Monsieur Portes, les conducteurs représentent certes l'essentiel de l'activité, mais la question des effectifs est plus large. Il ne s'agit pas d'avoir moins d'agents, dont les conducteurs, dans le système du fret ferroviaire. Comme je l'ai dit, 10 % environ des emplois de l'opérateur Fret SNCF ne seront plus au sein du nouvel opérateur ferroviaire public, dont la dénomination n'existe pas encore. On ne fait pas avec moins, on fait avec 236 conducteurs et 400 agents environ au total qui doivent rester dans le système du fret ferroviaire, même si c'est auprès d'autres opérateurs. S'ils ne trouvent pas de solution, j'ai pris l'engagement social qu'ils puissent rester dans le groupe SNCF et revenir à l'activité de fret, à laquelle nous espérons que nos investissements permettront de se développer à nouveau, notamment en termes de gestion capacitaire. Il ne s'agit donc pas de supprimer des effectifs dans l'ensemble des opérateurs de fret ferroviaire ni de faire plus avec moins, mais plutôt, comme le dit Mme Clapot, que les compétences de ces personnels restent dans le système ferroviaire – chez un autre opérateur peut-être, mais un opérateur de fret ferroviaire.
C'est évidemment compatible avec l'ambition de développement du fret ferroviaire, car le but est d'éviter le report modal vers la route et les camions. Quelle meilleure façon existe-t-il de le faire – je l'assume et je le pense profondément – que d'investir et de soutenir l'investissement et l'exploitation avec des aides légales, afin d'éviter de nous heurter au même problème dans cinq ans, mais aussi d'aller vite pour éviter que les chargeurs ne se demandent s'ils trouveront encore, dans six, neuf ou dix-huit mois, une entreprise de fret ferroviaire garantissant le transport ? Il faut pouvoir leur dire rapidement qu'ils disposeront d'un opérateur de transport ferroviaire qui pourra être, selon le cas, celui qui aura succédé à Fret SNCF ou un autre.
Nous ne supprimons donc pas 400 agents du système de fret ferroviaire. Il faut même aller plus loin et des garanties précises seront données pour permettre, dans certains cas, une sous-traitance d'un opérateur à l'opérateur ferroviaire public. Il ne s'agit donc pas d'avoir moins d'acteurs et moins d'agents du système de fret ferroviaire – loin de là ! Il s'agit aussi, évidemment, d'assurer aux personnels statutaires ainsi qu'aux personnels contractuels, qui représentent environ 10 % des effectifs, une garantie totale d'emploi au sein du groupe chaque fois qu'ils le souhaitent ou qu'il en est besoin.
Pour ce qui est des flux transférés à d'autres opérateurs, qui représentent environ 20 % de l'activité, et même si, je le répète, je préférerais que nous puissions nous dispenser de cette cession, l'ordre de grandeur n'est pas du tout le même que celui qu'on observe à l'occasion de procédures européennes à peu près équivalentes dans le domaine des transports et de la logistique, où la discontinuité se traduit par une réduction d'environ 50 % des volumes.
Un calendrier rapide doit être établi pour ces activités, non pas pour brutaliser quiconque, mais pour donner rapidement une perspective quant au maintien des flux concernés dans le mode du transport de fret ferroviaire. Les trois axes que je défends sont l'emploi, l'existence d'un opérateur de fret ferroviaire public et, évidemment, l'exigence écologique d'éviter un transfert du train vers le camion et la route.
Les choses ne sont pas faites mais les cessions et les transferts doivent intervenir rapidement pour que cette activité soit reprise par d'autres opérateurs de fret ferroviaire plutôt que par des opérateurs de fret recourant à d'autres modes de transport.
Un cas emblématique en la matière est celui du train des primeurs, le Perpignan-Rungis, auquel je connais votre attachement et que nous avons déjà évoqué. Ce train, soutenu par l'État, continuera à l'être. Preuve que nous restons dans un cadre de régulation publique, ce train a besoin de subventions pour fonctionner, mais cela ne me pose aucun problème, compte tenu des services écologiques essentiels rendus. Nous assumons donc l'idée de faire fonctionner notre système ferroviaire avec des subventions, y compris le fret, et même lorsque l'opérateur n'est pas Fret SNCF.
Je rappelle que, même si je n'étais pas alors ministre des transports, c'est la majorité actuelle, avec le gouvernement de Jean Castex, qui a relancé ce train – si elle ne l'avait fait, il n'existerait plus – en mettant sur la table 12 millions d'euros pour financer cette activité importante et symbolique. Assumons-le. Des manifestations d'intérêt régulières sont prévues. Compte tenu de la nouvelle situation, nous procéderons en 2024 au prochain appel, initialement prévu pour 2025. Je l'ai dit, je m'y suis engagé et je l'ai même prouvé avec un appel à manifestation d'intérêt que mon ministère a lancé à la fin du mois d'août : nous faisons appel à un opérateur, avec des subventions d'État, pour que le train des primeurs continue à circuler dans les années qui viennent. Quant à l'identité de l'opérateur, c'est précisément l'objet de l'appel à manifestation d'intérêt en cours. Quoi que l'on pense de l'opérateur qui sera choisi à l'issue de la procédure, je vous garantis que ce train continuera à circuler : si nous l'avons relancé, ce n'est pas pour l'abandonner ! Ce train a connu des difficultés en début d'année : l'une technique, avec un déraillement à Carcassonne, et l'autre sociale, disons-le franchement, avec des mouvements de grève – je le respecte, mais c'est un fait. Nous avons relancé la liaison dès le mois de mai et elle continuera à fonctionner avec le soutien de l'État au titre de cet appel à manifestation d'intérêt.
Pour ce qui est de la réforme opérée par la loi ferroviaire de 2018, soyons très précis : comme le démontrent les chiffres, son premier impact sur le fret a été de remettre Fret SNCF en situation de viabilité économique. La réforme de 2018-2020 n'est pas étrangère aux résultats positifs, qu'il faut consolider, de Fret SNCF que le président Valence et moi-même avons rappelés, et qui sont aussi les résultats de la part modale.
Le premier impact de la réforme et de la coordination qu'elle a permise a été de mettre un terme aux déficits que, dès avant la libéralisation, l'opérateur connaissait chaque année. On le doit évidemment aux agents de la SNCF et de Fret SNCF, dont les efforts considérables portent des fruits visibles pour l'activité économique.
J'évoquerai aussi deux points techniques. Tout d'abord, le transfert de dette opéré de l'unité à la SA est l'un des griefs examinés par la Commission européenne, mais cela ne change pas la situation économique ni l'appréciation globale portée par la Commission. Un deuxième point technique évoqué dans la lettre et dans l'investigation de la Commission européenne est que, sur les 5,3 milliards d'euros d'aides reprochées, 170 millions d'euros portent sur la période postérieure à 2017 – cette information est dans le domaine public. Sans ces 170 millions d'euros, qui représentent une toute petite partie de l'ensemble et dont nous contestons l'illégalité, il resterait encore 5,1 milliards d'euros en jeu. La question n'est donc pas là : elle est de savoir si nous attendons, si nous sommes capables de rembourser, le cas échéant, 5,3 milliards d'euros et comment nous répondons à cette menace. Voilà donc le contenu du calendrier retenu par la Commission européenne dans la procédure qu'elle a ouverte en janvier dernier.
Quant à la libéralisation du fret – qui n'est, du reste, pas tout à fait l'objet de cette audition –, on peut certes y être défavorable, mais elle procède d'un débat européen. Je ne dirai pas, pour ma part, que c'est la faute de Bruxelles, car les gouvernements et les majorités successifs ont participé à cette discussion et en ont accepté l'issue. Je constate toutefois, et chacun en conviendra, que la situation était très dégradée avant la libéralisation. En tout cas, même si vous pensez que la libéralisation a eu un mauvais effet, ce n'est pas l'ouverture à la concurrence qui a causé le déficit de Fret SNCF, car cette situation était bien antérieure, de même que le recul massif de la part modale : entendons-nous au moins sur le fait que la libéralisation n'est pas du tout le facteur déclencheur.
Par ailleurs, dans certains des autres pays européens soumis aux mêmes règles, la part du fret ferroviaire n'a pas décroché, elle a même augmenté. Les facteurs sont nombreux, dont la structure industrielle. L'Allemagne, dont la tradition de fret ferroviaire est plus établie que la nôtre, a peut-être aussi davantage investi dans les infrastructures et son industrie a moins reculé que la nôtre, ce qui se traduit par une plus grande activité économique pour le fret ferroviaire. La libéralisation s'est ainsi traduite en Europe, avec un même cadre légal, par un paysage très diversifié en termes de part modale du fret. Nous pourrions certes avoir un débat sur la libéralisation, qui nous occuperait un long moment, mais accordons-nous sur le fait que les problèmes ont commencé bien avant et n'ont pas augmenté ensuite, puisque la part modale du fret est stable depuis 2006 environ et remonte aujourd'hui, à cadre légal identique – ce qui prouve que c'est possible –, et que d'autres pays ont fait mieux que nous avec moins d'aides. Ce n'est donc pas le montant du chèque qui fait la viabilité du fret.
J'assume totalement, pour répondre à M. Zulesi, le fait que ce secteur doit être soutenu par des subventions dans un cadre sécurisé. Nous le faisons et nous le renforçons, avec un effort d'investissement inédit actuellement et pour les années qui viennent, notamment pour les triages.
Madame Clapot, comment un chargeur choisit-il un opérateur ? Je ne suis pas chargeur et je n'ai pas travaillé dans ce secteur, mais on entend diverses critiques à l'endroit de certains opérateurs, dont Fret SNCF – mais pas seulement –, quant à la qualité de service ou à la fiabilité des circulations. C'est sans doute vrai, mais ce qui m'intéresse, en tant que responsable public, est de savoir ce que nous pouvons mieux faire – en l'espèce, deux choses. D'abord, même si le trafic voyageurs est important, il ne faut pas toujours le privilégier dans nos sillons par rapport au fret, même en cas, par exemple, de mouvements sociaux, sous peine de ne pas être cohérents avec notre ambition en matière de fret. Deuxièmement, il faut investir dans nos infrastructures, car les agents accomplissent un travail formidable avec une infrastructure dégradée. Sans être un expert technique, j'ai été très frappé de constater qu'à Woippy, à Miramas ou au Bourget, les infrastructures n'étaient pas à la hauteur d'investissements modernes, et cela depuis longtemps. Plus encore, donc, que sur l'exploitation, nous devons faire porter l'effort de financement sur l'investissement et tout particulièrement sur la remise à niveau de nos gares de triage. C'est ce qui assurera, au bout du compte, la qualité du service et qui poussera les chargeurs à rester dans le domaine ferroviaire au lieu de se reporter sur la route.
Enfin, et vous me pardonnerez de jeter ce pavé dans la mare, je soulignerai l'importance de quelques grandes infrastructures ferroviaires de fret, comme le terminal de Cherbourg-Mouguerre, dans lequel nous investissons avec Lohr, une entreprise française qui produit des wagons, ou au Lyon-Turin, à propos duquel je n'ouvrirai pas le débat, mais qui est l'une des questions qu'il nous faut traiter. Nous avons besoin de lignes de fret ferroviaire qui assurent une activité économique, notamment pour l'opérateur ferroviaire public.