Ce budget est sans surprise, puisqu'il prolonge la discussion et le vote de la loi d'orientation et de programmation de la justice, où presque tout a été dit de la trajectoire budgétaire du ministère. Il aurait été pour le moins étonnant que le budget diffère de ce qui a été voté il y a quelques semaines. L'exercice auquel nous nous prêtons paraît d'autant plus vain que nous savons comment tout cela va se terminer en séance, avec un recours à l'article 49, alinéa 3 de la Constitution.
La hausse des crédits de la justice est toujours une bonne chose, tant nous partons de loin, mais il n'y a pas lieu de se glorifier d'une hausse de 5,3 %, sachant que l'inflation a atteint 5,8 % en 2023 et qu'elle sera au moins de 3,3 % en 2024. Compte tenu de ces réalités macroéconomiques, le budget de la justice, qui est sensible à la hausse des prix, notamment pour son volet immobilier, est un budget qui court après l'inflation.
L'augmentation des crédits est en grande partie consacrée à la hausse du traitement des magistrats. En l'alignant sur celui des juges administratifs, vous espérez convaincre ces derniers de rejoindre la justice judiciaire, qui peine à recruter. Si l'idée est acceptable, voire bonne, il n'est pas certain qu'elle soit couronnée de succès, compte tenu du manque d'attractivité des métiers de la justice. De ces difficultés témoignent les sous-exécutions budgétaires constatées au titre de l'année 2022. Du reste, cette hausse des rémunérations ne représente pas en elle-même une augmentation des moyens donnés à la justice car, même si les magistrats sont mieux payés, ce dont on peut se réjouir, leur rendement quantitatif et qualitatif ne va pas changer et les stocks vont demeurer.
Les greffiers, acteurs indispensables de la coproduction judiciaire, sont laissés sur le bord de la route avec leur faible rémunération ; près de 100 millions lissés sur l'année sont prévus pour l'augmentation du traitement des juges, et c'est neuf fois moins pour les greffiers. À ce rythme, il sera difficile d'atteindre les 1 800 nouveaux postes de greffe imaginés par la loi de programmation. Or, à quoi serviront les 1 500 juges supplémentaires, s'ils ne sont pas accompagnés de 1 800 greffiers supplémentaires ? Bien entendu, nous approuvons la poursuite du plan de création de 15 000, voire 18 000 places de prison, puisqu'il est essentiel d'assurer des conditions de détention dignes et d'adapter l'outil pénitentiaire à la progression des chiffres de la délinquance. La réalisation de ce plan est aussi un moyen concret d'échapper à la régulation carcérale qui, pour nous, est une lubie de ceux qui refusent de voir l'état du pays et veulent institutionnaliser les opérations portes ouvertes de nos prisons.
Cependant, ce plan a connu des difficultés de mise en œuvre : il aurait dû être achevé en 2022, et les places inaugurées récemment résultent parfois de projets lancés auparavant. Ce plan ne sera efficient que s'il est accompagné de recrutements massifs au sein de l'administration pénitentiaire, qui souffre, elle aussi, d'un déficit d'attractivité. Nous serons donc attentifs au sort des amendements visant à améliorer la situation indiciaire des agents et de ceux qui permettent de renforcer la sécurité active et passive des prisons.
Enfin, nous considérons que les crédits du programme Accès au droit et à la justice sont insuffisants, notamment ceux consacrés à l'aide juridictionnelle, qui n'augmentent que de 2,5 %, soit deux fois moins que le budget de la justice. On peut donc, à ce niveau, parler de recul. Notre justice demeurera, dans le cadre de l'exercice à venir, celle de la lenteur et de l'engorgement : embolisation des parquets, surcharge des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip), délais anormalement longs en appel, conseils de prud'hommes encore traumatisés par l'effet de réformes précédentes... La liste n'est malheureusement pas exhaustive.