La séance est ouverte à 17 heures 10.
Présidence de M. Sacha Houlié, président.
La Commission auditionne M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice » (M. Jean Terlier, suppléant Mme Sarah Tanzilli, rapporteure pour avis ; M. Éric Poulliat, rapporteur pour avis).
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Nous poursuivons l'examen des crédits budgétaires pour lesquels notre commission est saisie pour avis, avec ceux de la mission Justice. Ce budget est le premier depuis le vote définitif de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, si bien que ces travaux risquent d'être quelque peu redondants avec ceux de cet été.
Je suis heureux de vous présenter pour la quatrième année consécutive le projet de budget du ministère de la justice, même si je conviens que l'exercice est pour le moins redondant avec nos travaux de cet été. En effet, vous venez d'adopter définitivement le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, qui pérennise les hausses de moyens pour renforcer la justice, en la rapprochant de nos concitoyens, en la rendant plus protectrice et plus rapide pour chacun. Or, le présent projet de budget respecte à la lettre la trajectoire budgétaire fixée dans cette loi de programmation ; comme je vais vous le montrer.
Notre ambition est d'abord d'améliorer la qualité de la justice qui doit être rendue. La hausse continue du montant du budget, passé de 6,9 milliards d'euros en 2017 à 9,6 milliards d'euros en 2023, se poursuivra en 2024, ce qui est historique. Le budget dépassera ainsi la barre symbolique de 10 milliards d'euros, pour atteindre 10,1 milliards. Cela représente une augmentation de 503 millions d'euros, soit 5,3 %. À l'échelle des deux quinquennats du Président de la République, le budget sera passé de 6,9 milliards d'euros en 2017 à 11 milliards d'euros en 2027, soit une hausse de près de 60 %.
Le montant de l'enveloppe consacrée à la rémunération des agents du ministère, hors cotisations de retraites, passera de 4,7 milliards d'euros en 2023 à 5,1 milliards d'euros en 2024, soit une hausse de 8 %, parmi les plus importantes qu'a connues le ministère. C'est la traduction concrète de ma politique en matière de ressources humaines, qui combine recrutements massifs et forte revalorisation des rémunérations.
Pour les quatre années à venir, le défi n'est pas de savoir si le ministère recrutera, mais s'il parviendra à pourvoir la totalité des nouveaux emplois qui seront créés. Il faut donc renforcer l'attractivité des métiers de la justice.
Les moyens importants que j'ai évoqués permettront d'alimenter chacune des grandes composantes du ministère. Les crédits des services judiciaires augmenteront de 12 %, passant de 3,4 milliards en 2023 à 3,8 milliards en 2024. En prenant en compte les cotisations retraites, ils ont augmenté d'environ 30 % depuis mon arrivée au ministère, passant de 3,5 milliards en 2020 à 4,5 milliards en 2024.
Le montant du budget de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) sera stable en 2024, par rapport à 2023, à 3,9 milliards. Sa progression reprendra en 2025, à la faveur de la dernière vague de mise en chantier des établissements prévus dans le plan immobilier pénitentiaire.
Le montant du budget alloué à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) augmentera de 3 %, atteignant 950 milliards d'euros en 2024, contre 922 milliards en 2023. Quant au budget du secrétariat général du ministère, il progressera de 9 %, passant de 642 millions en 2023 à 702 millions en 2024.
Dans la continuité des années précédentes, ce projet de budget marque donc une étape majeure dans le rattrapage de plus de trente ans d'abandon budgétaire, politique et humain la justice, auquel le Président de la République a décidé de mettre un coup d'arrêt, pour que notre justice soit à la hauteur de sa mission fondamentale, de l'engagement de ceux qui la servent et, surtout, des attentes des Français – c'est en leur nom, ne l'oublions jamais, qu'elle est rendue.
Ces hausses budgétaires doivent directement améliorer le fonctionnement de la justice. C'est déjà le cas de celles déployées lors des précédentes lois de finance. J'en donnerai un exemple, celui des délais de justice. Lors de la présentation du plan d'action pour la justice, j'avais fixé pour objectif leur réduction drastique, qui implique notamment de réduire le stock d'affaires à traiter. Entre le 1er janvier 2021 et la fin de l'année 2022, celui-ci a diminué, parfois jusqu'à 30 % dans certaines matières et juridictions, grâce aux nouveaux moyens déployés et à l'engagement des magistrats, des greffiers et des contractuels. La politique de l'amiable, qui entrera en vigueur le 1er novembre, vise notamment à réduire encore les délais en matière civile.
Nous devons aller plus loin ; chacun doit prendre sa part à cet effort collectif. Les Français ne comprendraient pas que l'État consacre autant d'argent à la justice si cela n'améliorait pas la qualité de ce service public. Les efforts des contribuables nous obligent. Les acteurs du monde judiciaire ont pu compter sur moi pour décrocher ces budgets historiques et sur le Parlement, notamment la majorité – mais pas que – pour les voter. Nous pouvons compter sur eux pour que ces moyens tant attendus, et mérités, aient rapidement des effets concrets pour les justiciables. C'est impératif, il y va de la crédibilité de notre justice.
En matière d'emploi, la priorité de ce projet de budget pour 2024 est d'accélérer le rythme des recrutements, afin de tenir le cap fixé par la loi de programmation, qui prévoit la création de 10 000 emplois supplémentaires durant ce quinquennat. Nous dépasserons ainsi, en 2027, la barre des 100 000 personnels au sein du ministère.
Afin de conserver une certaine flexibilité, ces 100 000 emplois seront répartis, année après année, en fonction des besoins dans les différents métiers, de l'avancement des projets et des capacités de recrutement et de formation des écoles.
Comme le prévoit la loi de programmation, nous créerons 1 500 postes de magistrats supplémentaires et 1 800 postes de greffiers supplémentaires durant ce quinquennat. Par ailleurs, entre 2023 et 2025, 1 100 attachés de justice seront recrutés afin de créer une véritable équipe autour du magistrat et de lui permettre de se concentrer sur son cœur de métier : dire le droit, trancher les litiges et rendre la justice.
Un point n'a pas toujours été bien compris, au cours des débats parlementaires notamment – ou s'agissait-il de mauvaise foi ? Les créations de poste que je viens d'évoquer sont nettes : elles s'ajouteront aux remplacements liés à un départ en retraite. Ainsi, la création de 1 500 postes de magistrats supplémentaires nécessitera en réalité de recruter près de 2 800 magistrats. Les chiffres annoncés ne sont donc pas des trompe-l'œil ; ils représentent une augmentation concrète, précise et vérifiable des effectifs dans les juridictions.
J'ai déjà eu l'occasion d'annoncer la répartition géographique par cour d'appel de ces renforts judiciaires le 31 août dernier, lors du discours de Colmar : le ressort de Douai comptera 91 magistrats supplémentaires, celui de Versailles au moins 127 greffiers supplémentaires et celui d'Aix-en-Provence 72 attachés de justice supplémentaires d'ici à 2025, par exemple. Cette première répartition traduit deux principes fondamentaux. Premièrement, elle s'appuie sur des critères objectifs, tels que le niveau des stocks, l'évolution du nombre d'affaires au cours des dix dernières années, de la délinquance, des données socioéconomiques et des prévisions de croissance démographique. Deuxièmement, cette répartition montre notre confiance dans les acteurs du terrain pour le dernier kilomètre. J'ai souhaité que la répartition de ces renforts au sein de chaque cour d'appel revienne aux chefs de cours, lesquels connaissent mieux leur juridiction que quiconque et sauront décider au plus près de ses besoins.
Pour l'année 2024 elle-même, une autorisation de recrutement maximale de 2 110 ETP – équivalents temps plein – a été accordée au ministère, en plus des remplacements des départs à la retraite. Le ministère de la justice devrait ainsi bénéficier de près du tiers de créations nettes d'emploi d'agent public par l'État en 2024. Pour mémoire, en 2022, 720 emplois avaient été créés au ministère de la justice ; nous avons triplé ce chiffre en 2023, et les créations se maintiendront à ce niveau exceptionnel en 2024.
Parmi ces 2 110 postes, 1 307 concerneront la justice judiciaire, avec notamment 327 magistrats, 340 greffiers et 400 attachés de justice ; 33 postes seront plus spécifiquement alloués au renforcement des capacités de formation de l'École nationale de la magistrature (ENM), dont 22 magistrats. Cette école tourne à plein, les promotions ont atteint des effectifs d'un niveau historique pour la deuxième année consécutive ; l'école a même dû ouvrir de nouveaux locaux à l'extérieur de son site historique à Bordeaux, pour accueillir les futurs auditeurs de justice. L'administration pénitentiaire pourra bénéficier d'un nombre de nouveaux fonctionnaires allant jusqu'à 599, dont 512 surveillants. Ce quantum permet un rattrapage de 149 ETP, lié à la sous-exécution de budgets précédents. L'École nationale de l'administration pénitentiaire bénéficiera quant à elle de trois emplois supplémentaires. Quelque 92 ETP sont prévus pour la protection judiciaire de la jeunesse ; le reste, 112 personnels, bénéficiera à la coordination de la politique publique de la justice, plus particulièrement au secrétariat général du ministère.
Pour assurer le niveau inédit de recrutements prévu, nous renforçons l'attractivité des métiers de la justice, et améliorons donc leur rémunération. En 2020, le montant de l'enveloppe catégorielle servant à revaloriser les professionnels du ministère était de 17 millions d'euros. Il est passé à 50 millions d'euros par an en 2021 et 2022, puis à 100 millions d'euros en 2023, dont 80 millions d'euros de mesures nouvelles. En 2024, il augmentera de nouveau de manière significative, afin d'atteindre un montant supérieur à 170 millions d'euros, dont 64 millions d'euros de mesures nouvelles. C'est une multiplication par dix depuis mon arrivée au ministère, en 2020 ! Cette progression inédite nous engage.
Par ailleurs, des crédits interministériels permettront de financer les mesures catégorielles issues de la conférence salariale du 12 juin 2023, à hauteur de 33 millions d'euros pour le ministère de la justice. Ces mesures permettront principalement l'injection de cinq points d'indice supplémentaires pour l'ensemble des agents du ministère dès le 1er janvier 2024, afin de prendre en compte la hausse de l'inflation.
L'enveloppe catégorielle de 170 millions d'euros sera répartie entre les différents métiers. Depuis le 1er octobre, les magistrats bénéficient d'une revalorisation inédite de leur salaire, d'une moyenne de 1 000 euros brut par mois et par magistrat. Elle sera effective sur les paies versées ce vendredi. Cette mesure représente un effort budgétaire de 88,5 millions d'euros en 2024. Elle est nécessaire pour maintenir l'attractivité de ce métier et aligner la rémunération des magistrats de l'ordre judiciaire avec celle de leurs collègues de l'ordre administratif. Elle témoigne en outre de notre reconnaissance, car ils œuvrent au quotidien au service de la justice. Leur régime indemnitaire n'avait pas été augmenté, à part quelques revalorisations spécifiques à certaines fonctions, depuis 1996.
Les surveillants pénitentiaires accéderont à la catégorie B, tandis que les officiers pénitentiaires accéderont à la catégorie A, avec les revalorisations indemnitaires et indiciaires correspondantes ; 47 millions d'euros seront sanctuarisés pour financer cette réforme, dont les contours seront bientôt tracés. Cette réforme inédite est essentielle pour recruter de nouveaux personnels, reconnaître l'importance de ces métiers et prendre en compte la complexité et la difficulté croissance de leurs missions.
Je n'oublie pas les autres fonctionnaires du ministère. En particulier, la filière greffe bénéficiera d'une revalorisation indiciaire et indemnitaire d'un montant de 15 millions d'euros, première étape d'une réforme approfondie de ce corps. Quelque 15,5 millions d'euros sont prévus pour la poursuite de mesures transverses déployées par le secrétariat général du ministère ; 3 millions le sont pour les corps spécifiques de la PJJ. Enfin, la rémunération des corps de direction de la DAP et des personnels du service national du renseignement pénitentiaire sera revalorisée pour un montant de 1 million d'euros.
En complément de cette enveloppe de 170 millions d'euros, une revalorisation des revenus des magistrats ainsi qu'une mesure catégorielle complémentaire en faveur des greffiers seront octroyées grâce à une enveloppe dont le montant pourra atteindre 22,5 millions pour 2024.
Pour les greffes, cette mesure s'accompagnera d'une réforme statutaire d'envergure, articulée autour de trois axes. Premièrement, la restructuration du corps des greffiers de catégorie B permettra une accélération de la carrière de ces professionnels et un accès plus ouvert à l'échelon sommital de greffier principal. Deuxièmement, la création d'un corps de greffiers de catégorie A de 3 200 agents permettra la reconnaissance de l'expertise des greffiers dans leurs missions juridictionnelles, notamment de celle des greffiers principaux et fonctionnels. Troisièmement, un plan pluriannuel de requalification des agents de catégorie C faisant fonction de greffiers permettra, là encore, la reconnaissance des compétences de ces métiers indispensables à la justice.
Sans attendre le déploiement de la nouvelle grille indiciaire annoncée le 12 septembre dernier, je rappelle qu'alors qu'un greffier en milieu de carrière exerçant des missions classiques percevait, au 31 décembre 2021, 2 312 euros brut mensuels, en prenant en compte les primes, il perçoit actuellement 2 606 euros brut, ce qui représente une augmentation de 294 euros brut par mois, soit une progression mensuelle de sa rémunération de 13 %.
Les crédits alloués à la programmation immobilière pénitentiaire permettront de poursuivre le plan de construction voulu par le Président de la République. Ce plan portera à plus de 75 000 le nombre total de places de prison disponibles à l'horizon de l'année 2027, grâce à l'érection de cinquante et un nouveaux établissements pénitentiaires. À la fin de 2024, nous aurons réalisé la moitié du chemin, avec vingt-trois nouveaux établissements opérationnels. En 2023, onze établissements pénitentiaires ont été mis en service : la maison d'arrêt Le Mans-Les Croisettes, le centre de détention de Koné, en Nouvelle-Calédonie ; les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) de Montpellier, de Caen, de Valence et d'Avignon ; la nouvelle maison d'arrêt de Caen, un nouveau quartier de centre de détention de 400 places à Fleury-Mérogis. J'inaugurerai demain la maison d'arrêt de Troyes-Lavau, qui comptera près de 500 places, et deux autres établissements à Osny et Meaux, d'ici à la fin de l'année.
En 2024, le programme de construction se poursuivra avec la même intensité, et concernera sept chantiers. Quatre nouveaux établissements seront livrés, à Toulon, à Noisy-le-Grand, à Colmar et à Nîmes. La première phase des travaux sera finalisée dans trois sites pénitentiaires : ceux de Bordeaux-Gradignan, Basse-Terre et Baie-Mahault. Quelque 308 millions d'euros sont prévus pour le programme de construction pénitentiaire en 2024. Ce plan, dont le coût global est estimé à 5 milliards d'euros, a ainsi déjà fait l'objet de 2 milliards d'investissement.
Enfin, concernant la réhabilitation d'établissements existants, les opérations courantes de maintenance représenteront 130 millions d'euros en 2024. Nous maintenons ce très haut niveau d'investissement annuel, qui représente le double du budget en la matière lors du quinquennat de François Hollande, depuis près de six ans. Quelque 2 millions d'euros seront, en particulier, consacrés aux études sur la réhabilitation des prisons de Fresnes et de Poissy.
Je ne saurais évoquer l'immobilier pénitentiaire sans l'immobilier judiciaire, dont je souhaite poursuivre la modernisation et l'agrandissement, afin notamment de permettre l'accueil des renforts humains que j'ai précisés. Au total, 362 millions d'euros seront consacrés en 2024 à l'immobilier judiciaire propriétaire, contre 269 millions en 2023, soit une hausse de près de 35 % en un an. Ces crédits permettront de poursuivre notamment les vingt principaux chantiers suivants : la construction de trois nouveaux palais de justice, à Lille, à Saint-Benoît – à La Réunion – et à Saint-Laurent du Maroni – en Guyane ; la restructuration ou l'extension de quinze palais de justice existants, à Arras, à Bayonne, à Bourges, à Bourgoin-Jallieu, à Chaumont, à Carcassonne, à Évry, à Fort-de-France, à Mâcon, à Nantes, à Nanterre, à Paris-Cité, à Versailles et à Vienne ; la réhabilitation de bâtiments tiers pour construire des annexes au palais de justice existant sur deux sites, à Niort et à Valenciennes.
J'évoquerai, enfin, certaines enveloppes qui me tiennent à cœur, car elles visent à moderniser et à améliorer concrètement le fonctionnement du service public de la justice, ainsi que le bien-être de ses agents. Tout d'abord, les crédits d'investissement informatique, consacrés notamment aux techniques d'enquêtes numériques judiciaires, seront portés à 209 millions d'euros, soit une hausse de 7,2 % en une année. Ils permettront en particulier de poursuivre le second plan de transformation numérique du ministère, un véritable plan de numérisation de la justice en France, qui s'articule autour de trois projets principaux. Premièrement, il prévoit un plan de soutien au profit des agents du ministère sur le terrain, en particulier au sein des juridictions, plan qui implique le recrutement de cent techniciens informatiques de proximité en 2023 – quatre-vingt l'ont déjà été – et le recrutement de cent techniciens supplémentaires en 2024. Deuxièmement, les logiciels métiers seront modernisés. Troisièmement, nous avons fixé l'objectif d'une numérisation intégrale d'ici à la fin du quinquennat. Pour ne prendre qu'un exemple, à mon arrivée au ministère, la procédure pénale numérique n'existait qu'à un état embryonnaire, environ 500 procédures seulement étaient transmises de manière dématérialisée, chaque mois, des enquêteurs vers les tribunaux; c'est désormais le cas de 150 000 procédures chaque mois, soit une multiplication par 300. La direction du programme de procédure pénale numérique (PPN), commun aux ministères de l'intérieur et de la justice, a été créée en juin ; elle permettra d'accélérer de manière décisive cette progression. Pour conduire la démarche « zéro papier » à son terme, en 2027, j'ai souhaité qu'un directeur de projet dédié soit désigné au sein du secrétariat général du ministère. Il prendra ses fonctions au début de l'année 2024.
Les crédits consacrés aux dépenses de frais de justice seront portés à 674 millions d'euros en 2024, pour renforcer les moyens d'enquête et d'expertise de la justice, soit une hausse de 14 millions par rapport à 2023. Par rapport au budget en la matière de 2017, d'un montant de 496 millions, cela représente un effort de 36 %. Ce nouvel effort contribuera notamment à faciliter le déstockage des affaires. Les crédits de l'accès au droit et à la justice s'élèveront à 734 millions d'euros en 2024, en hausse de 3 % par rapport au budget de l'année 2023, qui s'établissait à 714 millions. Plus spécifiquement, les crédits dédiés à l'aide juridictionnelle continueront de croître en 2024 pour atteindre 657 millions, soit 16 millions supplémentaires en un an.
Parallèlement, l'aide aux victimes est portée à 47 millions d'euros en 2024, soit une hausse de 2 millions par rapport à 2023. Enfin, 43 millions seront mobilisés au titre de l'action sociale du ministère, essentielle pour soutenir les agents et contribuer à l'attractivité de notre institution ; c'est 13 % de plus qu'en 2023. Ce budget permettra notamment d'agir en faveur de la politique d'aides aux familles, de réduire le reste à charge pour les services de restauration, et de faciliter l'accès au logement et à la propriété pour les agents, notamment à travers un ajustement du prêt bonifié immobilier.
Le présent budget traduit notre ambition de donner à la justice les moyens nécessaires à l'accomplissement de sa mission, telle qu'elle s'est manifestée à l'occasion des États généraux de la justice et de l'élaboration de la loi d'orientation et de programmation.
Ce projet de budget renforce fortement la hausse des crédits entamée l'an dernier, au bénéfice de plusieurs objectifs prioritaires : réduire les délais d'audiencement et les stocks d'affaires en attente ; améliorer les conditions de travail des agents de l'institution judiciaire et mieux accompagner les justiciables.
Les effectifs seront augmentés en priorité au sein des juridictions ; les salaires des agents seront revalorisés ; les crédits pour l'accès au droit et l'aide aux victimes augmenteront, tout comme ceux dédiés à l'immobilier judiciaire et à la transformation numérique.
La hausse du budget alloué à la justice judiciaire est de 9,5 % en crédits de paiement, afin de recruter pas moins de 1 300 personnels l'an prochain, dont plus de 300 magistrats, 340 greffiers et 513 personnels d'encadrement, pour former de véritables équipes autour du magistrat. Ces recrutements s'inscrivent dans l'objectif de recruter plus de 1 500 magistrats et 1 800 greffiers supplémentaires d'ici à 2027. Enfin, les mesures de revalorisation salariale lancées en 2023 connaîtront leur première année pleine en 2024.
Les crédits consacrés à l'accès au droit et à l'aide aux victimes augmentent de 2,8 % par rapport à l'année dernière, avec un effort important en faveur du réseau judiciaire de proximité, qui bénéficie pour sa part d'une hausse de près de 10 %. L'objectif est d'offrir un maillage territorial plus fin, en créant notamment de nouvelles permanences pour les maisons de la justice et du droit. L'aide aux victimes est également renforcée afin de soutenir le réseau d'associations locales qui accompagnent juridiquement, socialement et psychologiquement les victimes.
Notre collègue Sarah Tanzilli a choisi de consacrer la partie thématique de son rapport à l'immobilier judiciaire et à la numérisation de l'institution judiciaire.
S'il peut sembler aride au premier abord, ce thème est pourtant essentiel : il serait en effet regrettable de recruter aussi massivement que nous le faisons pour que les personnes recrutées ne disposent ni des outils, ni des locaux adaptés à l'accomplissement de leurs missions. On note ainsi une augmentation de près de 35 % des crédits de paiement dévolus à l'immobilier judiciaire. Celui-ci est soumis à des contraintes d'ordre symbolique, des contraintes de volume et des contraintes d'ordre sécuritaire.
Les acteurs de la justice sont légitimement attachés à ce que nos tribunaux soient installés au cœur de la cité et incarnent la solennité de leur mission. Toutefois, cela peut entraîner des tensions entre geste architectural et besoins du personnel. Les conditions de travail doivent impérativement être prises en compte lors de la mise en chantier des bâtiments.
Un autre défi est celui de l'arrivée des nouvelles recrues, qui aura un fort impact sur les besoins en surfaces disponibles au sein des juridictions, dont certaines sont déjà exsangues. Plusieurs leviers sont utilisés : la densification des espaces existants, le partage de bureaux, ou encore la réserve foncière ou immobilière. Malgré cela, des prises à bail sont inévitables, au moins temporairement, pour trouver de la place à chacun. La rapporteure pour avis souligne la nécessité de prendre en compte le principe de mutabilité des services publics, afin de ne pas s'engager dans des opérations immobilières majeures qui deviendraient un fardeau sur le très long terme, si elles s'avèrent inadaptées aux changements de la justice au cours des prochaines décennies.
La gouvernance de l'immobilier judiciaire est complexe et peu lisible pour les acteurs de terrain. Les premiers pas vers une déconcentration de la décision au niveau local sont donc bienvenus.
Enfin, les enjeux de sécurité au sein des juridictions ont entraîné le renforcement des contrôles, la multiplication des badges d'accès et la séparation stricte entre locaux professionnels et lieux accessibles au public, ce qui a pu créer une forme de frustration chez les auxiliaires de justice, notamment les avocats, qui ont parfois du mal à accéder aux bureaux de leurs interlocuteurs. Les besoins des justiciables, en particulier des victimes, doivent également être pris en compte dans la gestion de l'immobilier judiciaire. La fédération France Victimes a notamment regretté que les bureaux d'aide aux victimes ne disposent pas de locaux dans chaque juridiction, et que victimes et accusés puissent souvent se croiser dans les espaces communs.
La rapporteure pour avis souhaite enfin nous alerter sur le besoin d'une salle dite « des grands procès », puisque celle qui a été construite à l'occasion du procès des attentats du 13 novembre ne pourra pas être conservée plus d'une année. Les procès en appel des attentats et les contentieux de masse qui risquent de se multiplier à l'avenir renforcent ce besoin. Une grande salle d'audience, qui a également une portée symbolique forte, doit donc être pérennisée.
S'agissant de la numérisation de la justice, il convient de souligner que le premier plan de transformation numérique a porté ses fruits en accordant au personnel des outils physiques adaptés à ses besoins.
L'effort du second plan de transformation portera principalement sur le développement et le renforcement des applicatifs métiers. En la matière, il y a, n'ayons pas peur des mots, une vraie souffrance du personnel face à des logiciels peu fiables, sous-dimensionnés et parfois peu ergonomiques. Il est urgent d'assurer aux professionnels de bonnes conditions de travail. C'est aussi une question de bonne gestion des deniers publics : il serait dommage de recruter des gens pour qu'ils dépensent leur énergie et leur temps de travail à trouver des solutions pour contourner des outils numériques inadaptés. Il pourrait être utile à l'avenir de s'appuyer sur des applicatifs peut-être moins ambitieux, mais plus fiables dans leur utilisation. En outre, une consultation approfondie des utilisateurs finaux de ces logiciels, durant leur conception et tout au long de leur utilisation, serait bénéfique. La rapporteure pour avis salue par ailleurs l'internalisation partielle des capacités numériques, avec des recrutements de personnels techniques pour accompagner les juridictions dans le déploiement et l'entretien des nouveaux outils.
Je ne reviendrai pas sur l'évolution des moyens dévolus à l'administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse. M. le garde des sceaux les a présentés, et il paraît difficile de contester les efforts qui sont consentis de manière pérenne en faveur de ces deux administrations.
S'agissant des crédits de l'administration pénitentiaire, je voudrais toutefois attirer votre attention sur deux points, et d'abord sur la situation des surveillants. Depuis 2017, en parallèle des avancées budgétaires, nous avons œuvré à la revalorisation en profondeur du statut et du métier de surveillant pénitentiaire. Rappelons, par exemple, la signature en 2021, par le garde des sceaux, de la charte du surveillant acteur. Loin du modèle du « porte-clefs », qui a trop longtemps prévalu, nous avons ainsi diversifié les missions du surveillant pour reconnaître concrètement son rôle d'acteur incontournable d'une détention sécurisée. Des efforts indemnitaires ont également été réalisés, avec l'augmentation progressive de la rémunération des jeunes agents débutant dans la profession. Et je me réjouis de voir cette année le projet de loi de finances traduire une nouvelle étape de cette revalorisation : en 2024, les surveillants connaîtront une réforme majeure, puisqu'ils passeront de la catégorie C à la catégorie B. Il s'agit là d'une réforme historique, dont nous devons saluer l'importance et la pertinence.
En second lieu, je voudrais profiter de cette discussion budgétaire pour rappeler l'avancement du plan « 15 000 » et dissiper les doutes que certains se plaisent à faire naître. L'année 2023 a été une année tournant pour la réalisation de ce plan : sur les cinquante et un établissements programmés, onze ont ouvert cette année. Au cours de ce seul mois d'octobre, ce sont 1 000 places nettes qui sont sorties de terre. Dans l'histoire de notre administration pénitentiaire, c'est tout simplement le mois où l'on a créé le plus de places de prison.
Ces livraisons nous permettront d'atteindre à la fin de l'année le premier tiers du plan « 15 000 ». Ce résultat me paraît plus qu'honorable, d'autant plus qu'il aura été atteint malgré la crise du Covid, malgré les difficultés du secteur de la construction et malgré les réticences encouragées localement par certains élus – qui sont aussi les premiers à dénoncer le laxisme de la justice. Mais le chemin ne s'arrête pas là, puisque trente-six opérations sont encore prévues dans le cadre de ce plan : quatorze sont en cours ; cinq sont entrées en phase d'études de conception ; quatre sont actuellement soumises aux appels d'offres en vue du choix du constructeur ; treize, enfin, sont au stade d'études préalables.
Normalement, à la fin de l'année prochaine, près de la moitié des établissements auront été livrés, ce dont nous pouvons nous réjouir. En effet, au-delà du débat sur l'accroissement de nos capacités d'emprisonnement – sur lequel nos positions peuvent diverger –, nous devons tous nous retrouver sur une réalité : la construction de nouvelles prisons permettra d'améliorer les conditions de détention des personnes incarcérées et les conditions de travail du personnel pénitentiaire. Ce double objectif doit rester notre boussole.
C'est d'ailleurs une boussole qui oriente une autre dépense largement revalorisée au fil des différentes lois de finances : le montant consacré à la maintenance et à la rénovation des établissements existants. L'entretien du parc pénitentiaire représente en effet un défi logistique et budgétaire qui a été sous-évalué par les majorités précédentes et que nous nous sommes appliqué à relever. Ce budget a été doublé et permet de conduire d'importants chantiers d'entretien, voire de réhabilitation complète, lorsque cela s'avère nécessaire, comme ce sera par exemple le cas à Fresnes dans les prochaines années.
J'en viens à présent à la seconde partie de mon rapport, que j'ai choisi de consacrer cette année à la santé mentale des personnes détenues.
Depuis plusieurs années déjà, les auditions, déplacements et autres contacts que j'ai pu avoir avec le monde pénitentiaire m'ont amené à constater que l'état de santé mentale et les modalités de prise en charge psychiatrique des personnes détenues constituaient un sujet de préoccupation pour les acteurs de terrain.
Publiée en début d'année, une étude épidémiologique nationale sur la santé mentale en sortie de prison est venue confirmer ces constats empiriques : les deux tiers des hommes détenus en maison d'arrêt et les trois quarts des femmes présentent, à la sortie de prison, un trouble psychiatrique ou une addiction à une substance. La prévalence des troubles psychiatriques est ainsi bien plus importante que dans la population générale : c'est un constat qui doit nous faire réfléchir.
L'année 2024 devant marquer le lancement de la deuxième phase de construction des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), il m'a donc semblé pertinent de faire le point sur les prises en charge proposées pour les personnes détenues. Ce sujet est évidemment trop vaste pour être entièrement traité dans une moitié de rapport budgétaire pour avis, mais je pense que ce point d'étape sera utile et permettra à notre commission de se pencher sur ce sujet. D'ailleurs, dès 2017, sous l'impulsion de la présidente Yaël Braun-Pivet et de notre collègue Stéphane Mazars, la commission des lois avait constitué un groupe de travail sur la prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques et formulé plusieurs recommandations. Ce sujet mérite que nous continuions d'y être particulièrement attentifs et je voudrais profiter de votre présence parmi nous, monsieur le ministre, pour vous interroger sur deux points.
Au cours de mes déplacements, j'ai été alerté à plusieurs reprises sur les difficultés rencontrées pour réaliser des extractions sanitaires. Elles sont de deux ordres. D'une part, les équipes étant souvent débordées, elles ne peuvent pas toujours procéder aux extractions nécessaires pour que des détenus se rendent à leur rendez-vous médical : cela conduit à l'annulation de nombreux rendez-vous et nuit au suivi sanitaire et psychiatrique. D'autre part, ce sont les équipes pénitentiaires des UHSA qui sont chargées d'aller chercher les détenus devant être hospitalisés ; or, les distances sont parfois trop grandes entre l'établissement et l'UHSA, ce qui limite les possibilités d'extraction et nuit à la prise en charge des détenus incarcérés dans les établissements les plus éloignés géographiquement. Pouvez-vous nous préciser ce qui est fait pour contourner ces difficultés ?
Je ne serai pas plus long et m'en tiendrai à la question des UHSA : le lancement de la seconde tranche, longtemps attendu, doit enfin être enclenché l'année prochaine. Même si cela ne relève pas entièrement de l'administration pénitentiaire, puisqu'il s'agit de structures hospitalières, pouvez-vous nous préciser ce qui sera fait en 2024 dans ce domaine ?
Vous avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, que nous avons inauguré ensemble la nouvelle aile du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis, qui correspondait à la millième place nette de prison ouverte cette année. Vous avez également indiqué que vous ouvririez prochainement deux autres établissements. Combien de places aurez-vous ouvert, au total, au cours de la seule année 2023 ? Vous avez dit que certaines collectivités s'opposaient à la construction de ces prisons et bloquaient donc, de fait, l'exécution du plan « 15 000 ». Pouvez-vous nous faire connaître l'identité de ces collectivités ?
Vous avez trouvé un accord avec les greffiers au sujet de leur revalorisation salariale, dont vous avez dit qu'elle précéderait une réforme profonde : pouvez-vous nous en dire davantage ?
Dans le cadre du suivi budgétaire, enfin, nous portons une attention particulière à l'accélération des procédures, aussi bien civiles que pénales. J'aimerais savoir si les magistrats reçoivent une formation, initiale ou continue, aux deux nouvelles procédures civiles que vous avez introduites cet été par la voie réglementaire, à savoir la césure et l'amiable.
Nous en venons aux questions des orateurs des groupes
Le budget de la justice connaîtra en 2024, dans la continuité des années précédentes, une hausse massive, qui s'établit à 5,3 %. Cette trajectoire historique répond à la nécessité de moderniser notre service public de la justice. Sur le plan numérique, d'abord, l'investissement continuera de progresser pour rendre la justice plus accessible, plus rapide, plus efficace et plus transparente, avec un objectif zéro papier à l'horizon 2027. Sur le plan immobilier, ensuite, l'année 2024 verra la poursuite et le lancement de nombreux chantiers. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, que le tribunal de Vienne était concerné par ce plan de rénovation, et je peux vous certifier qu'il en avait besoin.
Sur le plan humain, nous donnons enfin au ministère les moyens de recruter massivement des magistrats, des greffiers, des juristes assistants et des surveillants pénitentiaires ; d'importantes revalorisations salariales et catégorielles seront associées à ces recrutements. Nous savons combien il vous importe de reconnaître à sa juste valeur la mission centrale des greffiers et nous aimerions avoir des détails sur les négociations que vous avez eues avec eux.
S'agissant de la justice pénale des mineurs, le bilan est déjà plus que positif. Pour mémoire, les délais de jugement sont désormais de huit mois et l'indemnisation des victimes intervient en moins de trois mois, contre dix-huit auparavant. Nous poursuivons nos efforts et 8 millions d'euros supplémentaires alimenteront ce programme, qui vise notamment à mettre en œuvre trois plans d'action structurants sur le milieu ouvert. Pouvez-vous, monsieur le ministre, préciser les contours et les finalités de ces trois plans d'action ?
Ce budget consacre 2 millions d'euros supplémentaires à l'aide aux victimes d'infractions pénales. Pouvez-vous nous dire comment les pôles spécialisés en matière de lutte contre les violences intrafamiliales, que nous avons créés dans la loi d'orientation et de programmation de la justice (LOPJ), vont être déployés dans nos juridictions ? En matière pénitentiaire, nous nous réjouissons que des moyens accrus nous permettent de poursuivre le plan « 15 000 », qui est absolument nécessaire pour réduire la surpopulation carcérale. Comme M. le président, j'ai noté des réticences de la part d'élus locaux, notamment en Île-de-France, où les besoins sont pourtant très importants. À Noiseau, dans le Val-de-Marne, la région a tenté de faire obstruction à la construction de places de prison. Cela risque de condamner d'avance le projet de créer 3 000 places supplémentaires. Comment faites-vous face à ces obstacles ? Cela retarde-t-il la livraison des établissements pénitentiaires ?
Grâce à ce budget, les métiers pénitentiaires seront également revalorisés. Pouvez-vous dire un mot des directeurs des services pénitentiaires d'insertion et de probation, que nous n'avons pas oubliés dans la LOPJ ? Parce que la réinsertion doit toujours être notre objectif, je voulais évoquer les dix structures de contrôle judiciaire avec placement probatoire (CJPP), qui luttent efficacement contre les violences conjugales et que nous continuons de financer à hauteur de 2,5 millions d'euros, pour 165 places. Il existe, en parallèle, trente centres de prise en charge d'auteurs de violences conjugales (CPCA), dont j'avais moi-même demandé la création lors du Grenelle des violences conjugales. Ces deux structures ont pour point commun des taux de récidive très faibles. Les CJPP dépendent de votre ministère et les CPCA du ministère chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes. Comment pouvons-nous articuler ces deux dispositifs ? Ma conviction est qu'il faudrait les rassembler pour garantir leur financement pérenne.
Ce budget est sans surprise, puisqu'il prolonge la discussion et le vote de la loi d'orientation et de programmation de la justice, où presque tout a été dit de la trajectoire budgétaire du ministère. Il aurait été pour le moins étonnant que le budget diffère de ce qui a été voté il y a quelques semaines. L'exercice auquel nous nous prêtons paraît d'autant plus vain que nous savons comment tout cela va se terminer en séance, avec un recours à l'article 49, alinéa 3 de la Constitution.
La hausse des crédits de la justice est toujours une bonne chose, tant nous partons de loin, mais il n'y a pas lieu de se glorifier d'une hausse de 5,3 %, sachant que l'inflation a atteint 5,8 % en 2023 et qu'elle sera au moins de 3,3 % en 2024. Compte tenu de ces réalités macroéconomiques, le budget de la justice, qui est sensible à la hausse des prix, notamment pour son volet immobilier, est un budget qui court après l'inflation.
L'augmentation des crédits est en grande partie consacrée à la hausse du traitement des magistrats. En l'alignant sur celui des juges administratifs, vous espérez convaincre ces derniers de rejoindre la justice judiciaire, qui peine à recruter. Si l'idée est acceptable, voire bonne, il n'est pas certain qu'elle soit couronnée de succès, compte tenu du manque d'attractivité des métiers de la justice. De ces difficultés témoignent les sous-exécutions budgétaires constatées au titre de l'année 2022. Du reste, cette hausse des rémunérations ne représente pas en elle-même une augmentation des moyens donnés à la justice car, même si les magistrats sont mieux payés, ce dont on peut se réjouir, leur rendement quantitatif et qualitatif ne va pas changer et les stocks vont demeurer.
Les greffiers, acteurs indispensables de la coproduction judiciaire, sont laissés sur le bord de la route avec leur faible rémunération ; près de 100 millions lissés sur l'année sont prévus pour l'augmentation du traitement des juges, et c'est neuf fois moins pour les greffiers. À ce rythme, il sera difficile d'atteindre les 1 800 nouveaux postes de greffe imaginés par la loi de programmation. Or, à quoi serviront les 1 500 juges supplémentaires, s'ils ne sont pas accompagnés de 1 800 greffiers supplémentaires ? Bien entendu, nous approuvons la poursuite du plan de création de 15 000, voire 18 000 places de prison, puisqu'il est essentiel d'assurer des conditions de détention dignes et d'adapter l'outil pénitentiaire à la progression des chiffres de la délinquance. La réalisation de ce plan est aussi un moyen concret d'échapper à la régulation carcérale qui, pour nous, est une lubie de ceux qui refusent de voir l'état du pays et veulent institutionnaliser les opérations portes ouvertes de nos prisons.
Cependant, ce plan a connu des difficultés de mise en œuvre : il aurait dû être achevé en 2022, et les places inaugurées récemment résultent parfois de projets lancés auparavant. Ce plan ne sera efficient que s'il est accompagné de recrutements massifs au sein de l'administration pénitentiaire, qui souffre, elle aussi, d'un déficit d'attractivité. Nous serons donc attentifs au sort des amendements visant à améliorer la situation indiciaire des agents et de ceux qui permettent de renforcer la sécurité active et passive des prisons.
Enfin, nous considérons que les crédits du programme Accès au droit et à la justice sont insuffisants, notamment ceux consacrés à l'aide juridictionnelle, qui n'augmentent que de 2,5 %, soit deux fois moins que le budget de la justice. On peut donc, à ce niveau, parler de recul. Notre justice demeurera, dans le cadre de l'exercice à venir, celle de la lenteur et de l'engorgement : embolisation des parquets, surcharge des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip), délais anormalement longs en appel, conseils de prud'hommes encore traumatisés par l'effet de réformes précédentes... La liste n'est malheureusement pas exhaustive.
Les crédits de la mission Justice ont été examinés et votés l'année dernière en commission. Il ne tient qu'à vous qu'ils le soient aussi en séance publique. Par ailleurs, une centaine d'amendements ont été déposés sur la mission Justice, ce qui est un record absolu. Si l'examen de ces amendements était vain, je pense qu'il n'y en aurait pas autant.
Il convient de rappeler le contexte dans lequel la justice est rendue en France et de saisir les enjeux d'un tel budget face au déficit humain, matériel et financier dont souffre le ministère de la justice. Chacun des programmes du budget de la justice dont vous êtes chargé répond chaque année à la même logique : une politique obsédée par le tout-sécuritaire et le tout-carcéral.
Vous vous félicitez d'une hausse de 503 millions d'euros mais, si l'on tient compte de l'inflation, elle n'excède pas 220 millions. Elle est donc dérisoire et se concentre sur l'ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires, l'hypertrophie d'une cour d'assistants autour du magistrat, l'élargissement de techniques d'enquête toujours plus intrusives, pour des échelles de peines toujours plus contraintes. C'est donc une politique répressive que vous déployez, cette année encore.
Dans le programme Justice judiciaire, vous privilégiez comme toujours la justice pénale par rapport à la justice civile, avec 238 millions supplémentaires pour la première. Vous créez principalement des postes d'assistants, plutôt que des postes de magistrats ou de greffiers, qui sont pourtant indispensables à la réduction des délais de traitement des instances. Vous développez des procédures à l'amiable, qui conduisent à une déjudiciarisation du contentieux civil, et vous procédez à une refonte de la justice commerciale qui nourrira immanquablement les conflits d'intérêts. Le programme Administration pénitentiaire est, cette année encore, celui qui bénéficie des crédits les plus élevés : ils sont sept fois supérieurs à ceux du programme Accès au droit et à la justice. Vous projetez la livraison de quatre établissements pénitentiaires pour 2024, équivalant à 570 places de prison.
Pourquoi persistez-vous dans cette politique carcérale, qui ne répond qu'à votre fantasme d'enfermer toujours plus et toujours plus longtemps ? Une once de bon sens et d'honnêteté intellectuelle devrait suffire à vous faire admettre que construire davantage de places de prison ne mène qu'à une chose : les remplir sans faire baisser notre taux de surpopulation qui, comme l'a pointé la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), est le plus élevé d'Europe. Comment expliquer cette obsession, monsieur le ministre, si ce n'est par une idéologie sécuritaire, dont le but n'est pas de remédier à cette surpopulation mortifère, dont vous ne semblez que peu vous émouvoir, mais seulement de mener à bien un projet de société du tout-répressif ?
Dans son dernier rapport d'activité, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté dresse un constat sans équivoque sur la nécessité d'un mécanisme de régulation carcérale – un constat que partage La France insoumise. Les solutions ne manquent pas ; ce qui manque, en revanche, c'est une volonté politique.
Dans le programme Protection judiciaire de la jeunesse, de même, une partie des crédits est orientée vers la réalisation d'opérations immobilières d'ampleur, avec la construction de centres éducatifs fermés (CEF). Ce recours aux CEF n'est qu'une preuve supplémentaire de votre incapacité à mener une politique d'accompagnement, à laquelle vous préférez la répression et l'enfermement des mineurs. En fermant ces centres et en récupérant une partie de leur coût de construction et de fonctionnement, on pourrait financer des mesures préventives.
Les crédits du programme Accès au droit et à la justice ne sont pas plus glorieux, puisque leur augmentation est dérisoire et ne permet pas la valorisation de l'aide juridictionnelle, ni de l'aide aux victimes d'infractions pénales. Il est urgent de mettre fin à cette précarisation de notre service public de la justice, garant principal de nos droits et libertés. Il faut des moyens financiers et humains importants, afin de procéder au recrutement massif de nouveaux fonctionnaires, mais aussi à un changement de paradigme en matière d'échelle des peines et de sens de la peine. Votre politique du tout-sécuritaire, qui fait de la privation de liberté un principe, ne doit plus guider les politiques publiques de la justice.
Nous sommes face à un budget en trompe-l'œil : selon le point de vue que l'on adopte, on ne voit pas la même chose. Il est vrai que les crédits de la mission Justice augmentent de plus de 5 % en crédits de paiement mais, dans la mesure où l'inflation est au même niveau, il s'agit plutôt, en réalité, d'une stagnation.
S'agissant de la répartition des efforts, nous prenons acte d'un nombre important de créations de postes dans les services judiciaires et l'administration pénitentiaire, mais il faudra examiner la part des titulaires et des contractuels. Les crédits alloués aux investissements immobiliers s'élèveront à 518 millions d'euros en 2024, soit une baisse de 132 millions par rapport à l'année dernière. En 2017, lorsqu'il était candidat, Emmanuel Macron s'était engagé à construire 15 000 nouvelles places de prison au cours de son mandat. Cet objectif a été ramené à 7 000, puis à 4 500. Dans les faits, seules 2 500 places supplémentaires ont été construites depuis 2017, si bien que la surpopulation carcérale ne baisse pas : à la fin de l'année 2022, nous avons même atteint le nombre record de 73 000 détenus. Nous avions fait inscrire, lors de l'examen de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, 3 000 places de prison supplémentaires, si bien qu'on ne devrait plus parler du plan « 15 000 », mais du plan « 18 000 ». Mais on voit bien que les annonces tonitruantes qui ont été faites ne seront pas suivies d'effets.
Certains secteurs sont en souffrance. La Cour des comptes vient de s'alarmer du manque d'encadrement de l'aide juridictionnelle. De même, la hausse des crédits alloués aux associations d'aide aux victimes, qui s'élève à 4 %, est inférieure à l'inflation. La Cour des comptes appelle également à une évaluation des centres éducatifs fermés. Enfin, chacun sait que les systèmes informatiques de nos tribunaux sont défaillants, ce qui nuit au traitement des affaires.
J'évoquerai enfin le mouvement historique de protestation des greffiers, du fait de promesses non tenues. Il y a eu des négociations, mais les chiffres que vous avancez, monsieur le garde des sceaux, ne sont pas ceux qui me sont rapportés sur le terrain : vous parlez d'augmentations de 300 euros par mois mais, dans les faits, elles dépassent rarement 100 euros. Vous dites que 3 200 des 11 000 greffiers passeront en catégorie A : sur quels critères seront-ils choisis ? Il importe de montrer à nos greffiers que nous avons conscience de leur importance dans l'organisation judiciaire.
« La vérité et la justice sont souveraines, car elles seules assurent la grandeur des nations. » Ces mots d'Émile Zola illustrent à eux seuls le mouvement amorcé depuis 2017 par le Gouvernement pour donner à la justice les moyens de son ambition.
Avec une augmentation de 503 millions par rapport à 2023 – soit 5,3 % –, le budget de la justice atteint un niveau sans précédent – et l'on sent bien une certaine gêne chez nos collègues de l'opposition. Le budget annuel de la justice est passé de 6,9 milliards d'euros en 2017 à 10,1 milliards en 2024. En tant que rapporteur de la loi d'orientation et de programmation de la justice, je me réjouis que son adoption le 10 septembre ait permis de pérenniser des hausses de moyens.
Notre objectif est que le budget de la justice atteigne 11 milliards d'ici 2027, ce qui représentera une hausse de 60 % sur l'ensemble des deux quinquennats. Pour reprendre vos mots, monsieur le garde des sceaux, ce projet de loi de finances va renforcer notre justice en la rendant plus proche, plus protectrice et plus rapide pour chacun de nos concitoyens. Il annonce, je l'espère, la fin du délabrement avancé de la justice, dénoncé par les États généraux de la justice et par l'ancien garde des sceaux, M. Jean-Jacques Urvoas. Il marque en tout cas la fin de plus de trente ans d'abandon budgétaire pour la justice.
Il importe de rapprocher la justice de nos concitoyens. Tous doivent connaître leurs droits et pouvoir les défendre. Le groupe Démocrate se félicite donc que le budget du programme Accès au droit et à la justice s'élève à 734, 2 millions d'euros pour 2024 et qu'il se traduise notamment par une augmentation de 16,1 millions du budget consacré à l'aide juridictionnelle, pour un montant total de 657,1 millions. En parallèle, l'accélération du rythme des recrutements, avec la création de 327 postes de magistrats, 340 postes de greffiers et 400 postes d'attachés de justice en 2024 contribuera à cette proximité et à la qualité de la justice rendue.
Parce que la connaissance de ses droits par tout un chacun – et l'accès à ceux-ci –doit commencer dès le plus jeune âge, nous devons aussi tourner notre politique judiciaire vers nos enfants. Nous devons donner les moyens à la justice des mineurs et à la protection de l'enfance d'être au rendez-vous et d'accompagner au mieux ces enfants. Le rapport d'évaluation qui vient d'être remis au Parlement montre que le code de la justice pénale des mineurs est un succès. Dans le cadre d'intervention des professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse, il faut désormais offrir une prise en charge et des réponses judiciaires adaptées. Nous ne devons pas, sur ce sujet, relâcher nos efforts. Les crédits du programme Protection judiciaire de la jeunesse augmentent de 28 millions et atteignent 950 millions d'euros pour 2024, ce qui constitue une nouvelle étape majeure.
Le groupe Démocrate salue le budget alloué à la justice pour 2024. Vous l'aurez compris, monsieur le garde des sceaux, je n'ai pas vraiment de question, puisque la loi de programmation trouve ses réponses dans ce budget. Je ferai seulement une petite remarque à nos collègues du groupe La France insoumise : je ne trouve pas très correct de dire des contre-vérités, puis de les extraire de nos débats pour en faire de belles petites vignettes pour votre propagande sur internet.
Nous avons évidemment commencé par vérifier si la loi de programmation se concrétisait dans ce budget. Vous avez, fort heureusement, été au rendez-vous ; sinon la situation n'aurait pas été simple. Je rappelle, à cet égard, qu'à la suite d'un amendement déposé par notre groupe, un rapport sur les créations d'emploi et la consommation des crédits doit désormais être remis au Parlement chaque année, avant le 30 avril.
S'agissant des greffiers, monsieur le garde des sceaux, vous avez dit qu'un accord était intervenu. J'appelle votre attention sur le fait que la catégorie A ne recouvre pas la même réalité au ministère de la justice que dans d'autres administrations. Nous devons corriger les inégalités en la matière. Je n'ai pas le sentiment que ce soit un budget historique pour les greffiers, mais vous nous en direz peut-être davantage à ce sujet.
Vous prévoyez de recruter 2 800 magistrats d'ici à 2027, c'est-à-dire 700 par an. C'est énorme, mais tout à fait nécessaire et nous saluons le budget prévu. Il faudra concrétiser ces recrutements, ce qui ne sera pas simple. Les promotions à l'ENM, qui sont actuellement de 380 élèves, en compteront peut-être 500 demain. Comment comptez-vous faire pour assurer, grâce à l'ouverture de la magistrature, les recrutements nécessaires ?
Les crédits de l'AJ augmentent de 22 millions. La Cour des comptes a évoqué, dans ses observations, un manque de pilotage. Nous vous proposons une expérimentation qui permettra aux enfants de l'ASE (aide sociale à l'enfance), qui n'ont personne pour les aider, de bénéficier de l'assistance systématique d'un avocat. Ce ne sera pas contre le juge, mais pour l'aider à prendre des décisions qui peuvent être extrêmement douloureuses. Nous le voyons, car nous sommes régulièrement saisis de situations dans lesquelles nous ne pouvons malheureusement pas agir.
La Cour des comptes a fait un procès aux CEF. Je considère, pour ma part, que c'est un dispositif utile et important. Vous le reconnaissez vous-même, puisque vous en créez vingt de plus. Je souhaiterais savoir où on en est dans ce domaine, ainsi que pour les prisons. Une commune de mon département concernée par la création d'un CEF devait céder un terrain pour 1 euro symbolique, mais elle ne souhaite pas s'engager dans cette voie. Je crois qu'il serait utile que vous nous éclairiez sur les modalités de financement des CEF et les efforts demandés aux communes.
La Cour des comptes a dénoncé, dans un rapport, la tension persistante entre l'évolution de la population carcérale et la politique d'exécution des peines, qui conduit à s'interroger. En effet, les courtes peines ont diminué de 23 %, les détentions provisoires ont augmenté de 30 %, et la durée d'incarcération de 24 %, peut-être en raison d'un effet de bord. La Cour des comptes a recommandé de compléter le dispositif statistique pour suivre l'évolution respective des personnes bénéficiant d'un aménagement de peine et de celles effectivement incarcérées. Cela me paraît tout à fait utile pour lutter contre l'idée, régulièrement agitée à droite, selon laquelle l'enfermement est un bienfait.
La mission Justice s'inscrira en 2024 dans l'ambitieuse lignée qui a été tracée par la loi de programmation et d'orientation de la justice, définitivement adoptée par le Parlement au début du mois. Ce texte a permis de concrétiser les conclusions des États généraux de la justice, lancés en 2021, et d'entériner les réformes structurelles prévues par la précédente loi de programmation.
C'est avec constance, en concertation avec les acteurs concernés et en cohérence avec des budgets en augmentation, que nous travaillons à transformer la justice pour la rendre plus efficace et plus accessible à tous les Français. La loi que nous venons d'adopter a ainsi fixé une trajectoire pluriannuelle pour le budget de la justice d'ici à 2027. D'un montant de 9,6 milliards d'euros en 2023, ce budget sera porté à 10,8 milliards dans quatre ans, ce qui portera la hausse durant ce quinquennat à 21 %.
En 2024, conformément aux engagements pris, les autorisations d'engagement augmenteront de 13,72 %, et les crédits de paiement de 5,1 %. Nous tenons à saluer tout particulièrement le renforcement des moyens humains : 10 000 emplois doivent être créés en cinq ans. Parmi les 1 961 emplois créés en 2024, 1 307 concerneront les services judiciaires – les magistrats et les équipes autour d'eux –, 450 l'administration pénitentiaire, notamment pour l'ouverture de nouveaux établissements, et 92 la protection judiciaire de la jeunesse. Ces créations d'emplois s'ajouteront aux 605 postes supplémentaires de 2023.
Nous saluons également l'amélioration des conditions de détention, dans le cadre d'un programme immobilier qui prévoit la création de 15 000 places de prison à l'horizon 2027. La livraison de quatre nouveaux établissements, représentant en tout 570 places, est prévue en 2024, et trente-six autres opérations restent à compléter. À l'heure où le travail dans les établissements pénitentiaires souffre cruellement d'un manque d'attractivité, nous soutenons les budgets consacrés à la revalorisation statutaire et indemnitaire de la filière de la surveillance, qui se traduira par le passage des surveillants de la catégorie C à la catégorie B et des officiers de la catégorie B à la catégorie A. Nous saluons également les moyens consacrés à la réduction des délais de traitement des affaires judiciaires, qui se sont améliorés ces dernières années.
En ce qui concerne le déploiement des nouvelles places de prison, pouvez-vous faire le point sur ce qui est attendu en 2024 ? Comment les élus locaux accueillent-ils les projets d'implantation, si nécessaires, de nouveaux établissements pénitentiaires ?
S'agissant de la transformation numérique, je sais votre engagement en faveur de l'objectif zéro papier en 2027. Cependant, il faut reconnaître que les efforts doivent être poursuivis, notamment pour améliorer le quotidien des agents. Pouvez-vous nous indiquer quelles améliorations durables peuvent être attendues en 2024 ? Est-il envisagé d'utiliser l'intelligence artificielle dans le cadre des missions relevant du ministère de la justice, par exemple pour procéder à la recodification du code de procédure pénale ?
Le groupe Horizons et apparentés s'honorera de voter en faveur de cette mission budgétaire.
Monsieur le garde des sceaux, je vous poserai quelques questions en attendant le recours au 49.3, qui ne nous donnera probablement pas le loisir de voter sur ces crédits.
Tout le monde a salué l'effort budgétaire. Rappelons tout de même le point de départ : nous avons 9 000 magistrats, alors qu'il en faudrait 22 000 pour tendre vers les standards européens. Idem pour les greffiers : nous en avons 34 pour 100 000 habitants, alors qu'il en faudrait 61 pour être dans la moyenne européenne. Notre justice de l'urgence n'écoute pas, mais chronomètre tout, ce qui conduit à une perte de sens pour les magistrats et l'ensemble des agents de la justice. Je ne suis pas certain que ce budget et la répartition des crédits que vous prévoyez permettront de régler la question.
Le taux d'occupation des prisons est de 120 % – et de 143 % pour les maisons d'arrêt. C'est, parmi les 47 pays du Conseil de l'Europe, le cinquième plus mauvais taux – et je passe sur les condamnations de la France. Notre administration pénitentiaire est délabrée. Il en résulte une forme de maltraitance du personnel, des justiciables et des détenus. Il faut apporter des réponses, mais nous ne sommes pas certains que les crédits prévus permettront de le faire.
La défense des plus vulnérables, qui doit être une priorité, n'est pas forcément au rendez-vous. Les crédits de l'aide juridictionnelle, par exemple, ne tiennent même pas compte de l'inflation.
Vous comptez diviser par deux les délais de jugement mais, au vu du nombre de magistrats qui arrivent dans les tribunaux, rien ne permet de penser qu'on y arrivera. Vous annoncez 327 magistrats supplémentaires en 2024, ce qui est loin des besoins recensés.
Les premiers référentiels établis par le groupe d'étude sur la charge de travail des magistrats démontrent que ces derniers devraient être entre deux fois et quatre fois plus nombreux pour certaines fonctions, comme l'instruction. Mon groupe avait expressément demandé que ces référentiels, pilotés par la DSJ – direction des services judiciaires –, servent de base pour la construction du budget, mais il n'en a rien été. Pire, les éléments ne sont pas diffusés : ils sont dans l'attente d'un contrôle de cohérence. Quand ces référentiels seront-ils publiés et à quoi serviront-ils ? Seront-ils utilisés pour calculer le nombre de magistrats nécessaires, ou simplement pour gérer la pénurie ?
L'indigence des moyens humains et matériels empêche d'apporter une réponse satisfaisante dans certaines matières, pourtant jugées prioritaires si l'on en croit votre dernière circulaire de politique pénale. Je pourrais prendre l'exemple de la justice pénale environnementale, qui manque cruellement d'assistants spécialisés au sein des pôles régionaux : à moyens constants, la justice ne peut plus lutter efficacement contre les atteintes à l'environnement. Je pourrais aussi évoquer la lutte contre les violences intrafamiliales : vous en faites une politique pénale prioritaire, mais la justice fonctionne là aussi à moyens constants, et des outils prometteurs ne sont pas suffisamment mobilisés, en particulier le contrôle judiciaire avec placement probatoire (CJPP). Les dix structures qui existent offrent seulement 165 places. Pourquoi ne pas augmenter leur nombre ? Il faudrait le tripler.
Les moyens pour la rénovation du parc pénitentiaire sont en baisse. Ils sont dix fois moins élevés que ceux alloués à la construction de nouvelles places de prison. Pouvez-vous nous parler, en particulier, de l'établissement de Varces ?
Je remercie Éric Poulliat d'avoir donné l'alerte au sujet de la santé psychique des détenus. J'espère que les membres de la commission sauront se saisir de cette question pour que l'on passe aux actes. Il y a vraiment urgence en la matière.
Monsieur le garde des sceaux, souhaitez-vous que les 577 députés que nous sommes puissent voter ce budget de la justice ?
Je vous invite à plus de modestie quant aux qualificatifs concernant la LOPJ et ce budget, vu le délabrement de la justice. Je siégeais à la commission des affaires culturelles et de l'éducation durant la précédente législature. Le ministre Blanquer nous parlait aussi, à peu près tous les ans, de budget historique. Or on connaît l'état de l'école publique, l'attractivité du métier d'enseignant et le nombre de professeurs qui ne sont pas remplacés dans les écoles – cette situation est bien historique, en revanche.
Oui, des moyens supplémentaires sont prévus, mais encore faudrait-il qu'ils soient affectés au bon endroit et employés suivant une logique qui permette de remédier au délabrement de la justice. Je ne répéterai pas tout ce que mon groupe a dit à ce sujet lors de l'examen de la LOPJ. Les États généraux de la justice ont souligné que « c'est un sentiment de désespoir, voire de honte qui domine face au manque de moyens humains et matériels, d'appuis techniques efficaces et cohérents, face aussi aux réformes incessantes et à l'impossibilité de bien remplir sa mission, alors que les contentieux deviennent toujours plus complexes ».
Il faudrait s'atteler à une réorganisation globale de l'institution, à une réforme plus systémique, mais ce projet de loi de finances ne prévoit rien de tel, pas plus que les textes antérieurs. Nous appelons à sortir du tout-carcéral et à s'attaquer à la surpopulation galopante dans les prisons, qui se traduit par une prolifération de matelas à même le sol, conduit à une situation indigne pour les détenus et affecte considérablement le sens de la peine et les possibilités de réinsertion.
Si je ne me trompe pas, 512 surveillants supplémentaires sont prévus en 2024, dont la moitié pour les nouvelles places de prison. Quels sont les chiffres envisagés pour les années suivantes et quelle sera la ventilation entre les places actuelles et les nouvelles ? Surtout, avez-vous un objectif pour 2027 en ce qui concerne le taux d'encadrement ? Aux Pays-Bas, où je me suis rendue avec Mme Abadie, il y a environ un surveillant pour douze détenus. Cela peut paraître un idéal très lointain : actuellement, c'est plutôt la honte en France.
On ne peut nier les efforts budgétaires importants qui sont prévus pour 2024, après avoir été inscrits dans la toute récente loi de programmation. Les crédits de paiement de la mission Justice seront ainsi en hausse de 5 %. Cette augmentation est bienvenue, mais il faut examiner plus globalement la politique judiciaire. Elle est problématique, de façon récurrente, sur certains points.
L'administration pénitentiaire demeure le programme le plus lourd financièrement pour le ministère de la justice, mais aussi le plus en souffrance. En dépit des 5 milliards d'euros qui lui sont consacrés, l'administration pénitentiaire doit sans cesse faire face aux mêmes difficultés – surpopulation carcérale quasi ingérable, manque d'attractivité des métiers, et donc manque criant d'effectifs, radicalisation en prison, particulièrement problématique, ou encore politique de l'insertion à redynamiser.
La politique de restauration de la justice menée lors de la précédente législature ne nous semble pas avoir conduit aux résultats souhaités. Notre groupe s'inquiète en particulier des conditions indignes de détention dans certains sites, qui ont déjà valu à la France plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme. Le taux d'occupation des places dans les maisons d'arrêt a augmenté de dix points en un an, passant de 131 % à 141 %. En dépit des 15 000 nouvelles places annoncées, nous craignons qu'aucune perspective d'amélioration ne soit ouverte à court terme. Les retards et les difficultés en matière de construction semblent s'accumuler.
La situation est encore plus grave en outre-mer. Les deux sites de la Guadeloupe ont des taux d'occupation de plus de 135 %. À Mayotte, ce taux a dépassé 250 % à la prison de Majicavo. Le garde des sceaux que vous êtes s'était engagé l'année dernière à créer un nouveau centre à Mayotte. Pourriez-vous nous dire où en est ce projet ?
Les moyens allant aux juridictions judiciaires progressent, c'est vrai, et le plan de recrutement de 1 500 magistrats et de 1 800 greffiers a été lancé. Cependant, les juridictions, toutes zones confondues, ont toujours des délais de jugement élevés, notamment en matière civile. Le stock d'affaires accumulé depuis le Covid ne semble toujours pas résorbé, et nous courons désormais le risque d'une aggravation de la fracture territoriale quant au fonctionnement et à l'accès au service public de la justice. Si vous proposez des mesures pour les territoires connaissant des difficultés d'attractivité, certaines juridictions, notamment dans les outre-mer et en Corse, souffrent toujours d'un manque de personnel, qui ne sera pas résolu par des mesures temporaires : nous avons besoin d'effectifs durables.
À cet égard je rappelle les avis exprimés par les bâtonniers, notamment ceux de Corse : pour eux, il s'agit presque d'une régression, et l'Assemblée de Corse partage cette position. Tout porte à croire que les magistrats qui seront affectés temporairement resteront sur le continent : ils exerceront essentiellement par le biais de moyens de communication audiovisuelle. Dans la mesure où ils seront simplement détachés des cours d'appel de Paris ou d'Aix-en-Provence, il y a peu de chances qu'un déplacement en Corse pendant trois mois soit tout simplement possible, car les effectifs sont également comptés dans ces juridictions importantes et encombrées.
L'aide juridictionnelle devrait augmenter de 21 millions d'euros, mais la rétribution des avocats continue à poser question. Le Conseil national des barreaux demande que l'unité de valeur passe de 36 à 42,20 euros hors taxe. Nous souhaitons, par ailleurs, une adaptation du montant dans l'outre-mer et une réduction des délais de paiement – ils sont nettement plus élevés que dans l'Hexagone. À La Réunion, par exemple, ces délais s'élèvent à quatre mois, alors que l'objectif est de trente jours.
Je profite de l'examen de la mission Justice pour rappeler que nous appelons de nos vœux deux réformes, dont la première est une refonte du statut des repentis, pour rendre le dispositif plus incitatif et ainsi pouvoir mieux lutter contre les phénomènes mafieux. Pouvez-vous nous en dire plus sur le texte qui serait en préparation ? Nous plaidons, par ailleurs, pour un renforcement des pouvoirs de l'Agrasc, l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, afin d'améliorer la saisie et la gestion des biens et des sommes confisqués lors de procédures pénales. Jean-Luc Warsmann a déposé, pour notre groupe, une proposition de loi dont nous demandons, une fois encore, l'inscription à l'ordre du jour des prochaines semaines.
Monsieur le garde des sceaux, vous nous avez dit en introduction que le défi n'était pas de savoir si nous allions recruter, mais de trouver des candidats. Si c'est le cas, envoyez-les à Béziers, s'il vous plaît. Il nous manque au moins un juge des enfants.
Lors des dialogues de gestion, la direction des services judiciaires a en effet confirmé qu'il manquait plusieurs magistrats du siège pour qu'il y ait une activité juridictionnelle convenable. Un risque de surcharge a ainsi été relevé : le nombre d'affaires civiles et pénales traitées par magistrat est de 1 316, contre 556 en moyenne dans les autres juridictions du groupe 3, soit un écart de plus de 100 %. Par ailleurs, l'annonce de la création d'un centre de rétention administrative de 120 places à Béziers, dont je réjouis, rend indispensable la création d'un troisième poste de juge des libertés et de la détention avant l'ouverture du nouveau centre.
Toujours à Béziers, la circulaire de localisation des emplois prévoit depuis 2021 9 postes de magistrats pour le parquet, mais le compte n'y est pas, un poste étant vacant à la suite d'un départ non remplacé. Lors des dialogues de gestion, la direction des services judiciaires a relevé que 2 964 affaires étaient traitées par magistrat du parquet à Béziers, soit 11 % de plus que la moyenne dans les autres juridictions du même groupe. L'activité du parquet de Béziers est en constante augmentation, comme en témoigne le nombre de défèrements, passé de 743 en 2020 à 909 en 2021 et à 1 027 en 2022.
Par ailleurs, alors que la circulaire de localisation des emplois prévoit 92 postes de greffe, toutes catégories confondues, le poste de directeur principal de greffe est vacant depuis le 1er décembre 2021, à la suite d'un départ à la retraite. L'intérim est assuré par une directrice des services de greffe, et il n'y a actuellement aucune candidature pour le poste vacant. Un poste de greffier est également à pourvoir.
Le centre pénitentiaire, quant à lui, attend toujours un système anti-projection. Il est vrai que celui-ci serait déjà un peu dépassé : le personnel doit faire face à des livraisons quotidiennes par drones, contre lesquels il ne dispose pas d'un système de brouillage. Nos besoins, vous le voyez, sont énormes.
Le budget de la justice ayant été voté l'année dernière, je ne sais pas pourquoi Mme Faucillon, M. Iordanoff et M. Schreck ont évoqué la question du 49.3 – c'était peut-être un accès de pessimisme ou de repentance. Je note, en effet, que certains ont voté pour la loi de programmation, par rapport à laquelle nous sommes dans les clous, mais n'ont pas été pas au rendez-vous – à tout pécheur miséricorde – lors de l'examen des précédents budgets, qui ont permis d'améliorer le fonctionnement de la justice. Des embauches de magistrats, de greffiers et de contractuels ont pu être faites – plus de 700 pour les magistrats. Durant le quinquennat de M. Hollande, le chiffre était nettement inférieur – on ne dépassait pas 150 magistrats – et durant la présidence de M. Sarkozy, il était même négatif, car on ne remplaçait pas ceux qui partaient à la retraite. Beaucoup de choses ont déjà été faites grâce à nos budgets. Vous souhaitez, s'agissant de celui-ci, qu'on aille jusqu'au bout, et je l'entends. Nous avons un objectif commun, qui est de donner à la justice des moyens dont elle a impérieusement besoin.
Monsieur Terlier, vous avez souligné à juste titre, me semble-t-il, la nécessité d'une corrélation entre les recrutements, l'immobilier et les moyens informatiques. Il faut une approche globale, et c'est bien la logique que nous suivons en vous présentant ce budget.
Monsieur Poulliat, la DAP s'organise pour que les extractions médicales puissent être réalisées. Il peut arriver, c'est vrai, que certaines consultations – à l'exception des urgences, bien sûr – soient reportées, mais je tiens à dire que plus de 50 000 extractions médicales sont réalisées chaque année et que ce chiffre a plus que doublé entre 2020 et 2023.
Par ailleurs, tout un travail autour de la médecine est en cours, afin de compléter l'offre de soins. Un projet de déploiement de la télésanté au sein des unités sanitaires en milieu pénitentiaire a été lancé en 2021, avec le concours de la direction générale de l'offre de soins. Ce projet, doté d'un financement d'environ 2,8 millions d'euros du Fonds pour la transformation de l'action publique, porte notamment sur la mise à niveau du câblage, la sécurité des systèmes d'information et la création d'un catalogue des spécialités médicales proposées. Cette solution viendra non pas remplacer, mais améliorer les prises en charge sanitaires.
Vous m'avez également interpellé sur les distances à parcourir. Les équipes pénitentiaires des UHSA ont la possibilité de programmer et d'anticiper les transferts. Ces derniers sont nécessairement réalisés, puisqu'il s'agit d'admissions en hospitalisation, pour une durée généralement supérieure à quarante-huit heures.
S'agissant de la seconde phase de construction, 160 places supplémentaires sont prévues dans trois nouvelles UHSA : à l'hôpital du Rouvray, à Sotteville-lès-Rouen – 60 places –, dans la commune de Béziers – 40 places – et à l'hôpital Robert-Ballanger d'Aulnay-sous-Bois – 60 places.
Le dispositif du contrôle judiciaire avec placement probatoire (CJPP) a été mis en place à partir de la fin 2020, dans deux sites – à Nîmes et Colmar. J'ai décidé de l'étendre à huit autres sites – un par direction interrégionale, c'est-à-dire à Bordeaux, Tours, Amiens, Cayenne, Draguignan, Saint-Étienne, Paris et Rennes – afin d'assurer une réponse adaptée aux besoins de chaque ressort et un maillage cohérent dans l'ensemble du territoire. Il existe désormais 165 places de CJPP, pour 2,6 millions d'euros.
Monsieur le président, vous m'avez demandé si des blocages administratifs locaux persistaient. Ils sont essentiellement concentrés sur cinq projets, représentant 3 235 places : ceux de Noiseau – 800 places –, Magnanville – 700 places –, Crisenoy – 1 000 places –, Orléans – 120 places – et Muret – 615 places. On veut plus de places, mais ailleurs, ce qui constitue une difficulté.
Les retards – ce grief n'a pas été évoqué aujourd'hui, mais il est récurrent – sont de trois ordres. D'abord, il a fallu du temps pour trouver les terrains : ce n'est pas une promenade de santé – sans mauvais jeu de mots. Par ailleurs, il y a eu la Covid et maintenant la guerre en Ukraine, qui s'accompagne – c'est le troisième élément – de difficultés pour se fournir en matériaux de construction. Lorsque j'ai travaillé sur ces questions avec Éric Ciotti – j'ai été très heureux de le faire, car il était, je pense, d'une parfaite sincérité, tout comme je le suis –, j'ai souligné qu'il y avait tout de même une difficulté et que nous avions besoin d'un coup de main. La coconstruction ne vaut pas seulement pour les textes, mais aussi sur le terrain, pour faire sortir de terre des établissements pénitentiaires, en maniant la truelle et le ciment.
S'agissant des greffiers, la difficulté était que certains souhaitent rejoindre la catégorie A, tandis que d'autres ont des revendications plus indiciaires.
C'est exactement ce que nous faisons dans le cadre de l'accord qui devrait être signé cette semaine.
Il faut rendre hommage – je le fais à mon tour – à nos greffiers. Nous avons besoin d'eux : il n'y a pas de justice sans greffiers. Ils appartiendront, je le redis, à l'équipe constituée autour du magistrat, avec des contractuels qui, cette fois, seront pérennisés, cédéisés – ils s'appelleront des attachés de justice et prêteront serment.
Le développement de l'amiable est une façon de recentrer le juge sur son cœur de métier, qui est de dire le droit et de trancher les litiges. C'est un mode de justice dans lequel le justiciable se réapproprie son affaire. Dans certains procès, il faut deux ou trois ans de mise en état et, parfois, on ne voit pas son juge. Si vous saviez le nombre de magistrats, d'avocats, de notaires et de commissaires de justice qui s'engagent en faveur de l'amiable…
Je rappelle que le top départ pour la nouvelle procédure a été fixé au 1er novembre. Le but est de rendre, dans l'intérêt de nos compatriotes, une justice plus proche et plus rapide. À l'étranger, ce mode de règlement des différends est désormais utilisé dans 70 à 80 % des cas. J'entends les critiques, mais il faut que l'expérience soit tentée, car elle a vraiment du sens pour le justiciable.
En 2023, onze établissements et 2 016 places ont été livrés, et nous aurons atteint 4 300 places d'ici à fin 2023 sur les 15 000 qui prévues à la fin du quinquennat.
Madame Abadie, après avoir beaucoup discuté avec les greffiers, nous devons signer dans les heures qui viennent avec les représentants de la profession. Des revalorisations sont intervenues et j'ai entendu des chiffres erronés, car il faut tenir compte des primes et des salaires ; or, pour les magistrats, il s'agit de primes. Nous espérons donc obtenir des accords très prochainement.
Vous m'avez interrogé sur la DPJJ, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse. Pour ce qui concerne le milieu ouvert, un travail doit être mené sur les modalités d'organisation des services touchés par la réforme du code de la justice pénale des mineurs (CJPM) et une réflexion sera engagée sur les indicateurs qualitatifs d'activité et de performance, afin d'évaluer l'action des professionnels du milieu ouvert et d'allouer les ressources utiles à leurs missions. C'est en cours.
En matière de placement, l'objectif est évidemment d'améliorer l'offre de placement au pénal et de garantir un cadre sécurisé pour les mineurs placés et les professionnels. Ce plan d'action vise à une meilleure préparation des orientations de placement et un assouplissement du fonctionnement des structures d'hébergement, qui sera testé dès 2024.
En 2024, quatre nouveaux établissements pénitentiaires seront livrés respectivement à Toulon, Noisy-le-Grand, Colmar et Nîmes, et trois sites pénitentiaires achèveront leur première phase de travaux : Bordeaux, Bordeaux-Gradignan, Basse-Terre et Baie-Mahault.
Le décret relatif aux pôles spécialisés est en cours d'examen par le Conseil d'État, comme le sait Mme Chandler, en concertation avec tous les acteurs. Le principe est celui de la confiance dans les acteurs locaux, car le souhait d'une déconcentration a été très souvent exprimé durant les États généraux de la justice.
Madame Ménard, vous procédiez tout à l'heure, en direct et en exclusivité, à votre dialogue de gestion ; mais ces dialogues ont lieu désormais pour chaque cour d'appel, et ce sont les cours d'appel qui affecteront les magistrats, les greffiers et les contractuels qui leur seront envoyés, car elles savent mieux que nous les besoins du terrain – et c'était là une revendication des chefs de cour. Des moyens en hausse favoriseront la mise en œuvre de ces pôles.
Quant au dispositif du contrôle judiciaire avec placement probatoire (CJPP), qui se distingue de la prise en charge offerte au sein des centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA), il ne se substitue pas à ces centres, mais vise à en améliorer l'efficacité, en favorisant l'articulation des interventions judiciaires, sociales et sanitaires, dans un objectif de protection des victimes.
Le ministère de la justice ne finance ni ne cofinance les coûts liés aux hébergements, aux ressources des CPCA, aux prises en charge individuelles ou collectives. Le financement provient pour 70 % de la direction générale de la cohésion sociale et pour 30 % de cofinancements extérieurs au ministère de la justice. Enfin, les CJPP prennent en charge les conjoints violents présentant une dangerosité importante.
Monsieur Schreck, je vous ai adressé un petit mot liminaire pour vous dire que je ne comprenais pas votre pessimisme, puisque vous dites que le texte budgétaire que je présente est conforme à la loi de programmation que vous avez votée – mais peu importe.
La trajectoire budgétaire pluriannuelle du ministère tient compte des hypothèses d'inflation retenues par Bercy, qui prévoient 3 % en moyenne annuelle en 2024, 2,1 % en 2025 et 1,75 % en 2026 et en 2027.
Le niveau de consommation des crédits, qui est une autre de vos préoccupations, reste élevé entre 2021 et 2022 et connaît une amélioration : par rapport aux 8 862 millions d'euros de crédits votés en 2022, l'exécution effective a atteint 8 792 millions, soit une différence de 70 millions seulement, correspondant à 0,8 % des crédits votés. Par rapport à 2021, ce taux de sous exécution est en baisse, passant de 1,8 % en 2021 à 0,8 % en 2022, ce qui souligne une amélioration de l'exécution de nos crédits.
Sur les quinze dernières années, le taux de sous-exécution est inférieur à 1 %, ce qui est assez faible.
Monsieur Coulomme, vous avez oublié une chose, qui est peut-être un petit détail à vos yeux : toutes les mesures que je soutiens, comme ce renforcement des personnels, ne sont pas me lubies répressives personnelles, mais elles proviennent des États généraux de la justice, qui ont donné lieu à de très nombreuses consultations, où tout le monde est venu, sauf un seul syndicat, dont je sais qu'il est assez proche de vous. À l'exception de ce syndicat, donc, tout le monde est venu : magistrats, greffiers, avocats, forces de sécurité intérieure et syndicats. Des groupes de travail ont été constitués et je ne suis pas intervenu, afin que quelques grandes mesures puissent sortir de ces groupes de travail et des deux vagues de consultations qui ont été menées. Or, vous vous y êtes complètement opposés. C'est extraordinaire de penser que l'amélioration du service public de la justice ne vous intéresse pas ! Nous voulons embaucher des magistrats, des greffiers, des contractuels qui seront cédéisés et des personnels pénitentiaires, et vous vous en moquez. Vous ne voulez pas améliorer la justice de notre pays.
Non ! Je caricature si peu que vous n'avez jamais voté un seul budget de la justice et que, pour la loi de programmation, vous êtes levés immédiatement pour dire que vous n'en discuteriez même pas.
Soit, mais souffrez donc que, si je ne suis pas d'accord avec vous, il y ait au moins un débat ! Vous avez immédiatement déposé un amendement de suppression globale. Dans le même esprit, la semaine dernière, lors d'un déplacement je ne vous dirai pas où, un député de votre groupe m'a dit, à mon arrivée au tribunal judiciaire, qu'il surveillerait avec une grande précision l'arrivée des magistrats et des greffiers. Je lui ai répondu qu'il était gonflé de dire cela, alors qu'il n'avait pas voté le texte. Deux caméras de télévision, dois-je le préciser, étaient présentes.
Pour ce qui est de la politique carcérale, il n'est pas question d'idéologie, mais permettez-moi de vous rappeler un détail : la justice de notre pays est indépendante et nous vivons dans un État de droit. Certains d'entre vous disent que la justice est laxiste, mais la surpopulation carcérale et tous les chiffres, qu'il s'agisse des quantums correctionnels ou criminels des peines prononcées ou des chiffres de la Cour des comptes, disent le contraire.
Enfin, entre mon arrivée en 2020 et 2024, les hausses de crédits par direction ont été très importantes, avec des augmentations de 36 % pour la direction des services judiciaires (DSJ), de 26 % pour la direction de l'administration pénitentiaire (DAP), de 27 % pour la DPJJ et de 52 % pour le secrétariat général (SG). Contrairement à ce que vous affirmez, la hausse la plus importante n'a pas concerné la DAP, mais la DSJ. Il ne faut pas raconter n'importe quoi n'importe comment ! Ce que vous dites n'est pas vrai.
Monsieur Breton, les ressources de l'aide juridictionnelle (AJ) augmentent en 2024 de 16 millions d'euros. Je ne rappellerai pas les différentes augmentations intervenues mais, globalement, depuis 2017, l'AJ a bénéficié d'une hausse de 80 % de budgets supplémentaires, passant de 364 millions d'euros en 2017 à 657 millions en 2024. Ces chiffres sont impressionnants.
Les contractuels sont diplômés, titularisés et cédéisés. Ils prêteront serment et constitueront l'un des viviers de recrutement des futurs titulaires. En outre, ils joueront un rôle très important pour régler la question de l'embauche car, comme Mme Untermaier l'a souligné, le défi sera pour nous d'embaucher. Nos écoles tournent à plein, nous disposons de ces contractuels, et les possibilités d'accès à la magistrature pour des membres d'autres professions du droit s'améliorent. L'accès à la magistrature a en effet été considérablement simplifié, avec une réduction du nombre de concours et de la durée des stages, qui étaient très souvent des obstacles infranchissables pour les professionnels du droit.
Monsieur Breton, vous m'avez interpellé à propos du pilotage des aides juridictionnelles. Nous souhaitions intervenir dans ce domaine avant le rapport de la Cour des comptes. De fait, des avocats s'étaient émus de constater que certains dossiers duraient très longtemps et que certains avocats qui avaient un très grand nombre de clients multipliaient le bénéfice de l'aide juridictionnelle, pour des sommes exorbitantes que des avocats eux-mêmes dénoncent. Quand un avocat n'est pas au bénéfice de l'AJ, ses honoraires sont librement discutés avec son client, mais lorsqu'il y est, il y a matière à s'interroger. Nous sommes en train d'y travailler, et nous avions anticipé de régler cette affaire avant même que la Cour des comptes nous dise ce qu'elle a eu raison de nous dire. Je suis donc en phase avec vous sur ce point.
Je crois beaucoup aux CEF. Le rapport de la Cour des comptes appelle à une évaluation, qui est évidemment nécessaire et que nous mènerons.
Monsieur Balanant, puisque vous ne me posez pas de questions, je ne m'attarderai pas sur vos remarques, pour ne pas retarder le débat.
Madame Untermaier, vous avez raison pour ce qui concerne la question du classement des greffiers en catégorie A.
Quant à l'expérimentation portant sur les avocats dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance (ASE), je rappelle que le ministère octroie aux barreaux signataires de conventions locales relatives à l'aide juridique une dotation complémentaire en fonction des permanences assurées et des engagements de ces barreaux. Cela permet, madame la députée, d'aller là où vous souhaitez que nous allions davantage. En décembre 2022, 117 barreaux avaient pris des engagements, et une réflexion sera menée, comme prévu, sur cette question.
La livraison du CEF qui vous tient à cœur est en route. Dans le cas de ce centre, monsieur Kamardine, nous disposons du terrain, ainsi que du soutien des élus de la commune concernée. L'association qui conduit le projet et la ville se sont entendues sur un montant d'acquisition du terrain, après évaluation par les domaines, et le ministère a donné son accord pour le prix convenu.
Monsieur Pradal, en matière de déploiement numérique, il est évident que je ne veux pas de juges robots – sans quoi je n'engagerais pas des recrutements massifs. L'intelligence artificielle représente un réel potentiel, que nous ne pouvons pas rejeter d'un revers de manche, dans notre domaine comme dans d'autres. Le 19 septembre, la Première ministre a installé un comité de l'intelligence artificielle générative, dont les travaux ont vocation à éclairer les choix ultérieurs du Gouvernement en la matière.
Monsieur Iordanoff, j'ai déjà répondu à propos de l'article 49.3. J'ai également dit que nous mettrions les moyens face à la surpopulation carcérale, avec le plan 15 000 places. Il existe aussi la libération sous contrainte, que vous oubliez souvent, et des alternatives à l'incarcération lorsqu'elles sont possibles et justifiées, et que le juge en décide. Une réflexion sera également menée sur ces questions.
Madame Faucillon, merci pour ce cours de sémantique, mais « historique » signifie en réalité : « qu'on n'a jamais vu dans l'histoire », ce qui n'a rien à voir avec mon immodestie – que je confesse volontiers –, mais avec la réalité. De fait, je m'inclinerai si vous trouvez ailleurs une augmentation du budget de 60 % depuis l'élection du Président de la République. Ce qui n'est pas historique et qui s'est déjà vu dans l'histoire, ce sont des ministres, que je ne nommerai pas et que vous reconnaîtrez, qui pratiquaient des augmentations de 1 % – Mme Untermaier a reconnu tout de suite à qui je faisais allusion.
Vous citez l'Allemagne, mais le rapport de la commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ), qui est votre guide, a toujours deux ans de retard. Deuxièmement, ce rapport ne prend pas en compte les juges consulaires, à qui je veux rendre hommage car ce sont des juges bénévoles, ni les conseillers prud'homaux. Troisièmement, le rapport CEPEJ dit clairement que le droit allemand est moins gourmand que le nôtre en magistrats. Tenez-en compte. Et puis, au lieu de trouver toujours quelque chose qui ne va pas, ne pourriez-vous pas, de temps à autre, reconnaître qu'on a un peu amélioré les choses ? Chacun prend ses responsabilités : je prends les miennes, prenez les vôtres.
Monsieur Acquaviva, la refonte du statut des repentis est en cours. Plusieurs députés seront évidemment associés à ce texte important et attendu, dont les présidents Laurent Marcangeli et Sacha Houlié. Nous voulons nous inspirer en la matière de ce que font les Italiens, mais ce n'est pas encore prêt.
Il a été évoqué une proposition de loi visant à élargir les missions de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), mais je rappelle que nous avons augmenté considérablement le budget et les moyens de cette agence, dont les effectifs sont passés de 45 équivalents temps plein (ETP) en 2020 à 83 en 2023, soit 85 % de personnels en plus, avec la création d'antennes régionales à Marseille, Lyon, Lille, Rennes, Bordeaux et Fort-de-France, et une hausse des confiscations de 100 % entre 2020 et 2022, pour atteindre 171 millions d'euros d'avoirs criminels qui abonderont le budget de l'État.
Quant à la deuxième prison de Mayotte, nous l'avons budgétée et n'attendons qu'un terrain : donnez-moi un terrain et nous la construisons ! Je l'ai déjà dit lorsque je me suis rendu à Mayotte, où j'ai constaté qu'il s'agissait d'une nécessité. Je vous le promets : donnez-moi un coup de fil pour me dire que vous avez le terrain – si, naturellement, il est constructible et présente les caractéristiques techniques idoines, que l'Apij, l'Agence publique pour l'immobilier de la justice, déterminera –, et on y va ! Je ne peux pas être plus clair.
Enfin, madame Ménard, vous avez fait en direct et sans complexe votre petit dialogue de gestion, mais permettez-moi d'indiquer qu'en ce qui vous concerne, au siège, on compte un poste de vice-président vacant sur vingt-cinq postes, sept magistrats placés auprès de la cour d'appel qui peuvent être mobilisés par le premier président ; au parquet, un poste de vice-procureur vacant sur un effectif de neuf parquetiers, tandis que cinq magistrats placés au parquet de la cour d'appel peuvent être mobilisés, à quoi s'ajoutent, pour les fonctionnaires et le greffe, quatre-vingt-douze agents et deux en surnombre, soit quatre-vingt-quatorze. D'ici à 2027, la cour d'appel de Montpellier comptera cinquante-deux magistrats, quarante et un greffiers et quarante attachés de justice supplémentaires qui seront finement répartis par les chefs de cour.
Enfin, les Jeux olympiques mobiliseront de nombreux magistrats sur les sites de Paris, Versailles et Bobigny en région parisienne, ainsi qu'à Marseille et à Lyon.
Monsieur le ministre, les modes alternatifs de règlement des différends, tels que la médiation, le processus collaboratif et les rencontres restauratives, sont susceptibles, comme vous l'avez dit d'ailleurs, de contribuer largement à l'apaisement de la société. À l'heure où la violence verbale, symbolique et physique est devenue un mode d'expression courant dans notre société, et même dans l'hémicycle, il est essentiel de retrouver les moyens de dialoguer, d'échanger, d'entendre, de converser, de comprendre, d'expliquer, de se confronter – en un mot : de communiquer pour aboutir à des échanges pacifiés.
Comme vous l'avez dit également, la médiation est un moyen pour le justiciable de se réapproprier son procès et une voie pour rendre une justice plus proche et plus rapide. Nous devons nous inscrire comme les chefs de file de la transformation de la justice pour qu'elle soit plus inclusive, moins coûteuse et plus pacifiée, et qu'elle ne laisse personne de côté.
La médiation est un mode alternatif de règlement des différends et nous devons soutenir le recours à cette démarche. Pourtant, l'aide juridictionnelle prévue en cas de médiation conventionnelle est conditionnée à un ordre du juge. En d'autres termes, lorsque des parties souhaitent mettre en place une médiation sans aucune intervention du juge en présence d'avocats, ces derniers ne peuvent pas être indemnisés au titre de l'aide juridictionnelle, alors même que leurs interventions peuvent être déterminantes dans la résolution du conflit de leurs clients.
Comment inciter à l'utilisation de la médiation conventionnelle si les avocats qui y participent n'obtiennent pas de rétribution lorsqu'ils assistent une partie éligible à l'aide juridictionnelle ?
La lutte contre les violences sexistes et sexuelles a été érigée par le Président de la République au rang de grande cause du quinquennat. Aux grands maux, les grands remèdes, et on aurait pu penser qu'aux grandes causes viendraient les gros budgets. Malheureusement, en guise de grand plan de lutte, nous affichons 46,5 petits millions de budget global pour l'aide aux victimes d'infractions pénales, soit tout juste 2 millions d'euros de plus que dans la loi de finances pour 2023 : une goutte d'eau dans un océan de violence, surtout par comparaison avec l'Espagne, pays significativement moins peuplé que la France mais où le budget alloué à la seule lutte contre les violences faites aux femmes s'est élevé, depuis 2021, à 748 millions d'euros par an.
Dans notre pays, malgré le Grenelle des violences conjugales, malgré les campagnes de sensibilisation, malgré des avancées incontestables dans la prise en charge des victimes, malgré des avancées procédurales telles que l'ordonnance de protection, le nombre de féminicides continue d'augmenter, avec une envolée record en 2022. Plus inquiétante encore est la très forte augmentation des tentatives de féminicides, avec une augmentation de 45 % en 2022.
Côté espagnol, le nombre de féminicides a baissé de 25 % depuis 2004. Aujourd'hui, les femmes espagnoles sont deux fois moins nombreuses à mourir sous les coups de leur compagnon que les femmes françaises. Il est vrai que l'Espagne a su se doter très tôt, dès 2004, d'une loi-cadre et d'un budget conséquent, à la hauteur de l'ampleur de la tâche. Le système espagnol n'est certes pas parfait, mais il est incontestablement en avance sur le système français, qui emprunte du reste certains des processus qui ont fait leurs preuves en Espagne, comme les téléphones grave danger ou les bracelets anti-rapprochement, mais à une échelle bien moindre. Il est temps de rattraper enfin notre retard et de passer à un stade qui permette la réalisation à grande échelle.
Monsieur le ministre, voilà quelques mois, vous vous félicitiez d'avoir obtenu un budget historique pour la justice et, au même moment, la Cour européenne des droits de l'homme condamnait une fois de plus la France pour ses conditions indignes de détention. Quelle image de la justice ce budget porte-t-il, quand on observe que la partie la plus importante de ses crédits est consacrée à l'administration pénitentiaire, au point de représenter sept fois ceux de l'accès aux droits et à la justice ! Cette vision du tout-carcéral fait écho à la logique du tout-répressif de votre collègue Darmanin.
Je vous le redis : plus on construit, plus on enferme. Vous auriez pu consacrer cette hausse de budget à l'embauche de Spip ou à la formation des surveillants pénitentiaires, au lieu de généraliser les caméras-piétons et d'introduire des caméras de vidéosurveillance – 5 milliards d'euros de dette pour une fuite en avant !
Voilà deux semaines, je me suis rendue à la maison d'arrêt de Lyon-Corbas, puis au centre pénitentiaire de Saint-Quentin Fallavier, où je suis entrée dans les cellules du quartier arrivants, censé respecter le principe de l'encellulement individuel, qui est susceptible de réduire l'intensité du choc carcéral : toutes ces cellules étaient surpeuplées. La maison d'arrêt de femmes de Lyon-Corbas était, elle aussi, surpeuplée – les surveillants m'ont même dit que, la semaine précédente, trois matelas avaient été rajoutés en urgence sur le sol.
Quand allez-vous mettre fin à votre politique coûteuse du tout-carcéral, inutile pour l'insertion et la lutte contre la récidive ? Quand cesserez-vous de jeter l'argent public par les fenêtres ? Quand ferez-vous adopter ce mécanisme de régulation carcérale que les professionnels de la justice réclament depuis des années et qui ne vient jamais ?
Monsieur le ministre, vous avez dit tout à l'heure que votre but était d'avoir une justice plus proche et plus rapide.
Pour ce qui concerne Mayotte, et puisqu'il faut faire vite, je vous propose, comme je l'ai fait l'année dernière auprès de votre prédécesseur, d'adopter un plan global. Nous nous trouvons en effet à trente années-lumière de la justice telle qu'elle est vécue sur le reste du territoire national. Vous êtes venu et nous avez promis, entre autres, une cité judiciaire et une prison, mais rien n'est fait aujourd'hui.
Vous me dites qu'il n'a pas de foncier, mais ailleurs, quand c'est le cas, on fait une DUP, une déclaration d'utilité publique, et on exproprie. Je prends la représentation nationale à témoin : faites venir le responsable du Spip – nous chercherons ensemble le terrain et nous le trouverons.
Comme je vous l'ai déjà dit l'année dernière, 5 000 actes d'état civil attendent un juge. L'année dernière, vous aviez promis d'envoyer une brigade, et vous l'avez fait – mais il s'agissait d'une brigade du Syndicat de la magistrature, qui est venue nous apprendre que Mayotte n'était pas française et qu'il fallait la rendre aux Comores…
Puisque nous manquons d'officiers ministériels et de notaires, je vous demande un véritable plan global, qui traite tous les aspects de la question judiciaire. Les Mahorais méritent d'avoir la même justice que les autres, avec les mêmes moyens, pour être traités comme de vrais citoyens de la République, avec une justice qui marche.
La séance, suspendue à 19 heures 30, est reprise à 19 heures 40.
Monsieur le ministre, vous connaissez ma volonté de mieux lutter contre la maltraitance infantile. Je suis souvent intervenue à ce sujet dans l'hémicycle. Ma première question au Gouvernement portait sur les moyens de la détecter.
Si l'on en croit les chiffres de l'association L'Enfant bleu, deux enfants meurent chaque jour en France des suites de maltraitance. Il est donc nécessaire d'orienter le budget de l'État vers le développement des moyens donnés à la justice pour enrayer ce phénomène. Nous proposons d'orienter le budget de l'État vers deux mesures recommandées par de nombreuses associations et insérées dans le programme de Marine Le Pen.
La première est de constituer, dans chaque département, une équipe chargée de l'évaluation de l'enfant, afin d'éviter une proximité excessive des services sociaux avec les familles qu'ils suivent, et les conflits d'intérêts ou de loyauté qui peuvent en résulter lorsqu'il s'agit de dénoncer des parents bourreaux.
La seconde est de prévoir la désignation automatique d'un avocat pour défendre un mineur dans toute procédure pénale, voire civile, le concernant. Dans certains cas, aucun avocat n'est désigné pour assister l'enfant dont les parents sont soupçonnés de maltraitance. Si cette mesure essentielle était prise, les moyens de l'AJ devraient être singulièrement augmentés.
Qu'êtes-vous prêt à faire à ce sujet ?
Quels seront le rythme et le cadre du développement des CEF, auxquels nous sommes très attachés ? Tant qu'une solution éducative permet d'éviter la prison aux mineurs, il faut l'adopter. Les CEF font partie du panel des substituts à la prison.
La loi du 23 mars 2019, qui fera date, a créé les cours criminelles départementales et prévoit leur généralisation. À quel rythme ?
Le budget de la justice est conforme aux prévisions de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, dite loi de programmation pour la justice, ce dont nous nous réjouissons. Toutefois l'inflation a sur la hausse des crédits un effet de trompe-l'œil. Certes, tel est le cas de tous les budgets, mais la prolongation de cette situation serait préoccupante.
J'aimerais faire part de trois inquiétudes.
J'approuve les perspectives de recrutement, comme je les ai approuvées lors de l'examen de la loi de programmation de la justice. Nous nous réjouissons de l'augmentation du nombre de greffiers, de magistrats et de gardiens de prison.
Quelles mesures, pas nécessairement financières et pas uniquement en 2024, sont prévues pour capitaliser sur cette hausse d'effectifs en assurant l'attractivité des professions ? Comment retenir les talents dans un contexte de rotations d'effectifs élevées et de fortes difficultés de recrutement, notamment parmi les gardiens de prison ?
Sur l'effectivité des constructions de prison dans le cadre du plan 15 000 places, que nous appelons plan 18 000 places, il est un peu facile d'attribuer ses difficultés aux demandes et aux autorisations des élus locaux. Leurs réticences n'expliquent pas tout. Le budget d'investissement pour 2024 est assez limité. Un coup d'accélérateur serait bienvenu, associant les élus locaux à une volonté clairement affichée du ministère.
De même, les crédits de l'AJ, qui ont fortement augmenté au cours des dernières années, augmentent deux fois moins que l'inflation. Quelle sera la politique d'accès au droit dans les années à venir ?
J'appelle une fois de plus l'attention sur la situation sécuritaire des établissements pénitentiaires. La commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'Arles a relevé de nombreuses défaillances. Outre le manque de personnel, le manque de moyens pour assurer la sécurité des agents, des détenus et des structures est réel.
Je plaide pour l'extension des systèmes de vidéoprotection et leur association à des dispositifs d'intelligence artificielle, afin d'aider les agents, parfois chargés de visualiser seuls les images captées par près de 300 caméras. Je plaide pour la généralisation de filets au-dessus des cours de promenade et des terrains de sport, afin d'empêcher les projections d'objets et leur survol par des drones. Je plaide pour la création d'établissements spécifiques en fonction des profils des détenus, permettant une gestion ultra-sécuritaire des détenus radicalisés.
Le compte n'y est pas. Combien faudra-t-il de drames pour que le ministère se décide enfin à agir ? Au lendemain de l'assassinat d'Yvan Colonna, la formation des agents à l'usage de caméras de vidéoprotection a été annoncée. Lors de récentes visites dans des établissements pénitentiaires, notamment en Corse, j'ai eu l'occasion de constater qu'une telle formation n'a pas été généralisée et que les agents en poste derrière les écrans, chargés de surcroît de nombreuses autres tâches, n'osent toujours pas les manipuler.
Dans le budget 2024, la baisse des crédits consacrés à la formation n'annonce rien de glorieux. La sécurité de nos prisons est préoccupante. Si elle n'est pas assurée, les Français sont en danger. Si, en 2023, on s'évade avec des explosifs et des hélicoptères, on s'évade aussi lors de promenades en forêt, ou en sciant les barreaux de sa cellule et en utilisant des draps.
Monsieur le ministre, quand comptez-vous instaurer la sécurité et l'autorité dans les établissements pénitentiaires de notre pays ?
Monsieur le ministre, le programme de construction de 15 000 places de prison, dont le Gouvernement promet qu'il sera achevé en 2027, doit permettre de disposer de 75 000 places, pour un coût global annoncé de 4,5 milliards d'euros. Pour mémoire, la France comptait, à l'été 2023, 73 800 personnes détenues. D'après les prévisions disponibles, ce chiffre devrait augmenter.
Dans le présent projet de loi de finances, vous annoncez la création nette de 2 771 places depuis 2018. Toutefois, comme l'a révélé le rapport publié par notre collègue Patrick Hetzel en mai 2023, 2 081 d'entre elles ont été ouvertes dans le cadre de programmes de construction décidés par les gouvernements antérieurs à 2017. Par ailleurs, le plan 15 000 places, devenu de fait le plan 13 000 places, a pris du retard, notamment en raison de la crise du Covid et de la guerre en Ukraine.
D'après les documents budgétaires, trente-six opérations restent à livrer au sein de ce programme, dont treize n'en sont qu'au stade des études préalables. Les établissements concernés ouvriront-ils d'ici à 2027, comme prévu ? L'échéance est-elle repoussée ? Si oui, à quand ? Combien de places seront effectivement construites d'ici à 2027 ? Quel est le montant des surcoûts induits par le retard ?
Ce retard a des conséquences qui ne sont pas toutes financières. Le manque de places de prison bride les jugements d'incarcération. Ce week-end, pour prendre un exemple parmi d'autres, deux femmes, âgées respectivement de 93 et de 95 ans, ont été agressées sexuellement dans un hôpital d'Argenteuil. Elles sont décédées dans les heures ou les jours qui ont suivi. Le suspect, connu des services de police pour des faits similaires, a été relâché et placé sous contrôle judiciaire, en dépit des réquisitions du parquet.
Le manque de places de prison nuit au placement en détention provisoire d'individus dangereux pour nos concitoyens. Étant donné que les places nécessaires aux seuls détenus actuels ne seront pas construites avant cinq à dix ans, quelles mesures d'urgence, éventuellement provisoires, prévoyez-vous pour assurer l'exécution des peines et la possibilité de placer en détention provisoire les personnes qui doivent l'être ?
Madame Yadan, je vous remercie de l'investissement qui est le vôtre en matière de résolution des litiges à l'amiable. En tant que professionnelle du droit, vous savez de quoi vous parlez. Nous revalorisons les crédits dédiés à l'AJ versée dans le cadre de procédures à l'amiable à hauteur de 1,8 million d'euros par an.
L'incitation des avocats à recourir à l'amiable ne repose pas uniquement sur l'AJ. Dans certains dossiers, les avocats ne veulent ou ne peuvent demander le bénéfice de l'AJ. Nous envisageons des actions de communication. Nous renforcerons la formation des avocats à l'amiable.
Les ambassadeurs de l'amiable se rendront – ils ont commencé ce travail – dans toutes les cours d'appel. Certains sont professeurs de droit, d'autres avocats ou magistrats, d'autres encore commissaires de justice ou notaires. Le 1er novembre 2023, les deux nouveaux modes alternatifs de règlement des différends (MARD) créés par le décret du 29 juillet 2023 entreront en vigueur. Nous prévoyons une grande campagne de publicité à cette occasion. À l'étranger, les MARD sont très usités. Ils rapprochent le citoyen de sa justice, raccourcissent les délais de rendu de jugement et replacent le juge dans son cœur de métier. Cette demande a été fortement exprimée, notamment dans la « tribune des 3 000 ».
Par ailleurs, les MARD permettent au justiciable de se réapproprier son procès. Dans certaines procédures, pendant deux ans et demi ou trois ans de mise en état, le justiciable ne voit jamais son juge. Comment peut-on aimer la justice si elle est désincarnée ? Les MARD sont tout le contraire de cela.
Nous prendrons des dispositions relatives à l'AJ, notamment financières, pour valoriser l'amiable. Par ailleurs, il faut convaincre les avocats qui ne prennent pas l'AJ que celle-ci leur offre un modèle économique viable, car ils traitent davantage de dossiers dans des délais réduits, ce qui leur permet d'augmenter leurs honoraires.
Une véritable dynamique démarre. Elle va dans le bon sens. Je m'engage nettement en sa faveur. Si tout le monde s'y met, nous imposerons l'amiable comme mode de règlement des litiges.
De l'avis général, les litiges les plus complexes se résolvent mieux par l'amiable que par le contentieux. Tout le monde a intérêt à ne pas aller d'expertises en contre-expertises. Si nous parvenons à convaincre, nous réussirons le pari de diviser par deux les délais de rendu de jugement en matière civile, ce qui n'est pas rien.
Madame Bordes, le budget alloué aux victimes sera de 47 millions d'euros en 2024, soit une hausse de 2 millions. Le budget alloué à la lutte contre les violences intrafamiliales est en augmentation importante. De 2020 à 2024, il a plus que doublé, passant de 8 à 17,2 millions d'euros.
Ce que vous dites sur l'Espagne est juste. Les Espagnols ont été plus rapides que nous sur ces questions. Ils ont agi dès 2004. Toutefois, il a fallu un certain temps pour que la courbe des féminicides s'infléchisse sérieusement. Après un premier plateau, elle a drastiquement diminué, et présente à nouveau un plateau. Si les Espagnols ont été précurseurs à plusieurs égards, nous n'avons pas à rougir de notre bilan, qui inclut notamment le bracelet antirapprochement (BAR) et le téléphone grave danger, ce que je vous remercie d'avoir reconnu avec objectivité.
Disons-le tout net : pour moi qui suis aux manettes – permettez-moi ce petit coup de patte –, le risque zéro n'existe pas. Il y a des individus auxquels vous pouvez attacher quatre BAR et qui n'en commettront pas moins des délits. La baguette magique capable de faire disparaître la délinquance, vous savez ce que j'en pense : j'ai eu moult fois l'occasion de m'exprimer à ce sujet.
Nous faisons des progrès. Le rapport de vos collègues Dominique Vérien et Émilie Chandler, qui suivent ces sujets avec beaucoup d'intérêt, nous a inspiré l'instauration d'une ordonnance de protection provisoire immédiate, qui peut être prise dans les vingt-quatre heures sans contradictoire, lequel sera rétabli dans le délai habituel des six jours, sous peine de verser dans l'arbitraire. Ce rapport nous a aussi inspiré l'institutionnalisation des pôles spécialisés, qui ont déjà entendu 400 témoignages. Le travail parlementaire, quand il est mené de cette façon, doit nourrir la réflexion des ministres.
Monsieur Kamardine, j'ai envoyé à Mayotte une brigade de magistrats et de greffiers, sans me préoccuper de savoir s'ils sont, ou non, membres du syndicat de la magistrature. J'ose espérer que leur boussole est celle de tout magistrat : les faits et le droit.
J'ai dit vertement ce que je pense des prises de position qu'ils ont exprimées dans ce cadre. Rarement un garde des sceaux a dit ce que j'ai dit avec cette verdeur, qui est parfois la mienne.
À Mayotte, plusieurs opérations immobilières ont été lancées. Grâce au conseil départemental, nous avons acquis le terrain de la future Cité judiciaire. J'ai rencontré son président sur place. Cette décision traînait depuis belle lurette, ce qui prouve que les visites ministérielles servent parfois à quelque chose. Si les bonnes volontés s'unissent, nous aboutirons.
Le CEF, tant attendu localement, sera en gestion publique et non associative. L'État doit s'impliquer à Mayotte. Nous avons identifié un terrain. La deuxième prison est budgétée, mais j'aurai besoin de votre aide, monsieur Kamardine, et de celles des autres élus.
Madame Taurinya, vous dites toujours les mêmes choses.
Sans doute, mais moi je dis des choses vraies, ce qui est plus supportable. Il est absolument faux de dire que nous consacrons toutes les ressources au pénitentiaire. Vous ne voulez pas l'entendre, peu importe.
Vous assénez comme un axiome – lequel, contrairement à un théorème, est indémontrable – qu'ouvrir plus de places de prison incite à les remplir. Pour ma part, je ne vois pas comment résoudre le problème de la surpopulation carcérale sans utiliser le levier de la construction et de la réhabilitation de bâtiments.
Ce que vous ne dites pas, c'est que, dans les établissements que nous construisons ou que nous rénovons, chaque cellule dispose d'une douche. J'ai connu l'époque – j'ai la prétention de bien connaître la justice, du moins de façon effective – où les détenus prenaient une douche par semaine. Ce traitement dégradant et inhumain, qui, hélas, a encore cours, est de surcroît l'un des moments les plus dangereux pour le personnel pénitentiaire. Nous avons procédé à des améliorations, mais vous refusez de l'admettre.
Par ailleurs, la loi de programmation de la justice prévoit d'augmenter le nombre de libérations sous contrainte (LSC), lequel est passé de 771 au 1er juillet 2019 à 1 563 au 1er juillet 2022. Nous menons une politique volontariste d'optimisation du parc immobilier visant au transfert accéléré des condamnés vers les établissements pour peines, conforme aux recommandations du rapport d'information sur la nature des peines, leur efficacité et leur mise en œuvre rédigé par François-Noël Buffet, président de la commission des lois du Sénat.
Monsieur Rebeyrotte, les trois derniers CEF ouverts, à Épernay, Bergerac et Saint-Nazaire, sont comptabilisés dans les cinquante-trois en fonctionnement.
Dix-neuf seront livrés d'ici la fin du quinquennat : trois en 2024, à Rochefort, Le Vernet en Ariège et Montsinéry-Tonnegrande en Guyane ; cinq en 2025, à Amillis en Seine-et-Marne, à Bellengreville dans le Calvados, à Apt dans le Vaucluse, à Bléré en Indre-et-Loire et à Digne dans les Alpes-de-Haute Provence ; trois en 2026, à Lure, à Mayotte et à Villeneuve-Loubet ; huit en 2027. Voilà ce que nous comptons construire pour tenir les promesses du Président de la République.
Monsieur Gosselin, je vous remercie d'avoir évoqué la formation des personnels avec nuance.
S'agissant de la mise en œuvre du plan 15 000 places, je souhaite de tout cœur ne pas me heurter à des obstacles dans l'acquisition de terrains. Il est un peu facile, dites-vous, d'attribuer aux élus la responsabilité des blocages. C'est peut-être un peu facile, mais c'est vrai. Les endroits où il y a un blocage, on les connaît. J'aimerais que les choses se débloquent. Je l'ai dit à Éric Ciotti, en votre présence. Vous-même, vous avez apporté votre pierre à la construction pénitentiaire, si j'ose dire.
Je suis sincère, vous aussi : donnez-nous un coup de main et nous réussirons. Ce plan est utile. Il ne s'agit pas d'être plus répressif, mais d'assurer la dignité des conditions de détention, ainsi que davantage de sécurité et de confort pour le personnel pénitentiaire, qui le mérite. J'ai inauguré le centre pénitentiaire de Caen-Ifs. Par comparaison avec l'ancienne prison, qui était très dégradée, c'est le jour et la nuit. Je n'ai aucun frein idéologique à la construction d'établissements dignes.
Dans une grande démocratie, la détention doit être un lieu de privation de liberté et de punition, mais aussi de possible réinsertion. Je ne doute pas que nous sommes d'accord sur ce point. Donnez-nous un coup de main et nous serons au rendez-vous des prévisions du rapport annexé à la loi de programmation de la justice, que nous avons construit ensemble.
S'agissant des recrutements de magistrats, la difficulté est réelle. Je ne me cache pas derrière mon petit doigt. Comment résoudre le problème ?
Nous actionnons quatre leviers : une campagne de communication, la diffusion d'informations claires sur les métiers et les carrières, des interventions dans les universités et l'ouverture, que nous avons décidée ensemble, de passerelles permettant à des professionnels du droit d'intégrer la magistrature. Souvent, ils sont rebutés par la longueur des stages et la complexité du parcours – de mémoire, il y a sept voies d'accès. Nous en avons drastiquement réduit le nombre et avons simplifié le tout, pour faciliter l'ouverture du corps des magistrats, à laquelle je suis très favorable, comme je l'ai dit dès le premier jour.
Madame Roullaud, nous faisons beaucoup en faveur de l'enfance maltraitée. Je sais que vous y êtes très attentive. J'ai lancé en février le programme d'accompagnement des mineurs victimes (Pamivi).
France victimes déploie un programme d'accompagnement des mineurs permettant notamment la découverte préalable de la salle d'assises, sur le modèle québécois. Les enfants appréhendent le procès, qui est un moment terrible pour eux. Leur permettre, au préalable, de circuler dans la salle d'audiences, de toucher une robe de magistrat et de s'asseoir dans le fauteuil du président est une bonne chose.
L'introduction du chien d'assistance judiciaire est un succès, comme j'ai eu l'occasion de le constater. J'ai entendu des enquêteurs et des juges d'instruction me dire qu'ils ne peuvent plus s'en passer, car ils libèrent la parole des enfants. Cela change tout, j'en ai eu de multiples exemples. Lors d'un déplacement avec Brigitte Macron dans un tribunal, tous nos interlocuteurs nous ont dit qu'il s'agit d'une avancée. Nous développons cette approche.
Nous avons eu un problème budgétaire. Nous pensions initialement qu'il fallait utiliser des chiens guides d'aveugle, mais leur dressage coûte très cher. Nous avons réduit leur dressage. Nous voulons des chiens gentils et bien dressés, doux avec les enfants, qui ne risquent pas de leur sauter dessus. Avoir cette espèce de doudou vivant libère la parole de l'enfant – c'est extraordinaire ! Je veux développer cela partout.
Les unités d'accueil pédiatriques des enfants en danger (UAPED) permettent de recueillir en une fois la parole de l'enfant et d'assurer une prise en charge globale – sanitaire, psychologique, psychiatrique, médicale et judiciaire. Beaucoup reste à faire, mais nous avançons.
Monsieur Baubry, je sais bien qu'un morceau avalé n'a plus de saveur, mais je vous rappelle que les moyens alloués à la sécurisation des établissements pénitentiaires ont été portés à 70 millions d'euros en 2021, soit une augmentation de 9 % par rapport à 2020. En 2022, la dotation allouée s'est élevée à 118,5 millions, dont une dotation exceptionnelle de 30 millions dans le cadre de la sécurisation périmétrique des établissements pénitentiaires.
Sur l'exercice 2023, des crédits de 76,9 millions d'euros ont notamment financé la programmation du déploiement de dispositifs de brouillage, la lutte anti-drone et le déploiement du programme de mobilité de la DAP. Quant à la sécurisation des enceintes pénitentiaires, les rénovations ont mobilisé un financement de près de 22 millions.
En 2024, la hausse est de 83,7 millions d'euros, ce qui permettra de généraliser les caméras-piétons, de poursuivre l'installation de dispositifs de brouillage des téléphones portables et de dispositifs anti-drones, de poursuivre le déploiement de la vidéosurveillance en détention et des smartphones-alarmes Sageo – système d'alerte géolocalisé –, et de poursuivre le plan de lutte contre les violences.
On ne modifie pas une situation en un claquement de doigts. Je n'ai pas de baguette magique. C'est facile, lorsque l'on siège dans l'opposition, de dire « Y a qu'à, faut qu'on, faudrait »… J'ai énuméré la liste des améliorations que nous avons apportées. Si vous êtes intellectuellement honnête, ce dont je ne doute pas, vous nous concéderez de nettes améliorations.
Monsieur Houssin, je ne reprendrai pas ce que j'ai dit sur la loi de programmation de la justice, ayant la faiblesse de penser que vous avez été attentif. De grâce, cessez de vous fonder sur une affaire que personne ne connaît, ni vous, ni les autres membres de cette commission, pour dire que la justice a mal fait son travail.
La démocratie et l'État de droit, entendez-le, n'ont rien de superfétatoire. Ces notions incluent l'indépendance de la justice. Vous me parlez d'un dossier que je ne connais pas et vous assénez que les peines appliquées ne sont pas celles qui auraient dû l'être. D'un dossier qui fait peut-être cinquante centimètres d'épaisseur, vous faites un résumé de deux phrases. Ce n'est pas correct. Ne pas respecter la justice, qui est au cœur de notre pacte social, c'est délétère.
Si un jour vous parvenez au pouvoir, deux solutions s'offriront à vous : laisser la justice faire son travail en toute indépendance, quitte à critiquer telle ou telle décision, ou la mettre au pas, ce qu'ont fait les Hongrois – j'ai reçu des magistrats hongrois – et ce qu'ont tenté de faire les Polonais qui, après avoir choisi un gouvernement très à droite, s'en sont donné un qui est plus proche de la sensibilité qui est la mienne. Dans ces matières, il faut faire attention. Cessez de dire que la justice est laxiste. Ce n'est pas vrai. La Cour des comptes le dit. Cessez de faire votre miel de ces discours. Si vous êtes un jour au pouvoir, ce que je ne souhaite pas, je ne vous donne pas une semaine pour avoir votre lot d'infractions, de délits et de crimes.
Vous faites pareil sur tous les sujets, qu'il s'agisse de terrorisme ou de droit commun. Vous avez toujours une solution, clé en main. Je vais vous dire une chose : ce n'est pas comme cela que ça marche.
Un professeur de droit avait coutume de dire que le droit pénal est le droit de l'échec. Lorsque la justice est saisie, le mal est fait. Si un jour vous conquérez le pouvoir démocratiquement, vous constaterez que je ne vous raconte pas de bêtises. Au demeurant, parlez-en aux avocats de votre groupe politique, ils ne vous diront sans doute pas le contraire de ce que je vous ai dit.
La séance est levée à 20 heures 10.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Erwan Balanant, M. Romain Baubry, Mme Pascale Bordes, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Émilie Chandler, Mme Clara Chassaniol, M. Éric Ciotti, M. Jean-François Coulomme, Mme Elsa Faucillon, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Marie Guévenoux, M. Sacha Houlié, M. Timothée Houssin, M. Jérémie Iordanoff, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, Mme Emeline K/Bidi, M. Gilles Le Gendre, M. Antoine Léaument, Mme Marie Lebec, Mme Marie-France Lorho, M. Emmanuel Mandon, Mme Emmanuelle Ménard, Mme Laure Miller, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Philippe Pradal, M. Stéphane Rambaud, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Béatrice Roullaud, M. Thomas Rudigoz, M. Nicolas Sansu, M. Raphaël Schellenberger, M. Philippe Schreck, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Guillaume Vuilletet, Mme Caroline Yadan
Excusés. - Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Philippe Latombe, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono
Assistait également à la réunion. - M. Pierre Cordier