Le troisième défi de la France dans l'OTAN est la gestion des dissensions interne. C'est le défi de l'unité.
Si la guerre en Ukraine a uni tous les membres de l'Alliance contre la Russie, comme le montre la formulation du nouveau concept stratégique, cette unité face à la Russie n'empêche cependant pas de profondes divergences sur d'autres sujets qui en constituent des points de crispations majeures pour les membres concernés.
Parmi ces sujets de dissension, le plus important est sans conteste la place à donner à la Chine dans les priorités de l'OTAN. Le terme de « menace » n'a pas été retenu du fait de l'action diplomatique de la France dans le Concept stratégique qui se contente d'évoquer le « défi systémique pour la sécurité euro-atlantique » que constitue la Chine. Cependant, une telle rédaction est le résultat d'un consensus et certainement pas la vision que le primus inter pares américain a de son rival chinois.
Comme l'a souligné l'une des personnalités françaises auditionnées, ce pays est « une véritable obsession américaine », à la mesure de la menace qu'il représente pour la suprématie mondiale des États-Unis. Le pivotement des intérêts stratégiques américains vers l'Indopacifique, commencé sous la présidence Obama, s'est poursuivi sous celle de ses successeurs et personne ne nous a fait mystère, à Washington, que la priorité de la politique étrangère américaine est bien de contenir la montée en puissance de la Chine.
À cette fin, non seulement les États-Unis utilisent l'ensemble des moyens à leur disposition : politique, diplomatique, militaire, financier, commercial et industriel mais ils cherchent également à mobiliser ceux de leurs alliés. Le fait que la Chine figure explicitement et pour la première fois dans le concept stratégique de l'OTAN en est la preuve.
Le discours pour justifier que l'OTAN s'intéresse à la Chine est bien rôdé et a été tenu tant à Bruxelles qu'à Washington. Il nous a été dit que même si elle n'a pas vocation à agir en Indopacifique, l'OTAN serait légitime à s'intéresser à la Chine dès lors que c'est la Chine elle-même qui pénètre l'espace euro-atlantique, par son influence économique, diplomatique et politique, et menace l'Alliance dans les espaces sans frontières que sont le cyber, le spatial et l'informationnel.
La position de notre pays est claire. La France refuse que l'OTAN soit ainsi mobilisée en Indopacifique et a refusé l'ouverture d'un bureau de liaison de l'OTAN à Tokyo. Mais d'autres pays sont sensibles aux arguments américains et pourraient accepter de considérer la Chine comme une menace pour l'Alliance si c'était là le prix à payer pour conserver l'implication américaine dans l'Alliance.
Enfin, l'unité de l'Alliance fait face à d'autres menaces :
– celle de la Hongrie et de la Turquie qui ont conservé des liens étroits avec la Russie, dont elles sont dépendantes sur le plan énergétique. Elles ont longtemps bloqué l'élargissement de l'Alliance et bloqueront certainement tout potentiel élargissement futur à l'Ukraine. À Ankara, nous avons bien compris de nos interlocuteurs turcs que l'adhésion de l'Ukraine constituerait une provocation pour la Russie et que, de leur point de vue, celle-ci ne devrait pas être membre de l'OTAN ;
– celle du conflit entre la Grèce et la Turquie, deux pays entre lesquels les tensions sont fortes et la course à l'armement évidente. Un conflit entre les deux non seulement paralyserait l'OTAN mais la diviserait profondément.
Sans aller jusqu'à un conflit, ces deux pays menacent également l'unité de l'Alliance en ce qu'ils cherchent à importer dans l'Alliance leurs intérêts de sécurité. Ainsi les Turcs souhaitent obtenir le soutien de l'Alliance dans la lutte qu'ils mènent contre les organisations kurdes PKK et YPD, qu'ils qualifient de terroristes La Grèce insiste sur la menace que constituent les migrations illégales, présentées comme des nouveaux types « d'attaques hybrides » contre lesquelles l'OTAN pourrait, selon eux, être mobilisée.
Le défi de la France sera donc de préserver l'unité de l'Alliance et nos relations bilatérales tout en s'opposant aux tentatives d'importation d'intérêts de sécurité nationale dans l'OTAN