La séance est ouverte à 16 heures 40.
Présidence de M. Sacha Houlié, président.
La Commission auditionne M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse (n° 1983) et discussion générale (M. Guillaume Gouffier Valente, rapporteur).
Monsieur le garde des sceaux, nous avons le plaisir de vous accueillir pour vous entendre sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), après son adoption par le conseil des ministres le 12 décembre dernier.
La commission des lois a déjà eu l'occasion, à plusieurs reprises, d'exprimer son attachement à la constitutionnalisation de l'IVG. À la suite de l'arrêt de la Cour suprême des États-Unis du 24 juin 2022, qui a suscité une émotion certaine, de nombreuses initiatives parlementaires ont été lancées.
Notre commission a ainsi adopté, le 9 novembre 2022, la proposition de loi constitutionnelle de Mme Bergé visant à garantir le droit à l'interruption volontaire de grossesse, puis, le 16 novembre suivant, la proposition de loi constitutionnelle de Mme Panot visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. Cette dernière a été adoptée par notre assemblée le 24 novembre 2022, après le retrait de la proposition de Mme Bergé, mais malheureusement réécrite de manière conséquente par le Sénat, le 1er février 2023.
Le débat a donc largement eu lieu ; le Gouvernement a pu s'appuyer sur le travail parlementaire, notamment pour avancer sur la question sémantique et juridique de la garantie du droit ou de la liberté d'avorter pour la femme, ou encore sur la place de la disposition dans la Constitution.
Nous nous réjouissons que l'exécutif ait repris l'initiative par ce projet de loi, ouvrant la voie d'un Congrès, que chacun considère comme la plus adaptée à cette révision constitutionnelle.
J'ai l'honneur et la fierté de porter devant le Parlement le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse. Ce projet de loi est l'aboutissement de nombreuses initiatives parlementaires et de débats déjà approfondis. Lors du deuxième semestre de 2022, neuf propositions de loi constitutionnelles ayant pour objet d'inscrire dans la Constitution le droit de recourir à l'IVG ont été déposées devant l'une ou l'autre des deux assemblées. Je rends hommage à ces initiatives, qui auront toutes utilement contribué à la réflexion commune autour de ce projet. Je salue, en particulier, les propositions de l'ancienne présidente Aurore Bergé et de la présidente Mathilde Panot, grâce auxquelles l'Assemblée a joué un rôle moteur.
Avec ce projet, le Gouvernement donne suite à ces travaux et à l'appel qui lui a été lancé, auquel le Président de la République a répondu favorablement, le 8 mars 2023. À l'occasion de son discours prononcé en hommage à Gisèle Halimi, le Président a appelé à « changer notre Constitution afin d'y graver la liberté des femmes de recourir à l'interruption volontaire de grossesse pour assurer solennellement que rien ne pourra entraver ou défaire ce qui sera ainsi irréversible ». Ce projet de loi constitutionnelle est donc présenté au Parlement comme une rédaction d'équilibre parmi celles qui ont été votées par l'Assemblée et par le Sénat. Il vise à créer un consensus entre les deux assemblées à partir de constats et d'objectifs partagés.
Le constat me semble désormais clair, et le Conseil d'État l'a souligné dans son avis : il n'existe pas aujourd'hui de véritable protection supralégislative du droit ou de la liberté de recourir à l'IVG. La Convention européenne des droits de l'homme ne comporte pas de disposition spécifique sur l'avortement, et la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) considère que le droit au respect de la vie privée et familiale, protégé par l'article 8 de la Convention, ne peut être regardé comme consacrant un droit à l'avortement. En conséquence, elle renvoie à la marge dont dispose chaque État pour apprécier l'équilibre entre le droit à la vie privée de la mère et la protection de l'enfant à naître. De la même manière, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) se borne à rappeler, en l'absence de disposition spécifique sur ce point, la compétence des États membres et renvoie à l'appréciation du législateur national.
Quant au Conseil constitutionnel, il a jugé conformes à la Constitution les différentes lois relatives à l'IVG. Ce faisant, il a examiné l'équilibre ménagé entre, d'une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d'autre part, la liberté de la femme, qui découle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) de 1789. Le juge constitutionnel n'est pas allé plus loin. Il a pris le soin de souligner, au sujet de l'IVG, qu'« il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement » et qu'« il ne lui appartient donc pas de remettre en cause, au regard de l'état des connaissances et des techniques, les dispositions prises par le législateur ». Ainsi la liberté des femmes de recourir à l'IVG ne bénéficie-t-elle pas à ce jour d'une véritable consécration constitutionnelle.
L'objectif du Gouvernement, qui rejoint les positions déjà exprimées à l'Assemblée nationale et au Sénat, est clair : accorder à cette liberté une protection constitutionnelle, sans toutefois figer la législation, ni créer une forme de droit absolu et sans limite. Cette protection constitutionnelle doit être suffisamment souple pour permettre au législateur de continuer son œuvre en la matière et donc ménager un équilibre satisfaisant, notamment au regard des évolutions techniques, médicales, scientifiques qui pourraient advenir. Ce qu'il s'agit d'empêcher, c'est que le législateur puisse un jour interdire tout recours à l'IVG ou en restreindre à ce point les conditions d'accès que la substance même de la liberté d'y recourir s'en trouverait atteinte.
Le Gouvernement souhaite consacrer pleinement la valeur constitutionnelle de la liberté de la femme de recourir à l'IVG, tout en reconnaissant le rôle du législateur dans l'organisation des conditions d'exercice de cette liberté. Les deux objectifs semblent pouvoir être conciliés par une rédaction qui protège la liberté ainsi reconnue, tout en préservant le rôle essentiel du Parlement. Pour y parvenir, le Gouvernement a retenu une voie médiane entre les rédactions de l'Assemblée nationale et du Sénat. Le projet de loi comporte une disposition unique, ayant pour objet de modifier l'article 34 de la Constitution en y ajoutant, après le dix-septième alinéa, un alinéa ainsi rédigé : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »
Le Gouvernement a retenu l'article 34 de la Constitution, comme l'avait fait le Sénat. D'un point de vue juridique, cet emplacement paraît le plus adapté. Les diverses versions votées par le Parlement le montrent, aucun emplacement au sein de la Constitution n'est idéal. Cependant, l'article 34 semble préférable à la création, au sein du titre relatif à l'autorité judiciaire, d'un article 66-2 suivant l'article 66-1 relatif à l'abolition de la peine de mort. Le Conseil constitutionnel reconnaît que l'article 34 de la Constitution peut, contrairement à ce qu'une lecture rapide pourrait indiquer, accueillir des règles de fond et mettre des obligations positives à la charge du législateur – la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 y a ainsi inscrit que la loi fixe les règles concernant notamment la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias.
Ce projet se caractérise par ailleurs par le choix du mot « liberté » plutôt que « droit ». Ce choix a été ô combien commenté, mais sa portée ne doit pas être surestimée. De fait, le Conseil d'État l'a relevé dans son avis, il n'existe pas dans les textes, ni dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de différence établie entre ces deux termes. Si le Gouvernement a choisi ce terme, c'est dans un souci de clarté. Il s'agit, non pas de créer un droit absolu et sans limite, mais de faire référence à l'autonomie de la femme et de garantir ainsi l'exercice d'une liberté qui lui appartient, dans les conditions prévues par la loi.
Enfin, le Gouvernement a souhaité insister sur le fait que, si les conditions de la liberté de recourir à l'IVG sont déterminées par le législateur, cette liberté doit rester dans tous les cas garantie aux femmes qui en bénéficient. C'est un point essentiel. Le mot « garantie », issu des travaux menés par votre assemblée, vise, là aussi, à exprimer clairement quelle est l'intention. Il s'agit, non pas d'une simple attribution de compétences au législateur, mais bien de la création d'une obligation positive à sa charge : celle de protéger cette liberté que la Constitution garantit dans les conditions qu'il estime appropriées, afin qu'à l'avenir, aucune majorité ne puisse porter atteinte à la liberté intangible pour la femme de disposer de son corps.
J'en viens aux effets attendus de la révision constitutionnelle. Tout d'abord, c'est un point essentiel, aucune disposition législative en vigueur ne devrait être remise en cause par l'adoption du texte. Le Conseil d'État l'a très précisément constaté, et telle est bien l'intention du Gouvernement. Pour répondre par anticipation à certaines craintes exprimées ici ou là, la consécration de cette liberté n'emporte pas la remise en question d'autres libertés, notamment la liberté de conscience des médecins et des sages-femmes qui leur permet de ne pas pratiquer l'IVG si cet acte est contraire à leurs convictions. Cette liberté est évidemment préservée.
Ensuite, la rédaction proposée entend exprimer clairement que la décision d'avorter n'appartient qu'à la femme enceinte : elle ne nécessite ni l'autorisation d'un tiers, que ce soit le conjoint ou les parents, ni l'appréciation d'une autre personne. Cette liberté est reconnue à toute femme enceinte et même à toute personne enceinte, sans considération de son état civil, de son âge, de sa nationalité ou de la régularité de son séjour en France.
Enfin, j'y insiste, cette rédaction ne vise pas à créer une forme de droit opposable. Le Gouvernement n'ignore pas les difficultés matérielles, concrètes, qui peuvent encore exister dans l'accès à l'IVG, notamment dans certaines parties du territoire. Il s'agit là d'un autre sujet, qui n'est pas d'ordre constitutionnel. Nous sommes réunis aujourd'hui pour réviser notre Constitution, pas pour voter je ne sais quelle mesure relevant du périmètre du ministère de la santé, lequel ne ménage pas ses efforts pour améliorer l'accès à l'IVG partout en France – des annonces ont d'ailleurs été faites il y a quelques instants en séance lors des questions au Gouvernement concernant la revalorisation des tarifs des actes relatifs à l'IVG.
Cette révision de la Constitution ne lèvera pas toutes les difficultés, mais elle prémunira les femmes, en France, contre une éventuelle régression brutale de leur liberté de recourir à l'avortement. C'est la volonté exprimée par l'Assemblée, puis par le Sénat ; c'est l'objectif du Président de la République, visé par le Gouvernement.
Le projet de révision constitutionnelle constitue le point d'équilibre entre les nombreux travaux engagés dans les deux chambres et commencés ici même. Parce qu'elle respecte les priorités de l'Assemblée et le travail du Sénat, cette rédaction devrait nous permettre, j'en suis convaincu, de trouver une majorité dans les deux chambres, puis d'obtenir une majorité qualifiée au Congrès. Je forme le vœu que nos débats suffiront à dissiper les dernières hésitations et permettront à notre pays, par le vote de cette loi constitutionnelle, de franchir un pas historique pour les femmes. La France deviendrait alors le premier pays au monde à protéger cette liberté inaliénable de la femme dans sa Constitution.
Le texte soumis à notre examen est fortement attendu par le Parlement, qui avait pris l'initiative en la matière – des membres de la majorité présidentielle et des groupes La France insoumise, Socialistes, Écologiste et Gauche démocrate et républicaine avaient déposé des propositions de loi dès le début de la législature –, mais aussi par nos concitoyennes et nos concitoyens. On ne peut que saluer le choix du Président de la République de remettre l'ouvrage sur le métier pour permettre un aboutissement rapide et autonome de cette révision.
Le Parlement a travaillé en bonne intelligence et nous nous devons de poursuivre dans cette voie. Pour mémoire, en novembre 2022, l'Assemblée nationale a adopté, à une large majorité – 337 voix contre 32 – une rédaction, fruit d'un consensus transpartisan, qui reconnaissait la garantie de l'effectivité et de l'égal accès au droit à l'IVG. Dans la foulée, le Sénat, qui s'était jusqu'alors montré réticent à l'inscription de l'IVG dans la Constitution, a également adopté un texte. Si ce dernier était moins ambitieux que celui de l'Assemblée, il n'en a pas moins constitué une avancée historique. Les deux chambres ont envoyé un message clair : elles souhaitent faire aboutir une révision constitutionnelle sur le sujet.
Nous respectons les doutes de ceux qui s'interrogent sur l'opportunité d'inscrire la liberté de recourir à l'IVG dans la Constitution. Réformer la Constitution est un acte fort, qui traduit la volonté des constituants que nous sommes d'inscrire le choix du peuple présent pour le peuple futur. C'est marquer le présent pour protéger l'avenir.
Je crois nécessaire de circonscrire le périmètre de nos débats. Il ne s'agit pas de discuter du cadre législatif en vigueur, ni de préparer des évolutions législatives visant à élargir la liberté de recourir à l'IVG. Nos débats seront scrutés en cas de contentieux, et les intentions du Gouvernement et du Parlement doivent être claires : la rédaction proposée n'implique nullement une évolution du droit existant et ne saurait être source d'un nouveau contentieux, par exemple par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Le Conseil d'État est on ne peut plus précis sur ce point.
Le projet qui nous est soumis vise un objectif que nous partageons : rendre impossible une modification de la loi qui aurait pour objet d'interdire tout recours à l'IVG, ou d'en restreindre les conditions d'exercice de telle façon qu'elle priverait cette liberté de toute portée. Son adoption nous paraît indispensable pour renforcer la protection juridique de cette liberté. La Constitution recense déjà de nombreux droits et libertés, sans distinguer d'ailleurs ces deux notions, qui ont la même valeur, dans les préambules et les articles de la Constitution de 1958 : laïcité, égalité entre les femmes et les hommes, interdiction de la peine de mort, libre administration des collectivités territoriales, droit d'asile, pour ne citer que ceux-ci. Il n'y a donc pas d'incohérence ou de risque à reconnaître un nouveau droit. Au contraire, il appartient au législateur constituant d'en prendre la responsabilité, sans attendre que le Conseil constitutionnel reconnaisse éventuellement ce nouveau droit de manière prétorienne.
Ne croyons pas que la protection de l'IVG par la loi est suffisante pour nous prémunir contre tout risque d'atteinte à cette liberté. Certes, le Conseil constitutionnel a admis la conformité à la Constitution des différentes réformes concernant l'IVG. Il a considéré que le législateur avait toujours respecté l'équilibre entre la liberté de la femme telle qu'elle découle de l'article 2 de la DDHC, et la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation. Notons cependant trois limites à cette protection.
Premièrement, s'il admet sa constitutionnalité, le Conseil constitutionnel n'a jamais reconnu l'IVG comme une liberté ou un droit fondamental, contrairement à ce qu'il a décidé pour la liberté d'enseignement, par exemple. Deuxièmement, le Conseil n'ayant jamais eu à se prononcer sur une restriction du droit à l'IVG, on peut s'interroger sur sa capacité à déclarer inconstitutionnelles de telles dispositions sur le fondement de l'équilibre qu'il a défini, lequel repose sur une interprétation extensive de l'article 2 de la DDHC. Troisièmement, le Conseil reconnaît sur cette question un large pouvoir d'appréciation au législateur, ce qui est bien normal compte tenu du silence des textes constitutionnels.
C'est cette ambiguïté et cette incertitude que nous souhaitons lever, sans priver le juge constitutionnel de son office. La modification de l'article 34 renvoie explicitement à la prérogative du législateur pour encadrer cette liberté, qui ne saurait être absolue. L'ajout du mot « garantie », principale évolution par rapport à la rédaction du Sénat, qui est très largement reprise par ailleurs, doit renforcer la protection – désormais de rang constitutionnel – de cette liberté contre d'éventuelles atteintes à l'avenir. À l'inverse, la suppression du mot « garantie » rétablirait une incertitude quant à l'intention du constituant, voire indiquerait que celui-ci n'a pas souhaité garantir ce droit, ce qui serait contre-productif. C'est pourquoi nous resterons foncièrement attachés à ce mot.
Dans l'ensemble, la rédaction qui nous est proposée est la plus robuste et la plus opportune qui soit juridiquement. Au vu des auditions que j'ai menées, de l'avis du Conseil d'État – qui est très positif à l'égard de la rédaction proposée – et des travaux de nos collègues sénateurs, je considère que la formulation de l'article unique est précise et qu'elle n'est source d'aucune ambiguïté quant à l'objectif visé. L'emplacement retenu, à l'article 34 de la Constitution, a du sens au vu de notre histoire constitutionnelle et de son évolution ; il ne réduit en rien la portée de la liberté ainsi garantie. Cette rédaction est, enfin, de nature à garantir une protection qui respecte le choix de chaque personne souhaitant recourir à une IVG.
Je suis convaincu que la formulation retenue nous permettra de trouver un accord avec nos collègues sénateurs, car elle émane pour partie des travaux de qualité qu'ils ont menés au début de l'année 2023, travaux qui ont ouvert le chemin à la présentation du projet de loi constitutionnelle. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas déposé le moindre amendement et je vous inviterai à retenir la rédaction qui nous est proposée. Cela n'enlève rien à l'importance des débats que nous aurons sur les amendements : ils mettront en lumière l'objectif et les choix juridiques qui ont conduit à cette rédaction.
Cette révision intervient dans un contexte qui inquiète celles et ceux qui défendent les droits des femmes. En Europe, aux États-Unis et partout à travers le monde, ce droit est menacé. L'arrêt de la Cour suprême américaine nous a rappelé que, même dans un pays aussi développé et attaché aux libertés que les États-Unis, le recul du droit à l'avortement est possible. Sans transposer la situation juridique américaine à notre pays, force est de constater que les droits des femmes, selon la formule attribuée à Simone de Beauvoir, « ne sont jamais acquis » et qu'il « suffira d'une crise pour qu' [ils] soient remis en question ».
En Pologne, en Hongrie, les gouvernements créent des barrières à l'accès à l'IVG, comme l'obligation d'écouter le cœur du bébé ou l'interdiction d'avorter en cas de malformation du fœtus. Le droit européen ne nous apporte aucune garantie en la matière, car la CEDH et la CJUE laissent une grande marge d'appréciation aux États.
Les militants dits anti-choix sont très actifs en France et reçoivent des financements substantiels. Les entraves prennent des formes de plus en plus pernicieuses : certaines plateformes vont jusqu'à proposer un numéro vert pour se faire passer pour des organismes publics et dissuader les femmes qui les appellent. Ne croyons donc pas que la France est complètement imperméable à ce risque. C'est justement parce que ce droit est encore solidement ancré en France qu'il faut le protéger : on ne prend pas une assurance quand la maison brûle.
Enfin, par cette révision, notre pays enverrait un message fort au monde, en devenant le premier État à reconnaître l'IVG dans le texte de sa Constitution, qui a servi de modèle à tant de pays au cours de l'histoire.
En somme, ce texte est rien et tout à la fois. Il n'est rien, parce qu'il ne bouleverse pas le droit existant. Il est tout, parce qu'il crée un bouclier non régressif pour l'avenir, en érigeant la liberté de recourir à l'IVG au rang des libertés fondamentales devant être garanties par un État de droit au XXIe siècle.
Nous y sommes ! Depuis le premier jour de la législature, nombre d'entre nous, dont les membres du groupe Renaissance, se sont mobilisés pour consacrer dans notre Constitution le droit des femmes de recourir à l'IVG. Les initiatives parlementaires, parmi lesquelles celle de la ministre Aurore Bergé, alors présidente du groupe Renaissance, ont toutes fait valoir la nécessité de passer par un projet de loi constitutionnelle et appelé le Président de la République et le Gouvernement à agir. Je tiens à saluer, monsieur le garde des sceaux, votre engagement constant en faveur de l'inscription dans la Constitution du droit de recourir à l'IVG et la qualité du travail légistique que vous avez entrepris, souligné par l'avis, éclairant, du Conseil d'État, et le rapport établi par le rapporteur.
Que ceux qui craignent que la portée de la constitutionnalisation excède le cadre juridique actuel se rassurent : le juge constitutionnel a pour vocation de concilier des principes contradictoires. Ce sera le cas, demain, pour la liberté de recourir à l'IVG et la liberté de conscience, notamment. La formulation retenue et son inscription à l'article 34 de notre Constitution consacrent les prérogatives du législateur pour délimiter les contours et les modalités d'exercice de ce droit, dont la Constitution protégera le caractère effectif.
Afin que les deux chambres du Parlement puissent parvenir à un accord, et conformément aux engagements pris, le Gouvernement a proposé une rédaction de compromis. À ceux qui la jugent perfectible, je répondrai que le mieux est l'ennemi du bien, que le Conseil d'État comme notre rapporteur considèrent que la formulation proposée permet de consacrer à l'échelon constitutionnel le droit des femmes de recourir à l'IVG, et que le mot « liberté » a la même valeur que celui de « droit », le terme essentiel étant « garantie ». La protection juridique accordée sera donc équivalente à celle préconisée par les deux propositions de loi constitutionnelles de l'Assemblée nationale et du Sénat examinées l'an dernier. Il n'est plus temps d'ergoter sur une formulation plus ou moins parfaite ; il faut constater que cette rédaction de compromis atteint son objectif : une loi constitutionnelle qui protège le droit à l'avortement et installe un bouclier protecteur non régressif.
Nous n'avons jamais été aussi près de consacrer ce droit essentiel des femmes. Agissons ! D'autant plus que le Conseil d'État reconnaît, dans son avis, qu'il n'existe aucune garantie constitutionnelle ou conventionnelle qui donnerait une portée supralégislative à la liberté des femmes de recourir à l'IVG. L'humilité commande de regarder avec lucidité ce qui se passe hors du territoire français : partout, les réactionnaires, lorsqu'ils arrivent au pouvoir, portent atteinte à ce droit, car il constitue un pilier essentiel de la capacité des femmes à maîtriser leur corps, et donc leur destin. Il faudrait être aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas voir la réalité de la menace. Non, les anti-IVG, dans notre pays, n'ont pas disparu. Ils pullulent sur les réseaux sociaux et sur internet. Ils envoient des fœtus en plastique aux députés engagés sur la question. Ils défileront dans nos rues dimanche prochain. Ils sont même présents dans les rangs de notre assemblée ; certains l'assument franchement, même aujourd'hui, d'autres beaucoup moins. Mais n'oublions pas que, si la stratégie de la cravate modifie l'apparence, elle ne change rien au fond, et que Marine Le Pen défendait il y a encore quelques années le déremboursement de l'IVG – les prétendus « avortements de confort ».
C'est avec bonheur, en responsabilité, dans la perspective d'aboutir à la consécration du droit des femmes de recourir à l'IVG, et d'envoyer un message d'espoir à toutes les femmes de par le monde qui voient leurs droits reproductifs fragilisés, que le groupe Renaissance votera pour ce texte, sans modification.
Dire que l'inscription dans la Constitution de la liberté de la femme de recourir à l'IVG est très éloignée des préoccupations actuelles de la grande majorité de nos concitoyens est un euphémisme, tant les esprits sont tournés vers la hausse galopante des prix de l'énergie et la baisse corrélative du pouvoir d'achat, ainsi que vers une situation internationale plus qu'inquiétante.
Ce texte est également peu utile pour des raisons conjoncturelles. Personne au sein de la classe politique française ne souhaite remettre en cause l'accès à l'IVG. Ce dernier n'est absolument pas menacé. Rappelons que 234 300 IVG ont été réalisées en 2022 et que ce chiffre, en constante augmentation ces dernières années, est deux fois plus élevé qu'en Allemagne.
Ce texte présente en outre peu d'utilité pour des raisons juridiques. La liberté de la femme de recourir à une IVG, à l'instar de toute liberté, ne peut être absolue : elle doit être conciliée avec d'autres libertés, droits et principes, comme le principe de la dignité humaine ou la liberté de conscience des personnels de santé, qui est aussi une liberté constitutionnelle. Par ailleurs, cette inscription nécessiterait la refonte d'une partie du code de la santé publique et du droit médical, ce qui, au vu de l'état de notre système de santé, n'est pas souhaitable.
D'aucuns mettent en avant l'aspect symbolique de la démarche, mais la Constitution n'est pas un texte symbolique. La Constitution de la Ve République a été adoptée en 1958 par le Peuple, par la voie du référendum – à l'époque, il n'existait pas que dans les livres. La Constitution fixe les principes essentiels et les droits fondamentaux qui régissent la vie en société. À cet égard, certains constitutionnalistes estiment qu'inscrire cette liberté dans notre Constitution n'est pas responsable, car la norme constitutionnelle doit être un point d'ancrage et notre droit un élément de stabilité, et non l'exutoire des désirs de certains.
Au demeurant, comment la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une IVG peut-elle s'imposer comme un droit fondamental, alors que cette liberté n'est en réalité qu'une possibilité dérogatoire au droit à la vie inscrit dans la loi Veil ? Il y a là une incompatibilité absolue.
Dès lors, pourquoi ce texte, puisque la liberté en question n'est menacée par personne, et que, juridiquement, il ne s'impose pas ? Les auteurs de ce projet, tout en reconnaissant que la liberté de recourir à l'IVG n'est nullement menacée dans notre pays, dressent un inventaire à la Prévert : la France devrait entreprendre une croisade sur le continent européen et partout dans le monde – comme si nous n'avions pas assez de problèmes en France ; la France serait ainsi l'un des premiers pays au monde, et le premier en Europe, à reconnaître dans sa Constitution cette liberté ; le chef de l'État souhaiterait adresser un message universel de solidarité à toutes les femmes qui voient cette liberté bafouée. Or, la sauvegarde des droits et libertés des femmes ne se réduit pas à un sombre concours pour savoir qui sera le premier, ni à une croisade à travers le monde, et encore moins à un message universel envoyé à la terre entière, à plus forte raison lorsque ces droits et libertés ne sont pas, tant s'en faut, effectifs en France. Les femmes, où qu'elles vivent, méritent mieux que cette vulgaire course à la gloriole.
La législation sur l'IVG n'a jamais été une évidence, comme vient de l'illustrer l'intervention de l'extrême droite. Cette législation est née d'un long processus historique d'acquisition de droits civils, sociaux et politiques au bénéfice des femmes en France. Je rends hommage aux militantes, aux associations qui, sur le terrain, dans les permanences, ont inlassablement mené ce combat et ce, de longue date. Je pense en particulier à l'Association nationale pour l'étude de l'avortement (Anea), à Choisir, au Mouvement français pour le planning familial (MFPF), au Mouvement de libération des femmes (MLF), au Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception (Mlac) et à beaucoup d'autres organisations, que je ne peux pas toutes citer. Je rends hommage à toutes celles et tous ceux qui, hier comme aujourd'hui, ont mené une lutte sans repos pour les droits des femmes : cette victoire, comme celle de 1975, est la leur.
Or, en 2024, quarante-neuf ans après le vote de la loi Veil, l'accès à l'IVG n'est toujours pas pleinement effectif dans notre pays. Il est toujours difficile pour certaines femmes d'accéder à un avortement sûr, sécurisé, dans des délais convenables. La double clause de conscience n'est toujours pas abrogée. Certaines femmes doivent encore parcourir des dizaines de kilomètres pour avorter. En quinze ans, 130 centres IVG ont été fermés, selon le Planning familial.
Le combat des femmes pour le droit à disposer de leur corps est plus que jamais d'actualité. Quarante-neuf ans après le vote de la loi Veil, nous restons parfois dans un « en même temps » insupportable, qui est la marque de ce gouvernement. Comment oublier que le 5 janvier, l'ancienne ministre de la santé, Agnès Firmin Le Bodo, se rendait à l'institut Lejeune, qui milite ouvertement contre l'avortement et le droit à mourir dans la dignité ?
Comment oublier que la nouvelle ministre de la santé, Catherine Vautrin, alors qu'elle était députée, membre du groupe Les Républicains, saisissait en 2017 le Conseil constitutionnel, lui demandant de censurer la loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'IVG ?
Surtout, comment oublier que le décret censé autoriser les sages-femmes à pratiquer des IVG instrumentales, pris il y a seulement un mois en application de la loi Gaillot, est si contraignant qu'il en arrive à contredire l'objectif même de la loi, faisant ainsi régresser le droit à l'IVG ?
Je vous le demande avec d'autant plus de force que, en France, en Italie, aux États-Unis et dans bien d'autres pays du monde, les anti-choix battent le pavé, avec à la clef, bien souvent, des victoires de l'extrême droite. À travers le monde, ils ont un seul mot d'ordre : la régression.
Demain, en Andorre – dont le Président de la République est le coprince –, sera rendu le verdict dans le procès de Vanessa Mendoza Cortés. Militante pour le droit à l'avortement dans un pays où l'IVG est considérée comme un crime, elle est jugée pour avoir dénoncé cet état de fait devant l'ONU. Il est plus qu'urgent d'inscrire la garantie du droit à l'IVG et, par-là, d'envoyer un signal aux femmes qui se battent dans le monde entier.
Le « manifeste des 343 salopes » affirmait : « L'avortement libre et gratuit n'est pas le but ultime de la lutte des femmes. Au contraire il ne correspond qu'à l'exigence la plus élémentaire, ce sans quoi le combat politique ne peut même pas commencer. » La victoire à laquelle nous aspirons est donc celle de l'humanisme qui guide l'action de mon groupe, pour la constitutionnalisation du droit à l'IVG comme pour le droit à mourir dans la dignité. Il n'y a pas de plus grande liberté, selon nous, que d'être maître de son corps tout au long de sa vie.
Bien que nous ne soyons pas d'accord avec la rédaction du projet de loi constitutionnelle, nous voterons celui-ci en l'état, parce que le besoin de consacrer ce droit humain fondamental dans la Constitution est urgent, autant pour les femmes de ce pays que pour envoyer un message d'encouragement à toutes celles qui se battent en Argentine, aux États-Unis, en Pologne, en Hongrie, en Italie et dans bien d'autres pays. Nous modifierons cette rédaction dans la Constitution de la VIe République, que j'espère, en ajoutant au droit à l'IVG son corollaire : le droit à la contraception.
Avant que nous n'examinions ce projet de loi constitutionnelle, je souhaiterais rappeler la lignée dans laquelle il s'inscrit. Jusqu'en 1975, l'avortement constituait un délit pénal, sanctionné par cinq ans d'emprisonnement. Les médecins pouvaient être condamnés à une interdiction d'exercer ; les femmes concernées étaient contraintes de se rendre à l'étranger ou de recourir à des avortements clandestins, comportant tous les risques que l'on sait.
La légalisation de l'IVG est le fruit d'un long combat. Le droit à l'IVG fait désormais partie intégrante de notre patrimoine juridique fondamental, ce dont nous nous félicitons.
La question qui nous est aujourd'hui posée est de savoir si la protection constitutionnelle de l'IVG en France est suffisamment solide et durable, ou si l'inscription de cette protection dans la Constitution est nécessaire. Corollairement, nous devons nous demander si cette inscription ne risque pas de rompre l'équilibre auquel est parvenue la loi Veil entre le droit à l'avortement et le droit ou la liberté de l'enfant à naître.
Il faut le rappeler, il n'existe pas aujourd'hui en France de risque de revirement de la jurisprudence relative à l'avortement. La décision de la Cour suprême des États-Unis n'emporte aucune conséquence pour notre pays. Le droit à l'avortement tel que la loi Veil le garantit n'est pas menacé, comme l'indiquent tous les avis du Conseil constitutionnel. Il demeure l'un de nos droits fondamentaux. Nos groupes politiques, sauf exception, sont au diapason sur ce sujet. L'IVG figure ainsi dans notre droit depuis 1975, et le droit d'y avoir recours n'a cessé d'être renforcé depuis cette date. Par quatre fois, le Conseil constitutionnel s'est prononcé en faveur de sa constitutionnalité et a approuvé son élargissement : en 1975, 2001, 2014 et 2016. Ainsi, même si l'IVG n'était pas inscrite dans la Constitution, il est fort probable que le Conseil constitutionnel jugerait inconstitutionnelle une loi interdisant ou restreignant l'IVG, puisqu'elle priverait de garantie légale l'exercice de cette liberté de la femme reconnue par l'article 2 de la DDHC de 1789.
On peut donc s'interroger sur le caractère strictement symbolique de l'inscription dans la Constitution prévue par le présent projet de loi. Il est important que nous envoyions des signaux au monde ; la France a un rôle à jouer dans ce domaine. Attention, toutefois, à ne pas instrumentaliser notre loi fondamentale à des fins diplomatiques ou du moins, si nous le faisons, à ne pas nous exposer de ce fait à un risque juridique nouveau, donnant lieu à l'ouverture de contentieux.
L'exposé des motifs du projet indique que la révision constitutionnelle vise à adresser un message universel de solidarité aux femmes qui voient leur liberté bafouée. Rappelons cependant que Simone Veil elle-même, en décembre 2008, n'a pas recommandé de modifier le préambule de la Constitution, ni d'intégrer à celle-ci des droits ou libertés fondamentaux liés à la bioéthique, tels que le droit ou la liberté d'avoir recours à l'IVG. Elle s'était, en outre, déclarée contre l'inscription dans la Constitution de dispositions de portée purement symbolique.
Les députés du groupe Les Républicains sont attachés à l'équilibre de la loi Veil de 1975, qui repose sur la conciliation entre la liberté des femmes et la protection de l'enfant à naître. Nous aurons donc beaucoup de questions à poser sur l'articulation entre la garantie de la liberté de recours à l'IVG souhaitée par le Gouvernement, d'une part, et la liberté de conscience des médecins et les droits de l'enfant à naître, d'autre part.
Clin d'œil de l'histoire, demain, alors que notre commission débattra du présent projet de loi, il se sera écoulé quarante-neuf ans depuis la promulgation de la loi Veil, qui donna aux femmes la liberté de disposer de leur corps et de choisir d'être mères. Depuis, plusieurs lois ont élargi et amélioré le cadre de prise en charge de l'IVG.
Malheureusement, le droit à l'IVG, que nous pensons fondamental et inaliénable, n'est pas à l'abri de régressions ou, pire, d'abrogations. Les multiples atteintes dont il a fait l'objet en Europe et outre-Atlantique sont une triste réalité. L'onde de choc provoquée par la décision historique de la Cour suprême américaine bouleverse nos convictions et brise le mouvement de progression du droit des femmes à disposer de leur corps, que l'on croyait continu.
Les paroles de Simone de Beauvoir à Claudine Monteil, diplomate et signataire du « manifeste des 343 », au lendemain de l'adoption de la loi Veil par l'Assemblée nationale, sont criantes de vérité : « Nous avons gagné, mais temporairement. Il suffira d'une crise politique, économique et religieuse, pour que les droits des femmes, nos droits, soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez demeurer vigilante. »
Cette vigilance est en réalité l'affaire de toutes et de tous. Il appartient aux députés de tous bords de l'exercer. Il nous faut nous interroger sur notre capacité à prévoir de tels revers en France et il est de notre devoir de protéger la liberté de recourir à l'IVG de toute crise politique, économique et religieuse.
Rappelons que si nous débattons aujourd'hui, c'est parce que le droit à l'IVG ne bénéficie pas de la protection la plus forte qui soit. Si le Conseil constitutionnel, depuis 2011, a rattaché la liberté de recourir à l'IVG à la liberté de la femme, qui découle de l'article 2 de la DDHC, il ne lui a jamais été conféré de valeur constitutionnelle.
Symbole, diront les uns, véritable protection, diront les autres. Il n'en demeure pas moins que la constitutionnalisation de l'IVG permettra de se prémunir contre toute velléité de remise en cause de cette liberté par la loi.
Alors que 82 % des Français et des Françaises se déclarent favorables à cette constitutionnalisation, elle serait par ailleurs un signal fort et utile pour le reste du monde. À ce jour, en effet, aucune Constitution ne reconnaît ce droit de façon positive.
Le 24 novembre 2022, notre assemblée adoptait, à une large majorité transpartisane, une proposition de loi constitutionnelle garantissant aux femmes l'effectivité et l'égalité de l'accès à l'IVG. Le 1er février 2023, le Sénat adoptait à son tour cette proposition de loi, dans une nouvelle rédaction.
Le texte proposé aujourd'hui est le fruit d'un équilibre entre la position de l'Assemblée nationale et celle du Sénat, retenant les mots « interruption volontaire de grossesse », afin de ne laisser subsister aucune ambiguïté, consacrant l'existence d'une liberté et reconnaissant le rôle du Parlement dans l'établissement des conditions dans lesquelles s'exerce cette liberté garantie par la Constitution.
Gouvernement, politiques, élus, citoyens, je crois qu'un même élan nous entraîne tous désormais. Si nous prenons acte de notre consensus en faveur de la révision de notre Constitution, cette révision ne doit pas pour autant se faire à la légère. Le groupe Démocrate salue, à ce titre, la décision du Président de la République de recourir à un projet de loi constitutionnelle et, de ce fait, à un vote des parlementaires réunis en Congrès.
Quarante-neuf ans après l'adoption de la loi Veil, le présent texte constitutionnel, traitant d'un sujet de société qui interroge la conscience de chacun d'entre nous, est très attendu.
En 2018, déjà, nous avions présenté un amendement au projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, qui prévoyait la reconnaissance, dans le préambule de la Constitution de 1958, du droit d'accéder à une contraception adaptée et gratuite, ainsi que de recourir librement à l'IVG. En 2019, nous reprenions cet amendement sous la forme d'une proposition de loi constitutionnelle, qui n'obtint pas, alors, l'aval de la majorité.
Le présent projet de loi constitutionnelle, qui inscrit l'IVG dans notre norme fondamentale, est un acte profondément politique, qui traduit en droit la volonté de la communauté nationale d'inscrire dans les règles qui régissent son fonctionnement la possibilité pour la femme de disposer librement de son corps.
Nul doute que les propos que nous tenons aujourd'hui résonneront bien au-delà des murs de notre commission, pour des milliers de femmes à travers le monde. Le renversement de l'arrêt Roe vs Wade par la Cour suprême américaine, la mobilisation de toutes les associations féministes, le dépôt de six propositions de loi et l'adoption par les deux chambres d'une proposition visant à constitutionnaliser l'IVG ont poussé le Président de la République à s'engager en ce sens.
Bien que la rédaction du présent projet de loi constitutionnelle ne soit pas parfaite, nous nous en satisfaisons, d'abord parce que ce texte répond à un besoin politique, en créant un bouclier contre toute régression de la liberté de recourir à l'IVG. À ceux qui arguent qu'aucune menace imminente ne pèse sur le droit d'avorter en France, nous opposons les contre-exemples des sept États américains ayant interdit l'IVG même en cas de viol ou d'inceste, de la Pologne, où les IVG ne sont plus autorisées qu'en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère, de la Hongrie, qui oblige désormais toute femme souhaitant avorter à écouter battre le cœur du fœtus.
Que la France ne risque pas aujourd'hui de se trouver dans une telle situation ne saurait préjuger du maintien du statu quo, d'autant que les entraves à l'IVG prennent des formes de plus en plus pernicieuses de la part des mouvements anti-choix, qui trompent les femmes peu ou mal informées afin de les inciter à poursuivre leur grossesse.
Nous nous satisfaisons de cette rédaction, ensuite, car le texte répond à un besoin juridique, en garantissant une protection qui n'est aujourd'hui assurée ni par notre Constitution, ni par les normes européennes. La constitutionnalisation proposée créerait ainsi une base juridique robuste en droit interne, permettant la censure d'une loi régressive par le Conseil constitutionnel.
Enfin, nous nous en satisfaisons, car il répond à un besoin exprimé par notre société, en garantissant aux femmes la libre disposition de leur corps, garantie nécessaire pour assurer une égalité réelle, pleine et entière entre les femmes et les hommes.
La rédaction du projet de loi n'en demeure pas moins perfectible. Nous aurions préféré la consécration d'un véritable droit fondamental à l'IVG sans qu'il soit rattaché à la liberté personnelle. Nous n'aurions pas introduit l'IVG dans l'article 34 de la Constitution, mais plutôt dans son article 1er, écrin des droits. Nous aurions souhaité que le droit à la contraception figure également dans le projet.
Nous savons cependant que les victoires féministes ont toujours été le fruit de compromis. Sans accommodements, Simone Veil ne serait pas parvenue à faire adopter la loi sur l'avortement ; cinquante ans plus tard, c'est toujours le cas.
Nous tenons toutefois à insister sur deux points, et d'abord, sur la notion indispensable de garantie. De l'avis des constitutionnalistes que nous avons auditionnés, l'absence du mot « garantie » aurait pour conséquence de limiter la révision au rappel du droit existant, à savoir de la compétence du législateur pour définir le cadre applicable à l'IVG. Cette absence rendrait également la formulation imprécise et créerait une incertitude juridique s'agissant de l'intention initiale du législateur.
Nous soulignons, en outre, que le terme « femme » ne doit pas être interprété comme excluant les personnes transgenres du champ d'application de la loi.
Parce que nous savons que cette rédaction est le résultat d'un compromis avec le Sénat ; parce qu'il est important de faire sévèrement échec aux pro-vie et de faire progresser collectivement la protection de ce droit ; parce que des millions de femmes partout dans le monde nous attendent, nous avons choisi une position responsable, en acceptant le compromis et en ne déposant pas d'amendement.
Le 24 juin 2022, outre-Atlantique, la Cour suprême des États-Unis rendait une décision relative à l'interruption de grossesse, qui propagea une onde de choc à travers le monde. En mettant un terme à la célèbre jurisprudence Roe vs Wade de 1973, la Cour suprême a démontré la fragilité des droits fondamentaux qui semblaient acquis dans nos sociétés modernes.
En Europe également, certains courants tentent d'entraver la liberté des femmes d'interrompre leur grossesse. La France, fort heureusement, est dans une situation très éloignée de celle des États-Unis. Le droit à l'IVG n'y fait plus l'objet d'aucune remise en cause par les partis politiques de tous bords, même si des mouvements concentrés et relativement minoritaires portent toujours une voix pro-vie. Notre réaction à l'évolution proposée de notre droit doit donc être mesurée.
Néanmoins, face au retour en arrière que constitue la décision de la Cour suprême américaine, nous devons montrer l'exemple. Consacrer cette liberté au sommet de la hiérarchie des normes ferait de la France l'un des premiers pays au monde – et le premier en Europe – à protéger dans sa Constitution la santé physique et psychique des femmes contre les risques que présente un avortement dans la clandestinité.
En héritiers de Simone Veil, nous nous prémunirions ainsi contre la possibilité d'un retour aux faiseuses d'anges, près de cinquante ans après la loi fondatrice du 17 janvier 1975, en empêchant la remise en cause par la loi de la liberté d'avoir recours à l'IVG. C'est un message fort envoyé aux hommes et aux femmes du monde entier.
La pertinence de l'inscription de cette liberté dans notre Constitution a été confirmée par l'avis rendu par le Conseil d'État le 7 décembre 2023. Celui-ci a noté que la liberté de recourir à l'IVG ne fait aujourd'hui l'objet d'aucune consécration en tant que telle dans la Constitution française, dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou dans le droit de l'Union européenne. Elle n'est pas davantage consacrée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ou de la Cour de justice de l'Union européenne, qui renvoient toutes deux à l'appréciation des États la recherche d'un équilibre entre le droit à la vie privée de la mère et la protection de l'enfant à naître.
Dans sa décision du 27 juin 2001, le Conseil constitutionnel a fait le choix d'adosser la valeur constitutionnelle de la liberté de la femme d'avoir recours à l'IVG à celle de la liberté de la femme prévue par l'article 2 de la DDHC.
Le groupe Horizons et apparentés est favorable au présent projet de loi constitutionnelle en ce qu'il insère à l'article 34 de la Constitution un alinéa précisant que « La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »
La rédaction choisie emporte notre approbation, car elle précise que c'est à la loi de garantir l'effectivité du droit à l'IVG et l'accès à celle-ci, en d'autres termes qu'il revient aux représentants de la nation de déterminer les conditions dans lesquelles ce droit s'exerce. Ainsi, la liberté de recourir à l'IVG sera protégée de façon pérenne, tout en continuant d'être encadrée par un processus démocratique.
Par ailleurs, l'emploi d'une formule positive permet d'assurer la constitutionnalité d'un certain nombre de dispositifs importants de notre droit, notamment la clause de conscience des médecins et des sages-femmes.
Le groupe Horizons tient, enfin, à saluer le compromis entre les textes adoptés dans les deux chambres dont résulte la rédaction retenue.
Résolument attaché à la liberté de choisir, notre groupe parlementaire sera toujours guidé par la volonté d'empêcher une quelconque remise en cause de l'équilibre défini par la loi Veil. Nous voterons donc en faveur de ce projet de loi constitutionnelle, dans la rédaction proposée.
L'IVG est de ces conquêtes féministes qui ont donné aux femmes en France une liberté, un droit de disposer de leur corps, et par conséquent de leur vie. Ce n'est pas un combat récent : il a été mené par nos aînées, par ces féministes vilipendées pour avoir eu le verbe trop haut, par ces avorteuses, ces faiseuses d'anges, poursuivies par la justice et dont l'histoire, aujourd'hui, reconnaît l'apport comme la réalité des vies qu'elles ont sauvées. Ces femmes, ces féministes, étaient de tout bord mais partageaient un combat commun. Elles ont tracé le sillon qui nous a conduits au présent texte, lequel constitue une suite à leur travail, mais certainement pas son point final. Il n'est qu'une étape dans le long processus de notre « empouvoirement ».
En tout temps, nos droits peuvent être mis en danger. Ils le sont aujourd'hui, dès lors qu'ils ne sont pas institués. On pense naturellement aux États-Unis, à la Pologne, à tous ces pays où la bascule politique produit une fracture dans le socle de nos droits fondamentaux, dont les femmes sont toujours les premières victimes.
C'est aussi une réalité française : il suffit de penser aux faux sites d'aide aux femmes, qui ont pour principal objectif d'inciter ces dernières à refuser de faire usage de leurs droits et de leur liberté de choix. Je pense également à la campagne des réseaux anti-IVG qui, pour nous menacer ou nous faire peur, ont envoyé par la poste à plusieurs d'entre nous des fœtus en plastique. Que d'argent mal dépensé !
Je pense, enfin et surtout, aux déserts médicaux qui rendent l'accès à l'IVG inégalitaire et plus encore à ces médecins, ces gynécologues qui persistent à culpabiliser les femmes, à tenter de les faire revenir sur leurs choix, et sur lesquels nous butons parfois parmi nos proches ou dans nos circonscriptions, dans nos familles ou dans nos assemblées parlementaires. Leurs victimes ont été et sont encore trop nombreuses.
Ces menaces présentent un point commun, très politique : le choix que font les réactionnaires de toujours empêcher les femmes de disposer de leur corps ; de les tenir à distance et pour ainsi dire en laisse, afin qu'elles ne puissent décider de leur avenir, que nous ne puissions collectivement décider du nôtre. Certains, d'ailleurs, au sein de notre assemblée, en sont encore à légiférer sur le ventre des femmes, pour nous obliger à produire selon certains quotas. Ce sont les mêmes qui opposent les droits des femmes à ceux d'un fœtus et qui refusent de construire l'histoire de demain, celle des femmes et de la France.
Constitutionnaliser, ce n'est pas banaliser, mais bien sanctuariser un droit, celui des femmes. Ce n'est pas démultiplier les recours à l'IVG, ce n'est pas nier le choix de celles qui ne veulent pas y recourir. C'est s'assurer que, quoi qu'il arrive, l'histoire ne se déroule pas à rebours et que nos droits ne régressent pas. C'est aussi inscrire la France dans l'histoire, celle du premier pays à agir en faveur d'une constitutionnalisation partielle de ce droit.
Certes, nous aurions préféré la formulation travaillée par notre collègue Mathilde Panot, qui permettait de garantir l'accès à l'IVG et incluait dans sa version première le droit à la contraception. Nous aurions également pu envisager de constitutionnaliser le délai de recours à l'IVG et de le fixer ainsi à quatorze semaines. Nous défendrons des amendements qui nous permettront d'évoquer les raisons pour lesquelles nous ne le faisons pas et persistons ainsi à nous autolimiter.
Un seul objectif prime cependant sur tout autre : parvenir à avancer, à construire notre histoire, à constitutionnaliser, fût-ce à l'article 34, fût-ce dans une version revue à la baisse, ce droit fondamental, en France, de toutes les femmes, françaises ou non.
Le groupe GDR, comme de nombreux membres de cette commission, n'estime pas que la loi en discussion est vaine ou relève uniquement de la cosmétique ou du symbole. À notre sens, elle est profondément utile sur les plans social, médical, politique et culturel, d'autant plus que nous assistons à la montée en puissance de nouveaux fascismes en Europe et ailleurs dans le monde. Il faut le rappeler, 47 000 femmes dans le monde meurent chaque année d'un avortement clandestin, soit une femme toutes les neuf minutes.
Ce projet de loi constitutionnelle est attendu de très longue date. Il faut, à cet égard, noter à quel point les luttes pour les droits des femmes sont longues et combien il faut, pour qu'elles aboutissent, toujours accepter des compromis. C'est la marque des grandes conquêtes féministes. Je tiens ici à rendre hommage à toutes celles qui se sont battues pour les mener à leur terme et à toutes celles qui persisteront à le faire en faveur de nouvelles victoires.
De très nombreuses associations continuent d'œuvrer pour le droit à l'avortement et pour son effectivité réelle en France. Je pense aussi à toutes celles et à tous ceux qui ont souhaité, au Parlement, se saisir de cette question et s'assurer de la protection absolue du droit à l'IVG, notamment depuis l'annulation de l'arrêt Roe vs Wade par la Cour suprême américaine, dont la résonance a été internationale.
Je remarque d'ailleurs que le combat pour le droit à l'IVG a dans le monde un écho d'une ampleur telle qu'il semble dépasser celui de toute autre lutte. Dans certains pays – au Kenya, au Nigeria, en Éthiopie ou en Inde –, des mouvements anti-avortement ont saisi l'occasion que leur fournissait la décision de la Cour suprême des États-Unis pour arrêter des processus législatifs progressistes favorables aux droits sexuels et reproductifs. La constitutionnalisation de l'IVG en France, importante pour la défense des droits des femmes dans notre pays, aurait donc également une résonance ailleurs dans le monde. Je ne le néglige pas et j'en serais même fière.
Le séisme outre-Atlantique a rouvert en France le débat sur la constitutionnalisation en question. Suivant un sondage pour la Fondation des femmes et le Planning familial réalisé en février 2021, 93 % des Français se disent attachés au droit à l'avortement. Les associations pro-vie n'en demeurent pas moins vigoureuses et abreuvées de financements aussi opaques que nombreux. Ces associations financent des campagnes régulières à l'effet considérable, qui passent par des manifestations anti-IVG, par la diffusion de fausses informations auprès des femmes sur internet, ou encore par la mobilisation d'élus réactionnaires. Les pro-vie redoublent ainsi de créativité dans le but d'empêcher les femmes d'avorter.
Je réponds ainsi à ceux qui estiment que le droit à l'avortement en France ne court aucun danger. Je pense que ce danger existe mais, même s'il n'existait pas, il n'en serait pas moins nécessaire de le protéger absolument.
Je terminerai en indiquant que la formulation proposée ne nous convient pas. Elle est perfectible. Nous défendrons donc des amendements, car nous estimons qu'il est utile de continuer à en débattre. Néanmoins, nous voterons évidemment en faveur de la constitutionnalisation de l'IVG.
Il est important d'être constant et de rester fidèle à ses convictions. Plus d'un an après le vote de la dernière proposition de loi sur ce thème, la position de la très grande majorité de notre groupe n'a pas changé. Nous restons favorables plus que jamais à l'inscription dans notre Constitution du droit à l'IVG pour toutes les femmes.
Ce projet de loi a de réelles chances d'aboutir. Une fenêtre de tir assez inespérée s'ouvre devant nous et nous ne pouvons pas la manquer. Les avancées consacrées par la loi Veil il y a quarante-neuf ans sont désormais soutenues par une immense majorité de nos concitoyens. Il est temps d'aller plus loin.
Je commencerai par répondre à ceux de nos collègues qui considèrent que le droit actuel est suffisamment protecteur. L'optimisme est certes une qualité, mais il ne doit pas conduire à l'aveuglement. Si la loi Veil est une grande loi, elle n'en reste pas moins une loi ordinaire, susceptible de se trouver limitée par une autre loi ordinaire. À ceux qui affirment qu'il n'existe pas de risque politique réel et imminent, je répondrai que l'improbable n'est pas impossible. S'il existe dès à présent une majorité pour voter ce texte, cela doit nous conduire à renforcer la protection du droit à l'IVG, et non à l'inaction.
Nous pourrions reprocher une prudence excessive à la rédaction proposée par le garde des sceaux. L'article unique reste, selon nous, un peu timide par comparaison avec la rédaction adoptée par notre assemblée en novembre 2022. Le projet retient le terme de « liberté » et non celui de « droit ». Ce choix n'est pas anodin. Bien que le Conseil d'État considère que les deux termes sont interchangeables, il s'agit tout de même de notre Constitution et le choix des mots, le signal envoyé aux femmes sont importants. Un droit est une garantie réelle offerte à une personne qui en a besoin, et l'emploi de ce terme nous paraîtrait à cet égard plus approprié.
Nous estimons surtout qu'il faudrait aller plus loin et retenir la rédaction adoptée par notre assemblée. Pourquoi ne pas garantir dans la Constitution un droit effectif, dont l'égal accès serait assuré à tous ? Il existe encore de nombreux clivages, en particulier des fractures territoriales, dans l'accès à l'IVG. Ce texte ne doit pas se limiter aux symboles ; il doit ouvrir également la voie à des avancées concrètes pour que toutes les femmes se trouvant sur notre territoire puissent avoir accès à l'IVG dans les mêmes conditions.
Nous pensons que notre commission gagnerait à se montrer plus ambitieuse. On ne modifie pas la Constitution tous les jours, et nous devons être à la hauteur des attentes des citoyens et des citoyennes. Néanmoins, nous nous associons à l'élan de responsabilité qui anime la plupart des groupes ici présents, en insistant sur la nécessité de renforcer la protection du droit à l'IVG par l'inscription de cette dernière dans la Constitution.
Je veux d'abord remercier Mme Violland d'avoir rappelé les termes employés par le Conseil d'État. Il nous indique que la liberté de recourir à l'IVG n'est garantie ni par la Constitution, ni par le Conseil constitutionnel, ni par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni par la Cour de justice de l'Union européenne. Elle n'est garantie par rien. Cela seul justifie que nous inscrivions la liberté de recourir à l'IVG et sa garantie dans la Constitution.
Madame Bordes, s'agissant du caractère symbolique de l'inscription dont nous discutons, dois-je vous rappeler que c'est dans la Constitution que la couleur du drapeau, la langue française, notre devise sont inscrites ? La Constitution a donc aussi une portée symbolique, très importante dans la période que nous traversons. Il est crucial d'affirmer, dans le texte au sommet de la hiérarchie des normes, la liberté des femmes de disposer de leur corps. Je suis toujours heureux, fier et ému quand l'universalisme de la France des Lumières éclaire le monde entier, surtout quand cela procède d'un travail transpartisan.
À ce propos, je vous remercie, madame Panot, d'avoir indiqué que vous voteriez en faveur du texte bien que vous n'aimiez pas sa formulation. Vous avez raison de le faire compte tenu de la méthode employée par le Président de la République, qui a d'abord consisté à suivre avec intérêt et bienveillance les initiatives parlementaires. Ces dernières ont abouti. J'ai moi-même soutenu le texte que vous avez présenté, et Aurore Bergé a retiré le sien. Au Sénat, votre texte s'est trouvé face à celui de Mme Vogel, et il n'y a eu qu'une discussion. Les rédactions adoptées par les deux assemblées ont beaucoup en commun, mais présentent aussi quelques divergences sémantiques avec lesquelles je suis obligé de composer. L'antériorité de ce travail parlementaire a donc eu ceci de positif qu'elle a permis au Gouvernement de présenter un texte susceptible d'être adopté par les deux assemblées.
Je rappelle qu'en vue du Congrès, le texte définitif doit être adopté par ces dernières en des termes identiques. Il est normal que l'Assemblée ne soit pas tout à fait satisfaite du texte proposé par le Sénat, de même que le Sénat n'était pas pleinement satisfait de celui que proposait l'Assemblée. Néanmoins, la rédaction à laquelle nous sommes parvenus est extrêmement équilibrée. C'est maintenant ou jamais : soit nous jouons le jeu transpartisan et menons à son terme l'œuvre collective qui a commencé et qui se terminera au Parlement ; soit nous la faisons capoter pour un mot, pour une virgule.
Je vous invite à lire l'avis limpide du Conseil d'État, en particulier sur la question de l'équilibre, madame Bonnivard. Il consacre un paragraphe à démontrer que les grands équilibres ne seront en rien modifiés par le projet. À cet égard, les choses me paraissent tout à fait claires.
Le sujet fait l'objet d'un consensus transpartisan et le projet permet de trouver un point d'équilibre. En avant toute ! C'est très important.
On nous dit qu'il ne faut pas exagérer les risques, que le droit à l'IVG ne sera jamais remis en question et que l'Atlantique nous sépare des États-Unis. Ce droit y était reconnu depuis cinquante ans, mais c'est pourtant désormais fini. Je pourrais aussi parler de la Hongrie et de la Pologne. Des gens continuent d'envoyer des fœtus en plastique aux députés. Il y a dans notre pays des forces qui n'ont aucune envie de garantir le droit à l'avortement et de protéger cette liberté pour les femmes. Je le dis sans viser quiconque. Ces personnes se trouvent essentiellement à l'extrême droite. C'est une réalité qui a été soulignée par Sarah Tanzilli.
Nous avons un grand texte de liberté. Ce n'est pas tous les jours que l'on peut tous ensemble discuter d'un tel projet et le voter. Alors soit on choisit de chipoter – mais ce n'est pas ce que j'ai entendu aujourd'hui –, soit on adopte ce texte pour faire figurer ce droit dans notre Constitution. Comme l'a relevé Mme Faucillon, le Conseil d'État a cru utile de rappeler que cela serait la première fois qu'un pays inscrit cette liberté dans sa Constitution. Si j'étais familier, je dirais que ça a de la gueule ; comme je le suis moins, je dis que cela a quand même beaucoup d'allure.
Je reprends l'invitation de Sarah Tanzilli : l'humilité doit guider nos travaux à venir. Je remercie les collègues qui avaient déposé d'autres propositions de rédaction d'avoir fait preuve de retenue, en accordant la priorité à un accord avec le Sénat et en prenant en considération la qualité des apports proposés par nos collègues sénateurs. Cela nous permettra, j'en suis sûr, d'aboutir à la constitutionnalisation de la liberté de recourir à l'IVG.
Notre désaccord est en effet certain, madame Bordes. Vous estimez que le texte n'est pas utile et que le droit à l'IVG ne subit pas d'attaques. Nous considérons qu'il fait bien l'objet d'attaques – et pas seulement en Europe ou ailleurs dans le monde, mais aussi en France. Cela justifie que l'on place au niveau constitutionnel la protection du droit à l'IVG, ce qui recueille un accord de l'Assemblée et du Sénat et un fort soutien de nos concitoyennes et concitoyens. Il faut le faire le plus rapidement possible – ce qui ne signifie pas fixer une date à respecter. Si nous y arrivons en mars, cela sera très bien ; si c'est en avril, cela sera très bien aussi. L'objectif est d'aboutir, en respectant le travail réalisé par les deux chambres.
Par ailleurs, madame Bordes, à travers cette constitutionnalisation, nous allons reconnaître une liberté publique fondamentale. Le droit à l'avortement a été conçu en 1975 comme une dérogation au droit pénal qui considérait l'IVG comme un délit, et donc comme une tolérance. Ce que nous proposons, c'est de consacrer la liberté publique fondamentale, celle de disposer de son corps. C'est un message majeur en matière d'égalité des droits à destination des générations présentes et à venir, mais aussi du monde entier.
D'un point de vue technique, vous avez estimé que cette constitutionnalisation entraînerait une refonte importante du code de la santé publique. Je vous invite à lire l'alinéa 12 de l'avis du Conseil d'État, où ce dernier indique que le projet n'implique aucune modification des dispositions législatives existantes. Il ne serait donc pas nécessaire de modifier le code de la santé publique.
Je rebondis sur l'intervention de notre collègue Émilie Bonnivard pour souligner que la discussion des amendements permettra de s'interroger sur la protection accordée au droit à l'avortement par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Nous estimons que cette dernière ne va pas assez loin, car le Conseil n'a jamais reconnu l'avortement comme une liberté. Il existe donc une incertitude dans le cas où le Conseil serait amené à se prononcer sur un texte qui reviendrait en arrière. C'est la raison pour laquelle il convient d'apporter une réponse au niveau constitutionnel, en retenant une rédaction sans aucune ambiguïté.
Marie-Noëlle Battistel a insisté, à juste titre, sur l'importance du mot « garantie ». Nous avions été un certain nombre à considérer que nous pourrions finalement reprendre le texte du Sénat sans modification. Les travaux menés par le Gouvernement, l'avis du Conseil d'État et les auditions ont montré toute l'importance de l'emploi de ce mot. Nous ne pouvons pas revenir en arrière et le supprimer laisserait entendre que nous ne souhaiterions pas garantir cette liberté, or c'est notre objectif.
Enfin, madame Regol, constitutionnaliser ne veut en effet pas dire banaliser, mais bien sanctuariser. C'est ce but qui doit guider nos travaux.
Le moment est solennel, car il est rare dans la vie d'un député d'exercer le pouvoir constituant. La démarche est toute autre que celle que nous avons habituellement. Il ne s'agit plus de faire vivre les grandes oppositions qui traversent la société mais, au contraire, comme il s'agit de la norme suprême, d'énoncer clairement la perception de la très grande majorité des Français des droits et libertés.
Je voudrais répondre à l'un des arguments de ceux qui contestent l'utilité de constitutionnaliser la liberté de recourir à l'IVG – comme François-Xavier Bellamy, tête de la liste LR pour les élections européennes. J'ai également entendu la position du RN lors de cette réunion. Selon eux, le texte ne sert à rien parce que tout le monde est d'accord sur le droit de recourir à l'IVG et qu'il n'existe pas de risque de remise en question de ce dernier. Si tout le monde est d'accord, pourquoi ce droit ne figure-t-il pas déjà dans la Constitution ?
En exerçant le pouvoir constituant, la question que nous devons nous poser est de savoir pourquoi une telle béance existe s'agissant d'un droit absolument fondamental pour les femmes. Sans lui, il ne peut pas y avoir d'égalité de droits entre les femmes et les hommes. Lorsque le Conseil constitutionnel a reconnu que le droit de recourir à l'IVG était conforme à la Constitution, il s'est appuyé sur le troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, qui garantit à la femme des droits égaux à ceux de l'homme. Pour atteindre l'égalité, il faut pouvoir maîtriser la procréation.
Je considère qu'il faut discuter de l'emplacement à retenir pour ce droit dans la Constitution, non pas pour s'opposer au consensus, mais pour enrichir le débat constitutionnel.
Nous aurons l'occasion de préciser la rédaction et les effets de ce texte lors de la discussion des amendements demain.
Contrairement à ce qui a pu être dit, la France ne serait pas le premier pays à inscrire le droit à l'IVG dans la Constitution. Vous avez estimé, monsieur le garde des sceaux, que la France des Lumières pouvait éclairer le monde entier. Un autre pays l'a déjà fait : il s'agit de la Yougoslavie socialiste. L'article 191 de la Constitution de 1974 reconnaissait le droit à l'IVG. Ce texte permettait aussi au maréchal Tito de devenir président à vie…
Tout cela pour vous inciter à davantage de modestie avant l'examen de ce texte et pour que l'on n'entende plus que la France va être le premier pays à inscrire le droit à l'IVG dans sa Constitution. Cela a déjà été fait il y a maintenant cinquante ans. Chacun a les références qu'il peut.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre – trois hommes qui soutiennent une volonté de faire évoluer la Constitution –, en tant que femme et parlementaire, je suis vraiment ravie que nous atteignions cet objectif visé depuis très longtemps.
Comme cela a été bien dit par Marie-Noëlle Battistel, nous nous interrogeons sur plusieurs points, mais nous soutenons la démarche qui a été retenue.
Nous sommes, bien entendu, favorables à l'inscription du droit à l'IVG dans la Constitution, car il est plus difficile de modifier cette dernière. En outre, le texte proposé permettra d'éviter une interprétation de la Constitution qui porterait atteinte à ce droit.
Mais il convient aussi de rappeler que les pouvoirs publics, à tous les niveaux, doivent également accorder une priorité élevée à la protection de la santé et des droits sexuels et reproductifs des femmes. Il faut soutenir activement des politiques qui permettent un accès effectif à la contraception et garantir l'exercice réel du droit à l'IVG. Inscrire ce droit dans la Constitution est nécessaire, mais cela ne suffira pas. Il faudra aussi se préoccuper de la difficulté à trouver des praticiens, de l'absence de centres spécialisés et des problèmes liés à l'éloignement et aux disparités régionales qui perdurent. On sait que des obstacles culturels, pratiques et économiques entravent l'accès à la santé reproductive et au droit à l'IVG.
Oui, il faut garantir la liberté de recourir à l'IVG. Mais quelles mesures entendez-vous mettre en œuvre à l'échelle ministérielle et interministérielle pour aller plus loin et compléter cette constitutionnalisation ?
Quelques mots pour replacer le débat dans le contexte politique qui l'a suscité, à savoir l'arrêt de la Cour suprême des États-Unis. Ce contexte, on l'a transposé un peu rapidement, car le système juridique américain n'a rien à voir avec le nôtre et comparaison n'est pas raison.
Le Conseil constitutionnel s'est prononcé quatre fois sur la constitutionnalité de l'IVG – et sa dernière décision est intervenue en 2016, pas en 1975. En réalité, il n'y a pas de risque d'atteinte au droit à l'avortement sur le plan constitutionnel, même en cas de changement de majorité. D'une certaine manière, ce droit fait désormais partie du bloc de constitutionnalité, dans la continuité de la décision fondatrice de 1971.
Le débat est donc davantage politique que juridique. On rappellera aussi la petite guéguerre de propositions de loi entre la présidente Panot et la présidente Bergé, qui avaient dégainé à quelques heures d'intervalle pour essayer de préempter le sujet. Il est bon aussi d'avoir cela présent à l'esprit, sans naïveté. Ce texte est une occasion de réunir quelques éléments de gauche pour faire oublier les fractures qui se sont manifestées notamment avant Noël.
Rassurez-vous, les LR vont bien en ce moment. Que chacun s'occupe de ses têtes de liste aux européennes et on en reparlera, chers collègues.
Comme vous l'avez compris, nous posons, pour notre part, un certain nombre de questions de fond. C'est l'objet des amendements dont nous débattrons demain. Il ne s'agit absolument pas de faire de l'obstruction, mais d'obtenir des réponses précises à des questions précises. Une révision de la Constitution, ce n'est pas rien. Le choix qui a été fait consiste à modifier l'article 34, mais qu'entend-on par garantir la liberté de recourir à l'IVG ? Nous le verrons lors de l'examen de nos amendements.
Nous menons ce combat pour garantir le droit à l'IVG depuis des années. Marie-Noëlle Battistel a rappelé que notre groupe avait déposé des amendements en ce sens en 2018 et en 2019. Nous avons également déposé une proposition de loi pour inscrire ce droit à l'article 1er de la Constitution. Mais nous acceptons pleinement les avancées qui sont proposées, car c'est le compromis qui doit aboutir dans la loi fondamentale.
Première remarque : je ne comprends pas que l'on puisse s'opposer à la création d'un droit. On n'oblige personne à recourir à l'IVG. Nous demandons simplement de permettre aux personnes qui le souhaitent de pouvoir le faire. La création d'un droit est toujours un moment important et joyeux.
Deuxième remarque : si nous arrivons à une grande victoire collective en inscrivant ce droit dans la Constitution, cela engage aussi bien le législateur que le Gouvernement à s'attacher aux conditions de mise en œuvre du droit à l'IVG. Je suis d'accord avec la clause de conscience, qui permet à un médecin de refuser de pratiquer l'acte. Mais ce dernier a, dès lors, l'obligation de diriger sa patiente vers un confrère qui l'accepte. Il faut bien constater que cette obligation n'est pas toujours respectée. Il est donc essentiel de rappeler les devoirs et les responsabilités de chacun.
Je remercie le rapporteur pour son excellent propos et je suis d'accord avec lui sur le caractère indispensable du verbe « garantir ». Nous avions bataillé pour qu'il soit employé en matière d'environnement et nous serons à vos côtés sur ce sujet.
Pourquoi est-ce que cela ne se passe pas comme ça dans l'hémicycle ? Ce n'est pas moi qui pose la question aux députés, ce sont des députés qui me la posent.
Madame Garrido, la question de l'emplacement dans la Constitution où doit figurer la liberté de recourir à l'IVG est en effet centrale. Un certain nombre d'amendements portent sur ce point et leur examen permettra d'expliquer en quoi le choix de modifier l'article 34 est pertinent.
L'article 66 concerne l'autorité judiciaire et le retenir ne permettrait pas de créer sans ambiguïté une véritable liberté. L'article 1er, pour sa part, renvoie à des grands principes et ne permet pas d'introduire une rédaction suffisamment précise. La solution consistant à modifier l'article 34 – qui a été trouvée par Philippe Bas – mérite d'être défendue. C'est la conséquence du fait que notre Constitution ne comprend pas d'article liminaire détaillant l'ensemble des libertés reconnues. L'article 34 remplit d'une certaine manière cette fonction.
M. Breton s'est référé à la Constitution de l'ex-Yougoslavie. Je note au passage que les États issus de son éclatement ne reconnaissent plus la liberté de recourir à l'IVG dans leur Constitution.
Il faut, par ailleurs, prendre en compte la réalité actuelle. Il y a dix ou quinze ans, nous n'aurions pas débattu de la constitutionnalisation du droit à l'avortement. Mais les attaques se sont, depuis lors, multipliées contre les droits des femmes, et tout particulièrement contre cette liberté de disposer de son corps, qui constitue un pilier de l'égalité. Trois pays mentionnent l'avortement dans leur Constitution, mais c'est pour l'interdire.
Tout ne découle pas de l'arrêt Dobbs, monsieur Gosselin, mais il a constitué un électrochoc. Nous pouvions penser en France que nous étions protégés des attaques contre l'IVG. Jamais nous n'aurions imaginé qu'un tel arrêt serait prononcé aux États-Unis, et un grand nombre de défenseurs des droits des femmes se sont alors dit que cela pourrait aussi arriver chez nous.
Par ailleurs, cet arrêt Dobbs a eu un effet négatif partout dans le monde, car il a libéré la parole de ceux qui attaquent les droits des femmes. Il importe de le contrebalancer – et peut-être est-ce la responsabilité des Français – avec un message particulièrement positif pour tous ceux qui se battent pour ces droits à travers le monde.
La séance est levée à 18 heures 10.
Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 16 janvier 2024 à 16 h 40
Présents. - M. Erwan Balanant, Mme Pascale Bordes, M. Xavier Breton, M. Jean-François Coulomme, Mme Elsa Faucillon, Mme Raquel Garrido, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Jordan Guitton, M. Sacha Houlié, M. Jérémie Iordanoff, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Marietta Karamanli, M. Gilles Le Gendre, Mme Marie-France Lorho, Mme Laure Miller, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Raphaël Schellenberger, Mme Sarah Tanzilli, Mme Andrée Taurinya, Mme Cécile Untermaier, Mme Caroline Yadan
Excusés. - M. Éric Ciotti, Mme Marie Guévenoux, M. Mansour Kamardine, Mme Emeline K/Bidi, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Jean Terlier
Assistaient également à la réunion. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Sylvie Bonnet, Mme Mathilde Panot, Mme Véronique Riotton, M. Jean-François Rousset, Mme Anne-Cécile Violland