Enfin, la France fait face à un quatrième défi qui est celui de la définition de sa stratégie au sein de l'OTAN. Notre travail nous a en effet convaincu que la RNS ne peut en tenir lieu en raison de la faiblesse et de l'imprécision des concepts qu'elle contient.
Celle-ci donne en effet à notre pays l'objectif d'être un « allié exemplaire au sein de l'espace euro-atlantique ». Certes, la RNS donne quelques indications sur ce qu'il faut entendre par cette expression, en indiquant que notre pays assumera « son rôle au sein des structures militaires et des opérations » ainsi qu'une « position exigeante et visible ». Mais quel est ce rôle ? Quelle est cette position ?
De plus, l'expression même « d'allié exemplaire » est ambiguë. Il ne fait pas de doute que notre pays se considère comme exemplaire mais qu'en est-il de nos alliés ? Refuser l'augmentation des dépenses communes ou la prise en compte de la menace chinoise, défendre farouchement l'autonomie stratégique de l'Union européenne, au risque de faire fuir les États-Unis, est-il, de leur point de vue, l'attitude d'un allié exemplaire ? Viser des dépenses militaires à hauteur de 2 % de son PIB, est-ce être exemplaire ou faut-il, comme d'autres alliés, allé au-delà ? D'ailleurs, si chacun est l'étalon de sa propre exemplarité, y a-t-il un allié qui, au sein de l'OTAN, ne se considère pas lui-même comme exemplaire ?
Une autre faiblesse de la RNS et, au-delà, de la stratégie de la France vis-à-vis de l'OTAN, est la notion de « pilier européen », que la France se donne pour objectif de « renforcer ». Seulement, comme indiqué précédemment, ce pilier européen n'est jamais défini, les moyens de l'atteindre non plus. De même, s'agissant plus largement de la coopération UE-OTAN, il est frappant de constater que « si la France soutient une modernisation, un élargissement et un approfondissement du partenariat UE-OTAN », il n'est pas précisé pourquoi, ni comment, ni surtout, les actions qu'envisage notre pays pour lever l'obstacle turc, à supposer que ce soit possible. On peut donc s'interroger sur la compatibilité d'un agenda Europe de la défense et du développement d'un pilier européen de l'Otan ;
Enfin, la RNS, pas plus d'ailleurs que les autres documents stratégiques ou les déclarations de haut responsable français, n'apporte de réponse à une question majeure : celle de savoir quelle OTAN nous voulons.
Savoir ce que nous voulons pour l'OTAN pose la question de savoir qui doit définir cette stratégie, puisqu'il ne s'agit pas de la RNS. Or, nos auditions nous ont confirmé que la coordination entre les différents acteurs français impliqués dans l'OTAN peut laisser à désirer, avec seulement une ou deux réunions par an et des acteurs qui ont tendance à fonctionner en silo. L'absence de structuration des différents acteurs français – direction Affaires stratégiques du ministère des Affaires étrangères, direction générale des relations internationales et stratégiques du ministère des Armées, état-major des armées, DGA…, malgré la qualité et l'implication des personnels concernés, n'aide évidemment pas à la définition d'une stratégie cohérente, pas plus qu'à la cohérence de l'action de la France au sein de l'OTAN.
Parce que la France n'a pas de stratégie claire vis-à-vis de l'OTAN, les relations avec cette dernière prennent surtout la forme de « lignes rouges », souvent en opposition avec les positions de nos alliés. Comme nous l'a expliqué notre représentant militaire à l'OTAN, « cela renforce la suspicion dont la France fait l'objet. N'ayant qu'une approche négative sans proposer une vision positive, nous sommes parfois soupçonnés d'avoir des arrière-pensées, voire d'avoir une stratégie de cheval de Troie dont le vrai objectif n'est pas l'OTAN mais autre chose ».
Cette « autre chose » n'est pas difficile à deviner, elle est de notoriété publique et la France l'affirme haut et fort dans la RNS : c'est l'Europe et son autonomie stratégique. Il est, de ce point de vue frappant de constater dans la RNS comment, au flou de la stratégie et des concepts appliqués à l'OTAN, répond la clarté et la précision à la fois des objectifs et des moyens de notre pays vis-à-vis de l'Europe de la défense. Ce tropisme pour l'UE est lui aussi perçu comme tel par nos alliés et force est de connaître qu'il ne sert pas les intérêts de la France au sein de l'OTAN, en renforçant les doutes qu'ont nos alliés sur la sincérité de l'engagement de la France dans l'Alliance, sans d'ailleurs faire progresser d'un iota la construction de l'autonomie stratégique européenne.
Par conséquent, s'il est évoqué en dernier, le premier défi de la France au sein de l'OTAN devrait être l'élaboration d'une stratégie claire et cohérente vis-à-vis de l'OTAN.