Intervention de Jean-François Coulomme

Réunion du mardi 24 octobre 2023 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-François Coulomme :

Il convient de rappeler le contexte dans lequel la justice est rendue en France et de saisir les enjeux d'un tel budget face au déficit humain, matériel et financier dont souffre le ministère de la justice. Chacun des programmes du budget de la justice dont vous êtes chargé répond chaque année à la même logique : une politique obsédée par le tout-sécuritaire et le tout-carcéral.

Vous vous félicitez d'une hausse de 503 millions d'euros mais, si l'on tient compte de l'inflation, elle n'excède pas 220 millions. Elle est donc dérisoire et se concentre sur l'ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires, l'hypertrophie d'une cour d'assistants autour du magistrat, l'élargissement de techniques d'enquête toujours plus intrusives, pour des échelles de peines toujours plus contraintes. C'est donc une politique répressive que vous déployez, cette année encore.

Dans le programme Justice judiciaire, vous privilégiez comme toujours la justice pénale par rapport à la justice civile, avec 238 millions supplémentaires pour la première. Vous créez principalement des postes d'assistants, plutôt que des postes de magistrats ou de greffiers, qui sont pourtant indispensables à la réduction des délais de traitement des instances. Vous développez des procédures à l'amiable, qui conduisent à une déjudiciarisation du contentieux civil, et vous procédez à une refonte de la justice commerciale qui nourrira immanquablement les conflits d'intérêts. Le programme Administration pénitentiaire est, cette année encore, celui qui bénéficie des crédits les plus élevés : ils sont sept fois supérieurs à ceux du programme Accès au droit et à la justice. Vous projetez la livraison de quatre établissements pénitentiaires pour 2024, équivalant à 570 places de prison.

Pourquoi persistez-vous dans cette politique carcérale, qui ne répond qu'à votre fantasme d'enfermer toujours plus et toujours plus longtemps ? Une once de bon sens et d'honnêteté intellectuelle devrait suffire à vous faire admettre que construire davantage de places de prison ne mène qu'à une chose : les remplir sans faire baisser notre taux de surpopulation qui, comme l'a pointé la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), est le plus élevé d'Europe. Comment expliquer cette obsession, monsieur le ministre, si ce n'est par une idéologie sécuritaire, dont le but n'est pas de remédier à cette surpopulation mortifère, dont vous ne semblez que peu vous émouvoir, mais seulement de mener à bien un projet de société du tout-répressif ?

Dans son dernier rapport d'activité, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté dresse un constat sans équivoque sur la nécessité d'un mécanisme de régulation carcérale – un constat que partage La France insoumise. Les solutions ne manquent pas ; ce qui manque, en revanche, c'est une volonté politique.

Dans le programme Protection judiciaire de la jeunesse, de même, une partie des crédits est orientée vers la réalisation d'opérations immobilières d'ampleur, avec la construction de centres éducatifs fermés (CEF). Ce recours aux CEF n'est qu'une preuve supplémentaire de votre incapacité à mener une politique d'accompagnement, à laquelle vous préférez la répression et l'enfermement des mineurs. En fermant ces centres et en récupérant une partie de leur coût de construction et de fonctionnement, on pourrait financer des mesures préventives.

Les crédits du programme Accès au droit et à la justice ne sont pas plus glorieux, puisque leur augmentation est dérisoire et ne permet pas la valorisation de l'aide juridictionnelle, ni de l'aide aux victimes d'infractions pénales. Il est urgent de mettre fin à cette précarisation de notre service public de la justice, garant principal de nos droits et libertés. Il faut des moyens financiers et humains importants, afin de procéder au recrutement massif de nouveaux fonctionnaires, mais aussi à un changement de paradigme en matière d'échelle des peines et de sens de la peine. Votre politique du tout-sécuritaire, qui fait de la privation de liberté un principe, ne doit plus guider les politiques publiques de la justice.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion