Mes conclusions seront très différentes de celles de mon collègue.
Je commencerai par citer notre chef d'état-major des armées, le général Burkhard, qui déclarait, lors du Paris Defence and Strategy Forum, que : « la coalition produit les effets les plus puissants. » Face à la multiplication des périls, je suis convaincue que la France ne peut assumer seule sa défense. Ce n'est pas une offense que de dire ce que disent également l'amiral Vaujour, l'amiral Vandier et plusieurs officiers supérieurs.
Face aux menaces auxquelles est confronté notre pays et aux métamorphoses de la guerre, devenue multi-champs multi-milieux, face à un avenir géostratégique plus incertain que jamais, face à la nécessité de la masse qu'exige la guerre de haute intensité, la coalition et, en l'espèce, l'OTAN, constitue une garantie de sécurité incontournable, en démultipliant la puissance de nos armées sans remettre en cause notre indépendance.
C'est donc en investissant l'OTAN et en développant la « culture OTAN » dans notre pays que la France sera en mesure de défendre au mieux ses intérêts, y compris l'autonomie stratégique européenne à travers l'affirmation d'un véritable pilier européen de défense.
Cet investissement doit cependant s'inscrire dans le temps long et reposer sur une véritable stratégie aux objectifs précis.
Là est la première proposition que je fais. L'OTAN est, dans notre pays, un impensé stratégique. Certes, la Revue nationale stratégique aborde le sujet de la relation de la France à l'OTAN mais, nous l'avons dit, elle est clairement insuffisante et montre que, 15 ans après son retour dans le commandement militaire intégré, notre pays ne s'est toujours pas approprié l'Alliance, pas plus qu'il ne la considère comme un élément essentiel de sa politique de défense.
Il est donc essentiel de mettre par écrit quelle est notre vision de l'OTAN et quels sont nos objectifs au sein de l'Alliance, répondant ainsi aux questions laissées sans réponse par la RNS, tout en rompant avec l'ambiguïté de l'antienne de l'indépendance nationale. Il faut donner à l'OTAN toute la place qui doit être la sienne dans notre politique de défense et assumer que la défense de notre pays se fera, comme celle de tous nos alliés européens, en coalition.
Cette stratégie ne se contentera pas de rappeler nos lignes rouges, déjà bien connues de tous, ainsi que nos intérêts au sein de l'OTAN. Elle devra être positive, porter une vision et, finalement, montrer l'appropriation par la France de l'Alliance, qu'elle gagnerait à qualifier de « notre Alliance ».
Une telle stratégie contribuerait à mettre un terme aux doutes sur la sincérité de l'engagement de la France dans l'OTAN et, de ce fait, à la suspicion dont notre pays fait l'objet, renforçant ainsi son influence au sein de l'Alliance. Il faut donc que cette stratégie tienne compte des besoins de nos alliés et de la place essentielle qu'a l'OTAN dans leur politique de défense et, surtout, cesser de mettre systématiquement en avant l'autonomie stratégique européenne que notre pays évoque à tout propos, y compris lorsqu'il veut parler de l'OTAN. Elle est un fort irritant, voire un repoussoir et décrédibilise nos efforts pour promouvoir le potentiel européen. Pour convaincre ses alliés de s'engager sur la voie de l'autonomie stratégique européenne, notre pays doit en effet être convaincant dans son engagement dans l'OTAN, structure qui aujourd'hui incarne mieux que l'Union européenne la solidarité des Européens face à une menace existentielle telle que la Russie.
Une telle stratégie, si elle a une portée externe, a aussi une portée interne en ce qu'elle définira des objectifs assortis, le cas échéant, d'indicateurs à destination des acteurs français impliqués dans l'OTAN et, notamment, la DGA. Une telle stratégie aidera à leur coordination alors que les auditions ont montré qu'ils avaient tendance à fonctionner en silo.
La stratégie française de l'OTAN serait évidemment publique et devrait faire l'objet de publicité auprès de nos armées, de nos diplomates et plus largement de l'ensemble des ministères. La représentation nationale doit naturellement y être associée et cette stratégie pourrait utilement faire l'objet d'un débat à l'Assemblée nationale qui, par lui-même, contribuerait à renforcer la culture OTAN dans notre pays.
L'adoption de cette stratégie concourt, par elle-même, à renforcer la crédibilité de la France au sein de l'OTAN mais la France peut et doit aller plus loin. En effet, notre pays bénéficie aujourd'hui d'une forte crédibilité au sein de l'OTAN mais celle-ci est amoindrie par la suspicion persistante dont notre pays fait l'objet.
En outre, si notre pays se distingue par ses capacités militaires, celles-ci sont par nature précaires, dépendant de notre volonté de continuer à investir massivement dans la défense, mais également relatives, car appréciées en comparaison avec celles de nos alliés. Or ceux-ci se réarment plus rapidement que nous et acquièrent une masse qui nous fait défaut : la Pologne, qui consacre désormais 4% de son PIB à la défense, disposera, d'ici la fin de la décennie, de 1 000 chars lourds En comparaison, en 2030, notre pays ne pourra aligner que 160 chars Leclerc rénovés.
Certes, l'argent ne fait pas tout en matière de défense mais notre pays ne pourra tenir son rang ni au sein de l'OTAN, ni dans un contexte européen, s'il n'amplifie pas son effort de réarmement. S'il veut préserver sa crédibilité militaire à moyen terme, il devra envisager un effort supplémentaire pour atteindre les 3% du PIB à l'horizon 2030, effort qui servira également à renforcer le soutien de notre pays à l'Ukraine.
La crédibilité de notre pays dans l'OTAN bénéficierait également d'une implication accrue dans les organes et activités de l'Alliance. Compte tenu de ses moyens, de la qualité reconnue de ses armées et des attentes qu'elle suscite, la France ne peut se contenter d'une place réduite pour ses officiers dans les institutions et de ses armées dans les exercices et les opérations de l'OTAN. On pourrait imaginer, par exemple, un renforcement de nos effectifs en Roumanie ou en Estonie ou la décision d'être une deuxième fois nation-cadre mais dans un autre environnement tel le cyber.
Enfin, je m'interroge sur l'intégration de notre pays dans le groupe des plans nucléaires (en anglais, NPG), qui parachèverait le retour de la France dans l'OTAN et constituerait, en lui-même, un « choc de confiance » à l'égard de nos alliés. Rappelons que le NPG est une instance politique de planification et non pas de décision, dans laquelle ni la posture nucléaire, ni la doctrine nucléaire ne sont remises en question. Ni les États-Unis, ni le Royaume Uni ne se font dicter leur doctrine par le NPG. La meilleure preuve en est que les États-Unis conservent le contrôle total de leur dissuasion nucléaire et le pouvoir de décision finale sur leur emploi éventuel alors même qu'ils font partie du NPG et que leurs bombes H aéroportées B61 se trouvent sur le territoire de certains de leurs alliés. Personne ne peut raisonnablement soutenir que les États-Unis ne sont pas indépendants en matière de dissuasion nucléaire.
Ne pas être dans le NPG n'apporte aucun bénéfice mais a un coût politique fort. Je suis absoliment convaincue que la France y aurait toute sa place et que notre singularité française n'y serait absolument pas remise en question. Cela ne changerait en rien ni notre posture nucléaire, ni notre souveraineté mais contribuerait tout à la fois à la réassurance de nos alliés et à une meilleure compréhension de la grammaire de la dissuasion française très largement méconnue de nos alliés. Cette conviction est d'ailleurs renforcée par les récents débats qui se sont tenus en France sur la dimension européenne de notre dissuasion.
Si l'OTAN est aujourd'hui essentielle pour la France et ses alliés, il n'en reste pas moins qu'elle fait face à deux facteurs, l'un conjoncturel, l'autre structurel, susceptibles de l'affaiblir considérablement, en ce qu'ils concernent l'implication du primus inter pares américain, lequel est, qu'on le veuille ou non, la clé de voûte de la crédibilité militaire de l'Alliance.
Le premier facteur, structurel, est le pivotement des intérêts stratégiques américains vers l'Asie. Entamé sous la présidence de Barack Obama, il n'a été remis en cause par aucun de ses successeurs. La première priorité des États-Unis sur la scène internationale est de contrecarrer les ambitions chinoises et de préserver leur suprématie mondiale.
Le deuxième facteur, conjoncturel, est la perspective d'un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Si la présidence Biden a permis de renouer des liens transatlantiques vivement secoués par son prédécesseur, la réélection de ce dernier augurerait de nouveaux tumultes comme ceux que l'Alliance a connus entre 2017 et 2020.
Si cette hypothèse d'un affaiblissement de l'implication américaine en Europe devait se réaliser, prenant la forme ou pas d'un retrait de l'OTAN, notre pays, qui est la première puissance militaire du continent et seul membre de l'Union européenne possédant l'arme nucléaire, se retrouverait en première ligne et devrait alors assumer ses responsabilités vis-à-vis de ses alliés européens.
Comme l'a souligné un haut responsable français en charge de l'OTAN, « les membres de l'Alliance voient la dégradation de leur environnement stratégique et les incertitudes venant des États-Unis. Ils ont pris conscience que le renforcement de l'Europe de la défense est une solution [même s'il] n'y aucune volonté de sortir de l'OTAN ».
Il est donc dans l'intérêt de la France, dès aujourd'hui, de travailler à construire ce fameux « pilier européen » de l'OTAN dont on parle depuis presque vingt ans, en commençant par le définir dans la stratégie dont la France se sera dotée. Mais quelle que soit la forme de ce pilier européen, la défense du continent européen sera d'autant plus efficace que les Européens seront plus forts dans l'OTAN, ce qui passe non seulement par une augmentation de leurs dépenses de défense mais aussi par une exigence d'interopérabilité entre armées européennes qui ne se définit, qu'on le veuille ou non, qu'au sein de l'OTAN et cela quelle que soit l'implication future des États-Unis.
C'est donc au sein et à partir de l'OTAN que se construit l'autonomie stratégique européenne. Qu'on le veuille ou non, l'OTAN est aujourd'hui l'enceinte de l'autonomie stratégique européenne. S'y montrer loyal, crédible, constructif et solidaire est une étape sur le long chemin de l'autonomie stratégique européenne. Renforcer le pilier européen, qui est l'un de ces objectifs intermédiaires, pourrait faire consensus entre les alliés européens mais également rallier les Américains, d'autant plus faciles à convaincre que cette autonomie leur permettrait de concentrer leurs efforts sur la Chine. Seule la France peut, de manière crédible, promouvoir ce pilier européen et sera d'autant plus crédible à le faire qu'elle aura démontré son engagement accru et sincère dans l'OTAN.
En dernier lieu, je voudrais insister sur le fait qu'aucun des objectifs que j'ai évoqués pour notre pays ne pourra être atteint sans un renforcement majeur de la « culture de l'OTAN » en France, chez nos élites politiques et militaires, d'une part, mais également dans la population française. Cette « culture de l'OTAN » devrait être un objectif en tant que tel de la stratégie française et, dans un contexte de renforcement de l'OTAN, promouvoir le rôle et l'influence de la France au sein de l'organisation devenir aussi une priorité pour notre diplomatie