La troisième partie de notre rapport aborde les différents défis auxquels notre pays est confronté au sein de l'Otan.
Le premier défi est celui de l'interopérabilité.
Quel que soit notre avis sur le sujet, notre pays a fait le choix, rappelé par la RNS, d'une action de nos armées en coalition, choix cohérent avec nos décisions politiques et les missions qui sont assignées à nos armées, qui dépassent largement la défense du territoire national.
Ainsi, ayant fait le choix de l'OTAN et de lier son destin avec celui de ses alliés dans la défense collective du continent, en coalition donc, la France ne peut respecter son engagement qu'à la condition que ses armées soient interopérables avec celles de ses alliés, c'est-à-dire, qu'elles aient la capacité à agir conjointement et efficacement sur le terrain.
Or, cette interopérabilité, c'est justement l'objectif premier de l'OTAN puisque celle-ci n'a pas de troupes permanentes. Ses troupes, ce sont celles de ses membres qui doivent donc apprendre à agir ensemble de manière efficace sur le terrain.
L'OTAN est ainsi, pour reprendre une expression employée en audition le « creuset de l'interopérabilité », à la fois technique, opérationnelle, et doctrinale. L'ensemble de normes qu'élabore l'OTAN, de même que les dizaines d'exercices qui sont menés en commun chaque année ont ainsi pour but de permettre à 32 armées nationales différentes d'apprendre à se connaître, à parler le même langage et à être capable de combattre ensemble.
Toutefois, cette interopérabilité, pour nécessaire qu'elle soit au sein de l'OTAN, implique un certain nombre de risques pour notre pays, comme l'appartenance à l'OTAN elle-même d'une manière générale.
Le premier est un risque budgétaire. La transformation en cours de l'OTAN et sa montée en puissance, justifiées par l'agressivité russe, auront un impact budgétaire sensible pour la France. La Cour des comptes l'a évalué. La contribution française au budget militaire et d'investissement de l'OTAN, financée sur le programme 178, « passerait de 193 millions d'euros en 2022 à 770 millions d'euros en 2030, hors effet de l'inflation, soit une augmentation très significative qui ne pourra pas être gérée en ajustement annuel de la programmation militaire sans risque d'effet d'éviction ». Il y a là un risque majeur pour l'exécution de la LPM auquel nous devrons être attentif.
Le deuxième risque est le risque des normes pour notre BITD. Comme nous l'avons vu, les normes peuvent avoir un impact majeur sur le destin commercial d'un matériel et malgré toute la vigilance dont fait preuve notre RP, il ne peut être exclu que, suite à un compromis, une norme puisse nous être défavorable. Un des enjeux majeurs pour notre pays est la future définition des besoins de l'OTAN en matière d'hélicoptères, « les États-Unis faisant pression pour des hélicoptères à long rayon d'action, capables d'être utilisés en Indopacifique » selon l'une des personnalités auditionnées à Bruxelles. S'il devait être retenu, un tel besoin irait à l'opposé des intérêts français, matérialisés par le projet EU Next Generation Rotorcraft Technologies Project (ENGRT), coordonné par Airbus Helicopters.
Ces normes sont dictées par l'exigence d'interopérabilité. Toutefois, si toute la difficulté de l'interopérabilité est de faire interagir des matériels différents, elle devient bien plus simple dès lors qu'un même matériel est utilisé par plusieurs, sinon la majorité des pays de l'OTAN. La tentation est donc grande de résoudre la question de l'interopérabilité par l'achat d'un même matériel, évidemment américain compte tenu de la prédominance politique, doctrinale et militaire des États-Unis au sein de l'OTAN. Comme disait Mme Florence Parly, l'article 5 tend à devenir l'article F-35.
Enfin, l'interopérabilité présente un dernier risque pour notre BITD. Parce qu'agir en coalition implique la mise en commun des capacités, la tentation existe que, certains de nos alliés ayant les capacités qui nous manquent, la France décide de renoncer à acquérir certaines d'entre elles ou, à plus long terme, renonce à les renouveler.
Il faut parler maintenant du risque RH que représente notre engagement dans l'OTAN. Le retour de la France dans le commandement intégré, en 2009, a eu pour conséquence l'accroissement considérable du nombre d'officiers français détachés dans l'OTAN. Si l'influence de notre pays au sein de l'Alliance a profité de cette présence renforcée, celle-ci n'en a pas moins mis une pression supplémentaire sur nos armées, visible au fait que nous remplissons bien moins que nos alliés notre quota d'officiers. De même, notre représentation permanente, véritable tour de contrôle de l'action de la France, souffre d'un sous-effectif flagrant : moitié moins de personnel que l'Allemagne. Un autre point problématique, souligné par la Cour des comptes, est la présence des ingénieurs de l'Armement ; en 2011, 35 ingénieurs de l'armement travaillaient au sein de l'OTAN et de la RP ; en 2022, ils n'étaient que 19, soit quasiment moitié moins, dont 5 seulement à la RP.
Ces risques et la réponse que leur apporte le gouvernement questionne l'ambition de notre pays, affirmée par la RNS, d'être un « allié exemplaire au sein de l'espace euro-atlantique ». En effet, la France est-elle un allié exemplaire si elle ne fournit pas à l'OTAN les ressources dont elle a besoin ? L'est-elle encore si elle seule élève la voix pour contester les velléités de dépenser toujours plus en commun, alors que l'ensemble des autres Alliés l'estiment nécessaire compte tenu de la crainte d'une agression russe ? Enfin, n'y a-t-il pas une tension manifeste entre l'exemplarité revendiquée, qui commanderait d'aller toujours plus loin dans l'interopérabilité, objet même de l'OTAN, et la préservation de nos intérêts, notamment industriels, que celle-ci menace ? En d'autres termes, l'un des défis majeurs de la France au sein de l'OTAN sera la conciliation entre cette volonté d'exemplarité et la nécessaire défense des intérêts nationaux