Jusqu'en août 2016, j'étais conseiller, notamment sur les questions européennes, du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique Emmanuel Macron. Je n'ai pas eu à connaître de ce dossier dans ces fonctions, car il n'était pas au cœur du périmètre.
J'ai ensuite été nommé conseiller spécial pour l'Europe au sein de la cellule diplomatique du Président de la République, à partir de mai 2017 jusqu'au 26 juillet 2020. Je n'ai pas eu non plus à connaître dans ce cadre de la procédure à l'encontre de Fret SNCF, où les premières plaintes datent de 2016.
En revanche, j'ai travaillé sur ce dossier, quoique de manière plus éloignée que dans ma responsabilité de ministre délégué chargé des transports, à partir de l'automne 2020, en tant que secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. En effet, j'ai pu rencontrer des parlementaires et des commissaires européens, dont la commissaire à la concurrence, Mme Vestager. J'ai également été en contact avec mon homologue chargé des transports de l'époque, M. Djebbari, avec notre représentation permanente, avec d'autres acteurs du système européen, et j'ai pu évoquer la question, de manière peu détaillée, dans cette fonction.
Elle n'est devenue ma responsabilité centrale qu'à partir de juillet 2022 en tant que ministre délégué chargé des transports. Mon agenda public l'atteste, j'ai eu six contacts avec Mme Vestager. Les choses n'ont pas commencé le 18 janvier 2023 : des opérateurs ont déposé des plaintes auprès de la Commission européenne à partir de 2016. Bien qu'elles aient toutes été finalement retirées, la Commission européenne a ouvert une procédure. Cela montre combien la question était sérieuse : ses services, qui sont soumis à des procédures juridiques voire au contrôle du juge in fine, n'ouvrent que rarement des procédures. Or, malgré l'absence de plaintes, la Commission a estimé qu'il existait une aide massivement illégale ou à forte présomption d'illégalité.
Les discussions se sont tenues pendant de longs mois, pour éviter une procédure et faire valoir nos arguments, puis, une fois ouverte, pour y répondre. Mon prédécesseur, Jean-Baptiste Djebbari, a connu les étapes antérieures.
La question du fret ferroviaire et de la décarbonation a été évoquée lors de la réunion informelle des ministres des transports tenue par mon prédécesseur à Toulouse dans le cadre de la présidence de l'Union européenne. Elle fait partie des enjeux pour lesquels la France demande régulièrement une stratégie ou un plan d'investissement européens. Dans le cadre du plan de relance – un plan en partie financé par les aides européennes et soumis à la discussion de la Commission européenne et de nos partenaires –, nous avons fait le choix, comme d'autres pays, d'introduire un élément de soutien au fret ferroviaire.
Pour le cas où cet aspect aurait été sous-jacent dans votre question, je précise que la présidence française du Conseil de l'Union européenne n'a pas été un handicap pour la France. De fait, durant les six mois où elle a assuré cette présidence, la France n'a pas mis ses intérêts et ses arguments dans sa poche avec son mouchoir par-dessus. Elle a veillé à l'ensemble des dossiers correspondant à ses intérêts, notamment celui du fret ferroviaire, qui a été continûment défendu par le secrétaire d'État aux affaires européennes que j'étais, et par le ministre des transports de l'époque. Je ne dispose pas de l'agenda de mon prédécesseur, mais je suis certain que des discussions avec la Commission européenne se sont poursuivies durant cette période sans que nous ne levions notre stylo ou remballions nos arguments.
Je crois profondément à la viabilité pérenne de ce projet. Du reste, la Commission européenne est particulièrement vigilante, dans ses analyses, à propos de l'investissement avisé et de la viabilité économique. Si donc nous adoptons ce scénario en posant des lignes rouges et en pensant qu'il permettra de lever le risque existentiel et juridique, il sera de toute façon soumis à une décision de la Commission, dont les analyses sont généralement plus strictes que les nôtres, pour ce qui est de l'existence ou du maintien d'une viabilité économique pour l'opérateur qui est au cœur de la procédure. En d'autres termes, la Commission ne validerait pas une solution de discontinuité si elle ne pensait pas que l'opérateur était viable. La perspective n'est certes jamais une garantie, mais l'analyse est faite et, avec la gestion capacitaire, le plan d'investissement et les aides d'exploitation combinés – puisque la situation s'examine de manière statique et dynamique –, nous avons les moyens, dans la prochaine décennie, de rendre le fret ferroviaire plus attractif et d'augmenter sa part modale, en particulier avec un opérateur de fret ferroviaire public centré sur la gestion capacitaire, viable et attractif. J'y crois profondément et cette analyse sera, de toute façon, formulée également par les autorités européennes.
En termes de risque et de calendrier, il y a urgence. Vous avez dit que d'autres pays avaient vécu ou subi de longues procédures, mais l'expérience montre, même s'il n'y a pas de certitude absolue en la matière, que lorsque les discussions et l'obtention d'un accord potentiel sont tardives, les solutions de discontinuité, si elles se révèlent finalement nécessaires, sont plus dures et plus brutales. Le précédent d'Alitalia, dans le domaine du transport aérien, a été marqué par 50 % de discontinuité. Il ne s'agit donc pas de négocier à n'importe quelles conditions et pour n'importe quel résultat, mais de faire en sorte que la structure ferroviaire publique conserve 90 % de l'emploi et 80 % de l'activité. Vous avez évoqué vingt-trois flux qui doivent être cédés – j'ai lu à ce propos le mot « sacrifiés », mais il ne s'agit pas que l'activité disparaisse : elle doit être cédée à d'autres opérateurs, dont nous espérons qu'ils resteront dans le domaine du fret ferroviaire. Si elles sont adoptées, ces solutions de discontinuité entraînent une réduction bien moindre du volume, que ce qui a été observé dans de nombreux autres cas. Nous avons donc fixé, pour ce qui concerne nos intérêts, des lignes rouges très claires.
Dans notre pays, la dernière stratégie ferroviaire date de la fin 2021 et le dernier vote du Parlement à ce sujet de l'été 2021, avec la loi « climat et résilience ». Nous observons en 2021-2022 le premier résultat en termes d'inversion de la courbe et de remontée de la part modale du fret ferroviaire. Dans ce contexte, en accompagnant cette démarche d'un plan d'investissement – ce que n'ont pas fait d'autres pays : comparons-nous vers le haut ! –, j'ai la conviction profonde qu'il est préférable de donner rapidement une visibilité à Fret SNCF ou à l'opérateur de fret ferroviaire public, sur le plan social, écologique et industriel, et de dire rapidement aux clients qu'ils ont une perspective dans le fret ferroviaire, avec un opérateur public qui prendra la succession de Fret SNCF.
Nous ne sommes certainement pas à trois jours près, mais il y a urgence, ressentie par les chargeurs, qui le diront certainement devant votre commission d'enquête.
Quant à savoir s'il y a des garanties, la question est légitime de la part de la Commission européenne et j'y apporterai une réponse politique – mais pas politicienne – et une réponse juridique. Tout d'abord, et c'est une raison de plus pour aller vite, les décisions formelles se prennent au vu des solutions appliquées par l'État soumis à la procédure. En d'autres termes, c'est l'instauration de la discontinuité qui entraîne la décision formelle et définitive de la Commission européenne, contrairement à l'idée, qu'on entend parfois exprimer, qu'il suffirait d'obtenir un blanc-seing, puis de mettre les choses en place pour voir ce qu'il advient. Sur le plan juridique, c'est l'inverse : c'est à la condition d'opérer certaines transformations que l'on peut lever le risque que j'ai évoqué.
On m'a demandé pourquoi il faudrait le faire à ce moment-là plutôt qu'à un autre, mais je ne serais pas allé rencontrer les salariés et les syndicats et n'aurais pas écrit un courrier – que je tiens à votre disposition et qui figure, conformément à la loi, dans les dossiers des instances représentatives du personnel – pour annoncer à l'entreprise et à ses salariés des efforts et des garanties si je n'avais pas eu une certitude raisonnable que nous pouvions atteindre cet équilibre avec la Commission européenne. Comme en atteste mon agenda public, que je puis vous communiquer, des échanges ont eu lieu et six rendez-vous ont été organisés, depuis l'été 2022, avec la vice-présidente Vestager chargée de la concurrence. Des échanges formels, écrits, ont eu lieu, que je tiens à votre disposition. Je tiens à votre disposition, comme le prescrivent la loi et le serment que j'ai prêté, l'ensemble des échanges qui ont eu lieu, dont la meilleure liste me semble être, en toute transparence, le courrier que j'ai adressé sur cette base à M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF, en date du 23 ou du 24 mai 2023.
En termes d'impacts modaux, et même si cette cession n'est pas une bonne nouvelle – mais j'assume la recherche de cet équilibre –, le but est que tout ce qui sera cédé, notamment les vingt-trois flux, reste dans le domaine du fret ferroviaire. L'issue de ce combat n'est pas acquise, mais plus vite on donnera de la visibilité à la cession de ces flux, plus il y aura de chances qu'ils soient récupérés par un autre opérateur ferroviaire, ce qui vaut mieux qu'un opérateur de fret non ferroviaire.
Quant au calendrier, je le répète, l'impact global dépendra de nos efforts d'accompagnement et d'investissement – d'où le plan – et de la rapidité avec laquelle nous donnerons cette visibilité à un nouvel opérateur de fret ferroviaire public pour la gestion capacitaire.
Pardonnez-moi de ne pas décrire plus précisément les impacts, mais il est clair que ces derniers doivent s'apprécier de manière dynamique : moins nous aurons d'incertitude et plus vite nous disposerons d'une solution stabilisée et d'une organisation claire, plus nous aurons de chances de garder cette activité dans le domaine du fret ferroviaire public – et du fret ferroviaire tout court. L'idée n'est pas seulement de stabiliser la part modale, ce qui est de toute façon une obligation fixée par la loi, mais d'atteindre une proportion de 18 % et, à cette fin, de mettre en œuvre l'ensemble des mesures prévues, dont le plan renforcé que j'ai évoqué.
Je crois vous avoir répondu, monsieur le rapporteur, à propos du train mutualisé : la question est de savoir quelle en sera la viabilité économique.
J'en reviens à l'analyse de la Commission européenne telle qu'elle ressort de la lettre d'ouverture de la procédure en date du 18 janvier 2023. Je n'ai peut-être pas dit assez en détail – mais vous l'avez fait, monsieur le président – que l'investigation lancée par cette procédure porte sur une longue période qui s'étend de 2007 à 2019 et, pour ce qui est de la masse d'aide, concerne principalement la première décennie de cette période. Nos interprétations divergent parfois avec celles de la Commission européenne, mais ce qui a été fait, notamment avec la loi pour un nouveau pacte ferroviaire, est neutre à l'appréciation de la Commission européenne, qui ne nous reproche pas l'organisation ni le transfert de dette opérés à cette époque – une autre organisation n'aurait pas empêché l'enquête. En outre, je le répète, l'immense majorité des sommes concernées, plus de 5 milliards d'euros au total, est évaluée et examinée sur la période de 2007 à 2017.