Avant que nous n'examinions ce projet de loi constitutionnelle, je souhaiterais rappeler la lignée dans laquelle il s'inscrit. Jusqu'en 1975, l'avortement constituait un délit pénal, sanctionné par cinq ans d'emprisonnement. Les médecins pouvaient être condamnés à une interdiction d'exercer ; les femmes concernées étaient contraintes de se rendre à l'étranger ou de recourir à des avortements clandestins, comportant tous les risques que l'on sait.
La légalisation de l'IVG est le fruit d'un long combat. Le droit à l'IVG fait désormais partie intégrante de notre patrimoine juridique fondamental, ce dont nous nous félicitons.
La question qui nous est aujourd'hui posée est de savoir si la protection constitutionnelle de l'IVG en France est suffisamment solide et durable, ou si l'inscription de cette protection dans la Constitution est nécessaire. Corollairement, nous devons nous demander si cette inscription ne risque pas de rompre l'équilibre auquel est parvenue la loi Veil entre le droit à l'avortement et le droit ou la liberté de l'enfant à naître.
Il faut le rappeler, il n'existe pas aujourd'hui en France de risque de revirement de la jurisprudence relative à l'avortement. La décision de la Cour suprême des États-Unis n'emporte aucune conséquence pour notre pays. Le droit à l'avortement tel que la loi Veil le garantit n'est pas menacé, comme l'indiquent tous les avis du Conseil constitutionnel. Il demeure l'un de nos droits fondamentaux. Nos groupes politiques, sauf exception, sont au diapason sur ce sujet. L'IVG figure ainsi dans notre droit depuis 1975, et le droit d'y avoir recours n'a cessé d'être renforcé depuis cette date. Par quatre fois, le Conseil constitutionnel s'est prononcé en faveur de sa constitutionnalité et a approuvé son élargissement : en 1975, 2001, 2014 et 2016. Ainsi, même si l'IVG n'était pas inscrite dans la Constitution, il est fort probable que le Conseil constitutionnel jugerait inconstitutionnelle une loi interdisant ou restreignant l'IVG, puisqu'elle priverait de garantie légale l'exercice de cette liberté de la femme reconnue par l'article 2 de la DDHC de 1789.
On peut donc s'interroger sur le caractère strictement symbolique de l'inscription dans la Constitution prévue par le présent projet de loi. Il est important que nous envoyions des signaux au monde ; la France a un rôle à jouer dans ce domaine. Attention, toutefois, à ne pas instrumentaliser notre loi fondamentale à des fins diplomatiques ou du moins, si nous le faisons, à ne pas nous exposer de ce fait à un risque juridique nouveau, donnant lieu à l'ouverture de contentieux.
L'exposé des motifs du projet indique que la révision constitutionnelle vise à adresser un message universel de solidarité aux femmes qui voient leur liberté bafouée. Rappelons cependant que Simone Veil elle-même, en décembre 2008, n'a pas recommandé de modifier le préambule de la Constitution, ni d'intégrer à celle-ci des droits ou libertés fondamentaux liés à la bioéthique, tels que le droit ou la liberté d'avoir recours à l'IVG. Elle s'était, en outre, déclarée contre l'inscription dans la Constitution de dispositions de portée purement symbolique.
Les députés du groupe Les Républicains sont attachés à l'équilibre de la loi Veil de 1975, qui repose sur la conciliation entre la liberté des femmes et la protection de l'enfant à naître. Nous aurons donc beaucoup de questions à poser sur l'articulation entre la garantie de la liberté de recours à l'IVG souhaitée par le Gouvernement, d'une part, et la liberté de conscience des médecins et les droits de l'enfant à naître, d'autre part.