La réunion

Source

Mercredi 18 janvier 2023

La séance est ouverte à 14 heures 30

(Présidence de M. Jean-Félix Acquaviva, président de la commission)

La commission auditionne, à huis clos, Mme Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire, puis Mme Charlotte Hemmerdinger, ancienne cheffe du service national du renseignement pénitentiaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Après avoir auditionné hier le délégué local au renseignement pénitentiaire (DLRP) d'Arles, accompagné de son supérieur hiérarchique, nous entendons aujourd'hui Mme Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire (SNRP).

Cette audition sera d'abord l'occasion de rappeler les missions, l'organisation et le fonctionnement du SNRP, tant à l'échelon central qu'au niveau déconcentré, ainsi qu'au sein des établissements pénitentiaires.

Nous souhaiterions également savoir, madame, comment s'opèrent la coopération et l'échange d'informations entre votre service et les autres services concernés au sein de la communauté du renseignement. En particulier, s'agissant du cas d'espèce, de quelles informations disposait le SNRP concernant Franck Elong Abé lorsque celui-ci a été écroué, au regard de ses activités en Afghanistan ?

Enfin, nous souhaiterions connaître votre appréciation quant aux moyens dévolus au SNRP et aux procédures en vigueur. À la lumière, notamment, des observations formulées par l'Inspection générale de la justice (IGJ), que conviendrait-il de renforcer, d'améliorer, d'adapter, afin de rendre le renseignement pénitentiaire plus efficace ?

Notre rapporteur, M. Marcangeli, vous a transmis un questionnaire en vue de cette audition. Je vous invite à communiquer ultérieurement vos réponses écrites, ainsi que tout élément d'information que vous jugerez utile de porter à notre connaissance.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous prie de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

(Mme Camille Hennetier prête serment.)

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Je vais répondre en suivant le cadre posé par le questionnaire, qui couvre les thèmes que vous venez d'aborder, monsieur le président.

J'ai pris mes fonctions au SNRP le 7 novembre 2022 et n'étais donc pas en poste au moment de l'assassinat d'Yvan Colonna par Franck Elong Abé. Je fonde mes réponses sur les archives du service, sur des notes consultées et sur ce que je connais du fonctionnement du SNRP deux mois après mon entrée en fonction.

Le SNRP est un service jeune. Il a été créé en 2017 et structuré en service à compétence nationale en 2019. Cette création récente ne signifie pas qu'avant cette date l'administration pénitentiaire ne recueillait pas les informations auxquelles elle avait accès en détention, puisqu'un bureau du renseignement pénitentiaire existait depuis 2003. Cependant, les informations collectées n'étaient pas structurées et le service n'avait pas vocation à faire usage de techniques de renseignement.

La vague des attentats de 2015 a conduit le législateur à s'interroger sur la pertinence de la création d'un service de renseignement pénitentiaire, et la loi du 3 juin 2016 a mené à la création d'un service de renseignement pénitentiaire, composé de dix cellules interrégionales (Cirp) positionnées au sein des directions interrégionales des services pénitentiaires (Disp), ainsi que d'un bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP), placé au sein de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP).

En février 2017, les Cirp et le BCRP ont accédé au rang de service de renseignement et ont été intégrés au second cercle de la communauté du renseignement, aux côtés d'autres services tels que le service central du renseignement territorial (SCRT), la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) ou la sous-direction de l'anticipation opérationnelle de la gendarmerie nationale (SDAO). Néanmoins, les Cirp restaient intégrées aux directions interrégionales et le BCRP à la sous-direction de la sécurité pénitentiaire de la DAP. L'action de ces deux entités reposait sur le travail des DLRP, positionnés dans les établissements pénitentiaires et alors placés sous l'autorité des chefs d'établissements.

En 2019, il devenait impératif de rationaliser la chaîne hiérarchique du renseignement pénitentiaire et celui-ci devait poursuivre sa montée en compétence face à l'augmentation du nombre de détenus incarcérés pour des faits de nature terroriste. L'arrêté du 29 mai 2019 a donc fait du SNRP un service à compétence nationale.

Les trois niveaux du renseignement pénitentiaire ont continué d'exister mais l'échelon central du SNRP est sorti du giron de la sous-direction de la sécurité pénitentiaire, bien qu'étant toujours intégré à la DAP. De plus, les Cirp ont été rattachées hiérarchiquement à l'échelon central du SNRP. Enfin, les DLRP répondent dorénavant aux Cirp et à l'échelon central. Le SNRP constitue donc un service autonome et organisé en réseau, placé au sein de l'administration pénitentiaire.

L'échelon central, en plus de suivre en propre certains objectifs, élabore la politique nationale et les doctrines du renseignement en direction des Cirp et des DLRP.

L'échelon interrégional, composé de dix Cirp établies aux mêmes endroits que les Disp, assure l'animation et la coordination des entités locales. Elles sont placées sous l'autorité hiérarchique du chef du SNRP. Mon adjointe et moi-même sommes donc responsables de leur fonctionnement.

Enfin, l'échelon local est constitué des DLRP, placés sous l'autorité des Cirp. Tous les établissements pénitentiaires n'accueillent pas de DLRP ; leur effectif théorique est de 85. Ils sont positionnés dans les établissements les plus sensibles et dans ceux qui reçoivent le plus de détenus terroristes suivis par le SNRP. Parmi les 187 établissements du réseau pénitentiaire, ceux qui ne comptent pas de DLRP accueillent un correspondant local du renseignement pénitentiaire (CLRP), qui reste sous l'autorité du chef d'établissement et qui, en marge de ses missions de surveillant, accomplit à temps partiel des missions de renseignement et de remontée d'informations vers le service.

La double ligne hiérarchique et fonctionnelle du service a donc été remplacée par une ligne unique, qui est celle de l'échelon central. Cette restructuration a permis aux trois échelons de se recentrer sur leur mission mais aussi d'élaborer une véritable doctrine et une véritable stratégie du renseignement pénitentiaire.

De plus, le champ d'intervention du SNRP a été élargi au cours des années. Le SNRP œuvre à la prévention des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation et à la sécurité des établissements pénitentiaires. Il contribue par son action à la détection des menaces et de tout projet d'action violente susceptible d'être mis à exécution, au sein des établissements mais pas seulement. En 2017, les missions du SNRP étaient de trois ordres : lutter contre le terrorisme, lutter contre la délinquance et la criminalité organisée et assurer la sécurité pénitentiaire. En 2019, elles ont été élargies aux atteintes aux institutions républicaines, c'est-à-dire aux subversions et mouvances extrémistes violentes.

Par ailleurs, le champ d'action était d'abord limité aux personnes placées sous main de justice, c'est-à-dire sous la responsabilité de l'administration pénitentiaire. Cependant, en 2019, ce champ a été élargi aux intervenants en détention suspectés d'appartenir à des mouvances radicales ou susceptibles de mettre en cause la sûreté et le bon fonctionnement des établissements. La catégorie des intervenants en détention comprend les personnes participant au service public en détention, c'est-à-dire tous les personnels de l'administration pénitentiaire, mais aussi les sous-traitants privés et, plus généralement, tout individu habilité à entrer en détention.

J'en viens à l'apport et au bilan du service depuis sa création en 2017. De l'aveu même de la communauté du renseignement, cette création a eu l'intérêt majeur de combler ce qui constituait un trou noir. En effet, avant 2017, aucun service de renseignement n'était à même d'assurer un suivi resserré des individus concernés pendant leur période d'incarcération. Au terme de leur détention, parfois longue, ces individus sortaient donc sans que l'on sache comment ils avaient évolué ; il fallait pallier ce manque.

L'un des intérêts du SNRP est d'assurer ce travail de suivi et de permettre, au moment de la sortie, d'offrir une photographie de l'individu et de son évolution pendant la période d'incarcération, ce qui permet de procéder à un passage de relais avec le service éventuellement désigné pour prendre en charge le suivi à l'extérieur.

À sa création, d'importants moyens ont été alloués au service puisque l'on comptait 220 agents début 2017 et qu'ils sont 344 aujourd'hui – en effectif théorique : comme nombre des services de renseignement et de l'administration en général, nous sommes confrontés à un turnover important mais aussi à des vacances de postes, pour lesquels nous peinons à recruter.

En ce qui concerne les objectifs, 1 600 détenus font l'objet d'un suivi par le service, au titre des finalités exposées et seulement à ce titre.

Les DLRP constituent, je le disais, le premier niveau du SNRP et sont au contact direct des individus incarcérés. Ils sont intégrés au sein des établissements tout en étant placés sous l'autorité hiérarchique des Cirp et de l'échelon central. Par ailleurs, en tant qu'agents du renseignement pénitentiaire à temps complet, ils n'assurent pas de mission de surveillance. Ils répondent à des impératifs de discrétion, même s'ils participent souvent aux astreintes de l'établissement pour éviter de se couper de la détention et afin de rester intégrés.

Les DLRP font remonter les informations dont ils ont connaissance vers les Cirp, à l'aide d'un applicatif dédié, qui est un outil du service regroupant toutes les observations sur les objectifs suivis.

Sur les 187 établissements du réseau pénitentiaire, 74 accueillent au moins un DLRP.

En ce qui concerne la coordination au sein du service, la communication entre les Cirp et l'échelon central est constante, dans la mesure où ce dernier est chargé de mettre en œuvre une politique qu'il détermine et de s'assurer de sa bonne application par les Cirp. Les contacts – réunions, visioconférences et contacts téléphoniques – sont donc incessants.

De la même manière, les liens entre les Cirp et les DLRP sont constants, pour assurer la remontée permanente des informations et la redescente des instructions.

Le SNRP reste intégré à l'administration pénitentiaire et, s'il s'est autonomisé par rapport à la sous-direction de la sécurité pénitentiaire, leurs liens restent étroits. En effet, la sécurité pénitentiaire reste une mission importante du SNRP et il lui appartient d'informer cette sous-direction, et la DAP, lorsqu'une menace est identifiée. Les échanges sont hebdomadaires et les transmissions d'informations fréquentes entre le SNRP et l'administration pénitentiaire. Le service fonctionne en réseau et les liens entre les différents échelons sont constants.

J'en viens à la question des détenus particulièrement signalés (DPS) et des terroristes islamistes (TIS). Depuis 2019, le service a cessé de suivre tous les DPS : cette catégorie est plus large que celle de ses objectifs. À titre d'exemple, les DPS peuvent être des détenus « grands violents », incarcérés pour des faits très graves de meurtre ou de séquestration, que le SNRP n'a pas vocation à suivre au titre des missions qui lui ont été assignées. Cependant, la plupart des objectifs suivis par le SNRP sont des DPS, parce qu'ils appartiennent le plus souvent à la criminalité organisée nationale ou internationale, à des réseaux terroristes, ou parce qu'on a identifié un risque d'évasion.

En revanche, le SNRP a vocation à suivre l'ensemble des détenus incarcérés pour des faits liés au terrorisme islamiste sunnite. Le SNRP suit donc tous les TIS, de façon plus ou moins resserrée en fonction de leur profil et de leur évolution en détention.

Cette catégorie des TIS est clairement définie par la doctrine du fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Tous les TIS font l'objet d'une inscription dans ce fichier et sont suivis par le SNRP. La catégorie est établie sur la base de critères objectifs, qui tiennent à la nature des faits pour lesquels ces personnes sont écrouées, qualifiés de terroristes, ainsi qu'au cadre dans lequel ils sont pris en charge – à titre pré-sentenciel ou à titre post-sentenciel, lorsqu'ils font l'objet d'un suivi par le juge de l'application des peines après condamnation, ou encore s'ils sont détenus en vertu d'un écrou extraditionnel.

J'en viens au repérage et au suivi de la radicalisation, ainsi qu'aux outils utilisés à ces fins. Le service suit aussi les individus radicalisés, appelés RAD, catégorie qui répond à la doctrine du FSPRT : ces individus ne sont pas détenus pour des faits de terrorisme mais pour des faits de droit commun et leur radicalisation a fait l'objet d'une évaluation. Le service suit tous les RAD inscrits au FSPRT.

Cette inscription au FSPRT intervient au terme d'un processus qui se déroule au sein des groupes d'évaluation départementaux (GED). Présidés par les préfets, les GED prennent leurs décisions sur la base des rapports des services.

Ces détenus peuvent être signalés par différents canaux, tels que le DLRP, les Cirp, la mission de lutte contre la radicalisation violente (MLRV) ou d'autres encore. La phase d'évaluation, d'une durée de quatre mois au maximum, permet au service de collecter des informations et d'évaluer la radicalisation au moyen des outils dont il dispose : applicatifs et informations pénitentiaires, mais aussi relationnel de l'individu. À ce stade, les techniques de renseignement ne sont pas utilisées. Sur cette base, le service concerné peut proposer au GED l'inscription au fichier comme RAD.

Ces catégories permettent aux services de partager une acception commune de la notion de personne radicalisée, l'inscription au FSPRT représentant un critère objectif. Les GED se réunissent de façon mensuelle, voire hebdomadaire. On y évoque le cas des personnes suivies et on y partage les informations avec tous les services partenaires présents. Ainsi, Franck Elong Abé a fait l'objet d'un suivi en GED et, à chaque fois que son cas a été inscrit à l'ordre du jour, les informations ont été partagées avec tous les services de renseignement présents, notamment avec l'échelon local de la sécurité intérieure.

Franck Elong Abé a été incarcéré en 2014, quand le BCRP n'existait pas encore. L'administration pénitentiaire disposait alors des informations figurant dans les pièces judiciaires, l'ordonnance de placement en détention provisoire étant transmise au greffe pénitentiaire. D'expérience, je peux vous dire que ces notes reviennent de façon détaillée sur le parcours des individus incarcérés.

Franck Elong Abé a été mis en examen en mai 2014 pour avoir séjourné en zone afghano-pakistanaise, au sein d'un réseau de talibans affilié à Al-Qaïda. Il lui était également reproché d'avoir suivi un entraînement militaire et d'avoir combattu contre l'armée pakistanaise et les forces de la coalition présentes en Afghanistan. Ces informations, figurant dans les pièces judiciaires, étaient connues de l'administration pénitentiaire. Pour ma part, j'ai trouvé trace de ces faits dans une note du renseignement pénitentiaire tel qu'il existait alors, datée de février 2015.

J'en viens au suivi de Franck Elong Abé et aux signaux d'alerte ayant pu être portés à la connaissance du service. Rappelons que sa radicalisation était manifeste, qu'elle était assumée et ne faisait de doute pour personne – ce n'est pas toujours le cas. De plus, il avait été incarcéré pour des faits de terrorisme connus de l'administration et son comportement était en accord avec ses convictions.

Le BCRP l'a suivi à partir de 2014 mais, n'étant pas un service de renseignement, il ne pouvait faire usage de techniques de renseignement et ne s'appuyait que sur des observations, sur des synthèses et sur des informations pénitentiaires. Après la création du SNRP en 2017, Franck Elong Abé a constitué un objectif du service en tant que TIS.

J'ai consulté les notes rédigées à son sujet à partir de 2017. Elles sont en diffusion restreinte ; je ne pourrai donc vous en donner connaissance de façon intégrale mais je m'attacherai à vous en livrer la substantifique moelle.

Les notes rédigées par le DLRP de Rouen après l'incarcération de Franck Elong Abé sont assez brèves et compilent des observations sur son comportement. Elles s'attachent en particulier à décrire la façon dont il se replie sur lui-même ou dont il semble, au contraire, s'ouvrir un peu à l'égard des personnels. J'ai eu accès à une note d'avril 2015 et à une autre datant d'octobre 2015, dans laquelle est mentionnée la présence d'objets en lien avec la religion dans la cellule de Franck Elong Abé : un Coran et un tapis de prière, mais aussi une Bible.

Des notes ont également été rédigées en janvier 2016 puis en mars 2016. Dans celle de mars, le DLRP procède à une synthèse dans le cadre du renouvellement du classement comme DPS de Franck Elong Abé. Cette note met en avant les actions prosélytes auxquelles s'adonne le détenu à la maison d'arrêt de Rouen « pour propager les idéologies terroristes afin de tenter d'embrigader d'autres détenus ». La note précise aussi : « détenu se montrant très radicalement islamisé, ayant un fort potentiel d'embrigadement des autres détenus, justifiant sa réaffectation en quartier d'isolement (QI) ». Une note de juin 2016 ne mentionne rien de particulier.

Des fiches datées du 2 décembre 2016 et du 22 février 2017 font mention des nombreux incidents commis en détention et des visites reçues. Elles reprennent les informations communiquées par le DLRP.

J'ai également eu accès à des fiches de suivi rédigées par la Cirp de Lille, compétente pour le centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil, où Franck Elong Abé a été incarcéré à partir du 28 février 2017. Ces notes, qui datent de mars, avril, août et novembre 2017, rédigées à l'époque de la création des Cirp et du BCRP, sont beaucoup plus détaillées. Elles mentionnent le fait que Franck Elong Abé est inscrit dans un processus d'engagement violent, qu'il tient un discours prosélyte et violent à l'encontre de l'Occident. Elles évoquent également des troubles du comportement. Franck Elong Abé y est décrit comme ancré dans son idéologie, solitaire, énigmatique et difficile à cerner.

Une note d'alerte signale en avril 2018 un phénomène de regroupement au QI de Vendin-le-Vieil, entre des détenus TIS et des détenus radicalisés, parmi lesquels figurent Franck Elong Abé et Smaïn Aït Ali Belkacem. Le service s'en inquiète.

Une note de profil d'août 2018 revient sur le suivi dont Franck Elong Abé fait l'objet. Le BCRP est chef de file de ce suivi et la direction zonale de la sécurité intérieure (DZSI) du Nord intervient pour information.

En juillet 2019, une note du service évoque le regroupement, au QI du centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe, de détenus TIS, radicalisés ou instables psychologiquement, dont font partie Franck Elong Abé et Lionel Dumont, qui paraissent tous deux exercer une influence importante sur le groupe. Leur velléité de créer des mouvements collectifs provoque une inquiétude.

Une note de profil datée du 5 mai 2020 est rédigée par la Cirp de Marseille en vue d'un GED. Franck Elong Abé est arrivé à la fin 2019 à la maison centrale d'Arles et cette note relate les incidents survenus à Condé-sur-Sarthe et fait état de l'influence de Lionel Dumont, déjà constatée dans les notes précédentes. Elle évoque également un comportement correct, la tenue de propos en opposition avec l'Occident, une religiosité clairement affichée, une pratique rigoriste et un caractère affirmé et sûr de lui. La note rapporte aussi certains propos radicaux : Franck Elong Abé déclare que les imams présents en prison sont des espions et traite sa mère de mécréante. Enfin, cette note fait état de la proximité de Franck Elong Abé avec d'autres détenus radicalisés du QI. La Cirp sollicite le maintien du suivi. Dans le cadre du GED, ces éléments sont communiqués à l'ensemble des services partenaires présents, notamment à la DZSI.

Une note de profil datée de mars 2021, rédigée par la Cirp de Marseille, fait ensuite état d'un comportement calme et respectueux en 2020, qui a conduit Franck Elong Abé en quartier spécifique d'intégration (QSI) puis en détention ordinaire. Il est décrit comme un détenu solitaire, dont l'ancrage idéologique ne faiblit pas et qui assume une pratique rigoriste. Une fois encore, la Cirp préconise un maintien du suivi. Cette note est communiquée aux échelons locaux de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et du renseignement territorial.

Enfin, une note de profil datée de décembre 2021 synthétise les éléments collectés grâce à l'observation pénitentiaire. Elle fait état de la persistance de l'ancrage religieux de Franck Elong Abé, mentionne l'absence d'un projet de sortie et préconise le maintien du suivi. Cette note est également transmise à la DGSI et au renseignement territorial.

Le cas de Franck Elong Abé a donc été évoqué en GED environ tous les six mois. En outre, les informations en possession du renseignement pénitentiaire ont été communiquées aux services partenaires, en raison notamment d'une inquiétude liée à la sortie prochaine d'un détenu apparaissant comme violent et radicalisé, pour lequel il fallait impérativement maintenir un suivi.

La détention de Franck Elong Abé a été émaillée de nombreux incidents sur lesquels je ne reviendrai pas. Ces incidents – menaces, violences et dégradations – me semblent sans rapport réel avec sa radicalisation, mais plutôt liés à un comportement violent, exception faite des marques de prosélytisme observées dès le début de son incarcération, motivant le maintien de son placement à l'isolement.

L'ancrage radical persistant de Franck Elong Abé a motivé à plusieurs reprises les prolongations de placement à l'isolement ou le replacement à l'isolement. Par ailleurs, des liens avec des détenus figurant dans le haut du spectre, tels que Smaïn Aït Ali Belkacem, étaient possibles, ce qui a inquiété le service. À cet égard, celui-ci a été amené à formuler des recommandations après le changement d'affectation de Franck Elong Abé, du strict point de vue de la sécurité pénitentiaire. Le service alerte alors sur la présence, dans un établissement ou dans un quartier, de détenus avec lesquels des rapprochements seraient possibles. Le rôle du service consiste aussi à formuler ce type de préconisations et à alerter quant à ces risques.

Hormis ces alertes et les observations réunies, aucun élément particulier n'aurait pu permettre d'anticiper le passage à l'acte, d'autant qu'il s'agissait d'un détenu isolé, communiquant très peu avec l'extérieur, puisqu'il n'échangeait qu'avec sa mère par le biais de la téléphonie légale et ne recevait que peu ou pas de visites. D'autre part, comme vous le savez, Franck Elong Abé et Yvan Colonna entretenaient des rapports cordiaux et il n'a été fait état d'aucun incident entre eux, avant l'assassinat.

En ce qui concerne le rapport de l'IGJ et les manquements de l'autorité pénitentiaire qu'il mentionne, je n'ai pas identifié de recommandations formulées à l'égard du renseignement pénitentiaire. En revanche, le rapport fait le constat d'une « direction interrégionale insuffisamment vigilante » et d'un chef de Cirp qui, « même s'il a été tenu informé par l'officier DLRP de l'établissement des avis émis à plusieurs reprises par la CPU » (commission pluridisciplinaire unique) « aurait dû, en lien avec les cadres de la Disp de Marseille […], être davantage proactif, s'agissant de l'évolution et de l'orientation d'une personne détenue TIS en s'inquiétant, avec ces dernières, de l'absence de formalisation d'une proposition d'affectation en QER ».

Ce rapport repose sur l'idée que l'affection de Franck Elong Abé en QER était nécessaire, qu'elle aurait pu être utile et que sa non-affectation n'était pas normale. Ce postulat peut être largement discuté, pour plusieurs raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas, mais qui tiennent essentiellement au fait que la radicalisation et l'imprégnation religieuses de Franck Elong Abé ne représentaient un mystère pour personne, qu'elles étaient assumées, affichées et que, à cet égard, l'évaluation de sa radicalisation en QER ne présentait a priori pas beaucoup d'intérêt.

Lors de leur présence en QER, les détenus pratiquent des activités et s'entretiennent avec des psychologues et des médiateurs du fait religieux. Or Franck Elong Abé avait déjà rencontré une psychologue, à trois reprises me semble-t-il, avant de refuser de la revoir. Il considérait que les imams présents en prison étaient des espions et avait un comportement violent. Je perçois donc mal comment il aurait pu accepter de s'intégrer au sein d'une session QER et comment il aurait pu y participer sans la mettre en danger.

S'agissant encore des observations du rapport de l'IGJ, je souhaiterais préciser que le SNRP dans son ensemble – Cirp et DLRP inclus – n'intervient pas dans le processus d'évaluation des personnes détenues, sauf pour l'inscription au FSPRT.

Avec la sous-direction de la sécurité pénitentiaire et la MLRV, l'échelon central participe aux commissions centrales de suivi, qui décident des affectations en QER mais aussi des affectations post-QER, quand il s'agit de savoir dans quel établissement placer un individu évalué. Le SNRP participe à ces commissions mais ne se prononce pas sur l'opportunité d'un placement en QER ni sur celle d'un placement dans un établissement. Il se contente de cribler les noms et les établissements, pour attirer l'attention de l'administration pénitentiaire sur de possibles dangers ou inconvénients du placement à tel ou tel endroit au regard de la présence de certains détenus. Donner son avis sur un placement n'est ni son rôle ni sa mission.

Lorsqu'il participe aux CPU, le DLRP apporte des éléments pour éclairer le profil du détenu, peut aider à la prise de décision liée à l'affectation en appelant l'attention du chef d'établissement sur certains risques, mais il ne donne pas son avis et ne prend pas de décision. La mission du SNRP n'est pas de faire de la prévention ni de la lutte contre la radicalisation mais de suivre ses objectifs, dans un environnement imposé ; il est amené à donner un avis à certaines échéances, sans jamais être décisionnaire quant à l'affectation de tel ou tel détenu. Son but est d'éviter les regroupements dangereux afin de prévenir de possibles atteintes à la sécurité pénitentiaire et des actions violentes.

J'en viens aux alertes formulées par le DLRP, émises en CPU dangerosité et mentionnées dans le rapport de l'IGJ. Vous me demandez si elles sont remontées au sein du SNRP et, si oui, quelles suites ont été données. Le rapport ne mentionne pas à proprement parler d'alerte émise par le DLRP mais évoque le fait qu'il revenait à chaque fois sur le sujet du placement de Franck Elong Abé en QER, selon les mots de la cheffe d'établissement. Les comptes rendus de ces CPU ont été transmis à la Cirp par le DLRP, mais ni l'une ni l'autre n'avait le moindre pouvoir décisionnaire quant à l'affectation du détenu.

Je crois savoir que le DLRP s'étonnait de ce que Franck Elong Abé ne soit pas passé en QER, puisque cet outil existe et que la politique de l'administration pénitentiaire consiste à évaluer les détenus TIS. Mais, encore une fois, la décision ne lui revenait pas.

Vous me demandez également si le SNRP identifiait « d'autres cas ou situations qui peuvent conduire à ce que les suites nécessaires ne soient pas données à des alertes émises concernant un détenu potentiellement dangereux ». Notre rôle est d'alerter sur des menaces comme l'imminence d'une agression contre un personnel, sur la persistance d'activités criminelles en détention ou sur des projets d'évasion. Le cas échéant, nous alertons les sous-directions responsables de la gestion de la sécurité pénitentiaire, qui doivent ensuite prendre des mesures d'entrave administrative – déplacements, transferts, changements d'affectation, suppressions de permis de visite ou suspensions d'autorisation de téléphoner. Ces directions doivent aussi alerter l'autorité judiciaire pour que des mesures soient mises en place lorsque la commission d'une infraction a été révélée par les observations du service. Le service ne fait que donner l'alerte et n'a pas vocation à commenter les décisions de transfert et d'entrave, qui relèvent des sous-directions pénitentiaires.

J'en viens à cette question : « Une des circonstances qui a conduit à l'agression mortelle à la maison centrale d'Arles, à savoir qu'un individu dangereux n'a pas été pris en charge de manière adaptée dans son parcours carcéral, vous semble-t-elle relever du cas isolé ? » Encore une fois, je ne fais pas de lien direct entre la non-affectation en QER de Franck Elong Abé et l'agression d'Yvan Colonna. Cette affectation n'aurait rien apporté en matière de détection de la radicalisation et n'aurait pas permis un éventuel désengagement de Franck Elong Abé. Il ne faut pas croire qu'un individu parti combattre en Afghanistan aux côtés des talibans va miraculeusement se désengager à la faveur d'une session QER, grâce à des entretiens avec un psychologue ou des ateliers lecture.

En revanche, le rapport QER aurait donné une photographie du degré d'imprégnation idéologique d'un détenu, mais aussi formulé des préconisations quant à l'affectation de ce dernier, en QI, en quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR) ou en détention ordinaire. La prise en charge en QER aurait peut-être permis de définir quelle était la meilleure affectation pour Franck Elong Abé, compte tenu de son profil. Cependant, la prise de mesures d'orientation, y compris en QPR, était rendue assez difficile par une sortie alors très proche.

En ce qui concerne le parcours pénitentiaire de Franck Elong Abé et son affectation en QI, en QSI et en détention ordinaire, il ne m'appartient pas de faire des commentaires puisque le service n'a jamais été décisionnaire. Je relève juste que l'Inspection a mentionné dans son rapport que, la sortie étant proche, il fallait prévoir une sortie du QI pour ne pas passer directement de l'isolement à la liberté.

Enfin, vous me demandez si les leçons de cette agression mortelle ont été tirées. Je crois savoir que les recommandations du rapport de l'IGJ ont été mises en œuvre par la DAP ou sont en passe de l'être. Au sein du renseignement pénitentiaire, nous nous efforçons toujours d'améliorer les process et les remontées d'informations, et d'assurer un suivi toujours plus efficace. Un tel événement, d'une extrême violence, représente un choc et peut être considéré comme un échec d'un certain point de vue. Il remet en question, pousse à reprendre les faits et je suis certaine que mes collègues l'ont fait à l'époque, se demandant ce qui avait pu dysfonctionner et ce qui aurait pu être fait pour éviter un tel événement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci pour vos réponses, et notamment pour les précisions que vous avez apportées sur le parcours de Franck Elong Abé en Afghanistan, qui commence à apparaître de façon plus claire. Cet aspect était trouble au début de notre travail et nous le reconstituons peu à peu.

Permettez-moi d'abord un constat quant à votre façon d'appréhender la question de l'affectation en QER. Selon vous, le comportement de Franck Elong Abé était trop violent pour que le QER ait pu être utile dans son cas. Cependant, cette violence ne l'a pas empêché de devenir auxiliaire sport en septembre 2021, trois semaines après avoir été responsable d'un incident contre un membre du personnel, et sachant que ce poste offre une plus grande liberté de mouvement et peut rapprocher des DPS. De plus, il s'agissait de préparer la sortie de cet individu violent et troublé, qui n'avait pas fait l'objet d'une évaluation et avait eu un parcours important en Afghanistan. Ces éléments appréhendés ensemble ne tiennent pas d'un point de vue logique ; il faut identifier les raisons de ces dysfonctionnements.

À ce titre, je m'en remets au constat de l'IGJ : la CPU a émis quatre avis unanimes qui n'ont pas été suivis par la cheffe d'établissement. Pourtant, la coordinatrice locale de la MLRV et un officier du bureau de gestion avaient fait remonter le dernier avis à leurs échelons supérieurs respectifs.

Nous sommes ici pour comprendre. Vous avez évoqué des outils de suivi précis, y compris le FSPRT et le GED, qui joue un rôle important, sous le pilotage du préfet, pour suivre les RAD et les TIS à l'échelle interrégionale.

Vous avez aussi mentionné les notes de service que vous avez trouvées à votre arrivée et qui évoquent le passé carcéral et le parcours en Afghanistan de Franck Elong Abé. Le SNRP a-t-il eu en sa possession le dossier administratif de la DGSI, dans lequel se trouvent l'ensemble des informations concernant Franck Elong Abé, y compris les éléments provenant des autorités étrangères ?

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Non. Je peux répondre facilement sur ce point car j'ai travaillé au parquet national antiterroriste et à la section C1 et je me souviens très bien de l'affaire. Je sors de mon rôle mais, dans le dossier de Franck Elong Abé, l'enquête a été ouverte sur la base de renseignements sur son parcours en zone afghano-pakistanaise. Cependant, le dossier judiciaire ne comprend pas de notes contenant des renseignements recueillis sur lui par les services de renseignement français ou étrangers. Ces éléments sont classifiés et le SNRP n'y a pas eu et n'y a pas accès. Je n'ai fait référence ici qu'aux éléments officiels, qui figurent dans le dossier judiciaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cela constitue un élément important dans le cadre de ce drame qui n'aurait jamais dû se produire. Le service n'avait donc pas eu et n'a pas aujourd'hui en sa possession les informations importantes contenues dans le dossier administratif, classifié, de la DGSI, afin d'évaluer la dangerosité liée au parcours d'ensemble de Franck Elong Abé.

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Je suis même dans l'incapacité de vous dire ce dont dispose la DGSI quant au parcours précis de Franck Elong Abé en Afghanistan.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Qui définit le « haut du spectre » du FSPRT, qui rassemble les individus les plus dangereux ?

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Le préfet.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pour cela, ne faut-il pas avoir accès aux informations classifiées de la DGSI ?

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Le dossier judiciaire évoque le parcours de Franck Elong Abé et le fait qu'il soit parti en Afghanistan, qu'il ait intégré un groupe de talibans affilié à Al-Qaïda et qu'à ce titre il ait combattu me paraît constituer un élément de dangerosité suffisant ; il n'est pas besoin d'entrer dans le détail de ce qu'il a fait sur place.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ces éléments le placent-ils dans le haut du spectre ?

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Il s'agit en tout cas d'un individu dangereux. N'oublions pas non plus qu'au moment où Franck Elong Abé est incarcéré, les détenus qui revenaient de la zone irako-syrienne après avoir combattu au sein d'organisations terroristes étaient nombreux.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En analysant son parcours et en vous écoutant, nous comprenons que sa dangerosité était plus grande que ce que nous pensions.

Sur les 500 TIS, 487 sont passés en QER. Franck Elong Abé fait donc partie des 13 TIS qui n'y sont pas allés. Étant donné les nombreux incidents qui émaillent son parcours carcéral avant Arles et son niveau de dangerosité très élevé, des questions se posent quant à cette non-affectation. Je note à ce stade que vous n'êtes pas en possession du dossier administratif de la DGSI et que ces éléments n'ont pas été transmis à la DAP, ni aux échelons régional et local.

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Effectivement. Il s'agit d'éléments classifiés.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Votre service a recours à des techniques de renseignement, parmi lesquelles l'utilisation des sources humaines. Lors de l'audition d'hier, nous avons demandé si Franck Elong Abé avait pu être une source ou un indicateur. On nous a répondu que cela relevait du secret défense ; pourriez-vous nous éclairer à ce sujet ?

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Je voudrais commencer par revenir sur un point : je n'ai pas dit que Franck Elong Abé n'avait pas été affecté en QER parce qu'il était trop violent. J'ai dit que sa radicalité était manifeste – ce qui n'est pas le cas pour tous les TIS – et que j'ai du mal à mesurer quelle aurait été la plus-value d'une évaluation de sa radicalisation. Ce point de vue n'engage que moi. Quand un détenu a été comme lui impliqué dans de nombreux incidents, la question de l'opportunité de son placement dans une unité avec d'autres TIS se pose, sachant aussi qu'il est susceptible de mettre en péril cette session d'évaluation. Mais, encore une fois, je ne porte pas d'appréciation quant à sa non-affectation : ce n'est pas mon rôle et je n'en ai pas les moyens.

En ce qui concerne les éléments de renseignement en notre possession, quand nous prenons en charge un détenu, nous avons besoin de savoir ce qui lui est reproché afin d'effectuer une première analyse de son profil et de sa dangerosité. Je n'ai aucune idée de ce qui figure dans le dossier de la DGSI mais le dossier judiciaire comprend largement assez d'éléments sur le parcours de Franck Elong Abé pour permettre au service de savoir qu'un suivi est nécessaire. Je n'identifie pas de plus-value réelle à un accès au dossier administratif au moment de l'incarcération. Nous savons qu'il a combattu, qu'il revient de la zone afghano-pakistanaise et qu'il est dangereux, au même titre que les individus qui sont partis en zone irako-syrienne pour combattre au sein de l'État islamique et qui sont revenus après avoir combattu et commis des exactions. Ce sont des éléments suffisants, même si, bien sûr, il faut ensuite opérer une gradation entre ces personnes en fonction de leurs profils.

Ce qui intéresse le service, c'est le suivi quotidien en détention. Il s'agit de savoir comment se comporte le détenu, comment il interagit et s'il est porteur d'une menace.

J'en viens au potentiel statut de source de Franck Elong Abé. Il est normal que le DLRP n'ait pas répondu puisque cette information relève de la confidentialité la plus absolue. Je ne répondrai donc pas moi non plus, mais je vous donnerai quelques éléments d'information.

Le recrutement et la gestion de sources humaines, au SNRP comme dans tous les services, obéissent à une doctrine très codifiée, qui fixe des règles précises.

Or, en plus d'être très radicalisé, Franck Elong Abé avait un profil psychologique assez lourd et le recrutement par le service de ce type de détenus est hors doctrine, puisqu'ils ne sont pas fiables et se montrent ingérables. De plus, Franck Elong Abé est un individu isolé et assez solitaire. Or, lorsqu'on recrute une source, on fait en sorte qu'elle soit plutôt au contact des autres détenus pour être en mesure de collecter des informations.

Enfin, un changement d'affectation comme la sortie du QI ne fait pas partie des leviers dont dispose le service pour récompenser une source : je vous l'ai dit, nous ne sommes pas décisionnaires en la matière. Nous donnons un avis positif si nous estimons que c'est sans danger, mais c'est tout. Par ailleurs, il ne serait pas dans l'intérêt du service de faire sortir une source de QI, lieu où nous avons besoin de renseignement.

Vous déduirez ce que vous voulez de ces éléments.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comment s'opèrent les échanges entre le DLRP et le chef d'établissement ? Comment communiquent la Cirp et le chef d'établissement ?

Hier, le DLRP affirmait avoir reçu le signalement de pressions exercées par Franck Elong Abé sur d'autres détenus pour devenir auxiliaire. Avez-vous eu connaissance d'informations à ce sujet ?

Que pouvez-vous dire des observations effectuées par le personnel de surveillance de l'établissement sur ce détenu ?

Franck Elong Abé a-t-il fait l'objet d'un compte rendu d'incident pour possession d'un téléphone portable dans la maison centrale d'Arles ou dans d'autres établissements ?

Lors de son audition, le DLRP était accompagné d'un supérieur hiérarchique ; quelle est la fonction de ce dernier ? Quels sont son rôle au sein de la Cirp et sa place dans la ligne hiérarchique du renseignement ?

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Le chef d'établissement et le DLRP n'ont pas de lien hiérarchique ou fonctionnel puisque ce dernier dépend maintenant de la Cirp. Le DLRP n'a donc pas d'ordres à recevoir du chef d'établissement et n'a pas à partager ses informations. Néanmoins, ils sont en relation et, dans le respect des missions de chacun, de la confidentialité et du secret de la défense nationale, il est normal que le DLRP alerte le chef d'établissement quand cela s'avère nécessaire. Les échanges se font intuitu personae, leur intensité et leur qualité variant en fonction des personnalités de chacun.

De la même manière, la Cirp et le chef d'établissement ne sont pas liés hiérarchiquement mais entretiennent des contacts nécessaires et normaux.

J'ai entendu parler de possibles pressions exercées par Franck Elong Abé afin d'obtenir un poste d'auxiliaire. Apparemment, cela reposerait sur les déclarations d'un détenu disant avoir subi des pressions pour céder sa place d'auxiliaire. Mais, en relisant les notes produites par le service, je n'ai pas trouvé mention de cet élément.

S'agissant des observations du personnel de surveillance de la maison centrale d'Arles, le DLRP regarde et écoute, notamment ce que lui rapportent les surveillants. Ces observations font l'objet de transcriptions dans le logiciel dont j'ai fait mention. Les observations formulées lors de la détention de Franck Elong Abé dans la maison centrale d'Arles sont résumées dans les notes établies par la Cirp de Marseille, dont je vous ai donné connaissance et qui portent sur le comportement du détenu, notamment sur la façon dont il avait commencé par se calmer un peu et par adopter un comportement plus correct, quelques incidents mis à part. Les notes mentionnaient aussi des propos très religieux, une opposition à l'Occident et une radicalité toujours très assumée.

La personne qui accompagnait hier le DLRP était son supérieur hiérarchique direct, le chef de la Cirp de Marseille. Il s'agit de la personne qu'évoque le rapport de l'IGJ, quand il mentionne un individu qui n'aurait pas répercuté les préconisations d'affectation en QER.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous n'avez pas répondu à ma question sur de possibles comptes rendus d'incidents pour possession de téléphone portable.

De plus, concernant cette pression exercée sur d'autres détenus pour devenir auxiliaire, le DLRP ayant eu connaissance de cette information, on doit bien en avoir trace quelque part.

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Il est possible qu'elle figure dans l'applicatif mais je ne l'ai pas consulté. J'ignore ce que le DLRP vous a dit à cet égard, s'il l'avait incrémenté ou non. Tout dépend de la fiabilité de cette information et du crédit qu'on lui a porté. Je ne sais pas vous dire.

En ce qui concerne le téléphone portable, je n'ai pas souvenir d'un incident.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les menaces visant d'autres détenus et le personnel pénitentiaire sont-elles incluses dans les observations faites par vos équipes de terrain ?

Je reviens à une question déjà posée mais j'aimerais que la réponse soit la plus exhaustive possible : quels sont les outils dont vous disposez pour procéder à ces observations ?

Le DLRP nous a dit avoir été étonné par l'absence d'une évaluation en QER. À qui a-t-il fait part de son étonnement ? En aviez-vous connaissance ? A-t-il été relayé ?

Quelles recommandations ont été faites par le SNRP concernant Franck Elong Abé ? Lesquelles ont été suivies d'effet ?

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Quand les menaces proférées à l'égard de détenus et de surveillants font l'objet de rapports d'incidents, ces derniers sont incrémentés dans l'applicatif permettant le suivi de ces détenus.

En ce qui concerne les outils à notre disposition, ils relèvent en premier lieu de l'observation pure et comprennent la lecture des rapports d'incidents, les éléments dont le DLRP peut être témoin en observant le détenu – au cours de la promenade par exemple –, ce qui lui est rapporté par les surveillants et l'écoute des conversations Telio, c'est-à-dire de la téléphonie légale, qui sont aussi écoutées par l'établissement et sont susceptibles de servir à l'analyse du relationnel et des préoccupations de l'individu.

En second lieu, nous avons recours à des techniques de renseignement, comme celle des écoutes, qui sont plus intrusives et obéissent à un formalisme particulier.

J'en viens à l'étonnement du DLRP. Je rappelle que je n'étais pas en poste en mars dernier. J'ai lu dans le rapport de l'IGJ que le DLRP s'était ouvert de son questionnement quant à la non-affectation de Franck Elong Abé en QER auprès de la cheffe d'établissement mais je n'en suis pas certaine. Il a pu aussi partager ce questionnement avec le chef de la Cirp.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous n'avez pas d'information qui permettrait de dire que cet étonnement a été relayé par sa hiérarchie ?

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Non. Et le rapport met cet élément en exergue et reproche à la direction interrégionale et à la Cirp de ne pas avoir relayé à l'échelon central la non-affectation en QER de Franck Elong Abé. Cependant, comme je l'ai expliqué, ce n'était pas le rôle de la Cirp. Un DLRP ou une Cirp n'ont pas à écrire à l'échelon central pour dire qu'un détenu doit être affecté en QER ; ce n'est pas ce que l'on attend d'eux.

Le SNRP a pu formuler des recommandations s'agissant de l'isolement de Franck Elong Abé et émettre un avis sur le maintien ou non en isolement. À cet égard, chaque fois que la prolongation en isolement a été envisagée, l'avis du DLRP a été positif. Quand un changement d'affectation est envisagé, le SNRP est actionné pour savoir s'il n'y aura pas d'interactions potentielles susceptibles d'être dangereuses. À partir de 2017, le service a nécessairement été consulté concernant les opérations de transfert, afin qu'il partage son criblage de l'établissement envisagé par l'administration pénitentiaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez livré des éléments précis quant au profil et au parcours de Franck Elong Abé ; vous avez évoqué sa radicalisation manifeste et assumée, son prosélytisme, mais aussi sa violence et son instabilité psychologique. Pourtant, Mme Puglierini, cheffe de la maison centrale d'Arles, nous a indiqué qu'aucun signe avant-coureur ne laissait présager un passage à l'acte. Au vu de ces éléments, je ne comprends pas. Tout semblait inciter à la vigilance ; quel est votre avis sur cette question ?

Par ailleurs, vous avez indiqué que l'affectation de Franck Elong Abé en QER ne présentait pas d'intérêt puisqu'on savait à qui on avait affaire. Mais l'évaluation de la radicalisation ne consiste-t-elle pas aussi à évaluer un potentiel de violence en lien avec l'idéologie à laquelle un détenu adhère ? Il existe une gradation dans la radicalisation entre celui qui vit sa foi sans autre forme d'engagement et celui qui est prêt à tuer pour la défendre. Une affectation en QER n'aurait-elle pas permis d'évaluer ce potentiel de violence ?

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Certes, les traits de caractère de Franck Elong Abé incitaient à la vigilance. Mais je ne pense pas qu'il y ait eu un défaut de vigilance à cet égard et il était suivi de près par les services concernés. Le fait qu'un détenu soit radicalisé, violent et responsable d'incidents constitue une incitation à la vigilance et une source d'inquiétude, mais ne permet pas de détecter un éventuel passage à l'acte.

À l'époque et aujourd'hui encore, on compte 500 TIS. Nombre d'entre eux présentent un profil de radicalisation extrême et un potentiel de violence inquiétant. À cet égard, Franck Elong Abé ne se situait pas au-dessus du haut du panier, si vous me permettez cette image. Il appartient à cette frange de détenus très radicalisés qui ont un potentiel de violence et qui sont malheureusement nombreux. Cette situation appelle à la vigilance et c'est la raison pour laquelle le SNRP a été créé. Cependant, dans ce cas, compte tenu de ce qui a pu être observé, le passage à l'acte n'était pas détectable en tant que tel. Sa sortie prévue en 2023 provoquait en revanche une réelle inquiétude.

S'agissant de l'évaluation de la radicalisation, vous avez raison : il s'agit d'évaluer l'imprégnation idéologique mais aussi de savoir dans quelle mesure cette imprégnation peut conduire l'individu à avoir recours à la violence et à représenter un danger pour les autres. Le QER est un outil pénitentiaire, qui permet d'obtenir la photographie d'un détenu et d'envisager au mieux son affectation future au sein d'un établissement, si l'on sent qu'il y a une prise sur lui et qu'on espère pouvoir entamer un travail. Encore faut-il que la personne adhère à ce dispositif de prise en charge, qui repose sur des entretiens avec des psychologues, sur des activités collectives et sur des observations. Certains détenus n'adhèrent pas du tout ; certains instrumentalisent ce moment pour donner d'eux une image lisse, en vue d'échéances judiciaires par exemple ; d'autres assument leur radicalité. Je pense que Franck Elong Abé a été identifié comme un détenu qui n'adhérait pas à ce type de dispositif et pour lequel le bénéfice attendu était relativement faible.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je tiens d'abord à vous remercier, car vous êtes la première à répondre de manière linéaire au questionnaire que j'ai envoyé. Les faits que vous avez portés à notre connaissance nous permettent de mieux connaître le parcours de Franck Elong Abé. Si la commission d'enquête n'en est qu'au début de ses travaux, nous commencions un peu à désespérer de savoir de quel homme nous parlons… Son parcours à l'étranger révèle un engagement fort et potentiellement dangereux, qui doit nous amener à nous interroger sur la dernière partie de sa détention. De mon point de vue, qui pourrait évoluer bien sûr, certains incidents ayant eu lieu à la maison centrale d'Arles n'ont pas été suffisamment pris au sérieux par la direction de celle-ci.

Au cours de votre parcours, notamment au sein du parquet national antiterroriste, vous avez été amenée à travailler sur des faits d'une très grande gravité qui ont marqué le pays. Je comprends que, dans le cas d'un profil comme celui de Franck Elong Abé, vous soyez intéressée par l'évaluation de la dangerosité de la personne une fois remise en liberté. S'il n'avait pas commis cet acte à l'encontre d'Yvan Colonna, Franck Elong Abé aurait été libérable fin 2023 ; comment aurait-il été possible de suivre une personne si dangereuse ?

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Il existe d'abord des possibilités d'ordre judiciaire ; certaines mesures, adoptées ces dernières années, permettent de prolonger le suivi au-delà de la sortie. Les catégories sont nombreuses et l'ensemble assez complexe mais, sur la base des réductions de peine dont le détenu a fait l'objet, il est possible de prolonger le suivi à l'aide d'un panel de mesures contraignantes d'interdiction et d'obligation. Toutefois, la plupart de ces mesures n'auraient pas été applicables à Franck Elong Abé, dans la mesure où les faits reprochés avaient été commis en 2013 et 2014, qu'il avait été condamné à neuf ans d'emprisonnement et que la mise à l'épreuve n'était pas prévue puisque les seuils légaux avaient été dépassés. Je ne sais pas vous répondre précisément sur les dispositifs qui auraient pu être mis en œuvre.

Un suivi en matière de renseignement était aussi prévu et il revenait au SNRP d'assurer la bonne transmission des informations à la sécurité intérieure, qui aurait eu vocation à reprendre le suivi à la sortie de détention. Cependant, assurer un suivi resserré vingt-quatre heures sur vingt-quatre est très difficile. C'est pourquoi la sortie prévue de Franck Elong Abé inquiétait.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pourriez-vous revenir sur le parcours carcéral de Franck Elong Abé et sur la progression de la menace ? Vous avez notamment mentionné que son comportement était de plus en plus normal.

Par ailleurs, vous venez d'expliquer qu'il n'était pas forcément « dans le haut du panier » et que les éléments en possession du service ne permettaient pas de prévoir un passage à l'acte. Le rapport de l'IGJ évoque la présence de caméras défaillantes. Avez-vous la capacité, dans les établissements qui comptent un DLRP, de modifier un scenario de surveillance ? Les caméras sont-elles un outil auquel vous avez accès ? Vous serait-il utile d'y avoir accès pour accomplir vos missions ?

J'en viens enfin à un point de détail qui n'en est pas forcément un. Vous avez dit ne pas avoir été en fonction au moment de « l'assassinat » de M. Colonna. Il est mort mais je ne crois pas que la cour d'assises ait encore dit qu'il s'agissait d'un assassinat.

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

M. Elong Abé est bien mis en examen pour assassinat.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La commission d'enquête ne peut pas empiéter sur le travail de la justice. J'imagine que le mot figure dans le questionnaire qui vous a été envoyé. Ce point lexical reste important pour moi, dans la mesure où nous n'avons pas le pouvoir de dire qu'il s'agit d'un assassinat.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Chère collègue, je vous lis cet extrait de la lettre adressée par la Première ministre à la présidente de l'Assemblée nationale, en octobre 2022 : « Le parquet national antiterroriste a ouvert, le 6 mars 2022, une information judiciaire du chef de tentative d'assassinat en lien avec une entreprise terroriste, étendue par réquisitoire supplétif du 22 mars 2022 au chef d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste, à la suite du décès d'Yvan Colonna. » Il est bien question d'un assassinat.

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Vous m'interrogez sur l'incidentologie de Franck Elong Abé. La prise d'otage d'un personnel médical de l'unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) le 10 mars 2015 représente un élément marquant dans son parcours carcéral. Ensuite, de nombreux incidents se succèdent en 2017, 2018 et 2019. Lorsqu'il arrive à Arles, il ne s'agit pas de dire que son comportement devient exemplaire mais on observe un ralentissement de la succession d'incidents et l'administration pénitentiaire a constaté que le détenu, dont le parcours était connu, causait moins d'incidents et s'était calmé.

S'agissant des caméras d'observation, le dispositif est interne à l'établissement et ne relève ni du DLRP ni du SNRP. Nous n'avons pas de recommandation à faire concernant leur orientation sauf dans le cas de l'identification d'un élément très précis, comme une menace imminente. Le DLRP aurait alors le devoir d'avertir ses collègues et le chef d'établissement. Il pourrait aussi demander que des mesures de surveillance soient prises par ce biais.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La commission d'enquête se réunit aussi pour éviter que ce genre de drame ne se reproduise. Vous avez mentionné que l'effectif théorique de votre service était de 344 postes ; combien de postes sont effectivement pourvus ?

Au regard des faits violents commis par Franck Elong Abé tout au long de sa détention et de son parcours sur des territoires de guerre, au sein d'une organisation terroriste, il est surprenant qu'il ait pu accéder à un poste d'auxiliaire, qui offre une certaine liberté de mouvement. Aujourd'hui, parmi les personnes que vous suivez, y a-t-il des détenus du même niveau de dangerosité qui occupent un poste similaire ? S'agissait-il d'un accident de parcours et d'une erreur de jugement, ou bien y a-t-il d'autres cas ?

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Je ne connais pas la réponse à cette dernière question, mais je pourrai vérifier.

L'effectif théorique du service est bien de 344 postes ; 23 sont vacants à l'échelon central, 23 dans les Cirp et 13 au niveau des DLRP, ce qui représente un total de 59 postes vacants. Cette situation n'est pas spécifique au SNRP : tous les services de renseignement sont confrontés à des difficultés de cet ordre. Cependant, notre service étant plus petit, ces manques peuvent se révéler un peu plus gênants.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons fait état du lien entre Franck Elong Abé et M. Belkacem. Pouvez-vous confirmer qu'ils avaient des relations au sein de la maison centrale d'Arles ?

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Smaïn Aït Ali Belkacem n'était pas incarcéré à Arles. Les deux détenus ont été en relation lorsqu'ils étaient incarcérés au QI de Vendin-le-Vieil.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avez-vous des informations – telles que des preuves matérielles ou des écoutes – concernant un éventuel projet d'évasion d'Yvan Colonna ?

Permalien
Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Non. À ma connaissance, il n'existe pas de telles informations. Yvan Colonna était suivi par le service puisqu'il était condamné pour des faits de nature terroriste. Les notes le concernant comportent assez peu d'éléments, son incidentologie et son comportement n'étant pas comparables à ceux de Franck Elong Abé. Des notes font état de son relationnel, sans contenir d'élément saillant.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie, madame Hennetier, de vous être prêtée à cet échange.

La commission auditionne ensuite, à huis clos, Mme Charlotte Hemmerdinger, ancienne cheffe du service national du renseignement pénitentiaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous allons procéder à l'audition, à huis clos, de Mme Charlotte Hemmerdinger, au titre de ses anciennes fonctions de cheffe du service national du renseignement pénitentiaire (SNRP).

Madame Hemmerdinger, nous venons d'entendre Mme Hennetier qui vous a succédé à la tête de ce service. Vous étiez en fonction au moment de l'agression d'Yvan Colonna par son codétenu Franck Elong Abé.

Votre regard nous sera précieux puisque vous connaissez parfaitement le SNRP, tout en étant en mesure, puisque vous l'avez quitté depuis, de faire preuve d'un certain recul quant à son fonctionnement.

Nous souhaiterions donc connaître le bilan que vous tirez de l'activité du SNRP, de ses réussites comme des difficultés qu'il a pu rencontrer ou qu'il rencontre encore. Nous serons intéressés de vous entendre sur l'efficacité du repérage et du suivi des phénomènes de radicalisation en prison à la lumière de votre expérience.

Deux thèmes retiennent particulièrement notre attention.

En premier lieu, quel était l'état des connaissances du SNRP s'agissant de la potentielle dangerosité de Franck Elong Abé, compte tenu de ses activités en Afghanistan ? Ce qui pose, indirectement, la question de la coopération et de l'échange d'informations entre le SNRP et les autres services de renseignement.

En second lieu, comment avez-vous réagi aux observations formulées par l'Inspection générale de la justice (IGJ) dans son rapport ?

Enfin, nous souhaiterions recueillir votre point de vue sur l'adaptation des moyens du SNRP au regard de ses missions.

Notre rapporteur, Laurent Marcangeli vous a transmis un questionnaire préalablement à votre audition. Je vous invite à communiquer ultérieurement les éléments de réponse écrits, ainsi que tout autre élément d'information que vous jugeriez utile.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous invite à prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Charlotte Hemmerdinger prête serment.)

Permalien
Charlotte Hemmerdinger

Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, j'ai eu la chance et l'honneur de créer puis de diriger le service national du renseignement pénitentiaire. Arrivée au moment de la préfiguration du service, en 2016, je l'ai quitté en juin 2022, de sorte que j'ai passé plus de cinq ans à la tête du service. Je l'ai construit avec mes collaborateurs, incarné, vu grandir et j'ai essayé de le doter de tous les moyens d'un service de renseignement, ce qu'il n'était pas à mon arrivée.

Pour faire bilan de mon action à la tête du SNRP, je peux m'appuyer, de manière confortable, sur celui fait par l'Inspection des services de renseignement (ISR) qui, avant mon départ, a audité le service pour les cinq années écoulées. Le bilan que j'en tire est donc aussi le bilan objectif dressé par l'ISR.

En cinq ans, ce service est devenu un véritable service de renseignement doté d'un cadre juridique s'inscrivant pleinement dans le cadre de la loi relative au renseignement. Il s'est doté d'outils d'investigation dont, au premier chef, les techniques de renseignement, même si celles-ci ne constituent pas le capteur majoritaire, puisqu'en détention il est fait beaucoup appel, en raison d'une tradition pénitentiaire forte, au renseignement humain et à l'observation. Les techniques n'en demeurent pas moins un capteur essentiel pour infirmer ou confirmer des hypothèses. Nous avons développé des sources humaines, c'est-à-dire l'appui de détenus qui acceptent, quelles qu'en soient les raisons ou les motivations d'ailleurs expertisées par le service, de devenir des collaborateurs du service.

Nous avons considérablement développé les sources partenariales, puisque le SNRP fait partie de la communauté du renseignement. Certes, le SNRP appartient au second cercle de cette communauté, mais il figure parmi les quatre premiers services du second cercle, c'est-à-dire des services qui ne font que du renseignement, dotés d'une compétence nationale et au contact permanent du premier cercle, un peu comme des services sous-traitants de ce dernier. Si nous n'avons pas les mêmes pouvoirs d'investigation, notre cadre juridique étant un peu plus restreint, le renseignement pénitentiaire, comme le service central du renseignement territorial (SCRT), est devenu un maillon essentiel de la chaîne du renseignement.

Comme tous les grands services, nous avons développé les sources ouvertes. Des analystes veilleurs sont chargés de capter de l'information, notamment sur les réseaux sociaux puisque, malheureusement, la porosité avec l'extérieur permet de faire pénétrer des téléphones portables en détention et que des détenus bavards sont en communication fréquente avec l'extérieur. Le champ constitué d'internet et des réseaux sociaux est pour nous un espace d'information essentiel. Le développement des capteurs du service, opéré progressivement au cours des cinq années, l'a hissé à la hauteur des autres grands services de renseignement, et son niveau d'expertise en termes de fiabilité, de crédibilité et d'intérêt des informations pour les agréger à d'autres sources d'informations a gagné en maturité au fil de l'expérience.

À mon arrivée le bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP), l'ancien état-major de sécurité-3 (EMS-3), comptait treize personnes, plus deux configurateurs dont moi-même. Nous avons rassemblé les services déconcentrés et armé le service. À mon départ, son plafond d'emploi était de 333 équivalents temps plein (ETP). Le service a donc pris de l'épaisseur en termes de ressources humaines, même si je considère qu'il est encore, comme durant les cinq années où je l'ai dirigé, très sous-dimensionné au regard des attentes.

Nous avons grandement accéléré la formation des agents. Au 31 janvier 2017, d'agents pénitentiaires chargés de collecter de l'information dans les prisons, ils sont devenus, du jour au lendemain, des agents de renseignement. Mais cela ne s'improvise pas. Ce n'est pas parce qu'on a été habilité à devenir agent de renseignement qu'on l'a dans son ADN. Pour répondre à ce besoin de formation gigantesque, nous nous sommes appuyés sur les services les plus expérimentés. La direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) nous ont beaucoup aidés à faire progresser nos méthodes d'investigation et notre appréhension de la matière renseignement, avant qu'on s'en émancipe un peu. Le milieu carcéral étant une entité unique dans l'écosystème du renseignement, doté d'une expertise pénitentiaire propre, nous avons monté nos propres sessions de formation, jusqu'à créer un département de formation au renseignement pénitentiaire à l'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap) qui forme tous les agents du renseignement pénitentiaire.

Bien entendu, nous avons engagé la construction d'un système d'information. Elle n'est pas terminée et cela reste une faiblesse du service, mais c'est en cours. Comme tous les services de renseignement, nous travaillons sur des données classifiées sur lesquelles il faut pouvoir capitaliser et qu'il faut pouvoir agréger pour accroître les capacités d'analyse. Le service n'étant pas encore doté de système d'information classifié, des données sont parfois éclatées entre des coffres, un système d'information à diffusion restreinte et des dossiers papier. Le point d'amélioration pour les années à venir est de réunir ces données dans un réseau classifié afin de démultiplier les capacités d'analyse.

Créé en 2017, le BCRP est devenu, en 2019, un service à compétence nationale et un acteur reconnu en interne comme en externe en tant que service de renseignement.

La principale difficulté du service est son sous-dimensionnement. Même si des ressources humaines nous ont été fournies, même si nous avons réussi à installer des capteurs dans tous les établissements pénitentiaires par le biais de nos délégués locaux au renseignement pénitentiaire (DLRP), même si nous avons structuré des cellules interrégionales, le SNRP suivait plus de deux mille objectifs incarcérés en détention, certains à un niveau très élevé, pour cause de forte dangerosité ou de risque de passage à l'acte identifié, ce qui conduisait à un ratio de suivi par DLRP très élevé. Dans certaines détentions, il était d'un DLRP pour quarante à cinquante individus, contre en moyenne un pour vingt dans les grands services de renseignement, ce qui donne une idée du manque à combler en termes de ressources humaines pour pouvoir suivre correctement les intéressés. Cela étant, contrairement aux autres services, les individus sont captifs, nous savons où ils se trouvent, nous ne les perdons pas dans la nature. Dès lors, on ne peut pas calquer exactement les besoins en ressources humaines du SNRP sur ceux des grands services.

Une autre difficulté, qui s'est beaucoup atténuée au fil du temps, est l'acculturation pénitentiaire à l'existence du service de renseignement. Il y a toujours eu un bureau du renseignement pénitentiaire pour collecter des données sur les détenus intéressant l'administration pénitentiaire pour des raisons de sécurité, de réinsertion, de risque propre à un établissement. À défaut de cadre juridique, l'habitude avait été prise de demander tout et n'importe quoi aux DLRP et les chefs d'établissement souhaitaient tout savoir. L'introduction de règles propres aux services de renseignement, prévoyant des données classifiées dont nos interlocuteurs pénitentiaires n'avaient pas nécessairement besoin d'en connaître, le recours à des sources humaines dont on ne pouvait révéler si elles l'étaient ou non, l'utilisation de techniques de renseignement, et la nécessaire absence de publicité quant à leur utilisation – tous les surveillants n'ayant pas à être informés de la pose d'un micro dans une cellule –, tout cela a pu provoquer de la crispation et de l'incompréhension. Le chef d'établissement est responsable de ce qui se passe dans sa structure et, en cas problème, il est considéré comme responsable. Il souhaitait donc être informé de tout, avoir la maîtrise de l'information et de l'environnement sécuritaire pour ses personnels et les détenus. Cela s'entendait, mais allait à l'encontre de la loi relative au renseignement et de l'instruction ministérielle n° 1300 qui imposent le verrouillage de certaines données et de ne pas exposer nos méthodes d'investigation. Il s'agissait aussi de protéger des agents pénitentiaires en ne communiquant pas toutes les informations en notre possession, ou en ne le faisant qu'en temps utile.

Nous avons fini par imposer l'idée qu'un service de renseignement n'a de sens que s'il travaille pour les autres et apporte des éléments utiles à la prise de décisions, qu'elles soient d'ordre sécuritaire, politique, stratégique, interrégional, local ou national. Fort de son expérience, à la suite des menaces et des passages à l'acte violents qu'il avait réussi à déjouer, le service a progressivement acquis ses lettres de noblesse, prouvé son utilité en interne comme en externe, et démontré que s'il n'était pas en état de révéler des informations, c'était soit parce que ce n'était pas le moment, soit parce qu'il était dans l'intérêt de l'interlocuteur de ne pas en connaître immédiatement. Le processus a été long en raison de la tradition de sécurité pénitentiaire qui veut que les personnels et les directeurs d'établissements soient toujours assurés de tout savoir. Cette légère difficulté d'intégration n'a pas été partout rencontrée sur l'ensemble du territoire national mais ponctuellement, dans quelques directions interrégionales ou quelques établissements. Quand j'ai quitté le service, les réticences initiales étaient en grande majorité levées.

L'appréhension des individus terroristes et radicalisés est l'essence du service et la raison de sa création. En effet, le SNRP a été initialement créé pour faire face à l'augmentation du nombre de détenus terroristes depuis 2012 et, malheureusement, de plus en plus, après 2015, et au développement des phénomènes de radicalisation. Il existait une mission de repérage de la radicalisation violente, la sous-direction de la sécurité pénitentiaire était focalisée sur ces questions, mais il y avait de fortes attentes, en interne, pour pouvoir suivre ces individus en détention, et, en externe, de la part des services de renseignement partenaires. En 2015-2016, on comptait presque 600 individus terroristes incarcérés et 1 200 à 1 400 détenus de droit commun considérés comme radicalisés, et la création d'un service de renseignement pénitentiaire était d'autant plus justifiée. Même s'il lui arrive de travailler dans les domaines de la criminalité organisée, des mouvances extrêmes et de la sécurité pénitentiaire, le service a initialement été créé pour faire face à la menace terroriste et travailler à la prévention du terrorisme.

Nous avons très tôt noué des relations privilégiées avec les services partenaires, puisqu'il était important pour nous que ceux qui suivent les individus à l'extérieur nous signalent les individus méritant un suivi en renseignement au sein de l'administration pénitentiaire. De même, à la sortie de détention, moment crucial où, après plusieurs années d'incarcération, certains retrouvent la société civile animés d'une idéologie très forte et de velléités de passage à l'acte, le passage de relais avec les services de renseignement est essentiel.

Nous avons eu la chance de naître avec la loi relative au renseignement. Contrairement à d'autres services qui ont dû revoir leurs méthodes de travail ou d'investigation, nous nous sommes d'emblée inscrits dans le sillage de cette loi, ce qui était confortable juridiquement. Nous sommes par ailleurs arrivés lors de l'institutionnalisation de la doctrine de lutte antiterroriste pilotée par la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) et qui désignait la DGSI comme cheffe de file.

En matière de suivi et de repérage de la radicalisation, nous appliquons la doctrine qui nous est imposée. Les services à l'extérieur doivent nous transmettre les informations relatives aux gens incarcérés et, au sortir de leur détention, nous devons à notre tour transmettre des informations. Il existe également un système de suivi régional et départemental dans les groupes d'évaluation départementaux (GED), présidés par les préfets, auxquels participe le renseignement pénitentiaire. Enfin, une cellule nationale sur les sortants de prison s'assure mensuellement que tous les objectifs soient pris en compte par les services et qu'aucun détenu ne sorte sans être pris en charge par un service de renseignement.

La doctrine est donc extrêmement claire, avec des niveaux de suivi déterminés en fonction des niveaux de menace ou de dangerosité des individus, et un accès au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). La doctrine relative à la lutte antiterroriste est donc très balisée et prévoit de fortes interactions externes. En interne, nous participons aux réunions de la commission pluridisciplinaire unique (CPU) « radicalisation ». Notre DLRP est présent pour donner un avis ou recueillir de l'information, puisque le repérage s'effectue non seulement en milieu ouvert mais aussi en détention. Des individus non repérés à l'extérieur comme radicalisés peuvent se révéler en interne une fois en détention et présents sous nos yeux vingt-quatre heures sur vingt-quatre, eu égard à leurs habitudes de vie, leur rapprochement avec d'autres détenus, leur acceptation ou non de serrer la main au personnel féminin, en se laissant pousser la barbe, etc. Les CPU « radicalisation » sont l'occasion de prendre en compte de nouveaux objectifs. Pour les repérages, nous utilisons aussi bien nos partenaires que les acteurs internes de la détention ou nos outils d'enquête. En cas de doute sur un individu, nous n'hésitons pas à mettre en place des capteurs, qu'il s'agisse de sources humaines ou techniques, ou de veilles en source ouverte. Le repérage de la radicalisation et du terrorisme est donc bien balisé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez employé à deux reprises le mot « balisé ». Vous avez élaboré un système de continuité de l'information entre l'extérieur et l'intérieur, et son suivi. Vous avez parlé de la fameuse attente à la sortie, souvent anxiogène. Or la commission d'enquête s'interroge sur le décalage entre l'estimation de la dangerosité de Franck Elong Abé et les incidents survenus avant et pendant sa détention à Arles, cachés en audition libre le 30 mars mais révélés lors d'auditions de notre commission d'enquête. En dépit d'incidents, que l'on cherchait à relativiser, on l'a maintenu dans sa fonction d'auxiliaire sport et on a ouvert la voie vers la sortie à un rythme inexpliqué, en relativisant même les avis unanimes des CPU « dangerosité » préconisant son transfert en QER. Tout cela interroge eu égard au drame absolu qui n'aurait pas dû se produire.

Tous les éléments que nous récoltons tendent à montrer la continuité de la dangerosité et de la radicalité religieuse de M. Elong Abé. Quelles informations aviez-vous sur le comportement de Franck Elong Abé sur un théâtre de guerre, en Afghanistan ? Le service a-t-il eu communication du dossier administratif de la DGSI incluant l'ensemble des éléments des autorités étrangères concernant M. Elong Abé, de nature à permettre une bonne analyse de la dangerosité de l'individu ?

Permalien
Charlotte Hemmerdinger

Nous avions connaissance du parcours de M. Elong Abé en Afghanistan puisque son dossier pénal, qui l'a suivi depuis le premier jour de son incarcération jusqu'à la maison centrale d'Arles, contenait des pièces judiciaires résumant son parcours avant son retour en France. Son degré de dangerosité et ses activités sur place étaient connus, non par le biais des services partenaires, mais parce que l'autorité judiciaire en avait fait des résumés extrêmement clairs et précis figurant dans le dossier pénal qui l'a suivi dans tous les établissements. Le premier acte demandé par le service à ses DLRP lorsqu'ils doivent prendre en charge le suivi d'un objectif en détention – et c'était le cas de M. Elong Abé qui a été suivi dans chaque établissement –, c'est de se procurer au greffe pénitentiaire le dossier pénal, de prendre connaissance du profil de l'intéressé et de son parcours judiciaire. Il ne s'agit pas de se contenter des informations que nous avons pu exploiter ou des notes que nous avons pu produire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous parlez bien du dossier pénal et non de celui de la DGSI ?

Permalien
Charlotte Hemmerdinger

Tout à fait, mais je n'exclus pas – je n'en sais rien et ce n'est pas à moi de vous le dire – que les éléments contenus dans les pièces judiciaires soient potentiellement issus de procès-verbaux de renseignements de la DGSI. De plus, au moment de son incarcération, le renseignement pénitentiaire n'était pas un service de renseignement au sens du code de la sécurité intérieure. Aussi, je peux vous affirmer que la DGSI ne nous a pas transmis d'informations sur M. Elong Abé au moment de sa prise en charge par l'administration pénitentiaire.

Le niveau de dangerosité de M. Elong Abé était suivi. C'est l'un des détenus sur lesquels j'ai eu à travailler très tôt dans ma prise de fonctions. Dès 2016, les incidents qu'ils avaient provoqués étaient un sujet. Son degré de dangerosité en Afghanistan était connu et, au-delà, sa radicalisation était sans ambiguïté, puisqu'elle était revendiquée de sa part. Son profil est très complexe, non seulement au niveau psychologique, mais aussi parce qu'il est fortement imprégné de cette idéologie radicale. Il était prosélyte, générateur de nombreux incidents. Au-delà de son parcours en Afghanistan, déjà marqueur puissant de dangerosité, la prise d'otage en détention constituait pour nous un point d'alerte majeur. Des prises d'otage par des détenus constituent des événements susceptibles de se répéter ; on a pu le constater avec d'autres profils, relevant notamment de criminalité organisée. Étaient donc prises en compte la dangerosité intrinsèque de l'individu compte tenu de son profil psychologique, de sa radicalisation, et de son passé de combattant en Afghanistan, comme sa dangerosité pénitentiaire, puisqu'il était capable de prendre une infirmière en otage en détention et qu'il multipliait les incidents inopinés et imprévisibles. Nous nous intéressions moins aux actes de violence inopinés, puisque le renseignement n'a pas encore les moyens d'entrer dans les consciences, qu'à la surveillance de passages à l'acte de prises d'otage et, potentiellement, de passages à l'acte liés à son idéologie radicale.

Je peux donc vous confirmer que le niveau de dangerosité de l'intéressé était bien pris en compte. Puis il y a eu une évolution. C'est un individu que nous avons suivi dans le temps. J'ai un peu de recul sur lui puisque nous parlons d'une période allant de 2016 à 2022. Il y a tout de même eu une évolution de sa dangerosité en milieu carcéral, puisque les incidents se sont espacés. L'individu a pu, par certains côtés, un peu s'apaiser, mais sa radicalité n'a jamais évolué.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez suivi de près le parcours de cet homme sur lequel la commission continue à apprendre. Quelque 500 terroristes islamistes (TIS) sont en détention en France et placés sous surveillance grâce aux moyens que vous avez contribué à créer. Vous venez de rappeler la prise en otage d'une infirmière en détention. Nous avons évoqué un autre incident mais on nous a rétorqué qu'il était moins grave que celui de Condé-sur-Sarthe. Dans son parcours carcéral à la maison centrale d'Arles, Franck Elong Abé, auxiliaire de salle de sport a pu, malgré un incident en août 2021, retrouver cette fonction en septembre. Est-il fréquent qu'un tel détenu, c'est-à-dire non pas un radicalisé léger mais quelqu'un ayant pris armes et bagages pour risquer sa vie sur un théâtre extérieur, bénéficiant d'une telle fonction, la retrouve après avoir provoqué des incidents ?

Permalien
Charlotte Hemmerdinger

Il n'y a pas eu d'affaire telle que l'on se soit posé la question de l'affectation d'un détenu à un travail. Je n'ai pas en tête un cas similaire. En maison centrale, une telle affectation est plutôt courante, non seulement pour les profils TIS, mais tous profils confondus, avec par exemple de « très gros poissons » aux comportements très impulsifs relevant de la criminalité organisée. Dès lors que les incidents ne sont pas répétitifs, que la violence n'est pas quotidienne et qu'il faut inscrire les détenus dans un processus d'accompagnement à la réinsertion et à la prévention de la récidive, des détenus au profil lourd ont pu être classés au service général. Je n'ai pas en tête d'exemple concernant un TIS ou un radicalisé, car la question n'a pas été étudiée, notamment à la suite d'un incident, pour lequel on aurait estimé qu'il fallait tout de suite le déclasser, le remettre à l'isolement.

Cela étant, ce n'est pas le métier du renseignement pénitentiaire. Nous pouvons émettre des avis, être consultés sur des avis de classement au service général, plus systématiquement pour les TIS que pour les profils de droit commun, mais ce n'est pas le métier du service de renseignement pénitentiaire de se prononcer pour ou contre un classement. En revanche, cela concerne le SNRP si le fait de laisser un individu évoluer librement en détention représente un risque majeur pour les personnels. S'agissant de M. Elong Abé, au vu de son parcours carcéral et des derniers mois à la maison centrale d'Arles, ce n'était pas un sujet d'alerte majeur au moment où il a été classé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Malgré la surveillance des deux détenus, Yvan Colonna et Franck Elong Abé, le drame s'est produit. Quand M. Elong Abé a commencé à avoir un comportement agressif dans la maison centrale où il était précédemment détenu, une analyse des personnes à qui il avait parlé a-t-elle été réalisée ? Des auditions précédentes ont montré qu'on pouvait le soupçonner d'avoir agi ainsi dans le but d'obtenir un transfert. A-t-il exprimé, de manière directe ou indirecte, le souhait d'aller à Arles ?

Permalien
Charlotte Hemmerdinger

Je répondrai de façon théorique puisque, bien entendu, j'ai quitté le service sans aucun document. Je dois donc faire appel à ma mémoire. Je ne peux m'avancer au sujet des personnes avec qui il a parlé à Condé-sur-Sarthe. En théorie, nous sommes très attentifs à l'environnement des objectifs suivis. Dans mon souvenir, M. Elong Abé est plutôt un individu très solitaire qui avait très peu de contacts avec la population pénale et les personnels. Il ne téléphonait qu'à sa mère. Ce n'était pas un individu difficile à suivre socialement. S'il y a eu des contacts à Condé-sur-Sarthe, ce qui est probable, puisqu'on y trouve des profils similaires pour des durées temporaires, une analyse sur l'environnement a forcément été faite. L'environnement de tout objectif suivi est évidemment crucial. À Condé-sur-Sarthe, tout est interdépendant. Cet établissement n'abrite quasiment que des objectifs susceptibles d'intéresser le renseignement pénitentiaire. On y met les individus potentiellement les plus dangereux en attente d'être transférés, soit dans des quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR), soit dans des maisons centrales pour de plus longues peines.

Je ne peux vous répondre qu'en théorie. S'il y a eu un environnement autour de M. Elong Abé et s'il y a eu des interactions avec des détenus, cela a été suivi et surveillé. Les conséquences en ont été tirées, puisque tout ceci est analysé, agrégé, mis en perspective et, le cas échant, partagé avec les services de renseignement. Point important, M. Elong Abé, était inscrit au FSPRT, donc suivi en GED dans chaque département où il a été incarcéré. Cela implique une coordination des préfets et des autres services de renseignement, avec un niveau de suivi relatif à ce qui était observé en détention et partagé dans les GED. Par conséquent, l'environnement était nécessairement suivi par le service et partagé avec les autres, notamment au sein des GED, à échéance régulière, puisqu'en fonction du niveau de suivi, on a des comptes à rendre, tous les six mois en ce qui le concernait. Tous les six mois, quoi qu'il arrive, on était obligé de faire un point de situation. C'est un travail au long cours et quotidien avec, en tout état de cause, un moment pour se poser, analyser, agréger et restituer, rendre compte, partager au sein de la communauté, au niveau départemental.

Avait-il émis le souhait de se rendre à la maison centrale d'Arles ? Je ne peux pas vous répondre. En toute honnêteté, je ne m'en souviens pas.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je m'interroge sur les dysfonctionnements dans la transmission des informations. Le DLRP confirmait hier avoir reçu des signalements de probables pressions de M. Elong Abé sur d'autres détenus afin de se faire classer auxiliaire. Avez-vous eu connaissance d'informations à ce sujet ? Avez-vous eu des remontées d'observations de surveillants de la maison centrale d'Arles sur le comportement de M. Elong Abé, d'éventuels incidents, voire des comptes rendus d'incidents pour possession de téléphone portable à Arles ou dans un autre établissement pénitentiaire ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'entends votre constat sur le DLRP, mais le postulat selon lequel il s'améliorait se heurte aux faits, notamment les quatre incidents survenus durant ses deux ans à Arles qui nous ont été cachés en commission des lois par la cheffe d'établissement entendue en audition libre, dont le dernier, quinze jours avant son affectation comme auxiliaire après passage en commission de discipline. Aux quatre CPU « dangerosité » qui demandent unanimement son transfert en QER s'ajoutent d'autres éléments. En 2021 et 2022, des rapports écrits évoquent son comportement vis-à-vis des femmes, la pousse de sa barbe, le fait qu'il demande souvent si Yvan Colonna est en salle de sport, au point que les agents le consignent par écrit. Tout cela se déroule en à peine deux ans, dont neuf mois de placement à l'isolement, de sorte que cela se produit, en fait, sur une période d'un an et trois mois. Or hier, le DLRP a relativisé ces faits qui semblent être des éléments notables d'alerte. Nous essayons de comprendre ce qui a conduit à la poursuite de la marche en avant malgré cela.

Par ailleurs, la cheffe de service actuelle affirme que M. Belkacem et lui n'étaient pas ensemble à Arles, alors qu'il me semble qu'ils y étaient détenus au même moment. Un article de presse fait référence à la garde à vue de M. Belkacem à la suite de courriers trouvés dans sa cellule concernant le lien avec Franck Elong Abé, extrait de la prison d'Arles pour garde à vue à la suite de l'agression. Il nous manque des éléments au sujet du degré de vigilance exercé au regard de faits remontés.

Permalien
Charlotte Hemmerdinger

Je ne sais pas si M. Belkacem et lui se sont connus à Condé-sur-Sarthe ou à Arles. Il est sûr qu'il y a eu une interaction entre les intéressés. Il fait partie des profils que nous avons travaillés pour collaborer avec le parquet national antiterroriste (PNAT) et les services partenaires dans le cadre de l'enquête. Il me semble que c'était à Arles mais je ne peux pas l'affirmer avec certitude. Je n'ai pas le détail du parcours et je m'exprime de mémoire.

M. Elong Abé était suivi, ses incidents analysés. L'action de renseignement vise des individus dont des actions préparatoires ou la communication font présumer des velléités de passage à l'acte. Quand on a affaire à des individus aux attitudes très agressives ou revendiquant de mourir en martyr, on met en œuvre des capteurs précis pour détecter un éventuel passage à l'acte et demander à l'administration pénitentiaire un transfert ou des mesures de sécurité. À mon sens, M. Elong Abé est le reflet de ce qui se passe à l'extérieur, dans la société. Il était du genre « loup solitaire ». En dépit de quelques interactions avec des détenus, il a eu, depuis le début de sa détention, une vie sociale assez pauvre, communiquait peu avec l'extérieur, était assez introverti et il a été longtemps à l'isolement. Les derniers attentats en milieu ouvert étaient plutôt le fait d'individus isolés, fortement radicalisés comme M. Elong Abé. Atteints de problèmes psychologiques ou psychiatriques qui les conduisent à passer à l'acte de façon inopinée, ils passent à travers tous les capteurs, du fait de l'absence d'actes préparatoires ou de signes avant-coureurs. S'agissant de M. Elong Abé, malgré le suivi précis de l'ensemble de l'administration pénitentiaire, il n'y a pas eu de signes précurseurs d'un passage à l'acte. Il y avait quelques interactions, y compris avec Yvan Colonna, mais plutôt pacifiques, de détenu à détenu, mais pas de signes avant-coureurs détectés par l'administration pénitentiaire ou par le SNRP d'une volonté de passage à l'acte au nom d'une radicalité.

Je n'ai pas en tête la pression que vous évoquez pour passer auxiliaire, ce qui ne veut pas dire que le DLRP ne l'a pas relevée ou exploitée. En tout cas, ce n'est pas un élément que j'ai gardé en mémoire. D'après ce que j'ai vu du profil de M. Elong Abé et ce qui avait été partagé en GED, j'ai plutôt l'impression que les informations étaient bien collectées par le DLRP, bien remontées et, surtout, bien analysées.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous poserai la question que j'ai posée à l'actuelle cheffe du SNRP. Selon vous, M. Elong Abé pourrait-il potentiellement être une source de renseignement ou un indicateur pour le DLRP au sein de la maison d'Arles ?

Permalien
Charlotte Hemmerdinger

C'est une question très embarrassante. Aucun chef de service de renseignement ne dira jamais si un individu est une source ou pas. Les sources humaines sont très protégées. On recrute une source quand la personne est fiable, stable, susceptible d'être au contact d'objectifs qui nous intéressent et de travailler dans la durée de façon équilibrée et intéressante avec un service de renseignement. Sans vous répondre directement, je pense que le profil de M. Elong Abé n'est pas forcément très adapté à cet égard. Était-il une source du service ou pas ? Je ne peux vous répondre oui ou non. Il suffit de s'intéresser à son profil pour comprendre que c'est un profil complexe.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

S'agissant des DPS, je souhaite évoquer les critères d'analyse relatifs à Yvan Colonna. Lors de son audition, le directeur de l'administration pénitentiaire, M. Ridel, a évoqué six critères, dont trois sont des critères d'analyse « larges » qui ne relèvent pas de l'appréciation de l'administration pénitentiaire, mais d'autres types d'acteurs. Le DLRP siège aux commissions locales DPS. Comment qualifiez-vous le parcours carcéral d'Yvan Colonna ? Des écoutes ou des éléments matériels fournissaient-ils des informations précises sur d'éventuels projets d'évasion ? Comment le délégué et le service en général ont-ils apprécié les autres critères d'analyse DPS pour fonder les décisions concernant Yvan Colonna ?

Permalien
Charlotte Hemmerdinger

De même que pour M. Elong Abé, je n'ai pas le détail du parcours d'Yvan Colonna. Ce détenu a toujours été suivi par le service au titre de son statut de DPS depuis que je le dirigeais. Il y a différents niveaux de suivi des détenus et d'intensité de capteurs en fonction de leur dangerosité, notamment carcérale. À mon sens, d'un point de vue purement carcéral, Yvan Colonna n'était pas un détenu dangereux. En dépit de son caractère, il ne nous posait pas de problèmes en termes de risque de passage à l'acte violent. Quelques incidents ont émaillé sa détention, mais ce détenu ne méritait pas un suivi par le renseignement pénitentiaire avec le positionnement de capteurs.

Concernant le risque d'évasion, de même, ce n'était un détenu qui faisait partie de nos priorités. Son statut de DPS relevait d'autres considérations que le renseignement pénitentiaire. Même si le renseignement pénitentiaire le suivait au titre de l'infraction pour laquelle il était incarcéré, de l'écosystème auquel il appartenait et d'interactions méritant une attention particulière de notre part, nous n'étions pas le principal acteur en charge du suivi d'Yvan Colonna.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Durant vos fonctions, existait-il une commission nationale formulant un avis sur les DPS et statuant avant la décision du garde des sceaux puis, concernant ce genre de cas, du Premier ministre ? Était-elle fixée par des textes ?

Permalien
Charlotte Hemmerdinger

Je ne saurai plus vous le dire. Je crois qu'elle procédait d'une circulaire du directeur de l'administration pénitentiaire ou d'une instruction du garde des sceaux.

Permalien
Charlotte Hemmerdinger

À titre personnel, non. La cheffe du bureau opérationnel du service s'y rendait, qui avait une connaissance fine de tous les objectifs suivis. Cela ne relevait pas des sous-directions mais des chefs de bureaux de la sécurité pénitentiaire et du chef du bureau des affaires opérationnelles. En revanche, s'il y avait un problème d'arbitrage, cela pouvait être repris à des niveaux supérieurs. S'il y avait des dissonances marquées dans les avis et que la commission n'arrivait pas à s'entendre, des éléments pouvaient remonter.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Selon vous, elle est fixée par une instruction du directeur de l'administration pénitentiaire ?

Permalien
Charlotte Hemmerdinger

Je pêche par méconnaissance. Je ne sais plus si cela relève du code de procédure pénale, d'une circulaire ou d'une instruction. Je ne peux vous dire comment sont organisées les commissions DPS.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je me permets de vous poser la question parce qu'il existe un flou sur cette commission nationale DPS.

Permalien
Charlotte Hemmerdinger

Le sous-directeur de la sécurité pénitentiaire doit être en mesure de vous répondre.

La séance s'achève à 17 heures 05.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, Mme Sabrina Agresti-Roubache, Mme Ségolène Amiot, M. Romain Baubry, M. Mickaël Cosson, M. Philippe Juvin, M. Emmanuel Mandon, M. Laurent Marcangeli, M. Thomas Portes, Mme Sandrine Rousseau, M. Hervé Saulignac, Mme Sarah Tanzilli, Mme Cécile Untermaier.

Excusé. – M. Meyer Habib.