Commission de la défense nationale et des forces armées

Réunion du mercredi 22 mai 2024 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • OTAN
  • alliance
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La réunion

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La séance est ouverte à 11h05

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Je vous prie d'excuser l'absence du président Thomas Gassilloud, retenu à l'inauguration de l'exposition sur les plans secrets du Débarquement qui est inaugurée ce jour à l'Hôtel de Lassay.

Nous poursuivons cette matinée avec l'examen du rapport de Mme Anne Genetet et de M. Bastien Lachaud sur les enjeux, le rôle et la stratégie de la France dans l'Otan.

Alors que l'Otan était encore jugée « en état de mort cérébrale » en 2019, le déclenchement de la guerre en Ukraine a démontré son rôle primordial dans la défense territoriale de l'Europe. Dès le 24 février 2022, tous les pays européens se sont tournés vers l'Alliance pour se protéger contre l'agression russe, y compris des pays traditionnellement neutres comme la Finlande et la Suède qui ont assez rapidement rejoint l'Otan.

Revenu au centre de la défense collective européenne, l'Otan s'engage dans une transformation profonde emportant des conséquences militaires, politiques et financières. Vingt-trois des vingt-sept membres de l'Union européenne appartiennent à l'Otan.

La France, membre fondateur de l'Alliance, a souvent eu une relation compliquée avec l'Otan dont elle avait quitté le commandement militaire intégré en 1966, avant d'y revenir en 2009 sous l'initiative du président Nicolas Sarkozy.

Forte de sa dissuasion et de capacités militaires garantissant son autonomie stratégique, la France fait entendre sa voix et assume sa singularité au sein de l'Alliance, suscitant parfois la méfiance de certains partenaires.

En 2024, nous célébrerons le 75e anniversaire de l'Otan et le 15e anniversaire du retour de la France dans le commandement militaire intégré. Votre rapport arrive à point nommé pour faire le bilan de ce retour et de l'influence de la France au sein de l'Alliance.

Il nous éclaire également sur les enjeux de l'Otan post-guerre en Ukraine et sur sa relation avec l'Union européenne. Vous nous présenterez ce que devrait être, selon vous, la stratégie de la France vis-à-vis de l'Otan.

J'attends beaucoup de cette présentation et je ne doute pas que cette audition démontrera de nouveau que notre commission est un espace où les débats fondamentaux, même les plus politiques, se tiennent toujours avec respect et hauteur de vue.

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2024 est une année particulière pour l'OTAN mais également pour la relation de notre pays avec l'Alliance atlantique. C'est en effet le 75ème anniversaire de la création de celle-ci et le 15ème anniversaire du retour de la France, qui l'avait quitté entre 1966 et 2009, dans le commandement militaire intégré.

Ce double anniversaire mais aussi et surtout le double fait que l'OTAN est aujourd'hui, avec la guerre en Ukraine, pleinement engagée dans la défense du territoire européen face à la Russie, et en pleine transformation interne donnent un écho particulier à ce rapport sur les enjeux, le rôle et la stratégie de la France dans l'OTAN.

Comme vous allez l'entendre, nos positions sur ce que devrait être la relation de la France à l'OTAN sont très différentes mais nos travaux se sont déroulés dans une ambiance constructive qui a permis d'aboutir à des constats partagés.

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Malgré nos divergences de vues, ce rapport prouve qu'un débat politique de haut niveau peut aussi être constructif, apaisé et sans outrances.

L'OTAN a donc été créée le 4 avril 1949 par le traité de l'Atlantique Nord afin d'assurer la défense territoriale de l'Europe face à la menace représentée, à l'époque, par l'Union soviétique. C'est donc une alliance défensive dont le cœur est l'article 5 du TAN, qui stipule que toute attaque contre l'un de ses membres constitue une attaque contre l'ensemble de ceux-ci, appelant donc une réponse collective à l'agression. La dissuasion mutuelle qu'ont exercée l'OTAN et le Pacte de Varsovie pendant un demi-siècle a été efficace puisqu'il n'y a pas eu de conflit armé direct entre les deux blocs pendant toute la Guerre froide.

Le démantèlement du Pacte de Varsovie en 1989 puis la disparition de l'URSS en 1991 ont créé un vide existentiel pour l'OTAN. Au lieu de se dissoudre, l'OTAN s'est réorientée vers la gestion de crises puis s'est engagée dans la lutte contre le terrorisme avec l'activation, par les États-Unis, de l'article 5 à la suite des attaques du 11 septembre 2001. De la défense collective de l'Europe de l'Ouest, L'OTAN est ainsi devenue un fournisseur de sécurité à plus large spectre, fonctionnant sur le mode expéditionnaire puisque ses interventions contre le terrorisme, mais aussi celle en Libye en 2011, ont eu lieu en dehors de l'Europe.

Il n'en reste pas moins que les années 2010 ont été, pour l'Alliance des années difficiles : à l'enlisement en Afghanistan et aux conséquences désastreuses de l'intervention en Libye se sont ajoutées l'effondrement des budgets de défense de ses membres, à la seule exception des États-Unis, soucieux de toucher les dividendes de la paix dans un environnement stratégique considéré comme sûr. L'Alliance était également minée par les conflits internes et, en particulier, entre la Grèce et la Turquie, aux multiples conséquences, notamment sur la coopération avec l'Union européenne. L'OTAN vivait ainsi une deuxième crise existentielle, qui avait justifié la déclaration controversée du président Macron en 2019 sur son « état de mort cérébrale ».

Cette déclaration a constitué le premier électrochoc donné à l'Alliance puisqu'à la suite de celle-ci, l'OTAN a lancé une vaste réflexion interne qui a abouti à l' « Agenda 2030 » qui organise une profonde transformation de l'OTAN.

Le deuxième électrochoc est, évidemment, la guerre en Ukraine. Pourtant, un premier avertissement avait été donné à l'Alliance en 2008, lorsque la Russie avait agressé la Géorgie, avertissement qui avait donné lieu à une réaction limitée de l'Alliance en raison de la complexité de la situation et des avis divergents de ses membres. L'agression de l'Ukraine en 2014 a suscité une réaction plus forte puisqu'elle a entraîné la mise en place, sur le flanc Est de l'Alliance, d'une « présence avancée renforcée », c'est-à-dire le déploiement dans les pays baltes et en Pologne de groupements tactiques interarmes, auxquels, vous le savez, notre pays participe via notamment la mission Lynx.

Le passage de ce conflit de basse intensité, qui n'avait en réalité pas cessé depuis 2014, à une guerre ouverte de haute intensité le 24 février 2024 a immédiatement eu de fortes répercussions sur l'OTAN.

C'est en effet vers l'OTAN que l'ensemble de ses membres européens se sont tourné pour assurer leur défense face à l'agressivité russe. L'OTAN a satisfait à cette demande en renforçant considérablement le dispositif de défense et de dissuasion mis en place depuis 2017, lequel couvre aujourd'hui l'ensemble du flanc Est, de l'Estonie à la Roumanie, pays au sein duquel la France est nation-cadre, c'est-à-dire commande le groupement tactique interarmes. La guerre en Ukraine a ainsi conforté l'OTAN dans son rôle premier en matière de défense collective de ses membres, dans une posture qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle de la Guerre froide

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La guerre en Ukraine a effectivement relancé le processus d'élargissement de l'Alliance.

Aussitôt après le déclenchement de la guerre en Ukraine, ce sont deux pays traditionnellement neutres – la Suède et la Finlande – qui ont officiellement demandé de rejoindre l'Alliance. Sans revenir sur l'histoire de ces pays, la prise de conscience qu'a constituée l'agression russe et les péripéties de leur adhésion, deux faits me semblent importants à souligner dans cet élargissement :

– les tensions qu'il a suscitées au sein de l'Alliance, avec la longue opposition de la Hongrie et de la Turquie à la ratification du traité d'adhésion ;

– l'adhésion de la Suède et de la Finlande a également mis en évidence la perception du caractère sérieux de la menace russe, à ce point que deux pays historiquement neutres aient immédiatement cherché à rejoindre l'Alliance pour assurer leur sécurité. Illustration de l'attractivité de l'OTAN, cette double adhésion d'États membres de l'Union européenne révèle également, en creux, que la garantie de sécurité apportée par celle-ci, via l'article 42§7 du TUE, n'est pas jugée suffisante.

Enfin, la guerre en Ukraine a eu de fortes répercussions sur le processus de transformation de l'Alliance et, notamment, sur le nouveau concept stratégique qui était en cours d'élaboration. Adopté au sommet de Madrid en juin 2022, il opère un renversement complet par rapport à celui de 2010. En effet, alors que la Russie était depuis cette date, considérée comme un « partenaire stratégique », elle représente désormais « la menace la plus importante et la plus directe pour la sécurité des alliés et pour la paix et la stabilité dans la zone euro-atlantique ». Le Concept stratégique mentionne également, pour la première fois, la Chine, jugeant que « ses ambitions et ses politiques coercitives sont contraires à nos intérêts, à notre sécurité et à nos valeurs » ainsi que le terrorisme dans une vision à 360 ° des enjeux de sécurité

Document politique, qui explique quelles sont les missions de l'OTAN et décrit les défis et les possibilités qui se présentent à elle dans un environnement de sécurité en évolution, le Concept stratégique aura une série de déclinaisons concrètes pour l'Alliance, notamment un nouveau modèle de forces (adopté également à Madrid), la révision des plans de défense, l'évolution des structures des forces et de commandement et la définition de nouvelles cibles capacitaires attribuées aux États dans le cadre du Processus de planification de défense de l'OTAN (NDPP). C'est l'ensemble de ces déclinaisons qui contribueront à transformer l'OTAN, transformation entamée avant la guerre en Ukraine mais qui en tirera les conséquences.

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Après le rappel du contexte actuel de l'Alliance, marqué par l'agression russe en Ukraine et ses conséquences, notre rapport s'intéresse à la place de la France au sein de l'Otan, une place que l'on peut qualifier de « singulière ».

La France est singulière en raison de ses capacités militaires inédites, qui fondent un rapport différent à l'Alliance. Non seulement la France est, seul pays européen dans ce cas, dotée de l'arme atomique et d'une dissuasion totalement autonome, mais elle dispose également d'une BITD de niveau mondial et d'une armée quasi complète dotée d'une capacité opérationnelle reconnue. Disposant d'équipements largement renouvelés et dont la modernisation se poursuivra d'ici à 2030, si la LPM est respectée, les armées françaises se distinguent également par une capacité opérationnelle maintes fois démontrée sur le terrain. Les soldats français ont été déployés en territoire hostile, ils ont connu le feu et, pour certains, ont perdu la vie.

La France se distingue également parmi les Alliés par sa capacité à élaborer une doctrine autonome de défense et à mettre en place, avec la LPM, une planification nationale de défense. En effet, pour nombre d'Alliés européens, l'OTAN constitue la clé de voûte de leur politique de défense, la réflexion stratégique se limite à une reprise de ses analyses stratégiques et leur planification à la mise en œuvre du NDPP.

Enfin, la France est, avec les États-Unis et le Royaume-Uni, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies et, par son histoire comme par sa géographie, avec ses Outre-mer présents dans l'ensemble des océans, dispose d'une vision à 360 ° des enjeux du monde.

La France dispose donc de capacités et d'une vision inédites parmi les Alliés européens, à la seule exception des États-Unis. Cette singularité explique qu'elle soit dans un rapport différent de ceux-ci vis-à-vis de l'OTAN.

En effet, pour tous les alliés européens, l'OTAN constitue la clé de voûte ou, du moins, un aspect essentiel de leur politique de défense. Dans un pays comme l'Allemagne, par exemple, la défense se limite à la défense territoriale et les enjeux de défense aux enjeux européens. C'est encore plus vrai dans les pays de l'Est et les pays baltes qui sont dans une relation de dépendance totale vis-à-vis de l'OTAN qui constitue pour eux la seule garantie de sécurité crédible face à la menace existentielle que constitue, à leurs yeux, la Russie.

Or, la garantie ultime de sécurité de notre pays n'est pas l'OTAN mais nos moyens nationaux et nos propres forces armées Par ailleurs, la France assure, seule, la défense de ses territoires ultramarins, qui ne sont pas concernés par l'OTAN. Nous sommes par conséquent dans une position radicalement différente de celle des autres pays européens.

La singularité de la France est aussi celle de son histoire, avec l'OTAN. Comme vous le savez, notre pays est un membre fondateur de l'Alliance et a eu, jusqu'en 1966 un rôle majeur en son sein puisqu'il accueillait sur son territoire son siège ainsi que le SHAPE (l'état-major stratégique de l'OTAN), tout en hébergeant sur le sol hexagonal jusqu'à 70 000 soldats américains.

La décision du général de Gaulle de retirer la France du commandement militaire intégré, motivée par des raisons politiques, illustre le dilemme qu'entraîne l'appartenance à une alliance politico-militaire telle que l'OTAN : la stricte efficacité militaire en mode multinational (unicité du commandement, délégation d'autorité de toutes les forces au commandant suprême américain en cas de conflit …) mettrait en jeu l'autonomie stratégique du pays et, partant, la souveraineté nationale.

Après cette décision, la France a donc été dans une position originale et jusqu'alors inédite : toujours membre de l'Alliance et assumant, par conséquent, ses responsabilités découlant du TAN et, notamment, la solidarité entre Alliés inscrite dans son article 5, elle n'en était pas moins en dehors des structures militaires intégrées dont l'objet même était de garantir une défense efficace des Alliés en cas d'agression armée de l'un d'entre eux.

Un modus vivendi a été rapidement trouvé suite à cette sortie du commandement militaire intégré, basé sur des accords militaires ad hoc. Cette situation est toutefois devenue insatisfaisante à partir des années quatre-vingt-dix, après la décision politique de participer aux opérations militaires de l'OTAN, notamment en ex-Yougoslavie, sans pour autant être associé à la planification et à la conduite des opérations puisqu'elle n'était pas intégrée dans les structures militaires.

À cet argument technico-opérationnel en faveur du retour dans le commandement militaire intégré s'est ajouté un argument politique. Comme l'a souligné le rapport d'Hubert Védrine en 2012, la décision du président Sarkozy s'inscrivait explicitement dans une volonté de rapprochement avec l'administration de G. W. Bush, après l'opposition à la guerre américaine en Irak en 2003, et de réinsertion de la France dans la « famille occidentale », en rupture avec l'héritage de ses prédécesseurs, de Charles de Gaulle à Jacques Chirac en passant par François Mitterrand.

Le retour a évidemment eu de nombreuses conséquences que le rapport s'est attaché à analyser.

La principale conséquence de ce retour dans le commandement militaire intégré est, évidemment, le retour des militaires français dans ses structures, dont le nombre a atteint 763 militaires en 2023 contre environ une centaine jusqu'en 2008. Parmi ceux-ci, des postes prestigieux ont été obtenus par notre pays, dont celui de commandant suprême du commandement Transformation et de vice-chef d'état-major du commandement Opérations

Il faut toutefois souligner que la France ne réalise qu'à 79 % le quota des postes qui lui sont attribués, soit un taux bien moindre que ses principaux partenaires (93 % pour le Royaume-Uni, 91 % pour l'Italie ou encore 86 % pour l'Allemagne).

S'agissant des postes civils, qui relèvent d'un cadre différent puisqu'il ne s'agit pas de quotas nationaux mais de recrutements directs après compétition, la France dispose d'un secrétaire général adjoint de l'OTAN, aujourd'hui à la diplomatie publique, qui est un poste stratégique au sein de l'OTAN, notamment sur la lutte informationnelle. Les Français sont cependant peu présents au secrétariat international, défavorisés à la fois par un processus de recrutement très anglo-saxon mais également par l'absence pendant 43 ans du commandement intégré et de la suspicion en découlant

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La conjonction de notre singularité et de ces atouts humains donne à notre pays la capacité à défendre ses intérêts même si, dans une organisation internationale qui fonctionne par consensus, comme l'a rappelé le représentant permanent militaire de la France au sein de l'OTAN, le général Goisque, « on ne peut pas s'opposer sur tout ni avoir gain de cause sur tout ». Appartenir à l'Alliance impose donc de faire des compromis.

Toutefois, ce que les auditions nous ont appris, c‘est qu'il est bien plus simple d'agir en amont, lorsque les discussions sont encore au stade technique, qu'une fois la position formalisée et transmise à l'échelon politique. Il est en effet bien plus facile d'orienter un plan, une opération ou un exercice, un document stratégique, une norme technique ou le cahier des charges d'un marché dans un sens favorable à nos intérêts ou de « tuer dans l'œuf » une idée qui leur serait contraire lorsqu'ils sont en cours d'élaboration. Or, pour ce faire, il est nécessaire d'être partie à la discussion et donc d'être présent là où elle se fait : au Secrétariat international et dans les grands commandements militaires, comités et agences de l'OTAN. Toutefois, il est à noter que les moyens considérables des États-Unis leur permettent d'être présents à tous les niveaux de l'Alliance, et il est déraisonnable d'envisager qu'un autre membre, pas même la France, puisse les égaler.

En renforçant notre présence au sein de l'Alliance, en permettant à des Français d'accéder à des postes dont ils étaient auparavant exclus, le retour dans le commandement intégré a renforcé notre capacité à influencer sur les décisions – en particulier techniques – de l'OTAN. Les auditions ont donné quelques exemples de cette influence pour notre BITD.

Comme l'a souligné le représentant de la DGA – je cite : « l'OTAN est avant tout une « machine » à produire des standards, lesquels sont nécessaires pour assurer l'interopérabilité des différentes armées et matériels. L'OTAN définit aussi, via le NDPP, les cibles capacitaires de chacun des membres de l'Alliance – leurs besoins – lesquels sont ensuite déclinés en besoin militaire, qui peuvent être satisfaits par des achats sur étagères ou des programmes de développement. Dans les deux cas, les États se tournent vers les fournisseurs avec un cahier des charges dont l'un des éléments fondamentaux est le respect des standards OTAN. Ces standards sont obligatoires pour présenter une offre, d'où l'intérêt majeur à ce qu'ils n'excluent pas les matériels français ».

Or, de telles situations peuvent se produire et plusieurs exemples – confidentiels – nous ont été présentés lors des auditions de normes qui, si elles avaient été adoptées, auraient conduits à exclure les matériels français des appels d'offres des pays de l'OTAN. Si nous n'avions pas été dans les différents comités pour les contrecarrer, l'effet de ces normes aurait été dommageable pour nos entreprises

Autre exemple, sur le plan plus politique, comme l'a expliqué Mme Muriel Domenach, représentante permanente de la France auprès de l'OTAN, « sur le modèle de force nouveau, la France a plaidé et obtenu que l'OTAN garde une vision à 360° et ne se focalise pas uniquement sur ce qui se passe à l'Est avec des déploiements lourds et permanents », tout en faisant barrage aux pressions américaines visant à mobiliser l'OTAN contre la Chine.

L'influence de la France provient notamment d'abord et avant tout de facteurs extérieurs à l'Alliance et, en particulier, de la singularité de sa position. En effet, la garantie ultime de sécurité de notre pays n'est pas l'OTAN mais nos moyens nationaux et nos propres forces armées. Par conséquent, les autres alliés subordonnent leurs éventuelles réticences ou objections au caractère vital que représente pour eux l'Alliance, ce qui les conduit à les taire, alors que la France est capable de défendre d'autres visions, de dire non lorsqu'il le faut.

Parce que la France n'est pas dépendante de l'OTAN, elle peut dire non, elle l'a toujours fait. D'ailleurs, nous nous sommes aperçus lors de nos auditions que la France n'est d'ailleurs pas forcément isolée et qu'elle se fait, en disant non, le porte-voix de pays qui, parce qu'ils dépendent de l'OTAN, ne peuvent s'opposer ouvertement au consensus, aux Américains ou à la « NATO-structure ». Ce rôle de poil à gratter est aussi vu plutôt positivement par les organes de l'OTAN en ce qu'il enrichit et équilibre utilement les conversations en contrebalançant l'influence américaine

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Notre rapport s'est ensuite intéressé à la perception de cette singularité par nos alliés. En effet, si cette singularité a des conséquences positives pour notre influence, elle est susceptible de nous isoler au sein de l'Alliance et toute définition d'une stratégie efficace de la France dans l'OTAN exige de tenir compte de la perception de notre pays par ses alliés.

Ce que nous avons constaté lors des auditions, c'est la conscience qu'ont nos alliés de la singularité de la position française au sein de l'OTAN. La France est une grande puissance militaire et elle est considérée comme telle par ses alliés.

Cette crédibilité militaire, incontestable, si elle légitime le rôle singulier de la France au sein de l'OTAN, a aussi pour effet de susciter des attentes de la part de nos partenaires. Parce que la France a des capacités militaires que les autres pays européens n'ont pas, ceux-ci attendent de notre pays qu'il s'engage pleinement dans l'Alliance et fasse bénéficier la défense collective de son expérience et de ses moyens.

Or, notre pays a longtemps été réticent à s'investir dans l'OTAN, en particulier après son retour dans le commandement intégré, dans la mesure où celui-ci a quasiment coïncidé avec l'engagement opérationnel majeur des armées françaises en Afrique, dans le cadre de l'opération Barkhane. Nos alliés ont pu comprendre que le contexte propre à la France l'avait conduite à mobiliser l'essentiel de ses forces armées à cette fin, en Afrique et sur le territoire national (avec l'opération Sentinelle). Notre pays s'est moins investi dans la défense du flanc Est de l'Alliance, dont les pays craignaient qui craignait une menace russe qui a pris une nouvelle dimension après l'annexion de la Crimée. Alors que celle-ci a été renforcée à partir de 2017 dans le cadre des « présences avancées renforcées », notre pays a refusé d'être nation-cadre, même s'il a toutefois envoyé une compagnie en Estonie et a déployé que des appareils pour faire la police du ciel en Pologne.

Cette attitude, a été mal perçue par certains alliés, tout comme la volonté de dialogue du président Macron – avant 2022 – avec la Russie. De même, l'obsession de notre pays pour l'Union européenne et son autonomie stratégique, qu'il évoque tout le temps et veut glisser partout dans les documents de l'OTAN, est la preuve s'il en était besoin que la France n'est pas totalement impliquée dans l'OTAN et qu'elle y poursuit d'autres objectifs. Cela est également crispant pour nos alliés et contreproductif pour atteindre ces derniers.

La guerre en Ukraine a toutefois changé cette perception car la France est devenue nation-cadre en Roumanie et a démontré avec le déploiement de la mission Aigle une réactivité dont aucun autre pays européen n'est aujourd'hui capable. Toutefois, si l'investissement dans la défense du flanc Est de l'OTAN a été unanimement salué par nos alliés, nous devons être conscients que ceux-ci n'en attendaient pas moins de la France en tant que grande puissance militaire

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La troisième partie de notre rapport aborde les différents défis auxquels notre pays est confronté au sein de l'Otan.

Le premier défi est celui de l'interopérabilité.

Quel que soit notre avis sur le sujet, notre pays a fait le choix, rappelé par la RNS, d'une action de nos armées en coalition, choix cohérent avec nos décisions politiques et les missions qui sont assignées à nos armées, qui dépassent largement la défense du territoire national.

Ainsi, ayant fait le choix de l'OTAN et de lier son destin avec celui de ses alliés dans la défense collective du continent, en coalition donc, la France ne peut respecter son engagement qu'à la condition que ses armées soient interopérables avec celles de ses alliés, c'est-à-dire, qu'elles aient la capacité à agir conjointement et efficacement sur le terrain.

Or, cette interopérabilité, c'est justement l'objectif premier de l'OTAN puisque celle-ci n'a pas de troupes permanentes. Ses troupes, ce sont celles de ses membres qui doivent donc apprendre à agir ensemble de manière efficace sur le terrain.

L'OTAN est ainsi, pour reprendre une expression employée en audition le « creuset de l'interopérabilité », à la fois technique, opérationnelle, et doctrinale. L'ensemble de normes qu'élabore l'OTAN, de même que les dizaines d'exercices qui sont menés en commun chaque année ont ainsi pour but de permettre à 32 armées nationales différentes d'apprendre à se connaître, à parler le même langage et à être capable de combattre ensemble.

Toutefois, cette interopérabilité, pour nécessaire qu'elle soit au sein de l'OTAN, implique un certain nombre de risques pour notre pays, comme l'appartenance à l'OTAN elle-même d'une manière générale.

Le premier est un risque budgétaire. La transformation en cours de l'OTAN et sa montée en puissance, justifiées par l'agressivité russe, auront un impact budgétaire sensible pour la France. La Cour des comptes l'a évalué. La contribution française au budget militaire et d'investissement de l'OTAN, financée sur le programme 178, « passerait de 193 millions d'euros en 2022 à 770 millions d'euros en 2030, hors effet de l'inflation, soit une augmentation très significative qui ne pourra pas être gérée en ajustement annuel de la programmation militaire sans risque d'effet d'éviction ». Il y a là un risque majeur pour l'exécution de la LPM auquel nous devrons être attentif.

Le deuxième risque est le risque des normes pour notre BITD. Comme nous l'avons vu, les normes peuvent avoir un impact majeur sur le destin commercial d'un matériel et malgré toute la vigilance dont fait preuve notre RP, il ne peut être exclu que, suite à un compromis, une norme puisse nous être défavorable. Un des enjeux majeurs pour notre pays est la future définition des besoins de l'OTAN en matière d'hélicoptères, « les États-Unis faisant pression pour des hélicoptères à long rayon d'action, capables d'être utilisés en Indopacifique » selon l'une des personnalités auditionnées à Bruxelles. S'il devait être retenu, un tel besoin irait à l'opposé des intérêts français, matérialisés par le projet EU Next Generation Rotorcraft Technologies Project (ENGRT), coordonné par Airbus Helicopters.

Ces normes sont dictées par l'exigence d'interopérabilité. Toutefois, si toute la difficulté de l'interopérabilité est de faire interagir des matériels différents, elle devient bien plus simple dès lors qu'un même matériel est utilisé par plusieurs, sinon la majorité des pays de l'OTAN. La tentation est donc grande de résoudre la question de l'interopérabilité par l'achat d'un même matériel, évidemment américain compte tenu de la prédominance politique, doctrinale et militaire des États-Unis au sein de l'OTAN. Comme disait Mme Florence Parly, l'article 5 tend à devenir l'article F-35.

Enfin, l'interopérabilité présente un dernier risque pour notre BITD. Parce qu'agir en coalition implique la mise en commun des capacités, la tentation existe que, certains de nos alliés ayant les capacités qui nous manquent, la France décide de renoncer à acquérir certaines d'entre elles ou, à plus long terme, renonce à les renouveler.

Il faut parler maintenant du risque RH que représente notre engagement dans l'OTAN. Le retour de la France dans le commandement intégré, en 2009, a eu pour conséquence l'accroissement considérable du nombre d'officiers français détachés dans l'OTAN. Si l'influence de notre pays au sein de l'Alliance a profité de cette présence renforcée, celle-ci n'en a pas moins mis une pression supplémentaire sur nos armées, visible au fait que nous remplissons bien moins que nos alliés notre quota d'officiers. De même, notre représentation permanente, véritable tour de contrôle de l'action de la France, souffre d'un sous-effectif flagrant : moitié moins de personnel que l'Allemagne. Un autre point problématique, souligné par la Cour des comptes, est la présence des ingénieurs de l'Armement ; en 2011, 35 ingénieurs de l'armement travaillaient au sein de l'OTAN et de la RP ; en 2022, ils n'étaient que 19, soit quasiment moitié moins, dont 5 seulement à la RP.

Ces risques et la réponse que leur apporte le gouvernement questionne l'ambition de notre pays, affirmée par la RNS, d'être un « allié exemplaire au sein de l'espace euro-atlantique ». En effet, la France est-elle un allié exemplaire si elle ne fournit pas à l'OTAN les ressources dont elle a besoin ? L'est-elle encore si elle seule élève la voix pour contester les velléités de dépenser toujours plus en commun, alors que l'ensemble des autres Alliés l'estiment nécessaire compte tenu de la crainte d'une agression russe ? Enfin, n'y a-t-il pas une tension manifeste entre l'exemplarité revendiquée, qui commanderait d'aller toujours plus loin dans l'interopérabilité, objet même de l'OTAN, et la préservation de nos intérêts, notamment industriels, que celle-ci menace ? En d'autres termes, l'un des défis majeurs de la France au sein de l'OTAN sera la conciliation entre cette volonté d'exemplarité et la nécessaire défense des intérêts nationaux

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Le deuxième défi est celui de la coopération OTAN-UE qui est également un objectif de la RNS. Notre pays soutient en effet « une modernisation, un élargissement et un approfondissement du partenariat UE-OTAN, pour prendre en compte les nouveaux défis de sécurité qui pèsent sur l'Europe ».

Cette coopération est inscrite dans les traités européens, « la Boussole stratégique » et dans le Concept stratégique de l'OTAN. Elle repose sur une évidente complémentarité entre les deux organisations : l'OTAN a les moyens militaires dont l'UE ne dispose pas et l'UE les moyens humains, financiers et juridiques dont l'OTAN ne dispose pas. Or, les crises actuelles sont multiformes et exigent, pour y faire face, que des moyens très différents soient mobilisés.

La guerre en Ukraine a encore renforcé l'intérêt de la coopération UE/OTAN en mettant en évidence l'importance de ce qu'on appelle la mobilité militaire. En effet, l'efficacité de la défense collective implique de faire circuler, le plus rapidement possible, soldats, matériels et munitions à travers l'Europe. Or, les contraintes administratives, douanières et techniques sont susceptibles de compliquer considérablement la réponse de l'Alliance en cas d'agression armée sur le flanc Est. Fort de ce constat, les deux organisations travaillent à ce projet de créer un véritable « Schengen militaire ».

Le problème, c'est que cette coopération est largement bloquée. Certes, des déclarations sont signées, des réunions ont lieu entre fonctionnaires mais il y a peu de réalisation concrètes et les échanges politiques sont très limités, sinon inexistants. De surcroît, l'échange d'informations classifiées est toujours impossible en raison du différend entre la Turquie et Chypre.

Là est en effet le principal point de blocage de la coopération OTAN-UE : un des membres de l'OTAN – la Turquie – ne reconnaît pas l'un des membres de l'Union européenne : Chypre, dont il occupe d'ailleurs une partie du territoire depuis 1974. Dès lors, la Turquie bloque systématiquement la transmission d'informations classifiées de l'OTAN vers l'Union européenne, ce qui est pour le moins fâcheux puisqu'une part considérable des enjeux communs aux deux organisations sont couverts par le secret-défense.

Si relever ce défi de rétablir des relations formelles entre l'UE et l'OTAN apparaît compliqué, notre pays peut relever le défi du « renforcement du pilier européen au sein de l'OTAN », autre objectif de la RNS, à la triple condition suivante :

– la première est de définir de ce « pilier européen » qui est, comme d'autres concepts de la RNS, particulièrement flou.

– la deuxième est de rallier nos partenaires européens. Nombre d'entre eux, qui ont l'OTAN comme clé de voûte de leur politique de défense, sont particulièrement suspicieux vis-à-vis de toute initiative susceptible d'affaiblir l'Alliance, en particulier lorsqu'elle vient d'un membre comme la France, dont la singularité fait toujours planer un doute sur la sincérité de son engagement dans l'OTAN.

– enfin, la dernière condition, par ailleurs liée à la deuxième, sera de convaincre les États-Unis que le renforcement de ce pilier européen est dans leur intérêt.

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Le troisième défi de la France dans l'OTAN est la gestion des dissensions interne. C'est le défi de l'unité.

Si la guerre en Ukraine a uni tous les membres de l'Alliance contre la Russie, comme le montre la formulation du nouveau concept stratégique, cette unité face à la Russie n'empêche cependant pas de profondes divergences sur d'autres sujets qui en constituent des points de crispations majeures pour les membres concernés.

Parmi ces sujets de dissension, le plus important est sans conteste la place à donner à la Chine dans les priorités de l'OTAN. Le terme de « menace » n'a pas été retenu du fait de l'action diplomatique de la France dans le Concept stratégique qui se contente d'évoquer le « défi systémique pour la sécurité euro-atlantique » que constitue la Chine. Cependant, une telle rédaction est le résultat d'un consensus et certainement pas la vision que le primus inter pares américain a de son rival chinois.

Comme l'a souligné l'une des personnalités françaises auditionnées, ce pays est « une véritable obsession américaine », à la mesure de la menace qu'il représente pour la suprématie mondiale des États-Unis. Le pivotement des intérêts stratégiques américains vers l'Indopacifique, commencé sous la présidence Obama, s'est poursuivi sous celle de ses successeurs et personne ne nous a fait mystère, à Washington, que la priorité de la politique étrangère américaine est bien de contenir la montée en puissance de la Chine.

À cette fin, non seulement les États-Unis utilisent l'ensemble des moyens à leur disposition : politique, diplomatique, militaire, financier, commercial et industriel mais ils cherchent également à mobiliser ceux de leurs alliés. Le fait que la Chine figure explicitement et pour la première fois dans le concept stratégique de l'OTAN en est la preuve.

Le discours pour justifier que l'OTAN s'intéresse à la Chine est bien rôdé et a été tenu tant à Bruxelles qu'à Washington. Il nous a été dit que même si elle n'a pas vocation à agir en Indopacifique, l'OTAN serait légitime à s'intéresser à la Chine dès lors que c'est la Chine elle-même qui pénètre l'espace euro-atlantique, par son influence économique, diplomatique et politique, et menace l'Alliance dans les espaces sans frontières que sont le cyber, le spatial et l'informationnel.

La position de notre pays est claire. La France refuse que l'OTAN soit ainsi mobilisée en Indopacifique et a refusé l'ouverture d'un bureau de liaison de l'OTAN à Tokyo. Mais d'autres pays sont sensibles aux arguments américains et pourraient accepter de considérer la Chine comme une menace pour l'Alliance si c'était là le prix à payer pour conserver l'implication américaine dans l'Alliance.

Enfin, l'unité de l'Alliance fait face à d'autres menaces :

– celle de la Hongrie et de la Turquie qui ont conservé des liens étroits avec la Russie, dont elles sont dépendantes sur le plan énergétique. Elles ont longtemps bloqué l'élargissement de l'Alliance et bloqueront certainement tout potentiel élargissement futur à l'Ukraine. À Ankara, nous avons bien compris de nos interlocuteurs turcs que l'adhésion de l'Ukraine constituerait une provocation pour la Russie et que, de leur point de vue, celle-ci ne devrait pas être membre de l'OTAN ;

– celle du conflit entre la Grèce et la Turquie, deux pays entre lesquels les tensions sont fortes et la course à l'armement évidente. Un conflit entre les deux non seulement paralyserait l'OTAN mais la diviserait profondément.

Sans aller jusqu'à un conflit, ces deux pays menacent également l'unité de l'Alliance en ce qu'ils cherchent à importer dans l'Alliance leurs intérêts de sécurité. Ainsi les Turcs souhaitent obtenir le soutien de l'Alliance dans la lutte qu'ils mènent contre les organisations kurdes PKK et YPD, qu'ils qualifient de terroristes La Grèce insiste sur la menace que constituent les migrations illégales, présentées comme des nouveaux types « d'attaques hybrides » contre lesquelles l'OTAN pourrait, selon eux, être mobilisée.

Le défi de la France sera donc de préserver l'unité de l'Alliance et nos relations bilatérales tout en s'opposant aux tentatives d'importation d'intérêts de sécurité nationale dans l'OTAN

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Enfin, la France fait face à un quatrième défi qui est celui de la définition de sa stratégie au sein de l'OTAN. Notre travail nous a en effet convaincu que la RNS ne peut en tenir lieu en raison de la faiblesse et de l'imprécision des concepts qu'elle contient.

Celle-ci donne en effet à notre pays l'objectif d'être un « allié exemplaire au sein de l'espace euro-atlantique ». Certes, la RNS donne quelques indications sur ce qu'il faut entendre par cette expression, en indiquant que notre pays assumera « son rôle au sein des structures militaires et des opérations » ainsi qu'une « position exigeante et visible ». Mais quel est ce rôle ? Quelle est cette position ?

De plus, l'expression même « d'allié exemplaire » est ambiguë. Il ne fait pas de doute que notre pays se considère comme exemplaire mais qu'en est-il de nos alliés ? Refuser l'augmentation des dépenses communes ou la prise en compte de la menace chinoise, défendre farouchement l'autonomie stratégique de l'Union européenne, au risque de faire fuir les États-Unis, est-il, de leur point de vue, l'attitude d'un allié exemplaire ? Viser des dépenses militaires à hauteur de 2 % de son PIB, est-ce être exemplaire ou faut-il, comme d'autres alliés, allé au-delà ? D'ailleurs, si chacun est l'étalon de sa propre exemplarité, y a-t-il un allié qui, au sein de l'OTAN, ne se considère pas lui-même comme exemplaire ?

Une autre faiblesse de la RNS et, au-delà, de la stratégie de la France vis-à-vis de l'OTAN, est la notion de « pilier européen », que la France se donne pour objectif de « renforcer ». Seulement, comme indiqué précédemment, ce pilier européen n'est jamais défini, les moyens de l'atteindre non plus. De même, s'agissant plus largement de la coopération UE-OTAN, il est frappant de constater que « si la France soutient une modernisation, un élargissement et un approfondissement du partenariat UE-OTAN », il n'est pas précisé pourquoi, ni comment, ni surtout, les actions qu'envisage notre pays pour lever l'obstacle turc, à supposer que ce soit possible. On peut donc s'interroger sur la compatibilité d'un agenda Europe de la défense et du développement d'un pilier européen de l'Otan ;

Enfin, la RNS, pas plus d'ailleurs que les autres documents stratégiques ou les déclarations de haut responsable français, n'apporte de réponse à une question majeure : celle de savoir quelle OTAN nous voulons.

Savoir ce que nous voulons pour l'OTAN pose la question de savoir qui doit définir cette stratégie, puisqu'il ne s'agit pas de la RNS. Or, nos auditions nous ont confirmé que la coordination entre les différents acteurs français impliqués dans l'OTAN peut laisser à désirer, avec seulement une ou deux réunions par an et des acteurs qui ont tendance à fonctionner en silo. L'absence de structuration des différents acteurs français – direction Affaires stratégiques du ministère des Affaires étrangères, direction générale des relations internationales et stratégiques du ministère des Armées, état-major des armées, DGA…, malgré la qualité et l'implication des personnels concernés, n'aide évidemment pas à la définition d'une stratégie cohérente, pas plus qu'à la cohérence de l'action de la France au sein de l'OTAN.

Parce que la France n'a pas de stratégie claire vis-à-vis de l'OTAN, les relations avec cette dernière prennent surtout la forme de « lignes rouges », souvent en opposition avec les positions de nos alliés. Comme nous l'a expliqué notre représentant militaire à l'OTAN, « cela renforce la suspicion dont la France fait l'objet. N'ayant qu'une approche négative sans proposer une vision positive, nous sommes parfois soupçonnés d'avoir des arrière-pensées, voire d'avoir une stratégie de cheval de Troie dont le vrai objectif n'est pas l'OTAN mais autre chose ».

Cette « autre chose » n'est pas difficile à deviner, elle est de notoriété publique et la France l'affirme haut et fort dans la RNS : c'est l'Europe et son autonomie stratégique. Il est, de ce point de vue frappant de constater dans la RNS comment, au flou de la stratégie et des concepts appliqués à l'OTAN, répond la clarté et la précision à la fois des objectifs et des moyens de notre pays vis-à-vis de l'Europe de la défense. Ce tropisme pour l'UE est lui aussi perçu comme tel par nos alliés et force est de connaître qu'il ne sert pas les intérêts de la France au sein de l'OTAN, en renforçant les doutes qu'ont nos alliés sur la sincérité de l'engagement de la France dans l'Alliance, sans d'ailleurs faire progresser d'un iota la construction de l'autonomie stratégique européenne.

Par conséquent, s'il est évoqué en dernier, le premier défi de la France au sein de l'OTAN devrait être l'élaboration d'une stratégie claire et cohérente vis-à-vis de l'OTAN.

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J'en viens aux conclusions que je tire de cette mission d'information, conclusions que ma co-rapporteure ne partage pas.

Mes conclusions quant à la réintégration de la France dans le commandement militaire intégré de l'OTAN se feront particulièrement négatives. Je considère effectivement que cette réintégration a fait perdre à la France sa voix singulière et son autonomie stratégique. L'illisibilité de la stratégie de la France vis-à-vis de l'Otan rend son action contradictoire.

Nous partageons le constat que la RNS, par son imprécision et ses silences, ne peut tenir lieu de stratégie de la France dans l'OTAN. La présence même de la tournure « allié exemplaire » dans un document français est consternante en ce qu'elle dénote d'un alignement atlantiste total et constitue « un clou de plus dans le cercueil » de l'autonomie stratégique de notre nation. Être « exemplaire » impliquerait d'accepter toutes les règles et de s'y conformer, c'est-à-dire d'obéir aux États-Unis. Comme le disait le chercheur Samir Battiss, lors de son audition : « Être exemplaire signifie le plus souvent être en accord systématique avec les buts et les moyens fortement influencés (euphémisme), identifiés par et aux États-Unis ». Être exemplaire impliquerait donc un alignement atlantiste total et le renoncement à toute objection. Le choix d'un alignement atlantiste enterrerait l'autonomie stratégique française. Être exemplaire acterait définitivement la fin du gaullo-mitterrandisme, déjà largement entamée par le retour dans le commandement militaire intégré. On ne peut pas être exemplaire sans sacrifier ce qui fait justement notre singularité, c'est-à-dire notre capacité à dire non. Nos intérêts nationaux seraient nécessairement sacrifiés à ceux du primus inter pares américain. Samir Battiss ajoutait : « On ne peut pas être exemplaire et singulier. L'exemplarité, c'est comme une photocopie conforme ».

Je suis évidemment en désaccord total avec le concept d'allié exemplaire. Je pense que la France ne doit pas être un allié exemplaire, mais un allié fiable, c'est-à-dire remplir ses engagements tout en gardant les mains libres d'un point de vue stratégique et diplomatique. Non seulement devenir un allié exemplaire n'apporterait rien à notre pays, mais notre stratégie au sein de l'Otan est devenue tellement illisible qu'elle finit par desservir l'influence qu'elle prétendait nous acquérir.

La France se veut exemplaire, mais parmi nos principaux alliés, nous sommes celui qui remplit le moins notre quota d'officiers. Nous affirmons notre engagement total dans l'Otan tout en insistant sur l'Europe de la défense, ce qui agace nos alliés européens. La contradiction est flagrante et ce double discours ne fonctionne plus. Il est impossible de viser simultanément une autonomie stratégique européenne et une implication exemplaire dans l'Otan. Ces deux objectifs sont parfaitement contradictoires et le Gouvernement se trompe en croyant pouvoir les poursuivre de concert. C'est ce qui explique notre échec à être cet « allié exemplaire » de l'Otan et à affirmer notre autonomie stratégique européenne.

La synthèse envisagée sous la forme d'un pilier européen de l'Otan, dont personne ne connaît le contenu et la portée, n'est que le dernier avatar d'une ambition française constamment démentie par la réalité.

Nos intérêts nationaux ne sont pas mieux défendus depuis l'intégration dans le commandement intégré.

Notre BITD est constamment sacrifiée au profit d'une illusoire BITD européenne. Les programmes européens et les coopérations intergouvernementales autorisent nos concurrents à piller les savoir-faire de nos entreprises. Encore récemment, notre collègue Thiériot avait parfaitement raison de rappeler que nos coopérations avec l'Allemagne avaient souvent été nouées à notre détriment.

J'entends fréquemment l'argument selon lequel le retour dans le commandement intégré aurait permis à nos entreprises de gagner des marchés. Force est de constater que tel n'est pas le cas. Certes, Thales a pu bénéficier de certains marchés de l'Otan, mais la plupart de nos alliés continuent de se fournir presque exclusivement auprès d'entreprises américaines. Les gouvernements européens préfèrent consolider la garantie américaine en achetant des F-35, des chars Abrams et autres systèmes antimissiles plutôt que des matériels européens, sans même parler des matériels français.

L'Otan, par essence contradictoire avec une autonomie stratégique nationale, contamine notre pensée stratégique en servant de courroie de transmission des concepts américains. Il ne fait aucun doute qu'à mesure que nos officiers les plus brillants seront envoyés s'acculturer à l'Otan, la question se posera de la simple possibilité de nourrir une pensée stratégique autonome. L'effet de structure peut être très puissant, tout comme celui de l'habitude et celle de collaborer avec les États-Unis éloigne la possibilité d'une action en solitaire. Un ancien major général de la marine nous disait que : « L'indépendance, c'est l'ambition de la solitude ». Pour comprendre ce que signifie l'Atlantisme, il faut savoir penser autrement que par l'Otan.

Pour beaucoup, être atlantiste est devenue une posture naturelle. La singularité française va également disparaître, remplacée par une pensée otanienne alignée sur celle des États-Unis. Certes, par le Commandement suprême Transformation, la France occupe un poste de premier plan pour établir la pensée stratégique, mais ce poste ne doit pas faire illusion. Installé aux États-Unis sur une base de l'armée américaine, il baigne dans un système anglo-saxon. Aussi compétent que soit le général français qui l'occupe, ce poste reste secondaire par rapport au poste de Commandement suprême Opération, tenu par un général américain depuis la création de l'Otan.

Les Français n'occupent que peu de postes de premier plan et en nombre très inférieur à ceux de nos principaux alliés. Comme le rapport d'Hubert Védrine de 2012 et nos auditions nous l'ont confirmé, le retour de la France dans le commandement militaire intégré procédait d'un choix politique, sinon personnel, du président Sarkozy. Il constituait avant tout un acte de foi atlantiste et un pari politique : renforcer l'influence de la France au sein de l'Otan et soutenir l'ambition française d'une Europe de la défense.

Aujourd'hui, nous ne pouvons que noter que le pari est raté. La France a pu faire valoir ses positions, certes, mais seulement à la marge, influant parfois quelques détails techniques ou militaires. La réalité est sans appel. Notre pays ne pèse plus dans une alliance où les principales évolutions sont décidées par les États-Unis, qui concentrent les deux tiers des dépenses militaires de celle-ci. Aucun pays ne le peut d'ailleurs, aussi exemplaire soit-il.

Quant à l'Europe de la défense, la guerre en Ukraine a confirmé que l'Otan constituait l'alpha et l'oméga de la politique de défense de tous ses membres, également ceux de l'Union européenne. Aucun pays européen ne veut ni n'accorde le moindre crédit à l'article 42, alinéa 7 du traité de Lisbonne. Pour reprendre le terme de M. Olivier Kempf, l'Europe de la défense est un « fantasme » qui n'existe que dans les discours du Président Macron.

Pour tenter d'avancer malgré tout, le Président Macron multiplie les déclarations impromptues sur sa volonté de partager la dissuasion avec d'autres pays européens, en poussant la ligne bien au-delà de ce qu'a toujours été la doctrine française et au risque d'affaiblir encore notre indépendance. La dissuasion est souveraine et doit le rester.

La France n'a donc rien gagné à ce retour dans le commandement militaire intégré. Au contraire, elle a désormais perdu le crédit que sa position antérieure lui avait valu. En quittant le commandement militaire intégré en 1966, la France réaffirmait sa singularité dans un monde bipolaire, ambitionnant un rôle de « puissance d'équilibre ». Cette expression, qui avait autrefois plus de consistance, paraît aujourd'hui quelque peu galvaudée. La RNS continue d'en faire usage, en dépit de toute réalité. Il n'y a pas « d'équilibre » possible pour qui est pleinement engagé dans une alliance militaire permanente désignant les ennemis et mobilisant tous ses membres contre eux. L'Otan a procédé de la sorte en Afghanistan, en Libye, au Kosovo (hors de toute légitimité internationale dans le cas de cette dernière intervention). L'échec total de l'intervention en Afghanistan s'est ajouté aux conséquences désastreuses de la guerre en Libye, qui a terriblement déstabilisé la région et accéléré les processus violents en Afrique subsaharienne.

Désormais, l'Otan est discréditée comme fournisseur de sécurité et notre pays avec elle. Loin d'être singulière comme elle se plaît à le croire, la France est désormais un allié atlantiste comme les autres, perçu comme tel et associé à tous les échecs de l'Otan.

J'en viens à mes propositions.

Que faire de l'Otan ?

Après ce constat accablant, la seule décision raisonnable me paraît être celle de quitter immédiatement le commandement militaire intégré. C'est d'autant plus urgent que le pivotement des intérêts stratégiques américains vers l'Indo-Pacifique apparaît définitif. Les auditions de responsables américains ne laissent aucun doute sur la volonté des États-Unis, à terme, de mobiliser leurs alliés contre la Chine. C'est déjà une réalité sur le plan économique. Les États-Unis font pression sur des entreprises européennes afin qu'elles cessent de vendre certains produits sensibles à des clients chinois. C'est un exemple typique de la façon dont un cadre d'analyse états-unien peut s'imposer à la France.

La posture de gendarme du monde marginalise nos intérêts singuliers. La France en est à s'opposer à l'ouverture d'un bureau de l'Otan au Japon, alors que ce pays est manifestement très loin de l'espace euro-atlantique. Un haut responsable nous affirmait que « Certains pays n'excluent pas une transaction : considérer la Chine parmi les menaces auxquelles fait face l'Alliance afin de conserver un intérêt et un investissement américain dans l'Alliance ». La Lituanie, par exemple, a commencé à remettre en question la politique d'une seule Chine. Cela se poursuivra si la confrontation devient militaire et il est vain de croire que nos alliés, qui dépendent des États-Unis pour leur sécurité, sauront y résister.

En 2003, nous avons su dire non à la guerre en Irak. En 2024, comme membres « exemplaires » de l'Otan, nous ne pouvons pas échapper à un engagement dans une guerre qui n'est pas la nôtre pour la défense d'intérêts qui ne sont pas les nôtres.

Je m'inscris en faveur d'un retrait immédiat de la France du commandement militaire intégré et non de l'Alliance elle-même. Nous resterons membres de l'Otan. Il s'agit de renouer avec l'ambition du général de Gaulle, en 1966, celle de concilier notre indépendance nationale et la solidarité avec nos alliés. La France restera engagée via la clause de défense commune mutuelle de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord.

La France doit tenir sa parole. Il en va de sa crédibilité. Elle ne peut donc quitter l'Alliance immédiatement. Dès que les circonstances le permettront, néanmoins, je souhaite que la France se retire de l'Otan et recouvre sa pleine indépendance. L'indépendance ne signifie pas l'isolement. En quittant le carcan atlantiste, la France ne sera pas « isolée », mais « non alignée ». C'est la condition nécessaire pour redéployer notre action internationale. La France restera présente sur le continent européen et continuera à coopérer en matière de défense avec les pays partageant nos principes d'affirmation de la paix, de primauté du droit international et de l'intérêt général humain. Cette coopération ne se fera simplement plus dans le cadre de l'Otan, mais passera par des accords bilatéraux de sécurité et de défense.

Les conflictualités de tout type doivent être discutées et réglées avant de dégénérer en guerre. À rebours de l'enfermement diplomatique de clubs oligarchiques, symbolisé par le poids des G7, G20, OCDE, OMC et autre Banque mondiale, la France doit œuvrer au retour en force de l'ONU. Malgré ses imperfections, l'ONU reste la seule organisation universelle reconnaissant l'égalité entre États et entre peuples et donc la seule instance légitime pour œuvrer à la sécurité collective.

Notre pays dispose de frontières terrestres ou maritimes sur tous les continents. Il a vocation à renforcer ses coopérations avec les puissances d'Afrique, d'Asie, d'Amérique du Sud et d'Océanie. Ces dernières sont les voisins immédiats d'une France d'outre-mer qui demande à être prise en compte et constitue un formidable atout stratégique pour notre pays.

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Mes conclusions seront très différentes de celles de mon collègue.

Je commencerai par citer notre chef d'état-major des armées, le général Burkhard, qui déclarait, lors du Paris Defence and Strategy Forum, que : « la coalition produit les effets les plus puissants. » Face à la multiplication des périls, je suis convaincue que la France ne peut assumer seule sa défense. Ce n'est pas une offense que de dire ce que disent également l'amiral Vaujour, l'amiral Vandier et plusieurs officiers supérieurs.

Face aux menaces auxquelles est confronté notre pays et aux métamorphoses de la guerre, devenue multi-champs multi-milieux, face à un avenir géostratégique plus incertain que jamais, face à la nécessité de la masse qu'exige la guerre de haute intensité, la coalition et, en l'espèce, l'OTAN, constitue une garantie de sécurité incontournable, en démultipliant la puissance de nos armées sans remettre en cause notre indépendance.

C'est donc en investissant l'OTAN et en développant la « culture OTAN » dans notre pays que la France sera en mesure de défendre au mieux ses intérêts, y compris l'autonomie stratégique européenne à travers l'affirmation d'un véritable pilier européen de défense.

Cet investissement doit cependant s'inscrire dans le temps long et reposer sur une véritable stratégie aux objectifs précis.

Là est la première proposition que je fais. L'OTAN est, dans notre pays, un impensé stratégique. Certes, la Revue nationale stratégique aborde le sujet de la relation de la France à l'OTAN mais, nous l'avons dit, elle est clairement insuffisante et montre que, 15 ans après son retour dans le commandement militaire intégré, notre pays ne s'est toujours pas approprié l'Alliance, pas plus qu'il ne la considère comme un élément essentiel de sa politique de défense.

Il est donc essentiel de mettre par écrit quelle est notre vision de l'OTAN et quels sont nos objectifs au sein de l'Alliance, répondant ainsi aux questions laissées sans réponse par la RNS, tout en rompant avec l'ambiguïté de l'antienne de l'indépendance nationale. Il faut donner à l'OTAN toute la place qui doit être la sienne dans notre politique de défense et assumer que la défense de notre pays se fera, comme celle de tous nos alliés européens, en coalition.

Cette stratégie ne se contentera pas de rappeler nos lignes rouges, déjà bien connues de tous, ainsi que nos intérêts au sein de l'OTAN. Elle devra être positive, porter une vision et, finalement, montrer l'appropriation par la France de l'Alliance, qu'elle gagnerait à qualifier de « notre Alliance ».

Une telle stratégie contribuerait à mettre un terme aux doutes sur la sincérité de l'engagement de la France dans l'OTAN et, de ce fait, à la suspicion dont notre pays fait l'objet, renforçant ainsi son influence au sein de l'Alliance. Il faut donc que cette stratégie tienne compte des besoins de nos alliés et de la place essentielle qu'a l'OTAN dans leur politique de défense et, surtout, cesser de mettre systématiquement en avant l'autonomie stratégique européenne que notre pays évoque à tout propos, y compris lorsqu'il veut parler de l'OTAN. Elle est un fort irritant, voire un repoussoir et décrédibilise nos efforts pour promouvoir le potentiel européen. Pour convaincre ses alliés de s'engager sur la voie de l'autonomie stratégique européenne, notre pays doit en effet être convaincant dans son engagement dans l'OTAN, structure qui aujourd'hui incarne mieux que l'Union européenne la solidarité des Européens face à une menace existentielle telle que la Russie.

Une telle stratégie, si elle a une portée externe, a aussi une portée interne en ce qu'elle définira des objectifs assortis, le cas échéant, d'indicateurs à destination des acteurs français impliqués dans l'OTAN et, notamment, la DGA. Une telle stratégie aidera à leur coordination alors que les auditions ont montré qu'ils avaient tendance à fonctionner en silo.

La stratégie française de l'OTAN serait évidemment publique et devrait faire l'objet de publicité auprès de nos armées, de nos diplomates et plus largement de l'ensemble des ministères. La représentation nationale doit naturellement y être associée et cette stratégie pourrait utilement faire l'objet d'un débat à l'Assemblée nationale qui, par lui-même, contribuerait à renforcer la culture OTAN dans notre pays.

L'adoption de cette stratégie concourt, par elle-même, à renforcer la crédibilité de la France au sein de l'OTAN mais la France peut et doit aller plus loin. En effet, notre pays bénéficie aujourd'hui d'une forte crédibilité au sein de l'OTAN mais celle-ci est amoindrie par la suspicion persistante dont notre pays fait l'objet.

En outre, si notre pays se distingue par ses capacités militaires, celles-ci sont par nature précaires, dépendant de notre volonté de continuer à investir massivement dans la défense, mais également relatives, car appréciées en comparaison avec celles de nos alliés. Or ceux-ci se réarment plus rapidement que nous et acquièrent une masse qui nous fait défaut : la Pologne, qui consacre désormais 4% de son PIB à la défense, disposera, d'ici la fin de la décennie, de 1 000 chars lourds En comparaison, en 2030, notre pays ne pourra aligner que 160 chars Leclerc rénovés.

Certes, l'argent ne fait pas tout en matière de défense mais notre pays ne pourra tenir son rang ni au sein de l'OTAN, ni dans un contexte européen, s'il n'amplifie pas son effort de réarmement. S'il veut préserver sa crédibilité militaire à moyen terme, il devra envisager un effort supplémentaire pour atteindre les 3% du PIB à l'horizon 2030, effort qui servira également à renforcer le soutien de notre pays à l'Ukraine.

La crédibilité de notre pays dans l'OTAN bénéficierait également d'une implication accrue dans les organes et activités de l'Alliance. Compte tenu de ses moyens, de la qualité reconnue de ses armées et des attentes qu'elle suscite, la France ne peut se contenter d'une place réduite pour ses officiers dans les institutions et de ses armées dans les exercices et les opérations de l'OTAN. On pourrait imaginer, par exemple, un renforcement de nos effectifs en Roumanie ou en Estonie ou la décision d'être une deuxième fois nation-cadre mais dans un autre environnement tel le cyber.

Enfin, je m'interroge sur l'intégration de notre pays dans le groupe des plans nucléaires (en anglais, NPG), qui parachèverait le retour de la France dans l'OTAN et constituerait, en lui-même, un « choc de confiance » à l'égard de nos alliés. Rappelons que le NPG est une instance politique de planification et non pas de décision, dans laquelle ni la posture nucléaire, ni la doctrine nucléaire ne sont remises en question. Ni les États-Unis, ni le Royaume Uni ne se font dicter leur doctrine par le NPG. La meilleure preuve en est que les États-Unis conservent le contrôle total de leur dissuasion nucléaire et le pouvoir de décision finale sur leur emploi éventuel alors même qu'ils font partie du NPG et que leurs bombes H aéroportées B61 se trouvent sur le territoire de certains de leurs alliés. Personne ne peut raisonnablement soutenir que les États-Unis ne sont pas indépendants en matière de dissuasion nucléaire.

Ne pas être dans le NPG n'apporte aucun bénéfice mais a un coût politique fort. Je suis absoliment convaincue que la France y aurait toute sa place et que notre singularité française n'y serait absolument pas remise en question. Cela ne changerait en rien ni notre posture nucléaire, ni notre souveraineté mais contribuerait tout à la fois à la réassurance de nos alliés et à une meilleure compréhension de la grammaire de la dissuasion française très largement méconnue de nos alliés. Cette conviction est d'ailleurs renforcée par les récents débats qui se sont tenus en France sur la dimension européenne de notre dissuasion.

Si l'OTAN est aujourd'hui essentielle pour la France et ses alliés, il n'en reste pas moins qu'elle fait face à deux facteurs, l'un conjoncturel, l'autre structurel, susceptibles de l'affaiblir considérablement, en ce qu'ils concernent l'implication du primus inter pares américain, lequel est, qu'on le veuille ou non, la clé de voûte de la crédibilité militaire de l'Alliance.

Le premier facteur, structurel, est le pivotement des intérêts stratégiques américains vers l'Asie. Entamé sous la présidence de Barack Obama, il n'a été remis en cause par aucun de ses successeurs. La première priorité des États-Unis sur la scène internationale est de contrecarrer les ambitions chinoises et de préserver leur suprématie mondiale.

Le deuxième facteur, conjoncturel, est la perspective d'un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Si la présidence Biden a permis de renouer des liens transatlantiques vivement secoués par son prédécesseur, la réélection de ce dernier augurerait de nouveaux tumultes comme ceux que l'Alliance a connus entre 2017 et 2020.

Si cette hypothèse d'un affaiblissement de l'implication américaine en Europe devait se réaliser, prenant la forme ou pas d'un retrait de l'OTAN, notre pays, qui est la première puissance militaire du continent et seul membre de l'Union européenne possédant l'arme nucléaire, se retrouverait en première ligne et devrait alors assumer ses responsabilités vis-à-vis de ses alliés européens.

Comme l'a souligné un haut responsable français en charge de l'OTAN, « les membres de l'Alliance voient la dégradation de leur environnement stratégique et les incertitudes venant des États-Unis. Ils ont pris conscience que le renforcement de l'Europe de la défense est une solution [même s'il] n'y aucune volonté de sortir de l'OTAN ».

Il est donc dans l'intérêt de la France, dès aujourd'hui, de travailler à construire ce fameux « pilier européen » de l'OTAN dont on parle depuis presque vingt ans, en commençant par le définir dans la stratégie dont la France se sera dotée. Mais quelle que soit la forme de ce pilier européen, la défense du continent européen sera d'autant plus efficace que les Européens seront plus forts dans l'OTAN, ce qui passe non seulement par une augmentation de leurs dépenses de défense mais aussi par une exigence d'interopérabilité entre armées européennes qui ne se définit, qu'on le veuille ou non, qu'au sein de l'OTAN et cela quelle que soit l'implication future des États-Unis.

C'est donc au sein et à partir de l'OTAN que se construit l'autonomie stratégique européenne. Qu'on le veuille ou non, l'OTAN est aujourd'hui l'enceinte de l'autonomie stratégique européenne. S'y montrer loyal, crédible, constructif et solidaire est une étape sur le long chemin de l'autonomie stratégique européenne. Renforcer le pilier européen, qui est l'un de ces objectifs intermédiaires, pourrait faire consensus entre les alliés européens mais également rallier les Américains, d'autant plus faciles à convaincre que cette autonomie leur permettrait de concentrer leurs efforts sur la Chine. Seule la France peut, de manière crédible, promouvoir ce pilier européen et sera d'autant plus crédible à le faire qu'elle aura démontré son engagement accru et sincère dans l'OTAN.

En dernier lieu, je voudrais insister sur le fait qu'aucun des objectifs que j'ai évoqués pour notre pays ne pourra être atteint sans un renforcement majeur de la « culture de l'OTAN » en France, chez nos élites politiques et militaires, d'une part, mais également dans la population française. Cette « culture de l'OTAN » devrait être un objectif en tant que tel de la stratégie française et, dans un contexte de renforcement de l'OTAN, promouvoir le rôle et l'influence de la France au sein de l'organisation devenir aussi une priorité pour notre diplomatie

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Merci à vous pour cette présentation très complète et sans concession qui nous éclaire grandement sur la singularité de notre pays, ses conséquences, qui ne sont pas toutes positives, mais également tous les enjeux de l'OTAN, de l'impact des normes sur notre BITD à la place de la Chine. Je tiens à vous remercier pour la manière dont vous avez traité vos divergences et pour l'esprit dans lequel vous avez travaillé.

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Monsieur le vice-président, madame et monsieur les co-rapporteurs, je tiens d'abord à souligner le sérieux et la rigueur de vos travaux, malgré les divergences de vos conclusions.

Monsieur le co-rapporteur, vous affirmez que la France n'a « rien gagné » en réintégrant le commandement militaire intégré et qu'elle aurait même perdu en crédibilité, suggérant qu'elle ferait bien de s'en retirer. Je ne partage pas cet avis.

Être partie intégrante du commandement militaire confère à la France l'influence qu'elle mérite, sans restreindre notre politique nationale. Je rappelle que, fort de sa dissuasion nucléaire autonome, notre pays agit sous l'autorité exclusive du Président de la République. En janvier dernier, lors d'une visite d'État en Suède, Emmanuel Macron a célébré l'adhésion de ce pays à notre alliance et souligné notre aspiration commune à l'autonomie stratégique. Comme le démontre madame la co-rapporteure, nous devrions plutôt renforcer le pilier européen de l'Otan, qui constitue le meilleur moyen de créer un véritable choc de confiance avec nos partenaires.

Les contradictions des discours de Jean-Luc Mélenchon, qui appelle globalement à quitter une alliance qualifiée de « va-t-en-guerre », sont pour le moins surprenantes. La décision de quitter l'Otan occasionnerait une augmentation significative de notre budget de défense. Envisager un retour de la conscription, par exemple, impliquerait de mobiliser la jeunesse, alors que susciter les vocations devrait être la priorité. Quelle pourrait être une dissuasion nucléaire lorsque vous préconisez le désarmement ? Quel modèle alternatif à l'Otan proposez-vous, monsieur le co-rapporteur, pour éviter que la France ne devienne un nain géopolitique ? Peut-être allez-vous nous suggérer de rejoindre l'Alliance bolivarienne ?

Madame la co-rapporteure, comment la promotion d'une culture Otan peut-elle renforcer la voie de l'Alliance afin de contrer les narratifs empruntés au Kremlin et améliorer la compréhension des valeurs communes ?

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En réponse sur la dissuasion, arrêtons de manier des contre-vérités. Vous évoquez le programme présidentiel de Jean-Luc Mélenchon. La France Insoumise est en faveur d'un désarmement « multilatéral ». Tout est dans le terme. La France n'est pas la nation qui possède le plus de têtes nucléaires. Quand les États-Unis, la Russie et la Chine auront désarmé au même niveau que nous, nous pourrons commencer à détruire les nôtres. L'enjeu est de mettre en place un processus multilatéral pour conduire au désarmement d'un monde que nous voulons sans armes nucléaires.

En attendant, nous sommes favorables à ce que la dissuasion nucléaire demeure française et autonome, contrairement à ce que propose ma co-rapporteure qui souhaite l'intégrer dans le Nuclear Planning Group (NPG). Intégrer le NPG, c'est mutualiser la dissuasion et c'est aller encore plus loin que le président Macron qui évoquait notre « responsabilité » vis-à-vis de nos partenaires européens en matière de défense nucléaire. Aucun président français n'avait jamais évoqué une « responsabilité » par le passé. Dire que nos intérêts vitaux peuvent s'étendre à un espace européen était une chose, dire que nous avons une responsabilité en est une autre. Le président polonais l'a d'ailleurs bien compris et a immédiatement proposé de partager la dissuasion avec les Français. Il y a là une contradiction que vous ne souhaitez pas assumer. Dites clairement que vous êtes pour le partage de la dissuasion nucléaire, mais ne prétendez pas être pour une dissuasion autonome tout en rejoignant le NPG, ou en partageant notre dissuasion avec d'autres pays européens.

J'ai proposé un modèle alternatif d'accords bilatéraux avec les nations partageant notre vision de la paix et de l'intérêt général humain. Nous avons aujourd'hui des accords bilatéraux avec la Grèce. Nous pourrions nouer des accords bilatéraux avec le Royaume-Uni, la Chine dans certains domaines et les États-Unis dans d'autres.

Il s'agit de rester une nation indépendante et non alignée. Si cela nécessite d'augmenter le budget de la défense, nous le ferons, bien entendu. Cependant et contrairement à vous, nous ne supprimerons pas les impôts des plus riches et nous ne plongerons pas le pays dans un déficit abyssal. Nous saurons trouver les fonds nécessaires pour financer des écoles et des hôpitaux qui fonctionnent, tout en garantissant à la France son rang dans le monde.

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Je tiens à souligner que les pays membres de l'OTAN qui abritent des armes nucléaires américaines ne décident pas eux-mêmes de l'utilisation de celles-ci, dont les Américains conservent l'entier contrôle.

Plusieurs pays se sont inquiétés de savoir si cette garantie serait toujours assurée et se sont tournés vers nous pour obtenir des réponses. Lors de la conférence de sécurité de Munich, des journalistes allemands m'ont interrogée sur la dimension européenne de notre dissuasion nucléaire. Il est crucial de rappeler que seul le Président de la République française a le contrôle de la dissuasion nucléaire française et que cela ne changera jamais.

Pour mieux faire comprendre notre position, nous avons organisé des visites de nos sites de dissuasion nucléaire avec nos alliés de l'Otan. Il est important de diffuser cette culture et cette grammaire nucléaire française pour qu'elle soit mieux comprise et rejoindre le NPG peut y contribuer. L'objectif est de faire comprendre ce que nous proposons pour rester maîtres d'une dissuasion qu'il n'est pas question de remettre en cause.

Concernant la culture de l'Otan, le rapport formule plusieurs propositions. L'OTAN utilise divers outils, comme des podcasts en différentes langues, y compris en français, pour expliquer le fonctionnement de l'Alliance, les moyens dont elle dispose et les opérations qu'elle mène. Nous, Français, pourrions également diffuser ce genre de contenus. La secrétaire générale adjointe française est en charge de la diplomatie publique.

Nous pourrions nous appuyer sur les correspondants défense des différentes collectivités territoriales, qui pourraient disposer d'un kit Otan pour expliquer en quoi cela consiste. Il importe vraiment, a fortiori dans le contexte actuel, de comprendre comment s'organise la défense de la France, ce que l'Otan peut lui apporter et ce que nous apportons à l'Otan.

Je voudrais également souligner le rôle très important de l'Assemblée parlementaire de l'Otan. Elle nous permet de diffuser la position française, une position perçue comme singulière, mais parfois dérangeante, qu'il faut justifier. Je déplore personnellement que les moyens alloués à cette assemblée soient tout à fait insuffisants. Il est frappant de constater que lors de nos différents déplacements, les délégations d'autres pays membres de l'Alliance, comme la Grèce, la Turquie ou l'Italie, sont souvent très nombreuses. Comparativement, la France apparaît comme le parent pauvre de ces réunions, ce qui est très regrettable. Par exemple, à mon arrivée, j'apprenais que seuls les titulaires pouvaient s'y rendre. J'ai mis fin à cette politique inacceptable en ouvrant cette possibilité aux suppléants. Nous ne pouvons pas valablement imaginer qu'une politique de la chaise vide augmenterait notre influence au sein de l'Assemblée parlementaire de l'Otan, qui est un outil utile et au sein duquel notre présence doit être renforcée.

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Je tiens à vous féliciter pour le travail réalisé dans le cadre de ce rapport. Bien que nous ne partagions pas la même vision du rôle de la France dans l'Otan, je me dois de souligner votre implication et votre excellente connaissance du dossier.

Je souhaitais centrer mon propos sur la rupture charnière que constitue la réintégration de la France dans le commandement intégré de l'Alliance en 2009, l'impact sur le rôle de la France, l'organisation de ses armées et sa diplomatie.

Aux yeux de mon groupe, la décision de Nicolas Sarkozy constitue une faute. Ce retour au sein du commandement intégré n'a, en effet, rien apporté à la France. Nous ne sommes pas plus respectés de nos alliés qu'auparavant. En 2020, après l'incident impliquant la frégate Courbet en Méditerranée, aucune condamnation de l'attitude d'Ankara n'a émané de Washington. Je ne reviendrai pas sur l'attitude de nos alliés, américains et britanniques, que l'Alliance AUKUS (Australia, United Kingdom, United States) illustre bien. Notre pleine intégration au commandement militaire intégré ne les a pas empêchés d'agir contre nos intérêts dans le Pacifique. Elle a cependant accru notre dépendance aux États-Unis, quels que soient le président et le parti au pouvoir. Pour reprendre l'expression de notre collègue Thiériot, nous dépendons toujours un peu plus du vote de swing states américains.

Au sein du Groupe Rassemblement National, notre ligne est claire et rappelée par sa présidente, Marine Le Pen. Nous ne remettons pas en cause notre appartenance à l'OTAN comme gage de sécurité dans un monde de plus en plus instable et conflictuel, mais nous tenons à la voix singulière de la France. Nous refusons que nos armées soient de plus en plus influencées par le fonctionnement otanien, alors que la France, présente sur tous les océans, a en réalité une vocation mondiale et non uniquement atlantiste. La France doit donc disposer, comme elle l'entend, de ses forces armées pour assurer partout sa souveraineté.

C'est pourquoi, le moment venu, nous sortirons du commandement intégré afin d'assurer notre souveraineté, tout en restant fidèles à nos alliés dans un monde dangereux.

Dans ce contexte, chers collègues, votre double regard m'intéresse pour mieux cerner les impacts sur nos armées du retour au sein du commandement intégré. Pouvez-vous nous dire si ce retour a également impacté notre diplomatie ?

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Vos positions semblent très différentes de celles, récentes, de votre tête de liste aux Européennes. Je puis vous assurer, sur la base des auditions que nous avons menées, que le retour dans le commandement intégré a accru notre influence en nous permettant de participer à l'élaboration des plans et des normes.

Avant de réintégrer le commandement intégré, les plans étaient souvent définis par les Américains et depuis notre retour, c'est exactement l'inverse qui se produit. Notre voix est écoutée et respectée, ce que nous ont confirmé le Pentagone et le département d'État. Le commandant suprême Transformation, qui prépare l'avenir de l'Alliance, nous a également assuré que la voix de la France, ses méthodes, son raisonnement et sa réflexion étaient désormais pris en compte.

Notre diplomatie mène aussi ce travail, malgré une représentation permanente sous-staffée. La France a toujours eu une voix singulière, mais elle est davantage écoutée depuis son retour dans le commandement intégré. Nous ne parlons plus dans le vide. Je donne encore deux exemples. Face à la tendance américaine de multiplier les dépenses, nous sommes régulièrement entendus et suivis sur des aspects de rigueur budgétaires. De la même manière, nous avons défendu avec succès une vision 360 degrés de la défense, plutôt que de se concentrer uniquement sur le flanc Est.

La France conserve sa voix singulière. Nous ne sommes aucunement soumis aux diktats américains, qui restent avant tout des alliés et il ne faut pas l'oublier.

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Pour ma part, j'inviterais l'extrême droite à davantage de clarté. Nous faut-il plutôt considérer le programme présidentiel de Marine Le Pen qui, deux mois après le début de la guerre en Ukraine, demandait de sortir immédiatement du commandement intégré de l'Otan, ou celui de M. Bardella qui, pour les élections européennes, nous informe qu'il ne sortira pas du commandement intégré tant que la guerre en Ukraine se poursuivra ?

Vous nous interrogez sur les apports du retour dans le commandement intégré et je vous répondrai de manière très différente de Mme la rapporteure en vous disant : « aucun ». L'OTAN est une alliance politique et militaire. L'essentiel des décisions se prend dans l'arène politique. La France avait quitté le commandement intégré, soit le volet militaire de l'Alliance, mais pas ses instances politiques. Nous avons toujours siégé au Conseil de l'Atlantique Nord et disposé du même droit de veto que n'importe quel membre intégré.

Concernant le budget, nous aurions parfaitement pu bloquer des augmentations du budget sans être membres du commandement intégré. L'intégration dans le commandement militaire nous a concrètement apporté une présence dans les instances militaires, de sorte à pouvoir discuter des normes techniques du matériel. Aujourd'hui, nous n'avons pas forcément les moyens d'être présents à tous les comités tant il y a de décision et de normes à suivre.

Nous sommes souvent les seuls à dire non, sauf les Turcs de temps en temps et pas toujours pour de bonnes raisons. Nous ne pouvons pas dire non en permanence, si bien qu'il nous faut choisir nos combats. La question est de savoir si ce que nous gagnons est supérieur à ce que nous perdons. Aujourd'hui, la seule chose que nous gagnons dans l'OTAN, c'est d'essayer de faire respecter nos lignes rouges et en contrepartie, nous perdons beaucoup d'autres choses. Je réitère ici mon alerte sur la question des hélicoptères.

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Un autre exemple de ce que nous a permis le retour dans le commandement intégré est notre capacité à être une nation-cadre déployée en Roumanie. Sans ce retour, nous n'aurions pas pu accomplir cette mission saluée par tous.

À l'échelon européen, seules les armées françaises ont été capables de réaliser un tel déploiement en quelques jours en Roumanie. Nous sommes attendus sur ce type d'initiatives et il aurait été incompréhensible que la France ne le fasse pas.

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Monsieur le président, madame et monsieur le rapporteur, je crois que les observateurs resteront quelque peu perplexes face à de telles divergences dans des conclusions se basant sur des constats majoritairement partagés.

Madame la rapporteure, en tant que membre de la majorité, vous exprimez-vous en accord avec le Gouvernement ? Ces éléments que vous présentez comme des hypothèses sont-ils de nature à changer la politique du Gouvernement ? Le Gouvernement est-il à l'origine de l'idée de rejoindre le NPG au plus vite ?

Ce qui me semble ressortir de vos propos, c'est qu'en dehors de l'OTAN, il n'y aurait point d'Europe. Jusqu'à présent, la thèse courante consistait à nous expliquer que l'OTAN allait faire naître une option européenne. On comprend bien qu'en réalité, il n'en est rien, pour une raison simple, bien documentée et théorisée notamment par les États-Unis. L'Europe, y compris dans un volet de défense éventuel, est un instrument au service de l'hégémonie américaine et doit être placée sous leadership allemand. Cela avait été théorisé de façon extrêmement limpide et claire par Zbigniew Brzeziński dans Le grand échiquier. Il me semble donc inapproprié de conclure qu'il faudrait plus d'OTAN pour parvenir à plus d'Europe. Les choses ne sont pas liées de cette façon ou en tout cas, cela me paraît persévérer dans l'erreur.

Par ailleurs, à quoi sert réellement l'Assemblée parlementaire de l'OTAN ? Pour y siéger à vos côtés, j'ai bien l'impression que les décisions sont prises bien en amont.

Enfin, où en sommes-nous de la question des normes techniques en matière de liaison de données ? C'est évidemment le nerf de la guerre et quand les États-Unis auront mis la main sur ces liaisons, une fois encore, il ne nous restera plus qu'une boîte noire. De la même façon, les britanniques sont particulièrement dépendants des États-Unis sur de nombreux sujets et notamment sur ceux relatifs à la dissuasion.

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Je tiens déjà à vous rappeler que, conformément au principe de séparation des pouvoirs, j'interviens aujourd'hui en tant que parlementaire et non comme porte-parole du gouvernement.

Concernant les NPG (Nuclear Planning Group), j'assume pleinement ma position et je n'ai aucunement repris de propos du Président de la République sur ce sujet. Actuellement, la France est le seul pays membre de l'Alliance à ne pas participer aux NPG et nous avons tout à y perdre. Pour être compris et entendu et pour que la dimension européenne de notre dissuasion nucléaire soit reconnue, il me semble important de participer à cette instance.

En outre, je ne disais pas qu'il n'y aurait pas d'Europe en dehors de l'OTAN. Dans le contexte géostratégique actuel, le développement d'un pilier européen au sein de l'OTAN est une étape indispensable pour atteindre une autonomie stratégique européenne. L'Europe est essentielle et représente une opportunité pour l'OTAN, tout comme l'OTAN est une opportunité pour l'Europe.

Enfin, l'Assemblée parlementaire de l'OTAN n'a pas de rôle décisionnel, mais un rôle de relais. Elle fait partie de cette culture otanienne où nous relayons les positions des uns et des autres et souvent très américaines. Mon rôle n'est pas de les défendre, mais de les expliquer et de remonter les positions françaises. Ce dialogue est essentiel pour comprendre ce que disent nos homologues européens. Plus nous dialoguons entre alliés, mieux nous nous comprenons, ce qui renforce la solidité et la cohérence européenne.

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En réponse sur la Liaison 16 (L16), qui est une liaison de données cryptées permettant aux différents équipements interopérables de l'Alliance de partager des informations, la France avait négocié la possibilité de produire ses propres clés de cryptage. C'est une compétence que nous avons perdue et aujourd'hui, ce sont les États-Unis qui génèrent les clés de cryptage L16 utilisées en France. Ce système est en voie d'obsolescence. Une discussion est en cours au sein de l'Otan pour la future L16. La DGA nous a assuré qu'elle serait très soucieuse de ne pas se retrouver dans une boîte noire américaine.

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Monsieur le président, madame et monsieur les rapporteurs, compte tenu de la gravité du sujet de ce jour, qui oriente l'ensemble de notre politique de défense, je souhaite faire un propos liminaire suivi d'une série de questions.

Notre parti, celui du général de Gaulle, sait faire preuve d'indépendance et a toujours considéré l'importance de ne pas se tromper d'adversaire lorsque les intérêts vitaux de la nation étaient en jeu. Lorsque les communistes russes ont construit le mur de Berlin, le général de Gaulle ne s'est pas trompé en apportant un soutien total au Bloc atlantique. Lors de l'affaire des fusées de Cuba, il aurait dit à l'ambassadeur russe : « Monsieur l'ambassadeur, nous mourrons ensemble ». En d'autres termes, nous savons bien qui sont nos amis et nos alliés. Les Américains et les Allemands, bien que concurrents, sont avant tout nos alliés et nos amis et, en ces heures cruciales, nous ne devons pas l'oublier.

Monsieur le rapporteur, comment comptez-vous gérer la situation de la France, désormais seule, alors que la totalité des pays européens nous tournerait le dos dans le cas d'un retrait du commandement intégré de l'OTAN ? La plupart n'ont confiance que dans le parapluie américain. On peut le regretter, mais c'est une réalité. Rêver d'une sécurité collective sous la tutelle de l'ONU est utopique. Si nous suivons votre politique, nous perdrons toute influence en Europe.

Foch disait à propos de Napoléon : « Depuis que je mène la guerre en coalition, j'ai beaucoup moins d'admiration pour Napoléon qui commandait seul ». Comment défendre utilement l'Europe si chacun fait ses plans dans son coin ? D'un point de vue strictement militaire, sans l'outil de planification de l'OTAN, comment comptez-vous travailler efficacement avec des traités bilatéraux ?

Enfin, combien votre programme coûtera-t-il au pays ? Assumez-vous de dire aux Français qu'il faudra dépenser non pas 2 % du PIB, mais 3 ou 5 % et que cela impliquera des impôts supplémentaires ?

Parmi les personnes que vous avez auditionnées, combien ont exprimé la nécessité de sortir du commandement intégré ou même suggéré de quitter l'OTAN ?

Madame la rapporteure, j'aurais une question et une remarque. La nécessité de définir un pilier européen de l'OTAN paraît évidente. Notre doctrine manque encore de clarté. Ne pensez-vous pas opportun de créer, sur le modèle du secrétariat général aux affaires européennes (SGAE), un secrétariat général de l'OTAN (SG OTAN) ?

J'émettrais néanmoins une réserve concernant votre proposition de rejoindre le NPG. J'entends la notion d'enceinte, mais je crains que le fait d'y siéger puisse laisser entendre, y compris à l'extérieur, que notre dissuasion accepte la doctrine de la riposte graduée, ce qui n'est pas le cas. Cela pourrait envoyer un mauvais signal à nos adversaires potentiels, notamment la Russie, mais pas seulement.

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Monsieur Thiériot, vos questions sont aussi pertinentes que contradictoires.

Vous affirmez que la décision de quitter le commandement intégré de l'OTAN nous ferait perdre toute crédibilité auprès des Européens, qui ne croient qu'au parapluie américain. La France ne joue pourtant aucun rôle dans ce parapluie, qui repose sur le partage de la dissuasion nucléaire américaine au profit des pays européens. Je rappelle que, selon l'article 42 alinéa 7 du traité sur l'Union européenne, il existe une solidarité militaire entre les pays de l'Union européenne et que je n'ai jamais remis en cause cet article. Suggérez-vous cependant que ce traité, ratifié contre l'avis du peuple français lors du Congrès de Versailles, n'aurait aucune valeur et que personne n'y croirait vraiment ? Si tel est le cas, dites-le et proposez de changer les traités. Sinon, il y a une contradiction dans votre discours.

Aussi, je ne sais pas exactement ce que vous entendez par « l'outil de planification » que nous perdrions. Grâce à la LPM, nous sommes la seule nation européenne à nourrir une vision à long terme de notre outil de défense. Tous les autres pays européens dépendent de l'OTAN pour leur planification. Nous sommes donc capables de planifier et d'assurer notre défense nous-mêmes, ce qui nous distingue. Grâce à la dissuasion, nous pouvons défendre notre territoire de manière autonome et nous acceptons d'en payer le prix. Dire que nous ne sommes pas capables de défendre notre territoire reviendrait à reconnaître devant les contribuables qu'ils paient pour une dissuasion inutile. Je ne suis pas d'accord.

La dissuasion est efficace et doit continuer à être financée, car elle est essentielle à la défense de notre territoire. Nous savons également travailler avec des armées d'autres pays, comme l'Inde et de nombreux autres pays sur des exercices conjoints. Il faudra peut-être en mener davantage avec d'autres nations, ce dont nous sommes capables.

Quant aux questions budgétaires, ma collègue expliquait que, même dans le cadre de l'OTAN, il faudrait sûrement atteindre 3 % du PIB en 2030. Quitte à payer, autant être indépendant.

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Il me semble en effet nécessaire d'instaurer une mission de coordination, surtout en l'absence de stratégie claire. Plusieurs intervenants nous ont signalé que les décisions relatives à l'OTAN se prenaient en silo. Une coordination s'impose et un éventuel secrétaire général de l'OTAN pourrait tout à fait s'en charger.

Concernant le NPG, je comprends vos remarques, mais notre doctrine de stricte suffisance doit être mieux expliquée, car elle est très spécifique et ne correspond pas à celle de la riposte graduée. Il n'est pas question d'adopter une riposte graduée et cela doit se savoir davantage. Dans le contexte actuel et les inquiétudes européennes, nous avons intérêt à trouver des instances pour discuter de notre suffisance au sens strict. Faut-il élaborer un nouvel outil ou utiliser celui existant ? Il serait utile de confronter les deux doctrines pour voir en quoi elles diffèrent et peuvent se compléter.

Sur la capacité à nous défendre seul, je voudrais émettre des réserves. Nous avons la dissuasion nucléaire, certes, mais le conflit en Ukraine nous montre la pertinence des moyens conventionnels. Une dissuasion nucléaire efficace suppose également du renseignement. Nous avons investi 5 milliards d'euros supplémentaires, mais pour être totalement autonomes, il nous faudrait un renseignement indépendant, ce qui coûterait beaucoup plus cher. Sur le cyber, il est illusoire de penser que nous pourrons tout faire seuls. Le spatial est déjà européen et pas uniquement français, mais imaginer que nous pourrons maîtriser le spatial seuls est tout aussi illusoire. Les effectifs sont également un problème. Nos armées comptent aujourd'hui 200 000 personnes et une autonomie totale supposerait 600 000, voire 700 000 personnes. Comment recruter de tels effectifs alors que nous rencontrons déjà des difficultés à embaucher ? En triplant les soldes ? Je voudrais simplement savoir comment vous procéderiez et dans quelle structure vous le feriez, car je suis très réservée quant à la capacité de se défendre seul en permanence.

La dissuasion nucléaire est efficace, c'est notre ultime recours, mais avant de l'activer, nous devons considérer la situation actuelle. Il existe d'autres menaces potentielles contre lesquelles nous avons besoin de coalitions.

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L'OTAN est une famille qui s'est agrandie avec de nouveaux membres. Comme dans toute famille, il y a eu des moments de confiance, de moindre confiance, des enfants ingérables, capricieux et en conflit. Cette famille a essayé de s'adapter au monde et à son évolution particulièrement rapide et préoccupante.

Plus personne ne respecte les règles internationales. Monsieur Lachaud, vous souhaitez remettre l'ONU au centre des décisions, mais mon sentiment est que l'ONU n'est plus écoutée par grand monde et cette dégradation des relations internationales est très préoccupante. Nous vivons dans un monde scindé entre des grandes puissances coercitives et d'autres types de puissances. La France et l'Europe se retrouvent au milieu de ce monde très conflictuel et sans règle. Envisager une pleine indépendance pour la France aboutirait pour moi à un isolement complet. Quelques accords bilatéraux seraient insuffisants par rapport aux besoins de représentativité nécessaires pour être écoutés et respectés.

L'échelon européen est le seul qui peut nous protéger face à ces blocs qui ne nous veulent pas forcément du bien, y compris peut-être les États-Unis (qui ont leurs propres intérêts (pas toujours en accord avec les nôtres). Nous voyons bien la crainte exprimée concernant les élections américaines à venir.

Être seul me paraît un grand danger. À l'échelle européenne, nous retrouvons une sécurité. Comment gommer ce qui peut apparaître comme une fragilité de l'Otan auprès de nos concitoyens, souvent perçue comme une dépendance des États-Unis et de leurs intérêts ? Il faut que le bloc européen parle d'égal à égal avec ses alliés américains et que chacun soit respecté pour ce qu'il apporte et construit.

Madame la rapporteure, vous affirmiez que l'inclusion systématique de l'Union européenne dans nos débats nous affaiblissait. Permettez-moi d'exprimer une certaine réserve à ce sujet. Je pense crucial de construire notre stratégie européenne de défense et de la promouvoir au sein de l'Otan. Nous devons être respectés à l'échelle de l'Europe, un territoire pertinent pour défendre les intérêts de la France et ceux de tous les Européens. Il s'agit de protéger notre liberté et nos démocraties, ce qui est aujourd'hui particulièrement important.

Comment pouvons-nous établir un dialogue, une stratégie cohérente et consolidée ? Il est essentiel que chacun respecte les autres et que cette stratégie ne soit pas uniquement dictée par des intérêts industriels.

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En observant les discussions au sein de l'Assemblée parlementaire de l'Otan, je constate que la France a souvent tendance à vouloir être une élève modèle, parfaite, en reprenant tous les textes à la virgule près et en mentionnant systématiquement l'Union européenne. Bien que je comprenne la démarche, il arrive un moment où elle devient contre-productive et nous fait perdre de vue l'objectif de nos discussions ou résolutions. Il est crucial de soutenir l'affirmation de ce bloc européen au sein de l'OTAN, mais il faut choisir les combats pour lesquels nous insistons sur l'Europe. En l'absence de stratégie, on met de l'Europe partout, ce qui devient irritant et nous rend moins audibles. Il serait préférable de choisir nos combats et les moments précis où nous voulons que le concept « Europe » s'impose, en ligne avec la stratégie que nous aurons décidée.

Actuellement, nous faisons face à un blocage en raison de la situation entre la Turquie, membre de l'Otan, et Chypre, membre de l'Union européenne, ce qui entrave la coopération Union européenne - Otan. Lorsque la RNS suggère de renforcer celle-ci et, pour notre pays, d'en être moteur, cela pose un vrai problème, surtout que la France soutient la Grèce, ce qui complique encore notre position. Il est essentiel de trouver et de construire une initiative politique pour avancer sur ce sujet. Le débat est vaste, mais c'est un enjeu crucial pour une coopération Union européenne - OTAN totalement efficace.

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Pour ma part, je ne considère pas que l'OTAN soit une « famille » mais une alliance basée sur des choix. L'OTAN est composée de pays ayant leurs intérêts propres et engagés dans un rapport de force permanent, dont l'un dispose d'une force bien supérieure à celle des autres. Grâce à sa dissuasion nucléaire, la France occupe une position particulière et peut faire entendre sa voix. Le reste du temps, les autres pays se taisent et suivent les positions du primus inter pares.

Concernant l'ONU, je regrette également que personne ne l'écoute et nous devons nous interroger sur notre responsabilité à cet égard. En 2011, la Russie et la Chine avaient laissé passer une résolution permettant à la France, au Royaume-Uni et aux États-Unis de mettre en place une zone d'interdiction de survol en Libye. Ces trois pays ont cependant interprété cette résolution de manière extensive et entrepris de bombarder le pays. Ce choix a conduit à une délégitimation de l'ONU dont ces trois sont responsables. Oui, la Russie a envahi l'Ukraine, mais nous avons aussi contribué à dévaluer et à dévaloriser le rôle de l'ONU.

Sur la logique des blocs, nous devrions œuvrer à éviter cette dynamique. Nous prenons des décisions que nous estimons justes, comme les sanctions contre la Russie, mais il convient d'examiner les conséquences de ces sanctions, notamment sur l'économie européenne. Les sanctions ont conduit la Russie à renforcer ses liens avec la Chine et l'Inde, créant un bloc face au bloc occidental. À l'ONU, une minorité de la population mondiale a condamné l'invasion russe en Ukraine. Nous sommes donc pris dans une logique de blocs et notre présence au sein de l'OTAN la renforce, alors que sortir de l'OTAN nous permettrait de la contrer.

Pour être clair, bien qu'il s'agisse dans les deux cas d'une violation du droit international, il faut évidemment distinguer ce que nous avons fait en Libye de ce que la Russie a fait en Ukraine.

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Vingt-trois des États membres de l'Union européenne sont également membres de l'OTAN. La France a-t-elle développé une relation plus solide avec certains de ces États, ce qui lui permettrait de créer ou de maintenir un réseau de partenaires et d'alliés autour de ses positions ?

Il y a quelques mois, le gouvernement allemand avait envisagé le passage d'une Europe à trente ou trente-six membres et fait le choix de s'appuyer sur un armement non européen pour sa défense. En raison d'un possible retrait partiel ou total des États-Unis vis-à-vis de l'Europe, certains envisagent désormais que l'Union européenne joue un rôle plus important à l'avenir en matière de défense. Pensez-vous que la France anticipe correctement ces évolutions et a-t-elle établi une doctrine qui lui permettrait d'être proactive et de peser dans celle-ci ?

Je souhaiterais également rappeler que notre groupe défend l'idée d'un pilier européen au sein de l'OTAN mais également celle de sortir du pacte de stabilité européen afin de permettre d'engager les investissements significatifs que requiert une défense européenne.

Nous insistons également sur l'importance qu'un commissaire de plein exercice se charge des questions de sécurité et de défense à la Commission européenne, et sur la création d'une commission compétente sur la défense au Parlement européen. De tels outils permettraient de renforcer la position de la France et de l'Union européenne. Sans une Union européenne forte, nous ne pouvons pas avancer.

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Concernant nos relations renforcées au sein de l'OTAN, la France a déployé des troupes en Roumanie en tant que nation-cadre, ce qui a considérablement renforcé nos relations avec ce pays. Cela se ressent également au sein de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN où nous entretenons des relations privilégiées.

L'Estonie est un autre exemple. Nos déploiements dans ces pays ont vraiment amélioré la qualité de nos relations et ce sont des partenaires sur lesquels nous pouvons compter. Lors de mon séjour en Estonie, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec la Première ministre Kaja Kallas, qui attend beaucoup de la France. L'Estonie et d'autres pays comptent sur la France pour apporter une dimension européenne au sein de l'OTAN. Notre retour dans le commandement intégré de l'Otan a grandement contribué à renforcer ces relations.

Pour anticiper efficacement, il est crucial de comprendre les enjeux et de développer une stratégie claire et adaptée, ce que je propose justement de faire.

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Il est essentiel de comprendre que la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN est actuellement bloquée. Même si vous êtes favorable à un pilier européen au sein de l'Otan, ce pilier ne sera pas celui de l'Union européenne.

Concernant nos relations privilégiées avec certaines nations, il est crucial de garder raison. Les nations avec lesquelles nous avons les meilleures relations peuvent très bien nous dire que, si Trump revient au pouvoir et que les États-Unis menacent de se retirer de l'Otan, elles seront prêtes à payer le prix qu'il faut pour que les États-Unis se maintiennent en Europe. Ces nations n'accordent aucune importance au pilier européen et ne jurent que par le parapluie américain, même des nations plus proches de nous.

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Le commandement militaire intégré consomme énormément de ressources humaines. Les forces françaises, en plus de leurs besoins propres, ont de nombreux engagements en dehors de l'OTAN nécessitant des compétences similaires. Nos forces doivent également armer des États-majors en outre-mer, en Afrique, dans le golfe Persique ou encore au sein des structures politico-militaires de l'Union européenne. Nous faisons face à un dilemme constant. Pour produire une influence doctrinale, encore faut-il en avoir la capacité.

Dans la conjoncture actuelle, nous avons besoin de relais français dans les structures otaniennes, mais ces relais sont consommateurs en ressources humaines et créent des vides ailleurs. Comment concilier nos besoins nationaux, nécessairement prioritaires, tout en armant suffisamment les postes otaniens pour y développer une capacité d'influence suffisante à la prise en compte de nos intérêts stratégiques ?

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Lors de la réintégration de la France dans le commandement intégré de l'Otan, j'ai consulté les archives pour réexaminer les positions de chacun en 2009. Jean-Luc Mélenchon, à gauche, s'était opposé à cette réintégration et prônait même une sortie progressive de l'organisation. François Bayrou, au centre, déclarait que cette réintégration signifiait l'abandon d'un élément de notre identité nationale et de notre indépendance, allant jusqu'à parler de défaite pour la France et pour l'Europe. Dominique de Villepin, à droite, qualifiait cette décision de « faute », affirmant que la France se plaçait sous la domination d'un autre pays. Il ajoutait que la crise irakienne lui avait appris la difficulté de résister aux pressions américaines, surtout lorsqu'il s'agit de sécurité.

Quinze ans plus tard, je pose deux questions. Premièrement, la réintégration du commandement intégré de l'OTAN par la France en 2009 était censée rendre les industries françaises de l'armement plus profitables. Cela s'est-il confirmé ? Deuxièmement, le Président de la République évoque souvent ce concept de l'autonomie stratégique européenne, surtout en période d'élections européennes. Une autonomie stratégique européenne, fondée sur une défense commune entre Européens, est-elle compatible avec l'OTAN, qui regroupe Européens, Nord-Américains et Turcs ? Est-il vraiment possible de cumuler deux alliances militaires aux intérêts potentiellement divergents ?

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Monsieur Lachaud, mon collègue de Renaissance vous a interrogé sur l'alternative proposée par votre parti, notamment sur l'idée de rejoindre l'alliance bolivarienne ou d'autres alliances avec des États autoritaires. Je voulais savoir dans quel but ces propositions ont été faites. Vous semblez ne plus assumer cette position. Est-ce que cela signifie que vous vous désolidarisez des propositions de Jean-Luc Mélenchon ?

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Je suis prêt à répondre à toutes les questions, à condition qu'elles soient factuelles et véridiques. Je vous invite à reprendre le programme de 2022 de Jean-Luc Mélenchon et à me retrouver la citation que vous lui prêtez. Alors, je pourrai vous répondre.

Ce que vous avez peut-être lu, c'est qu'en 2017, nous proposions que la France, dont les territoires ultramarins sont présents dans tous les océans, puisse rejoindre les différentes organisations régionales implantées dans ces territoires. C'est ce que nous avons fait en Nouvelle-Calédonie. La Guyane doit aussi pouvoir rejoindre les différentes organisations régionales existantes. Voilà tout. La France doit pouvoir agir dans les instances régionales appropriées pour que les territoires ultramarins puissent discuter avec leurs voisins et les pays limitrophes. Il ne s'agit absolument pas d'une alliance militaire. Soyons clairs là-dessus.

L'alternative à l'Otan, ce sont des accords bilatéraux, des alliances bilatérales sur des points et des projets précis, comme nous le faisons déjà avec de nombreux pays.

Concernant les industries, ma réponse est clairement négative. Nous avons demandé à la DGA si elle avait tenu un registre pour mesurer l'accroissement des ventes lié à la réintégration du commandement intégré, mais elle ne nous a fourni aucun document en ce sens, hormis le tableau des contrats OTAN de l'année 2023. Soit la DGA n'a pas les archives, soit elle ne nous les a pas fournies, soit il faut en déduire que les ventes sont vraiment dramatiquement faibles.

Ce qui est certain, c'est que nous ne vendons pas grand-chose aux pays membres de l'OTAN. Certaines exceptions confirment la règle : CaMo en Belgique et les Rafales (d'occasion) en Grèce.

Aujourd'hui, il est clair que les pays de l'OTAN ne sont pas les cibles de nos industriels. En effet, tous nos gros contrats sont conclus avec des pays hors OTAN. Cela démontre une véritable faillite et un échec, si tant est que l'ouverture de marchés pour nos entreprises fût réellement un objectif. Il suffit de voir ce qui a été concrètement poursuivi par les gouvernements successifs et si les moyens nécessaires ont été mis en place pour l'atteindre. Au vu de la diminution du nombre de représentants de la DGA au sein de la représentation permanente et au sein de l'OTAN, on peut légitimement se demander si c'était vraiment un objectif. L'État a-t-il réellement mis les moyens ? Pour moi, la réponse aux deux questions est négative.

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Notre absence du commandement intégré, de 1966 à 2009, nous a fait perdre une partie de la grammaire, du vocabulaire et de la compréhension des mécanismes otaniens. Pour bien préparer nos officiers à la réintégration, il aurait fallu qu'ils possèdent déjà ces éléments, ce qui n'était pas le cas. Le temps de préparation et de formation de nos ressources humaines est long. La loi de programmation militaire permettra de répondre aux enjeux auxquels nous faisons face, tant sur les théâtres otaniens qu'en dehors. Nous commençons à voir des progrès mais, pendant longtemps, le passage par l'Otan n'était pas valorisé au sein de nos armées.

Cette remarque vaut également pour notre industrie de défense. La perte de la grammaire otanienne a causé un retard significatif à notre BITD sur les sujets otaniens. Beaucoup de nos auditionnés nous ont indiqué que nous avions déjà perdu quarante ans et qu'il nous en faudrait sans doute quarante autres pour récupérer cette grammaire. Il est crucial de garder cela en tête, d'autant plus que la durée de vie des équipements est longue. Lorsqu'on fabrique un équipement, il n'est pas conçu pour un an, mais presque un demi-siècle.

Concernant la DGA, dans mes conclusions, je la qualifiais de « belle endormie ». « Belle », car nous avons là des compétences exceptionnelles, uniques, que très peu d'autres pays possèdent, avec des personnels à la fois militaires et ingénieurs. « Endormie », car je trouve qu'elles ne sont pas bien utilisées, on ne leur donne pas de feuille de route claire. D'ailleurs, les personnels de la DGA n'ont pas su répondre précisément à certaines de nos questions, ce qui se traduit par un certain flottement dans leur présence au sein de l'OTAN. Il est nécessaire de réveiller cette « belle endormie » pour qu'elle puisse retrouver toute son efficacité.

Je souhaite également aborder la notion d'alliance régionale. Je comprends qu'on puisse envisager de rejoindre des alliances régionales, mais alors, l'Otan en est une.

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Je vous propose de voter sur l'autorisation de publication de ce rapport.

En l'absence de votes contre et d'abstentions, la commission autorise la publication de ce rapport, qui contribuera ainsi à la culture de l'Otan que vous appelez de vos vœux.

La séance est levée à 13h05

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Pierrick Berteloot, M. Christophe Bex, M. Frédéric Boccaletti, M. Benoît Bordat, M. Vincent Bru, M. Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Geneviève Darrieussecq, M. Emmanuel Fernandes, Mme Anne Genetet, M. Frank Giletti, M. Christian Girard, M. José Gonzalez, M. Pierre Henriet, M. Jean-Michel Jacques, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Marietta Karamanli, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, Mme Anne Le Hénanff, Mme Gisèle Lelouis, Mme Murielle Lepvraud, Mme Jacqueline Maquet, M. Frédéric Mathieu, Mme Lysiane Métayer, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, M. François Piquemal, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Julien Rancoule, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Aurélien Saintoul, Mme Nathalie Serre, M. Philippe Sorez, M. Bruno Studer, M. Michaël Taverne, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Corinne Vignon

Excusés. – M. Julien Bayou, M. Mounir Belhamiti, M. Christophe Blanchet, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Jean-Marie Fiévet, M. Thomas Gassilloud, M. Olivier Marleix, Mme Valérie Rabault, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo