appellations d'origine contrôlée. Par exemple, l'usage du terme « Roquefort » reste strictement réservé à la désignation du fromage au lait de brebis produit, comme chacun le sait, dans l'Aveyron. Les exigences légitimes relatives à nos produits d'appellation contrôlée déplaisent manifestement à Canberra, au point que la ministre de l'agriculture australienne a déclaré dans la presse que mieux valait ne pas conclure d'accord qu'un mauvais accord pour l'Australie. Que pensez-vous de cette position ?
Le Roquefort ne saurait évidemment être fabriqué ailleurs que dans l'Aveyron… On verra ce qu'en dira le premier ministre d'Australie. Depuis les élections de l'année dernière, un nouveau gouvernement a été composé avec lequel les relations bilatérales sont très bonnes. Sans oublier l'épisode AUKUS, nous travaillons au développement de nos relations autour d'une feuille de route pour les années qui viennent. Nous sommes convaincus que la France trouverait un intérêt à la conclusion d'un accord commercial entre l'Union européenne et l'Australie, qu'il s'agisse de l'ouverture des marchés publics australiens, des équipements de transport, des cosmétiques, des vins mais aussi des terres rares et des métaux critiques dont l'Australie est plus richement dotée que nous.
Nous, Européens, avons réussi à conclure les négociations dans des termes qui nous conviennent avec le Chili et la Nouvelle-Zélande. Nous serons extrêmement vigilants à ce qu'il en soit de même avec l'Australie. Les négociations se poursuivent, en particulier sur les indications géographiques dont nos pays ont plus l'habitude que les pays anglo-saxons, qui s'intéressent aux marques, non aux terroirs. Nous veillerons à ce que l'accord, s'il devait être conclu, respecte la protection de nos indications géographiques. Nous joindrons ainsi l'utile à l'agréable : la défense de nos producteurs et l'agrément des consommateurs australiens.
Nous assistons aux prémices d'un printemps africain, avec pour mot d'ordre « pas de troisième mandat ». Dans plusieurs pays d'Afrique, des chefs d'État trouvent toujours une bonne raison de briguer un troisième mandat, en bricolant la Constitution s'il le faut. Je vous ai interrogée mardi dernier au sujet du Sénégal lors des questions au Gouvernement et je souhaite revenir sur ce sujet.
La condamnation d'un opposant a provoqué des mouvements majeurs durement réprimés et la réaction de notre pays est en deçà de ce que nous pouvions attendre. Cela ne vaut pas que pour le Sénégal, si bien que la jeunesse africaine peut être quelque peu vindicative à l'égard de notre pays, dont elle ne comprend pas toujours la position. La France s'est prononcée clairement contre le troisième mandat d'Alpha Condé mais moins clairement en ce qui concerne Alassane Ouattara, c'est le moins que l'on puisse dire. Le déplacement du président Macron au Gabon a pu être interprété comme un signal donné au pouvoir actuel. Au Bénin, Patrice Talon dit qu'il ne briguera pas un troisième mandat ; il reste à voir s'il tiendra sa parole. Et il y a eu, bien sûr, Idriss Deby au Tchad.
Macky Sall va venir le mois prochain à Paris, à un moment où toute l'opinion sénégalaise, toute la jeunesse sénégalaise attendent des mots forts de la France. Nous devons évidemment poursuivre nos relations avec le Sénégal mais le président de la République va-t-il dire avant cette visite qu'un troisième mandat serait inacceptable, comme l'est ce qui se passe à Dakar en ce moment, ou va-t-on seulement recevoir Macky Sall sous les ors de la République, ce qui sera interprété comme un signal politique très fort en faveur de son pouvoir ?
Vous avez parlé de la perte d'influence de la France dans un certain nombre d'États africains qui vont se rendre au sommet économique de Saint-Pétersbourg et ailleurs en Russie. Tout cela est lié à nos positions à géométrie variable, à la manière dont nous gérons les visas, l'accueil des réfugiés, certains conflits africains. On ne peut pas tenir un double discours : soit on agit pour rétablir l'influence de la France, soit nous n'aurons plus grand chose à dire sur ces questions dans les prochaines années.
En effet, c'est une chose de s'ingérer dans les affaires sénégalaises en protestant contre telle ou telle candidature à la présidence mais c'en est une autre de laisser penser que notre pays donnerait son soutien en recevant l'un des intéressés en grande pompe. Aussi votre réponse nous intéressera-t-elle particulièrement, madame la ministre.
Conformément à notre doctrine « ni ingérence, ni indifférence », je ne me prononcerai pas sur la question d'un troisième mandat en soi. Ce que nous demandons, c'est le respect par chaque pays de sa Constitution. D'aucuns peuvent juger que, démocratiquement, trois mandats, c'est beaucoup mais c'est aux électeurs d'en décider, certainement pas à un pays tiers.
Je puis vous assurer que la France plaide à tous les niveaux, présidence de la République incluse, pour le plein respect de la Constitution dont le Sénégal s'est doté. J'aurai l'occasion de le faire lorsque mon homologue, Mme Aïssata Tall Sall, accompagnera à Paris le président du Sénégal en exercice dans le cadre de son mandat actuel ; nous le recevrons comme tel, et il n'y aurait vraiment aucune raison de ne pas le faire. J'aurai un entretien avec Mme Sall.
Dans ces conversations dont le contenu a vocation à rester privé, soyez assuré que nous appelons au respect de la Constitution du Sénégal, non dans la crainte d'hypothétiques répercussions négatives pour la France dans l'hypothèse où nous nous tairions – et je me permets de souligner que je n'ai pas dit tout à l'heure que nous perdions de l'influence. Nous voulons que la position française soit comprise, et nous appelons ouvertement le président Macky Sall et son entourage à respecter le droit.
Je prends la parole au nom de ma collègue Nadège Abomangoli, partie voter, pour exposer la position de notre groupe.
Depuis de nombreuses années, les contradictions de la politique étrangère française, ses positionnements changeants et ses principes à géométrie variable obèrent sa lisibilité. Au Sahel par exemple, c'est la politique du deux poids deux mesures : on a constaté le silence complice de la diplomatie française au sujet du régime de M. Déby au Tchad, contrairement à ce qui vaut, à juste titre, pour M. Goïta au Mali. Dans son communiqué relatif à la répression violente du 20 octobre 2022, le Quai d'Orsay a placé sur le même plan manifestants et junte tchadienne. Même scénario au Sénégal avec le renvoi dos à dos de l'exécutif et des manifestants. Comment concevez-vous la nécessité de non-ingérence et de défense de nos intérêts ?
Notre groupe considère que le respect des principes démocratiques permet une relation respectueuse et la difficulté à respecter certains de nos partenaires participe au trouble. La retenue du président de la République lors de sa visite en Chine contraste avec les remontrances visant M. Tshisekedi, président de la République démocratique du Congo (RDC) lorsque le président s'est rendu dans ce pays. Ces incohérences affectent l'image de notre pays et alimentent un discours critique envers la France dans les pays considérés, où des autocraties comme la Russie, la Chine ou la Turquie s'engouffrent pour étendre leur influence et leur ingérence.
La décision prise par Emmanuel Macron d'inviter Narendra Modi au défilé du 14 juillet suscite les mêmes interrogations. Discuter avec tout le monde est le principe même de la diplomatie mais la dérive autoritaire et raciste de Modi est incompatible avec les honneurs qui lui seront réservés le 14 juillet, date symbole de l'émancipation des peuples dans l'imaginaire mondial. Cet acte symbolique était-il vraiment nécessaire ?
Enfin, nous sommes décontenancés par les dissonances entre la diplomatie française et les parlementaires de votre bord qui avancent régulièrement des positions néo-conservatrices révélatrices d'une vision civilisationnelle des relations internationales à rebours de la diplomatie française. Ainsi, comme le président Macron, vous rappelez, loin des surenchères, que la seule issue de l'invasion de l'Ukraine sera diplomatique. De même, les propos de M. Macron sur Taïwan sont diamétralement opposés à ceux qu'expriment plusieurs élus nationaux et européens du groupe Renaissance. Sur la nature de l'État d'Israël, c'est l'omerta sur les bancs de Renaissance alors que le Quai d'Orsay caractérise clairement ce régime.
Ces dissonances constantes font s'interroger. Quand la politique étrangère française se départira-t-elle d'un « en même temps » qui ne sied pas aux relations internationales ?
Je ne suis pas sûre de vous convaincre mais je tenterai de corriger les prémices de votre raisonnement. Au Tchad, nous ne soutenons pas une personne mais un processus de transition accepté par les pays voisins. Je ne crois pas que vous puissiez, à moins d'avoir beaucoup d'imagination, comparer la situation du Tchad et celle du Mali, où la junte issue de deux coups d'État a noué un partenariat avec la milice Wagner, qui commet exaction sur exaction, outre qu'elle est inopérante dans la lutte contre les groupes terroristes armés qui justifiait prétendument sa venue. Il en va de même dans un pays voisin mais, nous l'espérons, pas dans le troisième.
Notre vision est cohérente mais nous traitons différemment des situations différentes. Je n'ai pas observé de malaise et je ne vois pas ce que vous voulez dire au sujet de la visite du président de la République en RDC. Il a défendu les principes habituels de la France, notamment l'intégrité territoriale de la RDC face à des mouvements armés entretenus dans l'Est du pays par un pays voisin. Il en est de même au sujet de l'Ukraine. Tout en respectant la liberté d'expression des parlementaires de la majorité parlementaire et de l'opposition, je ne peux vous laisser dire que nous aurions une position à géométrie variable : nous soutenons l'Ukraine, nous souhaitons sa victoire – le président de la République a employé le mot hier soir encore – et la défaite de l'agression russe, et nous nous donnons les moyens politiques, diplomatiques et militaires d'y parvenir.
L'invitation du premier ministre Modi à participer aux cérémonies du 14 juillet, les échanges qu'il aura à cette occasion avec le président de la République sont importants pour marquer notre attachement au partenariat stratégique franco-indien dont nous allons fêter les vingt-cinq ans. Nous acterons les suites à donner à ce partenariat majeur pour les dix ou quinze ans qui viennent. Nous souhaitons renforcer les liens avec cet immense pays dans tous les domaines. Au moment où l'Inde préside le G20, il est par ailleurs important que nous accordions nos positions et que l'Inde entende notre point de vue, en particulier sur l'Ukraine puisque, je vous l'ai dit, nous souhaitons que les pays qui prendraient des initiatives de paix le fassent en vue de permettre un retour au plein respect des principes de la Charte des Nations Unies.
J'ajouterai, au sujet du Tchad, que j'ai reçu, avec des membres de la commission et sans que cette démarche soit en rien condamnée par la présidence de la République, des représentants de la plateforme d'opposition. L'affaire est très compliquée car l'opposition dans ce pays est composée d'éléments hétérogènes, dont certains sont en exil et d'autres ne sont pas si éloignés de la lutte armée. Nous avons eu le sentiment d'une assez grande attente de la part de nos interlocuteurs, qui souhaitent que la France joue un rôle de facilitateur. Je les ai assurés que quelles que soient les conditions complexes dans lesquelles a eu lieu la succession du président Idriss Déby, nous étions très attachés au rétablissement d'une vie démocratique et d'un État de droit à peu près en état de marche dans ce pays, qui s'alarme maintenant de ce qui se passe au Soudan. Nous avons eu le sentiment qu'il faudrait utiliser cette menace au Soudan pour essayer de rapprocher les points de vue et les forces au Tchad.
Madame la ministre, ma première question, à laquelle je sais que vous avez déjà partiellement répondu alors que j'avais dû m'absenter pour aller voter, porte sur les 120 000 Arméniens du Haut-Karabakh isolés du monde en raison du blocus de l'enclave par le président Aliev. C'est un nouvel acte de guerre dans un conflit vieux de trente ans qui a déjà fait des dizaines de milliers de morts. La situation est extrêmement tendue et le premier ministre Pachinian, sous la pression européenne, est en passe de reconnaître le Haut-Karabakh comme partie de l'Azerbaïdjan. Nous assistons à un nettoyage ethnique progressif dont nous connaissons l'issue si nous n'agissons pas vite et fermement. Or, nous semblons plutôt être en retrait. La France va-t-elle agir pour protéger cette population où allons-nous assister impuissants à la poursuite d'un génocide qui dure depuis près d'un siècle ?
Ma seconde question concerne la minorité la plus persécutée par l'État islamique : les Yézidis. Les massacres ont poussé 100 000 d'entre eux à s'exiler loin de l'Irak, où plusieurs dizaines de charniers ont été découverts, laissant entrevoir le martyre de ce peuple. En mai 2021, une équipe d'enquête spéciale de l'ONU a annoncé avoir recueilli les preuves convaincantes d'un génocide. La ville de Béziers s'est placée du côté de ces victimes héroïques, qui avaient pour seul choix de se convertir à l'Islam ou de mourir, en inaugurant une stèle pour que la mémoire des Yézidis morts et résistants soit honorée et signifier ainsi que la France est à leurs côtés. Mais les stèles ne suffisent pas : quelles mesures compte prendre notre pays pour venir en aide au Yézidis en France et à l'étranger ?
Au sujet de l'Arménie, je ne veux pas répéter ce que j'ai dit en séance publique puis dans cette salle en répondant assez longuement à une autre question. Si vous trouvez que nous sommes en retrait, faites-moi savoir qui est en pointe. Je le redis avec fierté, aucun pays ne s'occupe autant de l'Arménie que le nôtre, j'en ai donné des preuves tout à l'heure. J'ai demandé au président Aliev de respecter la décision de la Cour internationale de justice, de lever le blocus du corridor de Latchine et de ne pas procéder à d'autres pressions sur l'Arménie. Nous étions tellement en désaccord avec mon homologue azerbaïdjanais que la conférence de presse en a été le révélateur. Nous essayons d'agir mais, je l'ai dit précédemment, en raison du blocage russe, une décision du Conseil de sécurité n'est pas possible pour l'instant. Cela ne nous empêche pas d'en parler dans ce cadre également, et des réunions du Conseil de sécurité à ce sujet ont été organisées à l'initiative de la France.
J'ai mentionné tout à l'heure la protection, le respect et le soutien que nous devons apporter aux forces régionales qui nous ont aidés à lutter contre Daech. Jeudi dernier, je me trouvais à Ryad pour la réunion de la coalition globale contre Daech, coalition qui a pour objet, par une présence sur le terrain – notamment humanitaire –, d'éviter le retour de l'État islamique. Je ne sais répondre à votre question sur ce que nous faisons pour les Yézidis en France autrement qu'en rappelant notre attachement à la politique de l'asile, qui s'exerce au bénéfice de nombreux Yézidis. Même si j'imagine que certains sont déçus de la décision prise à leur endroit par les instances chargées de déterminer si une personne relève du droit d'asile, je pense que notre pays est particulièrement généreux, en particulier avec ceux dont nous ne voulons pas oublier qu'ils nous ont aidés et qu'ils continuent de nous aider.
Le 8 juin dernier, le président de la République a annoncé que 2025 serait l'année des océans et la conférence de l'ONU pour les océans aura lieu à Nice. Grâce à ses territoires ultramarins, la France est la deuxième puissance maritime mondiale. Président du groupe d'études à vocation internationale sur les îles du Pacifique, je suis particulièrement attentif aux tensions dans cette région du monde. Nous avons augmenté notre présence militaire en multipliant les déploiements navals et renforcé nos relations bilatérales avec l'Inde, le Japon, l'Australie, Singapour et la Malaisie. La France est désormais considérée comme un élément stabilisateur de la région. Entre protection de la biodiversité, enjeux économiques et tensions géopolitiques, quelle place doit occuper notre pays dans cette partie du monde ? Quelles pistes et opportunités doivent être explorées ?
Nous devons occuper une place majeure dans l'Indopacifique puisque c'est une zone majeure pour nos intérêts maritimes et géostratégiques. Nous y avons des territoires et des populations, des intérêts et des forces permanentes, et nous veillons par des missions de souveraineté à rappeler la nécessité pour tous de respecter le droit international, attaqué par certains membres importants de la communauté internationale.
J'ai dit combien il est important de s'appuyer sur l'Inde, par exemple. Avec ce pays, nous conduisons d'ailleurs une stratégie qui va au-delà du bilatéral. Nous nouons des liens dans des formats nouveaux. Ainsi avons-nous créé un format trilatéral avec l'Inde et les Émirats arabes unis, que j'ai lancé avec mes homologues, avec un programme de travail notamment tourné vers la sécurité maritime dans l'océan indien ; vous savez le nombre de ressortissants indiens vivant aux Émirats et l'importance de l'Inde dans les équilibres stratégiques régionaux. De même, nous travaillons à un partenariat avec l'Inde et l'Australie. Nous essayons donc de compléter le bilatéral par des ponts entre nos partenaires, et un investissement accru dans les organisations régionales – je citais tout à l'heure le rôle de l'ASEAN.
Seul ce maillage à plusieurs dimensions nous permettra d'être efficaces dans la région indopacifique, où les tensions pourraient croître. C'est pourquoi nous avons renforcé notre présence. Nous souhaitons aussi que l'Union européenne renforce sa présence dans l'Indopacifique, afin de donner à tous les pays, notamment les plus petits, la liberté d'avoir plusieurs partenaires s'ils le souhaitent, et en tout cas de ne pas être contraints dans leur choix.
Le président de la République a nommé il y a quelques jours votre prédécesseur, Jean-Yves Le Drian, conseiller spécial pour le Liban. Quelle est sa feuille de route ?
Je vous le dirai mieux après m'être entretenue avec Jean-Yves Le Drian, ce vendredi 16 juin. Sur le fond, nous souhaitons que le Liban procède sans plus tarder à l'élection d'un président et à la désignation d'un premier ministre de plein exercice pour mener à bien les réformes indispensables qui éviteront à ce pays de continuer à s'enfoncer.
Il faut pour cela donner une impulsion et la nomination d'un envoyé spécial du niveau de Jean-Yves Le Drian est utile. Je le remercie d'avoir accepté cette mission difficile. Il commence à consulter, des moyens seront mis sa disposition et il se rendra dans la région, sans doute à la fin de ce mois. Il me rendra compte ainsi, évidemment, qu'au président de la République. Cette mission se déroulera sur quelques semaines ou quelques mois, pas davantage. Nous souhaitons par cet effort, joint à d'autres, voir le Liban sortir de la difficulté dans laquelle il s'est mis tout seul et dans laquelle il s'enferre.
Nous avons évoqué plusieurs fois dans cette commission les modalités de la réforme du corps diplomatique engagée en 2021. Le décret du 16 avril 2022 prévoyait qu'à partir du 1er janvier 2023 les hauts fonctionnaires du corps des conseillers des affaires étrangères et les ministres plénipotentiaires pourraient choisir d'intégrer progressivement le corps des administrateurs de l'État. Je ne reviendrai pas sur les inquiétudes que cette réforme a suscitées au sein de votre ministère et de notre commission mais on peut trouver, me semble-t-il, un bon indicateur d'acceptation de la réforme dans la proportion respective des hauts fonctionnaires qui accepteront d'intégrer le nouveau corps créé et de ceux qui choisiront de ne pas devenir administrateurs de l'État. Quelles indications chiffrées pouvez-vous nous donner à cet égard ?
La participation active de la plupart des agents du ministère, par le biais des états-généraux de la diplomatie, a permis au président de la République et à la première ministre de tirer des conclusions sur les missions du Quai d'Orsay, réaffirmant son rôle interministériel et lui donnant les moyens des nouvelles missions qui lui sont confiées. Le critère que vous mentionnez peut constituer l'un des moyens de mesurer l'adhésion au nouveau dispositif mais ce n'est pas le seul. Il y a quelques semaines, quelque 35 % des membres du corps des conseillers des affaires étrangères avaient fait part de leur souhait de basculer dans le corps des administrateurs de l'État. À ce jour, ils sont 50 % et le mouvement peut s'opérer jusqu'à la fin de cette année.
Je vous remercie, madame la ministre, pour votre récente tribune, remarquée, consacrée à l'Amérique latine et aux Caraïbes. Comme vous l'avez rappelé, la France est aussi un territoire caribéen et les Caraïbes sont au nombre des terres les plus durement touchées par les conséquences du changement climatique, alors qu'elles n'y ont quasiment pas contribué. Le sommet pour un nouveau pacte financier mondial va s'ouvrir ; dans le contexte de rééquilibrage du partenariat financier entre le Nord et le Sud, quelle stratégie d'aide au développement la France va-t-elle mener dans les Caraïbes ? Quelles sont vos attentes à l'issue de cet énième sommet international ? D'autre part, quand connaîtra-t-on la date du prochain CICID, que les acteurs de l'aide au développement appellent de leurs vœux ?
Je vous remercie pour vos remerciements. Cette tribune a été reprise dans de nombreux pays, ce qui montre que la politique étrangère ne se fait pas seulement dans les émissions matinales mais aussi en s'adressant à nos partenaires étrangers.
Le sommet pour un nouveau pacte financier mondial ne vise pas à réviser maintenant les accords de Bretton Woods mais à poser les principes d'une réforme future pour faciliter l'accès des pays les plus vulnérables aux financements internationaux par les institutions financières internationales, le secteur privé et les fondations. L'ensemble sera utile pour que ces pays disposent rapidement des ressources dont ils ont besoin pour atteindre les objectifs de développement durable de l'ONU et faire face au choc climatique qui les fragilise. Le sommet réunira le secrétaire général des Nations Unies, la directrice du fonds monétaire international (FMI), le nouveau président de la Banque mondiale et des chefs d'État ou de gouvernement, dont le premier ministre chinois et le président Lula.
Pour être crédibles, nous devrons donner un signal de confiance aux partenaires auxquels nous nous adressons. Pour cela, nous devons tenir nos engagements financiers. La France appellera donc à ce que, comme elle, les pays qui ne l'auraient pas encore fait renforcent leur engagement en accroissant la part de leurs droits de tirage spéciaux (DTS) mise au service du développement.
Notre groupe soutient inconditionnellement l'Ukraine face à l'agression de la Russie. Mais l'Ukraine est un pays notablement corrompu, comme l'avait établi la Cour des comptes européenne avant l'agression russe. Au cours des dernières semaines, le président Zelensky a limogé le procureur anticorruption et plusieurs ministres. Selon la presse, l'Ukraine semble désormais être un point d'entrée pour le trafic d'armes illégales, via les Balkans. La Commission européenne s'intéresse à ces sujets. Dans ce contexte, comment le suivi et l'acheminement de l'aide humanitaire, de l'aide financière et des armements livrés en Ukraine sont-ils contrôlés ?
Nous nous inquiétons en effet de savoir comment les cinquante pays qui soutiennent l'action de l'Ukraine l'assistent dans sa lutte anticorruption.
Selon le processus en cours depuis que le Conseil européen de juin 2022 a accordé le statut de candidat à l'Ukraine et à la Moldavie, des demandes précises seront faites à ces deux pays sur la base des évaluations techniques de la Commission européenne qui ont permis aux chefs d'État et de gouvernement d'accorder ce statut. La semaine prochaine, la Commission européenne fera un premier rapport oral, avant de publier son rapport écrit en octobre, sur les réformes demandées à l'Ukraine. La lutte contre la corruption et la réforme du système judiciaire figurent dans cette liste.
Oui, l'Ukraine était un pays extrêmement corrompu, et c'est une bonne chose en soi que le président Zelensky ait donné un coup de pied dans la fourmilière. C'est aussi le signe que le pointage par la Commission européenne produit son effet.
La question du contrôle des livraisons d'armements relève moins de l'Union européenne que des États qui apportent leur soutien militaire à l'Ukraine. Nous y sommes attentifs. Des dispositifs de traçabilité existent, qui ne concernent pas toutes les armes. Nous avons décidé, comme d'autres, parce que nous partageons tous votre préoccupation, de placer un attaché d'armement auprès de notre ambassade à Kiev. Il a notamment pour mission d'observer de plus près la façon dont les choses se passent. Nous ne sommes pas extrêmement inquiets, même si une certaine évaporation est plausible, là comme ailleurs ; j'ai toujours été frappée par la facilité avec laquelle on peut se procurer des armes, même dans des pays démocratiques et non corrompus.
Je souhaite revenir sur le projet de traité contraignant de lutte contre la pollution plastique, dont nous voyons les effets sur les côtes finistériennes de ma circonscription avec la pollution par des microbilles plastiques. Lors des négociations qui ont eu lieu à Paris, la France a émis des propositions de dispositions visant à couvrir l'ensemble du cycle de vie des plastiques, assorties d'objectifs et de résultats à atteindre. Ces propositions ont-elles été entendues ?
Au sujet des Balkans, ayant entendu notre collègue du Rassemblement national, je me dois de dire que je reviens d'une mission d'observation des élections législatives au Monténégro, où la participation a été plus élevée qu'elle ne l'est en France, et que ces élections se sont passées dans de bonnes conditions. Étant chargée par la commission des affaires européennes d'une mission sur le processus d'intégration des pays des Balkans occidentaux, j'aimerais que vous explicitiez les propos du président de la République qui, lors de la réunion de la Communauté politique européenne, a invité à « inventer plusieurs formats » et à procéder peut-être par étapes. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette nouvelle méthode ?
Nous avons été assez déçus par la session de négociation de Paris relative au traité contre la pollution plastique. Les succès obtenus ont été très limités, certains grands pays producteurs de plastique bloquant le système. Pourquoi n'envisage-t-on pas une coopération renforcée entre pays qui renonceraient aux usages du plastique ? Si les pays d'Amérique du Nord et d'Europe s'alliaient pour ce faire, cela tarirait les débouchés des producteurs et cela aurait un effet quantitatif majeur sur les océans. Ne pas procéder de la sorte, c'est rester bloqués par des États dont on comprend que c'est leur intérêt que rien ne change.
Pour ce qui concerne la lutte contre la pollution plastique des océans, notre ambition, qui est aussi celle de la communauté internationale, va au-delà des coopérations renforcées. Une étape extrêmement importante a été franchie à Paris, il y a deux semaines : il y aura un traité international signé et ratifié par le plus grand nombre d'États membres de la communauté internationale, juridiquement contraignant, aboutissant à l'élimination de la pollution plastique par étapes, puisque le plastique est partout.
Le premier objectif, relativement facile à atteindre, est la fin des plastiques à usage unique, une pratique imbécile représentant 40 % de la production de plastique dans le monde alors qu'il existe des produits de substitution. C'est un marché que l'on peut tarir assez facilement. Ensuite, il faut aller au terme du processus : l'élimination complète. La réunion de Paris a été une étape importante parce que 175 États qui, bien que ne partageant pas tous mon enthousiasme, étaient réunis et se sont étonnamment mis d'accord pour demander à M. Gustavo Meza-Cuadra Velázquez, président du comité inter-gouvernemental de négociation, d'établir un avant-projet de traité juridiquement contraignant. C'était l'un des enjeux car tout le monde n'était pas spontanément convaincu. La prochaine réunion du comité aura lieu en novembre au siège du Programme des Nations unies pour l'environnement, à Nairobi. Ce résultat n'était vraiment pas acquis et je rends hommage à M. Gustavo Meza-Cuadra Velázquez. Plutôt que d'afficher deux objectifs, l'un étant un traité international très large, l'autre un dispositif très restreint, mieux vaut n'en fixer qu'un : rassembler le plus grand nombre de pays possible.
S'agissant des Balkans, l'Union européenne est vouée à s'élargir : il est de notre intérêt à tous que les Balkans occidentaux ne restent pas un trou noir dans la carte européenne. Pour adhérer, ces pays doivent procéder à des réformes. Nous devons quant à nous réformer les mécanismes de prise de décision de l'Union et, au-delà, progresser dans la mise en œuvre différenciée des politiques, comme cela s'est toujours fait. Ainsi, pour l'accord de Schengen, signé en 1985, tout le monde ne fait pas la même chose en même temps. Il est utile de s'en souvenir car c'est une façon pour l'Union européenne d'avancer. Il ne s'agit pas de créer des cercles fermés mais des avant-gardes réunissant certains pays auxquels les autres peuvent se joindre quand ils y sont prêts. C'est bénéfique pour tous.
Je prends cette fois la parole en mon nom personnel. Le 24 janvier 2023, la France a rapatrié 15 femmes et 32 enfants des camps de Syrie mais elle a y a laissé une centaine d'enfants et de femmes. Ce sont donc 140 jours qui s'ajoutent aux quatre ou cinq années de détention dans une prison à ciel ouvert infligée à des enfants laissés sans protection contre la violence quotidienne, violence physique mais aussi violence de la misère. Les familles vivent dans des tentes, exposées aux températures glaciales ou à la chaleur écrasante et les enfants n'ont ni suivi médical, ni scolarité. En dépit des condamnations par le comité des droits de l'enfant des Nations Unies et par la Cour européenne des droits de l'Homme, la France tarde à rapatrier l'ensemble de ses citoyens, en flagrant contraste avec la Belgique et l'Allemagne qui ont rapatrié tous leurs ressortissants mineurs en compagnie de leurs mères. L'urgence presse. Quelles mesures sont prévues pour rapatrier nos ressortissants ? Quelle place le Quai d'Orsay prend-il dans la coordination des efforts visant à un retour digne garantissant la justice et le respect de l'État de droit ?
Nous sommes extrêmement attentifs à la situation des personnes qui sont dans les camps syriens, où les conditions de vie sont évidemment très difficiles. Cependant, nous tenons à distinguer ceux et parfois celles qui, ayant choisi de combattre aux côtés de l'État islamique, ont pu avoir des activités répréhensibles – cela existe, vous ne pouvez le nier – et doivent être jugés sur le territoire du pays dans lequel ils ont commis leurs crimes. Nous distinguons les personnes qui ont fait ce choix des enfants nés sur place ou ayant suivi leurs parents. Vous prendrez acte que la politique de la France en matière de rapatriement s'est accélérée depuis quelques années. Nous essayons de rapatrier les enfants, ce qui nous conduit parfois à rapatrier leur mère. Ainsi, 144 enfants français et 47 mères ont été rapatriés. Par contre, il n'est pas possible de procéder à des rapatriements forcés : la mère des enfants doit y consentir, ce qui n'est pas toujours le cas.
Nous avons mené plusieurs opérations l'an dernier, une déjà cette année et nous n'excluons pas d'en mener d'autres si nous en avons l'opportunité. Mais les conditions de sécurité sont très dégradées : nous ne maîtrisons pas le terrain et chaque opération est extrêmement difficile, y compris pour la sécurité de nos personnels, dans un environnement que je vous laisse imaginer. Nous procédons à ces rapatriements quand nous le pouvons, plus souvent depuis un an.
Mon collègue Frédéric Falcon, empêché, souhaite des éclaircissements sur le projet européen de restauration de la nature. La Commission européenne avait envisagé de restaurer 10 % des territoires agricoles, ce qui serait dramatique pour la souveraineté alimentaire de l'Europe. D'ailleurs, la commission de l'agriculture comme celle de la pêche du Parlement européen avaient donné un avis négatif à ce projet. Pouvez-vous confirmer que cet objectif a bien été abandonné ?
Il me semble que nous donnons la priorité à la sécurité alimentaire mais je vous répondrai plus précisément par écrit.
Au Guatemala, la campagne préalable aux élections présidentielles du 25 juin prochain se déroule dans un climat de tensions politiques et sociales. Thelma Cabrera Pérez, candidate de gauche et seule représentante des peuples indigènes, a été empêchée de concourir au motif fallacieux que son colistier candidat à la vice-présidence ferait l'objet d'une enquête. Cela signe « la pire régression depuis le retour de la démocratie » selon la directrice du bureau de Washington pour l'Amérique latine, organisation de défense des droits de l'Homme. Ensuite, Roberto Arzú, fils de l'ancien président Alvaro Arzú, et maintenant l'homme d'affaires Carlos Pineda, candidat favori des sondages, ont tous deux été interdits arbitrairement d'élection. Je vous ai alerté au mois de mars, madame la ministre, sur une situation qui ne cesse de s'aggraver. Quels moyens le Gouvernement entend-il mettre en œuvre avec ses voisins européens pour s'assurer du déroulement démocratique du processus électoral au Guatemala ?
J'avoue ignorer si nous avons déjà construit avec nos partenaires européens un mécanisme de surveillance des élections par des observateurs mais la dérive observée au Guatemala nous préoccupe tous.
Je vous remercie, madame la ministre, et pour vos propos liminaires et pour vos réponses précises.
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Informations relatives à la commission
En clôture de sa réunion, la commission désigne :
- M. Christopher Weissberg, rapporteur sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada relatif au déploiement d'agents de sûreté en vol (n° 1224) ;
- M. Alain David, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation des accords entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements de la République du Sénégal et de la République démocratique socialiste de Sri Lanka sur l'octroi de l'autorisation d'exercer une activité professionnelle aux personnes à charge des agents des missions officielles de chaque Etat dans l'autre, signés à Paris les 7 septembre 2021 et 23 février 2022 (n° 1276) ;
- Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure sur le projet de loi autorisant la ratification du traité d'entraide judiciaire en matière pénale entre la République française et la République du Kazakhstan, signé à Nour-Soultan le 28 octobre 2021 (n° 1284) ;
- M. Michel Guiniot, rapporteur sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre concernant la démarcation et l'entretien de la frontière, signé à Andorre-la-Vieille le 16 juin 2022 (sous réserve de son dépôt).
La séance est levée à 20 h 15
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Damien Abad, Mme Nadège Abomangoli, Mme Véronique Besse, Mme Chantal Bouloux, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Eléonore Caroit, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, M. Thibaut François, M. Bruno Fuchs, Mme Maud Gatel, M. Hadrien Ghomi, M. Philippe Guillemard, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Amélia Lakrafi, Mme Élise Leboucher, Mme Emmanuelle Ménard, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, M. Jean-François Portarrieu, M. Vincent Seitlinger, Mme Ersilia Soudais, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Sébastien Chenu, Mme Julie Delpech, M. Olivier Faure, M. Meyer Habib, M. Arnaud Le Gall, M. Tematai Le Gayic, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Paul Lecoq, M. Vincent Ledoux, M. Laurent Marcangeli, M. Nicolas Metzdorf, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, Mme Barbara Pompili, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, Mme Laurence Vichnievsky, M. Christopher Weissberg, Mme Estelle Youssouffa