Nous n'aurons sans doute pas le même point de vue, M. Sansu et moi, sur la pertinence des règles régissant les aides de l'État mais, comme lui, je pense que le cadre doit évoluer. Une telle évolution s'impose aussi en raison de la transition écologique, qui nécessite des investissements considérables et pas seulement publics. Quoi qu'il en soit, la multimodalité, les frets fluvial et ferroviaire bénéficient et bénéficieront encore davantage du soutien public.
Le cadre européen des aides d'État a d'ailleurs déjà évolué à la suite du plan de relance et au regard des questions liées à la décarbonation. Des aides d'État massives soutiennent la production de batteries électriques et le développement du secteur de l'hydrogène. Grâce à la France et, parfois, de l'Allemagne, les règles régissant les aides ont ainsi été assouplies sur le plan européen. Sur un plan national, il est possible d'aider durablement le fret ferroviaire et c'est ce que nous ferons, mais le cadre public exige que les différents opérateurs de fret ferroviaire le soient. C'est ce que nous faisons depuis au moins 2020 avec les aides à l'exploitation.
L'aide au wagon isolé bénéficie largement à l'opérateur qui les utilise le plus, donc, aujourd'hui, à Fret SNCF, qui restera demain un opérateur ferroviaire public, mais dans des conditions concurrentielles équitables.
Nous devons toutefois répondre au problème auquel nous sommes confrontés, qui n'est pas seulement « moral » mais légal : je dois faire face à un risque vital pour un opérateur. La différence avec ce que nous avons vécu pendant vingt ans, c'est que Fret SNCF est à l'équilibre grâce aux réformes successives, notamment à celle de 2020, et aux efforts de ses agents, qui rendent un service de meilleure qualité, qui se sentent plus soutenus et qui doivent l'être encore davantage.
Nous avons eu avec la Commission européenne des échanges oraux et écrits mais la procédure est encore en cours. Les garanties dont nous disposons doivent permettre de créer une nouvelle organisation – la fameuse discontinuité – qui, je le crois, sera validée, mais la décision de la Commission européenne ne sera formalisée qu'après. Nous devons donc aller vite afin de ne pas vivre avec une épée de Damoclès. Des échanges précis, des garanties et un certain nombre d'accords m'ont permis, le 23 mai, d'assumer ce choix devant les salariés. Je vous communiquerai l'ensemble des documents que vous souhaitez.
S'agissant des vingt-trois flux, le processus a commencé au début du mois d'août, après la procédure devant les instances représentatives du personnel engagée fin mai par la direction de Fret SNCF et du groupe ; le 30 juillet, les clients ont été informés de la probable création d'une nouvelle organisation. La date butoir du 1er janvier 2024 peut, quant à elle, être reportée jusqu'au 30 juin 2024 afin de trouver un maximum de repreneurs. L'essentiel des flux doit être encore attribué mais, au 13 septembre, il est assez normal que ce soit le cas. Avec l'entreprise, je m'engage à vous faire part des attributions au fur et à mesure.
Nous devons nous battre pour trouver le plus grand nombre possible de repreneurs et éviter un report modal. Je le dis clairement, le cadre juridique ne permet pas que Fret SNCF conserve les flux. Nous devons absolument trouver un repreneur dans le domaine ferroviaire – c'est d'ailleurs pourquoi nous renforçons le soutien financier à l'ensemble du secteur.
Nous sommes confrontés à un double risque : l'incertitude et un éventuel remboursement final. Si la Commission européenne et la Cour de justice de l'Union européenne considèrent qu'il faut rembourser une aide d'État de 5 milliards d'euros, c'est l'entreprise qui en a bénéficié qui doit le faire, ce qui, dans le cas qui nous préoccupe, reviendrait à la tuer. Ses actifs seraient rapidement remis sur le marché, avec beaucoup moins de chances de trouver des repreneurs dans le même mode de transport. En l'occurrence, le volume de cessions s'élève à 20 % et le délai est suffisant pour que tout se passe au mieux. Si l'État pouvait se charger du remboursement, le débat serait politique mais tel n'est pas le cas.
L'investissement total dans les CPER s'élève bien à 4 milliards d'euros, dont 2 milliards pour la période 2023-2027. Pour chaque génération, environ 50 % proviennent de l'État et le reste, des collectivités mais aussi de l'Union européenne, quoique, sur ce plan-là, nous ayons des incertitudes sur l'obtention, le montant et le rythme des financements.
Le passage de la part modale de 9 % à 18 % nous ramènerait en effet à la proportion des années 1990, mais c'est un objectif déjà très ambitieux. Si je vous disais que nous serions à 30 % en 2030, vous ne me croiriez pas et vous auriez raison. Si nous parvenons à doubler cette part modale dans la décennie, notre « remontada », notre transformation écologique, seront spectaculaires.
Le fret ferroviaire se développera à proportion de notre développement industriel. Les difficultés de l'Allemagne, dans ce domaine, ont été moindres parce qu'elle a investi plus massivement dans les infrastructures mais, surtout, parce qu'elle s'est moins désindustrialisée. Notre politique de réindustrialisation permettra de soutenir le fret ferroviaire, car des industries plus vertes seront en quête de modes de transport plus verts afin de réduire leur impact carbone.
Je souhaite prolonger cette dynamique au-delà de 2030 mais, s'il faut être ambitieux, il faut être également modestes en veillant d'abord à atteindre l'objectif de 18 % à 20 % en 2030. En pérennisant les aides à l'exploitation jusqu'à cette date et en investissant jusqu'en 2032, nous disposerons de la visibilité qui s'impose.
L'État est garant de la circulation du Perpignan-Rungis, quel que sera l'opérateur, à travers la subvention et la manifestation d'intérêt.
Le cas échéant, c'est l'État qui bénéficierait du remboursement de l'aide. Il ne lui appartient pas de négocier ou de se dispenser de la recouvrer. Si, à la fin de la procédure, les 5,3 milliards d'euros sont intégralement considérés comme une aide d'État, l'entreprise bénéficiaire devra les lui rembourser. Là est le risque mortel pour Fret SNCF.
L'État, oui, peut aider le fret ferroviaire et le considérer, d'une manière spéciale ou dérogatoire, comme un secteur un peu « hors marché » mais dans un cadre qui doit être respecté. Bruxelles n'interdit pas le soutien public au fret ferroviaire. Sans subventions, ce secteur ne survivrait d'ailleurs pas. Nous continuerons donc à le soutenir pour l'encourager, pour investir et pour favoriser la transition écologique.
Je me suis engagé devant les salariés, les syndicats et la direction de l'entreprise à ce que 100 % des effectifs soient préservés. Il faut donc faire en sorte que les personnels soient le moins nombreux possible à quitter l'opérateur actuel, ce que nous avons garanti pour 90 % d'entre eux. Si les 10 % restants ne souhaitent pas rejoindre un autre opérateur ferroviaire qui reprendrait une partie des activités, j'ai demandé à la SNCF de garantir qu'ils puissent rester dans le groupe et exercer un autre métier du ferroviaire public. Après la réorganisation, j'espère que l'ensemble du secteur du fret ferroviaire se développera, dont le nouvel opérateur public, ce qui supposera de procéder à des recrutements. J'ai demandé de faire en sorte que les salariés qui souhaiteraient revenir soient prioritaires pour réintégrer l'activité de fret. Enfin, j'ai demandé que les 10 % de personnels contractuels bénéficient des mêmes garanties d'emploi que les 90 % de personnels statutaires.
Fret SNCF ne perdra pas son cœur de métier. Une partie de son activité sera cédée mais la gestion capacitaire demeurera et, comme je l'ai expliqué, sera viable. L'opérateur restera public, avec un capital public majoritaire.
La transition écologique ne passe pas seulement par le report modal mais, aussi, par la décarbonation de l'ensemble des transports, dont la route et l'aviation. Tant mieux si le fret routier – qui demeurera important et restera en partie complémentaire du fret ferroviaire – se décarbone avec les routes électriques et l'électrification des camions. Même en atteignant une part modale ferroviaire de 18 % en 2030, la plus grande partie du fret se fera par d'autres modes de transport, dont la route, et nous avons donc tout intérêt à décarboner. Les expérimentations sur l'A10 ou les efforts que nous ferons pour électrifier les flottes de camions ne sont pas contradictoires avec ceux que nous faisons en faveur du fret ferroviaire. Les deux sont nécessaires, de même que nous investissons dans le secteur ferroviaire et que nous décarbonons l'aviation. Le report modal est un levier, tout autant que la décarbonation des transports polluants. Leurs utilisations diffèrent d'ailleurs selon la géographie et les industries.