La séance est ouverte à quatorze heures trente.
La commission procède à l'audition de M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports.
Mes chers collègues, je suis heureux d'accueillir M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports, et le remercie de s'être rendu disponible dès le début de nos travaux – cette audition est la quatrième à laquelle nous procédons.
Le 18 janvier dernier, la Commission européenne a annoncé l'ouverture d'une enquête approfondie sur les mesures de soutien du gouvernement français en faveur de la filiale fret de la SNCF entre 2007 à 2019, craignant que certaines d'entre elles n'aient pas été conformes aux règles communautaires en matière d'aides d'État. La société Fret SNCF a été constamment déficitaire, sauf en 2021 et 2022 ; elle a vu ses pertes continuellement couvertes par sa société mère entre 2007 et 2019 grâce à des avances de trésorerie internes au groupe.
La Commission vise trois mesures : des avances de trésorerie d'un montant de 4 à 4,3 milliards d'euros, destinées à compenser le déficit d'exploitation récurrent de Fret SNCF ; l'annulation de la dette financière de Fret SNCF de 5,3 milliards d'euros par voie législative en 2019, lors de la transformation du groupe en société anonyme ; et l'injection d'un capital de 170 millions d'euros, en 2019.
Plutôt que d'attendre que ce risque contentieux aboutisse à une condamnation de Fret SNCF et, probablement, à sa faillite, le Gouvernement a annoncé, le 23 mai, en même temps que des mesures significatives de soutien au fret ferroviaire, qu'il retenait une solution de discontinuité pour préserver une activité de fret ferroviaire publique. Il s'agirait, au 1er janvier 2025, de faire succéder deux sociétés à Fret SNCF : l'une chargée de l'activité capacitaire, l'autre de la maintenance des locomotives. Pour éviter que les nouvelles sociétés ne soient jugées trop proches de Fret SNCF, donc responsables des éventuelles pénalités, vingt-trois lignes de trains entiers, soit 30 % du trafic, devraient être cédées à d'autres entreprises, ainsi que soixante-deux locomotives.
Monsieur le ministre, nous souhaitons vous entendre sur l'analyse du risque d'une condamnation de Fret SNCF, qui vous a conduit à retenir cette solution ; sur l'état de l'enquête approfondie lancée le 18 janvier ; sur l'inquiétude suscitée par ce changement majeur du périmètre de l'activité de fret ferroviaire publique pour les objectifs de décarbonation des transports ; sur les effets de la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire annoncée en 2021 ; sur votre vision des perspectives actuellement ouvertes au secteur du fret ferroviaire par la préoccupation constante et croissante des entreprises concernant leur impact carbone.
Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Clément Beaune prête serment.)
Je vous remercie d'avoir souhaité m'entendre dès le début de vos travaux à propos d'un défi majeur : l'organisation et la sécurisation de l'avenir du fret ferroviaire dans notre pays et plus largement en Europe, au moment de la transition écologique. Dans sa vision de la préservation et du développement du fret ferroviaire, le Gouvernement doit intégrer cette difficulté importante qu'est la procédure ouverte par la Commission européenne depuis janvier.
Je suis profondément convaincu que le fret ferroviaire a un avenir, qu'il peut se développer. Les vingt dernières années ont été difficiles, et les difficultés n'ont pas commencé avec la procédure, mais l'avenir est ouvert. Depuis plusieurs années, le secteur bénéficie du soutien du gouvernement – le précédent et l'actuel. Souhaitant renforcer ce soutien, j'ai annoncé au printemps des mesures d'aide à l'exploitation et au fonctionnement ainsi qu'à l'investissement. Il n'y a donc ni sabordage ni abandon, ni résignation sur la situation ou l'avenir du fret ferroviaire, y compris public, dans notre pays : nous y croyons, même si c'est difficile.
Nous voyons d'ailleurs des signaux positifs, notamment une augmentation de la part du fret ferroviaire dans le transport global de marchandises ces deux dernières années. Au moment de la transition écologique, les clients finaux du fret, qu'il soit privé ou public, témoignent d'un appétit pour le fret ferroviaire. Les perspectives sont positives. L'État soutient ces acteurs et les soutiendra – ce point, je crois, nous réunit, par-delà nos différentes sensibilités politiques.
De fait, c'est le Parlement qui, lors de la discussion sur la loi « climat et résilience », a fixé des objectifs qui s'imposent au Gouvernement, l'obligeant à définir et à conduire une stratégie pour doubler la part modale du fret ferroviaire dans le transport de marchandises – de 9 % au moment du vote de la loi à 18 % à la fin de cette décennie. La stratégie nationale qui a été déployée avant que je n'arrive aux responsabilités, mais dans laquelle je m'inscris, comporte soixante-treize mesures précises. Lors du comité de pilotage qui s'est tenu en juin, il a été constaté que la moitié de ces mesures est mise en œuvre, en totalité ou partiellement. Il s'agit donc bien d'un engagement : grâce aux aides augmentées par le plan France relance, grâce à la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire (SNDFF), les nouvelles sont bonnes, même si la prudence s'impose. L'an dernier, le fret ferroviaire a atteint sa meilleure part modale – 11 % – dans le transport de marchandises depuis 2017, et son meilleur niveau de trafic depuis 2015, avec près de 36 milliards de tonnes transportées.
Permettez-moi de me concentrer sur les annonces que j'ai faites pour amplifier le plan dans le prolongement de cette stratégie, au moment précis où nous avons dû répondre à la procédure de la Commission européenne.
Nous avons mobilisé des aides à l'exploitation supplémentaires. Ces aides avaient déjà été renforcées de manière significative dans le plan de relance de la fin de l'année 2020, à raison de 170 millions par an jusqu'en 2024. J'avais indiqué devant le Parlement qu'elles seraient prolongées jusqu'en 2027 ; j'ai pu annoncer un nouveau prolongement au moins jusqu'en 2030, pour donner la visibilité nécessaire à l'ensemble des acteurs – c'est un des facteurs clés du développement du fret ferroviaire. Dans quelques semaines, lors de la discussion budgétaire, ces aides seront aussi amplifiées, de 30 millions par an, à partir de 2025, soit 330 millions d'aides annuelles pour l'exploitation du fret ferroviaire contre moins de la moitié il y a deux ans. Sur une décennie, cela représente près de 1 milliard d'euros supplémentaires par rapport à 2020. L'effort est donc très important. Ces soutiens recouvrent notamment les aides au wagon isolé ou aux péages dus par les opérateurs de fret, pour lever les barrières au développement du fret ferroviaire.
Nous devons compléter ces aides à l'exploitation et au fonctionnement par des aides à l'investissement. Force est de constater que le déclin du fret ferroviaire dans notre pays n'est pas lié à la libéralisation du secteur menée en France et au niveau européen : il était déjà fortement engagé depuis le début de 2000. Entre 2000 et 2006, au moment de l'ouverture à la concurrence, l'activité de fret ferroviaire en France avait déjà diminué de près de 30 %. On peut certes débattre du bien-fondé de cette réforme d'initiative européenne, mais elle n'a du moins pas été la seule mesure.
La stratégie présentait deux défauts, liés aux aspects traditionnellement privilégiés par le système français : le développement du trafic de voyageurs par rapport au trafic de marchandises, et les aides au fonctionnement, qui restent nécessaires, par rapport aux aides à l'investissement. Si je dois renforcer sur un point le développement du fret ferroviaire dans les années qui viennent, ce sera sur l'investissement, en particulier dans les grandes gares de triage, telles que Miramas et Woippy. Nous y pourvoirons notamment dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER) de nouvelle génération, qui sont en cours de négociation et qui prévoient de multiplier par quatre les crédits d'investissement. Le plan que j'ai présenté en mai consiste ainsi à engager 4 milliards entre 2023 et 2032, dont la moitié pour l'État. Les régions et les autres collectivités ont déjà montré qu'elles étaient prêtes à s'engager. C'est en améliorant nos infrastructures que nous donnerons un avenir durable au fret ferroviaire.
L'État n'abandonne en aucun cas le fret ferroviaire – il investit et soutient l'exploitation et les opérateurs –, mais il est confronté à l'actualité difficile, douloureuse, de la procédure ouverte par la Commission européenne à l'encontre de notre pays, comme de plusieurs autres États membres, depuis janvier 2023. Européen convaincu, je n'ai pas l'habitude de critiquer les institutions européennes, mais je dois dire que je regrette l'ouverture de cette procédure. Reste que les faits sont là, malgré les discussions que j'ai pu avoir avec la Commission européenne pour essayer d'éviter cette procédure depuis quatorze mois que je suis chargé des transports.
Les choses ont changé à partir du 18 janvier 2023, avec cette procédure, qui est au démarrage des choix politiques qu'il faut discuter, car elle fait peser un risque vital sur l'opérateur public de fret ferroviaire en France. Même si celui-ci n'est pas le seul opérateur, il reste central : nous ne pouvons pas nous dispenser d'un opérateur public de référence dans notre système de fret ferroviaire. Mon action a été guidée par la volonté d'agir de manière responsable face à ce risque existentiel. Comme je l'ai fait avec les organisations syndicales et avec la direction de l'entreprise, je partage avec vous librement l'alternative qui s'offrait à nous.
La première option consistait à aller au bout de la procédure. On ne sait jamais combien de temps cela peut durer, mais l'expérience permet d'estimer la durée entre dix-huit et vingt-quatre mois, sans compter les recours possibles. Je suis convaincu que nous aurions condamné Fret SNCF dès maintenant, car nous aurions eu, pendant dix-huit mois au moins, une incertitude sur le maintien en vie économique de notre opérateur central de fret ferroviaire. Je rappelle que la procédure a été motivée par une demande de remboursement de 5,3 milliards d'aides jugées illégales par la Commission européenne. C'est l'entreprise même, quel que soit son statut, qui doit la rembourser. Le risque vital est donc double : d'une part, l'entreprise risque de devoir rembourser tout ou partie de cette somme, ce qui est insoutenable ; d'autre part, l'incertitude est mortelle dès à présent, car l'entreprise ne peut plus garantir à ses clients qu'elle aura la capacité de transporter leurs marchandises à l'avenir.
Je partage avec vous le raisonnement et la responsabilité que j'endosse en tant que ministre parce que c'est un paramètre essentiel qui a pesé dans mon choix.
L'autre option, celle que j'ai suivie, est de trouver le plus vite possible un accord avec la Commission européenne pour lever le risque. C'est sans doute la décision la plus difficile que j'ai eue à prendre dans ma vie professionnelle, car je sais ce qu'il y a derrière : des emplois, un opérateur, un service public. Je suis convaincu que la meilleure chose à faire est de lever l'incertitude et de trouver un accord, que l'on doit accompagner d'un plan d'investissement non seulement de sauvegarde, mais de développement du fret ferroviaire, y compris par un opérateur public.
Nous avons discuté avec la Commission européenne pour déterminer nos lignes rouges, si nous négocions, et ce qui serait susceptible de mener à un accord. Le but est d'éviter une procédure qui aboutirait à un remboursement et de préserver des conditions favorables – ou moins défavorables que d'autres – pour le fret ferroviaire.
Trois axes structurent notre position dans la négociation.
D'abord la préservation de l'emploi au sein d'un opérateur ferroviaire public. Nous sommes prêts, pour lever le risque, à prendre des engagements auprès de la Commission en faveur de la solution envisagée, qui a été présentée aux organisations représentatives du personnel, consistant à maintenir 90 % des emplois dans une structure publique de fret ferroviaire qui succéderait à Fret SNCF dans une « discontinuité raisonnable ».
Le deuxième axe est de garder un opérateur ferroviaire public, non pas dans sa structure actuelle – d'où le terme de « discontinuité » –, mais dans le sens où son capital restera très majoritairement public. Je crois que de nombreux acteurs – clients, chargeurs, autres opérateurs de fret privés – ne souhaitent pas que disparaisse, avec l'opérateur de fret ferroviaire public, une référence essentielle pour l'organisation, la structuration et la visibilité du fret ferroviaire. Pour des raisons de principe, de valeurs, mais aussi d'efficacité écologique et économique, je suis convaincu que nous avons besoin d'un tel opérateur.
Le troisième axe est d'éviter le report modal inversé, ce qui nécessite que l'on puisse continuer d'investir dans le secteur du fret ferroviaire, y compris public. Parmi les aides supplémentaires que je propose que figurent les aides au wagon isolé, ce que l'on appelle les « trains mutualisés » et la « gestion capacitaire », qu'il faut continuer à soutenir. Il serait absurde de mettre en danger le secteur du fret ferroviaire au moment où la Commission européenne travaille au Pacte vert et où la France œuvre pour la transition écologique.
Ces trois conditions supposent certes des efforts. La direction de Fret SNCF les a détaillés en toute transparence aux instances représentatives du personnel. Certaines activités devront être cédées, pour environ 20 % du chiffre d'affaires actuel. Des personnes devront quitter la structure actuelle mais j'ai demandé au PDG de la SNCF de veiller à ce qu'une solution soit trouvée pour tout le monde au sein du groupe. Et, puisque nous anticipons un développement du fret ferroviaire dans les années à venir, y compris pour l'opérateur public, les personnes qui ont travaillé pour Fret SNCF bénéficieront d'une priorité d'emploi.
Le dossier est compliqué et la décision difficile à prendre. La vision d'ensemble doit porter sur le développement du fret ferroviaire public et non pas sur la procédure, dont j'ose espérer qu'elle n'est qu'un épisode, si difficile soit-il. Nous devons surmonter celui-ci pour ne pas gâcher le développement du fret ferroviaire public, sur le plan social, écologique et industriel. Choisir la procrastination, céder à la facilité de laisser la procédure se dérouler pendant deux ans, serait certes plus confortable. Je crois cependant que l'opération de discontinuité dans le cadre ainsi défini et avec les lignes rouges que j'ai rappelées est un choix responsable. Nous l'accompagnons d'un plan d'investissement majeur, pour donner rapidement des perspectives garanties à l'opérateur de fret ferroviaire public et à l'ensemble du secteur, et d'un soutien financier validé par la Commission européenne pour le développement du fret ferroviaire dans les années qui viennent.
Les entreprises montrent en effet une appétence pour le fret ferroviaire plus forte que dans le passé, notamment pour décarboner leurs mobilités – l'ancien président-directeur général de SNCF Réseau, Patrick Jeantet, l'a souligné hier.
Les chargeurs qui travaillent avec Fret SNCF se trouveraient dans une grande incertitude si le Gouvernement laissait la procédure suivre son cours. Comment appréhendent-ils le plan de discontinuité ?
Quel est l'avenir de la gestion capacitaire, l'activité principale de Fret SNCF, qui est le segment le plus dépendant des aides publiques ?
Vous avez évoqué l'investissement dans les infrastructures et dans les matériels, notamment pour remédier aux difficultés d'acquisition des locomotives fret et de valorisation des certificats d'économie d'énergie (CEE). Toutes les régions se montrent-elles aussi désireuses de s'engager aux côtés de l'État pour investir dans des infrastructures dédiées au fret ?
S'agissant du soutien public au fret ferroviaire, DB Cargo semble entretenir un dialogue nourri avec la Commission européenne : pourriez-vous donner des éléments de comparaison à l'échelle européenne ?
Fret SNCF a notifié, à la fin du mois de juillet, les chargeurs de sa clientèle d'une probable discontinuité, dans laquelle une nouvelle entreprise conserverait l'essentiel de l'activité. Nombre d'entre eux souhaitent rester clients de l'entreprise publique qui succédera à Fret SNCF. Un délai jusqu'à fin décembre 2023 a été évoqué pour assurer cette bascule ; il pourrait être prolongé sans risque juridique jusqu'au 30 juin 2024. Il y a urgence à donner de la visibilité aux chargeurs, qui la réclament. Si l'on attend le résultat de la procédure, la situation se dégradera. Dans le moins mauvais scénario, ils choisiront un autre acteur du fret ferroviaire, s'ils le peuvent ; dans le pire, ils opteront pour un autre mode de transport. Il est important de ne pas avoir de rupture et de donner vite une visibilité, tout en assurant le temps de la discussion interne à l'entreprise, de la réorganisation, pour que l'opérateur successeur de Fret SNCF soit en place. À ce stade, nous n'avons pas été alertés de mouvements de bascule vers d'autres modes de transport ou d'inquiétude majeure quant à l'existence d'une entreprise telle que Fret SNCF à l'avenir.
Au-delà des chargeurs, l'ensemble des opérateurs de fret, dont l'opérateur public, demandaient de longue date un plan d'investissement, que les représentants du secteur, Fret ferroviaire français du futur (4F), avaient chiffré à 3,5 milliards d'euros d'ici à la prochaine décennie. Nous avons plus que répondu à cette attente, en proposant la somme inédite de 4 milliards d'euros d'investissement, en plus des aides à l'exploitation, pérennisées et renforcées, notamment pour le triage.
Ces 4 milliards d'euros sont nécessairement partenariaux : l'État est prêt à en donner la moitié, soit quatre fois plus que dans la génération précédente de CPER. La négociation avec les présidents de région est en cours, mais l'appétence semble réelle. Dans tous les mandats de région concernés par des infrastructures de fret ferroviaire, la Première ministre et moi-même avons indiqué au préfet des enveloppes pour le fret ferroviaire. Deux régions sont particulièrement concernées, car elles accueillent des gares de triage très importantes. Le président Leroy de la région Grand Est est prêt à investir, ainsi que d'autres collectivités : 80 millions d'euros permettront de rénover entièrement la gare de Woippy, qui le mérite. L'autre gare de triage emblématique, celle de Miramas, fait déjà l'objet d'un plan d'investissement impliquant plusieurs collectivités – région, département, ville –, qui porte ses fruits : il sera poursuivi à hauteur de plus de 40 millions d'euros. L'État prendra sa part, en acquittant au moins la moitié de cet investissement.
Je crois à l'avenir de la gestion capacitaire, notamment aux trains mutualisés qui sont au cœur de l'activité. Ces wagons isolés sont essentiels dans le contexte du développement des exigences écologiques et de l'appétence croissante pour le fret ferroviaire sur le marché du transport de marchandises. Un acteur de référence de cette gestion capacitaire est indispensable : aujourd'hui, c'est Fret SNCF ; demain, cela devra rester un acteur du fret ferroviaire public. Pour ces raisons, nous réinvestissons dans l'infrastructure de triage, qui garantit un marché économique à la gestion capacitaire. Nous devrons aussi développer le transport combiné, sachant que Fret SNCF a développé depuis quelques années une capacité rail-route qui permet au rail de se développer puisque le dernier kilomètre peut être assuré par la route. Ces deux éléments me font croire à l'avenir économique du fret ferroviaire, avec un opérateur public en son centre.
S'agissant des comparaisons européennes, beaucoup semblent avoir des informations que même le gouvernement allemand ne détient pas. On sait qu'une procédure est ouverte à l'encontre de l'opérateur allemand : DB Cargo se voit reprocher des choses qui nous l'ont été en 2005, au moment où nous avons réorganisé le fret ferroviaire. La situation n'est donc pas comparable à celle de la France. Néanmoins, les Allemands discutent aussi avec les autorités européennes pour préserver leur opérateur. Je ne crois pas à cette fable de l'opposition selon laquelle la France se serait couchée devant les injonctions bruxelloises. Dans chacun des rendez-vous que j'ai eus, depuis de longs mois, pour défendre les intérêts de notre fret ferroviaire public, de notre entreprise ou de notre service public, je peux démontrer l'engagement et la sincérité du Gouvernement. Les autorités allemandes sont en train de discuter de types et de montants d'aides différents de ce qui est reproché aux autorités et à l'opérateur français.
Nous savons qu'il existe d'autres cas, aboutissant à des réflexions sur des solutions de discontinuité du même ordre. En Roumanie, par exemple, une procédure est également lancée à l'encontre de l'opérateur de fret ferroviaire.
Vous exercez des fonctions en lien direct avec les affaires européennes depuis 2016. Quand avez-vous eu à connaître du dossier précontentieux ou contentieux visant Fret SNCF, et à y être intéressé ?
Lorsque le pacte ferroviaire a été adopté et l'établissement public industriel et commercial (EPIC) transformé en société anonyme, votre collègue des transports ou vous-même vous êtes-vous assuré de la viabilité de la nouvelle entité eu égard au contentieux en germe ou déjà lancé ? La Commission européenne a bien désigné SA Fret SNCF comme ayant été soutenue artificiellement, du fait de l'annulation de la dette.
Le dossier SA Fret SNCF a-t-il été traité durant les six mois où la France a assuré la présidence de l'Union européenne, sachant qu'elle avait fait du fret un enjeu majeur ?
Comment expliquez-vous l'urgence que vous mettez à trancher entre les deux options, quand des procédures visant la Roumanie, la Grèce, l'Italie ou l'Allemagne s'échelonnent sur plusieurs années ? Certes, le doute pouvait paralyser les chargeurs et les opérateurs, mais il semble toujours d'actualité : au sein de l'Association française du rail (AFRA), un certain nombre d'opérateurs indiquent qu'ils ne sont pas en mesure de reprendre tout ou partie des vingt-trois flux qui doivent être transférés à la concurrence – hors Rail Logistics Europe, ai-je cru comprendre.
Pouvez-vous préciser le plan de discontinuité ? Disposez-vous d'un agrément officiel de la Commission européenne ou de sa présidente ? Ce plan a-t-il fait l'objet d'une étude d'impact sur l'environnement, s'agissant en particulier du possible report modal routier d'une partie des vingt-trois flux concernés ?
L'une des deux nouvelles sociétés serait une entreprise de transport ferroviaire pour le trafic mutualisé. Nous voulons tous y croire, mais avez-vous étudié sa viabilité ? L'effort considérable d'investissement n'en est qu'à ses débuts : comment seront appliquées les soixante-douze mesures de la stratégie nationale, dont une bonne partie doit porter sur les infrastructures – installations terminales embranchées (ITE), triages, etc. – et n'ont pas encore fait l'objet d'une communication officielle ? Vous avez indiqué que la moitié d'entre elles avaient atteint leur objectif. L'état du réseau conditionnant l'activité du fret, comment parviendrez-vous à atteindre 18 % de trafic ferroviaire d'ici à 2030 ?
Jusqu'en août 2016, j'étais conseiller, notamment sur les questions européennes, du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique Emmanuel Macron. Je n'ai pas eu à connaître de ce dossier dans ces fonctions, car il n'était pas au cœur du périmètre.
J'ai ensuite été nommé conseiller spécial pour l'Europe au sein de la cellule diplomatique du Président de la République, à partir de mai 2017 jusqu'au 26 juillet 2020. Je n'ai pas eu non plus à connaître dans ce cadre de la procédure à l'encontre de Fret SNCF, où les premières plaintes datent de 2016.
En revanche, j'ai travaillé sur ce dossier, quoique de manière plus éloignée que dans ma responsabilité de ministre délégué chargé des transports, à partir de l'automne 2020, en tant que secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. En effet, j'ai pu rencontrer des parlementaires et des commissaires européens, dont la commissaire à la concurrence, Mme Vestager. J'ai également été en contact avec mon homologue chargé des transports de l'époque, M. Djebbari, avec notre représentation permanente, avec d'autres acteurs du système européen, et j'ai pu évoquer la question, de manière peu détaillée, dans cette fonction.
Elle n'est devenue ma responsabilité centrale qu'à partir de juillet 2022 en tant que ministre délégué chargé des transports. Mon agenda public l'atteste, j'ai eu six contacts avec Mme Vestager. Les choses n'ont pas commencé le 18 janvier 2023 : des opérateurs ont déposé des plaintes auprès de la Commission européenne à partir de 2016. Bien qu'elles aient toutes été finalement retirées, la Commission européenne a ouvert une procédure. Cela montre combien la question était sérieuse : ses services, qui sont soumis à des procédures juridiques voire au contrôle du juge in fine, n'ouvrent que rarement des procédures. Or, malgré l'absence de plaintes, la Commission a estimé qu'il existait une aide massivement illégale ou à forte présomption d'illégalité.
Les discussions se sont tenues pendant de longs mois, pour éviter une procédure et faire valoir nos arguments, puis, une fois ouverte, pour y répondre. Mon prédécesseur, Jean-Baptiste Djebbari, a connu les étapes antérieures.
La question du fret ferroviaire et de la décarbonation a été évoquée lors de la réunion informelle des ministres des transports tenue par mon prédécesseur à Toulouse dans le cadre de la présidence de l'Union européenne. Elle fait partie des enjeux pour lesquels la France demande régulièrement une stratégie ou un plan d'investissement européens. Dans le cadre du plan de relance – un plan en partie financé par les aides européennes et soumis à la discussion de la Commission européenne et de nos partenaires –, nous avons fait le choix, comme d'autres pays, d'introduire un élément de soutien au fret ferroviaire.
Pour le cas où cet aspect aurait été sous-jacent dans votre question, je précise que la présidence française du Conseil de l'Union européenne n'a pas été un handicap pour la France. De fait, durant les six mois où elle a assuré cette présidence, la France n'a pas mis ses intérêts et ses arguments dans sa poche avec son mouchoir par-dessus. Elle a veillé à l'ensemble des dossiers correspondant à ses intérêts, notamment celui du fret ferroviaire, qui a été continûment défendu par le secrétaire d'État aux affaires européennes que j'étais, et par le ministre des transports de l'époque. Je ne dispose pas de l'agenda de mon prédécesseur, mais je suis certain que des discussions avec la Commission européenne se sont poursuivies durant cette période sans que nous ne levions notre stylo ou remballions nos arguments.
Je crois profondément à la viabilité pérenne de ce projet. Du reste, la Commission européenne est particulièrement vigilante, dans ses analyses, à propos de l'investissement avisé et de la viabilité économique. Si donc nous adoptons ce scénario en posant des lignes rouges et en pensant qu'il permettra de lever le risque existentiel et juridique, il sera de toute façon soumis à une décision de la Commission, dont les analyses sont généralement plus strictes que les nôtres, pour ce qui est de l'existence ou du maintien d'une viabilité économique pour l'opérateur qui est au cœur de la procédure. En d'autres termes, la Commission ne validerait pas une solution de discontinuité si elle ne pensait pas que l'opérateur était viable. La perspective n'est certes jamais une garantie, mais l'analyse est faite et, avec la gestion capacitaire, le plan d'investissement et les aides d'exploitation combinés – puisque la situation s'examine de manière statique et dynamique –, nous avons les moyens, dans la prochaine décennie, de rendre le fret ferroviaire plus attractif et d'augmenter sa part modale, en particulier avec un opérateur de fret ferroviaire public centré sur la gestion capacitaire, viable et attractif. J'y crois profondément et cette analyse sera, de toute façon, formulée également par les autorités européennes.
En termes de risque et de calendrier, il y a urgence. Vous avez dit que d'autres pays avaient vécu ou subi de longues procédures, mais l'expérience montre, même s'il n'y a pas de certitude absolue en la matière, que lorsque les discussions et l'obtention d'un accord potentiel sont tardives, les solutions de discontinuité, si elles se révèlent finalement nécessaires, sont plus dures et plus brutales. Le précédent d'Alitalia, dans le domaine du transport aérien, a été marqué par 50 % de discontinuité. Il ne s'agit donc pas de négocier à n'importe quelles conditions et pour n'importe quel résultat, mais de faire en sorte que la structure ferroviaire publique conserve 90 % de l'emploi et 80 % de l'activité. Vous avez évoqué vingt-trois flux qui doivent être cédés – j'ai lu à ce propos le mot « sacrifiés », mais il ne s'agit pas que l'activité disparaisse : elle doit être cédée à d'autres opérateurs, dont nous espérons qu'ils resteront dans le domaine du fret ferroviaire. Si elles sont adoptées, ces solutions de discontinuité entraînent une réduction bien moindre du volume, que ce qui a été observé dans de nombreux autres cas. Nous avons donc fixé, pour ce qui concerne nos intérêts, des lignes rouges très claires.
Dans notre pays, la dernière stratégie ferroviaire date de la fin 2021 et le dernier vote du Parlement à ce sujet de l'été 2021, avec la loi « climat et résilience ». Nous observons en 2021-2022 le premier résultat en termes d'inversion de la courbe et de remontée de la part modale du fret ferroviaire. Dans ce contexte, en accompagnant cette démarche d'un plan d'investissement – ce que n'ont pas fait d'autres pays : comparons-nous vers le haut ! –, j'ai la conviction profonde qu'il est préférable de donner rapidement une visibilité à Fret SNCF ou à l'opérateur de fret ferroviaire public, sur le plan social, écologique et industriel, et de dire rapidement aux clients qu'ils ont une perspective dans le fret ferroviaire, avec un opérateur public qui prendra la succession de Fret SNCF.
Nous ne sommes certainement pas à trois jours près, mais il y a urgence, ressentie par les chargeurs, qui le diront certainement devant votre commission d'enquête.
Quant à savoir s'il y a des garanties, la question est légitime de la part de la Commission européenne et j'y apporterai une réponse politique – mais pas politicienne – et une réponse juridique. Tout d'abord, et c'est une raison de plus pour aller vite, les décisions formelles se prennent au vu des solutions appliquées par l'État soumis à la procédure. En d'autres termes, c'est l'instauration de la discontinuité qui entraîne la décision formelle et définitive de la Commission européenne, contrairement à l'idée, qu'on entend parfois exprimer, qu'il suffirait d'obtenir un blanc-seing, puis de mettre les choses en place pour voir ce qu'il advient. Sur le plan juridique, c'est l'inverse : c'est à la condition d'opérer certaines transformations que l'on peut lever le risque que j'ai évoqué.
On m'a demandé pourquoi il faudrait le faire à ce moment-là plutôt qu'à un autre, mais je ne serais pas allé rencontrer les salariés et les syndicats et n'aurais pas écrit un courrier – que je tiens à votre disposition et qui figure, conformément à la loi, dans les dossiers des instances représentatives du personnel – pour annoncer à l'entreprise et à ses salariés des efforts et des garanties si je n'avais pas eu une certitude raisonnable que nous pouvions atteindre cet équilibre avec la Commission européenne. Comme en atteste mon agenda public, que je puis vous communiquer, des échanges ont eu lieu et six rendez-vous ont été organisés, depuis l'été 2022, avec la vice-présidente Vestager chargée de la concurrence. Des échanges formels, écrits, ont eu lieu, que je tiens à votre disposition. Je tiens à votre disposition, comme le prescrivent la loi et le serment que j'ai prêté, l'ensemble des échanges qui ont eu lieu, dont la meilleure liste me semble être, en toute transparence, le courrier que j'ai adressé sur cette base à M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF, en date du 23 ou du 24 mai 2023.
En termes d'impacts modaux, et même si cette cession n'est pas une bonne nouvelle – mais j'assume la recherche de cet équilibre –, le but est que tout ce qui sera cédé, notamment les vingt-trois flux, reste dans le domaine du fret ferroviaire. L'issue de ce combat n'est pas acquise, mais plus vite on donnera de la visibilité à la cession de ces flux, plus il y aura de chances qu'ils soient récupérés par un autre opérateur ferroviaire, ce qui vaut mieux qu'un opérateur de fret non ferroviaire.
Quant au calendrier, je le répète, l'impact global dépendra de nos efforts d'accompagnement et d'investissement – d'où le plan – et de la rapidité avec laquelle nous donnerons cette visibilité à un nouvel opérateur de fret ferroviaire public pour la gestion capacitaire.
Pardonnez-moi de ne pas décrire plus précisément les impacts, mais il est clair que ces derniers doivent s'apprécier de manière dynamique : moins nous aurons d'incertitude et plus vite nous disposerons d'une solution stabilisée et d'une organisation claire, plus nous aurons de chances de garder cette activité dans le domaine du fret ferroviaire public – et du fret ferroviaire tout court. L'idée n'est pas seulement de stabiliser la part modale, ce qui est de toute façon une obligation fixée par la loi, mais d'atteindre une proportion de 18 % et, à cette fin, de mettre en œuvre l'ensemble des mesures prévues, dont le plan renforcé que j'ai évoqué.
Je crois vous avoir répondu, monsieur le rapporteur, à propos du train mutualisé : la question est de savoir quelle en sera la viabilité économique.
J'en reviens à l'analyse de la Commission européenne telle qu'elle ressort de la lettre d'ouverture de la procédure en date du 18 janvier 2023. Je n'ai peut-être pas dit assez en détail – mais vous l'avez fait, monsieur le président – que l'investigation lancée par cette procédure porte sur une longue période qui s'étend de 2007 à 2019 et, pour ce qui est de la masse d'aide, concerne principalement la première décennie de cette période. Nos interprétations divergent parfois avec celles de la Commission européenne, mais ce qui a été fait, notamment avec la loi pour un nouveau pacte ferroviaire, est neutre à l'appréciation de la Commission européenne, qui ne nous reproche pas l'organisation ni le transfert de dette opérés à cette époque – une autre organisation n'aurait pas empêché l'enquête. En outre, je le répète, l'immense majorité des sommes concernées, plus de 5 milliards d'euros au total, est évaluée et examinée sur la période de 2007 à 2017.
Je salue l'action que nous avons portée ensemble, notamment avec le maire de Miramas, pour faire de la gare de triage de cette ville une priorité et pour que des investissements arrivent rapidement.
En premier lieu, pourriez-vous nous retracer d'une manière synthétique l'évolution des tarifs des péages pour le fret ferroviaire, notamment pour la période 2007-2017 ?
Quelle a été, sur cette même période, l'évolution de la part modale – que nous avons voulu porter de 9 % à 18 %, dans la loi d'orientation des mobilités, et pour laquelle nous avons fixé une date avec la loi « climat et résilience » ?
Comment interprétez-vous le fait que la France ait persisté à appliquer ces aides, compte tenu du risque encouru au niveau européen, et comment éviter de rencontrer à l'avenir le même type de problème ?
Enfin, comment pouvons-nous nous assurer que le report modal ne se fasse pas vers la route et éviter de perdre l'ambition que nous avons promue notamment à l'occasion de la loi « climat et résilience » ?
La question du péage est essentielle car, pour le fret comme pour le reste du système ferroviaire, le prix des péages en France est le plus élevé d'Europe, ce qui est une faiblesse et un motif de vigilance. Sans revenir sur le trafic de voyageurs, qui est spécifique et n'est pas l'objet de notre débat, je rappellerai que c'est la raison pour laquelle nous avons instauré des aides au péage pour tous les opérateurs de fret ferroviaire, mesures transversales dont Fret SNCF bénéficie largement. Dans le paquet d'aides à l'exploitation que j'évoquais, deux grandes catégories se distinguent : les aides au wagon isolé et les aides au péage. Plus précisément, dans l'effort que nous faisons pour l'avenir et que j'ai annoncé au printemps 2023 pour la décennie qui vient, et en tout cas jusqu'à 2030, nous maintenons et pérennisons les aides au péage au niveau post-plan de relance et nous augmentons encore les aides au wagon isolé. Sans ces aides au péage, la réduction de la part modale du fret serait sans doute très forte, avec une baisse de compétitivité du fret ferroviaire par rapport aux autres modes de transport de marchandises. Selon une estimation de 2015 du Commissariat général au développement durable, en effet, sans ces mesures, l'augmentation du coût du péage serait de 150 %. Le prix des péages est certes élevé, mais il est compensé par ce mécanisme que nous pérennisons pour l'ensemble des opérateurs de fret ferroviaire dans les années qui viennent. Dans le même temps, nous renforçons et pérennisons aussi, je le répète, les aides au wagon isolé.
Pour ce qui est de la part modale, c'est à la fin des années 1990 et au début des années 2000 que la chute a été la plus spectaculaire, la part du fret ferroviaire dans l'ensemble du fret total, qui était de 20 % environ au début de la décennie 1990, chutant jusqu'au début des années 2000 pour se stabiliser en 2006 à un point bas, de l'ordre de 10 %. La situation est ensuite restée assez stable autour de ce chiffre jusqu'à une date très récente où, depuis notamment le réinvestissement permis par le plan de relance, nous sommes parvenus à faire réaugmenter – de manière certes encore modérée, autour de 11 % – la part modale du fret. Le trafic est désormais le plus élevé en volume depuis 2015 et la part modale la plus élevée depuis 2017.
Notre objectif, fixé par le Parlement, est ambitieux : il s'agit de doubler la part modale par rapport à la référence de 9 % fixée au moment de l'adoption de la loi « climat et résilience », estimation basse qui devrait être portée à 18 % d'ici à 2030.
Comment expliquer à la fois la persistance des aides et la sécurité des aides existantes ? Pour ce qui concerne la persistance des aides, je ne peux pas interpréter toutes les décisions prises ces dernières années, mais les aides à l'exploitation et au fonctionnement successivement créées montrent bien que le problème n'était pas une forme d'abandon par l'État de l'opérateur Fret SNCF, qui était très soutenu – mais cela n'a pas permis d'augmenter la part modale, ce qui montre que ce n'était pas là le seul problème. Je ne peux pas évaluer le risque juridique pris à l'époque, mais nous avons accumulé les éléments d'une situation jugée – je m'exprime prudemment, car la procédure est en cours – illégale par la Commission européenne sur plus de dix ans.
Je répète que les dernières aides créées par mes deux prédécesseurs, notamment au moment du plan de relance, ont été notifiées et validées par la Commission européenne. Le cadre juridique dans lequel nous nous inscrivons aujourd'hui, où 300 millions deviennent 330 millions par an de soutien à l'exploitation, est validé et il faudra de toute façon le notifier à nouveau pour l'avenir, selon la procédure européenne, au cours de l'année 2024. Étant donné que nous octroyons les mêmes types d'aides que celles qui sont validées et s'appliquent depuis, au moins, le plan de relance, je ne doute guère de leur validation par la Commission : bien que nous augmentions le niveau d'aide, nous n'en changeons pas la nature.
La question était légitime, mais il ne faut pas rejouer le match du passé : nous avons aujourd'hui un cadre d'aides assumé, et l'Europe n'interdit pas davantage les aides au fret ferroviaire que l'existence d'un opérateur du fret ferroviaire public. Ne faisons pas de mauvais procès ! Il n'y a pas d'interdiction de principe aux aides, qui doivent être notifiées intégralement et validées pour s'inscrire dans le cadre autorisé. Celles qui sont aujourd'hui en vigueur ont été validées et seront notifiées à nouveau dans les prochains mois.
Nous avons relevé hier qu'entre 1968 et 1994 – donc avant la période que vous évoquiez –, la part modale du fret ferroviaire a été divisée par trois en France, alors qu'il n'y avait à l'époque qu'un seul opérateur présent sur le marché. Comme vous le disiez, le redressement de la part modale observé en 2021-2022 est le premier depuis des décennies, mais ces exercices sont aussi les premiers depuis des décennies où Fret SNCF n'est pas déficitaire.
Je tenais à préciser ce point, qui complète bien la question de la part modale. Le résultat d'exploitation de Fret SNCF était de – 200 millions d'euros en 2001, de – 300 millions en 2002 – il s'est donc dégradé avant la libéralisation –, puis de – 400 millions en 2003 et – 325 millions en 2004.
Et puisque nous parlions de viabilité, monsieur le rapporteur, ce n'est pas par l'opération du Saint-Esprit, mais grâce à des aides notifiées et à la réorganisation des efforts consentis par les salariés de Fret SNCF depuis la réforme de 2020 qu'en 2021 et 2022, le résultat est redevenu positif et que la part modale augmente. Je suis donc confiant pour l'avenir car, même si ce n'est pas de gaieté de cœur et si nous nous en serions bien dispensés, la réorganisation à laquelle nous procédons intervient dans un contexte où l'opérateur de fret ferroviaire public a des clients, affiche un résultat positif et s'est transformé. Sa situation n'est donc pas du tout la même qu'il y a quinze ou vingt ans, où il n'avait que très peu de perspectives de marchés.
Monsieur le ministre, chacun souscrit à l'ambition que vous nous exposez de porter la part modale de 9 % à 18 %, mais comment est-ce possible, alors que le plan de discontinuité liquidera 263 conducteurs chez Fret SNCF ? Vous proposez, en somme, de faire plus avec moins de moyens pour l'opérateur public historique.
S'agissant du risque de transfert vers la route des vingt-trois flux dont vous avez négocié la cession hors du périmètre de Fret SNCF, avez-vous des garanties que ces vingt-trois flux resteront affectés au rail au terme de la procédure, ou y a-t-il un risque que ce fret soit reporté vers la route ? Avez-vous, notamment, de la visibilité à propos du train Perpignan-Rungis, sujet emblématique sur lequel j'ai beaucoup travaillé ?
Vous n'avez pas répondu à la question de la part de responsabilité de la réforme du ferroviaire, largement combattue à l'époque, dans la transformation de Fret SNCF en société anonyme. La nécessité d'investir dans cette société pour la relancer est précisément l'un des griefs de la Commission européenne dans le cadre de son enquête.
J'ajouterai une dernière question, un peu piquante : on nous dit que l'ouverture à la concurrence et la libéralisation n'auraient finalement pas contribué à détruire le fret ferroviaire et qu'il n'y a pas de problème de ce côté-là, mais les chiffres de Fret SNCF font apparaître que le nombre de cheminots est passé de 20 000 à moins de 5 000, que le nombre de triages a diminué, que le nombre de terminaux combinés a été divisé par deux et que le nombre d'embranchements temporaires, ou du moins de ceux qu'il est possible d'utiliser, quasiment divisé par cinq : ne faudrait-il pas faire différemment ? Après des années d'expérience de la libéralisation, on voit que ça n'a pas marché et que cette évolution a eu un impact négatif sur le transport de marchandises, la condition sociale des salariés et notre réseau ferré. Le moment n'est-il pas venu de nous diriger plutôt vers un transport public ferroviaire important et sorti des logiques de marché ?
Monsieur le ministre je salue l'ambition de votre ministère, qui est aussi la nôtre, de soutenir le fret ferroviaire public.
La vraie concurrence n'est pas entre deux opérateurs ferroviaires car, comme me l'a appris une vie professionnelle antérieure, un chargeur qui a des marchandises à transporter ne choisit pas entre deux opérateurs ferroviaires, mais principalement entre le fer et la route – car le fluvial ne me semble pas vraiment d'actualité.
Le fond du problème me semble être la qualité de service de la SNCF. Pour qu'un chargeur préfère le train au camion, il doit être assuré de sa ponctualité et du respect des engagements. Il doit aussi être certain que le matériel est adapté et que le service y est associé – de plus en plus souvent, en effet, les conducteurs de camions déchargent les marchandises à l'arrivée. Se pose également la question du niveau de prix.
Cette question ne nous éloigne pas du sujet car elle touche aussi aux investissements, qui ne concernent pas seulement le rail et le matériel roulant, mais aussi le numérique, les ressources humaines, voire une stratégie commerciale. Quelle est l'ambition poursuivie et quels sont les moyens donnés à ses objectifs ?
Monsieur Portes, les conducteurs représentent certes l'essentiel de l'activité, mais la question des effectifs est plus large. Il ne s'agit pas d'avoir moins d'agents, dont les conducteurs, dans le système du fret ferroviaire. Comme je l'ai dit, 10 % environ des emplois de l'opérateur Fret SNCF ne seront plus au sein du nouvel opérateur ferroviaire public, dont la dénomination n'existe pas encore. On ne fait pas avec moins, on fait avec 236 conducteurs et 400 agents environ au total qui doivent rester dans le système du fret ferroviaire, même si c'est auprès d'autres opérateurs. S'ils ne trouvent pas de solution, j'ai pris l'engagement social qu'ils puissent rester dans le groupe SNCF et revenir à l'activité de fret, à laquelle nous espérons que nos investissements permettront de se développer à nouveau, notamment en termes de gestion capacitaire. Il ne s'agit donc pas de supprimer des effectifs dans l'ensemble des opérateurs de fret ferroviaire ni de faire plus avec moins, mais plutôt, comme le dit Mme Clapot, que les compétences de ces personnels restent dans le système ferroviaire – chez un autre opérateur peut-être, mais un opérateur de fret ferroviaire.
C'est évidemment compatible avec l'ambition de développement du fret ferroviaire, car le but est d'éviter le report modal vers la route et les camions. Quelle meilleure façon existe-t-il de le faire – je l'assume et je le pense profondément – que d'investir et de soutenir l'investissement et l'exploitation avec des aides légales, afin d'éviter de nous heurter au même problème dans cinq ans, mais aussi d'aller vite pour éviter que les chargeurs ne se demandent s'ils trouveront encore, dans six, neuf ou dix-huit mois, une entreprise de fret ferroviaire garantissant le transport ? Il faut pouvoir leur dire rapidement qu'ils disposeront d'un opérateur de transport ferroviaire qui pourra être, selon le cas, celui qui aura succédé à Fret SNCF ou un autre.
Nous ne supprimons donc pas 400 agents du système de fret ferroviaire. Il faut même aller plus loin et des garanties précises seront données pour permettre, dans certains cas, une sous-traitance d'un opérateur à l'opérateur ferroviaire public. Il ne s'agit donc pas d'avoir moins d'acteurs et moins d'agents du système de fret ferroviaire – loin de là ! Il s'agit aussi, évidemment, d'assurer aux personnels statutaires ainsi qu'aux personnels contractuels, qui représentent environ 10 % des effectifs, une garantie totale d'emploi au sein du groupe chaque fois qu'ils le souhaitent ou qu'il en est besoin.
Pour ce qui est des flux transférés à d'autres opérateurs, qui représentent environ 20 % de l'activité, et même si, je le répète, je préférerais que nous puissions nous dispenser de cette cession, l'ordre de grandeur n'est pas du tout le même que celui qu'on observe à l'occasion de procédures européennes à peu près équivalentes dans le domaine des transports et de la logistique, où la discontinuité se traduit par une réduction d'environ 50 % des volumes.
Un calendrier rapide doit être établi pour ces activités, non pas pour brutaliser quiconque, mais pour donner rapidement une perspective quant au maintien des flux concernés dans le mode du transport de fret ferroviaire. Les trois axes que je défends sont l'emploi, l'existence d'un opérateur de fret ferroviaire public et, évidemment, l'exigence écologique d'éviter un transfert du train vers le camion et la route.
Les choses ne sont pas faites mais les cessions et les transferts doivent intervenir rapidement pour que cette activité soit reprise par d'autres opérateurs de fret ferroviaire plutôt que par des opérateurs de fret recourant à d'autres modes de transport.
Un cas emblématique en la matière est celui du train des primeurs, le Perpignan-Rungis, auquel je connais votre attachement et que nous avons déjà évoqué. Ce train, soutenu par l'État, continuera à l'être. Preuve que nous restons dans un cadre de régulation publique, ce train a besoin de subventions pour fonctionner, mais cela ne me pose aucun problème, compte tenu des services écologiques essentiels rendus. Nous assumons donc l'idée de faire fonctionner notre système ferroviaire avec des subventions, y compris le fret, et même lorsque l'opérateur n'est pas Fret SNCF.
Je rappelle que, même si je n'étais pas alors ministre des transports, c'est la majorité actuelle, avec le gouvernement de Jean Castex, qui a relancé ce train – si elle ne l'avait fait, il n'existerait plus – en mettant sur la table 12 millions d'euros pour financer cette activité importante et symbolique. Assumons-le. Des manifestations d'intérêt régulières sont prévues. Compte tenu de la nouvelle situation, nous procéderons en 2024 au prochain appel, initialement prévu pour 2025. Je l'ai dit, je m'y suis engagé et je l'ai même prouvé avec un appel à manifestation d'intérêt que mon ministère a lancé à la fin du mois d'août : nous faisons appel à un opérateur, avec des subventions d'État, pour que le train des primeurs continue à circuler dans les années qui viennent. Quant à l'identité de l'opérateur, c'est précisément l'objet de l'appel à manifestation d'intérêt en cours. Quoi que l'on pense de l'opérateur qui sera choisi à l'issue de la procédure, je vous garantis que ce train continuera à circuler : si nous l'avons relancé, ce n'est pas pour l'abandonner ! Ce train a connu des difficultés en début d'année : l'une technique, avec un déraillement à Carcassonne, et l'autre sociale, disons-le franchement, avec des mouvements de grève – je le respecte, mais c'est un fait. Nous avons relancé la liaison dès le mois de mai et elle continuera à fonctionner avec le soutien de l'État au titre de cet appel à manifestation d'intérêt.
Pour ce qui est de la réforme opérée par la loi ferroviaire de 2018, soyons très précis : comme le démontrent les chiffres, son premier impact sur le fret a été de remettre Fret SNCF en situation de viabilité économique. La réforme de 2018-2020 n'est pas étrangère aux résultats positifs, qu'il faut consolider, de Fret SNCF que le président Valence et moi-même avons rappelés, et qui sont aussi les résultats de la part modale.
Le premier impact de la réforme et de la coordination qu'elle a permise a été de mettre un terme aux déficits que, dès avant la libéralisation, l'opérateur connaissait chaque année. On le doit évidemment aux agents de la SNCF et de Fret SNCF, dont les efforts considérables portent des fruits visibles pour l'activité économique.
J'évoquerai aussi deux points techniques. Tout d'abord, le transfert de dette opéré de l'unité à la SA est l'un des griefs examinés par la Commission européenne, mais cela ne change pas la situation économique ni l'appréciation globale portée par la Commission. Un deuxième point technique évoqué dans la lettre et dans l'investigation de la Commission européenne est que, sur les 5,3 milliards d'euros d'aides reprochées, 170 millions d'euros portent sur la période postérieure à 2017 – cette information est dans le domaine public. Sans ces 170 millions d'euros, qui représentent une toute petite partie de l'ensemble et dont nous contestons l'illégalité, il resterait encore 5,1 milliards d'euros en jeu. La question n'est donc pas là : elle est de savoir si nous attendons, si nous sommes capables de rembourser, le cas échéant, 5,3 milliards d'euros et comment nous répondons à cette menace. Voilà donc le contenu du calendrier retenu par la Commission européenne dans la procédure qu'elle a ouverte en janvier dernier.
Quant à la libéralisation du fret – qui n'est, du reste, pas tout à fait l'objet de cette audition –, on peut certes y être défavorable, mais elle procède d'un débat européen. Je ne dirai pas, pour ma part, que c'est la faute de Bruxelles, car les gouvernements et les majorités successifs ont participé à cette discussion et en ont accepté l'issue. Je constate toutefois, et chacun en conviendra, que la situation était très dégradée avant la libéralisation. En tout cas, même si vous pensez que la libéralisation a eu un mauvais effet, ce n'est pas l'ouverture à la concurrence qui a causé le déficit de Fret SNCF, car cette situation était bien antérieure, de même que le recul massif de la part modale : entendons-nous au moins sur le fait que la libéralisation n'est pas du tout le facteur déclencheur.
Par ailleurs, dans certains des autres pays européens soumis aux mêmes règles, la part du fret ferroviaire n'a pas décroché, elle a même augmenté. Les facteurs sont nombreux, dont la structure industrielle. L'Allemagne, dont la tradition de fret ferroviaire est plus établie que la nôtre, a peut-être aussi davantage investi dans les infrastructures et son industrie a moins reculé que la nôtre, ce qui se traduit par une plus grande activité économique pour le fret ferroviaire. La libéralisation s'est ainsi traduite en Europe, avec un même cadre légal, par un paysage très diversifié en termes de part modale du fret. Nous pourrions certes avoir un débat sur la libéralisation, qui nous occuperait un long moment, mais accordons-nous sur le fait que les problèmes ont commencé bien avant et n'ont pas augmenté ensuite, puisque la part modale du fret est stable depuis 2006 environ et remonte aujourd'hui, à cadre légal identique – ce qui prouve que c'est possible –, et que d'autres pays ont fait mieux que nous avec moins d'aides. Ce n'est donc pas le montant du chèque qui fait la viabilité du fret.
J'assume totalement, pour répondre à M. Zulesi, le fait que ce secteur doit être soutenu par des subventions dans un cadre sécurisé. Nous le faisons et nous le renforçons, avec un effort d'investissement inédit actuellement et pour les années qui viennent, notamment pour les triages.
Madame Clapot, comment un chargeur choisit-il un opérateur ? Je ne suis pas chargeur et je n'ai pas travaillé dans ce secteur, mais on entend diverses critiques à l'endroit de certains opérateurs, dont Fret SNCF – mais pas seulement –, quant à la qualité de service ou à la fiabilité des circulations. C'est sans doute vrai, mais ce qui m'intéresse, en tant que responsable public, est de savoir ce que nous pouvons mieux faire – en l'espèce, deux choses. D'abord, même si le trafic voyageurs est important, il ne faut pas toujours le privilégier dans nos sillons par rapport au fret, même en cas, par exemple, de mouvements sociaux, sous peine de ne pas être cohérents avec notre ambition en matière de fret. Deuxièmement, il faut investir dans nos infrastructures, car les agents accomplissent un travail formidable avec une infrastructure dégradée. Sans être un expert technique, j'ai été très frappé de constater qu'à Woippy, à Miramas ou au Bourget, les infrastructures n'étaient pas à la hauteur d'investissements modernes, et cela depuis longtemps. Plus encore, donc, que sur l'exploitation, nous devons faire porter l'effort de financement sur l'investissement et tout particulièrement sur la remise à niveau de nos gares de triage. C'est ce qui assurera, au bout du compte, la qualité du service et qui poussera les chargeurs à rester dans le domaine ferroviaire au lieu de se reporter sur la route.
Enfin, et vous me pardonnerez de jeter ce pavé dans la mare, je soulignerai l'importance de quelques grandes infrastructures ferroviaires de fret, comme le terminal de Cherbourg-Mouguerre, dans lequel nous investissons avec Lohr, une entreprise française qui produit des wagons, ou au Lyon-Turin, à propos duquel je n'ouvrirai pas le débat, mais qui est l'une des questions qu'il nous faut traiter. Nous avons besoin de lignes de fret ferroviaire qui assurent une activité économique, notamment pour l'opérateur ferroviaire public.
Hier, votre lointain prédécesseur Jean-Claude Gayssot a plaidé avec beaucoup de force devant notre commission d'enquête pour la liaison Lyon-Turin.
Les infrastructures sont absolument nécessaires pour pouvoir développer rapidement, dans les années à venir, le fret ferroviaire, qui présente deux aspects. D'un côté, les wagons isolés, qui demandent des infrastructures permettant un chargement vertical. De l'autre côté, les autoroutes ferroviaires, qui sont une véritable alternative au transit routier par semi-remorques parcourant de très longues distances, tel que nous le vivons en Alsace et dans la région Grand Est, où ces transits en provenance des ports d'Anvers et de Rotterdam se dirigent vers le sud de la France ou de l'Europe.
En matière d'infrastructures de ces autoroutes, deux cultures coexistent, comme cela a été évoqué hier durant l'audition de M. Jeantet. Le problème qui se pose est celui des gabarits. Le gabarit GP400, dont on parle beaucoup aujourd'hui, nécessiterait des travaux d'infrastructure importants. De fait, d'après les estimations, les investissements nécessaires aux autoroutes ferroviaires européennes auraient un coût de l'ordre de 3,5 à 4 milliards d'euros et la durée de travaux serait de vingt à trente ans, ce qui est contraire à notre volonté d'aller vite.
D'autres solutions efficaces existent, notamment celle de Lohr Industrie, que vous avez citée et qui propose des chargements horizontaux entraînant des coûts moindres, car cette solution ne nécessiterait pas de gros travaux notamment sur les infrastructures, hormis l'aménagement des quais de chargement et de déchargement, qui permettrait d'effectuer rapidement ces opérations.
Pouvez-vous nous éclairer sur votre vision des infrastructures, élément important du développement ferroviaire ?
Permettez-moi d'évoquer enfin, à titre de complément, le coût de la connexion des entreprises au réseau ferré. Ainsi, dans la circonscription dont je suis élu, deux entreprises logistiques importantes – Faure et Machet, bien connue, et Jung Logistique –, situées l'une et l'autre à moins de 100 mètres des rails, se sont vu annoncer par la SNCF un coût de raccordement de 10 millions d'euros, qu'elles ne peuvent pas financer. Il est également arrivé que des entreprises du Nord Alsace voulant financer elles-mêmes la connexion se heurtent à un refus de SNCF Réseaux. Pouvez-vous évoquer en quelques mots ce sujet ?
Dans votre propos introductif, vous avez évoqué la perspective positive d'un accroissement de 9 % à 18 % de la part des marchandises transportées par le train, et avez rappelé fort justement que les opérateurs du fret souhaitent que cela se fasse rapidement – à quoi j'ajouterai que cela doit aussi être décarboné. Comme nous souhaitons également, au groupe Écologiste, que cela aille vite, je vous poserai deux types de questions, l'une en tant que membre de la commission des finances et rapporteure spéciale sur les transports, l'autre pour mettre en relation d'autres modalités de fret.
Ma première question porte sur l'aide à l'exploitation : vous avez annoncé un prolongement des plans de relance de 330 millions d'euros par an à partir de 2025. Pourquoi pas à partir de 2024, puisque le diagnostic est posé, que les besoins sont exprimés et clairement comptabilisés, et que Fret SNCF est parfaitement capable de mener les premiers travaux permettant un trafic plus important sur ces voies ?
Ma deuxième question porte sur les aides à l'investissement, pour lesquelles vous faites état d'un chiffre de 4 milliards d'euros entre 2023 et 2032 : quel en sera le montant entre 2024 et 2027 ? Vous dites en effet qu'il faut que cela aille vite et nous partageons votre diagnostic.
Un autre type de questions concerne la nécessaire coordination entre le fret ferroviaire et le fret fluvial. Comment pensez-vous y parvenir financièrement ? Qu'en sera-t-il du fret fluvial, avec lequel il existe une vraie complémentarité des chargements, en réservant le routier au dernier kilomètre ? Enfin, à quand des assises du fret, y compris sur cette question du dernier kilomètre, et organisées non par les associations, qui se démènent dans ce domaine, mais par votre ministère ?
Les autoroutes ferroviaires sont au cœur de la stratégie d'investissement, avec une contribution financière d'environ 15 millions d'euros chaque année. Cinq sont en activité et d'autres ont été relancées par le Gouvernement de Jean Castex, parmi lesquelles le train des primeurs entre Perpignan et Rungis et le Sète-Valenton. Le Calais-Sète est en cours d'instruction, de même que le Cherbourg-Mouguerre, qui résulte d'un partenariat entre deux belles sociétés françaises, Brittany Ferries et Lohr, et dont nous espérons la mise en service d'ici à la fin de 2024. Nous doublerons ainsi quasiment le nombre de nos terminaux par rapport à 2020.
La question des gabarits est régie par un règlement européen sur les orientations de l'Union pour le développement du réseau transeuropéen de transport (RTE-T). Plusieurs axes sont mis au gabarit P400, dont l'axe atlantique et le Cherbourg-Mouguerre. Cet investissement est en partie pris en charge par l'État.
La question des coûts de connexion est récurrente. Des cofinancements d'État sont possibles dans le cadre des CPER, mais il me paraît sain que, systématiquement, l'entreprise y participe. Il n'en reste pas moins que le soutien de l'État doit être probablement plus important et que, parfois, les coûts sont un peu élevés. Je suis prêt à regarder ce qu'il en est avec SNCF Réseau.
S'agissant de l'augmentation des aides à l'exploitation, je partage le sentiment d'urgence qui vient d'être exprimé. Nous ferons aussi vite que possible mais dans un cadre sécurisé. Je ne voudrais pas que, dans quelques années, nous nous retrouvions pour discuter de leur remboursement ! L'ensemble sera à nouveau notifié, le plus rapidement possible, et nous pourrons alors maintenir et augmenter notre soutien. Ces aides s'élèvent déjà à 300 millions par an. Dès que possible, d'ici à la fin de 2024 et le PLF pour 2025, nous les porterons à 330 millions. Si nous pouvons aller plus vite, bien évidemment nous le ferons.
Les 4 milliards d'euros d'investissement constituent un engagement important pour la décennie, mais 2 milliards environ abonderont d'ores et déjà la génération de CPER 2024-2027 que nous négocions et que nous signerons d'ici à la fin de l'année. La part de l'État dans les mandats CPER notifiés aux préfets par la Première ministre et votre serviteur s'élève à environ 900 millions – nous pourrons aller un peu au-delà en fonction des négociations avec les présidents de région. Comme toujours dans ce cadre-là, l'État investit un peu moins de la moitié de la somme globale et les régions et les autres collectivités, un peu plus. Nous pouvons donc espérer 1,1 milliard de la part des collectivités et, ainsi, atteindre l'objectif de 2 milliards. Les premières discussions avec les régions montrent combien le fret est une priorité commune.
En 2020, nous avons coordonné les stratégies nationales fluviale et du fret car, dans certains cas, des liens multimodaux sont possibles entre Voies navigables de France (VNF) et SNCF Réseau. Le PLF pour 2024 prévoit d'ailleurs un effort important en faveur de l'emploi à VNF. Nous révisons également les dispositifs de CEE. Sans doute est-il possible de mieux faire en matière de multimodalité et de coordination entre les axes fluviaux et ferroviaires. Le Président de la République a récemment réaffirmé que l'axe rhodanien Méditerranée-Rhône-Saône, maritime, fluvial et ferroviaire, était une priorité. D'ici à la fin de l'année, je dois proposer une stratégie multimodale pour y développer le fret décarboné. Nous pouvons encore progresser en matière d'investissements combinés, même si nous n'en sommes guère familiers : le port de Marseille n'a pas de lien avec la Compagnie nationale du Rhône ou les chambres de commerce et d'industrie qui, parfois, réunissent les chargeurs.
Sans parler d'assises du fret, je suis prêt à discuter avec vous de l'application et de l'accélération des stratégies du fret ferroviaire et fluvial, notamment dans le cadre de l'examen du budget.
Vous êtes très optimiste à propos de l'examen du budget : j'espère que vous avez raison et qu'il ne sera pas écourté…
Compte tenu des signaux positifs dans le domaine du fret ferroviaire, de la part de plus en plus grande qu'il prend dans le transport de marchandises et des résultats de Fret SNCF, je m'étonne que la procédure engagée par la Commission européenne arrive maintenant. Cela illustre la limite des traités et des règles européennes qui, en l'occurrence, sont contradictoires avec les actions nécessaires à la décarbonation de notre économie et de nos échanges. La France, avec ses partenaires, aurait dû réfléchir aux moyens d'en changer afin d'atteindre notamment les objectifs de la COP 21. Les aides qui ont été déployées, pour ne pas avoir peut-être été correctement notifiées et validées, n'en étaient pas moins légitimes que celles que vous allez débloquer. C'est ubuesque ! J'invite le Gouvernement à saisir cette question à bras-le-corps.
Disposez-vous d'un document attestant l'accord de la Commission européenne sur la solution de discontinuité ?
Parmi les vingt-trois flux, combien ont-ils trouvé preneurs ? Très peu, me semble-t-il. Avez-vous réalisé une étude d'impact sur le risque environnemental que représenterait le transfert de certains d'entre eux vers la route ? Est-il possible de demander au Gouvernement et à la Commission européenne de maintenir au sein de Fret SNCF les flux qui n'auraient pas trouvé preneurs ?
En cas de liquidation, à qui reviendraient les actifs de Fret SNCF ? Je ne vois pas comment la SNCF pourrait ne pas en hériter. Dès lors, qu'est-ce qui empêcherait de créer une nouvelle entité publique consacrée au fret afin de reprendre tous les flux de Fret SNCF ?
L'État finance-t-il intégralement les 4 milliards prévus dans le cadre des deux générations de CPER ou cet investissement est-il grosso modo partagé par les collectivités ?
Le grand plan de réindustrialisation créera de nouveaux besoins de transports et le fret ferroviaire sera vraisemblablement de plus en plus indispensable. Tel qu'il est élaboré, il prévoit un retour à la situation des années 2000, où la part modale s'élevait à 18 %. Est-il envisageable de poursuivre cet effort d'investissement afin qu'elle atteigne 25 % ou 30 % à plus long terme, y compris dans le cadre de la transition écologique ?
La subvention au train des primeurs, qui est fondamental, sera-t-elle maintenue quel que soit l'opérateur à venir ?
Est-on certain que Fret SNCF serait condamné à rembourser l'aide perçue ? Si oui, à qui ?
La France s'étant engagée à réduire les émissions liées aux transports conformément aux exigences de Bruxelles, pourquoi le Gouvernement n'envisagerait-il pas de demander une clause de sauvegarde spéciale afin d'assurer la pérennité de son marché du fret ferroviaire ?
Dans le plan que vous avez envisagé, Fret SNCF céderait 20 % de son chiffre d'affaires, ce qui entraînerait un transfert de 10 % des effectifs, soit 500 emplois. Une garantie de sauvegarde de l'emploi est-elle prévue ? Les premières victimes éventuelles ne seraient-elles pas les personnels qui ne bénéficient pas du statut spécial de la SNCF ?
La mise en service de routes électriques permettant de recharger les véhicules en roulant est envisagée en Allemagne, en Suède, mais également en France, sur l'A10. À long terme, celles-ci ne constitueront-elles pas une entrave pour le développement du fret ferroviaire ?
En perdant son cœur de métier, la nouvelle structure ne risque-t-elle pas d'être dans le rouge ? Le Gouvernement pourra-t-il aider le nouvel opérateur public ?
Nous n'aurons sans doute pas le même point de vue, M. Sansu et moi, sur la pertinence des règles régissant les aides de l'État mais, comme lui, je pense que le cadre doit évoluer. Une telle évolution s'impose aussi en raison de la transition écologique, qui nécessite des investissements considérables et pas seulement publics. Quoi qu'il en soit, la multimodalité, les frets fluvial et ferroviaire bénéficient et bénéficieront encore davantage du soutien public.
Le cadre européen des aides d'État a d'ailleurs déjà évolué à la suite du plan de relance et au regard des questions liées à la décarbonation. Des aides d'État massives soutiennent la production de batteries électriques et le développement du secteur de l'hydrogène. Grâce à la France et, parfois, de l'Allemagne, les règles régissant les aides ont ainsi été assouplies sur le plan européen. Sur un plan national, il est possible d'aider durablement le fret ferroviaire et c'est ce que nous ferons, mais le cadre public exige que les différents opérateurs de fret ferroviaire le soient. C'est ce que nous faisons depuis au moins 2020 avec les aides à l'exploitation.
L'aide au wagon isolé bénéficie largement à l'opérateur qui les utilise le plus, donc, aujourd'hui, à Fret SNCF, qui restera demain un opérateur ferroviaire public, mais dans des conditions concurrentielles équitables.
Nous devons toutefois répondre au problème auquel nous sommes confrontés, qui n'est pas seulement « moral » mais légal : je dois faire face à un risque vital pour un opérateur. La différence avec ce que nous avons vécu pendant vingt ans, c'est que Fret SNCF est à l'équilibre grâce aux réformes successives, notamment à celle de 2020, et aux efforts de ses agents, qui rendent un service de meilleure qualité, qui se sentent plus soutenus et qui doivent l'être encore davantage.
Nous avons eu avec la Commission européenne des échanges oraux et écrits mais la procédure est encore en cours. Les garanties dont nous disposons doivent permettre de créer une nouvelle organisation – la fameuse discontinuité – qui, je le crois, sera validée, mais la décision de la Commission européenne ne sera formalisée qu'après. Nous devons donc aller vite afin de ne pas vivre avec une épée de Damoclès. Des échanges précis, des garanties et un certain nombre d'accords m'ont permis, le 23 mai, d'assumer ce choix devant les salariés. Je vous communiquerai l'ensemble des documents que vous souhaitez.
S'agissant des vingt-trois flux, le processus a commencé au début du mois d'août, après la procédure devant les instances représentatives du personnel engagée fin mai par la direction de Fret SNCF et du groupe ; le 30 juillet, les clients ont été informés de la probable création d'une nouvelle organisation. La date butoir du 1er janvier 2024 peut, quant à elle, être reportée jusqu'au 30 juin 2024 afin de trouver un maximum de repreneurs. L'essentiel des flux doit être encore attribué mais, au 13 septembre, il est assez normal que ce soit le cas. Avec l'entreprise, je m'engage à vous faire part des attributions au fur et à mesure.
Nous devons nous battre pour trouver le plus grand nombre possible de repreneurs et éviter un report modal. Je le dis clairement, le cadre juridique ne permet pas que Fret SNCF conserve les flux. Nous devons absolument trouver un repreneur dans le domaine ferroviaire – c'est d'ailleurs pourquoi nous renforçons le soutien financier à l'ensemble du secteur.
Nous sommes confrontés à un double risque : l'incertitude et un éventuel remboursement final. Si la Commission européenne et la Cour de justice de l'Union européenne considèrent qu'il faut rembourser une aide d'État de 5 milliards d'euros, c'est l'entreprise qui en a bénéficié qui doit le faire, ce qui, dans le cas qui nous préoccupe, reviendrait à la tuer. Ses actifs seraient rapidement remis sur le marché, avec beaucoup moins de chances de trouver des repreneurs dans le même mode de transport. En l'occurrence, le volume de cessions s'élève à 20 % et le délai est suffisant pour que tout se passe au mieux. Si l'État pouvait se charger du remboursement, le débat serait politique mais tel n'est pas le cas.
L'investissement total dans les CPER s'élève bien à 4 milliards d'euros, dont 2 milliards pour la période 2023-2027. Pour chaque génération, environ 50 % proviennent de l'État et le reste, des collectivités mais aussi de l'Union européenne, quoique, sur ce plan-là, nous ayons des incertitudes sur l'obtention, le montant et le rythme des financements.
Le passage de la part modale de 9 % à 18 % nous ramènerait en effet à la proportion des années 1990, mais c'est un objectif déjà très ambitieux. Si je vous disais que nous serions à 30 % en 2030, vous ne me croiriez pas et vous auriez raison. Si nous parvenons à doubler cette part modale dans la décennie, notre « remontada », notre transformation écologique, seront spectaculaires.
Le fret ferroviaire se développera à proportion de notre développement industriel. Les difficultés de l'Allemagne, dans ce domaine, ont été moindres parce qu'elle a investi plus massivement dans les infrastructures mais, surtout, parce qu'elle s'est moins désindustrialisée. Notre politique de réindustrialisation permettra de soutenir le fret ferroviaire, car des industries plus vertes seront en quête de modes de transport plus verts afin de réduire leur impact carbone.
Je souhaite prolonger cette dynamique au-delà de 2030 mais, s'il faut être ambitieux, il faut être également modestes en veillant d'abord à atteindre l'objectif de 18 % à 20 % en 2030. En pérennisant les aides à l'exploitation jusqu'à cette date et en investissant jusqu'en 2032, nous disposerons de la visibilité qui s'impose.
L'État est garant de la circulation du Perpignan-Rungis, quel que sera l'opérateur, à travers la subvention et la manifestation d'intérêt.
Le cas échéant, c'est l'État qui bénéficierait du remboursement de l'aide. Il ne lui appartient pas de négocier ou de se dispenser de la recouvrer. Si, à la fin de la procédure, les 5,3 milliards d'euros sont intégralement considérés comme une aide d'État, l'entreprise bénéficiaire devra les lui rembourser. Là est le risque mortel pour Fret SNCF.
L'État, oui, peut aider le fret ferroviaire et le considérer, d'une manière spéciale ou dérogatoire, comme un secteur un peu « hors marché » mais dans un cadre qui doit être respecté. Bruxelles n'interdit pas le soutien public au fret ferroviaire. Sans subventions, ce secteur ne survivrait d'ailleurs pas. Nous continuerons donc à le soutenir pour l'encourager, pour investir et pour favoriser la transition écologique.
Je me suis engagé devant les salariés, les syndicats et la direction de l'entreprise à ce que 100 % des effectifs soient préservés. Il faut donc faire en sorte que les personnels soient le moins nombreux possible à quitter l'opérateur actuel, ce que nous avons garanti pour 90 % d'entre eux. Si les 10 % restants ne souhaitent pas rejoindre un autre opérateur ferroviaire qui reprendrait une partie des activités, j'ai demandé à la SNCF de garantir qu'ils puissent rester dans le groupe et exercer un autre métier du ferroviaire public. Après la réorganisation, j'espère que l'ensemble du secteur du fret ferroviaire se développera, dont le nouvel opérateur public, ce qui supposera de procéder à des recrutements. J'ai demandé de faire en sorte que les salariés qui souhaiteraient revenir soient prioritaires pour réintégrer l'activité de fret. Enfin, j'ai demandé que les 10 % de personnels contractuels bénéficient des mêmes garanties d'emploi que les 90 % de personnels statutaires.
Fret SNCF ne perdra pas son cœur de métier. Une partie de son activité sera cédée mais la gestion capacitaire demeurera et, comme je l'ai expliqué, sera viable. L'opérateur restera public, avec un capital public majoritaire.
La transition écologique ne passe pas seulement par le report modal mais, aussi, par la décarbonation de l'ensemble des transports, dont la route et l'aviation. Tant mieux si le fret routier – qui demeurera important et restera en partie complémentaire du fret ferroviaire – se décarbone avec les routes électriques et l'électrification des camions. Même en atteignant une part modale ferroviaire de 18 % en 2030, la plus grande partie du fret se fera par d'autres modes de transport, dont la route, et nous avons donc tout intérêt à décarboner. Les expérimentations sur l'A10 ou les efforts que nous ferons pour électrifier les flottes de camions ne sont pas contradictoires avec ceux que nous faisons en faveur du fret ferroviaire. Les deux sont nécessaires, de même que nous investissons dans le secteur ferroviaire et que nous décarbonons l'aviation. Le report modal est un levier, tout autant que la décarbonation des transports polluants. Leurs utilisations diffèrent d'ailleurs selon la géographie et les industries.
Le secteur du fret ferroviaire a en effet connu de grandes difficultés dès les années 2000 et même avant. Notre commission d'enquête porte sur la libéralisation du fret ferroviaire, qui est intervenue dans un contexte de libéralisation beaucoup plus vaste avec celle du secteur routier, laquelle l'a précédée dans les années 1985-1990 et a entraîné le dumping social que l'on sait, qui explique également en grande partie les difficultés que nous connaissons.
Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous considérez que la transformation de l'EPIC en société anonyme a été totalement neutre. Se fondant sur l'ancienne Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), la Commission européenne indique que cette transformation a porté sur les fonts baptismaux une entreprise non viable, au sens libéral, ce qui n'a pas manqué de la faire passer sous le couperet de la réglementation concernant les aides publiques – je vous renvoie au point 106 du 5.2.2.2. de la lettre de la Commission. Vous assurez que la réforme de 2018 est justifiée par les bons résultats et le redressement – léger – du trafic, mais elle est aussi sanctionnée par le plan de discontinuité qui porte atteinte à ses moyens.
Sur un plan social, nous n'avons eu aucune réponse concernant les risques d'une perte d'attractivité de certaines fonctions, dont celle de conducteur, alors que l'enjeu est considérable. Le maintien d'un opérateur public solide est problématique puisqu'après la réforme de 2018, un adossement des capacités d'emprunt sur celles de l'État n'est plus possible. Cet opérateur est de surcroît de moins en moins public puisqu'il est ouvert à l'investissement privé, fût-il minoritaire. Sa viabilité, qui reste à démontrer, repose sur un pari.
Enfin, nous n'avons pas de garantie quant au risque de report modal intégral des vingt-trois flux et , a fortiori, de nouveaux flux.
D'une part, il y a l'investissement avisé, d'autre part, l'aide publique dans un secteur soumis à la concurrence. Cela explique la procédure que l'on vient d'évoquer, laquelle n'est pas liée à la transformation de l'EPIC en SA.
Le fret est un enjeu essentiel pour la transition écologique et il est scandaleux que la part modale du fret ferroviaire soit de 9 % en France alors que la moyenne européenne est de 18 %.
Nous sommes tous d'accord pour sauver ce secteur mais je ne suis pas convaincu par la solution que vous présentez. La désobéissance aux traités, en l'occurrence, me paraît légitime. Je ne vois pas comment nous pourrions réussir la transition écologique sans sortir du dogme de la concurrence libre et non faussée, notamment dans ce secteur.
À ce jour, la Commission européenne n'a pas validé officiellement le plan du Gouvernement. Que cherche-t-elle dans la négociation en cours ? Les aides publiques sont possibles et l'Union européenne souhaite que nous procédions à la transition écologique. Pourquoi la Commission européenne fait-elle planer la menace de cette amende ? Pour affaiblir notre opérateur public ?
Quelles autres entreprises de fret seront à même de reprendre les 30 % de flux ? Selon mes informations, elles ne pourront pas les absorber. Sur quoi vous fondez-vous pour assurer que ce sera le cas et que nous n'assisterons pas à un report modal sur la route ?
De plus, la commissaire européenne Margrethe Vestager se positionne pour prendre la tête de la Banque européenne d'investissement : nous pourrions « jouer la montre » en attendant son remplacement.
Enfin, dans l'hypothèse d'un remboursement des 5 milliards à l'État, pourquoi celui-ci ne pourrait-il pas proposer ensuite à la SNCF de reprendre l'ensemble de l'activité ?
La question climatique mérite mieux que ce jeu de dupes avec la Commission européenne, censée s'asseoir sur les 5 milliards dès lors que vous auriez accepté un saucissonnage. C'est incompréhensible !
Ce n'est pas la libéralisation qui met en péril la viabilité d'une entreprise qui, en l'occurrence, connaissait déjà de grandes difficultés avant 2006. On ne peut pas à la fois s'opposer à l'ouverture à la concurrence et contester l'existence d'aides publiques, ou reprocher à l'État d'avoir libéralisé le secteur et de l'avoir aidé et de continuer à le faire. Nous ne nous sommes pas engagés dans une démarche ultralibérale : tous les gouvernements ont aidé ce secteur et, en particulier, un opérateur. Nous n'avons jamais abandonné Fret SNCF.
Je ne suis pas un fanatique de la concurrence systématique et débridée, surtout dans un secteur qui a besoin d'aides et de régulations publiques. S'il avait suffi de ne pas l'avoir ouvert à la concurrence pour que Fret SNCF ou tout autre opérateur public se porte bien, cela se saurait. Les pays européens dont la part modale ferroviaire est supérieure à la nôtre ont tous un système de fret plus libéral que le nôtre depuis plus longtemps. Tous les problèmes ne sont donc pas là. Si tel était le cas, nous reviendrions à la situation du début des années 2000 – mais la catastrophe était déjà là – ou nous « désobéirions ». Travaillons à des investissements soutenables, dans tous les sens du terme ! Les aides doivent se concentrer sur l'exploitation – un peu – et sur l'investissement – beaucoup.
Quelles sont les garanties à propos des repreneurs ? Nous avons commencé à la fin du mois de juillet et je vous dirai régulièrement ce qu'il en sera, de même que vous pourrez interroger les dirigeants de l'entreprise. Pour autant, si Fret SNCF continuait à vivre sa vie sans l'épée de Damoclès de la procédure, quelle garantie aurait-il que ses parts de marché demeureront chaque année ? Ses clients ne sont pas captifs ! Il convient de combattre le report modal inversé et de se battre pour conquérir des parts de marché et accroître l'attractivité de l'entreprise.
Je ne crois pas que la Commission européenne ait un plan caché anti-fret ferroviaire. Les règles de la concurrence existent. Elles n'empêchent pas les aides mais elles les cadrent et ont d'ailleurs été assouplies, ce qui nous permet de proposer un plan massif de soutien à l'investissement et à l'exploitation.
Je ne jouerai pas la montre, pas plus que je ne privilégierai la confrontation, car la situation est trop grave. Nous sommes face à une question d'efficacité et de protection écologique et sociale, de surcroît douloureuse pour les salariés. La meilleure réponse est une solution rapide visant à lever le risque. Les garanties qui sont sur la table sont sérieuses et solides, même si des efforts doivent être faits. Il serait certes plus facile de ne rien faire mais si tel était le cas, dans deux ou trois ans, vous m'accuseriez à juste titre d'avoir tué Fret SNCF. Je ne serai pas ce ministre : je serai celui qui a affronté une difficulté en investissant dans le fret ferroviaire et en apportant des garanties aux salariés du groupe, qui le méritent.
La commission procède à l'audition de Mme Anne-Marie Idrac, ancienne ministre, ancienne présidente de la SNCF.
Nous entendons maintenant Mme Anne-Marie Idrac. Votre itinéraire dans la vie politique, madame Idrac, a la particularité de s'être inscrit durablement dans le secteur des transports, dont vous êtes une experte reconnue.
Vous avez été secrétaire d'État aux transports entre 1995 et 1997 ; or c'est la réforme de février 1997 qui a en particulier créé Réseau ferré de France (RFF), à une époque où le déclin de la part modale du fret ferroviaire était engagé depuis des décennies déjà, et où la question du déficit du fret se posait pour la SNCF.
Vous avez ensuite été présidente du groupe public ferroviaire entre 2006 et 2008, peu après l'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, effective en 2005. Nous vous interrogerons sur les conséquences d'un énième plan de redressement du fret, le plan Marembaud : comment avez-vous essayé de mobiliser vos équipes pour redynamiser le fret ferroviaire ? Du côté de SNCF Réseau, comment avez-vous fait pour trouver des sillons de qualité ?
Enfin, vous êtes aujourd'hui présidente de France Logistique ; à ce titre, vous vous intéressez à la décarbonation des transports et à l'organisation des chaînes logistiques. Vous avez plaidé pour un meilleur équipement ferroviaire des ports, selon vous une des conditions sine qua non de la décarbonation des mobilités et de la dynamisation du fret ferroviaire. Quel regard portez-vous sur la situation actuelle de celui-ci et sur sa capacité à accroître sa part modale ?
Enfin, que pensez-vous de la « solution de discontinuité » retenue par le Gouvernement face à la menace d'une condamnation de Fret SNCF en raison d'aides publiques soupçonnées d'être illégales par la Commission européenne ?
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Anne-Marie Idrac prête serment.)
Je commencerai par apporter mon témoignage. Lorsque j'étais secrétaire d'État aux transports, l'essentiel de mon action a consisté à opérer le premier désendettement de la SNCF, ce qui, compte tenu de la situation financière du pays, est passé par la création de RFF. Cette réforme a été confortée par mon successeur, Jean-Claude Gayssot. On parlait alors des trains express régionaux (TER), puisque cette réforme a engagé leur décentralisation, par la suite étendue, mais il n'était pas question de fret. Je n'ai donc rien à dire à ce sujet.
Quand je suis arrivée à la SNCF, les concurrents – je préfère parler des concurrents plutôt que de la concurrence – venaient d'arriver. Dans mes souvenirs, assez lointains, j'avais alors trois préoccupations. Dans l'ordre : la qualité du service, qui était vraiment très médiocre, ce qui m'obligeait à m'excuser auprès de grands chargeurs, céréaliers, sidérurgistes ou industriels du secteur agroalimentaire ; le problème économique et financier, au même titre que mes prédécesseurs et mes successeurs ; les concurrents.
Je crois me rappeler que l'arrivée de ceux-ci était plutôt, au départ, un défi stimulant, une question de fierté pour nous tous, cheminots de la SNCF. Avec le directeur du fret que j'avais nommé – le fret n'était même pas une branche –, Olivier Marembaud, nous avons construit un plan que nous avions appelé « haut débit ferroviaire » et un plan commercial et industriel que nous avions appelé « haut débit commercial », mis en place assez rapidement, avec l'accord du conseil d'administration et des instances sociales. Nous avions commencé à obtenir des résultats plutôt encourageants quand sont arrivés deux événements : la grève qui a eu lieu à la fin de l'année 2007 et le début de la crise économique en 2008.
Par la suite, tous les dirigeants de la SNCF, et tous les cheminots, ont continué de viser les mêmes objectifs – dans la difficulté, et sans toujours réussir, certes : qualité de service, compétitivité par rapport à la route, rétablissement économique et financier. Nous avons agi en investisseur avisé, de bonne foi, avec l'accord des gouvernements successifs, au fil des transformations de la SNCF en établissement public industriel et commercial (EPIC), puis à nouveau en société anonyme. Interrogez les opérationnels de la SNCF : quelle que soit la structure, il y a eu des aides, des restructurations… Nous avons tous essayé d'améliorer la situation.
Je comprends donc le sentiment d'injustice que peuvent ressentir les cheminots, et même les gouvernements précédents. Nous avons tous essayé la même chose. Je ne sais rien de particulier de la procédure européenne, mais je crois comprendre que le sujet n'est pas politique, mais juridique, et que la Commission est dans son rôle en examinant des flux financiers qu'elle estime avoir indûment favorisé l'activité de fret de la SNCF. Je vous livre mon impression personnelle – ce n'est que cela, car je ne suis pas dans le secret des discussions : les règles et les calendriers sont tels que si rien n'est fait, et si Fret SNCF doit rembourser les sommes dont il est question, on peut aller à la catastrophe. Du point de vue écologique, social et économique, ce serait épouvantable. Le Gouvernement doit donc choisir le moindre mal, et son attitude me paraît responsable : regarder passer les trains, si vous me permettez l'expression, est souvent plus facile.
Il me semble aussi que les conditions sont réunies pour que l'on puisse croire aux plans envisagés.
Voilà pour mon témoignage. J'en viens à l'évolution de la demande de transport de marchandises. Si je choisis de me concentrer sur la demande, c'est parce qu'il s'agit d'une activité qui peut être subventionnée, mais qui est avant tout une activité de marché, dans laquelle les clients sont des entreprises.
La plupart des évolutions que nous connaissons depuis une trentaine d'années ne sont pas favorables au fret ferroviaire.
Il y a d'abord la désindustrialisation. La comparaison de la part de l'industrie dans le PIB et de la part du ferroviaire dans le fret en France et en Allemagne est frappante : cela va du simple au double dans les deux cas. Pensez à l'importance du charbon en Allemagne : ce n'est pas ce que l'on préfère du point de vue écologique, mais cela fait partie des masses en question.
Il y a ensuite les évolutions qualitatives de la demande. Le fret ferroviaire est une solution pertinente pour des centaines de tonnes et, le plus souvent, des centaines de kilomètres. Or nous assistons à un mouvement général de démassification, avec le « juste à temps » dans les usines, avec la diversification des gammes industrielles, automobiles par exemple, avec les réassorts permanents. L'e-commerce accentue cette évolution. Or, en tant que présidente de France Logistique, l'une des choses que je préconise pour aller vers le verdissement – notre objectif à tous, avec la compétitivité du pays – est la massification.
Ces mouvements vont de pair avec des exigences de qualité de service très accrues en matière de fiabilité – je ne reviens pas sur les grèves, mais les chargeurs en parlent tout le temps –, notamment de ponctualité. Or notre transport ferroviaire est complexe : les ruptures de charge sont nombreuses, l'intermodalité est fréquente pour faire du transport de bout en bout. Ces facteurs techniques objectifs font que la fiabilité n'est pas ce que nous avons de plus fort.
Il faut encore compter avec la compétitivité des camions. Ceux-ci constituent, soyons clairs, la référence pour les clients, car ils correspondent mieux à leurs attentes en matière de flexibilité, de facilité : ils transportent toutes les tailles sur toutes les distances. Je suis frappée par l'importance du transport routier de marchandises sous pavillon étranger, spécifiquement pour les flux qui intéressent le ferroviaire, c'est-à-dire de longues distances qui s'étendent sur plusieurs pays. Or, tant en raison des taxes, en particulier sur le gazole, que du dumping social – même si ce point s'est amélioré depuis le paquet « mobilité » –, les transporteurs routiers français ne sont pas en bonne position – c'est l'un des sujets de la stratégie logistique française adoptée par le Gouvernement.
Enfin, s'agissant des ports, j'espère que l'infrastructure Haropa – Le Havre, Rouen, Paris – améliorera la situation ; je note aussi des initiatives à Marseille et sur le Rhône. Mais à l'heure actuelle, c'est désolant. À Hambourg la part de ce qui entre et de ce qui sort qui est acheminé par des transports lourds – ferroviaires ou fluviaux – est de l'ordre de 35 % à 40 % ; en France, hormis à Dunkerque, on est plutôt à 5 % ou 10 %. Ce qui peut être fait à Marseille me paraît donc très important.
Voilà pour l'historique long. Je constate, néanmoins, depuis quatre ou cinq ans, un changement : le développement durable a surgi ; cette question imprègne désormais beaucoup les discours et même un peu les faits. Les entreprises clientes font face à une demande de leurs consommateurs et de leurs salariés. En outre, pour celles de plus de 250 salariés, les obligations de reporting de l'Union européenne constituent un élément très important : il faut montrer comment on décarbone son entreprise ; les modes de transport que l'on utilise font partie du « scope 3 ».
On ne sait pas ce que la réindustrialisation verte va donner pour le secteur de la logistique. Il y aura sans doute davantage de flux sur notre territoire, puisque l'on espère qu'il y aura davantage d'usines. Ces flux seront différents : dans une économie circulaire, pour l'acier par exemple, il s'agit davantage de récupérer de la ferraille un peu partout pour la recycler que de l'importer d'Asie. J'ai l'impression que ces évolutions vont plutôt dans le sens du développement de la logistique. Cela peut représenter de nouvelles chances pour le fret ferroviaire, puisqu'il y aura beaucoup de grosses choses à transporter : éoliennes, éléments de grandes usines ou de centrales nucléaires…
Si je suis plutôt optimiste, c'est aussi parce que les différents acteurs se sont mobilisés. Vous connaissez ce qui, dans les plans de relance, concerne les infrastructures de fret. Il me semble particulièrement intéressant que les contrats de plan État-région (CPER) comportent un volet relatif au fret : non seulement cela manifeste l'intérêt de l'État, mais cela mettra les régions dans le coup, y compris sur la question des sillons. Le plan du Gouvernement, avec l'inscription dans la durée des aides à la pince, la prise en charge d'une partie des péages et les aides au wagon isolé, est sécurisant pour les chargeurs, ce qui est essentiel : une organisation logistique ne se change pas en quelques minutes ! Il faut donner des arguments pour convaincre les entreprises de choisir le fret ferroviaire, qui est plus cher mais essentiel au développement durable.
Dans une logique de planification écologique, il faudrait à mon sens établir un schéma à dix ans des plateformes logistiques. Les opérateurs privés devraient pouvoir y participer. Dans le passé, j'ai vu des éléphants blancs, c'est-à-dire des équipements construits avec de l'argent public mais dans des endroits qui n'étaient pas pertinents, pas économiquement viables.
Les acteurs, disais-je, sont mobilisés. Vous rencontrerez probablement l'alliance 4F – Fret ferroviaire français du futur – dont France Logistique a soutenu les demandes. Les dirigeants de la SNCF réalisent un travail remarquable. Tous les acteurs de la logistique s'y mettent. Ainsi, l'Union des entreprises transport et logistique de France (TLF), organisation professionnelle privée, édite un guide de la logistique ferroviaire. Différents acteurs du transport routier s'intéressent au transport combiné, y compris par des acquisitions. L'Agence de la transition écologique (ADEME) propose différents programmes, notamment FRET21, même si celui-ci n'est pas directement ferroviaire.
Nos ambitions sont fortes, puisqu'il s'agit de doubler le fret ferroviaire. Il n'est d'ailleurs pas évident que les Allemands réussiront mieux que nous !
Le problème, ce sont les sillons. Honnêtement, SNCF Réseau fait beaucoup d'efforts : la qualité et l'attribution des sillons s'améliorent, comme la rapidité de réponse. Mais les trains de fret ne sont pas prioritaires – il est normal que la priorité soit donnée aux trains de passagers et aux travaux. Faire des travaux la nuit, c'est très bon pour les passagers, mais c'est très mauvais pour le fret ! De la même façon, développer les TER, c'est formidable – ce n'est pas moi, qui ai entamé la décentralisation des TER, qui dirai le contraire – mais ce n'est pas bon pour le fret, puisque le réseau est davantage occupé. Il en va de même pour le Transilien, en Île-de-France, ou pour les SER – services express régionaux – métropolitains. Tout cela fait un peu peur : que vont devenir les sillons de fret ? Les arbitrages sont très délicats. C'est le rôle de SNCF Réseau, sous le contrôle de l'Autorité de régulation des transports (ART), et des élus. Des conférences de coordination vont se réunir pour prendre ces décisions ; en général, à la question de savoir s'il vaut mieux faire passer des trains de voyageurs, les autorités organisatrices répondent oui. Quelle place sera laissée au fret ? Celui-ci, soit dit en passant, rapporte moins d'argent à SNCF Réseau, même si la question est désormais principalement écologique.
J'ai confiance dans cette activité. Il faudra trouver des équilibres économiques pour en assurer la pérennité, ce qui ne veut pas dire que nous devrons être dans le pur marché – cela fait des décennies que nous n'y sommes pas. Il faudra une certaine sobriété dans l'usage des aides publiques, et celles-ci devront être conformes aux règles de l'Union européenne. L'action en faveur de l'écologie, à laquelle nous sommes tous attachés, devra compenser l'évolution vers la démassification.
Comme Patrick Jeantet, vous avez insisté sur un changement du regard porté depuis quatre ou cinq ans sur le fret ferroviaire. En relisant les débats sur le fret ferroviaire d'il y a vingt-cinq ans, on est frappé de voir l'absence de l'enjeu écologique, alors que nombre d'entreprises se posent aujourd'hui ces questions. Vous avez aussi insisté sur l'unité des différents acteurs de la chaîne logistique, qui est un petit miracle. Vous avez enfin noté l'importance du rôle des régions et la visibilité donnée par l'État en ce qui concerne les aides, puisque celles-ci ont été prolongées jusqu'à 2030.
Nous avons entendu plusieurs personnes exprimer le sentiment que le fret avait longtemps peu mobilisé au sein du groupe public ferroviaire. Quel est votre sentiment sur ce point ?
Hier, M. Rol-Tanguy a insisté sur l'insuffisante prise en considération de la dimension européenne dans les stratégies successives du développement du fret ferroviaire en France ; l'enfermement de Fret SNCF dans un fonctionnement franco-français expliquerait, selon lui, une grande partie du déclin de la part modale. Pouvez-vous revenir sur ce point ?
Lorsque j'étais présidente de la SNCF, le fret était le principal souci, nous étions donc très mobilisés. Plus profondément, la question de l'affectation et de la spécialisation des personnels et des matériels se posait. Ce n'était pas le cas à mon époque, mais il est possible que dans le passé le fret n'ait pas été la meilleure roue du carrosse.
Quant à la dimension européenne, M. Rol-Tanguy a raison. Nous devrions profiter davantage du transport international – par parenthèse, ne pas s'activer pour faire advenir le Lyon-Turin, dans cette période écologique, me paraît bizarre. Il est possible que nous ne nous soyons pas suffisamment mobilisés sur ces corridors. Sur le plan économique non plus, la dimension européenne n'a pas été suffisamment prise en compte. Nous sommes au centre de l'Europe, et donc un pays de transit ; or il faut bien constater l'importance des transporteurs routiers étrangers. Mon action comportait une dimension européenne ; nous étions même allés voir la Deutsche Bahn pour imaginer des coopérations.
Vous avez évoqué une période que vous qualifieriez sans doute comme étant la plus délicate pour le fret ferroviaire, à savoir les années 2000-2010, au cours de laquelle vous avez présidé la SNCF. Elle fut marquée par deux plans de restructuration : les plans Véron et Marembaud. Avez-vous pu tirer les conclusions de l'échec du plan Véron ? Il m'a été rapporté qu'au sein du conseil d'administration de la SNCF, en 2006, avait été installé un groupe de travail chargé d'analyser le plan Véron. Confirmez-vous l'existence de ce groupe de travail et que pensez-vous de l'étude qu'il a menée ?
Le plan Marembaud s'inscrit dans la trajectoire du plan Véron, notamment sur le plan commercial puisque plusieurs prestations propres au wagon isolé sont progressivement abandonnées. Quelles leçons tirez-vous de l'échec de ce plan, à la veille de la crise de 2008 et 2009 ?
Selon vous, la situation du fret ferroviaire se présenterait différemment aujourd'hui et les plans de relance pourraient s'avérer plus efficaces. La demande aurait évolué qualitativement, ce qui pourrait plaider pour un retour en force du fret ferroviaire. Cela étant, au regard des causes que vous évoquiez pour expliquer la séquence de 2010, ne nous retrouvons-nous pas, d'une certaine manière, dans la même situation, aujourd'hui, alors que nous devons relever le défi de doubler le fret ferroviaire à une échéance de cinq ans ? Quelle que soit l'appréciation que l'on porte sur la réindustrialisation, ce sera difficile ! Le modèle de l'économie circulaire ne penche pas en faveur de la massification des transports longs. La démassification peut être perçue comme un handicap sauf pour ce qui concerne les wagons isolés. La concurrence du camion reste féroce. Confirmez-vous que la différence de coût entre la route et le fret, par tonne de marchandise transportée et par kilomètre parcouru, est d'environ 4,50 euros – 9,50 euros pour la route et 14 euros pour le fret ferroviaire ? Vous évoquiez la perspective des ports, rappelant que dans les années 2010 leur situation était désolante. Le port du Havre culmine toujours à 5 % de trafic par voie ferroviaire. Bref, si la demande semble plus favorable au fret ferroviaire, la concurrence de la route, l'organisation systémique des transports, une certaine inertie des ports et la difficulté à réindustrialiser notre pays à court terme ne sont-ils pas autant d'obstacles au respect des engagements pour 2030 ?
J'avais oublié l'existence de ce groupe de travail mais c'est vrai, il s'est tenu. Je ne serais pas capable de vous donner ses conclusions mais on doit pouvoir les retrouver. À l'époque, j'étais confrontée à la colère des chargeurs et je parcourais la France pour essayer de les calmer. Cela en a étonné plus d'un, qui n'avaient pas l'habitude de voir un président de la SNCF quitter son bureau pour aller à la rencontre des clients.
En revanche, je ne me souviens pas que le plan Idrac-Marembaud ait décidé de la fin des wagons isolés. Nous avons tout simplement cessé de faire semblant d'utiliser des gares qui faisaient semblant d'être ouvertes afin de rationaliser le réseau de gares.
Vous parlez du retour en force du fret ferroviaire. N'exagérons rien ! Parlons plutôt de tendances nouvelles, bloquées par le manque de sillons. Personne de raisonnable ne mettra sa tête à couper que nous doublerons le trafic de fret ferroviaire dans les cinq prochaines années. Mais les conditions sont réunies pour que la situation s'améliore.
L'économie circulaire suscite beaucoup de questions. C'est vrai, elle favorise plutôt le wagon isolé mais nous n'en sommes qu'aux prémices. Attendons car, pour le moment, il ressort des échanges que j'ai pu avoir avec des sociétés sidérurgiques ou de grands céréaliers que tout le monde tâtonne.
Pour ce qui est de la différence de coûts, je préfère ne pas m'engager sur des moyennes car ce n'est pas ce qui préoccupe le chargeur. Il s'intéresse plutôt au temps qu'il faudra pour faire un trajet, au délai d'attente avant de voir arriver le train ou le camion, etc.
Les concurrents routiers sont compétitifs même si leurs tarifs risquent d'augmenter pour deux raisons. La première est la pénurie de chauffeurs à l'échelle européenne, d'autant plus que nous subissons moins la concurrence des chauffeurs des pays de l'Est grâce aux mesures antidumping. La deuxième est la transition écologique des camions, qui sera longue et onéreuse. Pour vous donner une idée, le Parlement a adopté depuis une dizaine d'années une série de dispositifs d'aide et d'incitation à la décarbonation des voitures, pour 1 ou 1,3 milliard d'euros. Depuis deux ou trois ans, les mesures que le Parlement vote pour verdir les camions se chiffrent en dizaines de millions. C'est une énorme affaire – 50 000 immatriculations par an pour les camions, 500 camions électriques produits et livrés en France l'an dernier. Il y a de la marge ! Sans compter le problème des bornes de recharge pour les camions électriques. Les dépôts ne comptent pratiquement pas d'installation pour les recharger.
Personne n'imagine que le fret ferroviaire pourra se passer d'aides. Les nouveaux opérateurs en auront besoin aussi, en toute transparence et dans le respect de la réglementation européenne.
Pour que l'étude comparative soit la meilleure possible, il conviendrait de distinguer selon que les trajets dépassent ou non les 400 kilomètres. Le fret est plus compétitif sur les longues distances.
Quant au wagon isolé, on ne peut pas parler de liquidation dès lors que 90 % des salariés ont été maintenus, ainsi que 70 % du trafic et 80 % du chiffre d'affaires.
Vous faites bien de me rappeler ces chiffres. C'est le cœur de métier de la SNCF. C'est comme la gestion capacitaire. C'est ce pour quoi il faut maintenir un réseau et une tradition de service public.
Avant de vous poser une question, je tiens à vous rassurer : les services express régionaux métropolitains ne concurrenceront pas le fret ferroviaire et nous ferons tout pour favoriser leur complémentarité. Là où le fret ferroviaire s'avère particulièrement pertinent, c'est sur la longue distance. Pour les courtes distances, il sera impossible de proposer une solution plus souple que celle du transport routier décarboné.
Dans quelle mesure l'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire a-t-elle participé à la baisse de sa part modale ?
J'ai bien compris que les services express régionaux métropolitains ne chercheraient pas à concurrencer le fret ferroviaire mais, de facto, un problème pourrait se poser du fait du manque de sillons.
Je ne saurais vous dire si la concurrence intramodale a joué un rôle quelconque. Je ne pense pas, cependant, qu'elle ait eu des effets négatifs. Lorsque j'étais à la tête de la SNCF, il y avait une certaine fierté à se dire qu'on n'allait pas se faire avoir. Il y a eu une sorte de sursaut. Puis, les choses se sont tassées, le groupe a été réorganisé, nous avons dû faire face à des grèves, mais je ne pense pas que cette concurrence ait eu des conséquences pour le fret. Au contraire, elle aura plutôt stimulé la recherche d'une relation plus moderne, plus commerciale, avec les clients. Vous aurez remarqué que j'ai tenu, comme je le faisais lorsque je présidais la SNCF, à ne pas parler de la concurrence. Ce n'est pas un sujet idéologique. J'ai toujours préféré m'intéresser aux concurrents et à la manière de les battre. Finalement, je crois que cette ouverture à la concurrence fut moins bénéfique que n'a voulu le faire croire la Commission européenne, ce qu'attestent les chiffres, mais elle n'aura sans doute pas vraiment influencé la demande ni porté préjudice au modèle ferroviaire par rapport à la route. En dehors d'un ou deux opérateurs, on ne peut pas dire qu'ils gagnent bien leur vie. Et le bilan en Allemagne n'est pas génial non plus. Je reste assez neutre par rapport à cette question. Elle est sans doute importante politiquement, mais je ne fais plus de politique.
C'est une neutralité qui a son prix puisque vous avez connu une situation au Gouvernement où il n'y avait pas de concurrence intramodale sur le fret puis, en tant que présidente du groupe, une situation où il y en avait.
J'étais cheminot avant d'être député et j'ai du mal à entendre que les grèves pourraient avoir causé la chute du fret ferroviaire. Ce ne sont pas les cheminots qui sont responsables de l'insuffisance des investissements, de la vétusté du matériel, du manque de personnel, de la fermeture des gares de triage ! Ces propos me mettent en colère.
Vous avez dit que vous aviez fermé des « gares fantômes » parce que plus aucun train ne s'y arrêtait. En effet, en 2007, 262 gares de transport de marchandises ont été fermées. Et la SNCF a déclaré dans un communiqué de presse, en 2010, qu'elle abandonnait le wagon isolé. Plutôt que de fermer ces gares en 2007, n'aurait-il pas mieux valu engager une politique offensive pour les redynamiser ?
S'agissant de l'intermodalité, la France compte dix-neuf marchés d'intérêt national, sept ports de commerce : ne faudrait-il pas mener une grande politique publique pour relier notre réseau ferré à ces infrastructures ?
Enfin, c'est vrai, les mentalités ont évolué et les chargeurs sont de plus en plus nombreux à vouloir recourir au transport ferroviaire. Malheureusement, le fret subit une concurrence déloyale de la part de la route. Les coûts externes ne sont ainsi jamais pris en compte. Les transporteurs routiers ne paient pas les infrastructures, en dehors du péage. Et je ne parle pas des plateformes qui ne sont pas reliées au réseau. Pourquoi ne pas contraindre les nouvelles plateformes qui se construisent à proximité de villes à être reliées au réseau ferré, et prendre des mesures pour que celles déjà implantées y soient reliées ?
Les grèves font partie des raisons qu'évoquent les chargeurs pour expliquer leurs doutes quant à la fiabilité du fret. Mais j'ai bien noté votre remarque, qui ne m'étonne pas.
Les gares fantômes ont été fermées précisément en raison de leur caractère fantomatique. Ce qui m'intéressait était de remplir les trains. Je n'allais pas conserver des gares dans lesquelles il n'y avait plus aucune activité.
Pour ce qui est du maillage des infrastructures, il faut le faire dans les lieux où l'on peut massifier. J'ai parlé des ports – trente ans d'échec. Le trafic qui arrive dans les ports est massifié nativement ! La situation est délicate pour les marchés d'intérêt national. Certains sont en grande difficulté, comme celui de Perpignan. D'autres, proches des villes, souffrent du manque de place dans les sillons. Sans parler de la tiédeur à faire passer de nouvelles lignes. Cela étant, vous avez raison, le maillage doit se faire là où il y a de la massification.
Quant à obliger les plateformes à se relier, je ne suis pas convaincue. Voyons les choses différemment : les plateformes doivent être attractives. Elles ne le seront que si elles sont reliées. J'imagine mal comment établir ce type de contrainte en France mais nous pourrions obtenir le même résultat par l'incitation. Les plateformes viables, à l'avenir, seront celles qui seront bien reliées au mode lourd, y compris le fluvial, pour lequel le problème des sillons ne se pose pas. Ces propositions vont dans le bon sens : pas de plateformes fantômes mais des plateformes qui accueillent de nombreux trains de marchandises.
La question relève du droit de l'urbanisme. En Allemagne, les plateformes, au-delà d'une certaine taille, doivent être connectées au fer ou à la route.
D'une manière plus générale, nous aurions besoin d'une réflexion urbanistique approfondie sur les moyens logistiques, en particulier dans le cadre de la politique du zéro artificialisation nette des sols. Par exemple, peu de gens se sont penchés sur l'avenir de ces espèces de ports secs que sont ou devraient être les zones d'entreposage. Les plateformes, quoi qu'on en dise, sont des zones d'entreposage. Sans entrepôt, le fret n'est pas possible. Je salue le travail de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine qui a publié, sous la présidence d'Olivier Klein, une étude sur ces équipements logistiques incluant les plateformes.
Vous avez dit que l'arrivée de la concurrence avait été stimulante et avait provoqué un sursaut. Or, en 2008, 15 % du trafic était passé à la concurrence – ce sera 30 % en 2012. De surcroît, selon la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, publiée en 2021, cette ouverture à la concurrence aurait introduit des concurrents au comportement « non coopératif », se concentrant sur les flux massifiés déjà réalisés par Fret SNCF. Entre 2006 et 2008, vous avez perdu des marchés. Qu'en pensez-vous ?
Je ne me suis jamais intéressée à la concurrence mais aux concurrents. Pendant quelques mois, j'ai eu le sentiment que cette ouverture fut stimulante. Hélas, rapidement, nous avons perdu des marchés, ce qui ne nous a pas fait plaisir. J'ai relu la stratégie nationale. Il y est indiqué que l'ouverture n'avait pas été bien préparée. C'est vrai. Peut-être pensions-nous que cela n'aboutirait pas. Malgré les paquets ferroviaires successifs, on ne parvenait pas à y croire. Finalement, les concurrents sont bel et bien arrivés, et ils étaient surprenants ! Ce fut un choc culturel de voir d'autres cheminots. C'était presque comme s'ils venaient d'une autre planète.
Certains des concurrents de l'entreprise historique ont mis en avant le caractère non coopératif des gestionnaires du réseau, peu enthousiastes à l'idée de voir circuler des trains venus d'ailleurs. Faute d'une bonne préparation, nous avons sans doute effectivement perdu des parts de marché : je ne me permets pas de juger mes prédécesseurs, d'autant que je n'ai occupé mes fonctions que durant deux années.
Au final, je ne sais pas quel a été le rôle de la concurrence. Théoriquement stimulante, elle l'a, en pratique, été un peu au début, mais n'a au bout du compte rien apporté. Si nous nous sommes tous mobilisés pour faire face au dumping, la concurrence sur les marchés routiers a, pour sa part, été très favorable aux transporteurs routiers étrangers.
Je reviens sur la question de l'intermodalité. Dans la mesure où il est rare que le trajet soit constitué uniquement d'un train circulant d'une cour d'usine à une autre, il faut très souvent passer par plusieurs modes – camion, train, camionnette, cyclologistique. Il en va de même pour l'export. Il existe une plurimodalité de fait : l'objectif est d'assurer la place la plus importante à la partie ferroviaire.
L'organisation de la multimodalité – plateformes, transport combiné – est porteuse d'avenir. Ainsi, SNCF Réseau investit dans des technologies – certains processus d'automatisation et de repérage des trains, d'alignement, à des fins d'augmentation de la vitesse, de facilitation et de réduction du bruit – visant à améliorer la productivité et la compétitivité. Il faut également prendre en considération la dimension immobilière : il faut des terrains disponibles afin d'accueillir des plateformes, des entrepôts et des endroits groupés de stockage pour les clients, de façon à les inciter à privilégier le train plutôt que la camionnette.
Dans les contrats de plan État-région en cours de négociation, l'État consacrerait un volume de crédits de l'ordre de 930 millions d'euros au fret, une somme sans équivalent jusqu'à présent.
En 2007, vous vous êtes réjouie du Grenelle de l'environnement. Avec le recul, quelles mesures vous semblent avoir été appliquées, et quelles autres n'ont pas été respectées ? Laquelle a, selon vous, été la plus pénalisante pour la relance du ferroviaire ? Je pense en particulier à la taxe carbone, qui n'a finalement pas été instaurée : ses recettes auraient permis de mieux anticiper l'organisation des infrastructures. S'agissant du fret, vous avez évoqué un problème de cohabitation entre les voyageurs et les marchandises : quelles dispositions avez-vous prises, en tant que présidente de la SNCF, pour éviter de tels goulots d'étranglement ?
Le Grenelle de l'environnement était une bonne chose en ce qu'il a permis d'anticiper. J'avais quitté mes fonctions à la SNCF lorsque ses mesures devaient être appliquées, et elles ne me paraissent pas l'avoir été. L'objectif de dizaines – un ministre que j'apprécie en a même évoqué une centaine – de milliards de tonnes-kilomètre n'était pas nouveau : à l'époque, j'avais dû y renoncer, faute de clients. De plus, le Grenelle de l'environnement comportait beaucoup d'effets d'annonce ; je n'ai pas le souvenir de mesures effectives de grande ampleur. Quant à l'écotaxe, une majorité s'était prononcée en sa faveur mais elle n'a pas été appliquée. Par ailleurs je suis réticente à l'idée d'une taxation des camions à l'heure où ils sont supposés devenir des véhicules verts : cela pénaliserait surtout les Français, en matière de compétitivité, dans la mesure où ils devraient assumer davantage de taxes que leurs homologues étrangers.
S'agissant des goulots d'étranglements, il appartient à SNCF Réseau de les gérer, grâce aux conférences de plateforme. La problématique des embouteillages n'était pas aussi importante à l'époque – le trafic n'étant pas autant développé. Ils imposent de déterminer quels sont les véhicules prioritaires. Par exemple, j'apprends que la rive droite du Rhône va être dédiée à des trains de voyageurs, alors que j'ai toujours pensé qu'elle était réservée au fret : un tel choix ne favorise certes pas les trains de marchandises, pour lesquels la situation risque de s'aggraver. S'il n'est pas bon pour nous d'effectuer des travaux la nuit, ceux réalisés dans la journée gênent les voyageurs, et les autorités organisatrices râlent.
Les chiffres sont connus : jamais il n'y a eu, en France, autant de trains de voyageurs qu'aujourd'hui.
Jamais. Le trafic a explosé, et nous n'allons pas nous en plaindre !
Vous avez évoqué le projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin. Or une voie ferrée relie déjà Lyon à Turin. Elle vient d'être modernisée, à hauteur de 1 milliard d'euros. Y circulent trois fois moins de trains qu'avant, alors qu'elle permet le report modal d'au moins 800 000 camions. Ce projet est donc inutile et coûtera 30 milliards d'euros : nous sommes dans le cas de figure de l'« éléphant blanc » que vous avez évoqué. Vous avez indiqué être soucieuse de sensibiliser l'opinion publique au développement durable : ne serait-il pas préférable d'améliorer l'existant, alors que le projet d'une ligne Lyon-Turin bafoue les réglementations et les lois sur l'eau – des nappes phréatiques ont été percées, conduisant à la destruction de 1 500 hectares de terres agricoles et à vider la montagne de son eau au rythme de 120 millions de mètres cubes par an ?
Je précise que votre successeur au ministère des transports, M. Jean-Claude Gayssot, a exprimé son soutien à ce projet.
Nous avons souvent été d'accord ! Je n'ai plus les détails du projet en tête. J'ai lu dans la presse les déclarations de votre groupe politique, madame Ferrer : elles ne me semblent pas être à la hauteur de la dimension prospective de ce projet. Je ne dispose cependant pas des éléments techniques pour répondre à un argumentaire politique. Je reviens simplement sur le chiffre que vous avez évoqué – 800 000 camions –, soit 40 000 tonnes de CO2 : sur ce type de projet, je suis toujours attentive à savoir si le chiffre communiqué est à considérer par jour, par an ou par tonnes.
La commission procède à l'audition de M. Dominique Perben, ancien ministre.
Nous accueillons, pour notre dernière audition de l'après-midi, M. Dominique Perben.
Monsieur le ministre, parmi les nombreuses responsabilités ministérielles que vous avez exercées au cours de votre engagement dans la vie publique, vous avez notamment eu la charge du ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer dans le gouvernement de Dominique de Villepin entre 2005 et 2007.
Nous venons d'auditionner Mme Anne-Marie Idrac, qui était présidente de la SNCF pendant une partie de l'époque où vous étiez en fonction. Vous avez également occupé ce poste au moment du déploiement de la stratégie européenne de libéralisation du fret ferroviaire, à travers le premier puis le second paquet ferroviaire. Des entreprises, à l'instar de Danone, commençaient alors à travailler avec des opérateurs alternatifs.
Le développement du fret ferroviaire représentait-il un sujet stratégique au sein de la politique de transport dans le gouvernement auquel vous avez appartenu ? Dans quelle mesure Fret SNCF s'est-il doté d'une stratégie à l'échelle européenne ? Dans l'entreprise, quel était l'écho de la situation du fret ferroviaire et du déclin de la part modale, engagé depuis la fin des années 1960 ? Votre témoignage nous sera précieux pour comprendre les débuts de l'ouverture effective du fret ferroviaire à la concurrence.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Dominique Perben prête serment.)
Cette expérience remonte à loin : aussi serez-vous indulgents, je l'espère, sur ma capacité à restituer l'atmosphère qui régnait de 2005 à la présidentielle de 2007. C'est d'ailleurs à la fin de l'exercice de mes fonctions que Mme Idrac a été nommée à la tête de la SNCF.
La perception du ferroviaire était alors assez différente : l'objectif était avant tout l'accélération du programme TGV – qui a par la suite connu mauvaise presse, avant de susciter un regain d'intérêt. Nous étions fortement mobilisés sur cet enjeu. Les enquêtes publiques étaient difficiles. Nous devions nous pencher sur la deuxième tranche de la ligne Paris-Strasbourg, le début de la ligne Paris-Bordeaux, le contournement ferroviaire de Nîmes et de Montpellier et la ligne espagnole. La vision du ferroviaire était positive, dynamique et presque agressive : nous avions misé dessus, nous devions investir et lancions des appels d'offres ; les géants du BTP acceptaient peu à peu de se lancer dans l'aventure.
En parallèle, il y avait le fret ; l'ambiance, au contraire, était morose. Les chiffres en disaient long. Au sein du ministère, nous avions le sentiment de ne pas avoir de réponse ; les dirigeants de l'entreprise, quant à eux, essayaient de trouver des solutions.
Nous nous sommes mobilisés sur des sujets assez précis, comme les autoroutes ferroviaires – notamment la ligne Perpignan-Luxembourg – qui consistent à faire transporter les camions par les trains. Il faut aussi mentionner les projets d'autoroutes ferroviaires alpine et atlantique.
Dans son audition, Mme Idrac a évoqué des goulets d'étranglement. C'était notamment le cas de la région lyonnaise, où j'ai été amené à faire des choix – qui ont été remis en cause après mon départ : je pense ici au contournement ferroviaire de Nîmes et de Montpellier. Des difficultés importantes se sont posées. Le projet de liaison ferroviaire transalpine entre Lyon et Turin nous occupait également.
Pour en améliorer la rapidité et l'efficacité, l'utilisation des lignes TGV la nuit pour le fret ferroviaire avait été évoquée ; vous imaginerez facilement les inquiétudes que cette idée a suscitées – elle n'a d'ailleurs pas réellement prospéré.
La mise en place d'opérateurs ferroviaires de proximité avait également été esquissée. Nous y voyions une technique pour rassembler des capacités de transport par le fer, en partant de la proximité, voire, des collectivités locales.
Ainsi, pour le fret, l'ouverture à la concurrence n'était pas réellement un sujet de préoccupation. Le troisième paquet ferroviaire avait abouti à l'ouverture à la concurrence du transport de voyageurs en 2007 – je me souviens presque physiquement de mes conversations avec les leaders des organisations syndicales à cet égard, car ces derniers, naturellement, s'interrogeaient et s'inquiétaient. S'agissant du fret, notre inquiétude concernait davantage l'effondrement du trafic. Il semblait ne pas y avoir de solution, alors que nous avions mis en place des dispositifs de transfert d'investissements de la part du ferroviaire avec l'Association française des investisseurs en capital (AFIC). Nous souhaitions rééquilibrer la situation, mais nous rencontrions beaucoup de difficultés.
M. Patrick Jeantet, ancien PDG de SNCF Réseau, nous rappelait hier que la période pendant laquelle vous avez exercé vos responsabilités a été marquée par une remontée progressive des investissements dans les infrastructures ferroviaires. Nombre de chercheurs l'ont identifié, dès 2005, après la publication de l'audit sur l'état du réseau ferré national français par l'École polytechnique de Lausanne. À cette époque déjà, l'argent public était rare : aussi, dans l'arbitrage de ces investissements, la volonté de développer le fret ferroviaire a-t-elle suffisamment été prise en compte ?
À cette époque, nous avions beaucoup investi dans les trains à grande vitesse. En tant que responsable politique, le rapport l'École polytechnique de Lausanne, qui pointait de nombreux risques, m'avait inquiété. Nous avons commencé à investir massivement dans la sécurité du réseau.
Ces souvenirs sont lointains ; mais il me semble que nous n'étions pas spécialement alertés sur les contraintes particulières au fret ferroviaire.
Plusieurs de nos intervenants ont en tout cas mentionné qu'à cette époque, l'aménagement du territoire l'emportait sur les enjeux de transition écologique lorsqu'il était question du ferroviaire – transport de voyageurs ou fret.
Vous avez exercé vos fonctions entre 2005 et 2007 : il s'agit des toutes premières années durant lesquelles la France devait respecter ses engagements vis-à-vis de la Commission européenne, dont elle avait obtenu une aide de 1,5 milliard d'euros pour restructurer l'activité de fret de la SNCF.
L'accord motivé de la Commission européenne de 2005 mentionne à plusieurs reprises que les autorités françaises s'engagent à présenter un certain nombre de pièces témoignant du bon déroulement du plan de restructuration qui précédait et accompagnait l'accord – le plan Véron en 2004 puis le plan Marembaud en 2007.
Les autorités françaises devaient ainsi présenter annuellement un rapport à la Commission européenne, permettant de vérifier le bon déroulement du plan de restructuration. La Commission européenne, quant à elle, devait avoir les moyens de contrôler durablement l'étanchéité des comptes entre les activités de fret et de transport de voyageurs et de s'assurer que les relations financières se feraient durablement sur des bases commerciales. Les autorités financières françaises s'étaient engagées à procéder à un audit indépendant pendant toute la période de restructuration et à en transmettre les conclusions à la Commission. Dans l'accord, il est indiqué que « la Commission veillera au respect de la mise en œuvre du plan de restructuration ».
Quels étaient les rapports de votre ministère avec la Commission européenne sur la base de ces engagements contractuels ? Quelles étaient les dispositions de suivi de l'accord de 2005 ?
Je n'en ai absolument pas le souvenir aujourd'hui. J'imagine que ce suivi s'est déroulé normalement.
L'enquête ouverte par la Commission européenne sur l'organisation d'aides illicites s'intéresse à une période qui débute en 2007. À plusieurs reprises dans son argumentaire, la Commission européenne indique ne pas avoir été véritablement saisie, comme prévu par le texte de l'accord, des rendus du suivi du plan de restructuration de 2003 à 2008 de la part des autorités françaises. Je comprends que cette époque soit lointaine, mais je me permets d'insister sur les rapports que votre ministère entretenait avec la Commission européenne, au-delà des engagements réciproques que vous pouviez avoir.
Vous évoquez une « ambiance morose » dans le fret en parallèle du développement des lignes TGV ; le seul problème relatif au fret était l'effondrement du trafic. Dans ce contexte, dans vos rapports avec la SNCF, avez-vous un souvenir de stratégie partagée pour sauver le fret, l'abandonner, ou remettre un peu d'argent dans le moteur ? Cette stratégie reposait-elle uniquement sur des subventions, ou également sur des investissements ? Quelles instructions le Gouvernement donnait-il à la SNCF sur le fret ?
« Instructions » n'est pas tout à fait le mot. À l'époque où j'étais ministre, le président de la SNCF était Louis Gallois, que je connaissais bien étant donné que nous étions de la même promotion à l'École nationale d'administration (ENA), et en qui j'avais entièrement confiance. Je sais qu'il réfléchissait avec son équipe à d'éventuelles évolutions structurelles. Nous en avions discuté ensemble. Je lui avais conseillé d'être prudent, au regard de ma responsabilité politique dans le domaine des transports. L'ouverture à la concurrence du trafic de voyageurs nous plaçait dans une situation difficile : de grandes manifestations avaient eu lieu à Bruxelles et à Paris. Je dialoguais – dans d'assez bonnes conditions d'ailleurs – avec les leaders syndicaux de la SNCF. Nous n'avions pas non plus envie d'en remettre une couche : le but n'était pas de semer la pagaille.
Il faut se rappeler ce contexte politique : la SNCF faisait partie du patrimoine national. L'ouverture à la concurrence a représenté un changement culturel considérable, qu'il a fallu accompagner. Nous avons d'ailleurs d'abord dû nous convaincre nous-mêmes que c'était possible : pour le gaulliste social que je suis, cela n'avait en effet rien d'une évidence ! Une société nationale exerçant un monopole n'avait rien de contraire à mes idées.
Nous savions bien qu'il y avait un problème sur le fret. La SNCF n'avait sans doute pas consacré l'énergie et l'imagination nécessaires pour être plus à l'écoute de sa clientèle potentielle. C'était aussi l'époque de l'accélération du TGV et de la sécurisation des réseaux. Avec du recul, il semble que la question du fret n'était peut-être pas suffisamment prioritaire.
À l'époque, vous pensiez que la libéralisation du marché intérieur allait dynamiser le fret ferroviaire. Étiez-vous conscient que l'état des voies ferroviaires ne permettait pas de rendre un service de qualité, et qu'il posait un problème pour l'ouverture à la concurrence ?
Le rapport de l'École polytechnique de Lausanne nous avait fait prendre conscience des difficultés ; nous savions aussi qu'il y avait des goulets d'étranglement, et qu'il était nécessaire d'augmenter les investissements dans les infrastructures – notamment pour élargir l'offre de fret.
Votre témoignage résonne avec celui de l'ancien ministre M. François Goulard, que nous avons auditionné hier : selon lui, la libéralisation n'était pas un sujet. La situation du fret était morose, mais aucune réponse ne semblait se profiler.
On nous a rappelé les difficultés entre Réseau ferré de France (RFF), créé en 1997, et la SNCF. N'avez-vous pas eu le sentiment – même tardivement – que les directions des entités ferroviaires n'ont pas vraiment aidé les politiques à prendre en compte le lourd handicap qui s'accumulait sur l'activité de fret dans notre pays ? L'attention portée sur le TGV n'a-t-elle pas considérablement pesé auprès des politiques, empêchant ainsi la prise de décisions un peu plus matures en la matière ? Les plans Véron et Marembaud étaient assez lourds ; ils ne semblent pourtant pas avoir été à la main du politique.
Vous avez sans doute un peu raison. Malgré les réformes de 1997, l'ensemble du système ferroviaire était resté très unitaire. L'univers ferroviaire n'avait pas encore intégré la libéralisation ; malgré la création de RFF, la SNCF restait une seule grande maison. Nous partions d'une grande société nationale, qui œuvrait depuis un siècle. Le changement de paradigme n'était pas facile.
Il ne me semble pas avoir constaté d'opacité avec le monde politique. Je voyais au contraire la SNCF comme un monde d'ingénieurs, respectueux des institutions. Je n'ai pas rencontré de difficultés particulières de ce point de vue. Cependant, les sujets étaient très techniques et complexes : pour un ministre, il n'était pas facile d'entrer dans le dialogue à un niveau suffisamment précis pour faire évoluer la situation.
La manière d'investir le sujet du ferroviaire au sens large et du fret en particulier témoignait-elle d'une crainte de rallumer les conflits que la France avait connus en 1995 ? Ces derniers avaient sans doute profondément marqué certains dirigeants de la France qui l'étaient toujours entre 2005 et 2007 – je pense au secrétaire général de l'Élysée de l'époque ou au Président de la République. Le risque de déclencher un conflit social étendu en touchant au ferroviaire a-t-il expliqué le sentiment d'un portage politique moins fort qu'il n'aurait pu l'être ou qu'il ne l'a été par la suite ?
Je n'en suis pas tout à fait sûr. En novembre 1995, je suis devenu ministre de la fonction publique : cette expérience m'a beaucoup appris sur le dialogue syndical – y compris dans un esprit parfois très amical –, ce qui m'a été utile par la suite.
Durant la période où j'ai exercé mes fonctions au ministère des transports, l'Élysée ne m'a jamais rien demandé à ce sujet : je n'ai pas eu le sentiment de ce traumatisme.
La question était surtout celle de la transformation de la SNCF, qui était une société monopolistique avec sa propre culture et son système de valeurs : ceux qui y travaillaient avaient le sentiment de faire partie d'une grande maison. Je souhaitais faire évoluer les choses, mais en conservant tout cela. Nous ne souhaitions pas en rajouter, c'est vrai : Bruxelles nous contraignait à l'ouverture à la concurrence et nous avions déjà utilisé tous les délais possibles. Nous n'avions pas envie de faire flamber la maison.
Vous vous revendiquez gaulliste social et dites que vous vous préoccupiez de cette belle maison qu'était la SNCF. Dans ma question précédente, je vous ai interrogé sur vos rapports avec ces directions technocratiques. En effet, dans les années 1997 à 2000, selon un expert du domaine, les acteurs du ferroviaire – dans lesquels vous voyez l'honnêteté même –, qui étaient des ingénieurs, sont devenus des économistes : les équipes dirigeantes se sont ainsi rapidement faites à l'idée de la mise en œuvre de l'ouverture à la concurrence. Pensez-vous que cette restructuration de long terme – près de cinq ans – a finalement échappé au politique – qui était plutôt attaché à cette belle maison ? Entre 2003 et 2008, les plans Véron et Marembaud ont contribué à un affaiblissement considérable de l'opérateur historique, sans pour autant que la rentabilité telle qu'on peut l'envisager dans une logique libérale ait été restaurée – et le trafic a continué de s'effondrer.
C'est aussi le marché qui en a décidé ainsi : les plans en question ont constaté les restructurations nécessaires, mais les clients, surtout, n'étaient pas au rendez-vous. Durant les mêmes années, notre système économique a connu une transformation profonde : les stocks sont maintenant sur les routes et non dans nos usines. Le chemin de fer n'a pas été au rendez-vous de cette transformation de la logistique. Aurait-il pu y être ? Je l'ignore. Était-ce trop compliqué, du fait des ruptures de charge ? J'observe seulement qu'on a raté le coche : au moment où l'emploi logistique a explosé, le ferroviaire n'en a pas profité du tout, alors que le potentiel était considérable.
La séance s'achève à dix-huit heures cinquante-cinq.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Guy Bricout, Mme Danielle Brulebois, M. Sylvain Carrière, Mme Mireille Clapot, M. Hendrik Davi, Mme Mathilde Desjonquères, Mme Sylvie Ferrer, M. Pascal Lecamp, M. Matthieu Marchio, M. Thomas Portes, M. Vincent Thiébaut, Mme Huguette Tiegna, M. David Valence, M. Hubert Wulfranc, M. Jean-Marc Zulesi
Excusés. - M. Jocelyn Dessigny, M. Nicolas Ray