Quarante-neuf ans après l'adoption de la loi Veil, le présent texte constitutionnel, traitant d'un sujet de société qui interroge la conscience de chacun d'entre nous, est très attendu.
En 2018, déjà, nous avions présenté un amendement au projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, qui prévoyait la reconnaissance, dans le préambule de la Constitution de 1958, du droit d'accéder à une contraception adaptée et gratuite, ainsi que de recourir librement à l'IVG. En 2019, nous reprenions cet amendement sous la forme d'une proposition de loi constitutionnelle, qui n'obtint pas, alors, l'aval de la majorité.
Le présent projet de loi constitutionnelle, qui inscrit l'IVG dans notre norme fondamentale, est un acte profondément politique, qui traduit en droit la volonté de la communauté nationale d'inscrire dans les règles qui régissent son fonctionnement la possibilité pour la femme de disposer librement de son corps.
Nul doute que les propos que nous tenons aujourd'hui résonneront bien au-delà des murs de notre commission, pour des milliers de femmes à travers le monde. Le renversement de l'arrêt Roe vs Wade par la Cour suprême américaine, la mobilisation de toutes les associations féministes, le dépôt de six propositions de loi et l'adoption par les deux chambres d'une proposition visant à constitutionnaliser l'IVG ont poussé le Président de la République à s'engager en ce sens.
Bien que la rédaction du présent projet de loi constitutionnelle ne soit pas parfaite, nous nous en satisfaisons, d'abord parce que ce texte répond à un besoin politique, en créant un bouclier contre toute régression de la liberté de recourir à l'IVG. À ceux qui arguent qu'aucune menace imminente ne pèse sur le droit d'avorter en France, nous opposons les contre-exemples des sept États américains ayant interdit l'IVG même en cas de viol ou d'inceste, de la Pologne, où les IVG ne sont plus autorisées qu'en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère, de la Hongrie, qui oblige désormais toute femme souhaitant avorter à écouter battre le cœur du fœtus.
Que la France ne risque pas aujourd'hui de se trouver dans une telle situation ne saurait préjuger du maintien du statu quo, d'autant que les entraves à l'IVG prennent des formes de plus en plus pernicieuses de la part des mouvements anti-choix, qui trompent les femmes peu ou mal informées afin de les inciter à poursuivre leur grossesse.
Nous nous satisfaisons de cette rédaction, ensuite, car le texte répond à un besoin juridique, en garantissant une protection qui n'est aujourd'hui assurée ni par notre Constitution, ni par les normes européennes. La constitutionnalisation proposée créerait ainsi une base juridique robuste en droit interne, permettant la censure d'une loi régressive par le Conseil constitutionnel.
Enfin, nous nous en satisfaisons, car il répond à un besoin exprimé par notre société, en garantissant aux femmes la libre disposition de leur corps, garantie nécessaire pour assurer une égalité réelle, pleine et entière entre les femmes et les hommes.
La rédaction du projet de loi n'en demeure pas moins perfectible. Nous aurions préféré la consécration d'un véritable droit fondamental à l'IVG sans qu'il soit rattaché à la liberté personnelle. Nous n'aurions pas introduit l'IVG dans l'article 34 de la Constitution, mais plutôt dans son article 1er, écrin des droits. Nous aurions souhaité que le droit à la contraception figure également dans le projet.
Nous savons cependant que les victoires féministes ont toujours été le fruit de compromis. Sans accommodements, Simone Veil ne serait pas parvenue à faire adopter la loi sur l'avortement ; cinquante ans plus tard, c'est toujours le cas.
Nous tenons toutefois à insister sur deux points, et d'abord, sur la notion indispensable de garantie. De l'avis des constitutionnalistes que nous avons auditionnés, l'absence du mot « garantie » aurait pour conséquence de limiter la révision au rappel du droit existant, à savoir de la compétence du législateur pour définir le cadre applicable à l'IVG. Cette absence rendrait également la formulation imprécise et créerait une incertitude juridique s'agissant de l'intention initiale du législateur.
Nous soulignons, en outre, que le terme « femme » ne doit pas être interprété comme excluant les personnes transgenres du champ d'application de la loi.
Parce que nous savons que cette rédaction est le résultat d'un compromis avec le Sénat ; parce qu'il est important de faire sévèrement échec aux pro-vie et de faire progresser collectivement la protection de ce droit ; parce que des millions de femmes partout dans le monde nous attendent, nous avons choisi une position responsable, en acceptant le compromis et en ne déposant pas d'amendement.