Depuis 2018, notre rapport sur les finances locales est scindé en deux publications. Le premier fascicule, publié au printemps, concerne la situation des collectivités locales l'année précédente ; le second, à l'automne, analyse leur situation durant l'année écoulée et comporte un thème de gestion qui, cette année, concerne l'intercommunalité.
La première partie de ce rapport remet en perspective les finances locales dans les finances publiques. Nous attirons cette année l'attention sur le niveau élevé d'incertitude dans lequel nous avons mené notre analyse, compte tenu du contexte international. Les évolutions de la croissance et de l'inflation rendent plus difficile encore cette année que d'autres l'exercice de projection. Le second enseignement général de ce rapport est la différenciation croissante dans le monde local aussi bien entre les catégories qu'au sein de celles-ci. Ces évolutions de plus en plus différenciées, que nous signalons depuis plusieurs années et que la crise sanitaire, notamment, a renforcées, doivent être intégrées dans notre réflexion sur les dispositifs à adopter.
Notre rapport met l'accent sur la sensibilité des collectivités locales à la conjoncture, qui résulte des récentes modifications du panier de recettes des collectivités locales, à savoir la réforme des impôts de production et la suppression de la taxe d'habitation. L'analyse de la part des produits fiscaux liés à la conjoncture économique dans le produit de fonctionnement des collectivités par catégorie montre que les régions et collectivités territoriales uniques sont particulièrement exposées. En effet, trois quarts de leur produit de fonctionnement dépend de la conjoncture, notamment du fait de la TVA. Si l'exposition à la conjoncture reste faible pour les communes, elle représente plus de la moitié du fonctionnement pour les départements et plus du tiers pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
Nous avons abordé l'impact de l'inflation en premier lieu sur les dépenses des collectivités locales, en nous intéressant d'abord à la part des dépenses énergétiques et alimentaires dans les dépenses de fonctionnement par catégorie. Le bloc communal est plus exposé à ce type de dépenses que les départements et les régions. La catégorie des fournitures non stockables, en particulier, représente 4 % des dépenses de fonctionnement des communes. Outre ces impacts directs, l'inflation engendre des effets indirects par des biais multiples, comme les dépenses des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE) pour les départements et les régions ou les dépenses de service délégué pour le bloc communal.
Nous avons également analysé l'impact de l'inflation sur les recettes. Comme nous l'avions signalé dans nos précédentes publications, la réforme du panier de recettes des collectivités, si elle les soumet davantage à la conjoncture, les rend également plus sensibles à l'inflation. Ainsi, plus de la moitié des produits de fonctionnement des régions évoluent en fonction de l'inflation, et notamment la TVA. Ainsi, lorsque l'inflation progresse, les produits des collectivités locales augmentent. Les mécanismes d'indexation des bases, notamment foncières, jouent également un rôle dans ce phénomène. L'exposition reste toutefois variable, la proportion s'élevant à plus de 40 % pour les communes et à 30 % pour les EPCI.
Les chiffres que nous vous présentons sur les produits de fonctionnement sont datés du 30 septembre et sont provisoires. Nous ne les avions pas encore à notre disposition lors de la rédaction du rapport, achevée fin août. En outre, les versements importants de TVA au mois d'octobre ne sont pas inclus dans les chiffres de fin septembre. Ces derniers révèlent une hausse des produits de fonctionnement de 3 % par rapport à septembre 2021. Les impôts locaux perçus augmentent grâce à la revalorisation des bases. Toutes catégories confondues, les charges progressent de 3,9 %. Ainsi, au 30 septembre, l'épargne brute baisserait de 2,3 % par rapport à septembre 2021. Elle resterait toutefois supérieure au niveau atteint en 2019, avant la crise.
Notre schéma sur les perspectives se fonde sur deux indicateurs, l'épargne brute et l'évolution du solde du compte au trésor. Les chiffres datent également du 30 septembre. Au fil de l'année, des points de vigilance apparaissent. L'épargne brute des communes atteint + 33 % en avril 2022 par rapport à avril 2021, et - 0,6 % en septembre 2022 par rapport à septembre 2021. Cet indicateur suit une évolution similaire pour toutes les catégories. Par ailleurs, s'agissant de l'évolution du solde du compte au trésor, nous observons une accumulation dont les causes sont multiples. Le compte au trésor reste stable dans le bloc communal entre septembre et avril. En revanche, l'augmentation du solde s'élève à 26 % en avril pour les départements et seulement de 3 % en septembre. Pour les régions, l'évolution est très significative.
L'intercommunalité a été choisie comme thème de gestion, car elle concerne toutes les communes, à l'exception de quatre communes insulaires. Par ailleurs, ce thème nous paraissait actuel, en raison des interventions et modifications législatives récentes. Toutefois, ces dernières semblent arrêtées au milieu du gué : il reste des décisions à prendre en matière de construction intercommunale.
Ce chapitre est alimenté par de très nombreux travaux des chambres régionales des comptes, suivant notre manière de procéder sur le thème de gestion. Près de 100 EPCI et plus de 35 communes ont été contrôlés. Nous avons en outre souhaité intégrer un parangonnage international, afin de montrer la manière dont l'exercice intercommunal est pratiqué dans plusieurs pays voisins de la France.
La première partie de ce chapitre interroge la vision de l'État de la construction intercommunale et propose un état des lieux de cette dernière. Nous avons identifié quatre objectifs, qui n'avaient jamais été complètement formalisés : remédier à l'émiettement communal, aménager le territoire, promouvoir la solidarité locale et améliorer la performance des services publics et des services rendus aux citoyens. Ce dernier objectif est sans doute le plus présent dans les dernières interventions législatives. Jusqu'à récemment, l'État a soutenu de manière volontariste la construction intercommunale, tant sur le plan fonctionnel que géographique. Nous proposons un panorama des compétences exercées par les intercommunalités compte tenu des mouvements, afin de répondre à un besoin d'information du citoyen sur les actions menées par l'intercommunalité. L'État a également promu l'intercommunalité au rang d'interlocuteur. Lors de notre travail dans le cadre du plan de relance, nous avions observé que le choix des EPCI comme périmètres des contrats de relance et de transition écologique (CRTE) manifestait cette approche volontariste.
L'état des lieux réalisé appelle notre attention sur une certaine hétérogénéité dans la construction des schémas départementaux par les préfets, qui a fortement varié d'un territoire à l'autre. En outre, nous entendons souligner la grande instabilité des EPCI. En effet, il n'existait aucun EPCI à fiscalité propre en 1992. En 2010, on en comptait 2 600. Nous sommes revenus à moins de 1 300 aujourd'hui. En outre, la population moyenne des EPCI est passée de 22 000 en 2010 à 55 000 en 2020, ce qui en modifie la nature.
La seconde partie de ce chapitre dresse un constat un peu mitigé de la contribution des intercommunalités au développement territorial. Cette contribution reste en deçà des attentes. Aussi mettons-nous l'accent sur les projets de territoire, qui n'existent de manière finalisée que dans moins de la moitié des EPCI, alors qu'ils devraient former la base d'une démarche de construction intercommunale. En outre, ceux qui existent ont une portée stratégique variable. Nous recommandons par conséquent de rendre obligatoire la démarche du projet de territoire et, au minimum, d'en fixer le contenu.
La pertinence du périmètre géographique des intercommunalités ne peut se concevoir que politique publique par politique publique. Poser la question de manière générique interdit en effet d'y répondre : le périmètre pertinent pour établir une politique d'eau et d'assainissement ou de service à la petite enfance ne peut être le même. Nous montrons que la construction à marche forcée d'EPCI « XXL » a soulevé de nombreuses complications, obligeant les EPCI à faire preuve de beaucoup d'imagination dans leurs relations avec les communes et avec l'environnement. Nous nous sommes notamment intéressés aux relations des EPCI entre eux, avec les départements et avec les régions.
Nous regrettons l'absence d'outil formalisé pour mesurer la qualité du service rendu aux citoyens, qui nous permettrait de juger si la construction intercommunale l'a améliorée pour un moindre coût. Les travaux des chambres régionales des comptes nous ont permis de conclure à une amélioration de la qualité du service rendu sur l'offre en matière de petite enfance et de politique de la lecture publique. Le travail que nous avons mené sur ces deux exemples mériterait d'être généralisé et objectivé. Nous soulignons, par ailleurs, une mauvaise pratique qui relève du concept d'intérêt communautaire. Trop souvent, cet intérêt communautaire, qui conditionne dans un certain nombre de cas la compétence des EPCI, est construit sous forme de liste d'équipements. Nous recommandons que la loi offre une définition de l'intérêt communautaire – sans toutefois fixer ce dernier dans la loi, ce qui ne serait pas adéquat – afin d'éviter les listes pour mieux raisonner par blocs homogènes de politiques publiques. Nous pourrions ainsi mieux évaluer la qualité du service rendu par l'intercommunalité.
Enfin, nous montrons que la construction intercommunautaire n'a pas permis à ce jour de freiner la dynamique de la dépense dans le bloc communal. Nous soulignons que de 2015 à 2021, les dépenses de fonctionnement des EPCI ont augmenté de 25 %, tandis que celles des communes n'ont progressé que de 1 %.
Le dernier développement de ce chapitre détaille le fonctionnement du bloc communal, qui reste complexe et peu lisible pour les citoyens. Les EPCI « XXL » ont dégradé la gouvernance. Les pactes de gouvernance, qui nous semblaient pourtant intéressants, ne sont pas suffisamment déployés. Nous rappelons également la problématique de l'association des citoyens à la construction intercommunale. Enfin, nous détaillons les relations financières entre les communes membres et les EPCI. Nos constats concernent notamment les transferts de compétences, qui sont parfois peu ou mal évalués, les fonds de concours et le pilotage pluriannuel des investissements dans les EPCI. Certaines de nos recommandations avaient déjà été formulées par la Cour, notamment celle proposant l'établissement d'une dotation globale de fonctionnement (DGF) au niveau intercommunal, ou celle sur l'obligation du partage de la taxe foncière lorsqu'elle résulte de l'installation de nouvelles entreprises au niveau de l'EPCI. Nous préconisons à ce titre le développement des pactes financiers et fiscaux, qui, comme les projets de territoire, sont selon nous les clés de voûte de la construction intercommunale. Nous regrettons que les schémas de mutualisation au niveau des EPCI ne soient plus obligatoires depuis 2019. En effet, la mutualisation des services entre l'EPCI et la ville centre, mais également avec d'autres villes, mériterait d'être systématisée.
En conclusion, le rapport différencie deux trajectoires. La première propose une syndicalisation des EPCI, suivant la tendance d'un retour de la commune, où l'EPCI devient une forme de prestataire de services à la carte pour les communes membres. Nous décrivons comment cette trajectoire s'est développée ainsi que ses inconvénients. La seconde trajectoire, que nous privilégions, donne un nouvel élan à l'intercommunalité, en respectant les pistes d'amélioration importantes que j'ai abordées, afin de renforcer son efficacité et sa lisibilité.