La conjonction de notre singularité et de ces atouts humains donne à notre pays la capacité à défendre ses intérêts même si, dans une organisation internationale qui fonctionne par consensus, comme l'a rappelé le représentant permanent militaire de la France au sein de l'OTAN, le général Goisque, « on ne peut pas s'opposer sur tout ni avoir gain de cause sur tout ». Appartenir à l'Alliance impose donc de faire des compromis.
Toutefois, ce que les auditions nous ont appris, c‘est qu'il est bien plus simple d'agir en amont, lorsque les discussions sont encore au stade technique, qu'une fois la position formalisée et transmise à l'échelon politique. Il est en effet bien plus facile d'orienter un plan, une opération ou un exercice, un document stratégique, une norme technique ou le cahier des charges d'un marché dans un sens favorable à nos intérêts ou de « tuer dans l'œuf » une idée qui leur serait contraire lorsqu'ils sont en cours d'élaboration. Or, pour ce faire, il est nécessaire d'être partie à la discussion et donc d'être présent là où elle se fait : au Secrétariat international et dans les grands commandements militaires, comités et agences de l'OTAN. Toutefois, il est à noter que les moyens considérables des États-Unis leur permettent d'être présents à tous les niveaux de l'Alliance, et il est déraisonnable d'envisager qu'un autre membre, pas même la France, puisse les égaler.
En renforçant notre présence au sein de l'Alliance, en permettant à des Français d'accéder à des postes dont ils étaient auparavant exclus, le retour dans le commandement intégré a renforcé notre capacité à influencer sur les décisions – en particulier techniques – de l'OTAN. Les auditions ont donné quelques exemples de cette influence pour notre BITD.
Comme l'a souligné le représentant de la DGA – je cite : « l'OTAN est avant tout une « machine » à produire des standards, lesquels sont nécessaires pour assurer l'interopérabilité des différentes armées et matériels. L'OTAN définit aussi, via le NDPP, les cibles capacitaires de chacun des membres de l'Alliance – leurs besoins – lesquels sont ensuite déclinés en besoin militaire, qui peuvent être satisfaits par des achats sur étagères ou des programmes de développement. Dans les deux cas, les États se tournent vers les fournisseurs avec un cahier des charges dont l'un des éléments fondamentaux est le respect des standards OTAN. Ces standards sont obligatoires pour présenter une offre, d'où l'intérêt majeur à ce qu'ils n'excluent pas les matériels français ».
Or, de telles situations peuvent se produire et plusieurs exemples – confidentiels – nous ont été présentés lors des auditions de normes qui, si elles avaient été adoptées, auraient conduits à exclure les matériels français des appels d'offres des pays de l'OTAN. Si nous n'avions pas été dans les différents comités pour les contrecarrer, l'effet de ces normes aurait été dommageable pour nos entreprises
Autre exemple, sur le plan plus politique, comme l'a expliqué Mme Muriel Domenach, représentante permanente de la France auprès de l'OTAN, « sur le modèle de force nouveau, la France a plaidé et obtenu que l'OTAN garde une vision à 360° et ne se focalise pas uniquement sur ce qui se passe à l'Est avec des déploiements lourds et permanents », tout en faisant barrage aux pressions américaines visant à mobiliser l'OTAN contre la Chine.
L'influence de la France provient notamment d'abord et avant tout de facteurs extérieurs à l'Alliance et, en particulier, de la singularité de sa position. En effet, la garantie ultime de sécurité de notre pays n'est pas l'OTAN mais nos moyens nationaux et nos propres forces armées. Par conséquent, les autres alliés subordonnent leurs éventuelles réticences ou objections au caractère vital que représente pour eux l'Alliance, ce qui les conduit à les taire, alors que la France est capable de défendre d'autres visions, de dire non lorsqu'il le faut.
Parce que la France n'est pas dépendante de l'OTAN, elle peut dire non, elle l'a toujours fait. D'ailleurs, nous nous sommes aperçus lors de nos auditions que la France n'est d'ailleurs pas forcément isolée et qu'elle se fait, en disant non, le porte-voix de pays qui, parce qu'ils dépendent de l'OTAN, ne peuvent s'opposer ouvertement au consensus, aux Américains ou à la « NATO-structure ». Ce rôle de poil à gratter est aussi vu plutôt positivement par les organes de l'OTAN en ce qu'il enrichit et équilibre utilement les conversations en contrebalançant l'influence américaine