Je vous remercie, monsieur le président, et je vous remercie aussi d'avoir accepté que cette audition se tienne à huis clos ; cela nous permettra d'avoir des échanges approfondis.
Je commencerai par faire le point sur la situation en Ukraine et le début de la contre-offensive – ou de l'offensive – ukrainienne car il y a parfois débat sur les termes. Les belligérants entrent dans une nouvelle phase du conflit et, en conséquence, débute une nouvelle phase du soutien que nous devons apporter à l'Ukraine. Ces derniers mois, comme nos alliés, nous avons mis l'accent sur la livraison rapide des matériels nécessaires à l'Ukraine pour préparer ses actions offensives. Nous avons donc répondu aux besoins exprimés, qui ne sont pas des avions pour l'heure mais des moyens de défense anti-aérienne ; cette nuit encore, des attaques ont eu lieu, entraînant la mort de civils, et il faut à l'Ukraine des moyens de défense avant des moyens d'offensive : les pays rassemblés dans le format de Ramstein lui ont fourni de l'artillerie et des munitions, de la maintenance, des véhicules de l'avant blindé, différents types de missiles, du carburant. Pour sa part, la France a livré à l'Ukraine trente canons Caesar, des munitions, des véhicules de l'avant blindé, des chars AMX 10 RC dits légers et des moyens de maintenance. Nous continuerons. Tout ce qui avait été promis au président Zelensky, lors de sa rencontre avec le président de la République le 9 février dernier à sa demande expresse, a été livré avant la fin du mois de mai – et nous sommes sans doute le seul pays dans ce cas – pour permettre, avec d'autres, à l'Ukraine d'être suffisamment équipée pour avoir formé de nouvelles brigades, les avoir entraînées et être en mesure de mener son offensive.
L'enjeu immédiat, ce ne sont donc pas les avions, qui ne pourraient de toute façon pas être livrés à temps pour l'action déjà engagée par les Ukrainiens, aux délais de livraison s'ajoutant des mois de formation. Mais le président de la République a dit que la France était prête à assurer, si nécessaire, la formation de pilotes et de mécaniciens ukrainiens : au moins la formation de premier niveau, sachant que l'Ukraine privilégiera, comme elle l'a fait pour les chars, une flotte homothétique composée de F-16 à des matériels disparates qu'il est compliqué de faire manœuvrer ensemble et qui requièrent des formations différentes. Il faut donc distinguer formation et livraison éventuelle d'avions. Celle-ci n'est ni décidée, ni exclue mais, je vous l'ai dit, ce n'est pas ce que l'Ukraine recherche. Nous avons respecté notre part de ce qui était convenu pour permettre à l'Ukraine de se lancer dans l'action en cours, dont personne ne sait quel sera l'effet militaire.
À ce jour, les Ukrainiens n'ont pas engagé l'ensemble de leurs forces armées et lancent des offensives dans plusieurs directions, comme ils l'avaient fait à la fin de l'automne 2022. Sans doute s'agit-il d'une phase de tests conçus pour déterminer les faiblesses de l'occupant en plusieurs points du territoire. Les Russes, qui ont eu le temps de se préparer à cette contre-offensive annoncée, ont constitué plusieurs lignes de défense, jusqu'à sept parfois. Nous verrons à quelles conclusions parviendront les Ukrainiens après ces premiers combats et comment ils engageront le plus gros de leurs forces dans la deuxième phase de leurs actions contre-offensives. Une succession de revers sur le terrain peut conduire le président Poutine à reconsidérer ses options, estime l'Ukraine. C'est la stratégie qu'elle suit et que suivent ses alliés : tenter, par des actions militaires réussies, de modifier le rapport de force pour conduire le président russe à raisonner autrement. Le président de la République a dit hier soir au chancelier Scholz et au premier ministre polonais, qu'il recevait à l'Elysée, qu'il faut s'attendre à ce que ces opérations militaires durent des mois.
L'autre moyen de venir en aide à l'Ukraine c'est de rendre publiques des garanties de sécurité à son égard. À court terme, nous signalerons ainsi à la Russie que nous soutiendrons l'Ukraine dans la durée et qu'elle ne doit escompter ni l'affaiblissement de notre détermination, ni notre lassitude. À long terme, les garanties de sécurité doivent dissuader la Russie de répéter une agression de l'Ukraine dans le futur. La discussion sur les garanties de sécurité a débuté il y a plusieurs mois dans le format diplomatique dit du « Quad », qui rassemble États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne et France ; l'Ukraine y est désormais associée, puisque l'on ne saurait traiter de sa sécurité sans elle. Un texte définissant les paramètres des garanties apportées à l'Ukraine pourrait être agréé avant le sommet de Vilnius, prévu les 11 et 12 juillet prochains. De cette manière, le plus grand nombre possible d'États affinitaires pourraient indiquer quels seraient leurs engagements bilatéraux.
Le sommet de Vilnius sera très largement dominé par le soutien à l'Ukraine, dans ses trois composantes : politique, institutionnelle et opérationnelle.
Sur le plan politique, l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN n'est pas consensuelle. L'adhésion maintenant, alors que la guerre fait rage, signifierait étendre la garantie de l'article 5 du traité de Washington au territoire ukrainien. Cette hypothèse n'est pas à l'ordre du jour, et pas seulement en raison de la position américaine. L'Ukraine elle-même ne demande plus que l'ouverture d'une perspective d'adhésion, sans qu'elle ait lieu à Vilnius. Notre position à ce sujet est la position moyenne des États qui participaient il y a quinze jours à la réunion ministérielle informelle de l'OTAN à Oslo : il est indispensable d'afficher à Vilnius l'union dans le soutien à l'Ukraine, non une division ou une hésitation au sujet de l'adhésion. Aussi n'y a-t-il aucun intérêt à se montrer très allants dans quelques lignes d'un communiqué n'emportant aucun engagement juridiquement contraignant. Les Ukrainiens l'ont compris.
Mais un consensus pourrait se dégager sur une formule plus engageante que celle adoptée en 2008 lors du sommet de l'OTAN à Bucarest, qui avait décidé de ne pas accepter l'adhésion de l'Ukraine.
En matière de soutien opérationnel enfin, la situation est contre-intuitive puisque le soutien militaire et létal est essentiellement le fait de l'Union européenne, l'Alliance atlantique n'étant pas engagée en tant que telle en Ukraine. Le secrétaire général de l'OTAN a proposé d'apporter à l'Ukraine un accompagnement sous la forme d'un « paquet d'aide global ». Le dispositif examiné par les États membres détaille l'aide complémentaire que l'Alliance pourra apporter dans la durée, avant l'adhésion. Elle consisterait en une assistance à caractère non létal visant à aider à la réforme des armées ukrainiennes, au renforcement de l'interopérabilité et au déminage.
La Finlande a complété son parcours d'adhésion à l'Alliance atlantique au cours d'une belle cérémonie le 4 avril dernier, ce que, regrettablement, la Suède n'a pu faire, la Hongrie et la Turquie n'ayant pas ratifié le traité d'adhésion. La victoire du président Erdogan aux dernières élections lui permettra peut-être plus facilement de faire un geste. Aussitôt après l'élection, M. Stoltenberg s'est rendu en Turquie où il a eu des conversations jugées plutôt positives. La Suède, qui conduit elle-même un dialogue avec la Turquie, a mené à leur terme les modifications législatives fixées dans l'accord tripartite de Madrid. Elle considère avoir fait son travail. Pour afficher, comme d'autres États l'ont fait, notre soutien à la Suède, je recevrai mon homologue et ami suédois dans trois jours. Nous avons bon espoir que la Suède soit présente à Vilnius en qualité de membre de l'Alliance atlantique.