France Insoumise (NUPES)
PCF & ultramarins (NUPES) PS et divers gauche (NUPES) EELV (NUPES)
Radicaux, centristes, régionalistes... LREM et proches (Majorité gouv.)
MoDem et indépendants (Majorité gouv.) Horizons (Majorité gouv.) LR et UDI
RN et patriotes
Non-Inscrits (divers gauche à droite sans groupe)
La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème « Politique du médicament et pénuries ».
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties : nous entendrons d'abord les orateurs des groupes, puis le Gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
La parole est à Mme Christine Pires Beaune.
Le groupe Socialistes et apparentés a décidé de rouvrir un débat sur la pénurie de médicaments. Je dis « rouvrir », car le 13 décembre 2017, nous avions adressé un premier courrier à la ministre de la santé, qui s'était contentée d'en accuser réception ; en avril 2018, nous avions interrogé à nouveau le Gouvernement, sans effet ; le 19 février 2019, à l'occasion d'une question orale, le secrétaire d'État auprès de la ministre de la santé avait reconnu le problème, sans apporter de solution ; le 19 juin 2019, nous avions interrogé le Premier ministre lors des questions au Gouvernement, mais celui-ci n'avait pas davantage précisé ses intentions.
Le 20 mai 2020, le groupe Socialistes et apparentés a choisi de débattre de la pénurie de médicaments dans le cadre de la semaine de contrôle du Gouvernement. Là encore, aucune réponse concrète n'a été apportée au cours de ce débat. D'ailleurs, ni le ministre de la santé ni le secrétaire d'État n'y ont pris part. Je vous remercie, monsieur le ministre de la santé et de la prévention, d'être présent ce soir.
Si les ruptures de stock d'amoxicilline et de paracétamol ont occupé de nouveau l'actualité cet hiver, la pénurie de médicaments ne date pas d'hier puisqu'au printemps 2020, lors de la première vague de l'épidémie de covid-19, de très fortes tensions sur les produits de sédation utilisés pour les patients en réanimation ou en anesthésie ont été révélées. Ces ruptures de stock sont l'arbre qui cache la forêt : les problèmes d'approvisionnement ne cessent de croître depuis des années ; ils concernent de plus en plus les médicaments importants, dits d'intérêt thérapeutique majeur, pour lesquels il n'existe pas d'alternatives appropriées, ainsi que les dispositifs médicaux utilisés dans les services de réanimation ou de soins critiques.
En dix ans, les signalements de rupture à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ont été multipliés par dix. En 2017, on comptait 538 signalements ; en 2021, on en recensait 2 160, soit une augmentation de plus de 300 % en quatre ans ! En 2022, plus de 3 000 médicaments ont été signalés en situation de rupture ou de risque de rupture de stock. Tout le territoire est concerné.
Les conséquences de ces pénuries sont dramatiques pour les malades : en septembre 2020, une étude de la Ligue contre le cancer alertait sur les pertes de chance qui peuvent en découler. Une autre étude, publiée en 2019 par l'association France Assos Santé, dévoilait que « 45 % des personnes confrontées à ces pénuries ont été contraintes de reporter leur traitement, de le modifier, voire d'y renoncer ou de l'arrêter complètement ».
Les pénuries affectent aussi le travail des soignants et participent sans aucun doute à la lassitude et au découragement de nombre d'entre eux. Elles bouleversent le travail des pharmaciens, hospitaliers ou d'officine, qui consacrent de plus en plus de temps à la gestion des pénuries, au détriment d'autres tâches. Ainsi, 55 % des pharmaciens hospitaliers estiment à quatre heures le temps qu'ils y consacrent chaque semaine, 35 % d'entre eux l'évaluent à plus de six heures ; ils sont 95 % à juger que l'action des tutelles est insuffisante, voire très insuffisante, et font état d'un profond sentiment d'abandon.
Parce que cette crise ne date pas d'hier, nous ne comprenons pas l'attentisme des gouvernements qui se sont succédé ces dernières années, alors que tous les voyants sont au rouge et que la situation s'aggrave.
Les causes de ces pénuries sont pourtant connues. Elles sont dues, notamment, à l'extrême dépendance de notre pays en matière sanitaire. Depuis trente ans, les délocalisations et la sous-traitance à l'étranger ont détruit en grande partie – pour ne pas dire totalement – l'indépendance sanitaire de la France. Rappelons que le dernier atelier français de production de paracétamol a été délocalisé en 2008.
Comme le soulignait en 2017 l'Agence européenne des médicaments (EMA), « près de 40 % des médicaments finis commercialisés dans l'Union européenne proviennent de pays tiers et 80 % des fabricants de substances pharmaceutiques actives utilisées pour des médicaments disponibles en Europe sont situés en dehors de l'Union », plus précisément en Chine et en Inde. Un exemple, parmi tant d'autres, celui du midazolam, hypnotique utilisé dans les services de réanimation : on recense huit producteurs de principes actifs dans le monde, tous situés en Inde. Les délocalisations n'ont pas seulement détruit les emplois et les savoir-faire, elles ont profondément fragilisé notre sécurité sanitaire.
Je le répète, nous ne découvrons pas cette situation. En 2018, une mission d'information sénatoriale nous alertait sur « la perte d'indépendance sanitaire française » et incitait à « recréer les conditions d'une production pharmaceutique de proximité ». Il est grand temps de définir une véritable stratégie de prévention et de gestion des pénuries de médicaments pour répondre à l'urgence de la situation.
Nous formulons quatre préconisations, sur lesquelles nous souhaitons recueillir votre avis, monsieur le ministre. À court terme, l'État doit permettre une planification en matière de commande de médicaments, sur le modèle de ce qui a été fait en 2021 avec le vaccin contre la grippe. De façon corollaire, il convient de mettre en place, par l'intermédiaire de l'ANSM, un outil de pilotage prévisionnel des pénuries de médicaments – cela pourrait passer par la publication d'une cartographie précise, en temps réel, des pénuries et des risques de rupture de stock.
Il convient ensuite de revoir le dimensionnement des appels d'offres des hôpitaux. Pour rationaliser les coûts, ils portent sur de très grandes quantités de médicaments, ce qui restreint le nombre d'entreprises capables d'y répondre et entraîne des difficultés d'approvisionnement en cas de défaillance du titulaire du marché. Il est nécessaire que les appels d'offres soient de taille plus modeste et multi-attributaires, de façon à sécuriser les approvisionnements et à donner de la lisibilité aux fabricants.
À moyen terme, il est indispensable d'encourager la relocalisation en France et en Europe d'unités de production de substances actives et de médicaments finis. Il est impératif que nous retrouvions au plus vite notre souveraineté sanitaire. Le 16 juin 2020, le Président de la République a annoncé une « initiative de relocalisation de certaines productions critiques ». Près de trois ans plus tard, le bilan semble bien mince.
Parallèlement, il est indispensable de s'attaquer à l'autre cause de cette situation, que des associations telles que l'Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament dénoncent depuis plusieurs années : l'inscription des produits de santé dans des logiques marchandes et financières.
Il faut savoir que les pénuries concernent principalement les médicaments dits matures, c'est-à-dire ceux dont les brevets sont libres. Pourquoi ? Tout simplement parce que quand un médicament est libre, il est moins cher, donc moins rentable. Il ne présente alors plus d'intérêt pour l'industrie pharmaceutique. Cette affirmation, en soi, illustre les dérives du système actuel. Comment peut-on accepter que la production d'un médicament efficace et utile à de nombreux patients soit tout simplement stoppée, au seul motif qu'il n'est plus assez rentable ? Le modèle actuel, basé sur la politique de l'offre et de la demande, n'est tout simplement pas adapté à la santé !
Face aux décisions des industries pharmaceutiques, les pouvoirs publics sont désarmés, impuissants, réduits à être de simples observateurs. L'opacité qui caractérise le secteur rend tout cela possible.
En France, les données publiques sont trop peu nombreuses : on ne sait pas exactement ce que coûtent le développement, les essais cliniques, la fabrication des médicaments ou des vaccins. Il est impossible de comprendre comment sont fixés les prix.
Cette opacité est encore aggravée par les règles, récentes, relatives au « secret commercial » ou au « secret d'affaires ». Or, il ne peut y avoir de secret d'affaires en matière de santé. C'est sur cette absence de transparence que les industries pharmaceutiques s'appuient pour fixer les prix et imposer des tarifs élevés.
Alors que la recherche sur le vaccin contre le covid-19 a été en partie financée par le public, le laboratoire Pfizer, qui a presque doublé son chiffre d'affaires en 2021 – 81,3 milliards de dollars – a décidé, en toute liberté, d'augmenter le prix de son vaccin de 25 %, sans même chercher à justifier la hausse… Les grands groupes industriels pharmaceutiques sont aujourd'hui seuls maîtres à bord. Voilà pourquoi la lutte pour plus de transparence est une nécessité absolue.
En 2019, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a adopté une résolution sur la transparence des marchés. Il s'agissait d'améliorer l'échange public d'informations sur les prix nets des produits sanitaires, d'accroître la transparence sur les brevets pharmaceutiques, les résultats des essais cliniques et les autres déterminants de prix le long de la chaîne de valeur. Malheureusement, on note très peu d'évolutions, excepté l'obligation, depuis 2020, pour les compagnies pharmaceutiques, de déclarer les financements publics qu'elles reçoivent.
Monsieur le ministre, la communication publique des données en matière de santé doit devenir la règle. Il est impératif que les politiques pharmaceutiques soient au service de la santé de tous, que la politique industrielle de notre pays soit basée sur les besoins des populations en produits de santé, non sur la recherche de profits. Il convient de faire des produits pharmaceutiques des biens communs, et de la santé un droit effectif garanti pour tous.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, Écolo – NUPES et GDR – NUPES.
« M. Loïc Kervran attire l'attention de Mme la ministre des solidarités et de la santé sur la pénurie du vaccin « pneumovax » ainsi que sur d'autres médicaments dans les pharmacies de ville. […] Les difficultés d'approvisionnement frappent également de nombreux autres médicaments, dont des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, qui se retrouvent en rupture de stock temporaire dans de nombreuses pharmacies. […] Les causes des ruptures semblent multiples (défaillance des outils de production, production insuffisante, difficultés d'approvisionnement en matières premières, défaut de qualité, etc.) et s'expliquent en partie par la complexité et la mondialisation des chaînes de production des médicaments. En conséquence, la moindre défaillance dans la chaîne de production crée une rupture de stock généralisée à l'Europe entière. Ainsi, il lui demande quelles sont les mesures envisagées par le Gouvernement pour pallier ces difficultés d'approvisionnement des médicaments. »
C'est ainsi qu'était libellée une de mes questions écrites, publiée au Journal officiel le 4 avril 2018, avant la crise sanitaire de la covid, avant la guerre de la Russie contre l'Ukraine. Depuis, la situation a empiré, les pénuries se sont intensifiées, les ruptures se sont étendues à de nombreux médicaments. En 2022, 3 000 molécules ont été concernées par une rupture de stock ou une tension sur l'approvisionnement, contre 300 il y a dix ans. La cortisone, le paracétamol, la Ventoline, mais aussi des produits de base comme le sérum physiologique, manquent dans les officines.
Déjà confrontés à d'importants problèmes de recrutement, les pharmaciens passent des heures à tenter de trouver un fournisseur pour répondre à leurs clients. Une charge supplémentaire pèse sur les médecins, qui doivent adapter leurs prescriptions aux disponibilités.
Il serait commode et confortable de dire que tout cela n'est qu'un phénomène conjoncturel dû à une combinaison de facteurs géopolitiques et sanitaires. Bien sûr, la guerre en Ukraine et ses conséquences sur la disponibilité de certaines matières premières affectent la fabrication de certains contenants. Bien sûr, l'épidémie de covid en Chine fragilise la production et incite le pays à privilégier son marché intérieur. Bien sûr, la conjonction d'épidémies en décembre 2022 a contribué aux tensions sur les médicaments, notamment infantiles.
Mais si j'ai choisi de commencer cette intervention par mon alerte de 2018, c'est parce que le groupe Horizons et apparentés considère que le phénomène, avant d'être conjoncturel, est structurel. Il doit nous interpeller, car son aggravation continue dit quelque chose de très simple : les réponses apportées ne sont pas à la hauteur de la situation.
Ce qui est en jeu, c'est la santé, parfois la vie des Français. Le risque que notre système de soins ne soit plus capable de traiter les infections graves, abandonne les insulino-dépendants, ne soit plus en mesure de réaliser des opérations chirurgicales vitales, ne puisse plus vacciner sa population ne peut plus être écarté. C'est aussi un problème démocratique majeur, car les pénuries de médicaments sont emblématiques de ce sentiment d'impuissance du politique et de déclin de la France que ressentent nombre de nos compatriotes.
Résoudre ces difficultés, c'est d'abord intégrer le fait que le médicament est un sujet souverain. Je n'ai pas la prétention de dessiner ce que devrait être une ambition de souveraineté retrouvée sur le médicament, mais nous pouvons proposer quelques pistes à notre sagacité collective.
Il y a d'abord une nécessité d'identification et de priorisation : dresser un état des lieux des médicaments essentiels et indiquer, pour chacun d'entre eux, les risques et fragilités d'approvisionnement est le préalable incontournable. Des mesures immédiates pourraient ensuite être prises pour chacun de ces médicaments, à commencer par l'effectivité des stocks obligatoires – sur laquelle il y a eu des progrès –, en diminuant par exemple les dérogations aux obligations de stockage. Le travail sur les chaînes de production existantes en France et en Europe est également indispensable pour identifier les fabricants, les aider lorsqu'ils sont en situation économique difficile ou leur permettre de développer leurs chaînes de production.
Des actions de fond et de plus long terme sont également nécessaires. Bien entendu, la relocalisation de la production de principes actifs en France et en Europe doit devenir une réalité. Nous avons de nombreux atouts pour cela, à commencer par la formidable attractivité de notre pays. Nous ne pourrons pas non plus faire l'économie d'un réel travail sur la prescription et l'observance, dans un pays champion du mauvais usage du médicament et des prescriptions injustifiées. Enfin, nous n'échapperons pas à la remise à plat de notre modèle économique du médicament et de l'innovation thérapeutique. Je prends deux exemples de prix, qui incluent les marges des officines : 1,73 euro les trente comprimés de metformine, pour le diabète, et 7,66 euros les cent comprimés de lithium, pour les troubles bipolaires. Ce modèle économique ne va plus ! Il pousse aux délocalisations et à la mise sous pression des façonniers, nous exposant à la rupture au moindre grain de sable.
Pour construire le chemin de résolution de ces pénuries, il faut une volonté : celle de protéger les Français et de reconstruire pierre après pierre notre souveraineté. Il faut aussi une stratégie qui construise une réelle souveraineté sanitaire à l'échelle française et européenne. C'est la volonté du groupe Horizons et apparentés.
En tout, ce sont quelque 3 000 molécules qui ont manqué à l'appel cet hiver. Parmi ces molécules, l'amoxicilline, premier antibiotique prescrit en France, et le paracétamol. Les ruptures d'amoxicilline, qui touchent principalement les usages pédiatriques, ont mis à mal ces unités, déjà sous forte tension depuis plusieurs semaines. Les associations pédiatriques ont d'ailleurs estimé que la pénurie d'amoxicilline constituait un risque supérieur à celui de l'épidémie de bronchiolite. En 2021, l'Agence nationale de sécurité du médicament a ainsi reçu plus de 2 440 signalements de pénuries. Depuis plus de dix ans, les professionnels de santé tirent la sonnette d'alarme sur l'augmentation constante des risques de pénurie de médicaments.
La pénurie de ces molécules, essentielles dans notre arsenal médical, est une menace réelle aussi bien pour la santé des Françaises et des Français que pour le système de soins et d'accompagnement. Elle soulève deux sujets majeurs : celui de la charge supplémentaire infligée à un personnel soignant déjà en proie à des conditions de travail désastreuses, et celui de la souveraineté industrielle et pharmaceutique de notre pays.
La pénurie de masques au début de la pandémie de coronavirus a été révélatrice de notre vulnérabilité et nous demeurons en situation de dépendance pharmaceutique et industrielle. Ces pénuries sont elles aussi principalement liées à la forte dépendance de la France au marché mondial – et non à « un mouvement social » chez Sanofi, comme vous le déclariez, monsieur le ministre, le 13 décembre sur France Info. Et c'est justement parce que le Gouvernement demeure dans une vision court-termiste que nous sommes et resterons vulnérables aux fluctuations du marché.
Cette vision court-termiste donne un blanc-seing aux entreprises privées, perfusées d'argent public, alimentées par la course au profit et au productivisme, au détriment de l'intérêt général. Sanofi, le géant pharmaceutique, dont le chiffre d'affaires atteignait 33,77 milliards en 2014 – dont 7 % réalisés en France –, bénéficie depuis 2008 de 125 à 130 millions d'euros par an d'abattements fiscaux au titre du crédit d'impôt recherche (CIR). En parallèle, il n'a eu de cesse de diminuer son potentiel de recherche et développement. D'après les syndicats, Sanofi a supprimé 2 000 emplois dans ce secteur ces dernières années : fin 2009, il y avait 6 212 salariés en CDI dans la recherche pharmaceutique en France ; fin janvier 2015, ce chiffre s'établissait à 4 237. La totalité des crédits d'impôt perçus par le groupe en France est pourtant passée de 70 millions en 2007 à 150 millions en 2013. Dès cette date, la Cour des comptes alertait dans un rapport, estimant que « des stratégies d'optimisation, visant à maximiser l'avantage fiscal accordé au titre du CIR, peuvent se développer dans la durée. » Pourtant, les multinationales continuent à toucher des montants colossaux de crédit d'impôt recherche, mais pratiquent en réalité des délocalisations massives de leurs chaînes de production et de leurs unités de recherche dans des pays à bas coûts sociaux et fiscaux.
Ce phénomène de dumping fiscal et social met à mal la souveraineté économique et industrielle française. La crise sanitaire l'a d'ailleurs clairement montré, puisque sur un domaine aussi stratégique que l'industrie pharmaceutique, la France s'est retrouvée en tension, mais surtout en situation de dépendance auprès de pays étrangers, sur des médicaments de première nécessité. Je rappelle que 80 % des principes actifs des médicaments prescrits en Europe sont produits en Inde ou en Chine. Nous devons nous extraire de notre dépendance aux marchés extérieurs, qui renforce d'ailleurs nos émissions de CO?, et relocaliser la production de médicaments. Suite à la crise sanitaire, une unité de production de paracétamol a été relocalisée sur le territoire et sera mise en service au cours de l'année 2023. Les enjeux en matière de sécurité sanitaire et de droit fondamental à la santé exigeraient que ce dispositif soit étendu à toutes les molécules essentielles.
La pénurie de médicaments est ainsi un des multiples symptômes d'une maladie bien plus profonde : celle d'une course à la croissance qui préfère délocaliser à tour de bras ses unités de production de médicaments au détriment de la santé, de l'accès aux soins et du respect des normes environnementales, en polluant fleuves et rivières de pays plus lointains. Le profit avant la santé, le profit avant la planète, le profit avant la vie ! Si les antibiotiques ne sont pas automatiques, cela reste un droit de pouvoir en bénéficier lorsque l'état de santé l'impose.
Une réponse ambitieuse et réaliste à cette chronique d'une pénurie annoncée commande donc de passer d'une logique de rentabilité à une logique de planification : il faut sortir les stocks de médicaments essentiels du marché privé, caractérisé par une grande opacité et la recherche permanente de l'enrichissement. Les discours de façade et la vision court-termiste ne suffisent plus. Il est temps de changer de paradigme : la vie digne sur une planète vivable et vivante, avant tout !
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe LFI – NUPES.
La pénurie de médicaments n'est pas un phénomène récent, mais elle s'est accentuée ces dernières années : nous sommes passés de 600 signalements en 2016 à 3 500 l'an dernier. La pandémie de la covid a mis en lumière les questions relatives à la production et à l'approvisionnement des médicaments, mais les difficultés d'approvisionnement avaient commencé à augmenter drastiquement avant son apparition. En 2019, nous étions déjà à 1 500 signalements.
À partir de ce constat, nous pouvons d'ores et déjà formuler une première remarque : ce problème n'est pas nouveau et il aurait pu et dû être anticipé. Nous constatons ensuite que ces signalements concernent des produits très divers : anticancéreux, antirétroviraux, insuline. Plus récemment, cet hiver, nous avons connu ce que d'aucuns nomment d'une manière moins dramatique une « tension d'approvisionnement » en Doliprane pour enfants et en amoxicilline. À côté de la publicité abondante faite autour de la pénurie de ces deux types de médicaments sous leur forme pédiatrique, le cri d'alerte de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine affirmant que « toutes les classes de médicaments sont en rupture » est presque passé inaperçu. La situation est donc inquiétante et fragilise notre système de santé publique et d'accès aux soins pour tous.
Compte tenu de cette urgence, nos collègues sénateurs communistes ont récemment pris l'initiative de la création d'une commission d'enquête sur l'aggravation des pénuries de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française. Cette urgence en était déjà une sous la précédente législature, et le groupe GDR avait déposé une proposition de loi pour un service public du médicament pour y répondre.
Pourquoi parlons-nous d'un service public ou d'un pôle public du médicament ? Parce qu'il faut remettre les besoins et la sécurité des patients au cœur de la production et de l'approvisionnement en médicaments et parce qu'il faut sortir de la logique de marchandisation des médicaments dominée par le consumérisme des produits pharmaceutiques.
En effet, les défaillances sont depuis longtemps bien identifiées. Il s'agit de la délocalisation massive de la production de médicaments et de ses conséquences : les grossistes répartiteurs qui préfèrent vendre leurs stocks de médicaments aux pays les plus offrants ; les tensions d'approvisionnement volontairement créées par les laboratoires pour faire augmenter les prix. Les dispositions prises par le Gouvernement pour obliger les fabricants à conserver des stocks disponibles se sont avérées largement insuffisantes, tout comme les plans de gestion de pénurie imposés à l'industrie pharmaceutique. Enfin, les prix des médicaments apparaissent de plus en plus déconnectés des coûts réels de production et de recherche, garantissant des marges injustifiées aux laboratoires.
Cette situation aboutit à faire peser des contraintes financières importantes sur la sécurité sociale qui rembourse les soins, tout en assurant des rentes de situation aux acteurs privés. En outre, la puissance publique peine à réguler efficacement le prix des médicaments alors même que la demande est largement soutenue par la solidarité nationale. Les causes sont à chercher dans le déséquilibre croissant entre les moyens d'intervention de l'État et la force économique des entreprises du médicament. Malgré des prérogatives importantes, le Comité économique des produits de santé (CEPS), l'organisme interministériel chargé de négocier les prix des médicaments face aux laboratoires, ne dispose pas aujourd'hui de moyens financiers et d'expertise suffisants pour remplir correctement sa mission.
Pour toutes ces raisons, nous pensons que l'État doit disposer d'outils publics et de moyens industriels suffisants pour garantir la disponibilité des médicaments essentiels, économiquement abordables, de bonne qualité et biens utilisés. L'organisation de la recherche doit se soumettre à l'intérêt général. Cela implique de prendre des mesures fortes de régulation sous l'égide de la puissance publique et de dégager des moyens nouveaux au profit de la recherche. Les coopérations internationales doivent être encouragées et les financements publics mobilisés à la hauteur nécessaire. La législation internationale en matière de propriété intellectuelle et industrielle appliquée aux médicaments doit être révisée sur la base de la primauté de la santé publique.
Nous plaidons donc pour une maîtrise publique de l'ensemble de la chaîne du médicament : celui-ci ne peut plus être traité comme un bien de consommation comme les autres.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR – NUPES, SOC et Écolo – NUPES.
Le sujet de la politique du médicament et des pénuries que nous avons pu connaître, inscrit à l'ordre du jour à la demande de nos collègues du groupe Socialistes et apparentés, que nous remercions, est majeur. Il inquiète considérablement nos concitoyens, qui se retrouvent parfois démunis. Je viens d'ailleurs de recevoir un SMS me signalant des problèmes d'approvisionnement en antibiotiques aujourd'hui même à Paris. Nous avons connu de tels problèmes avec le paracétamol, par exemple.
En trente ans, à l'image de celle des vêtements, des jouets ou encore des appareils électroniques, la fabrication des médicaments s'est peu à peu délocalisée, pour l'essentiel en Asie. Aujourd'hui, 80 % des principes actifs entrant dans la composition des médicaments vendus en Europe viennent d'Inde ou de Chine. C'est le cas par exemple de la plupart des médicaments génériques. Le paracétamol, antalgique parmi les plus populaires, est désormais produit exclusivement hors d'Europe. Seules les phases finales de fabrication, comme le conditionnement en comprimés ou en gélules, sont la plupart du temps effectuées sur le territoire européen.
Cette mondialisation entraîne des risques majeurs pour la santé publique. D'abord, la qualité des principes actifs fabriqués dans les pays émergents n'est pas vraiment suivie par les autorités sanitaires européennes et américaines, faute de moyens. La direction européenne de la qualité du médicament et soins de santé, organe du Conseil de l'Europe, procède à une trentaine d'inspections annuelles hors d'Europe, un chiffre à rapporter au millier de sites de production implantés en Chine et en Inde.
Autre problème, la fourniture des principes actifs peut ne plus être assurée à la suite d'événements géopolitiques, climatiques ou sanitaires, comme cela a été le cas avec la pandémie de covid. Du fait des confinements et d'une moindre demande, la production de médicaments et de leurs principes actifs a baissé de manière significative durant cette période. Avec les reprises épidémiques et la priorité donnée à la demande nationale par certains pays producteurs, le redémarrage de la production à vocation internationale a été mal évalué et mal anticipé. Cela a provoqué des tensions d'approvisionnement sans précédent. La guerre en Ukraine, la crise de l'énergie et une hausse de la demande mondiale n'ont fait qu'aggraver la situation.
La très grande majorité des pénuries concernent les médicaments dits matures, c'est-à-dire ceux dont les brevets sont libres. Parce que les droits de propriété intellectuelle ont expiré, leur brevet est tombé dans le domaine public et le médicament original peut être légalement copié. On parle alors de médicaments génériques, dont la fabrication est forcément moins chère, donc moins rentable et moins attractive pour l'industrie pharmaceutique de nos pays développés.
Les conséquences en matière de santé publique peuvent être lourdes, les patients n'étant plus en mesure de trouver leur traitement en pharmacie. Selon l'association France Assos Santé, 45 % des personnes confrontées à des pénuries ont été contraintes de reporter leur traitement, de le modifier ou d'y renoncer. Dans certains cas, comme celui des médicaments utilisés contre le cancer, cela peut entraîner une perte de chance notable pour les malades, ce qui n'est tout simplement pas acceptable.
On l'a compris, avec la mondialisation, les flux de l'industrie pharmaceutique se sont complexifiés. Après avoir acheté des matières premières à un endroit, fabriqué des principes actifs dans un autre, on les assemble avec les excipients encore ailleurs ; le tout peut encore être conditionné dans un pays tiers. Aux difficultés d'approvisionnement et donc de production s'ajoutent celles liées au transport, notamment maritime. Le tout, mis bout à bout, allonge les délais et rend le secteur pharmaceutique de moins en moins réactif.
Dès lors, nul besoin de rappeler qu'il est urgent d'agir et de choisir la relocalisation de la production de médicaments pour se prémunir des pénuries et sécuriser l'approvisionnement. Peut-être serait-il ainsi nécessaire de réformer les critères de la politique de remboursement pour mieux prendre en compte la territorialité de la production, sans quoi l'externalisation des activités pharmaceutiques en Asie ou sur les autres continents continuera de se développer, avec tous les risques pour la qualité sanitaire et l'approvisionnement qu'elle implique.
Je ne peux donc qu'être sensible à la proposition de nos camarades d'instaurer une politique du médicament permettant d'éviter les difficultés que j'ai décrites. L'autonomie en la matière, qu'elle soit française ou européenne, est particulièrement importante et pose une question de souveraineté. Rappelons en outre – mais c'est un autre débat –…
…que le problème de la souveraineté se pose également au niveau alimentaire. Notre balance commerciale dans les domaines agricole et agroalimentaire est ainsi déficitaire si l'on ne prend pas en compte les spiritueux et les vins.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC et GDR – NUPES.
Les phénomènes de pénurie de médicaments, à l'hôpital comme en ville, relayés par les médias alimentent l'inquiétude des patients en mettant sous pression le système de santé et les professionnels de santé. Cet hiver, nous avons connu durant la triple épidémie de covid, grippe et bronchiolite des tensions sur les stocks de médicaments courants comme l'amoxicilline et le paracétamol, en particulier sous les formes prescrites aux enfants, source de soucis pour les parents. Toutes les classes thérapeutiques sont touchées : les antibiotiques, les anti-inflammatoires, les médicaments anticancéreux ou ceux pour les troubles du système nerveux.
Si ces tensions ne sont pas nouvelles, elles semblent désormais s'étendre des pharmacies de ville aux pharmacies hospitalières. Elles s'intensifient, comme l'illustre un rapport de 2019 de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, selon lequel elles ont été multipliées par vingt en dix ans. Enfin, elles concernent désormais les médicaments dits essentiels.
Les causes en sont connues et complexes : les difficultés d'approvisionnement des molécules – 80 % des principes actifs sont importés de Chine et d'Inde, contre 20 % il y a trente ans ; les mutations et la mondialisation de l'industrie du médicament – dans les années 1980, la France comptait près de 470 entreprises de production, contre seulement 247 aujourd'hui ; les quotas industriels ; la hausse inattendue de la demande.
Ces pénuries constituent une préoccupation majeure des pouvoirs publics en France et en Europe. Ils proposent des réponses structurelles sans précédent, comme la Stratégie pharmaceutique pour l'Europe depuis 2020. Celle-ci encourage l'entraide entre États, assouplit les règles et incite à la relocalisation de médicaments en Europe. La feuille de route de la Commission européenne en la matière, annoncée pour mars, prévoirait aussi une liste de mesures contre les futures pénuries. En France, l'adoption en 2021 du plan France 2030 mobilise des financements importants, de 7,5 milliards d'euros, pour la filière du médicament. Celui-ci vise à relocaliser, par exemple, la filière paracétamol grâce à l'implantation d'une unité à Roussillon, en Isère, ou encore à atteindre l'objectif ambitieux de produire vingt biomédicaments différents sur notre territoire en 2030. Ces mesures, associées au système d'information et de partage des données de l'ANSM, permettent d'anticiper les risques et de signaler les ruptures. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a aggravé les sanctions financières des laboratoires qui ne signaleraient pas les risques ou les ruptures de stocks. Quel est l'impact de cette mesure ? Conduit-elle à une meilleure anticipation ?
Le système de gestion et de contingentement des stocks des médicaments dits essentiels ou encore d'intérêt thérapeutique majeur contribue à l'anticipation. Il faut toutefois tenir compte du report des prescriptions sur d'autres produits ; cet hiver, par exemple, avec la tension sur l'amoxicilline, les prescriptions de Pyostacine ont augmenté de 50 à 60 %. Les industriels ont donc augmenté la production de ce médicament en urgence et trouvé des solutions d'importation. Face à cet enjeu structurel, il serait peut-être souhaitable d'ajouter à la liste des médicaments essentiels et prioritaires les médicaments de substitution. Il faut également se demander s'il est nécessaire d'étendre le système de contingentement à des médicaments dits non essentiels.
Afin de renforcer la coordination entre le secteur de la santé et l'industrie, un gel de la baisse des prix de certains génériques a été annoncé. La production locale des médicaments d'origine, dont les prix sont actuellement alignés sur ceux des génériques, doit aussi attirer notre attention : serait-il envisageable de faire jouer l'article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 ? C'est l'une des mesures du plan Innovation santé 2030, visant à concrétiser l'engagement de « renforcer la prise en compte de l'empreinte industrielle dans la fixation du prix du médicament et des investissements sur notre territoire » afin d'inciter à l'augmentation des capacités de production en vue de l'approvisionnement du marché national.
Enfin, quelles sont les conséquences des pénuries sur la santé des patients ? Que se passe-t-il lorsque le traitement a été substitué ou lorsque le patient a arrêté son traitement ? Les effets indésirables ou vitaux pour les patients ont-ils été nombreux ? Les centres régionaux de pharmacovigilance mènent des études pour en évaluer les conséquences ; ils déclarent manquer de données. Est-il prévu de renforcer leurs outils d'évaluation ?
Monsieur le ministre, pouvez-vous éclairer la représentation nationale sur les moyens d'améliorer la lutte contre les pénuries afin de garantir l'accès aux soins et de rassurer les patients ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.
Amoxicilline, sérum physiologique, Trulicity, Tresiba, NovoRapid, bétaméthasone : ces noms peu évocateurs pour vous font partie de la liste des médicaments actuellement en rupture sur notre territoire. Le problème concerne des insulines, des antibiotiques, des corticoïdes, et j'en passe.
Il y a trois ans, Marine Le Pen interrogeait la ministre de la santé de l'époque, Mme Buzyn, sur les pénuries de médicaments. Quelle ironie de retrouver ce soir le même débat ! Depuis 2020, avec l'épidémie de covid-19, notre système d'approvisionnement en médicaments et dispositifs médicaux connaît de nombreuses défaillances. Lorsque Marine Le Pen dénonçait cette situation, elle a été accusée d'isolationnisme. Vous avez déplacé à l'échelon européen, voire mondial, la stratégie de production pharmaceutique. Quel succès !
Selon le syndicat des entreprises du médicament, le Leem, notre pays se situe aujourd'hui à la cinquième place pour la production pharmaceutique en Europe, derrière la Suisse, l'Italie, l'Allemagne et Le Royaume-Uni. À nouveau, quel succès !
Vous allez une fois de plus prétendre que nous entretenons un climat de peur. Soyez responsables de vos choix ! L'ANSM estime à environ 3 000 le nombre de signalements de ruptures et tensions sur l'approvisionnement en 2022. Il n'y en avait que 405 en 2016. Les choix politiques d'hier ont organisé la vulnérabilité sanitaire et industrielle d'aujourd'hui en laissant notre puissance industrielle pharmaceutique se délocaliser dans des pays extra-européens sans anticiper la possibilité de pénurie ni la nécessité de favoriser la recherche. Comment peut-on encore dépendre à près de 80 % de la Chine et de l'Inde pour la production des principes actifs ? Comment notre pays, fleuron de l'industrie pharmaceutique mondiale, est-il passé à la cinquième place, derrière l'Italie ? L'instauration des projets de loi de financement de la sécurité sociale en France (PLFSS) a détruit le tissu industriel. Ces textes ont imposé une vision annuelle du financement de notre système de santé, selon une logique purement comptable, sans considérations industrielles, avec deux conséquences : le manque d'attractivité et le désinvestissement public du soutien à la production nationale.
La question de la santé ne peut être laissée aux comptables. Il faut un cap, un objectif, une stratégie – en somme, une volonté politique. Or le PLFSS pour 2023, sur lequel vous avez empêché le débat, retient une vision purement comptable du secteur, en prélevant 800 millions d'euros aux industriels, alors qu'à la faveur de la crise du covid, le Gouvernement prônait la relocalisation. Quel succès !
Vous conviendrez que pour rendre un secteur attractif et compétitif, nous avons connu de meilleures stratégies. Pendant ce temps-là, vous proposez un plan de préparation au risque épidémique hivernal et un Plan blanc médicament. Vous parlez de plan quand nous, nous parlons de stratégie. Nous souhaitons retrouver la souveraineté industrielle et ce n'est pas être antieuropéen que de proposer cela, puisque nos voisins le font.
Cette réindustrialisation doit être pilotée par l'État pour permettre au marché national d'être attractif et compétitif, en proposant une loi de programmation de santé pluriannualisant le PLFSS pour donner une vision de long terme aux industriels ; en diminuant le nombre d'interlocuteurs entre les industriels et les administrations ; en ajustant les prix tant en Europe qu'en France ; en simplifiant les démarches pour les médicaments innovants ; en relançant la recherche clinique ; en ajoutant à l'ANSM un organisme interministériel de coordination ; enfin, en donnant au ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, plutôt qu'à celui de la santé et de la prévention, la responsabilité industrielle des produits de santé. Il faut relancer les industries de santé dans notre pays. Cette politique doit être centrale pour la santé de nos concitoyens. Il faut agir, et maintenant !
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Le paracétamol deviendra-t-il un produit de luxe ? Faut-il apprendre à vivre sans l'amoxicilline, l'antibiotique le plus prescrit aux enfants ? À cette heure, ces deux médicaments subissent encore des tensions d'approvisionnement. Pourtant, il y a un mois presque jour pour jour, monsieur le ministre, vous promettiez un retour à la normale « dans les deux semaines » – comme pour la retraite minimale à 1 200 euros, il s'agissait d'un mensonge. Après avoir envoyé les soignants au front du covid sans blouses, sans masques, sans gants, après avoir détruit l'hôpital public, vous demandez désormais aux Français de se passer de médicaments !
Aux déserts médicaux contre lesquels vous ne faites rien, vous ajoutez les déserts médicamenteux. Pourtant, vous saviez ! L'Académie nationale de pharmacie nous alerte depuis 2011. Jean-Luc Mélenchon nous alertait dès 2012 sur les risques de pénurie de paracétamol.
Exclamations sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR.
Qu'avez-vous fait ? Rien ! Pire, depuis que vous gouvernez, les pénuries s'aggravent. En 2022, l'approvisionnement en 3 500 médicaments essentiels a fait l'objet de tensions ou a connu des ruptures. C'est cinq fois plus qu'à l'arrivée au pouvoir de M. Macron. Les causes sont connues : concentration de la production de l'industrie pharmaceutique sur les médicaments les plus juteux financièrement – tant pis pour les pauvres et les maladies non rentables, condamnés à une pénurie sociale ; concentration de la production des génériques ensuite, laissée aux laboratoires qui daignent se partager ce marché moins lucratif – 40 % de ces médicaments sont produits par deux laboratoires seulement dans le monde, une situation que même M. Bruno Le Maire qualifiait d'« irresponsable et déraisonnable » il y a déjà trois ans ; concentration géographique enfin, quand 80 % des matières actives à usage pharmaceutique sont fabriquées hors de l'Union européenne, à cause des délocalisations.
Ce système coupable porte un nom : le capitalisme et la marchandisation de la santé, c'est-à-dire de la vie elle-même. Ainsi, en 2022, Pfizer a annoncé l'arrêt de sa production d'isoprénaline, médicament utilisé en réanimation pour certaines urgences vitales et pour lequel il n'existe pas de possibilité de substitution. En 2016 déjà, Sanofi arrêtait la production du BCG, utilisé contre le cancer de la vessie et la tuberculose, alors qu'il en était le principal producteur en France. Depuis, l'entreprise a réalisé 50 milliards d'euros de profits !
Cet hiver, les tensions concernent des anticancéreux, des insulines, des anticoagulants utilisés lors des accidents vasculaires cérébraux (AVC). Votre inaction est donc coupable, car les conséquences de ces pénuries sont très concrètes. Un Français sur quatre a déjà été privé de médicaments et un sur huit contraint de reporter son traitement, voire d'y renoncer. La directrice de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé alerte sur des risques de perte de chance pour les patients. Avez-vous conscience qu'il s'agit, à demi-mot, de morts ? En assumez-vous la responsabilité politique ?
Avec cynisme, Emmanuel Macron déclarait le 12 mars 2020, « ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. […] Nous devons en reprendre le contrôle […]. Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. ». C'était il y a trois ans.
Qu'avez-vous fait depuis ? Rien, ou si peu. Vous avez refusé de réquisitionner l'entreprise Luxfer qui, avant sa fermeture, était la seule en Europe à fabriquer des bouteilles d'oxygène médical. Vous avez laissé Sanofi supprimer la moitié de ses effectifs de recherche en France en dix ans alors que dans le même temps, il recevait 1,5 milliard d'euros de CIR. Vous avez organisé la pénurie mondiale de vaccins contre le covid pour les pays pauvres, en refusant la levée des brevets que nous demandions. Vous avez préféré garantir à Pfizer, BioNTech et Moderna leurs 1 000 dollars de profits par seconde.
Vous avez ainsi préféré exposer l'humanité,…
…et donc les Français, au développement des variants. Et, aujourd'hui, quelle est votre réponse ? Des hausses de prix ! C'est d'ailleurs votre seule réponse, hier comme aujourd'hui : faire subventionner les marges de Big Pharma par la sécurité sociale, soumettre toujours plus la santé au marché et conforter la cause des pénuries au lieu de la combattre.
À l'inverse, nous l'affirmons avec force : non, la santé n'est pas une marchandise ! Non, la maladie ne doit pas servir à faire des profits et la santé publique doit être guidée par d'autres valeurs que celles de la Bourse.
Il y a urgence : urgence à créer un pôle public du médicament ; urgence à instaurer un protectionnisme pour relocaliser les productions en France, même si la Commission européenne ne le veut pas ; urgence à reconstituer des stocks en planifiant les commandes ; urgence à couper la gabegie du crédit d'impôt recherche à ceux qui jouent contre la France ; urgence, si besoin, à défendre notre indépendance et les intérêts fondamentaux de la nation, comme le prévoit le code pénal. En un mot, il y a urgence car entre la Bourse ou la vie, il faut choisir. Nous choisissons la vie.
Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES, SOC et GDR – NUPES.
L'accès à la santé est un droit majeur pour tous nos compatriotes. La force de notre système de santé publique est de pouvoir répondre à cet engagement. Malheureusement, depuis quelques années, les ruptures de stock et d'approvisionnement de médicaments sont de plus en plus nombreuses. Elles concernent de multiples pathologies et ont des conséquences importantes sur les soins délivrés aux patients, pouvant les mettre en danger vital. Sur le site internet de l'ANSM, la liste des produits concernés s'allonge dangereusement.
Je ne reviendrai pas sur les chiffres, déjà évoqués. Depuis le 1er septembre 2021, les laboratoires pharmaceutiques ont l'obligation de constituer un stock de sécurité minimal de deux mois pour tous les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur. Malgré ces nouvelles dispositions, le phénomène de pénurie devient de plus en plus aigu, ce qui souligne que le mal est profond.
La France n'est plus compétitive…
… ni dans la production, ni dans la distribution des médicaments. Le taux d'incapacité à approvisionner les pharmacies demandeuses pendant au moins une semaine a quasiment doublé depuis janvier 2022, passant de 6,5 % du nombre de références de médicaments à 12,5 % mi-août 2022 selon le groupement d'intérêt économique (GIE).
Le résultat est désastreux. Des milliers de malades risquent de ne pas être pris en charge correctement, même s'il convient de noter le grand professionnalisme des pharmaciens, qui doivent parfois faire preuve d'une importante créativité. Nous voulons leur rendre hommage.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Ces situations concernent des centaines de références, dont des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur utilisés dans des chimiothérapies, des médicaments contre le diabète de type 2, des traitements pour le système cardiovasculaire. Elles peuvent entraîner l'interruption ou le report de traitements vitaux. Ces ruptures sont d'autant plus néfastes que les professionnels de santé n'ont pas toujours de traitements alternatifs.
C'est ainsi que de nombreux médicaments destinés aux enfants et aux nourrissons – Augmentin, Doliprane pédiatrique, vous les avez cités – sont absents des officines pharmaceutiques.
Des traitements alternatifs destinés aux adultes sont alors délivrés, ouvrant la voie à de potentielles erreurs de dosage aux conséquences dramatiques. Puis, quand ils existent, ce sont les médicaments de substitution qui viennent à manquer, sans parler de l'encombrement des urgences hospitalières, qui n'en ont pas besoin.
Comment expliquer ces ruptures ? Les laboratoires invoquent des problèmes d'approvisionnement, des incidents sur la chaîne de production, une demande mondiale accrue. Mais, depuis plusieurs années, différents acteurs et observateurs du marché pharmaceutique dénoncent aussi les stratégies économiques de l'État, une désindustrialisation nationale, un système archaïque de livraison des pharmacies, pointant également le fait que de nombreux médicaments en rupture sont anciens, peu coûteux et donc moins rentables à produire pour les industriels.
Frédéric Bizard, économiste de la santé, président fondateur de l'institut Santé, dénonce régulièrement l'incapacité de la France à anticiper les besoins en médicaments et à sécuriser leur approvisionnement. L'État ne réalise ni l'évaluation prévisionnelle de nos besoins pharmaceutiques, ni le suivi des stocks à l'échelle nationale en temps réel.
Alors que notre pays possède une histoire très forte en matière de production pharmaceutique, il a perdu son leadership depuis une dizaine d'années, passant de la première à la quatrième place européenne, par manque de vision.
Ces pénuries ne sont pas une fatalité. Elles sont la conséquence d'une vision purement comptable de l'État…
… alors que ce secteur a une importance sanitaire, industrielle et économique primordiale. La seule régulation de l'État consiste à reporter le plus tard possible l'accès des innovations au marché – quatre fois le temps moyen d'accès au marché observé en Allemagne – et à écraser le plus possible les prix des médicaments anciens – une baisse de 35 % en dix ans –, au point que leur production n'est plus viable en France.
Ces pénuries sont la conséquence des dix dernières années de politique de santé.
Sans changement structurel, elles perdureront. Nous le constatons, la politique menée par le Président de la République est incapable de protéger correctement les Français. Ses gouvernements successifs auront été ceux de toutes les pénuries, par manque d'anticipation et de vision, et pas seulement pendant l'épidémie de covid : pénurie de carburants, pénurie d'électricité, pénuries alimentaires, pénuries de matières premières ou dans le secteur du BTP (bâtiment et travaux publics).
Aujourd'hui, comme pendant la crise du covid, la sécurité sanitaire des Français est en jeu. Nous ne pouvons l'accepter. Nous avons d'ailleurs demandé la création d'une commission d'enquête dès le mois d'octobre dernier.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Monsieur le ministre, nous avons besoin de réponses claires et précises.
Mêmes mouvements.
Je remercie Christine Pires Beaune d'avoir bien voulu ouvrir ce débat. Si le sujet des médicaments est sur la table depuis une quinzaine d'années, la situation s'aggrave. En 2012, le Gouvernement, que j'avais interrogé, évoquait 500 ruptures. En 2016, on était à 900. Puis on est passé à 1 500, et désormais à 3 500.
Le constat est le même sur tous les bancs, même s'il y a toujours des débordements.
Mes chers collègues, n'oubliez pas que même Cuba a fait appel à la solidarité européenne ! Monsieur le ministre, vous l'avez vécu en tant que réanimateur puisque le curare manquait pour les patients sous covid. Vous êtes donc certainement celui qui va pouvoir redresser la barre d'une barque sur laquelle on a depuis longtemps trop appuyé.
Lorsqu'on assiste régulièrement à l'élaboration des PLFSS, on s'aperçoit que chaque année, quand il manque 500 millions ou 1 milliard, on va chercher au scalpel ces quelques financements complémentaires permettant d'atteindre l'équilibre.
Ce constat s'impose à nous, même s'il est violent. Les pharmaciens, qui font un travail de proximité formidable, les médecins, qui n'ont pas toujours la possibilité de soigner leurs patients, le vivent très mal.
C'est notamment le cas des cancérologues, puisque 10 à 15 % des patients atteints d'un cancer ne bénéficient pas du traitement auquel ils pourraient prétendre.
Face à ce constat, les assemblées ont leur rôle à jouer. D'ailleurs, le Sénat ne nous a pas attendus.
Une commission d'enquête parlementaire est conduite, de façon bipartisane, par une sénatrice communiste et une sénatrice centriste que je connais bien, Sonia de La Provôté, elle-même médecin. Elles rendront leurs travaux en juin.
Notre collègue du groupe Les Républicains plaide pour une commission d'enquête parlementaire. Nous devons élaborer une stratégie partagée ; il me semble que sur un tel sujet, nous pourrions nous retrouver. Christine Pires Beaune a proposé quelques pistes. Je suis prêt à en emprunter certaines assez rapidement. Ainsi, elle a raison d'évoquer les méga-appels d'offres qui écartent naturellement un certain nombre de laboratoires, conduisant à une hyperconcentration et une mécanique d'élaboration des prix plus opaque que transparente.
S'agissant de la planification des commandes, lors du covid, nous sommes partis les derniers pour les vaccins, mais nous sommes arrivés les premiers. Reconnaissons que l'Union européenne, souvent critiquée par certains, a montré une véritable capacité d'action.
Monsieur le ministre, il faudrait mettre en œuvre trois actions – un tripode –, dans le cadre d'une convention d'objectifs et de moyens. Le Président de la République plaidait pour des moyens dans le cadre de la stratégie Innovation santé 2030. C'est une exigence et c'est indispensable. La souveraineté n'est pas un gros mot et si nous devons atteindre la souveraineté alimentaire, il faut aussi organiser notre souveraineté en matière de santé.
La production doit aussi être revue de A à Z : sourcing, maîtrise des principes actifs et des chaînes de fabrication, sans oublier que les usines sont classées Seveso. Chacun devra en prendre conscience et renoncer à préférer une implantation chez le voisin. Dans ma région, suite à une virulente levée de boucliers, on a refusé l'implantation d'une usine au motif qu'elle était classée Seveso. Ces unités de production, nous devons être capables d'en discuter ensemble, avec une véritable stratégie.
Ensuite, les modalités de calcul des prix des médicaments sont un peu anciennes. N'oublions pas l'innovation, quelquefois pénalisée – je parle sous le contrôle de la rapporteure générale de la commission des affaires sociales – même si nous l'avons en partie préservée, notamment grâce au CIR. Le prix d'un médicament est fonction de sa durée de vie. Quand il devient générique, il doit continuer à être rentable pour le laboratoire sans pour autant dispenser ce dernier de toujours mieux maîtriser ses coûts de fabrication.
Enfin, il faut agir sur la chaîne de diffusion, par le biais des grossistes-répartiteurs, des laboratoires et des médecins prescripteurs. Il faut maîtriser ces trois axes, grâce à un plan d'urgence. Je sais que c'est votre intention, monsieur le ministre. Je remercie à nouveau nos collègues socialistes d'avoir pris l'initiative de ce débat. Il ne faut pas en reparler dans deux ou cinq ans, mais le suivre dès à présent afin que nos concitoyens puissent se soigner avec des médicaments.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, RE et HOR.
La politique du médicament et la gestion des pénuries sont des sujets importants, d'actualité, et vous avez choisi de leur consacrer cette séance de débat. Je vous en remercie, car cela me donne l'occasion de venir m'exprimer devant vous sur les enjeux complexes qu'ils revêtent. D'une part, je répondrai à vos nombreuses questions, dont beaucoup relaient des préoccupations de nos concitoyens. D'autre part, je vous exposerai plus largement l'action du Gouvernement pour sécuriser l'accès aux traitements du quotidien et assurer une diffusion plus large des innovations thérapeutiques.
Vous avez raison, monsieur Monnet, le médicament n'est pas un produit comme les autres. La politique du médicament s'élabore ainsi au croisement de plusieurs préoccupations majeures. Loin de se limiter à des enjeux techniques, elle fait partie de ces politiques publiques qui se traduisent concrètement, presque au quotidien, dans la vie de nos concitoyens, par exemple lorsque le petit dernier a de la fièvre et qu'il faut aller à la pharmacie de garde.
La régulation et le financement des produits de santé ont des conséquences sur l'accès à la santé. Or mes priorités sont de lutter contre les inégalités d'accès à la santé et de permettre aux patients de bénéficier des meilleurs traitements, des innovations et des produits de rupture, comme des produits plus matures, essentiels pour soigner les Français au quotidien.
Le médicament constitue également un pan non négligeable de notre politique industrielle. Pour cette raison, je travaille en étroite collaboration avec mon collègue Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie, afin de soutenir l'innovation, chez les start-up comme chez les grandes entreprises, de préserver notre tissu productif et de garantir l'attractivité de notre pays.
En outre, la politique du médicament est étroitement liée aux finances publiques. La soutenabilité de notre système universel de protection sociale constitue un enjeu crucial pour l'avenir. Si l'accès à la santé est ma première priorité, en matière de politique du médicament, ma principale préoccupation est, logiquement, de lutter contre toutes les pénuries ou difficultés d'approvisionnement qui pourraient compromettre l'accès de nos concitoyens aux produits de santé dont ils ont besoin. Nous ne sommes pas le seul pays qui fait face à des difficultés. Je pense aux États-Unis, au Canada et à nos voisins européens : le problème est malheureusement international.
Je suis bien conscient que les difficultés pour se procurer par exemple du paracétamol ou de l'amoxicilline, en particulier lorsqu'ils sont destinés aux enfants, engendrent des situations d'angoisse qui sont tout à fait compréhensibles. L'inquiétude de nos concitoyens est légitime, et je l'entends. Aussi notre mobilisation doit-elle être forte, collective et coordonnée pour résoudre ces situations aux effets complexes et aux causes multifactorielles. L'amoxicilline, par exemple, dont il a été largement question dans le débat public, a pâti d'une demande conjoncturelle très forte en raison de la rencontre de plusieurs épidémies hivernales, associée à une anticipation insuffisante des industriels, la crise sanitaire ayant provoqué une baisse de la consommation de la population pendant plusieurs périodes consécutives. La crise liée au covid a balayé nos certitudes, nous devons collectivement en tirer les conséquences.
Les médicaments sont d'autant plus sensibles à ces chocs exogènes que leur production est le résultat d'un processus complexe et extrêmement normé. Il fait intervenir une grande diversité d'acteurs, qui interagissent dans des chaînes de valeur internationales, avec un environnement géopolitique instable. On imagine bien qu'il suffit d'un grain de sable dans l'un des rouages pour que tout le mécanisme s'enraye. Il serait aisé de chercher des coupables à l'autre bout du monde, de renvoyer dos à dos, tour à tour, industriels, gouvernements, grossistes-répartiteurs, voire prescripteurs. Non : la complexité ne doit pas diluer notre responsabilité dans les contextes de crise.
Le Gouvernement a réagi. Nous avons conçu des solutions très concrètes afin de résoudre les problèmes à court terme, tout en travaillant à nous rendre résilients dans le temps. Au plus dur de la crise, nous avons pris rapidement des mesures fortes, telles que le contingentement des stocks, l'interdiction des exportations, l'autorisation donnée aux pharmaciens d'effectuer des préparations magistrales, la diffusion régulière d'informations aux prescripteurs et à la population. Elles ont permis de limiter autant que possible les tensions rencontrées sur certains produits et surtout leurs effets.
J'en profite, madame Pires Beaune, pour répondre à votre question relative aux appels d'offres des établissements de santé. Nous leur avons envoyé une instruction pour leur recommander de favoriser systématiquement le multiapprovisionnement, afin de ne pas dépendre d'une seule structure, et de préférer les produits fabriqués en Europe, notamment en appliquant des critères environnementaux.
Grâce à l'intense mobilisation des services des ministères concernés, et particulièrement de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, la situation globale évolue désormais favorablement. Grâce à un travail efficace avec les industriels, nous avons accéléré la production et la distribution. Pour reprendre l'exemple de l'amoxicilline, nous fournissons aux officines 1 million de flacons et de boîtes ; fort heureusement, nous continuons à alléger chaque jour les tensions et à rétablir les stocks. Grâce à des dialogues et des travaux réguliers avec l'ensemble des acteurs pour trouver les meilleures solutions, semaine après semaine, en fonction de l'évolution de la conjoncture, nous nous acheminons sûrement vers un retour à la normale. J'y veille quotidiennement. C'est ce message positif que je veux vous faire connaître, même si nous restons très prudents, vigilants et mobilisés.
Non, monsieur Tavel, le terme « mensonge » n'a pas lieu d'être prononcé. Il serait même diffamatoire dans cette situation.
Si vis pacem, para bellum, selon l'adage. Si nous ne voulons pas manquer de médicaments, nous devons dès à présent nous prémunir pour relever les défis certains que nous réserve l'avenir. La prévention consiste aussi à agir en ce sens.
Dans un monde qui change, nous devons adapter et renforcer notre arsenal de gestion des risques. Je veux que nous soyons toujours prêts, même pour les cas de figure les plus critiques, ou si la disponibilité d'un produit se détériore rapidement.
Le comité de pilotage dédié à la gestion des pénuries de médicaments et de produits de santé, installé au début du mois, agit concrètement pour réaliser cette ambition. Sa première réunion, le 2 février, a engagé une phase d'élaboration de deux mois, avec l'ensemble des parties prenantes, autour de nouveaux axes prioritaires. Les propositions du comité serviront à construire la nouvelle feuille de route pluriannuelle de lutte contre les pénuries de produits de santé, pour les années 2023 à 2025. Elle vous sera présentée au plus tard en juin 2023.
La précédente feuille de route, qui concernait la période entre 2019 et 2022, avait déjà introduit des avancées majeures, notamment un plan de gestion des pénuries pour les industriels et l'obligation de détention de stocks minimaux. Mais il nous faut désormais franchir un nouveau cap. Cette nouvelle feuille de route doit constituer notre plan d'action et notre mode opératoire. Elle comportera un plan de gestion pour les périodes épidémiques d'intensité importante, comme ce fut le cas cet hiver, qui nous permette d'agir sur toute la chaîne du médicament ; une surveillance accrue des médicaments et dispositifs médicaux essentiels et critiques ; un Plan blanc du médicament, activable en cas de crise majeure de grande ampleur pour sécuriser immédiatement les approvisionnements et la distribution des traitements et dispositifs médicaux adaptés aux besoins des Français.
Dans ce cadre, nous continuons l'important travail de cartographie des risques qui a été engagé, car c'est en connaissant nos points de faiblesse et en identifiant clairement nos priorités que nous arriverons à construire une stratégie efficace et pertinente de gestion de crise et de relocalisation de nos industries de santé. D'ici à fin mai, nous stabiliserons une liste unique de médicaments et de dispositifs médicaux critiques, ceux dont nous ne pouvons nous passer ; pour chacun sera établie une cartographie des risques qui permette d'identifier clairement sur quel maillon de la chaîne nous devons agir pour limiter les risques de pénurie.
L'anticipation est la clé pour protéger au mieux nos concitoyens. C'est une première étape essentielle pour atteindre notre objectif de sécuriser les chaînes d'approvisionnement de ces molécules aux niveaux français et européen. C'est cohérent avec notre volonté de renforcer la coordination interministérielle de la gouvernance. Ainsi, deux fois par mois, mes équipes tiennent des réunions de pilotage dédiées avec celles du ministre délégué chargé de l'industrie, pour nous assurer de l'avancée vers ces différents objectifs.
Agir en cas de crise, comme cet hiver, c'est notamment élaborer des mécanismes pour interdire l'exportation de médicaments déjà présents sur notre sol ; avec l'aide des professionnels de santé, proposer des médicaments de substitution ; autoriser les préparations magistrales ; travailler avec les industriels pour modifier les chaînes de production ; avec les grossistes, s'assurer d'une répartition homogène sur tout le territoire. Voilà quelques exemples des mesures qui figureront dans le Plan blanc du médicament, qui sera rédigé pour l'automne.
J'en profite pour vous parler des stocks de médicaments. Camus disait : « Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde. » J'entends beaucoup parler de rupture, alors que le terme « tension » serait plus adéquat.
En effet, les travaux de l'ANSM permettent d'identifier une diminution des stocks, bien avant que la rupture se produise. Pour tous les médicaments d'importance thérapeutique majeure, qui sont au nombre de 6 000 environ, les stocks sont de deux mois ; pour 422 spécialités essentielles, ils sont de quatre mois ; pour 98 autres spécialités, ils ne sont que d'un mois.
Mesdames et messieurs les députés, je vous ai parlé de gestion de crise et de pénurie. Vous avez choisi de mettre cette difficulté en avant dans l'intitulé de ce débat, car elle s'est présentée avec une acuité particulière au cours des derniers mois, même si elle est ancienne, comme vous l'avez tous souligné. Je l'ai expliqué en détail, le Gouvernement s'est saisi du sujet et il agit pour protéger les Français. Toutefois, une bonne politique du médicament, et même de prévention des pénuries, suppose de s'intéresser plus globalement au modèle économique de l'industrie du médicament et d'adapter notre système de financement et de régulation à ses évolutions structurelles.
Une bonne politique du médicament consiste aussi à investir pour soutenir la recherche, le développement et la diffusion des produits innovants et les traitements de rupture. Le plan Innovation santé 2030 prévoit 7,5 milliards d'euros pour financer recherche, innovation et souveraineté – monsieur Monnet, je ne peux vous laisser dire que l'État n'investit pas. Il nous permettra de mieux soigner, de soigner toujours plus, de répondre au défi du vieillissement en bonne santé de la population, tout en maîtrisant la dépense collective.
Le dernier budget de la sécurité sociale soutient fortement le secteur stratégique du médicament, en permettant une croissance nette d'environ 3 % entre 2022 et 2023. Cette hausse correspond très concrètement à 800 millions d'euros supplémentaires de montants remboursés, pour la seule année en cours. Elle matérialise l'engagement que le Président de la République a pris lors du dernier Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) de 2021.
De plus, je souligne que cette croissance est à apprécier au regard du fait qu'avant 2017, le secteur des médicaments connaissait un taux de croissance quasi nul, voire négatif. Cette progression est le fruit d'efforts ambitieux et soutenus de la part de l'État, qui nous ont permis notamment d'amorcer la réindustrialisation et la relocalisation d'une partie de nos activités.
Nous travaillons parallèlement à simplifier et à décloisonner le système, afin d'aider ces moyens à déployer pleinement leurs effets pour qu'ils bénéficient à nos concitoyens. En effet, j'y reviens encore et toujours, l'important in fine est l'utilité pour les patients des avancées scientifiques que nous soutenons.
C'est absolument essentiel, surtout lorsqu'une innovation vient répondre à un besoin médical non couvert.
Pour ces raisons, faciliter et accélérer l'accès aux traitements, notamment très innovants, grâce à leur prise en charge par l'assurance maladie, constitue un axe fort de notre politique du médicament. En premier lieu, je souligne l'élargissement de la liste dite en sus à des médicaments et dispositifs médicaux dont l'amélioration du service médical rendu est mineure.
Afin d'assurer un accès aux soins équitable pour les patients et d'accélérer et de simplifier l'accès au marché des innovations, nous avons réformé notre système d'accès dérogatoire, précoce et compassionnel. C'est ainsi que la trithérapie par Kaftrio a été validée, permettant de redonner du souffle et de l'espoir aux enfants atteints de mucoviscidose.
Depuis le début de la réforme, les industriels ont également demandé plus d'une centaine d'accès précoces. À titre d'exemple, on peut citer le cas du Trodelvy, un médicament qui multiplie par deux les chances de survie globale des patientes atteintes d'un cancer du sein triple négatif ; il a pu être prescrit plus de dix-huit mois avant l'obtention de l'autorisation de mise sur le marché (AMM).
Le système des accès dérogatoires est complété par l'expérimentation d'un système d'accès direct à certains produits innovants qui ont déjà une autorisation de mise sur le marché ; suivant l'obtention d'un avis favorable de la Haute Autorité de santé (HAS), une prise en charge de l'assurance maladie est possible. Je me réjouis de confirmer ici que nos services ont finalisé les décrets autorisant cette prise en charge directe : ils devraient entrer en application d'ici au mois de mai.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a également introduit de nouvelles dispositions visant à optimiser l'accès au marché, notamment pour les thérapies géniques, en facilitant les modalités de paiement par les établissements de santé et en introduisant la possibilité pour l'assurance maladie d'étaler le paiement, année par année, au vu des résultats cliniques observés. Aller vers une telle rémunération à la performance participe à faciliter l'accès des patients à ces produits.
Finalement, garantir l'accès dans le temps aux médicaments et aux produits de santé, c'est veiller à l'équilibre et à la soutenabilité du système qui les finance. En France, le modèle de protection sociale, unique au monde, permet de rembourser ces traitements très innovants, qui sont souvent très chers. Pour que l'on puisse continuer demain à prendre en charge le meilleur traitement pour chacun, il ne faut pas que cela se traduise par une explosion de la dépense collective de santé, laquelle nuirait in fine à notre capacité de diffuser les innovations au plus grand nombre, ou par la création de nouvelles pénuries à cause d'un sous-investissement dans les produits plus matures, structurellement moins rentables pour les industriels, mais tout aussi indispensables.
Vous le savez comme moi, les revendications tarifaires des laboratoires sont souvent extrêmement élevées,…
…notamment pour des produits qui présentent parfois un intérêt médical insuffisamment innovant, ou qui n'ont pas suffisamment fait la preuve du contraire.
Un article très récent, paru dans le réputé British Medical Journal – The BMJ –, nous oblige à nous intéresser collectivement à la construction du prix de l'innovation. Nous y apprenons d'abord que, de 1999 à 2018, les quinze plus grandes entreprises biopharmaceutiques mondiales ont dépensé plus pour leurs activités commerciales, générales et administratives, que pour la recherche et le développement.
Ensuite, on apprend que la plupart des nouveaux médicaments développés pendant cette période n'offraient que peu d'avantages cliniques par rapport aux médicaments existants, voire aucun. Avec les ressources existantes, l'industrie pourrait produire davantage d'innovations médicalement plus intéressantes et plus abordables.
M. Ian Boucard applaudit.
Sourires.
Enfin, selon cet article, une action gouvernementale est nécessaire pour encourager la recherche et le développement dans les secteurs prioritaires de la santé publique. C'est ce que nous faisons !
Il faut favoriser l'innovation et financer les nouveaux produits, mais il faut le faire au bon prix en protégeant, en même temps, les produits anciens qui ont fait leurs preuves. Il est en conséquence nécessaire de réexaminer aujourd'hui certains mécanismes de régulation et de financement, qui existent depuis de nombreuses années. Certaines pistes ont déjà été étudiées dans le cadre des débats budgétaires de l'automne. En associant les industriels au dialogue, nous devons trouver les voies et moyens de créer une régulation macroéconomique ciblant les produits dont les dépenses croissent de manière anormalement dynamique et présentent un impact budgétaire important. Dans le même temps, il conviendra de prévoir un mécanisme de préservation des entreprises commercialisant soit des produits matures qui ne participent pas à la croissance du marché, soit des produits très innovants.
Pour avancer dans cette voie, nous créons avec le ministère de l'économie, sous l'égide de la Première ministre et avec l'appui de personnalités qualifiées, une mission conjointe de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'Inspection générale des finances (IGF), pour formuler des propositions visant à faire évoluer notre mécanisme de financement et de régulation des médicaments et produits de santé.
Toutes ces mesures s'entendent dans un contexte communautaire, auquel je suis attaché et que la France compte résolument renforcer et promouvoir. L'Union européenne est bien l'échelon pertinent pour assurer notre souveraineté et la sécurité de l'approvisionnement en médicaments. À ce titre, nos différents travaux s'inscrivent dans le cadre de la prochaine révision par la Commission européenne de sa stratégie pharmaceutique, afin de mieux gérer les stocks et d'anticiper les pénuries.
La complexité de la politique du médicament réside dans la nécessaire conciliation de multiples desseins dans des systèmes de plus en plus mouvants et interdépendants. Pour nous y retrouver, nous devons être guidés par une unique boussole et nous appuyer sur des valeurs solides, celles de notre système de santé publique : une solidarité motivée par l'objectif ultime de garantir à chacune et à chacun de nos concitoyens des soins adaptés et de qualité, accessibles dès lors qu'ils en ont besoin. Je sais que nous partageons cet objectif et que je peux compter sur votre pleine mobilisation pour construire, avec la Première ministre et le Gouvernement, la politique du médicament qui permettra de l'atteindre.
Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur plusieurs bancs du groupe HOR.
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée des questions ainsi que celle des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Gérard Leseul.
Les pénuries de médicaments compromettent le droit effectif à la santé, augmentent les pertes de chance et menacent la santé publique. Pourquoi durent-elles et se multiplient-elles autant ? En grande partie parce que nous avons délocalisé notre production. Il n'existe plus que 24 fabricants de matières premières de médicaments en France, contre 350 en Chine et en Inde. Relocaliser est donc un enjeu de santé publique autant qu'un enjeu de souveraineté.
Il y a un an, j'ai été le rapporteur d'une commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs de ce funeste processus de délocalisation des industries, notamment de celle du médicament, et chargée d'y remédier. Dans ce rapport, j'ai notamment souligné l'importance de la continuité d'approvisionnement des médicaments, en particulier des médicaments vitaux. C'est l'objet des propositions n° 55 et 65 de ce rapport. Pour assurer cette continuité, qui constitue une priorité, il faut élaborer « un plan national de mobilisation destiné à garantir la disponibilité des produits de santé […] en cas de crise » – proposition n° 55b ; mettre en place « des instruments de suivi des disponibilités et d'anticipation des pénuries » – proposition n° 55a ; mieux financer la recherche – propositions n° 25 et 26 ; accompagner les industriels souhaitant se réinstaller sur le territoire et conditionner l'ensemble des aides publiques à la relocalisation – propositions n° 27 et 43.
Pourquoi ne pas envisager de conditionner l'attribution d'aides publiques, y compris du crédit impôt recherche, à la localisation des chaînes de production, afin de s'assurer que les deniers publics aident effectivement les entreprises de nos territoires ? Pourquoi ne pas étendre les mécanismes existant pour la grippe saisonnière aux autres pathologies hivernales, afin de mieux anticiper les éventuelles pénuries ? L'article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale pour l'année 2022 prévoit que la fixation du tarif de certains médicaments puisse tenir compte de la sécurité d'approvisionnement du marché français. Ce dispositif ne semble pas être activé. Pourquoi ?
Par ailleurs, la France a présidé l'année dernière le Conseil de l'Union européenne. C'était une occasion rare de défendre nos priorités et nos ambitions au niveau européen. Dans le rapport de la commission d'enquête que je viens d'évoquer, nous proposons une relocalisation en Europe. Elle doit se faire en déterminant au niveau communautaire la bonne implantation géographique de la production des médicaments – vous avez raison sur ce point, monsieur le ministre. Enfin, je propose de renforcer Hera (Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire) et de la doter d'un budget propre. Monsieur le ministre, qu'a obtenu votre gouvernement de l'Union européenne ?
Depuis plusieurs années, nous nous attachons à réinstaller en France des chaînes de production. Mais il n'est pas si simple de favoriser les produits issus de nos propres chaînes de production sur le marché intérieur, une telle pratique pouvant se heurter à la liberté du marché. Nous avons tout de même pris des mesures visant à favoriser la relocalisation sur notre sol de certaines productions, par le biais de critères environnementaux.
Avec ses différents partenaires, la France a joué un rôle prépondérant dans l'impulsion de la stratégie de l'Union européenne relative aux pénuries de médicaments. Hera a essentiellement une mission de préparation et d'anticipation des crises sanitaires, qui n'est pas directement liée aux enjeux de la production de médicaments. Toutefois la France a remporté l'un de ses appels à projets relatif aux médicaments, dans le champ particulier des risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques. Une somme de 150 millions d'euros nous est allouée, au titre de l'Union européenne et de Hera, pour constituer des stocks. Un appel à projets de même nature a été lancé dans le champ des antimicrobiens. Peut-être obtiendrons-nous ce marché qui sans cela attribué au sein de l'Union, ce qui constitue pour nous une garantie.
Pour l'instant, cette stratégie européenne s'appuyant sur Hera est limitée à la notion de crise sanitaire. Cela nous permet tout de même de mettre en avant certains médicaments.
Nous devons nous inscrire dans une logique beaucoup plus européenne et reproduire, comme vous l'avez suggéré, ce que nous avons fait cet hiver pour plusieurs produits et vaccins, mais aussi pendant la crise sanitaire : acquérir des vaccins à l'échelle européenne. Cela nous a permis de garantir leur production et leur délivrance en France et dans l'Union européenne, tout en s'assurant d'obtenir des prix plus intéressants.
Comme nous l'avons signalé, nous avons tous rencontré dans nos circonscriptions des citoyens ou des officines en rupture de certains médicaments. Cette situation provoque, à juste titre, une certaine impatience ou de l'inquiétude, d'autant que nous sortons d'une période de pandémie pendant laquelle nous avons connu des pénuries. Nous avons également expérimenté des périodes marquées par des superpositions d'épidémies, notamment hivernales.
Dans ce contexte, les demandes se sont concentrées sur certaines spécialités de médicaments, ce qui a, par conséquent, provoqué des pénuries. Je pense à l'amoxicilline et aux quelque 3 000 autres molécules qui ont largement manqué. Le constat est partagé : ces épisodes de pénurie sont de plus en plus fréquents et appellent une réflexion collective. Le Gouvernement s'est évidemment emparé de ce défi et a récemment reçu quatre-vingt-dix entreprises françaises et internationales.
Monsieur le ministre, la relocalisation de la production de certains principes actifs est un enjeu de souveraineté. Nous avons eu connaissance de la relance de la production du paracétamol en Isère, avec le soutien du plan France relance. Quels sont les autres projets de réindustrialisation en cours, qui permettront de renforcer notre indépendance sanitaire ? Pour bien faire et pour donner à l'industrie pharmaceutique les perspectives à long terme qu'elle demande, pourriez-vous préciser la stratégie qui sera proposée par la mission interministérielle créée par Mme la Première ministre sur l'amélioration des mécanismes de régulation et de financement des produits de santé ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe HOR.
La relocalisation et la souveraineté sont des enjeux majeurs, mais au-delà, il faut aussi s'attacher à maintenir en France les entreprises qui y produisent déjà. En disant cela, je souhaite mettre en exergue ce qui est en train de se passer pour la société Carelide, implantée dans le Nord, qui produit des poches de perfusion. Elle était en redressement judiciaire et nous avons pu, grâce à une intervention conjointe du ministère de l'industrie et de celui de la santé et de la prévention, organiser son rachat – qui est en cours – par la société française Delpharm. Certes, la relocalisation est importante, mais ne négligeons pas les efforts nécessaires pour maintenir en France la production existante de dispositifs médicaux et de médicaments.
Plus globalement, nous travaillons à la relocalisation. Sans aller jusqu'à invoquer le secret des affaires, vous comprendrez que certains projets n'ayant pas encore abouti, il m'est difficile d'en parler librement. Nous œuvrons dans le champ des vaccins, ainsi que dans celui des anti-infectieux. Nous menons également un travail sur les dispositifs médicaux – notamment les gants et les masques – qui commence à être bien avancé. Nous aurons des résultats dans tous ces domaines dans les semaines et les mois qui viennent.
Je voudrais préciser encore une chose : nous devons avant tout nous atteler à sécuriser et à relocaliser la production des quelque 200 médicaments et 50 dispositifs médicaux essentiels. Il est très difficile de s'appuyer sur des listes qui auraient pu être établies dans d'autres pays, même limitrophes, car les habitudes médicales sont différentes. Enfin, dans le cadre de Choose France, nous sommes en contact avec les industriels pour qu'ils reviennent travailler en France, autant que possible.
Monsieur le ministre, depuis tout à l'heure vous indiquez que renforcer la sécurité sanitaire des médicaments et des produits de santé est une priorité. Nous ne pouvons que le croire ! La santé publique ne doit jamais être sacrifiée au profit des intérêts économiques, mais les laboratoires pharmaceutiques et les lobbys industriels – les Big Pharma comme on les appelle – ont une dimension internationale. Or vous répondez avec des propositions d'envergure nationale.
Face à la perte de souveraineté que nous avons identifiée au moment du covid, depuis maintenant plusieurs années, comment progresser sur le plan international en matière de réponse médicale, de réponse sanitaire et de production des médicaments ? Nous, écologistes, demandons depuis très longtemps la création d'un véritable système européen de sécurité sanitaire, indépendant de tout intérêt économique. Vous l'avez dit : l'échelon pertinent pour répondre à la pénurie de médicaments est l'Union européenne, mais toutes les réponses concrètes que vous évoquez s'inscrivent uniquement dans une dimension nationale. Quelle est votre réponse s'agissant de l'échelle européenne ?
On nous dit que la Commission réfléchit à une stratégie pharmaceutique véritablement européenne. Comment comptez-vous peser dans cette réflexion ? Quelles mesures concrètes la France proposera-t-elle pour que cette stratégie européenne soit autre chose qu'une simple réflexion théorique ?
Monsieur Taché, je vous remercie de me donner l'occasion de parler de la stratégie pharmaceutique pour l'Europe, au sujet de laquelle nous avons rendez-vous à la fin du premier trimestre 2023 pour la publication d'un texte européen.
Dans le cadre de cette stratégie, je me bats pour défendre les intérêts de la France et mettre en avant notre système de santé. Tout d'abord, nous proposons une harmonisation des définitions à l'échelle européenne. Cela peut sembler un peu bête, mais, comme nous l'avons vu tout à l'heure, lorsqu'ils disent par exemple « pénurie », « rupture » ou « tension », il serait bon que tous les pays européens parlent de la même chose au même moment. Cela nous permettra de mieux nous comprendre et de travailler plus efficacement pour lutter contre les pénuries.
Ensuite, il nous faut renforcer l'obligation d'approvisionnement et surtout l'obligation de transparence, par une déclaration précoce des ruptures par les industriels. L'ANSM gère des stocks dont les durées varient d'un à quatre mois ; il serait judicieux que ces principes de gestion de stocks soient essaimés et harmonisés à travers l'Europe. Je me bats en ce sens au niveau de la Commission européenne.
Des stocks de sécurité doivent être constitués par Hera. Un plan de gestion de la pénurie, qui doit être le même pour toute l'Europe, doit également être élaboré.
Nous avons déjà évoqué la question de la relocalisation de la production.
Enfin, une coopération entre les pays européens est nécessaire s'agissant des inspections. En effet, en cas de fabrication d'un produit dans un autre pays européen, il serait souhaitable que les critères relatifs à la qualité du produit et de sa production, sur lesquels se fondent les inspections en France, soient partout les mêmes. Voilà les actions que je mène actuellement, dans le cadre de l'élaboration de la stratégie pharmaceutique pour l'Union européenne.
Je souhaite vous interpeller sur la pénurie de médicaments dans l'île de La Réunion. Les principales causes de cette pénurie ne sont pas éloignées de celles qui ont déjà été évoquées par les orateurs siégeant sur les différents bancs de l'Assemblée. Cependant, l'éloignement et l'insularité ajoutent aux difficultés, vous le savez.
En cas de pénurie fréquente ou durable, nous sommes plus fortement et plus longuement affectés. C'est pourquoi, nous devons constituer davantage de stocks. Les médicaments arrivent principalement par voie maritime et les délais d'acheminement sont d'un à trois mois.
La première difficulté, c'est notre port. Il a beau être le poumon économique de l'île, il est pourtant sous-dimensionné au regard des besoins d'importation. Plus de 93 % des produits qui entrent à La Réunion sont importés. Or il arrive fréquemment que les bateaux soient déroutés vers d'autres ports puisque lorsqu'ils arrivent, ils ne peuvent pas accoster, ils n'attendent pas, pour des raisons économiques, et vont ailleurs. Les conteneurs de médicaments n'échappent pas à la règle. Ils sont donc débarqués dans d'autres ports. Pour les réacheminer, l'importateur doit payer le coût de l'acheminement – je ne vous parle même pas des délais.
L'autre difficulté, ce sont les stocks. Nous sommes obligés de stocker davantage que dans l'Hexagone et les pharmaciens hospitaliers, notamment, sont confrontés à des difficultés de stockage.
Face à ces deux problèmes et aux pénuries de médicaments, il nous arrive de plus en plus fréquemment de devoir importer des médicaments par voie aérienne. Or, bizarrement, le médicament n'est pas un produit prioritaire. Les places en soute sont chères et limitées, et les médicaments sont traités de la même façon que n'importe quel autre produit. Les différents importateurs ont proposé à l'ARS – agence régionale de santé – une solution, qui consisterait à organiser un système de réservation de capacités de fret aérien, afin qu'en cas de graves et urgents problèmes de pénurie, nous puissions importer des médicaments par voie aérienne dans des délais raisonnables.
Capacités aéroportuaires, capacités de stockage, capacités à agir en cas d'urgence, tels sont les défis, propres à La Réunion, auxquels l'île est confrontée. L'État est-il prêt à nous aider à y faire face ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Vous avez raison, dans nos territoires d'outre-mer et à La Réunion, les prix des médicaments, qu'ils soient ou non remboursables, des dispositifs médicaux et de la parapharmacie sont souvent beaucoup plus élevés qu'en métropole. La principale différence réside dans les contraintes logistiques et d'acheminement qui entraînent un surcoût pour les grossistes répartiteurs – vous l'avez dit. Ni l'État ni l'assurance maladie n'en sont directement responsables, mais c'est un fait.
En outre, dans les territoires ultramarins, se pose la question spécifique de l'octroi de mer que vous connaissez bien. Le montant de cette taxe est fixé par les territoires et les recettes sont versées aux communes locales. En conséquence, les répartiteurs et les officinaux achètent des produits encore plus chers qu'en métropole. Pour compenser ce surcoût, le prix de vente des médicaments est majoré par l'application d'un coefficient. Chaque territoire se voit attribuer un coefficient qui lui est propre, déterminé en fonction du niveau de vie de la population, de l'éloignement de la métropole, mais aussi des négociations entre les syndicats et la sécurité sociale. Un coefficient est également accordé aux répartiteurs, afin de compenser les coûts de transport, les frais de douane ainsi que les coûts associés au surstockage. Vous avez entièrement raison, le surstockage est nécessaire dans nos outre-mer.
Bien entendu, si un problème d'adéquation entre cette compensation et la réalité du marché se pose, nous devons le regarder de très près – je suis à votre disposition. Je tiens quand même à rappeler que les remboursements des médicaments se font à l'euro près. Le reste à charge des médicaments qui ne seraient pas remboursés est important, ce qui peut donner l'impression qu'il existe de gros surcoûts.
En ce qui concerne les réservations de capacités du fret aérien, lors de l'épidémie de covid-19, nous avons transféré des patients par avion de La Réunion. Dès lors, il me semble tout à fait réaliste d'envisager des transferts par avion de médicaments, en cas de rupture brutale de stock. En tout cas, je m'y engage.
Pour préparer cette intervention, j'ai choisi, comme certains de mes collègues, de solliciter les acteurs de ma circonscription. En effet, parce que les pénuries ne sont pas nouvelles – même si elles n'ont jamais été aussi fortes –, certaines firmes ont fait le choix de sécuriser leurs approvisionnements. C'est le cas de NextPharma, dont l'un des sites de production se trouve à Ploërmel, dans ma circonscription. Dans cette entreprise, 80 % des principes actifs sont fabriqués en Europe, 17 % en Amérique du Nord et seulement 3 % en Asie. Grâce à ce choix, elle ne rencontre que de très rares difficultés d'approvisionnement, malgré le contexte que nous connaissons. En pensant sécurisation, elle a relocalisé et donc simplifié ces flux ; elle en ressort aujourd'hui gagnante.
Mais, preuve que nous avons encore des efforts à fournir, elle doit faire face à un obstacle majeur en ce qui concerne un nouveau médicament : celui du prix du remboursement. En effet, avec une entreprise partenaire, elle ambitionne de mettre sur le marché un médicament qui a fait ses preuves aux États-Unis dans la prévention des maladies cardiovasculaires. Son projet, qui est déjà ficelé, prévoit que les principes actifs, les médicaments et le packaging seront fabriqués en France. Cependant, parce que la politique de remboursement des médicaments ne prend pas en considération les critères de territorialité, le prix du remboursement proposé par les autorités ne couvre pas le prix de revient. En clair, au vu du prix du remboursement proposé, le fabricant aurait tout intérêt à externaliser, à penser ses étapes de fabrication en Asie où il bénéficierait d'un coût de production moins élevé.
Je souhaite donc vous interroger, monsieur le ministre, afin de voir comment on pourrait prendre en compte le coût de fabrication différentiel dans le cadre d'une relocalisation et d'une reterritorialisation qui nous permettraient d'être effectivement autonomes.
Je vous remercie pour votre question. Il y a peu, nous avons effectivement été sollicités par ce laboratoire, afin de savoir quelles suites nous souhaitions donner au dossier. Dans ce cas précis, le produit fabriqué en France, a fait l'objet d'une évaluation en 2022 par la HAS. Celle-ci a validé l'intérêt du produit dans le cadre de la prise en charge pour réduire le risque d'événements cardiovasculaires. Néanmoins, les études cliniques fournies dans le dossier n'ont pas permis de démontrer un intérêt par rapport à la stratégie thérapeutique actuelle. Or aujourd'hui, vous le savez, le premier critère pris en considération par le Comité économique des produits de santé pour fixer le prix d'un médicament est l'intérêt d'un produit par rapport aux autres déjà sur le marché. Il faut savoir que l'entreprise qui commercialise le produit dont nous parlons demande un tarif six fois supérieur à celui des produits équivalents.
Si nous convergeons sur le besoin de prendre en compte le critère de territorialité – nous y travaillons d'ailleurs assidûment depuis de nombreux mois –, le fait de produire en France ne justifie pas que l'assurance maladie paie un traitement six fois plus cher que le traitement équivalent fourni par des concurrents.
Enfin, pour préciser de nouveau la stratégie du Gouvernement en faveur des relocalisations, je ne reviendrai pas sur l'article 65 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, ni sur les mesures que nous avons instaurées s'appliquant aux produits qui améliorent le service médical rendu de majeur à moyen, qui, eux, sont éligibles de manière différente et sont soumis à des procédures accélérées.
La production française peut être favorisée, mais dans des limites raisonnables. Ainsi, nous pouvons encourager la production de produits qui apportent un plus aux patients et dont le prix n'est pas multiplié par six par rapport à celui du produit existant.
Ma question concerne la pénurie de certains médicaments, apparue au moment de la pandémie de covid-19 et qui touche encore notre pays.
Les ruptures d'approvisionnement de médicaments ont été multipliées par vingt en dix ans. Nous subissons les conséquences des délocalisations des productions, réalisées au bénéfice de la Chine, de l'Inde et d'autres pays d'Asie, afin de faire baisser les coûts de production – ce point a déjà été évoqué. Depuis plusieurs mois, nos pharmacies manquent notamment d'amoxicilline, l'antibiotique le plus prescrit aux enfants, et de paracétamol, le principe actif du Doliprane.
Un Français sur quatre est concerné par la pénurie de médicaments génériques antidouleur ainsi que ceux traitant les cancers ou l'hypertension. Un récent rapport a démontré notre hyperdépendance par rapport aux pays d'Asie, s'agissant de ces médicaments mais aussi du matériel médical. Cette situation n'est plus acceptable ; nous devons reconquérir notre indépendance sanitaire.
Monsieur le ministre, j'ai noté vos prises de position sur le sujet et je veux les saluer. Votre action va dans le sens des recommandations du Parlement européen et s'inscrit dans le cadre de la démarche européenne que vous avez évoquée à plusieurs reprises : sécuriser l'approvisionnement et décider de mesures fortes de relocalisation des productions des substances actives ; envisager la création d'établissements sans but lucratif pour produire certains médicaments ; créer une réserve européenne commune de médicaments de type anticancéreux et anti-infectieux ; rendre le chemin de la distribution plus transparent et instaurer une plus grande coopération européenne, enfin, investir massivement dans la recherche.
Comment la France, grâce à votre action et à celle de votre administration, continuera-t-elle à soutenir ces pistes de travail ?
Reconquérir notre indépendance sanitaire est un objectif majeur ; nous devons l'atteindre, nous le devons à nos concitoyens.
Comme je le disais, j'ai réuni récemment l'ensemble des membres de la filière, en leur précisant que c'était bien une action collective qui nous permettrait de sortir de la situation actuelle. Dans le cadre d'une telle action, le premier objectif n'est pas de chercher les responsabilités des uns ou des autres, mais bien, pour l'ensemble des médicaments essentiels, d'identifier tous les éléments de la chaîne de production, depuis la fabrication du principe actif jusqu'à la délivrance au pharmacien et au patient, puis tous les points de blocage et les mesures destinées à les supprimer. Nous avons déjà commencé ce travail avec une vingtaine de médicaments de cardiologie et d'anesthésie-réanimation. Nous allons l'élargir à près de 200 médicaments et une vingtaine ou une cinquantaine de dispositifs médicaux essentiels.
Ce dispositif s'inscrit dans une stratégie globale, la stratégie de gestion de la pénurie de médicaments 2023-2025, qui définira les médicaments essentiels et, au-delà, indiquera le bon usage des médicaments. Je ne reviendrai pas sur ce que tout le monde sait mais dont personne n'a parlé aujourd'hui : la France est un pays très prescripteur de médicaments, en particulier d'antibiotiques et de paracétamol. Nous devons communiquer de façon plus précise auprès des différents prescripteurs.
Il y va également de la préparation des réserves. L'hiver arrive tous les ans à la même époque…
… et tous les ans, les mêmes quantités de médicaments sont produites. Si les industriels ne sécurisent pas leurs stocks, nous devrons probablement recourir à l'instauration de stocks stratégiques. C'est une des pistes de réflexion. J'ai également évoqué le Plan blanc du médicament : il s'agit de mesures d'urgence que nous appliquerons, dès lors que nous serons dépassés par la situation ; nous en avons eu un exemple cet hiver.
Cette stratégie globale doit inclure l'ensemble de la filière et comprendre différents niveaux d'alerte en fonction de la tension envisagée.
L'hiver dernier, l'hôpital public a connu de nombreuses tensions, sous l'effet de trois épidémies distinctes : la grippe, la covid-19 et la bronchiolite. Il nous faut saluer l'engagement et l'abnégation des médecins et des soignants, sans qui cette situation aurait viré au drame.
Ces trois épidémies ont conduit à des pénuries de quelque 3 000 médicaments cet hiver, en particulier, l'amoxicilline qui a manqué dans sa version pédiatrique. Certains ont pointé le manque d'attractivité du marché français pour expliquer la pénurie de ce médicament essentiel. On ne demande qu'à les croire, mais comment expliquer ces pénuries en Autriche ou en Italie, alors que ces marchés sont cités en exemple par ceux-là mêmes qui évoquent le manque d'attractivité de la France ?
Les manques et les ruptures de médicaments destinés aux plus jeunes, qui en ont particulièrement besoin pour soigner des maladies contre lesquelles ils ne sont pas encore vaccinés, sont inquiétants. De nombreux parents craignent que demain, ce ne soit pas l'accès à l'amoxicilline qui soit rendu plus difficile, mais au paracétamol ou à l'ibuprofène.
Il faut en conséquence consentir un effort sans faille de réindustrialisation, afin que la France, non seulement recouvre une part de sa souveraineté pharmaceutique et sanitaire, mais surtout qu'elle retrouve la place qui est la sienne dans la chaîne de valeur du médicament. Ma question est donc la suivante, monsieur le ministre : comment entendez-vous garantir la tranquillité des nombreux parents de notre pays, en assurant la sécurité de l'approvisionnement des médicaments destinés aux plus jeunes, dès la naissance, et aux plus fragiles ?
Je pense avoir répondu sur le fond. Mais la politique du médicament, ce ne sont malheureusement pas que des chiffres. Cet hiver, nos concitoyens ont pu se trouver dans une situation très stressante, voire dramatique, lorsqu'il leur fallait courir de pharmacie en pharmacie pour trouver un médicament.
La solution tient en trois mots : anticipation, transparence et information.
Il faut anticiper les crises du médicament. C'est – je viens de l'expliquer à M. Belhaddad – l'objet de notre stratégie pour l'ensemble de la filière.
La transparence est, hélas ! trop souvent absente de nos discussions avec les industriels – même si, je dois le reconnaître, la situation s'améliore très nettement et que la visibilité est à présent légèrement meilleure. Cet hiver, par exemple, alors que les industriels affirmaient que certains médicaments, en particulier le paracétamol, étaient de nouveau disponibles, les pharmaciens nous disaient qu'ils n'en avaient pas dans leurs officines. Il nous a fallu identifier le blocage ; la transparence doit nous y aider.
Information, enfin. Celle des médecins prescripteurs, je l'ai dit, mais aussi celle des patients sur le bon usage des médicaments – je ne rappellerai pas la campagne de sensibilisation au bon usage des antibiotiques – et celle des pharmaciens. J'en profite pour saluer le travail que ces derniers ont accompli cet hiver, car ils ont passé beaucoup de temps à rechercher des médicaments.
Enfin, je ne peux pas, compte tenu de l'intitulé de mon ministère, ne pas évoquer la prévention, qui permet d'éviter précisément d'avoir à prendre des médicaments. Le sport santé, par exemple, prévient les maladies cardiovasculaires et permet de diminuer la prise de médicaments antihypertenseurs, dont le coût s'élève à 1 milliard d'euros par an.
Je pense également à la vaccination. La campagne de vaccination contre le papillomavirus annoncée hier par le Président de la République nous permettra d'éradiquer, d'ici vingt à trente ans, les cancers du col de l'utérus, qui tuent 1 000 femmes par an et coûtent chaque année 250 millions à notre sécurité sociale.
Dans le cadre du plan Innovation santé 2030, le Gouvernement met en œuvre une véritable politique du médicament dont un des axes majeurs met l'accent sur notre indépendance industrielle et la relocalisation de la production, en particulier du paracétamol.
Je citerai l'exemple d'une entreprise de ma circonscription, Upsa, qui a diversifié la provenance du principe actif, malgré un coût plus élevé. Elle a pu ainsi faire fonctionner ses usines vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et réaffecter 1 million de flacons de paracétamol pédiatrique au marché français. Le ministre délégué Roland Lescure a d'ailleurs tenu à se rendre sur place pour saluer le travail des 1 400 collaborateurs de l'entreprise, qui a permis d'éviter à notre pays une pénurie de paracétamol.
Pourtant, l'entreprise ne fait pas de bénéfices sur le sol français, car le prix de vente de ce produit dit mature est trop bas et l'empreinte territoriale n'est pas prise en compte dans le coût de production. En outre, la clause de sauvegarde, déclenchée au-delà du seuil que constitue le montant M, désavantage lourdement les produits matures par rapport aux produits innovants. Tout cela porte atteinte à la compétitivité et à la souveraineté du secteur industriel pharmaceutique français.
Des solutions existent. Les Allemands nous ont montré la voie, par exemple, en relevant le prix de ces médicaments matures. Une autre solution consisterait à exempter ces produits des calculs liés à l'application du montant M. Ainsi, nous pourrions, d'une part, préserver les productions françaises et, d'autre part, investir dans la sécurité des chaînes d'approvisionnement pour garantir aux patients l'accès à leurs traitements.
Monsieur le ministre, je vous sais pleinement engagé dans la mission lancée fin janvier par la Première ministre pour repenser intégralement la régulation et le financement des produits de santé. Pouvez-vous nous indiquer s'il est possible que cette mission envisage de telles solutions dans ses conclusions ? À défaut, quelles sont les pistes de travail et le calendrier de cette mission si nécessaire pour l'accès des Français aux médicaments ?
Depuis 2016, les dépenses de médicaments connaissent une hausse inédite. Une croissance de 3 % est garantie au secteur, soit une augmentation de 800 millions d'euros pour la seule année en cours, en application des engagements pris par le Président de la République dans le cadre du CSIS de 2021.
Si l'on veut comparer le prix des médicaments en France et dans les autres pays européens, il faut – comme je l'ai dit tout à l'heure à propos de l'harmonisation des définitions – être très prudent car le prix facial n'est pas forcément celui qui est réellement acquitté dans les différents pays ; c'est pourquoi la transparence est nécessaire.
N'oublions jamais qu'en France, 60 millions de nos concitoyens bénéficient du remboursement de leur traitement, quel que soit le prix de celui-ci. La situation est totalement différente en Allemagne – puisque vous avez cité ce pays en exemple –, où chaque Land décide de l'adaptation du prix des médicaments et, surtout, où les règles de remboursement diffèrent selon l'organisme de sécurité sociale auquel on est affilié – et il en existe plus d'une centaine ! Il serait donc très difficile d'adopter le même système en France.
En revanche, nous avons besoin d'agilité. C'est la raison pour laquelle nous avons créé les procédures de l'accès précoce et de l'accès compassionnel.
En ce qui concerne les médicaments matures, en attendant les résultats de la mission lancée par la Première ministre – dont nous ne connaîtrons les conclusions que dans quelques semaines –, nous avons décidé un moratoire concernant les médicaments génériques afin que leur prix ne baisse plus et nous avons demandé de la transparence aux industriels afin de pouvoir évaluer le coût de production réel de ces médicaments, en nous réservant la possibilité d'augmenter le prix de vente en fonction de ce coût de production.
Depuis de nombreuses années, l'ensemble de la classe politique parle de la réindustrialisation, du risque de pénurie et du manque d'entreprises pharmaceutiques. Le bilan de ces agitations politiciennes est catastrophique : on recensait, en 2010, 89 médicaments en rupture de stock, contre 2 446 en 2020 !
Alors que la France se vantait d'être le fleuron de l'industrie pharmaceutique mondiale, elle est désormais reléguée, dans ce domaine, comme dans la majorité des secteurs industriels, au rang de pays en voie de développement, pour ne pas dire « tiers-mondisé ». Votre modèle, axé sur le profit, conduit l'Europe à importer 80 % de ses médicaments de Chine ou d'Inde.
Encore une fois, au moment où l'Asie se préparait à prendre le monopole du nouveau marché, la France s'effondrait. Celle-ci est dépendante de ces pays, car la majeure partie des principes actifs pharmaceutiques y est produite. À chaque perturbation du marché, elle est donc sujette à de nouvelles pénuries de médicaments. Selon l'Agence nationale de sécurité du médicament, environ 3 000 molécules ont fait l'objet de ruptures de stock cet hiver. Allez-vous persévérer dans ces travers ?
Des modèles d'industrie pharmaceutique existent pourtant sur le sol national ; Delpharm et GSK, implantées à Évreux, dans ma circonscription, en sont de bons exemples.
Monsieur le ministre, le Gouvernement compte-t-il enfin arrêter de promettre sans agir et relancer l'industrie pharmaceutique française ? Si ce n'est pas le cas, la crise du coronavirus n'aura été que les prémices des multiples pandémies qui nous tomberont dessus !
Je pense avoir expliqué tout à l'heure qu'une rupture de stock ne signifie pas qu'il n'y a plus de médicaments. Lorsqu'un traitement est en rupture de stock et qu'on dispose d'un stock à quatre mois, on peut voir venir et traiter les patients. On ne les met pas en danger, contrairement à ce que je peux entendre.
Que la mondialisation ait des effets néfastes sur l'industrie du médicament et que les principes actifs soient produits à l'autre bout du monde, c'est une réalité. Mais, encore une fois, ce n'est pas en claquant des doigts que nous parviendrons à relocaliser la production de l'ensemble des principes actifs.
Je crois avoir longuement expliqué ce soir ce que nous faisons non seulement pour sécuriser l'accès des Français aux médicaments mais aussi pour relocaliser la production en France et en Europe. Vous avez évoqué Delpharm : nous avons aidé cette entreprise, et nous l'aidons à reprendre la société Carelide, qui produit des poches de perfusion en France. Voilà une illustration très concrète des actions que nous menons chaque jour avec mon collègue Roland Lescure.
Cette politique, vous l'avez bien compris, est globale : il faut considérer la chaîne dans son ensemble. Elle agit sur différents leviers : la relocalisation en France et en Europe en est un, mais ce n'est pas le seul. Je vous alerte sur le fait que se concentrer sur un seul producteur d'un médicament risque de nous mettre tout autant en danger en cas de problème, quand bien même il se situerait en France. C'est tout l'enjeu de notre analyse de la chaîne de risques. Nous demandons du reste aux établissements de santé de diversifier les producteurs de médicaments auprès desquels ils s'approvisionnent pour éviter de faire face à un blocage sur un produit qui ne serait produit qu'en France.
La France a fait face durant de nombreuses semaines à un désert pharmaceutique concernant certains produits. En effet, jusqu'à la fin de l'année 2022, près de 3 000 références manquaient. Ce manque concerne les médicaments de base utilisés par nos compatriotes, les médicaments pour enfants, les traitements anticancéreux, et j'en passe : la liste est longue.
Le paracétamol ou l'amoxicilline, dont 500 millions de doses sont vendues chaque année dans notre pays, sont devenus des produits rares et recherchés par tous les Français. Ils ne vivent pourtant pas dans un pays en voie de développement. Pourquoi devraient-ils faire les frais de votre inactivité dans ce domaine ?
Face à la pénurie, vous nous avez annoncé, il y a un mois, un retour à la normale dans les deux semaines. Sur ce point, nos compatriotes s'interrogent. Vous avez indiqué que 1 million de doses seraient livrées courant février afin que nos pharmacies puissent reconstituer leurs stocks. D'où proviennent ces doses ? Y a-t-il une corrélation entre ces livraisons et l'augmentation du prix de certains génériques depuis le 3 février dernier ?
Nous pouvons comprendre que ces approvisionnements proviennent de l'étranger en situation de crise. Mais les solutions que vous proposez sont-elles durables ou ponctuelles ? Vous avez dit : « Plus jamais ça ! » Toutefois, ces solutions ne rendraient-elles pas la France plus dépendante des pays européens et, de manière générale, de pays étrangers ?
N'est-il pas possible de miser davantage sur des solutions nationales ? Notre nation n'est-elle pas capable de garantir sa souveraineté pharmaceutique ?
Je crois avoir déjà répondu à la question de la souveraineté en matière de production de médicaments et de principes actifs.
Par ailleurs, l'augmentation du prix des produits génériques est possible, je l'ai dit, dès lors que la transparence des chaînes de production est assurée et qu'il est établi que le prix de vente est inférieur au prix de production.
S'agissant de l'amoxicilline, je vais m'efforcer d'être le plus précis possible, puisque c'est la deuxième fois que l'on m'interroge à ce sujet. Depuis début février, plus de 1,6 million de boîtes ont été livrées chez les grossistes répartiteurs ; l'ensemble des références sont concernées. Des livraisons sont encore effectuées cette semaine par notre partenaire, le laboratoire GSK.
Ainsi, le plan d'approvisionnement se déroule comme prévu. Les formes pédiatriques, sous la forme de gélules de 250 milligrammes et de 500 milligrammes, sont mises à disposition en priorité, le dosage de 1 gramme disposant déjà d'une couverture de plus de trois à quatre mois.
Le 20 février, Biogaran a également mis à disposition de l'amoxicilline 500 importée d'Allemagne. Ce laboratoire a, en outre, prévu la livraison, en mars, de 591 132 boîtes – c'est précis – de gélules d'amoxicilline 500 et de 260 386 boîtes d'amoxicilline 500 injectable, qui sont les deux références les plus demandées.
Concernant le prix de ces génériques, les discussions sont en cours entre les laboratoires et le Comité économique des produits de santé. Il convient de définir la liste des médicaments critiques sur lesquels nous devons agir en priorité. Tout cela se mettra en place progressivement avant la fin du second semestre de cette année.
Tout le monde, je crois, est assez convaincu de l'existence d'une pénurie de médicaments. Dans ce type de situations, certains chiffres sont cités, mais on ne prend véritablement conscience du problème que lorsqu'on est soi-même touché. Il y a quelque temps, j'ai dû me rendre dans je ne sais combien de pharmacies franciliennes pour trouver un médicament contre l'asthme que j'utilise quotidiennement. Je me suis alors aperçu que d'autres étaient dans la même situation et recherchaient, qui des antibiotiques pour enfants, qui du paracétamol, etc. Cet état de fait se traduit dans les chiffres, puisqu'on a recensé 3 500 médicaments en rupture de stock alors qu'on en dénombrait 89 en 2010.
Tout cela a été abondamment décrit et a un lien avec la souveraineté en matière pharmaceutique : 80 % de la production des principes actifs ont été délocalisés en Asie depuis trente ans ; mais je sais également, ce qui m'étonne, que des laboratoires qui fabriquent des médicaments en France préfèrent les exporter parce qu'ils en tirent de meilleurs prix à l'étranger. Or je dois dire que les réponses que vous avez jusqu'à présent données sur le sujet ne me satisfont pas et me font plutôt penser que vous appliquez des rustines à défaut de remettre en cause le système lui-même – lequel pose problème.
Je pense à la réponse que vous venez de nous donner et que vous aviez déjà faite lors d'une conférence de presse : selon vous, si les laboratoires exportent pour vendre plus cher leurs produits, nous n'avons qu'à laisser les prix de ces produits augmenter en France ; ce qui peut paraître étrange quand, dans le même temps, vous évoquez la soutenabilité financière dudit système. Laisser les prix augmenter, ce n'est pas terrible pour la sécurité sociale, surtout quand on sait que la marge dégagée alimente la rente capitaliste des laboratoires.
C'est le sens de ma question : le système peut-il encore supporter le fait que ces laboratoires ne travaillent pas seulement pour l'intérêt général mais pour la rente de leurs actionnaires ? D'autant qu'ils bénéficient d'aides publiques comme le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ou le crédit d'impôt recherche, sans oublier l'aide publique principale qu'est la sécurité sociale grâce à laquelle ils profitent d'une demande sécurisée, captive – ce qui est étrange pour une industrie censée fonctionner selon les principes du marché. Ne croyez-vous donc pas qu'il faille rompre pour de bon avec ce système et créer un pôle public du médicament, qui permettrait d'échapper à ces travers ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – Mme Christine Pires Beaune applaudit également.
Une des mesures que nous avons prises cet hiver face à la pénurie a été d'interdire aux grossistes les exportations de médicaments fabriqués en France, ce qui nous permettait de conserver les produits qui se trouvaient déjà sur le sol national.
Pour ce qui est de laisser les prix augmenter, je me suis probablement mal exprimé : depuis le moratoire que nous avons instauré, si les industriels nous montrent bien – toujours ce problème de transparence – que le prix de fabrication de certains génériques est supérieur au prix de vente actuel, nous équilibrons ce prix pour garder en France ces produits matures.
Vous souhaitez ensuite changer le mode de financement, revoir les différentes contraintes. C'est tout l'enjeu de la mission lancée par la Première ministre, mission dont nous attendons tous les conclusions.
J'ai par ailleurs lu avec attention les propositions de loi visant à créer un pôle public du médicament. On ne sait pas vraiment, in fine, quelle forme il prendrait mais il existe déjà des structures similaires comme la pharmacie centrale des hôpitaux des armées ou la pharmacie de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), dont la réactivité est particulièrement intéressante. On a pu le constater pendant la crise avec la fabrication très rapide d'un curare beaucoup utilisé en réanimation pour les patients atteints de covid-19.
En tout état de cause, ce ne peut pas être la seule solution à tout. Je l'indiquais tout à l'heure : une pluralité des réponses, autrement dit une pluralité des fournisseurs s'impose. C'est un des éléments qui nous garantira la sécurité pour l'accès aux différents produits. Des travaux sont en cours. Je suis à votre disposition pour affiner cette notion de pôle public du médicament et pour envisager l'amélioration des dispositifs existants.
Je serai direct, monsieur le ministre : vous représentez un gouvernement en responsabilité depuis six ans. Or 277 médicaments font l'objet de difficultés d'approvisionnement – je ne reviens pas sur le cas de l'amoxicilline, présente dans 80 % des antibiotiques pédiatriques, ni sur le cas du paracétamol. Mais, franchement, nul ne peut être surpris. Vous évoquez la transparence. J'avoue ne pas comprendre : déjà en 2019, il y a quatre ans, le lobby français du secteur pharmaceutique observait que, depuis 2008 – il y a quinze ans –, les ruptures de stocks et les tensions d'approvisionnement augmentaient de façon préoccupante ; d'après l'ANSM, en 2020, il y a trois ans, 2 446 ruptures de stocks ont été signalées contre seulement 89 en 2010.
On a déjà évoqué les raisons qui ont conduit à ces pénuries, en particulier les délocalisations en direction de la Chine et de l'Inde qui, je le répète mais l'argument est tout de même fort, produisent 80 % de la matière première pharmaceutique mondiale.
Dans une tribune parue en 2022, l'Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament estimait qu'une production au moins en partie publique – vous vous interrogiez sur l'utilité de la création d'un pôle public du médicament – permettrait déjà de répondre aux pénuries structurelles. Nous vous avons demandé la création de ce pôle public et cela nous a été refusé.
Le 19 novembre dernier, vous avez affirmé que la pénurie de paracétamol serait réglée dans les semaines à venir. Or c'était il y a trois mois.
Vous affirmiez que la pénurie d'amoxicilline serait terminée dans les mois à venir.
Le 3 février dernier, vous avez promis, au micro d'Europe 1, une sortie de crise dans les quinze jours – trois semaines plus tard, nous n'y sommes pas.
Parmi plusieurs annonces, je retiendrai celle du Plan blanc visant à réduire rapidement la consommation d'un produit donné afin de permettre aux patients qui en ont besoin d'y avoir accès – sous-entendu : plutôt que de pallier un déficit de production, vous prévoyez de…
C'est bien cela : plutôt que de régler le problème, vous rationnez.
Allons à l'essentiel. Vous avez, en tant que médecin, prêté le serment d'Hippocrate, vous engageant à ne jamais trahir la confiance des patients. Ne croyez-vous pas que votre gouvernement a trompé la confiance des Français ? Que comptez-vous faire et qu'attendez-vous pour mettre en place ce pôle public du médicament ?
Qu'attendez-vous pour suivre au moins les recommandations de l'Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES. – Mme Christine Pires Beaune applaudit également.
Je vous remercie d'avoir relevé que les pénuries dataient de l'année 2008 alors que la présente majorité n'était pas aux affaires.
Ce problème existe depuis longtemps et, selon vous, je l'entends bien, ce n'est pas la faute du gouvernement actuel ni du précédent.
Voilà six ans que cette majorité est aux affaires et Emmanuel Macron a participé au gouvernement qui précédait !
Pour ce qui est du paracétamol et de l'amoxicilline, j'affirme de nouveau que nous avons rétabli nos stocks.
Et, comme je l'ai dit, dans les délais. Je tiens également à rappeler que la pénurie de cet hiver ne concernait pas tout le principe actif mais certaines formes du produit, c'est la transformation de ce principe actif qui faisait défaut.
Rationner l'accès aux médicaments n'est certainement pas le sens de mes propos. Quand j'affirme qu'il faut que les patients en aient réellement besoin pour les obtenir, je ne perds pas de vue que notre pays est un très fort prescripteur et un grand consommateur d'antibiotiques et de paracétamol, quand d'autres préfèrent l'ibuprofène voire l'aspirine. Notre surconsommation d'antibiotiques – par les hommes aussi bien que par les animaux, d'ailleurs – pose un problème majeur, en particulier en matière d'antibiorésistance. Les sociétés savantes médicales le soulignent toutes : il faut mieux prescrire les antibiotiques – j'allais dire qu'« un antibiotique, ce n'est pas automatique », mais vous connaissez par cœur cette maxime.
Sourires.
Mieux prescrire les antibiotiques permettra aussi de lutter contre les pénuries.
J'en viens à ce pôle public du médicament. Comme je l'ai dit à M. Coquerel, je suis à votre disposition pour en discuter et voir comment améliorer le système, tout en rappelant que, aussi bien l'AP-HP que le service central des armées disposent déjà d'une telle structure.
Amoxicilline, paracétamol, insuline, traitements anticancéreux, antiparkinsoniens et j'en passe, la pénurie de médicaments à laquelle fait face notre pays va-t-elle encore durer longtemps, monsieur le ministre ? C'est la question que se posent malheureusement de nombreux Français qui ont besoin de ces médicaments pour se soigner. Et pour cause, car notre pays rencontre depuis plusieurs années des problèmes d'approvisionnement d'un certain nombre de médicaments et de molécules. Ceux destinés aux enfants sont d'ailleurs particulièrement concernés par ces pénuries.
Comme l'a très bien signalé notre collègue Alexandra Martin, entre 2017 et 2022, le nombre de signalements de médicaments en rupture de stock a été multiplié par cinq, passant d'un peu moins de 600 en 2017 à plus de 3 000 en 2022. Ces chiffres doivent tous nous inquiéter car ils mettent en exergue le danger auquel est confronté notre système de santé. Et si nous ne faisons rien, cela se traduira par des pertes de chance inacceptables pour les patients dont les traitements sont indisponibles.
Les raisons pour expliquer ces pénuries sont nombreuses. La première d'entre elles me semble être la volonté des entreprises pharmaceutiques de délocaliser leur production en Asie pour économiser sur le coût de fabrication. Il y a également un désintérêt de leur part pour les traitements dont elles n'auront plus l'exclusivité, et cela pour des raisons financières, encore une fois.
Les laboratoires pharmaceutiques ne sont pour autant pas les seuls responsables de cette situation. L'État y est également pour quelque chose…
…avec une politique qui ne les incite pas à continuer de produire en France.
Il y a bien évidemment d'autres facteurs conjoncturels qui nous ont conduits à cette situation et je ne les oublie pas : la triple épidémie de covid-19, de grippe et de bronchiolite, mais aussi les problèmes d'approvisionnement liés à la guerre en Ukraine et l'augmentation de la demande. En pareille situation, le Gouvernement devrait prévoir un plan de gestion des pénuries de médicaments.
Malheureusement, depuis l'épidémie de covid, vous n'avez rien fait. Il est pourtant essentiel que notre pays anticipe mieux les besoins en médicaments et qu'il sécurise leur approvisionnement.
Nous avons heureusement des pharmaciens et des médecins généralistes dotés d'un grand professionnalisme, qui sont parfois obligés de se montrer créatifs pour trouver des solutions pour les patients, et je souhaite les en remercier.
Ces pénuries de médicaments pouvant entraîner de graves conséquences pour nos concitoyens, je vous demande, monsieur le ministre, de préciser les mesures que vous comptez prendre pour que notre pays, la septième puissance économique mondiale, permette à nouveau à chacun de ses concitoyens d'avoir accès au traitement dont il a besoin – au-delà d'enjeux financiers qui ne sauraient être un obstacle aux soins.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Vous comprendrez que je ne peux pas vous laisser dire que nous n'avons rien fait.
Depuis le début de la séance nous n'avons pas cessé de vous expliquer tout ce qui a été mis en place et toutes les mesures qui allaient être prises.
Je ne reviendrai pas sur le fond, ce serait répétitif, même si le fait de répéter permet de mieux faire comprendre les choses. Je souhaite profiter de votre intervention pour évoquer un point, puisque vous êtes belfortain, comme moi.
Vous savez forcément mon attachement aux pharmaciens et aux médecins libéraux et je tiens comme vous à profiter de cette occasion pour remercier nos 21 000 pharmaciens et nos plus de 50 000 médecins généralistes libéraux pour le travail qu'ils ont accompli pendant ces phases de pénurie, en tout cas de diminution des stocks, que ce soit pour mettre en place des solutions thérapeutiques alternatives ou pour faire la course aux médicaments. C'est bien ce que je ne veux plus voir se reproduire dans les années à venir et c'est pour cela que toutes les mesures que je vous ai exposées tout à l'heure sont progressivement mises en place.
Je me félicite que nous débattions de l'actuelle pénurie de médicaments. Je ne vous infligerai pas la longue liste des personnes qui, dans ma circonscription, m'ont alerté, depuis le Val de Saône à la plaine de l'Ain en passant par la Dombes ou la Côtière, sur le manque de médicaments en dépit du fantastique travail des médecins généralistes, des infirmières, des pharmaciens et des personnels concernés. Cette situation est d'autant plus incompréhensible que ma circonscription est proche de Lyon et donc proche de laboratoires de grande renommée – Sanofi, Boiron, BioMérieux, Merck…
J'aurai quatre questions.
Je souhaite tout d'abord savoir, monsieur le ministre, de quelle façon et dans quelle direction le Gouvernement souhaite influencer la nouvelle autorité européenne qu'est l'Hera.
Ensuite, ne pourrions-nous utiliser le critère du respect de l'environnement pour nous affranchir de notre dépendance à la Chine et à l'Inde pour la fabrication des médicaments ?
Ma troisième question porte sur le bilan que nous pouvons tirer de la crise de la covid-19 concernant les chaînes d'approvisionnement, et sur ce qui a été fait depuis en la matière.
Enfin, comment le Gouvernement compte-t-il concilier maîtrise des dépenses publiques et augmentation de la demande s'agissant des coûts de production des médicaments ?
J'ai expliqué tout à l'heure, en ce qui concerne Hera, que l'effort de la France portera sur l'uniformisation des définitions, qui seront beaucoup plus simples pour nous comparer au niveau européen ; sur les contrôles qui, là aussi, doivent être uniformes, sur la politique de stocks, et sur tout ce que l'on peut faire dans le cadre d'une crise sanitaire. Comme je l'ai précisé également, nous attendons, dans les semaines qui viennent, les conclusions de la Commission européenne. Je continue en tout cas à me battre pour que les principes français soient très explicitement repris.
Nous avons demandé par ailleurs aux hôpitaux de tenir compte du critère de respect de l'environnement dans la commande des médicaments. Nous nous heurtons toutefois aux règles générales du marché qui ne nous permettent pas d'imposer des critères particuliers pour favoriser très directement des produits fabriqués en France. Reste que vous avez raison : le respect des règles environnementales est une piste des plus prometteuses pour favoriser ces produits.
De plus, comme le disait M. Vigier tout à l'heure, n'oublions pas que les usines de production dont nous parlons sont des sites Seveso. Ces établissements présentent donc des risques et il nous faut accorder une attention particulière à leur sécurisation.
Quant au bilan des chaînes d'approvisionnement, c'est justement ce que nous sommes en train de faire en dressant la liste des produits indispensables. C'est une opération complexe, car depuis la production des principes actifs jusqu'à la commercialisation des médicaments par les pharmaciens, de nombreux blocages existent, lesquels ne sont pas les mêmes d'un médicament à l'autre. Cela complique l'analyse de la situation, mais c'est ce que requiert l'évaluation des risques, médicament par médicament.
En dix ans, les signalements de rupture de médicaments ont été multipliés par dix en France. De 300 références manquantes en 2013, nous en avons dénombré 3 000 en 2022. Si certains de ces médicaments sont bien connus, comme le paracétamol ou l'amoxicilline dont nous avons beaucoup parlé, c'est toute une série de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, dont l'ANSM tient la liste à jour, qui manquent à l'appel. Comme pour de trop nombreux autres produits, la France paye le prix de ses mauvaises stratégies.
Ce n'est pourtant pas faute d'avoir prévenu le Gouvernement. Déjà en 2018, une mission d'information du Sénat sur les pénuries de médicaments et de vaccins alertait sur la « perte d'indépendance sanitaire française ». Si certains en doutaient, la pandémie de covid-19 a malheureusement constitué un triste révélateur de nos dépendances. Ce sont aujourd'hui 80 % des médicaments que nous importons, contre 20 % il y a vingt ans.
En 2020, à grand renfort de communication, dans la droite ligne du « nous sommes en guerre », le Président de la République annonçait vouloir relocaliser la production de paracétamol. Cette bonne nouvelle doit pourtant être prise pour ce qu'elle est, à savoir un trompe-l'œil. En effet, ne soyons pas dupes : une telle relocalisation prendra du temps, sans parler de nos structures de coûts trop importantes, de nos contraintes en matière environnementale, et de notre virage raté dans les domaines de la biotechnologie et de la génomique.
Ne nous voilons pas la face : ce sont les prix bas imposés par le Gouvernement qui provoquent les ruptures, et ce même s'ils se justifient évidemment sur le plan sanitaire pour les patients. Faut-il le rappeler, les industriels ne sont pas des associations humanitaires et la loi du plus offrant s'applique malheureusement aussi au monde de la santé.
Ma question est donc simple : lancerez-vous un plan pluriannuel qui renoue avec une ambition dans le domaine de la recherche afin que nous puissions produire de manière souveraine les fameux médicaments d'intérêt thérapeutique majeur ?
En ce qui concerne les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, comme je le disais tout à l'heure, nous avons l'obligation réglementaire de prévoir deux voire quatre mois de stock. Au total, ce sont un peu plus de 400 médicaments qui sont considérés comme particulièrement essentiels. Il s'agit tout de même d'un point positif.
S'agissant de la production de paracétamol, vous avez certainement fait allusion au projet du groupe Seqens, en Isère. Il est vrai que la reconstruction d'une usine en France et le rétablissement de lignes de production ne se font pas en un an. Cela étant, les opérations sont bien avancées et nous pouvons espérer que, l'année prochaine, la France produira suffisamment de paracétamol pour assurer notre totale autonomie et pour n'avoir plus à faire appel à l'Inde, à la Chine – deux pays dont nous avons beaucoup parlé –, mais aussi aux États-Unis. À cet égard, n'oublions pas que l'Inflation Reduction Act adopté aux États-Unis nous pose des problèmes pour importer des principes actifs depuis ce pays.
Quant aux prix, je l'ai également dit, la mission lancée par la Première ministre et à laquelle participent des personnalités qualifiées ainsi que des représentants de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale des affaires sociales nous permettra de mettre à plat notre politique de paiement du médicament et d'identifier ce qui est le plus efficace.
Or, je le répète aussi, dans ce domaine, la transparence est essentielle. En effet, l'article récent du British Medical Journal dont je vous ai parlé montre qu'en dépit de prix très élevés, l'investissement et la recherche des grands groupes industriels pharmaceutiques sont actuellement très faibles. Il y a donc là aussi une action à mener. C'est également le cas dans le domaine de la recherche – vous l'évoquiez –, et je partage à cet égard la volonté de Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur, de réformer la recherche médicale dans notre pays, particulièrement en ce qui concerne les médicaments. Et je ne mentionne pas l'instauration de l'Agence de l'innovation en santé, dotée de 7,5 milliards d'euros et destinée à faire le lien entre la recherche fondamentale et la production, contribuant ainsi à la relocaliser en France.
Vous le voyez, nous agissons sur l'ensemble du spectre s'agissant du médicament, afin que, dans les années qui viennent, les inquiétudes disparaissent, ou du moins diminuent, en matière de réductions des stocks.
Prochaine séance, demain, à neuf heures :
Discussion de la proposition de loi visant à mieux lutter contre la récidive ;
Discussion de la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne ;
Discussion de la proposition de loi visant à renforcer la protection des familles d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap ou victimes d'un accident d'une particulière gravité ;
Discussion de la proposition de loi visant à soutenir les petites entreprises et les collectivités territoriales en cas de crise énergétique.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures cinquante.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra