La séance est ouverte à 9 h 30.
La délégation auditionne, conjointement avec la commission des finances, MM. Thierry Vught, président de la formation inter-juridictions chargée du rapport sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements, Sébastien Doumeix et Benoît Lion, conseillers référendaires en service extraordinaire, sur le rapport annuel de la Cour des comptes relatif à la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements.
Les débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l'Assemblée nationale à l'adresse suivante :
Mes chers collègues, le code des juridictions financières prévoit la remise par la Cour des comptes d'un rapport annuel sur les finances publiques locales. Le second tome de ce rapport, publié à la fin du mois d'octobre, apporte un éclairage actualisé sur la situation financière des collectivités et propose un intéressant bilan de l'intercommunalité. Nous recevons conjointement avec la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation M. Thierry Vught, président de la formation inter-juridictions chargée du rapport sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements, accompagné de MM. Sébastien Doumeix et Benoît Lion, conseillers référendaires en service extraordinaire.
Je me réjouis à cette occasion de tenir une réunion commune avec la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation puisque les sujets abordés intéressent tout autant notre commission que cette délégation.
Deux aspects de vos travaux nous intéressent tout particulièrement. Nous avons lancé, au sein de la délégation, un groupe de travail sur la situation financière des collectivités territoriales. Nos débats, tant dans cette commission que dans l'hémicycle, montrent que cette question mérite un partage de données important. Nous nous sommes beaucoup appuyés sur le fascicule 1 pour mener ce travail, notamment avec Mme Christine Pires Beaune. Nous le poursuivrons avec le fascicule 2. En outre, nous allons engager un travail sur les intercommunalités et les métropoles, qui se nourrira de vos constats et recommandations sur cette question.
Depuis 2018, notre rapport sur les finances locales est scindé en deux publications. Le premier fascicule, publié au printemps, concerne la situation des collectivités locales l'année précédente ; le second, à l'automne, analyse leur situation durant l'année écoulée et comporte un thème de gestion qui, cette année, concerne l'intercommunalité.
La première partie de ce rapport remet en perspective les finances locales dans les finances publiques. Nous attirons cette année l'attention sur le niveau élevé d'incertitude dans lequel nous avons mené notre analyse, compte tenu du contexte international. Les évolutions de la croissance et de l'inflation rendent plus difficile encore cette année que d'autres l'exercice de projection. Le second enseignement général de ce rapport est la différenciation croissante dans le monde local aussi bien entre les catégories qu'au sein de celles-ci. Ces évolutions de plus en plus différenciées, que nous signalons depuis plusieurs années et que la crise sanitaire, notamment, a renforcées, doivent être intégrées dans notre réflexion sur les dispositifs à adopter.
Notre rapport met l'accent sur la sensibilité des collectivités locales à la conjoncture, qui résulte des récentes modifications du panier de recettes des collectivités locales, à savoir la réforme des impôts de production et la suppression de la taxe d'habitation. L'analyse de la part des produits fiscaux liés à la conjoncture économique dans le produit de fonctionnement des collectivités par catégorie montre que les régions et collectivités territoriales uniques sont particulièrement exposées. En effet, trois quarts de leur produit de fonctionnement dépend de la conjoncture, notamment du fait de la TVA. Si l'exposition à la conjoncture reste faible pour les communes, elle représente plus de la moitié du fonctionnement pour les départements et plus du tiers pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
Nous avons abordé l'impact de l'inflation en premier lieu sur les dépenses des collectivités locales, en nous intéressant d'abord à la part des dépenses énergétiques et alimentaires dans les dépenses de fonctionnement par catégorie. Le bloc communal est plus exposé à ce type de dépenses que les départements et les régions. La catégorie des fournitures non stockables, en particulier, représente 4 % des dépenses de fonctionnement des communes. Outre ces impacts directs, l'inflation engendre des effets indirects par des biais multiples, comme les dépenses des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE) pour les départements et les régions ou les dépenses de service délégué pour le bloc communal.
Nous avons également analysé l'impact de l'inflation sur les recettes. Comme nous l'avions signalé dans nos précédentes publications, la réforme du panier de recettes des collectivités, si elle les soumet davantage à la conjoncture, les rend également plus sensibles à l'inflation. Ainsi, plus de la moitié des produits de fonctionnement des régions évoluent en fonction de l'inflation, et notamment la TVA. Ainsi, lorsque l'inflation progresse, les produits des collectivités locales augmentent. Les mécanismes d'indexation des bases, notamment foncières, jouent également un rôle dans ce phénomène. L'exposition reste toutefois variable, la proportion s'élevant à plus de 40 % pour les communes et à 30 % pour les EPCI.
Les chiffres que nous vous présentons sur les produits de fonctionnement sont datés du 30 septembre et sont provisoires. Nous ne les avions pas encore à notre disposition lors de la rédaction du rapport, achevée fin août. En outre, les versements importants de TVA au mois d'octobre ne sont pas inclus dans les chiffres de fin septembre. Ces derniers révèlent une hausse des produits de fonctionnement de 3 % par rapport à septembre 2021. Les impôts locaux perçus augmentent grâce à la revalorisation des bases. Toutes catégories confondues, les charges progressent de 3,9 %. Ainsi, au 30 septembre, l'épargne brute baisserait de 2,3 % par rapport à septembre 2021. Elle resterait toutefois supérieure au niveau atteint en 2019, avant la crise.
Notre schéma sur les perspectives se fonde sur deux indicateurs, l'épargne brute et l'évolution du solde du compte au trésor. Les chiffres datent également du 30 septembre. Au fil de l'année, des points de vigilance apparaissent. L'épargne brute des communes atteint + 33 % en avril 2022 par rapport à avril 2021, et - 0,6 % en septembre 2022 par rapport à septembre 2021. Cet indicateur suit une évolution similaire pour toutes les catégories. Par ailleurs, s'agissant de l'évolution du solde du compte au trésor, nous observons une accumulation dont les causes sont multiples. Le compte au trésor reste stable dans le bloc communal entre septembre et avril. En revanche, l'augmentation du solde s'élève à 26 % en avril pour les départements et seulement de 3 % en septembre. Pour les régions, l'évolution est très significative.
L'intercommunalité a été choisie comme thème de gestion, car elle concerne toutes les communes, à l'exception de quatre communes insulaires. Par ailleurs, ce thème nous paraissait actuel, en raison des interventions et modifications législatives récentes. Toutefois, ces dernières semblent arrêtées au milieu du gué : il reste des décisions à prendre en matière de construction intercommunale.
Ce chapitre est alimenté par de très nombreux travaux des chambres régionales des comptes, suivant notre manière de procéder sur le thème de gestion. Près de 100 EPCI et plus de 35 communes ont été contrôlés. Nous avons en outre souhaité intégrer un parangonnage international, afin de montrer la manière dont l'exercice intercommunal est pratiqué dans plusieurs pays voisins de la France.
La première partie de ce chapitre interroge la vision de l'État de la construction intercommunale et propose un état des lieux de cette dernière. Nous avons identifié quatre objectifs, qui n'avaient jamais été complètement formalisés : remédier à l'émiettement communal, aménager le territoire, promouvoir la solidarité locale et améliorer la performance des services publics et des services rendus aux citoyens. Ce dernier objectif est sans doute le plus présent dans les dernières interventions législatives. Jusqu'à récemment, l'État a soutenu de manière volontariste la construction intercommunale, tant sur le plan fonctionnel que géographique. Nous proposons un panorama des compétences exercées par les intercommunalités compte tenu des mouvements, afin de répondre à un besoin d'information du citoyen sur les actions menées par l'intercommunalité. L'État a également promu l'intercommunalité au rang d'interlocuteur. Lors de notre travail dans le cadre du plan de relance, nous avions observé que le choix des EPCI comme périmètres des contrats de relance et de transition écologique (CRTE) manifestait cette approche volontariste.
L'état des lieux réalisé appelle notre attention sur une certaine hétérogénéité dans la construction des schémas départementaux par les préfets, qui a fortement varié d'un territoire à l'autre. En outre, nous entendons souligner la grande instabilité des EPCI. En effet, il n'existait aucun EPCI à fiscalité propre en 1992. En 2010, on en comptait 2 600. Nous sommes revenus à moins de 1 300 aujourd'hui. En outre, la population moyenne des EPCI est passée de 22 000 en 2010 à 55 000 en 2020, ce qui en modifie la nature.
La seconde partie de ce chapitre dresse un constat un peu mitigé de la contribution des intercommunalités au développement territorial. Cette contribution reste en deçà des attentes. Aussi mettons-nous l'accent sur les projets de territoire, qui n'existent de manière finalisée que dans moins de la moitié des EPCI, alors qu'ils devraient former la base d'une démarche de construction intercommunale. En outre, ceux qui existent ont une portée stratégique variable. Nous recommandons par conséquent de rendre obligatoire la démarche du projet de territoire et, au minimum, d'en fixer le contenu.
La pertinence du périmètre géographique des intercommunalités ne peut se concevoir que politique publique par politique publique. Poser la question de manière générique interdit en effet d'y répondre : le périmètre pertinent pour établir une politique d'eau et d'assainissement ou de service à la petite enfance ne peut être le même. Nous montrons que la construction à marche forcée d'EPCI « XXL » a soulevé de nombreuses complications, obligeant les EPCI à faire preuve de beaucoup d'imagination dans leurs relations avec les communes et avec l'environnement. Nous nous sommes notamment intéressés aux relations des EPCI entre eux, avec les départements et avec les régions.
Nous regrettons l'absence d'outil formalisé pour mesurer la qualité du service rendu aux citoyens, qui nous permettrait de juger si la construction intercommunale l'a améliorée pour un moindre coût. Les travaux des chambres régionales des comptes nous ont permis de conclure à une amélioration de la qualité du service rendu sur l'offre en matière de petite enfance et de politique de la lecture publique. Le travail que nous avons mené sur ces deux exemples mériterait d'être généralisé et objectivé. Nous soulignons, par ailleurs, une mauvaise pratique qui relève du concept d'intérêt communautaire. Trop souvent, cet intérêt communautaire, qui conditionne dans un certain nombre de cas la compétence des EPCI, est construit sous forme de liste d'équipements. Nous recommandons que la loi offre une définition de l'intérêt communautaire – sans toutefois fixer ce dernier dans la loi, ce qui ne serait pas adéquat – afin d'éviter les listes pour mieux raisonner par blocs homogènes de politiques publiques. Nous pourrions ainsi mieux évaluer la qualité du service rendu par l'intercommunalité.
Enfin, nous montrons que la construction intercommunautaire n'a pas permis à ce jour de freiner la dynamique de la dépense dans le bloc communal. Nous soulignons que de 2015 à 2021, les dépenses de fonctionnement des EPCI ont augmenté de 25 %, tandis que celles des communes n'ont progressé que de 1 %.
Le dernier développement de ce chapitre détaille le fonctionnement du bloc communal, qui reste complexe et peu lisible pour les citoyens. Les EPCI « XXL » ont dégradé la gouvernance. Les pactes de gouvernance, qui nous semblaient pourtant intéressants, ne sont pas suffisamment déployés. Nous rappelons également la problématique de l'association des citoyens à la construction intercommunale. Enfin, nous détaillons les relations financières entre les communes membres et les EPCI. Nos constats concernent notamment les transferts de compétences, qui sont parfois peu ou mal évalués, les fonds de concours et le pilotage pluriannuel des investissements dans les EPCI. Certaines de nos recommandations avaient déjà été formulées par la Cour, notamment celle proposant l'établissement d'une dotation globale de fonctionnement (DGF) au niveau intercommunal, ou celle sur l'obligation du partage de la taxe foncière lorsqu'elle résulte de l'installation de nouvelles entreprises au niveau de l'EPCI. Nous préconisons à ce titre le développement des pactes financiers et fiscaux, qui, comme les projets de territoire, sont selon nous les clés de voûte de la construction intercommunale. Nous regrettons que les schémas de mutualisation au niveau des EPCI ne soient plus obligatoires depuis 2019. En effet, la mutualisation des services entre l'EPCI et la ville centre, mais également avec d'autres villes, mériterait d'être systématisée.
En conclusion, le rapport différencie deux trajectoires. La première propose une syndicalisation des EPCI, suivant la tendance d'un retour de la commune, où l'EPCI devient une forme de prestataire de services à la carte pour les communes membres. Nous décrivons comment cette trajectoire s'est développée ainsi que ses inconvénients. La seconde trajectoire, que nous privilégions, donne un nouvel élan à l'intercommunalité, en respectant les pistes d'amélioration importantes que j'ai abordées, afin de renforcer son efficacité et sa lisibilité.
Le débat que nous avons eu hier dans l'hémicycle sur l'état de santé des finances des collectivités pour 2023 abordait les éléments que vous avez rappelés dans votre première partie.
Vous avez évoqué l'augmentation de la sensibilité des recettes fiscales locales à la conjoncture et le fort impact de l'inflation. J'entendais ce matin le président d'une enseigne parler d'un « tsunami d'inflation » prévu pour la fin de l'année, qui se manifesterait par une augmentation très importante des prix notamment alimentaires. L'augmentation de la part des dépenses énergétiques et alimentaires aux dépenses de fonctionnement sera importante pour les collectivités et surtout pour les communes.
Vous avez aussi mentionné l'inquiétante évolution de l'épargne brute, qui diffère selon les collectivités, mais qui affecte notamment les communes.
Les recettes des collectivités locales sont de plus en plus dépendantes du produit de la fiscalité transférée, dont de la TVA, ce que la suppression annoncée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) aggravera. Quelles pistes identifiez-vous pour renforcer l'autonomie fiscale des collectivités locales, que j'estime avoir été mise à mal par les récentes réformes de la fiscalité locale ? Le nouvel article 40 quater du PLF 2023 intégré par le Gouvernement au texte sur lequel il a engagé sa responsabilité réintroduit l'instauration du dispositif de contrainte sur les collectivités entre 2023 et 2027, qui faisait partie du projet de loi de programmation rejeté par l'Assemblée. Il sanctionnerait les collectivités dont les dépenses de fonctionnement connaîtraient une croissance supérieure à l'inflation prévisionnelle minorée de 0,5 point. Estimez-vous que ce dispositif de contrôle des dépenses locales soit justifié, alors que les collectivités locales affichaient un excédent de 0,2 % du PIB en 2021 ?
Dans votre deuxième partie, vous évoquez deux trajectoires. La première donne la primauté aux communes, tandis que la seconde propose une réorientation de l'intercommunalité. Pourriez-vous toutefois préciser les exemples que vous avez donnés afin de nous expliquer comment vous incarneriez cette seconde voie ?
Vos travaux montrent que l'on ne peut plus parler de collectivités territoriales, et soulignent au contraire la différenciation et l'hétérogénéité de ces dernières. Nous devons cesser d'employer un discours parfois trop généraliste sur la situation des collectivités territoriales. La structure de leurs dépenses dépend de leur nature, comme vous le montrez pour les dépenses alimentaires et énergétiques. En outre, la situation varie à l'intérieur même des blocs de collectivités. Vos propos valident ainsi le choix d'agir sur des filets de sécurité plutôt que d'opter pour des mesures générales. Les politiques publiques à destination des collectivités doivent suivre une logique de différenciation.
Vous avez évoqué l'investissement local en appelant notre attention sur le compte au trésor des collectivités, qui ne s'est jamais aussi bien porté. Depuis dix ou quinze ans, les collectivités accumulent d'importantes réserves. Or, l'investissement local sera décisif pour la période à venir, et notamment pour la transition énergétique. Avez-vous identifié dans vos travaux des freins à lever pour encourager les collectivités locales à engager des travaux pour les vingt ou trente prochaines années, en particulier dans le domaine de la transition écologique, malgré la conjoncture ?
Vous avez abordé la question de la fracture territoriale des intercommunalités et de l'approfondissement de l'intérêt communautaire. Intercommunalités de France a engagé un débat sur la transformation des intercommunalités en collectivités locales. S'agit-il selon vous d'un des leviers qui permettrait d'approfondir l'intérêt général ?
Vous proposez une distinction entre la fiscalité liée à la conjoncture et celle qui ne l'est pas. Comme la TVA, la CVAE est selon moi une fiscalité liée à la conjoncture. Quels changements induit le passage de la CVAE à la TVA ?
Les dépenses et les recettes sont très liées à l'inflation. Si l'on suppose que l'inflation durera encore plusieurs années, quel sera le poids de l'inflation sur les recettes et sur les dépenses, sachant qu'il existe des écarts importants entre les niveaux de collectivités territoriales ?
Vous montrez le retournement de conjoncture très rapide sur l'année 2022. Quel outil nous permettrait d'alimenter notre vision des finances sur une périodicité donnée, par exemple mensuelle ou trimestrielle ? En effet, nous lisons toujours vos travaux avec six mois de retard. Ce décalage, bien que normal, peut créer de l'incompréhension entre nous.
Vous dites que l'efficience des EPCI n'est pas démontrée. Cela signifie-t-il que le transfert des compétences des communes vers les EPCI s'est traduit par une augmentation des dépenses des EPCI sans engendrer une diminution des dépenses des communes ?
Votre recommandation sur la DGF faciliterait une réforme que nous souhaitons depuis longtemps. Cependant, la taxe d'aménagement que nous avons expérimentée cette année a révélé toute la complexité d'une telle mesure. Serait-elle vraiment opérationnelle ?
Le rôle de la Cour des comptes n'est pas de donner une opinion sur des projets en cours de discussion au Parlement et au Gouvernement : aussi, je ne peux pas répondre à toutes les questions que vous m'avez posées.
S'agissant de la contribution des collectivités locales au redressement des comptes publics, un point de méthode doit bien être gardé à l'esprit : l'excédent de 0,2 point de PIB des collectivités est le fruit d'une série de dispositifs plus qu'une donnée brute. Lors de notre travail sur le plan de relance à la suite de la crise sanitaire, nous avions démontré que les filets en recettes et les dispositifs de dépenses représentaient 2,6 milliards d'euros en 2021. Cet excédent en résulte. Ce solde quasi positif ne permet pas de déduire que les collectivités ne doivent pas contribuer au redressement des comptes publics. Au contraire, cette participation nous semble légitime.
Vous m'avez demandé de quelle manière nous incarnons la trajectoire que nous préconisons sur l'intercommunalité. Je ne souhaite pas m'aventurer sur le terrain du droit électoral et des modes d'élections. En revanche, il importe que le citoyen contribuable sache ce que fait l'intercommunalité. Ainsi, la formalisation des projets de territoire et des pactes financiers et fiscaux rendrait plus lisible l'action de l'intercommunalité sur le territoire vis-à-vis des citoyens. Nos recommandations sur la DGF intercommunale et sur les impôts fonciers permettent donc d'incarner l'intercommunalité.
L'évolution du compte au trésor est liée à de multiples facteurs, parmi lesquels figurent les retards et les ruptures d'approvisionnement dans les marchés de travaux, entraînant un décalage des décaissements. La ressource d'emprunt a également été sursollicitée, à l'époque où elle était particulièrement bon marché. Nous l'avions souligné dans notre rapport sur l'investissement dans le bloc communal. Il est difficile de donner une explication univoque sur l'évolution de ce solde, que nous suivons toutefois avec vigilance.
La CVAE fait bien partie de la fiscalité sensible à la conjoncture. Il faudrait toutefois procéder à des calculs sur l'élasticité pour bien définir cette sensibilité à la conjoncture. Le nouveau palier fiscal est en tout cas plus sensible à la conjoncture que l'ancien. La TVA est assez stable, mais elle est plus évolutive que des impôts de production assis sur une base foncière.
Vous m'avez interrogé sur le solde entre l'impact de l'inflation sur les recettes et sur les soldes. Nous devrons l'observer sur les comptes 2022. Comme vous, nous souhaiterions établir des instruments de suivi infra-annuels. Chaque mois, nous disposons de l'état des comptes. Les statistiques que je vous ai fournies au 30 septembre sont partielles, car des montants importants de TVA seront versés aux départements et aux régions.
Enfin, le transfert de compétences des communes aux intercommunalités n'a pas engendré d'économies de la part des communes. L'effort d'économie, avec un meilleur service rendu – que nous sommes en droit d'attendre – n'a donc pas encore eu lieu.
Je constate avec un certain plaisir que vous avez souligné que les intercommunalités à taille humaine, issues d'amendements – qui avaient eu du mal à être acceptés à l'époque – permettant l'octroi de dérogations en zone montagneuse ou rurale, voient le déploiement de projets de territoire un peu plus pertinents ainsi qu'une meilleure audibilité des communes rurales. Toutefois, il faut apporter une grande attention à la légitimité démocratique des EPCI, et éviter une organisation territoriale trop rigide au détriment des spécificités des territoires.
S'agissant de votre reproche sur l'absence de projet de territoire et sur l'obligation de mutualisation des projets, il me semble que si l'on prend en compte les nouveaux CRTE, les élaborations de schémas de cohérence territoriale (SCoT), le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI) et les programmes nationaux comme Petites Villes de demain, seuls 15 % des territoires sont dépourvus de projet de territoire. Ce pourcentage me paraît plus raisonnable que ce que laisse entendre votre rapport.
Vous proposez notamment une DGF territorialisée au niveau des EPCI, qui la redistribuaient. Si vous voulez mettre le feu à l'ensemble du bloc communal, c'est ce qu'il faut faire. Cette proposition pose un immense problème. En revanche, quelles incitations préconisez-vous pour engager le processus de création de communes nouvelles volontaires ?
Nous ne partageons pas l'ensemble des préconisations de votre rapport. Vous indiquez que les collectivités sont sensibles à la conjoncture parce qu'elles maîtrisent de moins en moins leurs recettes. Vous préconisez donc de renforcer la péréquation horizontale. Ne constitue-t-elle pas un effet un peu pervers, dans la mesure où elle peut pénaliser ceux qui ont investi sur l'attractivité et la bonne gestion pour avoir des résultats, au profit de ceux qui n'auraient pas suffisamment investi ? N'est-ce pas à l'État, garant de la solidarité nationale, d'assurer une péréquation plutôt verticale qu'horizontale ?
Le système n'est-il pas rendu de plus en plus incohérent et incompréhensible par une succession de mesures qui s'empilent les unes sur les autres ? Une remise à plat réelle du financement de nos collectivités ne serait-elle pas souhaitable ?
Vos préconisations sur les intercommunalités me font penser à la réaction de notre gouvernement envers les dysfonctionnements de l'Union européenne : si cela marche mal, il faut faire davantage. Nous sommes plus favorables aux communes et aux départements qu'aux EPCI et aux régions, car les citoyens ont besoin de proximité et de réalité. Nous sommes donc critiques envers l'idée d'une DGF intercommunale. Si les intercommunalités développent peu de projets de territoire, n'est-ce pas parce que les territoires sont mal identifiés et qu'ils ne correspondent pas à une réalité ? Votre rapport évoque « le retour de la prééminence des communes et la réaffirmation de la différenciation ». Si c'est ce que veulent les habitants et les élus, pourquoi aller à l'encontre de leurs souhaits ?
Vous évoquez enfin deux orientations. Pourquoi privilégier l'une a priori, alors que l'autre apparaît comme la meilleure réponse aux attentes locales ?
Le rapport de la Cour des comptes revient sur la situation des finances locales. Après avoir décrit pour 2021 une situation financière favorable du fait du rebond naturel post-crise, la Cour estime que la situation internationale pèse sur les charges des collectivités de manière directe (coût des achats et des services) et indirecte (mesures salariales, dont la hausse des points d'indice). Cependant, elle estime que les produits de fonctionnement devraient rester dynamiques du fait de l'inflation, en raison d'une hausse des produits de la fiscalité locale et de la TVA. Le rapport précise que l'évolution de la situation financière des collectivités dépendra de la dynamique respective de leurs charges et produits, du coût de l'emprunt et des contraintes sur l'investissement local. La Cour évoque tout de même un infléchissement de la trajectoire de reprise attendue pour 2022-2023. Vous confirmez, entre autres, le constat de l'impact pérenne de la crise sanitaire, avec une diminution des produits de CVAE en 2022 de 5,2 % dans les communes et de 3,4 % pour les départements. La hausse des charges réelles de fonctionnement des communes sur un an est estimée à 5,4 % au 31 août 2022, avec une augmentation de 13,7 % des achats et biens de service et de 4 % des dépenses de personnel. Les charges de fonctionnement restent stables dans les départements et les régions, avec une hausse respective de 1 % et 1,4 %.
Le premier chapitre sur la situation financière des collectivités est particulièrement limité et évoque à peine les constats des élus locaux, qui nous alertent sur la situation financière des collectivités. Avez-vous des chiffres sur les dynamiques respectives de leurs charges et produits pour 2022 ? Nous pensons notamment à l'étude de la Banque postale de septembre 2022 qui révèle de nombreuses difficultés financières avec des chiffres différents de ceux estimés dans le rapport. Il indique une chute de 1,4 % de l'épargne brute des collectivités, et de 8,9 % de celle du bloc communal. Les dépenses de fonctionnement augmentent de 4,9 % dans les finances locales : la hausse s'élève à 6,2 % pour le bloc communal tandis que les départements connaissent une diminution de 3,6 %. Les charges à caractère général sont en hausse de 11,6 %, soit à peu près le double de l'inflation. L'investissement continuerait, mais serait en diminution par rapport aux années précédentes.
Votre analyse doit tenir compte de la réalité des différents niveaux de collectivités, et non les amalgamer. Ainsi, si les ressources des régions et des intercommunalités sont très dynamiques, ce n'est pas le cas de celles des communes et des départements. De même, les communes, en raison de leurs différences de taille, ont des charges de centralité très variables. Certaines voient leurs dépenses d'énergie multipliées par deux ou trois, ce qui représente parfois plus que leur capacité d'autofinancement (CAF). Or, les compétences transférées à cet échelon sont plutôt dynamiques.
Je m'inquiète de voir des députés de la majorité – et notamment le rapporteur général – favorables au transfert de la DGF au niveau intercommunal. L'autonomie financière et fiscale des collectivités est déjà mise à mal depuis dix ans. Il me semble difficile de poursuivre dans cette voie. En outre, il est antinomique de vouloir une intégration financière et des compétences plus fortes au niveau des intercommunalités tout en incitant à la création de communes nouvelles. Il a été décidé de pousser les intercommunalités à marche forcée, ce qui a engendré les problèmes que vous décrivez.
Au lieu de limiter le nombre de strates administratives comme nous le souhaitions en fusionnant plusieurs départements et régions, nous éloignons le citoyen des niveaux de décision de ses interlocuteurs. Le problème est de nature démocratique. Depuis 2012, le danger auquel nous sommes confrontés est celui d'une trop grande recentralisation.
Enfin, les projets de territoire ne sont pas immédiats quand ils ne correspondent plus aux bassins de vie. Du temps est nécessaire à leur déploiement ; or, nous ne leur en avons pas laissé suffisamment.
La première partie de votre rapport montre que les finances publiques locales vont mieux qu'en 2019. Des mesures ont permis cette amélioration, et nous devons en tirer les conséquences pour l'avenir, dans un contexte de fortes incertitudes. L'augmentation des dépenses de fonctionnement des communes et des intercommunalités rappelle la nécessité d'établir un pacte de confiance pour aider les collectivités à encadrer leurs dépenses de fonctionnement.
Vous évoquez le nécessaire renforcement d'une péréquation horizontale. En revanche, je n'ai rien lu concernant la péréquation verticale. Nous sommes nombreux aujourd'hui à penser que cette péréquation verticale devrait être davantage adaptée à l'hétérogénéité des situations. Les critères retenus pourraient ainsi varier afin de mieux correspondre aux réalités territoriales ou économiques.
Vous mentionnez le projet d'autoassurance collective, qui est déjà déployé par les départements et qui me paraît très intéressant. Lors des entretiens que nous avons menés avec Joël Giraud, des représentants du bloc communal l'ont en effet mentionné. Ce projet nous permettrait d'éviter de devoir déployer des systèmes de filet de sécurité à répétition lors des crises. Selon vous, serait-il pertinent que l'État puisse abonder ce type de fonds ?
Enfin, il est vrai que l'intercommunalité nous paraît très éloignée et qu'il est nécessaire de construire des projets de territoires et de généraliser les plans pluriannuels d'investissement. En revanche, il me semble dangereux d'envisager un transfert de la DGF. Nous avons d'ailleurs présenté un amendement pour redonner de la souplesse sur la taxe d'aménagement. On ne peut pas construire un projet de territoire en imposant des règles budgétaires. Il faut d'abord que le projet de territoire émerge, et que la fiscalité suive.
La sensibilité accrue des fiscalités locales à la conjoncture économique en raison de la suppression d'impôts locaux a engendré une conséquence que nous n'avions pas suffisamment mesurée, à savoir une moindre visibilité pour les élus locaux, à l'heure où il leur est précisément demandé de faire de la planification.
L'explosion de la différenciation exclut les mesures générales. Elle nous oblige à procéder à des ciblages fins, qui me paraissent nécessaires, même s'ils requièrent davantage de temps. Face à l'explosion de l'hétérogénéité des collectivités et au sein même des catégories, considérez-vous que la péréquation dite verticale – dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU), dotation nationale de péréquation (DNP) et dotation de solidarité rurale (DSR) – et horizontale – fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) et fonds de solidarité des communes de la région d'Île-de-France (FSRIF) – doivent être amplifiées ? L'évaluation de ces péréquations n'est-elle pas urgente ?
Pour appréhender cette hétérogénéité, ne faudrait-il pas inventer de nouveaux indicateurs, notamment pour tenir compte de la crise écologique qui n'est pas évoquée, mais qui s'impose également aux collectivités ?
L'État fait de l'intercommunalité son interlocuteur privilégié, comme le montre le cas des CRTE. Toutefois, pendant la crise sanitaire, l'État s'est appuyé sur les 35 000 maires de France et non sur les présidents d'intercommunalités. Les maires ont également été les premiers interlocuteurs des citoyens.
Il me paraît, par ailleurs, qu'il n'y a pas une trajectoire à privilégier parmi celles que vous exposez.
Enfin, le principal objectif des intercommunalités n'était pas la réalisation d'économies d'échelles, mais l'amélioration et l'extension du service à tous les habitants.
Vous précisez qu'entre 2015 et 2021 les dépenses de fonctionnement des EPCI ont augmenté de 25 %, et celles des communes de 0,9 %. Quelle a été l'augmentation de leurs recettes respectives pour cette période ?
J'aimerais avoir votre regard critique sur les effets de levier qu'ont provoqués les commissions d'évaluation des charges. Ont-ils bien fonctionné ? À l'époque du premier vice-président Philippe Séguin, la Cour avait jugé qu'il était bon d'évaluer les charges futures des compétences transférées. Par ailleurs, pouvez-vous mesurer les effets de mutualisation ? Cette interrogation est partagée par l'Association des maires ruraux de France et par de nombreux membres de l'Association des maires de France.
L'un des chapitres de votre rapport s'intitule « l'intercommunalité, une réponse à un émiettement communal ». Certes, mais est-ce un objectif ? Les deux trajectoires que vous proposez s'opposent : soit l'intercommunalité est un groupement de services et de moyens au service de ses membres, soit elle est un groupement de collectivités qui développe sa propre stratégie, au risque de ne pas servir l'intérêt de tous ses membres. Mon groupe exprime sa franche hostilité au transfert de la DGF à l'intercommunalité, qui la redistribuerait par la suite. Il semble que le rapport entre les habitants et les collectivités est trop souvent oublié. Le grand débat a été l'occasion de le redécouvrir.
Nous nous associons à la question précédemment posée concernant les articles 16 et 23 du projet de loi de programmation, le premier ayant été maintenu et le second supprimé par le Sénat. Nous prenons acte de votre réserve sur son appréciation. Nous y reviendrons en nouvelle lecture.
Vous indiquez que le remplacement de la taxe d'habitation pour les EPCI et de la taxe foncière sur les propriétés bâties pour les départements, dont l'assiette est territorialisée, par une fraction de TVA sans assiette locale, renforce la perte de lien fiscal avec le territoire. Quelles seraient les options envisagées pour redonner des marges de manœuvre aux collectivités ?
Vous évoquez « un fonctionnement du bloc communal complexe et peu lisible ». C'est le moins que l'on puisse dire, y compris dans le cadre de transfert de la compétence d'autorité organisatrice de la mobilité. J'ai défendu hier un amendement qui a fait l'objet d'une réponse laconique de la part à la fois du ministre et du rapporteur général. 80 % des EPCI ont transféré la compétence mobilité à la région, sans que cela s'accompagne automatiquement de la possibilité pour les régions de lever le versement mobilité. Pourriez-vous nous faire part de votre sentiment sur cette question à la fois technique et politique ?
Votre rapport revient sur l'hétérogénéité des situations entre types de collectivités et entre strates. Dans les territoires fragiles, la diminution de la CAF brute est sans doute beaucoup plus importante qu'en moyenne, notamment pour le bloc communal. Des communes qui défendent la solidarité et le développement dans les territoires fragiles se retrouvent dans des situations compliquées. Les effets de l'inflation font craindre une aggravation de ces difficultés en 2023. Vous avez rappelé la sensibilité des finances des collectivités locales à la conjoncture. Le transfert des recettes issues de l'impôt économique local vers la TVA revient à un basculement des entreprises vers les ménages, ce qui pose un problème global sur la structuration des recettes de nos collectivités locales. Il serait utile que la Cour se saisisse de cette question.
Vous oubliez un point essentiel sur l'intercommunalité, à savoir la prééminence démocratique, historique et citoyenne de la commune. Si vous souhaitez transférer la DGF à l'intercommunalité, je vous invite à le faire le 18 novembre, quatre jours avant le congrès des maires !
Votre rapport oublie un point fondamental de la démocratie locale, à savoir les citoyens et à la manière dont ces derniers peuvent réguler la dépense locale au regard d'une pression fiscale.
Beaucoup de vos recommandations sont assez technocratiques. Vous parlez de l'élaboration de projets de territoires. Vous vous demandez pourquoi il n'en existe pas dans certaines intercommunalités. C'est très simple : ces intercommunalités sont issues de réorganisations qui, dans beaucoup de départements, ont été plutôt subies que choisies.
Vous proposez de subordonner la reconnaissance de l'intérêt communautaire à la fixation de critères formalisés. Or, l'intérêt communautaire, c'est ce qu'on considère comme intérêt communautaire. Vous n'arriverez jamais à fixer des critères objectifs. Ce qui manque dans de nombreuses intercommunalités est précisément l'esprit communautaire.
L'idée de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée sur la modification des attributions de compensation me paraît une mesure de bon sens. Je connais des intercommunalités dans lesquelles l'intégration de compétences contribue surtout à enrichir les plus riches, puisqu'ils disposent du même autofinancement pour exercer de moins en moins de compétences ! Il me semble utile d'approfondir cette dimension dans le contrôle des chambres régionales.
Quant à l'idée de la DGF communautaire, renoncez-y. Le vrai problème, c'est la possibilité d'une intégration sous forme de section des communes dans l'intercommunalité avec les avantages et les inconvénients qui s'y attachent.
Nous étions conscients que certaines des recommandations que nous formulions n'étaient pas consensuelles. Avant de livrer nos rapports, nous passons par une phase de contradiction. Toutes les associations nationales d'élus ont été auditionnées, et nous connaissons leur position, notamment au sujet de la DGF. Toutefois, il ne s'agit pas d'une proposition nouvelle de la Cour des comptes, qui fait preuve de constance, à défaut de consensus. En effet, nous l'avions déjà formulée en 2014 et en 2015.
Nous soulignons dans le rapport que la péréquation horizontale est de l'ordre de 4 milliards d'euros et que la péréquation verticale s'élève à 8,5 milliards d'euros. Nous appelons toutefois de nos vœux un renforcement des péréquations horizontales. En effet, au regard des situations respectives des finances de l'État et des collectivités locales, l'ensemble des variations du cycle économique ou des produits ne peuvent se retrouver à la charge de l'État en cas de récession et au profit des collectivités en période de reprise. Cette forme d'inégalité dans le débouché en cas d'évolution des finances publiques pose selon nous un problème. Ainsi, la péréquation horizontale doit être privilégiée, ainsi que les mécanismes d'autoassurance collectifs ou individuels, comme l'ont fait des départements.
Vous identifiez un paradoxe dans le fait de constater l'absence d'outils d'évaluation de l'impact de l'intercommunalité ou de l'efficience des politiques intercommunales tout en préconisant un renforcement de l'échelon intercommunal. Toutefois, les lacunes en matière d'évaluation ne sont pas le monopole de l'échelon intercommunal. Nos rapports soulignent un retard important en matière d'outils d'évaluation sur de nombreuses politiques, notamment décentralisées, mais pas seulement. Ce constat est donc global. Ce n'est pas parce qu'on ne peut pas évaluer l'impact de l'intercommunalité qu'il faut renoncer à un outil qui remédie aux inconvénients induits par l'émiettement communal. Le nombre de communes françaises a un peu diminué, mais il reste tout à fait singulier par rapport aux autres pays auxquels nous pourrions nous comparer.
Les projets de territoire sont difficilement lisibles dans les CRTE. Les CRTE sont des vecteurs utiles qui ont contribué au déploiement du plan de relance, sans pour autant tenir lieu de projet de territoire.
Notre rapport ne vise pas à vérifier si les intercommunalités ont permis ou non la réalisation d'économies. La question ne se pose pas en ces termes dans les quatre objectifs que j'ai reformulés, mais en matière d'efficience, c'est-à-dire de qualité du service rendu au moindre coût. Nous avons essayé de faire de cette approche l'une de nos grilles d'analyse. Le citoyen est donc au cœur de notre analyse de l'intercommunalité. Les deux exemples que j'ai cités – l'accueil de la petite enfance et les politiques de lecture publique – sont documentés et témoignent d'un meilleur service rendu à un moindre coût.
Vous m'avez interrogé sur les mutualisations. Nous regrettons que les schémas de mutualisation ne soient plus requis, alors qu'ils l'étaient auparavant. Cette démarche nous paraît effectivement vertueuse et porteuse d'amélioration du service et de maîtrise des coûts sur des fonctions support, notamment entre la ville-centre et l'intercommunalité. La formalisation et la clarification de la mutualisation sont donc souhaitables. Or, une zone grise demeure. Il s'agit de la relation entre le service mutualisé et les communes autres que la ville centre. Un schéma à l'échelle de chaque EPCI permettrait d'y remédier.
Notre rapport n'évoque pas les sujets de territorialisation de la fiscalité ou de l'affectation de certains types de ressources à certaines collectivités locales ou groupements. Cependant, le premier président de la Cour des comptes a récemment présenté un travail au Sénat sur les scénarios de financement des collectivités locales. Ce travail étudie un scénario où les produits fiscaux territorialisés seraient fléchés vers le bloc communal et les autres types de ressources vers les départements et les régions. Nous proposons notamment une nationalisation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) pour les répartir par la suite.
Concernant l'augmentation des dépenses de fonctionnement des intercommunalités, il faut rappeler qu'entre 2015 et 2022, un très grand nombre de compétences ont été transférées aux intercommunalités, qu'il faut financer. Je pense notamment à l'eau et l'assainissement, à la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi), au développement économique ou encore aux plans climat-air-énergie territorial (PCAET) qui nécessitent également de mobiliser du personnel.
Vous évoquez la nécessité d'engager une réforme institutionnelle conduisant à transformer les intercommunalités en collectivités territoriales. Quels en seraient les avantages ?
Vous abordez l'évolution du paysage communal et estimez qu'il y aurait trop de communes. Quels sont les freins qui empêchent le déploiement du dispositif commune-communauté, introduit par la loi n° 2019-809 du 1er août 2019 visant à adapter l'organisation des communes nouvelles à la diversité des territoires ?
La lecture de votre rapport donne le sentiment d'un appel au grand soir pour les finances des collectivités territoriales. Or, notre histoire récente montre que tout cela n'est jamais simple. La clarification des principes à laquelle nous aspirons tous ne conduit pas toujours à adopter des dispositifs tout aussi clairs. C'est toute la difficulté de vouloir simplifier dans un pays qui semble condamné à complexifier.
Vous évoquez des scénarios de réforme. Je m'interroge cependant sur leur faisabilité.
Vous évoquez dans votre rapport que le niveau de TVA transféré aux régions et aux départements est important. Avant 2020, 47 % de produits fiscaux des départements étaient sensibles à la conjoncture économique, contre 79 % à la suite de la réforme. Dans le contexte que nous allons connaître, qui sera marqué par une forte inflation et une moindre croissance, cette part aura une importance considérable.
Vous évoquez également la lecture publique par rapport à l'intercommunalité. Certains départements ont adopté des schémas départementaux de lecture publique – c'est le cas dans le Jura. L'intercommunalité bénéficie de financements importants et d'une disposition financée à l'origine par les départements.
Il me paraît positif de prôner les communes nouvelles. Certaines sont des échecs, d'autres des succès. Avez-vous envisagé la sortie de ce dispositif ? Quelles en seraient les conséquences ?
Je souhaite revenir sur la remise en cause par l'État de la libre autonomie financière des collectivités. En 2022, les contrats de Cahors plafonnaient à 2 % l'augmentation de leurs dépenses de fonctionnement. En 2023, cette situation sera aggravée par l'arrivée de la deuxième génération des contrats de Cahors, qui imposent une diminution de ces dépenses de 0,5 % par an par rapport à l'inflation. Depuis 2017, le bloc communal a également perdu 25 % de son pouvoir de levier fiscal, soit 150 milliards d'euros. N'avez-vous pas le sentiment que l'État cherche à déposséder les communes au profit des EPCI, suivant le même traitement qui a été imposé à l'État-nation au profit de l'Europe ?
L'augmentation de 25 % des dépenses des EPCI en raison des transferts de compétences s'est également doublée d'une augmentation des charges salariales. Le niveau de personnel s'est en effet maintenu au même niveau dans les communes. Le pourcentage de masse salariale devient très important, en particulier dans les communes rurales. En résulte une baisse de l'excédent de fonctionnement et, par conséquent, de la capacité d'autofinancement. Si l'on veut mener à bien les programmes Fonds vert ou Petites Villes de demain, grâce aux 20 % de reste à charge obligatoire, nous devons maintenir la capacité d'autofinancement des communes. L'une des propositions évoquées pour y remédier est la création de communes nouvelles d'une certaine taille. La commune dont je suis issu compte 53 conseillers pour 3 000 habitants : c'est autant qu'à Poitiers, dont la population s'élève à 90 000 habitants. Il est nécessaire de revenir à des bassins de vie importants, qui permettent de dégager des capacités d'autofinancements afin que les communes bénéficient des programmes gouvernementaux.
Votre rapport précise que seules neuf communes nouvelles ont été créées en 2021. Quelles conclusions les magistrats tirent-ils de ce peu d'engouement pour les communes nouvelles ? Le rapport montre qu'elles se sont développées de manière hétéroclite. L'incitation financière à leur création mériterait d'être repensée. Les retours d'expériences peu concluants après quelques années de fonctionnement démontrent-ils des faiblesses ? La Cour peut-elle se saisir de ce sujet ?
Je voudrais revenir sur le malaise démocratique des élus, notamment des petites communes, dont la voix s'affaiblit très nettement au sein des gros conseils communautaires. Comment concevoir un approfondissement du lien démocratique sans revenir sur la forme actuelle de l'intercommunalité ? Le malaise démocratique n'est-il pas au contraire nourri par l'éloignement du centre exécutif du citoyen ?
Le retour en force des communes et des départements est une réaction logique de protection face à la menace que peuvent représenter les EPCI pour ces collectivités. Face au conflit qui s'est installé sur le transfert obligatoire de la compétence eau et assainissement, comment justifiez-vous votre recommandation d'approfondir l'intégration communale ?
De la même manière, vous encouragez l'imposition de dispositifs dont les élus n'ont pas voulu se saisir, comme la DGF au niveau de l'intercommunalité, les communes nouvelles ou les communes-communautés. L'objectif de rationalisation financière peut-il tout justifier ? Un schéma comportant des collectivités hybrides serait-il vraiment plus lisible que le modèle communes et intercommunalités ? Surtout, vous décrivez l'échec d'un gain financier, voire, qualitatif, alors pourquoi ne pas assumer de revenir sur ce qui ne fonctionne pas ?
La lecture de votre avis m'a laissé un goût d'inachevé. En effet, il ne comporte aucune mention de l'outre-mer. Or, ces départements ont des spécificités, concernant notamment les financements des collectivités. Vous mentionnez la TVA. Or, la TVA est à zéro à Mayotte ou en Guyane, à raison. Mais cet élément n'apparaît nulle part, pas plus que les quorums, les spécificités liées à l'énergie, l'éloignement, le coût des marchandises importées, l'octroi de mer ou encore le taux de pauvreté. Vous pouvez considérer – ce qui, selon moi, est un tort – que les territoires d'outre-mer sont fondus dans la masse. Cela traduit ce que nous avons maintes fois dénoncé dans la politique gouvernementale, et que nous ressentons très clairement : loin d'être des territoires à part entière, nous sommes entièrement à part.
J'attire votre attention sur l'augmentation des charges de personnel et la multiplication des vice-présidents dans les EPCI, qui sont liés aux transferts de compétences dans le cadre de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe). Ces transferts ont révélé une certaine rigidité de la politique salariale des collectivités territoriales. Comment envisagez-vous la simplification et la flexibilité de la gestion des ressources humaines dans les collectivités territoriales ?
Depuis cette année, notre fascicule 1 comprend un chapitre dédié aux collectivités ultramarines. Nous avons également innové en dédiant une annexe à la question des syndicats, dont la masse pèse aussi lourd que celle des régions, et dont la situation financière nous paraissait mériter une analyse approfondie.
S'agissant de la question du lien démocratique, je vous ai exposé les limites de ma légitimité à m'exprimer sur ce sujet. Toutefois, la compréhension du projet de territoire et de l'action de l'EPCI est un gage de transparence et de lisibilité pour le citoyen, qui doit encore faire l'objet d'efforts.
La sortie des communes nouvelles n'est pas prévue par la loi. Nous n'avons pas étudié ce cas, car il n'existe pas.
Il n'existe pas de procédure de défusion des communes nouvelles. Nous avons cependant constaté que les communes nouvelles ont été établies dans des territoires où la culture communautaire était forte, et où de grandes intercommunalités avaient été créées. Ainsi, la commune nouvelle peut constituer une réponse à des intercommunalités qui paraîtraient trop grandes. La commune nouvelle peut renforcer la commune et améliorer la gouvernance d'un EPCI parfois très vaste.
La raison de l'absence de créations de commune-communauté est relativement simple : le régime a été adopté par une loi du 1er août 2019. Le calendrier a rendu très difficile la création d'une commune-communauté en fin de mandat du bloc communal. La Cour propose un élargissement des hypothèses de création de communes-communautés. Une commune-communauté peut être créée quand un EPCI se regroupe au sein d'une commune nouvelle. Il pourrait aussi être imaginé que la défusion d'intercommunalités très larges laisse place à la création de communes-communautés, notamment pour des raisons de fonctionnement démocratique.
Mme Arrighi nous a interrogés sur le transfert des compétences de mobilité des communautés de communes vers les régions. La Cour n'a pas encore étudié ce sujet relativement récent. Cependant, nous entendons le faire lors de nos prochaines publications.
Nous ne considérons pas que l'augmentation de 25 % des dépenses de fonctionnement des EPCI soit une anomalie. Le transfert de compétences a entraîné une augmentation mécanique de ces dépenses. Le rapport démontre que les transferts de compétences vers les EPCI conduisent à un élargissement du service, ce qui génère une augmentation de la dépense. Au sein du bloc communal, nous n'avons pas observé de maîtrise des dépenses de fonctionnement, notamment au sein des communes, ce que nous aurions pu imaginer.
Concernant la question de M. Dessigny, nous abordons chaque année la question de la masse salariale dans les deux tomes de notre rapport. Cette année, nous avons identifié la part des dépenses de personnel dans les charges de fonctionnement par catégorie. C'est dans le bloc communal que la part de la masse salariale est la plus importante. Il s'agit pour nous d'un point de vigilance, car nous avions déjà signalé dans le premier tome une évolution rapide de la masse salariale, notamment sur les contractuels, ce qui était expliqué par les associations d'élus par la crise sanitaire et l'inflation. Par ailleurs, les arbitrages sur les dépenses de personnel relèvent des exécutifs locaux. La Cour des comptes n'a pas la légitimité de définir un mode opératoire de portée générale. Nous restons toutefois attentifs à ce sujet. Nous étudions notamment les effets des revalorisations catégorielles du point d'indice.
Lorsque je me déplace dans les communes, je constate que les rapports entre les maires et les intercommunalités sont fréquemment très conflictuels. Vous dites que la redistribution financière est souvent dévoyée et que l'efficience de ce système reste à démontrer. Qui devrait œuvrer pour une meilleure intégration ou une vie démocratique mieux affirmée dans les intercommunalités ? Dans certaines intercommunalités de mon territoire, les maires en sont venus aux mains !
Je précise que la défusion est déjà autorisée et a même été récemment assouplie, sous réserve d'une fusion immédiate avec une autre commune.
Votre réponse ne me satisfait pas totalement, dans la mesure où vous reportez la responsabilité sur les maires ou les communes. Or, derrière les chiffres, il y a des hommes : lorsque vous transférez des compétences, les communes ne se séparent pas de leurs personnels. Ainsi, dans ma commune, la masse salariale est passée de 50 à 60 % en très peu de temps. Par conséquent, la capacité d'autofinancement diminue, car il n'est plus possible de dégager d'excédent de fonctionnement. Pour que les programmes nationaux fonctionnent, il est nécessaire que les communes conservent leur capacité d'autofinancement.
La séance est levée à 11 h 10.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Thomas Cazenave, M. Stéphane Delautrette, M. Jocelyn Dessigny, M. Philippe Lottiaux, M. Emmanuel Mandon, Mme Christine Pires Beaune, M. Jean-Claude Raux, M. Robin Reda, M. Lionel Royer-Perreaut.
Excusés. – M. Didier Le Gac, M. Stéphane Travert.
Assistaient également à la réunion. – Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, Mme Émilie Bonnivard, M. Mickaël Bouloux, M. Frédéric Cabrolier, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Florian Chauche, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Dominique Da Silva, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Fabien Di Filippo, M. Benjamin Dirx, Mme Sophie Errante, Mme Marina Ferrari, Mme Félicie Gérard, M. Joël Giraud, Mme Perrine Goulet, M. David Guiraud, Mme Nadia Hai, M. Patrick Hetzel, M. Alexandre Holroyd, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, Mme Karine Lebon, M. Pascal Lecamp, Mme Charlotte Leduc, M. Mathieu Lefèvre, Mme Patricia Lemoine, Mme Véronique Louwagie, Mme Lise Magnier, M. Louis Margueritte, M. Denis Masséglia, M. Bryan Masson, M. Damien Maudet, M. Kévin Mauvieux, Mme Marianne Maximi, Mme Christine Pires Beaune, M. Christophe Plassard, M. Robin Reda, M. Xavier Roseren, M. Michel Sala, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy.