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Intervention de Sébastien Peytavie

Séance en hémicycle du mercredi 1er mars 2023 à 21h30
Politique du médicament et pénuries

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Peytavie :

En tout, ce sont quelque 3 000 molécules qui ont manqué à l'appel cet hiver. Parmi ces molécules, l'amoxicilline, premier antibiotique prescrit en France, et le paracétamol. Les ruptures d'amoxicilline, qui touchent principalement les usages pédiatriques, ont mis à mal ces unités, déjà sous forte tension depuis plusieurs semaines. Les associations pédiatriques ont d'ailleurs estimé que la pénurie d'amoxicilline constituait un risque supérieur à celui de l'épidémie de bronchiolite. En 2021, l'Agence nationale de sécurité du médicament a ainsi reçu plus de 2 440 signalements de pénuries. Depuis plus de dix ans, les professionnels de santé tirent la sonnette d'alarme sur l'augmentation constante des risques de pénurie de médicaments.

La pénurie de ces molécules, essentielles dans notre arsenal médical, est une menace réelle aussi bien pour la santé des Françaises et des Français que pour le système de soins et d'accompagnement. Elle soulève deux sujets majeurs : celui de la charge supplémentaire infligée à un personnel soignant déjà en proie à des conditions de travail désastreuses, et celui de la souveraineté industrielle et pharmaceutique de notre pays.

La pénurie de masques au début de la pandémie de coronavirus a été révélatrice de notre vulnérabilité et nous demeurons en situation de dépendance pharmaceutique et industrielle. Ces pénuries sont elles aussi principalement liées à la forte dépendance de la France au marché mondial – et non à « un mouvement social » chez Sanofi, comme vous le déclariez, monsieur le ministre, le 13 décembre sur France Info. Et c'est justement parce que le Gouvernement demeure dans une vision court-termiste que nous sommes et resterons vulnérables aux fluctuations du marché.

Cette vision court-termiste donne un blanc-seing aux entreprises privées, perfusées d'argent public, alimentées par la course au profit et au productivisme, au détriment de l'intérêt général. Sanofi, le géant pharmaceutique, dont le chiffre d'affaires atteignait 33,77 milliards en 2014 – dont 7 % réalisés en France –, bénéficie depuis 2008 de 125 à 130 millions d'euros par an d'abattements fiscaux au titre du crédit d'impôt recherche (CIR). En parallèle, il n'a eu de cesse de diminuer son potentiel de recherche et développement. D'après les syndicats, Sanofi a supprimé 2 000 emplois dans ce secteur ces dernières années : fin 2009, il y avait 6 212 salariés en CDI dans la recherche pharmaceutique en France ; fin janvier 2015, ce chiffre s'établissait à 4 237. La totalité des crédits d'impôt perçus par le groupe en France est pourtant passée de 70 millions en 2007 à 150 millions en 2013. Dès cette date, la Cour des comptes alertait dans un rapport, estimant que « des stratégies d'optimisation, visant à maximiser l'avantage fiscal accordé au titre du CIR, peuvent se développer dans la durée. » Pourtant, les multinationales continuent à toucher des montants colossaux de crédit d'impôt recherche, mais pratiquent en réalité des délocalisations massives de leurs chaînes de production et de leurs unités de recherche dans des pays à bas coûts sociaux et fiscaux.

Ce phénomène de dumping fiscal et social met à mal la souveraineté économique et industrielle française. La crise sanitaire l'a d'ailleurs clairement montré, puisque sur un domaine aussi stratégique que l'industrie pharmaceutique, la France s'est retrouvée en tension, mais surtout en situation de dépendance auprès de pays étrangers, sur des médicaments de première nécessité. Je rappelle que 80 % des principes actifs des médicaments prescrits en Europe sont produits en Inde ou en Chine. Nous devons nous extraire de notre dépendance aux marchés extérieurs, qui renforce d'ailleurs nos émissions de CO?, et relocaliser la production de médicaments. Suite à la crise sanitaire, une unité de production de paracétamol a été relocalisée sur le territoire et sera mise en service au cours de l'année 2023. Les enjeux en matière de sécurité sanitaire et de droit fondamental à la santé exigeraient que ce dispositif soit étendu à toutes les molécules essentielles.

La pénurie de médicaments est ainsi un des multiples symptômes d'une maladie bien plus profonde : celle d'une course à la croissance qui préfère délocaliser à tour de bras ses unités de production de médicaments au détriment de la santé, de l'accès aux soins et du respect des normes environnementales, en polluant fleuves et rivières de pays plus lointains. Le profit avant la santé, le profit avant la planète, le profit avant la vie ! Si les antibiotiques ne sont pas automatiques, cela reste un droit de pouvoir en bénéficier lorsque l'état de santé l'impose.

Une réponse ambitieuse et réaliste à cette chronique d'une pénurie annoncée commande donc de passer d'une logique de rentabilité à une logique de planification : il faut sortir les stocks de médicaments essentiels du marché privé, caractérisé par une grande opacité et la recherche permanente de l'enrichissement. Les discours de façade et la vision court-termiste ne suffisent plus. Il est temps de changer de paradigme : la vie digne sur une planète vivable et vivante, avant tout !

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