Clin d'œil de l'histoire, demain, alors que notre commission débattra du présent projet de loi, il se sera écoulé quarante-neuf ans depuis la promulgation de la loi Veil, qui donna aux femmes la liberté de disposer de leur corps et de choisir d'être mères. Depuis, plusieurs lois ont élargi et amélioré le cadre de prise en charge de l'IVG.
Malheureusement, le droit à l'IVG, que nous pensons fondamental et inaliénable, n'est pas à l'abri de régressions ou, pire, d'abrogations. Les multiples atteintes dont il a fait l'objet en Europe et outre-Atlantique sont une triste réalité. L'onde de choc provoquée par la décision historique de la Cour suprême américaine bouleverse nos convictions et brise le mouvement de progression du droit des femmes à disposer de leur corps, que l'on croyait continu.
Les paroles de Simone de Beauvoir à Claudine Monteil, diplomate et signataire du « manifeste des 343 », au lendemain de l'adoption de la loi Veil par l'Assemblée nationale, sont criantes de vérité : « Nous avons gagné, mais temporairement. Il suffira d'une crise politique, économique et religieuse, pour que les droits des femmes, nos droits, soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez demeurer vigilante. »
Cette vigilance est en réalité l'affaire de toutes et de tous. Il appartient aux députés de tous bords de l'exercer. Il nous faut nous interroger sur notre capacité à prévoir de tels revers en France et il est de notre devoir de protéger la liberté de recourir à l'IVG de toute crise politique, économique et religieuse.
Rappelons que si nous débattons aujourd'hui, c'est parce que le droit à l'IVG ne bénéficie pas de la protection la plus forte qui soit. Si le Conseil constitutionnel, depuis 2011, a rattaché la liberté de recourir à l'IVG à la liberté de la femme, qui découle de l'article 2 de la DDHC, il ne lui a jamais été conféré de valeur constitutionnelle.
Symbole, diront les uns, véritable protection, diront les autres. Il n'en demeure pas moins que la constitutionnalisation de l'IVG permettra de se prémunir contre toute velléité de remise en cause de cette liberté par la loi.
Alors que 82 % des Français et des Françaises se déclarent favorables à cette constitutionnalisation, elle serait par ailleurs un signal fort et utile pour le reste du monde. À ce jour, en effet, aucune Constitution ne reconnaît ce droit de façon positive.
Le 24 novembre 2022, notre assemblée adoptait, à une large majorité transpartisane, une proposition de loi constitutionnelle garantissant aux femmes l'effectivité et l'égalité de l'accès à l'IVG. Le 1er février 2023, le Sénat adoptait à son tour cette proposition de loi, dans une nouvelle rédaction.
Le texte proposé aujourd'hui est le fruit d'un équilibre entre la position de l'Assemblée nationale et celle du Sénat, retenant les mots « interruption volontaire de grossesse », afin de ne laisser subsister aucune ambiguïté, consacrant l'existence d'une liberté et reconnaissant le rôle du Parlement dans l'établissement des conditions dans lesquelles s'exerce cette liberté garantie par la Constitution.
Gouvernement, politiques, élus, citoyens, je crois qu'un même élan nous entraîne tous désormais. Si nous prenons acte de notre consensus en faveur de la révision de notre Constitution, cette révision ne doit pas pour autant se faire à la légère. Le groupe Démocrate salue, à ce titre, la décision du Président de la République de recourir à un projet de loi constitutionnelle et, de ce fait, à un vote des parlementaires réunis en Congrès.