Jeudi 28 septembre 2023
La séance est ouverte à neuf heures cinq.
(Présidence de M. Frédéric Descrozaille, président de la commission)
La commission entend lors de sa table ronde sur l'agriculture biologique et les produits phytosanitaires :
- M. Philippe Henry, vice-président de L'Agence Bio ;
- M. Vincent Bretagnolle, chercheur au Centre national de recherche scientifique (CNRS).
Nous poursuivons ce matin les auditions de notre commission d'enquête. Nous débutons avec une table-ronde consacrée à la question de l'agriculture biologique.
Depuis l'origine, l'agriculture biologique a pris le contre-pied de l'agriculture conventionnelle, en ne recourant pas aux produits de synthèse de nutrition et de protection des plantes. Le bio est ainsi une appellation qui est très emblématique de ce à quoi nous sommes attachés : sortir de la dépendance aux produits phytopharmaceutiques.
Des questions se posent néanmoins sur l'utilisation du sulfate de cuivre en agriculture biologique. Nous aborderons ainsi certainement la nature des composants qui permettent de protéger les plantes. Nous évoquerons également le plafonnement et la situation de crise relative dans laquelle se trouve actuellement le bio, situation qu'il est difficile d'interpréter. Nous ne pouvons que constater que nous sommes loin des objectifs des politiques publiques en matière d'agriculture biologique. Je pense en particulier à la loi Egalim 1, qui a fixé l'objectif de 20 % de bio dans la restauration scolaire ; nous n'aurions d'ailleurs pas la capacité de production pour les fournir. Ce sont autant d'enjeux que nous allons aborder ce matin.
Je remercie les représentants de l'Agence Bio qui sont présents – monsieur Philippe Henry et madame Jocelyne Fouassier – ainsi que monsieur Vincent Bretagnolle, qui est chercheur au CNRS. Monsieur Henry est vice-président de l'Agence Bio et représentant de la Fédération nationale d'agriculture biologique.
Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.
Je vous rappelle aussi qu'en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées par une commission d'enquête doivent prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».
(M. Philippe Henry, Mme Jocelyne Fouassier et M. Vincent Bretagnolle prêtent serment.)
J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer à l'Assemblée nationale sur diverses problématiques de pesticides. Je suis chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), dans un laboratoire situé à Chizé, dans les Deux-Sèvres. En 1994, j'ai créé un laboratoire à ciel ouvert, qui est une zone atelier aujourd'hui. Les zones ateliers sont des outils du ministère de la recherche pilotés par le CNRS ; ces laboratoires à ciel ouvert associent des chercheurs, la société civile, des gestionnaires et des collectivités sur des questions environnementales d'intérêt sociétal majeur.
C'est notre trentième année consécutive de collecte de données sur la biodiversité, les paysages, l'agriculture, les agriculteurs et les politiques publiques. Il s'agit également d'une zone désignée Natura 2000 au titre de la directive oiseaux. J'ai assuré la mise en place des mesures agro-environnementales sur cette zone pendant dix-huit ans. C'est le seul endroit de France, voire d'Europe, où un laboratoire de recherche a été pilote sur le sujet. Entre 2004 et 2012 j'ai ainsi, en association avec l'Ebio, participé à la mise en place de l'agriculture biologique.
Cette zone est assez particulière puisqu'il s'agit d'une grande plaine céréalière, de polyculture et de polyélevage – les élevages demeurent nombreux. 19 % de la surface agricole utile est en bio, ce qui doit constituer un record en milieu de grande culture. Cela représente plus du double de la moyenne nationale et le triple de la moyenne de la région Nouvelle-Aquitaine.
Dans ce laboratoire à ciel ouvert, nous travaillons sur beaucoup de thématiques de recherche. Ces quinze dernières années, nous nous sommes largement focalisés sur la sortie des pesticides. À partir de 2007-2008, nous avons pris le plan Écophyto à la lettre, en interprétant le terme « éco » d'Écophyto comme signifiant « écologie » et non « économies ». Nous sommes partis de l'hypothèse de recherche que la baisse des pesticides dans l'agriculture conventionnelle était synonyme d'augmentation de la biodiversité et que les mécanismes de régulation naturelle pouvaient remplacer l'agrochimie.
Via des expérimentations menées directement dans les parcelles des agriculteurs – le propre de nos recherches est de travailler aux côtés des agriculteurs, qui sont associés à nos expérimentations et à leur construction – nous avons démontré qu'il était possible de réduire assez facilement l'utilisation des produits phytosanitaires et de l'azote de synthèse en agriculture conventionnelle sur les systèmes de grande culture. Il a ainsi été possible de réduire le recours à l'agrochimie de 30 à 50 % sans effet significatif sur les rendements. Cette étude a fait l'objet de publications dans de nombreux articles scientifiques.
Nous avons constaté que la marge des exploitants agricoles augmentait du fait de la baisse de charges. Pour le blé, cette augmentation peut représenter plus de 100 euros par hectare et par an. Pour le colza et le tournesol, l'utilisation indirecte des abeilles permet aux agriculteurs d'augmenter leur marge de 130 à 150 euros par hectare et par an.
Concernant les agriculteurs en bio de la zone, nous nous sommes intéressés à l'amélioration des pratiques, notamment de labour et de désherbage. Ce point constitue actuellement un enjeu important dans l'agriculture biologique.
Vous évoquiez l'utilisation de biocides en agriculture biologique. Pour ce qui concerne les grandes cultures – je ne parle pas pour la viticulture, l'arboriculture ou les cultures potagères, que je connais moins bien – très peu de biocides sont utilisés, car les agriculteurs ont plutôt recours à des mécanismes de régulation naturelle.
Je prendrai l'exemple des maladies fongiques, qui posent problème aux céréaliers conventionnels, et qui sont transmises par les insectes, et en particulier les pucerons. Les agriculteurs en bio n'ont pas de problème avec les maladies fongiques sur les céréales pour la simple raison qu'ils utilisent des variétés de blé résistantes. Ils n'ont donc pas besoin de recourir à des biocides. Cela ne veut pas dire que ces maladies sont absentes. Les relevés assez précis effectués avec Anne-Lise Boixel, chercheuse de l'INRAE, démontrent la présence d'un certain nombre de maladies, mais à bas bruit. En fait, ils ont plus de types de maladies et de rouilles que les conventionnels, mais ça n'a pas d'impact sur les récoltes.
Une autre problématique des agriculteurs bio de grande culture est la flore spontanée – ce qu'on appelle les adventices. Le principal mode de gestion de cette flore adventice est le labour ou le binage, qui consiste à passer entre les rangs de culture avec une charrue spécialisée afin de la détruire. Nous travaillons avec eux sur la réduction du labour et l'élimination du binage au profit de la herse étrille. Ici, il ne s'agit pas forcément d'améliorer la biodiversité, mais plutôt d'améliorer la qualité des sols. C'est une problématique clé dans l'agriculture biologique puisque le labour et le binage détruisent les horizons superficiels du sol et la biodiversité associée.
Nous avons beaucoup travaillé sur les externalités positives de l'agriculture bio, lesquels ne sont plus à démontrer. Le scientifique que je suis est souvent interrogé sur la controverse supposée tenant aux effets de l'agriculture biologique sur la biodiversité ou l'environnement. Il n'y a pas de controverse. Il existe des centaines de publications qui démontrent les effets positifs de l'agriculture bio sur la biodiversité, et des milliers de publications qui ont trait aux problématiques environnementales.
L'agriculture biologique a un effet extrêmement positif sur la biodiversité puisqu'elle augmente en moyenne le nombre d'espèces présentes de 30 %, qu'il s'agisse de la flore ou des animaux. L'abondance de ces espèces augmente en outre de 50 % pour tous les types de taxons. Ces chiffres moyens sont basés sur des centaines d'études, elles-mêmes fondées sur des méta-analyses. Nous observons également ces valeurs moyennes pour les abeilles, les criquets, les mammifères, les oiseaux, les papillons, etc. C'est valable dans tous les types de cultures.
Aujourd'hui, il n'y a pas de controverse sur les effets positifs du bio, pas même en matière de stockage de carbone. Les grandes cultures en bio stockent du carbone, contrairement aux systèmes conventionnels, qui ont plutôt tendance à en exporter. En effet, dans les systèmes en bio, ces grandes cultures sont souvent associées à de l'élevage et à la présence de prairies. En outre, les agriculteurs en bio en système de cultures arables ont besoin des légumineuses dans leurs rotations, et ces dernières stockent du carbone beaucoup plus facilement. Par ailleurs, les exploitations bio maintiennent davantage de haies qui ont des capacités de stockage du carbone.
Pour autant, tout ne va pas bien pour le bio aujourd'hui. Je ne suis pas spécialiste des filières de transformation ou de l'alimentation ; je me place plutôt du point de vue de la production des agriculteurs. Sur 450 exploitations, nous en dénombrons une centaine en agriculture biologique aujourd'hui : cela représente une forte proportion. Si nous n'avons pas de déconversions massives à déplorer, pour la première fois depuis 1998, trois exploitations se sont déconverties en 2022, alors que la part de la surface agricole utile en bio avait augmenté sans cesse pendant vingt-cinq ans. Nous attendons les chiffres de l'année 2023. C'est effectivement un motif d'inquiétude, tant il serait dommage de faire machine arrière.
Je suis agriculteur en Meurthe-et-Moselle sur une exploitation de polyculture-élevage en bio depuis 1997 et, par ailleurs, l'un des vice-présidents de l'Agence Bio. Je siège également à l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), en charge de l'interprétation française du cahier des charges bio européen.
L'agriculture bio représente aujourd'hui 14 % des agriculteurs français, 2,8 millions d'hectares et un marché alimentaire de 12,5 milliards d'euros. Elle est présente partout sur le territoire. À défaut d'être majoritaire, ce système a connu une croissance extrêmement forte. À l'époque de mon installation, nous devions être une centaine en Lorraine. Nous sommes plus de 1 000 aujourd'hui. Mais aujourd'hui, l'agriculture bio traverse une période un peu plus difficile, en raison notamment d'un contexte de baisse de la consommation alimentaire, qui affecte tant le bio que l'agriculture conventionnelle.
80 % des produits bio consommés en France sont français. J'exclus de ce chiffre les produits exotiques, qui ne sont nécessairement pas produits en France, exception faite de la Martinique et de la Guadeloupe. Nous importons quelques produits bio, mais pas beaucoup. Nous sommes également exportateurs. La filière des vins bio, largement exportatrice, se porte assez bien malgré le contexte actuel de ralentissement.
L'agriculture bio dispose d'un cahier des charges très complet de 300 pages qui a été construit au cours des cinquante dernières années. Ce cahier des charges est aujourd'hui européen. Il précise que l'agriculture bio s'appuie sur les cycles naturels et que son objectif est la protection de l'environnement ; ces deux piliers sont déclinés au fil des articles suivants.
Nous utilisons en bio un certain nombre de produits de protection des cultures, mais c'est assez limité. Ils sont précisés à l'annexe 1 du règlement européen. Parmi les quelque 400 produits communément utilisés dans l'agriculture en général, seuls une cinquantaine – parmi les moins agressifs – sont autorisés en bio. Nous connaissons tous des produits tels que le cuivre, le soufre et le vinaigre blanc.
Le principe de base est l'absence de chimie de synthèse. Cette distinction a l'air simple sur le papier, c'est plus compliqué dans la réalité. Il arrive souvent que des fabricants nous expliquent que leurs molécules sont presque les mêmes que celles qui figurent dans le cahier des charges. Ils font des demandes auprès d'un groupe d'experts de la Commission européenne, l'Egtop – Expert group for technical advice on organic production – qui est chargé de la validation des autorisations de produits pouvant être utilisés en agriculture biologique.
Je trouve l'organisation française assez intéressante dans le sens où l'INAO rassemble l'ensemble des opérateurs concernés par ces questions afin de trouver le juste milieu en termes d'exigences du cahier des charges et de pragmatisme. Par exemple, la bouillie bordelaise est autorisée en viticulture bio parce qu'on ne peut pas faire autrement. C'est toujours un compromis entre l'exigence du plus naturel possible et la prise en compte de la réalité du terrain.
La grande culture bio représente 800 000 hectares en France. On n'utilise quasiment pas de produits pour ces hectares : ni soufre, ni bouillie bordelaise, etc. Du moins, c'est très rare, hormis quelques traitements ou produits de semence tels que le vinaigre blanc.
En revanche, c'est un peu différent en viticulture et en arboriculture, car les pressions de ravageurs sont un peu différentes. La diversité des cultures sur une exploitation, notamment la présence de productions végétales et animales sur une même exploitation, est un atout en agriculture biologique pour lutter contre les ravageurs. Cependant, certaines exploitations sont nécessairement spécialisées, en particulier en viticulture et en arboriculture. Cela fait qu'il y a un certain nombre de ravageurs – animaux ou champignons – contre lesquels il faut lutter.
En bio, nous essayons de prévenir plutôt que de guérir en utilisant des produits. Nous utilisons des variétés résistantes. Ce n'est pas possible en viticulture en raison des appellations d'origine contrôlée (AOC) : la culture d'un cépage n'est évidemment pas possible n'importe où. C'est un peu différent en arboriculture. Les producteurs de pommes, notamment, s'appuient sur une génétique offrant une résistance permettant de s'affranchir d'un certain nombre de traitements.
Nous avons des problèmes de mildiou sur la pomme de terre. Tout comme en viticulture ou en arboriculture, des variétés résistantes existent aujourd'hui. Mais il y a un problème d'adéquation entre production et consommation : on nous demande des variétés qui ne sont pas résistantes. Si je fais de l'Allians, une variété de pommes de terre résistante, j'aurai donc des difficultés à la vendre. Mais pour faire des Charlotte, je suis obligé de mettre de la bouillie bordelaise lorsqu'il pleut. On ne peut pas déconnecter la production de la consommation. Pour préserver l'environnement, les consommateurs doivent comprendre qu'il y a peut-être des variétés à choisir ou des produits à privilégier.
L'agriculture biologique est forcément un levier intéressant pour réduire l'utilisation globale de pesticides. La consommation de milliers de tonnes de produits de synthèse est ainsi évitée grâce à l'agriculture biologique. Pour autant, nous sommes dans une période de crise dont il faut sortir. Nous pourrons le faire si nous lions la production à la consommation. Les politiques publiques doivent se mettre en cohérence les unes avec les autres afin de développer cette agriculture qui, outre sa performance en matière environnementale, est un formidable laboratoire. Les agriculteurs bio ont, en effet, une appétence naturelle pour l'innovation technique.
J'aurai une première série de questions sur la contribution de l'agriculture biologique à l'objectif de réduction des pesticides. Vous l'avez souligné, l'agriculture bio, c'est une part de l'assolement français soustraite à l'utilisation de pesticides, c'est aussi un laboratoire qui rayonne. Ce laboratoire vivant introduit des pratiques d'agriculture agro-écologique pour d'autres agriculteurs. La crise actuelle est liée au marché et à la politique agricole commune (PAC).
J'aurais ensuite une deuxième série de questions plus précises sur le rapport à la haute valeur environnementale (HVE), au biocontrôle et aux éventuelles pollutions des récoltes bio, un sujet qui a fortement émergé au cours des dernières années. Ces questions d'ordre plus pratique pourront déboucher sur des propositions ou des recommandations de notre commission d'enquête.
La bio a d'abord connu une très forte croissance, puis une stagnation, voire des déconversions. Il y a quelques années, le discours consistait à dire : « Nous n'allons pas payer deux fois avec les subventions État-Europe », le marché fait son œuvre. Mais la conversion suppose un effort important en raison de la baisse des rendements, de l'apprentissage, etc. Aujourd'hui, alors que le marché ne porte plus, pour des raisons structurelles et conjoncturelles, n'est-ce pas le moment de repenser le soutien public à la filière bio, en contrepartie de ses externalités environnementales et sanitaires positives ?
On ne peut pas laisser le développement de la bio uniquement au marché, même si cette dynamique est fondamentale. Il faut veiller à la cohérence des politiques publiques. Vous avez cité tout à l'heure la loi Egalim ; c'est un levier intéressant, qu'il faudrait activer le plus rapidement possible. Si l'on passe des 6 % de bio actuels dans la restauration scolaire aux 20 % visés par la loi, cela représentera immédiatement un chiffre d'affaires de 1,5 milliard d'euros.
Mais les coûts des cantines scolaires sont importants aujourd'hui, notamment ceux liés à l'énergie et aux personnels. Comme tout a augmenté, la tendance est aux économies sur la fourniture alimentaire. Ce n'est pas une bonne chose. Il faut donc envisager très sérieusement de subventionner un surplus à apporter dans les cantines d'État, afin que les gestionnaires n'aient pas cette contrainte financière en tête en achetant des produits bio.
Les plans alimentaires territoriaux sont également un levier important à mettre en œuvre pour la consommation hors domicile ; cela suppose une forte démarche de communication sur le bio, sa plus-value et son intérêt. Il faut réussir à sortir de la vision du prix trop élevé du bio. Aujourd'hui, les gens ne regardent même plus les étiquettes ; ils perçoivent les produits bio comme étant trop chers.
Un président d'agence, qui est producteur de lait, me disait hier que son lait était payé au même prix que le lait conventionnel, mais pas ses yaourts. Il convient de se préoccuper de la chaîne de valeur, qui est un véritable tabou dans le bio. La matière première agricole n'est pas ce que vous payez principalement dans votre produit. Vous payez également le distributeur, le transformateur, le transporteur, etc. La différence de prix portant sur la matière première n'est pas très significative. Lorsque j'étais président de l'Agence Bio, j'ai toujours souhaité que l'observatoire des prix et des marges travaille sur la décomposition du prix des produits. Nous n'y sommes jamais arrivés. Nous devons le faire. Le prix est un élément important pour le consommateur, mais il ne doit pas être baissé au détriment des producteurs.
La Fédération nationale de l'agriculture biologique (FNAB) demande de réinstaurer des mesures agro-environnementales (MAE) pour soutenir cette agriculture. Partagez-vous cette revendication ?
Le soutien public, qui marque la reconnaissance des externalités positives de ces systèmes agricoles, est nécessaire, via des MAE ou des paiements pour services environnementaux (PSE). Je pense notamment à l'eau. L'eau qui ressort des champs bio est d'une qualité bien meilleure qu'avec d'autres systèmes agricoles. Il faut donc que ce soit reconnu et rémunéré en tant que tel.
Lors de votre présidence de l'Agence Bio, vous aviez évoqué la piste d'un label AB français, plus connu que le label européen. Nous pourrions exploiter cette marge de manœuvre sur le plan commercial. Le critère du carbone, actuellement non prise en compte par les cahiers des charges de l'agriculture biologique, monte très fortement dans la société : les bilans carbone, la contribution à la décarbonation, le stockage de carbone, etc. Il y a, d'autre part, la question du commerce équitable, d'une chaîne de valeur plus juste. Le label AB pourrait-il porter ces deux dimensions ? Ce sujet est-il toujours d'actualité pour l'Agence Bio ? Je fais partie des parlementaires qui trouvaient cette idée très pertinente et qui avaient interrogé le gouvernement à ce sujet.
Nous avions effectivement évoqué cette idée. J'étais favorable au fait de compléter le cahier des charges, qui doit être vivant et s'adapter. C'était effectivement pertinent sur les enjeux de stockage du carbone, d'équité et sur la dimension sociale. L'idée était donc de renforcer le cahier des charges par l'utilisation du logo AB, qui est connu de tout le monde, et qui dirait aux consommateurs : « Vous achetez un produit bio. En même temps, vous respectez les gens qui travaillent dans ces filières-là et vous contribuez au stockage du carbone ».
Nous avons essayé de pousser cette idée-là. Mais, pour être très clair, le ministère n'y était pas très favorable. Ce n'est pas facile sur le plan technique, puisque le cahier des charges est européen. Sur le plan juridique, j'avais compris qu'il n'y avait pas d'obstacle majeur. Je pense que ce dossier mériterait d'être rouvert aujourd'hui, pour deux raisons. Premièrement, la prise en compte des enjeux liés au carbone et à l'équité va dans le sens de l'histoire. Deuxièmement, le cahier des charges européen est révisé tous les dix ans. Si la France fait l'effort de travailler sur ces questions-là, nous augmenterons la probabilité de l'inscrire dans le marbre au niveau européen dans dix ans. Il s'agit d'un travail de longue haleine à entreprendre dès maintenant, afin d'être prêt à formuler des propositions au moment de la révision du cahier des charges.
La haute valeur environnementale (HVE) est un sujet de controverse au sein du monde agricole, en particulier du monde bio. Pour résumer les choses, il y a deux écoles. Certains envisagent la HVE comme un palier reconnaissant une certaine forme d'agro-écologie. Il permettrait d'organiser la transition des systèmes vers l'agriculture biologique. D'autres la considèrent comme une concurrence déloyale du fait de la confusion parfois induite avec le label bio, et d'un soutien public jugé insuffisamment différencié entre les deux. Qu'en pensez-vous ?
L'initiative HVE est intéressante. On peut la concevoir comme une sorte de palier pour monter en gamme au bénéfice de toute la société. J'imaginais HVE comme une marche d'escalier.
La difficulté tient au fait que le label HVE est devenu commercial. On a dit aux consommateurs : « Nous avons le droit de mettre des étiquettes HVE qui garantissent que le produit est fait selon le cahier des charges ».
Aujourd'hui, HVE et bio sont clairement concurrents. Le représentant de Carrefour était présent au conseil d'administration de l'Agence Bio hier. Il ne cache pas que la création d'un logo de protection de l'environnement avec des prix moins chers serait intéressante pour la distribution. Pourquoi alors s'en passer ?
Je me souviens avoir entendu dans un restaurant un serveur déclarer : « HVE, c'est comme bio, mais c'est moins cher ». C'est la difficulté à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui. HVE est nécessaire pour avoir accès à l'écorégime. Cela permet aux agriculteurs de bénéficier du paiement vert de la PAC. Cependant, le fait qu'un ministère porte deux logos publics environnementaux différents pose tout de même question au regard de la crise actuelle.
Le biocontrôle est une partie des solutions techniques que vous mettez en œuvre. Même si certaines dispositions législatives ont fait en sorte que le traitement des dossiers des produits de biocontrôle soit accéléré, beaucoup d'opérateurs nous disent que les temps d'attente pour obtenir une autorisation sont trop longs. Compte tenu de votre cahier des charges, ressentez-vous une frustration quant au rythme de déploiement des solutions de biocontrôle, qui représentent une alternative à la chimie ? Avez-vous exploré au niveau de l'agence ou des organismes de recherche les moyens d'accélérer l'arrivée de solutions ?
Ce n'est clairement pas un chantier que nous avons exploré à l'agence. À titre personnel, je ne ressens pas de lenteur dans l'arrivée de nouveaux produits sur le marché ni de gêne pour la production.
J'ai été alerté sur la question des pollutions de production. Il s'agit d'une entreprise qui collecte et commercialise des céréales bio en Lorraine. Un lot de sésame avait été contaminé par des pesticides dans une proportion très importante, ce qui fait que 20 à 30 % de la production a dû être banalisée ou déclassée, à défaut d'être détruite. Ce problème des produits bio déclassés par des effets de voisinage, par l'eau ou par l'air, est-il marginal ou au contraire massif ? Existe-t-il des mesures de protection des cultures bio contre ce type de contaminations, dans un contexte où ce secteur est particulièrement fragile en ce moment ?
Ce sujet n'existait pas il y a encore cinq ou six ans. Nous l'avons vu apparaître en Normandie. Le produit incriminé est le prosulfocarbe, un désherbant utilisé en l'automne, qui a la fâcheuse manie d'être très volatile et d'aller se poser sur les cultures encore en place à cette saison, notamment le sarrasin et les pommes. Normalement, si vous êtes pollué par votre voisin, vous savez qui est responsable ; les choses se règlent alors par un régime d'assurance. Mais on est incapable de déterminer qui a pollué avec le prosulfocarbe car ce produit parcourt plusieurs kilomètres dans l'air. On trouve des avertissements sur l'étiquette du produit, concernant notamment le vent.
Nous nous retrouvons ainsi dans une situation où le sarrasin est déclassé, ce qui divise son prix par deux ou trois pour les producteurs. L'impact a été très important, plus de 100 000 euros pour certaines coopératives. Vous ne connaissez pas la provenance de la pollution et il n'existe aucun fonds d'indemnisation. Vous êtes pollué, le produit est déclassé et vous payez la facture. C'est donc en effet un vrai problème. Il est temps de s'atteler à la création d'un fonds d'indemnisation pour ce type de situations. Je cite le prosulfocarbe, mais d'autres produits phytosanitaires peuvent avoir les mêmes effets. Il faut absolument indemniser les producteurs car cette affaire est d'une injustice totale. Il faudrait également d'élaborer des règles de cohabitation entre les modes de production bio et conventionnels.
Nous faisons depuis un certain nombre d'années des prélèvements dans toutes les matrices réseaux trophiques : les sols, les plantes, les insectes, les micros mammifères, les oiseaux, etc. Nous constatons que la pollution par les pesticides est généralisée. Les molécules sont présentes aussi bien dans des zones en conventionnel que dans des zones en bio. On retrouve ces molécules en même nombre, tant en bio qu'en conventionnel. On les retrouve même dans des prairies permanentes et dans des haies, c'est-à-dire sur des sites qui n'ont jamais été exposés à la pression phytosanitaire. Les doses retrouvées sont plus faibles qu'en milieu conventionnel, que ce soit sur les sols ou sur les poils des micro-mammifères. Néanmoins, elles ne sont pas du tout négligeables. À l'époque où les néonicotinoïdes étaient encore autorisés, nous en avons retrouvé en quantité astronomique dans des vers de terre de parcelles en bio. Dans la mesure où cette présence généralisée est manifeste et prouvée, les effets collatéraux économiques que vous décrivez n'ont rien d'étonnant.
N'y a-t-il pas une ambivalence dans ce qui motive le comportement d'achat du bio ? Le consommateur achète-t-il du bio pour le bénéfice environnemental que cela représente ou pour sa santé ? Je me demande si ce n'est pas plutôt pour le second motif, et si le label HVE n'occupe pas davantage le créneau de la protection de l'environnement dans l'esprit des consommateurs.
Il y a un peu plus d'une vingtaine d'années, j'avais rédigé un rapport intitulé « agriculture biologique et enjeux environnementaux ». Une partie de mon rapport allait pleinement dans le sens de tout ce que vous avez évoqué au début. J'avais également abordé les impacts de l'agriculture biologique sur l'environnement, notamment sur la faune et la flore. On observait des impacts négatifs liés à certaines molécules qui ont entretemps été interdites en agriculture biologique.
Mais il reste le cuivre, cette molécule connue de tous. Et nous avons constaté une toxicité dans les sols au-delà d'une certaine dose, en particulier dans les parcelles de vignes. La faune était impactée, notamment les vers de terre. J'aimerais connaître votre avis sur le plafonnement des doses de produits utilisables à l'hectare en agriculture biologique, pour le cuivre et pour d'autres molécules. Cette année, nous avons connu une très forte pression mildiou-oïdium, ce qui a nécessité des doses importantes de traitement, notamment dans la vigne mais aussi dans l'arboriculture.
J'aimerais également avoir votre opinion sur la coexistence de deux modes de production – conventionnel et bio – sur une même exploitation. C'est assez fréquent, en arboriculture notamment.
Vous évoquiez tout à l'heure les fonds consacrés à l'agriculture biologique par l'État et la nécessité d'en faire davantage. Il me semble que l'État finance ses propres cantines à hauteur de 120 millions d'euros. J'aimerais, à ce propos, connaître votre opinion sur les fonds supplémentaires annoncés par le ministre de l'agriculture à destination de l'agriculture biologique à l'occasion du salon Tech&Bio.
Vous avez mentionné tout à l'heure les difficultés tenant à la chaîne de valeur de la filière bio. C'est une problématique pour l'agriculture au sens large. Nous avons adopté différents textes à ce sujet, dont il me semble qu'ils ont produit certains résultats en matière de prix pour les agriculteurs. Comment expliquez-vous leur manque d'efficacité, pour ce qui concerne les produits bio ?
Vous nous avez fait part de votre étonnement quant à la coexistence de deux labels environnementaux à l'échelle du pays : HVE et bio. Pour ma part, je pense qu'il est préférable d'avoir les deux. Ne pensez-vous pas que nous ayons amélioré les pratiques grâce à des labels du type HVE ?
Vincent Bretagnolle vous répondra sur le cuivre, dont je ne suis pas spécialiste. L'utilisation du cuivre est importante dans la masse de phytosanitaires. Toutes les molécules n'ont pas le même impact sur les milieux. Selon les chiffres dont nous disposons, 80 % du cuivre est utilisé par l'agriculture conventionnelle et 20 % par l'agriculture biologique. Ce chiffre est néanmoins partiel, car nous n'avons pas une vision exhaustive de la consommation des agriculteurs bio en produits phytosanitaires. Je ne suis pas non plus spécialiste des aspects de toxicité dans les sols.
Aujourd'hui, je n'entends pas de critiques émanant du monde viticole sur le plafonnement des doses de cuivre qui a été souhaité par l'Europe. Un certain nombre d'essais sont effectués avec d'autres produits, comme le chitosan en viticulture, pour réduire les doses. Il y a donc toute une démarche de l'agriculture biologique pour utiliser d'autres produits ou pour améliorer l'efficacité d'un produit, c'est-à-dire en réduire la dose, avec des produits naturels. Par exemple, certains traitent avec du lactosérum et de la bouillie bordelaise.
La mixité bio-conventionnel sur les exploitations est un vrai sujet. Ma réponse sera toute personnelle : « Oui à la mixité, mais pas à longueur de temps ». Lorsque vous vous engagez dans l'agriculture biologique, vous manquez de certitudes et vous avez besoin de faire vos preuves. Vous devez d'abord faire des essais car vous ne pouvez pas tout risquer d'un coup. Pour autant, si la mixité est nécessaire au début, elle ne doit pas durer trop longtemps. Entre nous, heureusement que le consommateur ignore que certaines exploitations sont mixtes ! Il y a une différence entre le bio et le conventionnel sur les exploitations, et c'est contrôlable. C'est néanmoins assez « limite » du point de vue de l'éthique de l'agriculture bio.
Bien que je ne sois spécialiste ni de la viticulture ni du cuivre, je peux me référer à ce que j'ai lu à ce sujet dans la bibliographie internationale. Des travaux effectués dans des vignes par l'Inrae, à Bordeaux, démontrent que la biodiversité est beaucoup plus importante dans les vignes de viticulture bio que dans celles de viticulture conventionnelle, pour tous les taxons : insectes, vers de terre, oiseaux ou encore chauves-souris qui viennent chasser les insectes.
Le fait déterminant de la biodiversité, dans cette région du Bordelais, c'est le fait que les vignes soient enherbées et non labourées. Cela passe bien avant la question du cuivre.
Certaines exploitations sont à la fois en conventionnel et en bio. Nous constatons que le passage en bio est un véritable changement de paradigme pour les agriculteurs dans la manière de gérer leur exploitation. Ils gèrent le risque de façon très différente. La nature est plus incertaine que l'agrochimie et les agriculteurs en bio apprennent à gérer le risque. Dans ce contexte, j'ai peine à comprendre comment un agriculteur peut gérer le risque de manière différenciée selon les parties de son exploitation, sachant que la gestion du risque est une attitude très ancrée sur le plan cognitif. Les cas dont j'ai connaissance et qui semblent fonctionner montrent une scission très nette avec, par exemple, un agriculteur en bio sur sa partie élevage et en conventionnel sur sa partie culture. Pour autant, je pense également que cette situation a vocation à n'être que transitoire.
Je me demandais si la volonté de réduire voire de supprimer les pesticides n'était pas un frein pour la conversion au bio. Ne vaudrait-il pas mieux d'abord apprendre aux agriculteurs à gérer les risques afin de les amener progressivement vers une conversion en bio ? Ça rejoint vos propos de tout à l'heure sur la HVE, qui peut constituer un palier. La question est de savoir comment faire par la suite pour aller plus loin.
Ma réponse sera nuancée car cela dépend du sens dans lequel on regarde les choses. On peut effectivement chercher à réduire les pesticides au maximum dans un premier temps. La démarche inverse consiste à dire que l'interdiction amène l'innovation. L'obligation de s'affranchir des molécules vous oblige à avoir beaucoup d'imagination pour trouver des solutions à vos problèmes.
Nous voyons les deux situations. Certains agriculteurs ont « désintensifié » progressivement leur production. C'est le cas d'un producteur de lait, qui en produit tout de même encore 6 000 litres par vache ; il est arrivé au bio de cette manière-là. D'autres changent du jour au lendemain. Ils trouvent des solutions à leurs problèmes du fait de l'interdiction. Il s'agit d'un changement de paradigme puisqu'il faut repenser complètement sa façon de faire. Je pense qu'il faut agir sur ces deux leviers.
Je voudrais répondre à votre question s'agissant des grandes cultures. Le bio est l'un des systèmes de culture dans la grande famille des agricultures agro-écologiques, mais il y en a d'autres. Dans le cadre de cette transition agro-écologique, il me semble impératif de commencer par la réduction des pesticides. De nombreuses études ont démontré que les pesticides sont antinomiques avec la biodiversité, en tout cas lorsqu'ils sont utilisés à forte dose. Or, la transition agro-écologique repose sur l'utilisation de la biodiversité et du fonctionnement des écosystèmes pour la production agricole. C'est la raison pour laquelle il me semble impossible d'aller dans la voie de l'agro-écologie en utilisant massivement des pesticides. C'est indispensable de permettre d'abord la mise en place des mécanismes de régulation naturelle, de pollinisation et de recyclage de la matière organique, qui sont absolument clés dans ce type de productions agricoles.
Cela ne signifie pas pour autant que tout le monde va passer en bio. Ce n'est pas l'objet et, en tout cas, ce ne serait pas atteignable en si peu de temps. Mais si l'on veut mettre l'ensemble des exploitations, notamment celles qui sont fortement utilisatrices de pesticides et d'azote de synthèse, sur la voie de cette transition agro-écologique, cela passera d'abord par une réduction massive d'au moins 50 % de l'utilisation de l'agrochimie, voire un peu plus. À défaut, la biodiversité ne reviendra pas.
Dans notre zone, nous avons constaté que la mise en place d'infrastructures agro-écologiques, comme la plantation de haies ou de bandes fleuries, est pratiquement inutile tant que l'utilisation des pesticides reste au même niveau, parce que ces éléments semi-naturels ne sont alors tout simplement pas colonisés par les insectes, les oiseaux ou les micro-mammifères.
Il y a donc un véritable blocage qu'il faut absolument franchir dans le cadre d'une politique publique qui viserait une transition agro-écologique massive passant par la réduction massive des pesticides. À mon sens, c'était l'esprit du plan Écophyto qui, comme chacun le sait, peine un peu à produire les effets souhaités.
J'ai écouté attentivement votre réponse sur le HVE, Monsieur Henry. Je suis agréablement surpris par le ton que vous avez employé puisqu'il se veut assez constructif. Je comprends tout à fait la difficulté du bio à se voir concurrencer par un label qui ne répondrait pas aux mêmes exigences. En même temps, la HVE apporte autre chose que le bio ; certains critères de la HVE ne sont pas compris dans le label Bio. Je pense notamment au principe des haies et à l'aspect de la biodiversité. Sauf erreur de ma part, ça ne figure pas dans le label bio. Vous évoquez l'élaboration d'une hiérarchie horizontale entre les deux, et non verticale. Pourquoi ne pas dire plutôt que la HVE est autre chose que le bio ? Pourquoi l'agriculture biologique ne s'empare-t-elle pas de ce label, en le cumulant avec le label bio ?
Vous dites que l'interdiction engendre des alternatives. Elle mène aussi à beaucoup d'impasses techniques puisqu'on supprime des moyens sans avoir de solution alternative viable. Je suis élu en Gironde. Le Bordelais a été frappé par le mildiou. En l'occurrence, l'agriculture biologique a été impactée encore plus gravement que l'agriculture conventionnelle. Autrement dit, il n'y a pas nécessairement d'alternative efficace à l'interdiction de certains pesticides.
Par ailleurs, la flavescence dorée est une maladie particulière dans la viticulture puisque c'est la seule pour laquelle il y a une obligation de traitement par arrêté préfectoral. Les agriculteurs sont obligés de la traiter car cet insecte peut décimer des parcelles, voire des vignobles entiers. Il existe un produit pour l'agriculture conventionnelle et un autre pour l'agriculture bio, dont la substance active est le pyréthrine. Il provoque autant de dégâts sur la biodiversité que le produit conventionnel, et en plus il se trouve que le pyréthrine est moins efficace. Cela met à mal la stratégie collective de lutte contre la flavescence dorée mise en place par le préfet. Quel regard portez-vous sur cette question ?
Je ne suis pas un spécialiste de la viticulture ; je ne pourrai donc pas vous apporter de réponse.
Vous avez raison de dire qu'on ne retrouve pas dans le cahier des charges de l'agriculture biologique certaines exigences qui figurent dans le cahier des charges HVE. C'est tout à fait vrai, notamment pour les haies. Mais, dans la région Grand Est, il y a 7 % d'agriculteurs bio et 45 % des haies sont plantés par eux. Cela montre une appétence massive pour ces pratiques, bien qu'elles ne soient pas écrites. S'agissant globalement des exigences en matière de biodiversité, il y a des critères de la HVE qui pourraient très bien se retrouver dans le cahier des charges bio, car les agriculteurs en bio les remplissent déjà.
Pour le reste, ce sont tout de même des cahiers des charges qui sont assez éloignés, en particulier pour ce qui concerne les pesticides. Dans un cas, les pesticides de synthèse sont interdits ; dans l'autre ils sont autorisés, même si j'ignore si tous les traitements sont autorisés ou non.
Il y a également une différence dans les contrôles, vis-à-vis des consommateurs. Dans le cadre du label HVE, un contrôle est prévu tous les trois ans, tandis que c'est tous les ans en bio, voire plus en cas de contrôle inopiné. C'est cette différence entre les cahiers des charges qui m'a amené à évoquer cette notion d'escalier. Le label HVE constitue un premier pas.
Il est important de rappeler cette différence de cahier des charges entre la HVE et l'agriculture biologique s'agissant du recours aux pesticides de synthèse. Nous informons les citoyens et les consommateurs sur ce sujet.
Je souhaitais vous interpeller sur le cadre du cahier des charges européen en bio. Pourriez-vous me donner des informations sur les engrais bio d'origine étrangère aujourd'hui ? Je pense notamment aux engrais bio chinois. Quels sont leurs tonnages et leurs effets ?
J'ai par ailleurs une question de la part de ma collègue Anne-Laure Babault, qui ne pouvait être présente aujourd'hui. Jusqu'à où le modèle bio serait-il duplicable à grande échelle en termes d'exportation ? J'ai cru comprendre qu'il le serait à l'échelle européenne.
Je pense que votre première question fait référence aux engrais perlés provenant de Chine, qui sont effectivement riches en azote. Nous nous sommes récemment emparés de ce sujet à l'INAO, mais cela prend malheureusement un peu de temps. Ce sont des engrais sur lesquels nous avons des doutes et les organismes de contrôle n'ont pas été autorisés à aller vérifier ce qui se passait en Chine. Vous imaginez donc la situation dans laquelle nous sommes. La Fédération nationale de l'agriculture biologique a, parmi d'autres, alerté l'INAO sur ce sujet. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) vient d'interdire trois produits, l'Europe nous ayant autorisés à le faire. J'observe que les fabricants mettent des nouveaux produits sur le marché très rapidement, alors que le temps de réponse juridique est assez long. Je fais partie d'une commission qui a été mise en place pour s'assurer que les engrais azotés mis sur le marché sont bien obtenus de façon naturelle, et non par synthèse.
Pour résumer, de l'ammonitrate est ajouté dans les engrais chinois. C'est fermenté avec beaucoup d'azote et il n'y a rien de naturel là-dedans. Voilà où nous en sommes à ce jour. J'espère que cela va aller vite, mais ce n'est pas forcément simple entre les différents services de l'État. Il faut définir une stratégie juridique car vous imaginez bien que le fabricant va se défendre. Quoi qu'il en soit, c'est vraiment un sujet auquel nous sommes attentifs et sur lequel nous avons envie d'avancer rapidement.
Vous évoquez par ailleurs le développement de l'agriculture bio à grande échelle. Il existe un modèle du nom de Tyfa. L'une des études réalisées en la matière démontre qu'on pourrait largement développer le bio à l'échelle européenne, sans porter préjudice ni à la souveraineté alimentaire ni aux exportations françaises. Il est vrai que notre modèle agricole produit beaucoup et exporte beaucoup. En France, on exporte notamment beaucoup de céréales. Pour autant, on importe également beaucoup. C'est le delta qui compte.
Ces questions méritent d'être travaillées. Il est possible de « désintensifier » l'agriculture européenne sans mettre en péril ni la souveraineté alimentaire ni les exportations françaises, qui sont essentiellement des produits à forte valeur ajoutée : le cognac, les vins, les spiritueux, etc. Il y a bien évidemment des exportations de céréales, mais il convient de regarder la balance par rapport aux importations de soja. Ce problème est donc à regarder non seulement sous l'angle des exportations, mais également sous l'angle de l'équilibre général entre les imports et les exports.
C'est difficile à déterminer. Néanmoins, les chiffres qui ont circulé font état de plusieurs milliers de tonnes.
Cela fait écho à une difficulté du bio que nous devons évoquer et qui devrait pouvoir être levée en étendant le champ de la recherche. Lorsque des exploitations sont spécialisées en grande culture et n'ont pas d'autre source d'azote que la culture des légumineuses, vous recherchez forcément des engrais à forte dose d'azote pour améliorer vos rendements. D'où l'existence de l'Azopril et de l'Orgamax.
Il faut faire évoluer l'ensemble du système de façon à avoir des sources d'azote plus autonomes. Nous n'avons pas évoqué le sujet des nouvelles sources d'azote, en particulier les organiques. J'évoquerai ici la question un peu taboue des excrétas humains. C'est une formidable source d'azote qui est totalement inexploitée aujourd'hui. Il convient d'y travailler pour obtenir une autonomie supplémentaire en matière d'azote : le tonnage d'azote que l'on pourrait récupérer n'est pas négligeable. Je sais que les agences de l'eau y travaillent.
En préambule, je souligne que je suis agriculteur en bio et producteur de pommes. Au nom de la vérité, je n'aime pas laisser croire que le bio n'est pas traité. Je suis donc gêné par le fait que ce soit l'image véhiculée très régulièrement dans l'opinion publique. Je suis passé en bio en 2017, d'un seul coup, pour des raisons de simplicité.
Il y a tout de même des produits sur lesquels je me pose des questions. Le cuivre en fait partie, notamment sur les cultures pérennes. Je suis la troisième génération de pomiculteurs installés à cet endroit. À raison de quatre kilogrammes de cuivre par hectare et par an sur une durée de vingt à cinquante ans, je me demande comment mes filleuls pourront occuper mes terres.
Un autre sujet dont on parle assez rarement est l'huile de neem. Cet insecticide est utilisé uniquement par dérogation, en l'absence de solution, puisque c'est le seul qui soit efficace en bio. Néanmoins, il détruit tous les insectes présents au moment du traitement. Si, après cela, vient une attaque de pucerons, il n'y a plus ni coccinelles, ni syrphes, ni chrysopes dans nos vergers pour les éliminer. Je me demande donc si cette notion de biodiversité est vraiment une bonne chose. On doit donc traiter plus souvent en l'absence d'insectes auxiliaires dans le verger ; je ne suis pas sûr que cela favorise la biodiversité. Pour autant, il n'y a pas de solution actuellement.
Je vous remercie d'avoir parlé du prosulfocarbe, qui est vraiment un sujet tabou dont on ne parle quasiment jamais. On parle plutôt d'un autre herbicide bien connu du grand public. Or, le vrai sujet est bel et bien le prosulfocarbe dans les vergers, qu'ils soient en agriculture bio ou conventionnelle.
Par ailleurs, il y a également des moutons dans ma ferme. Et l'on sait bien qu'on ne peut pas laisser paître les moutons dans les vergers bio. La toxicité du cuivre fait que l'herbe n'est pas comestible.
J'ai eu une période où j'étais bio-mixte, ce qui est possible lorsque vous avez plusieurs cultures de type élevage et verger.
Il existe un autre frein au bio. Certains de vos collègues se moquent de vous lorsque vous leur annoncez que vous allez passer en bio. Ceci dit, ça reste gentil et, pour ma part, je l'ai bien vécu. Mais ne devrait-on pas décrier certaines campagnes publicitaires de certains distributeurs bio qui enfoncent les autres avec des campagnes très virulentes ? À titre personnel, cela me gêne. Lorsque je rencontre d'autres collègues arboriculteurs et que je leur dis qu'il serait bien de passer au bio, cela les bloque immédiatement. Ne devrait-on pas essayer d'intervenir pour éviter ces réactions anti-bio ?
Il est tout de même difficile de vendre des pommes bio aujourd'hui, à moins que vous soyez en vente directe. On en arrive à un point où il n'y a pas assez de consommateurs qui mangent des fruits bio. Nous assistons à des déconversions. Je rencontre des agriculteurs qui reviennent en arrière par manque de débouchés. Lorsque vous êtes en bio, vous n'êtes pas HVE. Or, certaines chaînes de distribution veulent à tout prix que vous soyez HVE, ce qui vous oblige à passer deux contrôles. En étant bio, je n'ai pas envie d'être HVE. Doit-on toujours opposer ces cahiers des charges ? J'aime dire : « N'opposons pas nos agricultures ». Nous devons être complémentaires et trouver des solutions ensemble.
Encore une fois, n'étant pas spécialiste du cuivre, je ne pourrai pas répondre à votre question à ce sujet.
Vous évoquez des sujets intéressants. Il faut mener de front le court terme et le long terme. Vous avez cité les vergers, que vous connaissez bien. Vous êtes bien obligé de faire avec le matériel génétique disponible ; c'est effectivement du court terme et c'est la raison pour laquelle on a recours à un certain nombre de produits tels que le cuivre. On ne peut pas faire autrement. En ce qui concerne le long terme, il faut travailler sur la génétique et avoir des variétés. Quoi qu'il en soit, il faudra transformer le verger français. Il ne faudra plus faire les mêmes variétés de pommes ; plus de la même façon et plus avec les mêmes porte-greffes. Il faut le faire pour le bio, mais il faudra également le faire pour le changement climatique.
L'élément de court terme rejoint ce que je disais sur l'INAO. C'est la question de la frontière entre ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. Élise Lucet a récemment investigué sur le spinosad. Cette molécule est controversée parce qu'elle peut tout tuer. C'est une réalité. Comment fait-on à court terme ? À un moment donné, il faut tout de même des solutions. On essaie de trouver les moins mauvaises, sachant qu'il faut également les comparer avec les produits conventionnels utilisés.
Il est impossible de tout interdire ; l'agriculture bio n'est pas parfaite. Je suis le premier à le regretter. Il y a bien des précautions à prendre. Il faut sortir les produits dès qu'une solution est trouvée. Vous pourriez auditionner des représentants de l'INAO qui pourraient vous apporter des réponses plus précises que les miennes.
J'observe pour ma part un certain nombre de producteurs qui sont à la fois bio et HVE. Cela suppose deux contrôles, mais on le voit notamment en viticulture et en arboriculture. En revanche, j'ignore si cela existe en grande culture.
Pour ce qui est des publicités, lorsqu'on force le trait, on peut tomber dans des caricatures qui n'ont pas lieu d'être. En même temps, c'est tout l'objet de la publicité que d'attirer l'attention. Je vous rejoins complètement sur le fait qu'il ne faut pas opposer les agricultures. Ce ne sont pas des systèmes opposés, mais des systèmes qui fonctionnent différemment. Je suis en bio depuis vingt-cinq ans. Le nombre d'agriculteurs bio a décuplé et ce sont tous des gens qui viennent du conventionnel.
Vous avez parlé tout à l'heure des excrétas humains. Je me permets de revenir sur les boues d'épuration. Des cahiers d'épandage sont proposés aux agriculteurs situés en périphérie des villes, des bourgs et des métropoles. Aujourd'hui, on risque parfois de retrouver des molécules dans les sols, en particulier pour les productions de légumes. Les entreprises de transformation mettent parfois un bémol sur les analyses de ces légumes. Je m'interroge sur cette coresponsabilité qui n'est pas uniquement agricole, mais qui concerne également toute la population citadine : qu'en pensez-vous ?
Vous avez mentionné des études mettant en avant la compatibilité de la généralisation du bio et avec la souveraineté alimentaire de l'Europe. Pourriez-vous nous rappeler quelles sont ces études et nous en donner les références à l'issue de cette audition ?
Pour compléter cette question, pourriez-vous nous renvoyer à des études qui ne porteraient pas uniquement sur la souveraineté alimentaire, mais également sur la décarbonation ? C'est l'objet d'une controverse majeure, notamment car la consommation de fioul est plus importante en agriculture bio. Peut-on nourrir le monde par l'agriculture biologique tout en contribuant à l'effort de décarbonation global ? Le sujet HVE est en comparaison une controverse mineure. La controverse majeure concerne la compétition, au sein de l'agriculture de conservation, d'autres stratégies, avec une remise en cause de la place de la bio.
Sur ce dernier sujet, je vous invite à consulter les travaux très intéressants de Bénédicte Autret de l'Inrae Mirecourt, qui portent sur des comparaisons de systèmes agricoles. L'étude Tyfa, qui est sortie il y a cinq ou six ans, est plus générale. Cette dernière démontre qu'il est tout à fait possible de généraliser l'agriculture bio en Europe. Nous pourrons vous faire suivre toutes ces études auxquelles je vous renvoie. L'Inrae, qui dispose d'un métaprogramme dans ce domaine, continue de travailler sur ces sujets-là.
Il y a effectivement beaucoup d'études. J'insiste sur le fait qu'il va falloir réfléchir à la transition agricole vers l'agro-écologie et le bio, en même temps qu'aux autres enjeux environnementaux – carbone, biodiversité et enjeux d'alimentation. En réalité, cela constitue un tout. Si l'on prend cette transition uniquement par l'option de la réduction des pesticides, du passage en bio ou de la loi Egalim avec les cantines scolaires, je crains qu'on ne passe à côté du caractère systémique de ce qui est aujourd'hui nécessaire.
Aujourd'hui, si on veut nourrir tout le monde de manière saine tout en ayant un environnement de qualité, nous allons devoir changer assez fondamentalement les systèmes de production et d'alimentation. La réduction de la consommation de viande est une obligation compte tenu des enjeux climatiques. Cela n'implique pas d'arrêter l'élevage ; bien au contraire, il faut maintenir de l'élevage, mais à l'herbe – 100 % à l'herbe pour les ruminants. Cela engendrera une baisse de la production de lait et de viande, mais cela contribuera à ne pas augmenter les prix dans les filières courtes ou les achats en vente directe. Le prix de la viande n'augmentera pas et cette dernière sera de qualité.
Cela impliquera de remplacer certaines protéines animales par des protéines végétales, pour éviter les carences alimentaires. Il faudra, pour cela, mettre en place des filières de légumineuses à grande échelle, ce dont l'agriculture a besoin pour se passer de l'azote de synthèse.
En fait, tous les éléments convergent et s'emboîtent les uns dans les autres. Ces filières légumineuses sont indispensables pour l'agriculture biologique, mais également de manière plus générale. En sachant qu'elles produisent de l'azote naturellement et gratuitement. Bien évidemment, on ne va pas nourrir tout le monde avec des pois chiches. L'avantage des légumineuses tient dans la grande diversité des plantes et des espèces. Or, ces filières courtes n'existent pas actuellement.
Vous parliez tout à l'heure de balance commerciale entre les exports et les imports. Si c'est actuellement équilibré sur le plan économique, ça ne l'est pas du tout si l'on prend en compte le carbone et le gasoil. On peut donc très bien avoir quelque chose d'équilibré sur le plan économique, mais de très mauvais sur le plan environnemental. Il faut absolument relocaliser les systèmes de production alimentaire. La réduction de l'élevage et ces filières de légumineuses pourraient y contribuer.
Pour répondre à la question de madame Le Peih, les boues de station d'épuration sont interdites en bio.
La commission procède à l'audition de M. Olivier Thibault, directeur général et Mme Gaël Thevenot, directrice adjointe « Acteurs et citoyens » de l'Office français de la biodiversité (OFB).
Nous poursuivons avec l'audition de deux représentants de l'Office français de la biodiversité (OFB). Nous avons déjà entendu parler de l'OFB dans le cadre de cette commission d'enquête. Il joue un rôle central dans la conduite des plans Écophyto en étant le dépositaire de la part de la redevance pour pollution diffuse (RPD) affectée à ces plans. Nous allons examiner avec vous la façon dont vous avez manœuvré avec ces ressources pour conduire la politique publique de réduction des produits phytosanitaires, sachant que le bilan n'est pas positif. Par ailleurs, vous allez également pouvoir nous éclairer sur la place – peut-être un peu périphérique – qu'occupe cette mission pour l'OFB, dans un contexte où vous en avez beaucoup d'autres. Cela peut nous permettre de comprendre dans quelle mesure il pourrait y avoir un problème de gouvernance. Était-il judicieux de vous confier cette mission ? Il est important pour nous d'avoir ce regard critique.
Je vous rappelle au préalable que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est diffusée en direct sur le site de l'Assemblée nationale.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».
(M. Olivier Thibault et Mme Gaël Thévenot prêtent serment.)
Merci de nous avoir conviés à cette commission d'enquête. Je reviendrai sur certains points que vous avez soulevés dans votre introduction. Comme vous m'avez invité à le faire, je vais commencer par présenter l'Office français de la biodiversité ainsi que moi-même, même si certains d'entre vous me connaissent depuis déjà quelques années.
Je travaille sur la thématique des phytosanitaires depuis longtemps. J'ai été conseiller de Jean-Louis Borloo dans le cadre du Grenelle de l'environnement, au moment de la question de la redevance pour pollution diffuse et son affectation. J'ai été directeur de l'agence de l'eau Artois-Picardie pendant six ans. C'est elle qui percevait la redevance pour pollution diffuse pour l'ensemble des agences. J'ai occupé d'autres postes et je suis aujourd'hui directeur général de l'Office français de la biodiversité depuis le début du mois de juin.
Si le plan Écophyto était périphérique, la thématique des phytosanitaires se retrouve finalement dans bon nombre de nos missions. L'Office français de la biodiversité est un établissement public de l'État sous double tutelle. Il est d'une part sous tutelle du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires et, d'autre part, sous tutelle du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Cet établissement porte donc des missions pour l'ensemble de ces deux ministères.
Notre mission est bien évidemment de lutter contre l'érosion de la biodiversité, qui tient à cinq grandes causes. Les pollutions chimiques sont l'une de ces causes. Des déversements de substances, dont les produits phytosanitaires, dans l'environnement créent des déséquilibres. Il est ainsi très important de garder une agriculture extensive pour lutter contre l'érosion de la biodiversité. Les autres facteurs d'érosion sont le changement d'affectation des sols hors fragmentation, la surexploitation des ressources, le changement climatique et les espèces exotiques envahissantes.
L'Office français de la biodiversité est composé de 3 000 personnes, dont 2 000 sur le terrain et 1 700 inspecteurs de l'environnement. Nous avons cinq grandes missions en lien avec la thématique des phytosanitaires. La première mission est la police de l'environnement. Nos 1 700 inspecteurs de l'environnement sont des agents commissionnés et assermentés. Leur métier consiste à organiser la surveillance dans les territoires et le respect de la réglementation du code de l'environnement.
Je précise qu'ils ne sont pas compétents pour le contrôle administratif de la partie réglementaire du code rural. Or, les phytosanitaires figurent essentiellement dans le code rural. Nos agents ne peuvent donc pas faire de contrôles ni de rapports administratifs pour manquement dans le domaine des phytosanitaires. Nous sommes cependant conduits à intervenir en vertu de notre compétence dans le domaine judiciaire. Il y a donc des subtilités importantes. Certains manquements peuvent être constatés et s'orienter vers la voie judiciaire. C'est dans cette situation que nos agents peuvent être saisis pour ce qui concerne les phytosanitaires, mais ils sont alors exclusivement sous l'autorité du procureur, et non sous l'autorité administrative.
C'est un sujet à creuser car il induit un certain nombre d'incompréhensions. En matière de produits phytosanitaires, nous ne pouvons pas faire de contrôles normaux, comme nous en faisons dans le domaine de la sécheresse, de la police de l'eau, etc. Ces contrôles peuvent être l'occasion de sensibiliser, d'ouvrir la discussion.
Notre deuxième grande mission – pour suivre l'ordre tel qu'il est défini dans la loi – est la connaissance. L'OFB dépense beaucoup d'énergie sur des missions d'acquisition de connaissances. Une centaine d'agents font de la recherche, de l'expertise, de l'acquisition de données et du partage.
En guise d'illustration, dans le domaine des phytosanitaires, nous exploitons la banque nationale des ventes des distributeurs de produits phytosanitaires (BNVD) avec l'agence de l'eau Artois-Picardie, qui perçoit les redevances phytosanitaires et saisit les données dans la BNVD. Nous utilisons ensuite ces données pour caractériser un certain nombre d'éléments permettant de définir les quantités de produits réellement utilisées. Ça nous permet de partager les connaissances.
Nous exploitons et entretenons les systèmes d'information sur l'eau, la biodiversité et le milieu marin. On note à ce sujet que les produits phytosanitaires sont un point de difficulté important pour atteindre nos objectifs de qualité des eaux, en application de la directive-cadre sur l'eau.
Notre troisième mission est l'appui aux politiques publiques. Nous sommes, là encore, très sollicités dans le domaine des produits phytosanitaires. Je pourrais notamment citer la stratégie nationale sur la biodiversité, en cours de finalisation. Le projet a été partagé et le gouvernement récolte actuellement les avis des différentes grandes instances, telles que le Comité national de la biodiversité, le Comité national de l'eau, etc. Nous continuons à travailler en lien étroit avec le ministère pour proposer des indicateurs et des affiches actions. Nous piloterons un certain nombre de fiches de ce plan.
Nous intervenons également sur un certain nombre de caractérisations et de réflexions, notamment sur la haute valeur environnementale (HVE).
Notre quatrième mission est la gestion d'espaces naturels. Au sein de l'Office français de la biodiversité, nous gérons en propre un certain nombre de sites : des parcs naturels marins en mer, des réserves naturelles nationales, des réserves nationales de chasse et de faune sauvage et des sites Natura 2000 en mer.
Il y a également des sites non protégés, mais qui sont très importants puisqu'ils nous permettent d'avoir des sites pilotes. Ils démontrent notamment qu'on peut avoir des activités économiques de loisirs et des sites exceptionnels de biodiversité. Je pense en particulier à notre site de Saint-Benoît, où nous faisons de l'agriculture, et à des sites pilotes Agrifaune. Ce site de biodiversité est assez remarquable. Nous en avons d'autres, notamment dans la Dombes, où on teste l'agriculture, la pisciculture et l'environnement.
Notre dernière grande mission est l'appui aux gestionnaires d'espaces naturels et à la mobilisation de la société. Ce sont de nouvelles missions depuis la création de l'Agence française de la biodiversité en 2016. Il faut connaître la biodiversité pour la protéger. À cette fin, nous avons des missions d'éducation, d'information, de sensibilisation et de mobilisation des particuliers, des entreprises et des collectivités. Il s'agit de comprendre les dangers liés à l'érosion de la biodiversité et de trouver des solutions de conciliation de nos différentes politiques publiques.
De par notre double tutelle, notre objectif est bien de concilier les différentes politiques publiques, notamment la politique agricole, la politique de préservation de l'environnement et la politique de transition énergétique. Ce sont des sujets difficiles dès lors qu'on s'engage dans des voies de mutation et d'évolution. Notre travail consiste bien à trouver des solutions et à construire des modèles, notamment dans le domaine des phytosanitaires, et non à opposer ces politiques publiques. Au terme de cette introduction, je me tiens à votre disposition.
J'aurai des questions à caractère général, compte tenu de votre expérience à l'OFB, mais également de votre parcours global dans le plan Écophyto, dès l'origine et à travers la direction d'une agence de l'eau. J'aurai également des questions plus techniques, notamment sur les circuits financiers ainsi que sur les missions propres à l'OFB concernant le plan Écophyto.
Je vais vous interroger sur des segments de sujets qui ont constitué des angles morts du plan Écophyto. Vous évoquiez la dévolution des sols française. Les prairies ont très fortement régressé, même si les choses se stabilisent aujourd'hui. C'est un élément clé du maintien de la biodiversité, des politiques de l'eau, etc. Il y a un consensus scientifique à ce sujet. Comment a-t-on pu, pendant tant d'années, laisser perdurer un système déclaratif qui déresponsabilise à ce point les agriculteurs ? L'abandon des prairies permanentes est aujourd'hui freiné par une nouvelle disposition de la politique agricole commune (PAC). Pourquoi a-t-on tant tardé alors qu'on savait cet enjeu capital ?
Je suis persuadé que le ministère de l'agriculture est bien mieux placé que moi pour répondre à cette question. Les surfaces en prairie et les haies à côté des prairies sont des surfaces absolument essentielles si on veut préserver la biodiversité dans nos territoires ruraux. Il y a une corrélation évidente entre la qualité des écosystèmes et la quantité de prairies et de haies. C'est même une évidence.
Cela sous-tend la question de la filière élevage contre la filière culture. Aujourd'hui, force est de constater qu'il est bien plus difficile d'être éleveur que de faire de la grande culture. Il est plus facile pour un éleveur d'avoir des cultures pour sécuriser l'ensemble de la filière que le seul fourrage. Cela conduit mécaniquement à la baisse actuelle des quantités de prairies. Lorsqu'un éleveur s'arrête, il est souvent remplacé par quelqu'un qui s'installe en culture. Dès lors qu'on accepte ce changement de type d'agriculture à chaque installation, ça a un impact direct sur la quantité de prairies.
Tout se joue ainsi au moment de l'installation. Dans les dix ans à venir, 40 % des agriculteurs vont partir à la retraite. L'enjeu de l'installation est donc absolument majeur. Si nous ne le prenons pas en compte, les prairies vont continuer de diminuer et l'usage des produits phytosanitaires va augmenter. Ces produits ne sont pas nécessaires pour une prairie, mais ils le sont pour les cultures. Si les objectifs globaux n'ont pas été atteints, c'est en raison de la baisse de l'élevage. Ça ne ressort pas forcément dans les indicateurs, mais c'est absolument évident lorsqu'on regarde le sujet de près.
C'est moins l'installation que la transmission et la dévolution des fermes. C'est la question de la démographie et de la relève agricole : soit il y a agrandissement, soit il y a relève. Cela change effectivement le paysage très directement.
L'autre gros caillou est le plan stratégique national. Vu de l'OFB et de l'agence de l'eau que vous dirigiez auparavant, pensez-vous que le plan stratégique national soit à la hauteur des défis environnementaux sur la biodiversité et la maîtrise des produits phytosanitaires ?
Je vois à quel point les défis que les agriculteurs doivent surmonter sont importants et difficiles. Le plan stratégique national et la PAC essaient d'apporter des solutions. D'un point de vue strictement environnemental, je pense que le plan stratégique national actuel n'est pas à la hauteur des enjeux qui sont devant nous. Nous avons besoin de le faire évoluer collectivement pour aider nos agriculteurs à relever les défis à venir. C'est un enjeu majeur.
Le plan Écophyto et les 41 ou 70 millions d'euros sont des démonstrateurs, non des massificateurs. Ce plan a bien fonctionné en termes de démonstration, mais il ne fonctionne pas du tout en termes de massification. Il ne peut pas répondre à cet enjeu-là parce qu'il n'a pas été conçu pour cela. L'enjeu de massification passe par la PAC et le PSN. Si le PSN n'organise pas cette massification, cela ne fonctionnera pas complètement.
Nous avons commencé par les deux gros cailloux que sont la part de l'élevage et le PSN.
Vous avez évoqué la question du contrôle de l'usage des produits phytosanitaires, mais je pense qu'il y a en premier lieu la question de leur traçabilité. Nous connaissons globalement le nombre de produits phytosanitaires vendus, par le canal de la taxe. En revanche, même s'il y a une obligation d'enregistrement pour les agriculteurs, nous ne savons pas véritablement ce qui a été épandu, à quel moment ni à quel endroit.
Dans une politique de maîtrise de la phytopharmacie, cette question de la traçabilité vous paraît-elle être un passage obligé ? D'une part, pour contrôler que les pratiques sont conformes, notamment en termes de conditions d'usage, de périodes et de doses homologuées. D'autre part, pour avoir des politiques mieux ciblées sur les cultures et exploitations à plus fort enjeu. Le plan Écophyto a été critiqué pour une certaine dispersion des moyens, pour des démonstrateurs qui n'étaient pas très démonstratifs ou efficients.
Cette question illustre bien le type de défis que nous avons à relever. On dit souvent que le mieux est l'ennemi du bien. Nous voulons tout connaître, mais je pense que vous m'interrogerez plus tard sur la lourdeur administrative du système. Nous avons accompli de vrais progrès sur le sujet en quinze ans. Nous avons organisé une territorialisation de la BNVD. Nous savons par sous-ensembles ce qui est acheté et la façon dont c'est organisé et déployé.
Nous sommes évidemment tenus par le secret statistique. Nous ne pouvons pas identifier qui achète quoi et qui produit quoi de manière nominative ; cela constitue un frein évident à la bonne connaissance et au bon partage des impacts. Pour autant, je ne remets pas en cause cette contrainte qui s'impose à nous. Il faut mesurer les effets de bord, mais cela ne me semble pas limitant dans la compréhension que nous avons des systèmes aujourd'hui. Avec les fermes Dephy, nous connaissons maintenant le cahier des charges de chaque filière. Nous sommes donc en mesure de savoir comment les choses se passent globalement. Par ailleurs, l'absence de transparence totale n'est pas de notre fait ; elle résulte de l'organisation globale du système.
Sur le plan juridique, ce secret statistique pourrait être remis en cause, si on fait le parallèle avec l'antibiothérapie ou la médecine. La pharmacie est tracée. On sait qui délivre une ordonnance et qui en bénéficie. Pour l'antibiothérapie, on sait ce que tel éleveur utilise sur telle bête et à quel moment. Tout cela est documenté. Qu'est-ce qui nous empêche de le faire dans les cultures ?
Un certain nombre d'acteurs disposent de ces informations, mais le partage ne peut être complet. Même sur des choses qui peuvent paraître évidentes : nous n'arrivons pas à partager les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) de manière nominative et spécifique, quant à la localisation et l'organisation de ces MAEC. Aujourd'hui, le transfert d'informations est pour le moins difficile entre ministères ainsi qu'entre ministères et établissement publics. Nous avons un certain nombre d'informations sur les produits phytosanitaires, mais nous n'avons pas le droit de connaître ou de partager certaines d'entre elles.
Vous pointez là un sujet qui me semble très important. Vous relevez de deux ministères de tutelle. Étant donné que vous êtes sous serment, je vous demande de répondre à ma question avec exactitude. Diriez-vous que les administrations de ces deux ministères travaillent de manière conjointe et solidaire ou de façon disjointe, voire rivale ?
J'ai travaillé dans les deux administrations au cours de ma carrière et, plus récemment, dans l'une des deux. Je pense que ces deux administrations travaillent bien ensemble et qu'elles partagent un certain nombre de données. Les objectifs des politiques qu'elles portent étant différents, cela pose un certain nombre de difficultés.
J'apprécie la force de la question et la clarté de la réponse. En tout cas, sur la question du transfert des informations et de leur disponibilité, il ne s'agit pas de tout contrôler ou de sur-administrer, mais d'avoir accès à des données utiles pour la connaissance scientifique et la puissance publique. Dès lors que les libertés personnelles sont protégées par ailleurs, il me semble assez incompréhensible pour le législateur et pour cette commission d'enquête qu'il y ait des freins interministériels à la transmission de données. Je vous invite à nous donner des précisions sur ce point. Le cas échéant, nous demanderons aux deux ministères de tutelle de nous apporter des précisions ad hoc sur la disponibilité de données qui peuvent concourir à la connaissance et à l'action publique.
Vos agents sont assermentés en pouvoir de police, mais ne peuvent pas intervenir sur un dysfonctionnement relevé en matière d'usage des produits phytosanitaires. Parmi les dysfonctionnements communs aujourd'hui, il y a notamment le cas d'un chemin désherbé. On appelle cela une infrastructure écologique aujourd'hui. Je pense notamment à un fossé qui serait tout jaune. Si un agent de l'OFB venait à constater ce délit, il ne pourrait pas le sanctionner aujourd'hui ? Je voudrais être sûr de bien comprendre.
C'est relativement simple. L'article R.206-2 du code rural détermine les agents habilités pour exercer des missions de police administrative. Aujourd'hui, les inspecteurs de l'environnement de l'OFB ne figurent pas dans cette liste et ne peuvent donc pas faire de police administrative, notamment sur les conditions d'utilisation des produits phytosanitaires. En revanche, ils sont nommés dans le cadre des missions de police judiciaire.
Très concrètement, les inspecteurs de l'environnement n'ont pas le droit d'aller faire des contrôles administratifs sur la détention et l'utilisation de produits phytosanitaires interdits en police administrative. Par contre, en cas de saisine du procureur à la suite de la dénonciation d'un agriculteur qui utiliserait des produits interdits, l'inspecteur de l'environnement saisi par la voie judiciaire peut rencontrer l'agriculteur et établir un procès-verbal en cas de présence de produits phytosanitaires. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas la voie administrative, mais judiciaire. Il est pourtant assez simple de corriger cette situation. Le but n'est pas que nous allions faire le travail des services régionaux et des DRAAF.
Il nous faudra évoquer l'organisation des contrôles dans les territoires. Dans le domaine de l'eau et de la biodiversité, il y a aujourd'hui une instance centrale pour discuter de l'organisation des contrôles et de la gestion des priorités. Il s'agit de la mission inter-services de l'eau et de la nature (Misen). Elle est pilotée par le préfet et regroupe tous les services concernés. Le préfet y hiérarchise les enjeux du territoire dans le respect des priorités nationales. Il y a une stratégie nationale de contrôle déterminant les grandes thématiques, par exemple la sécheresse l'année dernière. Le préfet prend les directives nationales et construit une hiérarchisation des enjeux au niveau local, qui va déterminer l'organisation des contrôles. Cela permet de mandater explicitement chaque service, notamment les directions de l'information du territoire (DIT) et les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF), sur chacune des politiques pour organiser les contrôles.
Avant de contrôler, il faut bien évidemment expliquer la règle et la faire connaître. Le contrôle peut ensuite donner lieu à des suites, que ce soit par la voie administrative ou judiciaire. Aujourd'hui, sur la partie phytosanitaire, vous avez tous en tête l'article du Monde sur le contrôle des arboriculteurs. C'est lié à ces difficultés-là. Vous ne pouvez pas organiser les contrôles de la même manière si vous disposez uniquement de la voie judiciaire. Si l'on souhaite que les services travaillent mieux ensemble, nous avons intérêt à passer par des discussions sous l'égide du préfet, concernant l'organisation de ces contrôles.
Sous-entendez-vous dans vos propos qu'une compétence des agents de l'OFB en matière de contrôle administratif des produits phytosanitaires permettrait de faire de la prévention, de l'information et de la sensibilisation ? Cela permettrait d'agir pour remédier aux manquements constatés, sur la simple observation d'un dysfonctionnement.
Les réglementations sont objectivement complexes. La question des contrôles sur les arboriculteurs dans le cadre du plan pollinisateurs est une belle illustration de cette complexité que nous savons produire en France. Il est nécessaire de discuter avec les acteurs concernés afin qu'ils comprennent la règle. Le but n'est pas de contrôler pour dresser des procès-verbaux, mais de faire en sorte que la règle soit appliquée. Pour cela, elle doit être comprise. Par la voie judiciaire, le procureur décide d'un rappel à la loi, d'un procès-verbal ou d'autre chose. Par la voie administrative, des discussions peuvent être organisées avec les parties prenantes avant, pendant et après. Les réponses à apporter peuvent alors être ajustées par la voie administrative ou judiciaire.
Une compétence administrative n'est pas nécessaire pour faire de la prévention ou de l'information : cela peut être fait dans tous les cas. Mais le fait de rassembler les acteurs et d'organiser les contrôles conjointement est une voie qui va permettre aux services de mieux travailler et de porter collectivement des priorités et des façons de contrôler dans les territoires.
Vous dites que le plan Écophyto est un démonstrateur, et non un massificateur. Le massificateur est le PSN. Les grands déterminants sont les politiques structurelles au niveau du foncier, les politiques d'installation et de régulation du marché. C'est ce que l'on observait déjà dans le rapport de 2014. Sans l'activation de ces déterminants, nous ne pouvons pas agir.
Pour la réduction des produits phytosanitaires, il y a en réalité deux comptabilités. Écophyto seul représente environ 70 millions d'euros. Mais plusieurs études, dont celle de la Cour de comptes, estiment globalement l'effort en faveur de la réduction des produits phytosanitaires à 600 millions d'euros. Ce n'est pas à la hauteur si l'on veut produire des effets sur le marché. Néanmoins, pensez-vous qu'une optimisation soit possible avec cet argent public, à budget constant ? Une deuxième voie consisterait à augmenter la part consacrée aux politiques spécifiques susceptibles d'agir directement sur l'usage des produits phytosanitaires.
Nous nous posons cette question depuis quinze ans, monsieur le député. D'ailleurs, vous vous l'êtes posée vous-même en travaillant sur le plan Écophyto. Je ressens une véritable frustration quant aux résultats que nous n'arrivons pas à atteindre collectivement depuis quinze ans dans le cadre du plan Écophyto. Je reste persuadé qu'il est possible de diminuer largement la quantité de produits phytosanitaires utilisés et je suis frustré que nous n'y parvenions pas.
Lorsque je regarde le plan Écophyto, je trouve que le réseau des 3 000 fermes Dephy a bien joué son rôle. Sans reconception des modèles, en utilisant simplement des itinéraires techniques qui ont été écrits, documentés et partagés, nous constatons une baisse de 20 à 40 % de la quantité de phytosanitaires utilisés. La moyenne est plus ou moins de 25 %, en fonction des filières. Aujourd'hui, sans changer le modèle agricole ou la production, avec une optimisation un peu plus fine, on peut diminuer de 25 %. Le démonstrateur a fonctionné et il fonctionne aujourd'hui.
Néanmoins, cela pose toute une série de difficultés. La massification n'a pas fonctionné. En toute humilité, j'ai une idée des choix qu'un agriculteur est amené à faire. Aujourd'hui, nous ne parvenons pas à gérer la prise de risque qu'on fait peser sur les agriculteurs. Les produits phytosanitaires sont aujourd'hui un moyen d'avoir une certaine « assurance récolte ». En cas d'incertitude quant à l'avenir, vous avez même tendance à en mettre un peu plus plutôt qu'un peu moins. Si vous vous trompez, c'est votre récolte qui est en jeu. Lorsque vous n'avez pas de récolte, vous n'avez pas de revenus.
Je comprends la difficulté de la massification. Le plan Écophyto a permis de définir des itinéraires techniques et de montrer des choses faisables. Pour autant, nous n'avons pas trouvé le moyen de massifier ce système à ce jour. C'est bien documenté dans le rapport de la Cour des comptes. Aujourd'hui, les 643 millions d'euros mis sur la table ne sont pas énormes, si on les rapporte aux 9 milliards d'euros de la PAC.
Ce n'est pas énorme par rapport aux 1,6 milliard d'euros du PSN non plus. Nous sommes d'accord sur ce point. Et si vous aviez une carte à jouer en termes de continuum recherche-développement pour répondre à l'enjeu du conseil aux agriculteurs, que feriez-vous ?
Il y a trois axes pour réduire l'usage des produits phytosanitaires : il faut convaincre de l'intérêt et de l'utilité, inciter et parfois réglementer. On n'y parviendra pas en prenant les trois séparément. Je ne crois pas du tout que la réglementation puisse résoudre le problème. L'interdiction peut fonctionner pour certaines molécules, en particulier pour les molécules dites « CMR (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques) 1 », qui ont très largement diminué. Néanmoins, ça ne permet pas d'atteindre l'objectif de baisse de 50 % sur les phytosanitaires.
En termes d'incitation, nous n'arrivons pas à répondre à l'enjeu de la prise de risque des agriculteurs. Il y a pourtant quelque chose à jouer à ce niveau-là. Nous n'avons pas une approche territoriale suffisante. Dans le futur système Écophyto, j'espère que nous serons collectivement capables d'intégrer le fait que n'importe quelle agriculture ne peut pas être à n'importe quel endroit. Il est frustrant de voir que nous ne parvenons pas à expliquer aux agriculteurs qu'au-delà de la production, il y a également l'eau potable dans un périmètre de captage. Aujourd'hui, nous transmettons ou agrandissons des fermes dans des périmètres de captage avec des modèles agricoles qui ne sont pas compatibles avec la qualité de l'eau bue. Nous acculons collectivement les agriculteurs en n'assumant pas l'enjeu sanitaire et environnemental propre à certains secteurs. Il y a aussi des sujets Natura 2000 dans certains endroits, avec des enjeux sanitaires et environnementaux.
Pour changer de braquet dans ces secteurs-là, il faudrait peut-être une action réglementaire, avec des systèmes de zone soumise à contrainte environnementale (ZSCE) et de MAEC collectifs beaucoup plus forts. Ça ne permettra peut-être pas de réduire les usages de 20 à 50 %. En revanche, ça résoudra le problème des risques et de l'impact. C'est un point important sur lequel nous butons aujourd'hui.
L'effet captages ou Natura 2000 représente peu de produits phytosanitaires en usage. En revanche, en termes de risques sanitaires et environnementaux, cela peut être absolument majeur. La réglementation que vous évoquez serait une atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprise, mais c'est certainement l'une des propositions que je porterai. Dans ce domaine de la qualité de l'eau, cela fait des années qu'on dépense de l'énergie et de l'argent public pour des résultats médiocres. Et ce, au moment où les stress hydriques vont amplifier le problème. Le dérèglement climatique peut nous amener à modifier le droit pour agir sur ces périmètres de captage. J'entends votre proposition.
La question suivante méritera une réponse argumentée. Vous avez dû parcourir le rapport d'inspection interministériel sur l'évaluation des actions financières du programme Écophyto, qui est sorti récemment, c'est-à-dire au moment du lancement de notre commission d'enquête. Il était resté un peu caché dans les tiroirs. Ce rapport dénonce un dysfonctionnement massif des circuits financiers et une faible efficience du plan Ecophyto. Globalement, il pose un constat d'échec.
D'ailleurs, vous n'y êtes pour rien. N'ayez pas une position institutionnelle, même si vous dirigez l'OFB aujourd'hui. Qu'avez-vous à répondre au constat de la lenteur de la transmission des données et de la gestion des fonds collectés – lesquels repassent par une comitologie propre à l'OFB, avec la règle du cofinancement obligatoire, alors qu'il s'agit de politiques d'État qui pourraient directement être mises en œuvre ? Tout cela paraît particulièrement complexe et peu pertinent.
Compte tenu de la diversité des fonctions que vous avez occupées et au-delà de tout conservatisme lié aux intérêts propres de l'OFB, pourriez-vous dire que ce n'est pas la bonne manière de procéder et que l'on pourrait être plus efficace à montant égal dans la gestion de l'argent public et dans son déploiement ?
Pour revenir sur votre question précédente, je ne dis pas qu'il ne faut pas d'agriculture dans les périmètres de captage. On est capable d'en avoir et il est souvent mieux d'avoir de l'agriculture qu'autre chose dans les captages, y compris dans les sites Natura 2000. Je n'ai aucun état d'âme là-dessus. Mais en revanche, je suis persuadé que cela ne peut pas être n'importe quel type d'exploitation.
En ce qui concerne les circuits financiers et le constat accablant que vous décrivez, les 41 millions d'euros du plan Écophyto n'ont jamais eu pour ambition de faire baisser à eux seuls les produits phytosanitaires de 50 %. Si l'on le considère axe par axe, le plan Écophyto a produit de vrais effets. Avec les fermes Dephy, on a montré qu'on pouvait diminuer de 25 %. Hors agriculture, on a diminué la consommation de produits phytosanitaires de plus de 90 %. Entre autres, la sensibilisation de la population sur l'impact des phytosanitaires a très bien fonctionné.
Ne confondons pas politique phytosanitaire et plan Écophyto ! Nos détracteurs ont tendance à faire l'amalgame. Avec 9 milliards d'euros pour la PAC et 41 millions d'euros pour le plan Écophyto, on ne peut pas considérer que le plan Écophyto soit un échec dans la politique phytosanitaire française. Les 643 millions sont tout aussi faibles par rapport aux 9 milliards.
En l'occurrence, vous parlez bien de la gouvernance du plan Écophyto, et non du reste. Cette gouvernance est objectivement très complexe. Il y a quatre ministères et nous avons une maquette de répartition très fine des 41 millions d'euros, selon cinq axes. La maquette de l'année arrive généralement très tard, c'est-à-dire à l'automne. Les choses se sont très bien passées cette année puisque la maquette 2023 a été transmise à l'OFB le 2 août. On peut dire que l'OFB n'est pas réactif, mais il y a beaucoup de raisons à cela.
De toute façon, c'est le ministère de l'agriculture qui le calcule. Il y a plusieurs points sur lesquels il faut insister. Je pense que c'est d'ailleurs l'une des difficultés que cette maquette annuelle. Une discussion annuelle sur des actions qui sont évidemment pluriannuelles pose bon nombre de difficultés. On repose les bases de la répartition de la maquette tous les ans, ce qui donne lieu à des débats interministériels compliqués. On en parle depuis quinze ans, mais ça n'a globalement pas évolué. Nous avons grand besoin d'une vision pluriannuelle. Nous avons dit que le plan Écophyto était un démonstrateur. La recherche constitue un axe prioritaire, elle ne se fait évidemment pas en six mois ! Si vous souhaitez avoir une véritable politique de recherche et de connaissances, il faut compter quatre à cinq ans pour obtenir de réels résultats. Il n'est donc pas très efficient de rediscuter chaque année de la répartition de l'enveloppe sur la recherche. Nous le disons depuis quinze ans. Un certain nombre d'actions supposeraient évidemment une gestion pluriannuelle.
Dans le plan Écophyto, il s'agissait de prendre tous les ministères qui ont une interface avec les produits phytosanitaires : la recherche, la santé, l'écologie et l'agriculture. Chaque ministère a des politiques sectorielles qui peuvent donner l'impression de s'opposer. Le plan Écophyto est aussi un moyen de mettre ces ministères ensemble pour essayer de trouver des voies de conciliation. Une organisation est notamment nécessaire pour l'eau potable et l'agriculture, tout comme pour la protection de la biodiversité, l'agriculture et la santé. La recherche a une vision très prospective. Nous avons besoin d'axes beaucoup plus appliqués et sur lesquels nous avons des difficultés à répondre aujourd'hui. Considérons le plan pollinisateurs, pour lequel le besoin de recherche est très important. Les axes de recherche existants ne répondaient pas aux enjeux de connaissances sur les pollinisateurs, dont on parle depuis longtemps. Ecophyto permet de dialoguer sur ces aspects. Même si cette gouvernance est compliquée, elle a tout de même le mérite de permettre à ces différents ministères de collaborer avec un objectif commun. Chaque ministère est jaloux des crédits qu'il gère et a des difficultés à travailler horizontalement, avec des crédits partagés. C'est un constat, et non un jugement. Ces 41 millions et leur utilisation constituent un moyen pour ces ministères de discuter ensemble.
Pour le reste, tant qu'on ne fonctionnera pas de manière pluriannuelle et qu'on aura une maquette aussi tard dans l'année, je pense que ça restera difficile. Aujourd'hui, sur la maquette de 41 millions d'euros, seuls 37,3 millions sont notifiés. Les ministères n'ont pas encore trouvé d'accord sur les 5 millions restants. Sur les 37,3 millions d'euros qui ont été notifiés cet été, seuls 22 millions d'euros ont été déposés à ce jour. On peut dire que l'OFB n'est pas assez réactif, mais nous avons aujourd'hui 22 millions d'euros de dossiers déposés en caisse.
Le sujet ne tient pas tant à la rapidité d'instruction de l'établissement qu'à notre capacité collective à aller chercher des projets qui sont mûrs dans ces maquettes. Il s'agit d'avoir une vision suffisamment prospective pour les années à venir. La maquette est très précise et très cadrée. Le manque de maturité de certains projets explique les difficultés de certains à monter les dossiers rapidement après l'arbitrage de la maquette. C'est aussi l'une des difficultés que nous rencontrons aujourd'hui.
Vous venez d'apporter des compléments de réponse extrêmement précieux à la question que je vous ai posée. Nous pourrions ajouter Bercy aux ministères que vous avez cités. Votre description des politiques publiques pourrait presque être un modèle du genre. Chaque ministère est jaloux de ses propres prérogatives et de ses propres ressources, ce qui engendre des difficultés à travailler de manière horizontale. Dans ce contexte, cette petite enveloppe inférieure à 50 millions d'euros est un prétexte pour essayer d'arracher un travail horizontal et une convergence entre des politiques publiques différentes, sans toutefois être incompatibles, dont la hiérarchie ne semble déterminée nulle part.
Sur la politique phytosanitaire et la déclinaison du plan Écophyto, les administrations centrales peuvent-elles spontanément décider de mettre en place des méthodes de travail conjointes et solidaires ou cela relève-t-il nécessairement des ministres ? En d'autres termes, les administrations centrales peuvent-elles prendre l'initiative d'un travail interministériel avant arbitrage primo-ministériel ? Et ce, avant conduite de l'action publique, sans conseil des ministres ou relations entre les membres du gouvernement, qui en prennent la responsabilité et le dictent à leurs propres administrations ?
Je pense que oui. Les administrations travaillent entre elles au quotidien. Chacun a des politiques publiques avec des objectifs fixés. Bon nombre de personnes dans nos administrations centrales ont une vraie conscience du service public, de la politique publique, et essaient de trouver des solutions. Ce n'est pas incompatible. D'ailleurs, tout comme à l'occasion du Grenelle de l'environnement, il y a de grands pas en avant qui ont fonctionné. Des gens différents sont parvenus à travailler ensemble.
En l'occurrence, nous nous voyons sur le sujet Écophyto tous les quinze jours avec les administrations de l'agriculture et de l'écologie. Cela fonctionne, en termes de travail de fond technique. Il faut effectivement obtenir les bons arbitrages au bon moment. Mais les sujets sur lesquels nous travaillons ne sont pas complètement cohérents et compatibles avec le temps politique et l'immédiateté de l'action attendue. En termes d'érosion de la biodiversité, les choix que nous faisons aujourd'hui ont un impact ou déséquilibrent des écosystèmes et les effets se feront sentir demain ou plus tard. Entre l'intérêt à court terme lié à la nécessité de revenus mensuels et la perturbation de l'écosystème dont nos enfants vont hériter, il faut une hiérarchisation, sans laquelle il est difficile d'agir.
J'en viens maintenant à des questions extrêmement précises sur la tuyauterie financière. Si je ne m'abuse, la source de financement que constitue la RPD repose sur une déclaration des firmes. Lors d'un débat budgétaire, j'avais alerté Bercy sur l'existence d'autres sources qui étaient plus fiables et évitaient toute soustraction à cette RPD pour les firmes concernées. Y a-t-il des fuites ? Ce prélèvement est-il performant ?
D'autre part, vous prélevez ces sommes que vous allouez ensuite en fonction d'une maquette financière. Après les arbitrages interministériels sur la maquette financière, votre conseil d'administration se prononce à nouveau sur les actions à financer. Vu de l'extérieur, cela peut paraître un peu ubuesque. Pourquoi être un opérateur politique, et non un simple opérateur technique, dès lors que la répartition de la maquette a été actée dans le cadre d'une négociation interministérielle ?
Par ailleurs, pourquoi demander un cofinancement européen, régional ou sectoriel pour les projets du plan Ecophyto, alors qu'il s'agit clairement d'une politique de l'État pouvant donner lieu à 100 % de financement et une décision rapide ? Ces mécanismes financiers ne sont-ils pas défectueux et ne constituent-ils pas un frein à la gouvernance globale que nous recherchons ?
Je ne suis pas certain d'avoir tous les éléments pour vous répondre sur la question des déclarations des firmes pour la RPD. Il y a deux sujets un peu différents à creuser.
Il y a notamment un véritable sujet sur les importations, pour lequel il convient d'approfondir le travail effectué avec les douanes. L'agence de l'eau Artois-Picardie a engagé des travaux en ce sens. Pour la redevance phytosanitaire, c'est le premier metteur sur le marché qui doit payer, soit le distributeur, soit l'importateur. Il pourrait y avoir un biais pour l'importation, notamment avec l'Internet. Il y a des produits qui font l'objet de déclarations de TVA, mais pas de redevance phytosanitaire. Rapprocher les deux et rapprocher les déclarations aux frontières est ainsi un bon moyen de vérifier d'éventuels trous dans la raquette. Cela a permis, ces dernières années, de rattraper des grandes coopératives agricoles de pays situés au sud de la France. Ces dernières parvenaient à vendre des produits phytosanitaires sans forcément effectuer de déclarations.
Il en va de même pour la partie franco-française des distributeurs. On peut vérifier la cohérence des déclarations de TVA et de produits phytosanitaires. Je ne suis pas sûr que ce soit fait de manière structurelle, mais il faudrait interroger l'agence de l'eau Artois-Picardie, car c'est elle qui perçoit la RPD. C'est en tout cas une question qui est regardée de près aujourd'hui. Par ailleurs, il faut voir que les distributeurs se surveillent entre eux ; lorsque l'un d'entre eux évite la redevance, cela se sait et les mécanismes de rappel informels fonctionnent.
Concernant la maquette financière, j'insiste sur le fait qu'il ne faut pas attendre du plan Écophyto ce pour quoi il n'est pas fait. Ce système certes un peu compliqué permet de débattre et de vérifier que le positionnement est bon avec l'ensemble des acteurs.
La gouvernance de l'OFB compte 43 membres, ce qui donne lieu à de larges débats en conseil d'administration, notamment sur la manière d'utiliser l'argent d'Écophyto pour des actions qui font avancer le système vers une meilleure agro-écologie, une meilleure prise en compte de l'environnement et un impact moindre sur la biodiversité. À ce stade, je ne crois pas qu'il y ait eu de dossiers retoqués par le conseil d'administration, en contradiction avec ce qui était prévu par la maquette financière. Le vote en conseil d'administration a permis des discussions sur les modalités et des vérifications. Je ne crois pas qu'il y ait eu d'arbitrage entre les ministres sur des plans qui n'auraient pas pu se matérialiser en raison du passage en conseil d'administration de l'OFB. Nous discutons beaucoup du sujet Écophyto au sein du conseil d'administration. Il s'agit de savoir à quoi sert cet argent, comment il est distribué et quelle transparence y est liée. Aujourd'hui, certains râlent sur le rapportage nécessaire et la justification de l'utilisation de cet argent. Il y a toujours des arbitrages entre la transparence et l'efficience.
Concernant par exemple le Bulletin de santé du végétal (BSV), il n'est pas choquant de savoir qui récupère l'argent versé dans le cadre du plan Écophyto. Et c'est compliqué, car beaucoup de gens surveillent les végétaux. Aujourd'hui, il est difficile pour les chambres d'agriculture de rapporter l'ensemble des intervenants de cette chaîne. Sommes-nous légitimes ? Comment le justifier ? Nous aurons une réunion avec Chambres d'agriculture France le 5 octobre. Il ne s'agit pas de s'opposer, mais de trouver des solutions pour être suffisamment transparent sur l'argent public et son utilisation, ce que nous demande la Cour des comptes.
Il y a une obligation de résultat et pas seulement de moyens pour les chambres d'agriculture. La transparence des flux relève-t-elle du travail de l'OFB ou de l'interministériel ? Votre intervention est-elle pertinente dès lors qu'il y a un comité d'orientation stratégique du plan Ecophyto ? Est-il nécessaire de passer par l'OFB pour vérifier tout ce qui devrait relever d'une politique du ministère de l'agriculture, en matière de politique de déploiement des chambres sur le BSV ? Il s'agirait de savoir clairement qui fait quoi. Nous partageons l'objectif de transparence et d'efficience qui est poursuivi.
Par ailleurs, au nom de quoi l'OFB imposerait-elle un pourcentage de cofinancement à des projets sur lesquels les ministères se sont mis d'accord ?
Le programme d'intervention de l'Office français de la biodiversité a été modifié pour s'adapter à la maquette. Aujourd'hui, il y a un plafond de financement de 80 % pour tous les dossiers de l'OFB, à l'exception d'Écophyto, pour lequel le financement peut monter à 100 %. Les frais de gestion sont normalement de 15 % du plan, sauf pour Écophyto, où c'est 15 % des dépenses totales. Il est interdit de financer par l'OFB les dépenses de personnel permanent des autres établissements publics ; on considère que ce doit être pris en charge par les subventions pour charges de service public des établissements. En revanche, c'est pris en compte pour les actions Écophyto incombant aux chambres d'agriculture.
Les règles de l'Office français de la biodiversité sont cohérentes aujourd'hui. En tant que patron d'un établissement public, mon travail est de vérifier la bonne application des règles, laquelle est vérifiée par la Cour des comptes. Sans justification de l'utilisation de l'argent public, je me ferais taper sur les doigts. Historiquement, le BSV était financé par les crédits budgétaires du ministère de l'agriculture. Le ministère a fait le choix politique de le faire passer dans le plan Écophyto.
Avez-vous reçu le rapport évoqué par le rapporteur en même temps que la commission d'enquête ou plus tôt ? Par ailleurs, nous avons auditionné un représentant de l'Inspection générale des finances au début du mois de septembre. Il nous disait que les recettes des RPD vont à l'OFB, mais dans le budget commun et sans forcément financer Écophyto. Pourriez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?
Je ne sais pas vous répondre sur le premier point puisque, tout comme ma voisine, je n'étais pas en poste à ce moment-là. En revanche, j'ai lu le rapport à mon arrivée, mais sans demander qui l'a eu, à quel moment ou comment. Pour autant, il me semble possible de le savoir.
Votre deuxième question touche à la mécanique budgétaire du système. 41 millions d'euros sont perçus par l'agence de l'eau Artois-Picardie pour l'ensemble du territoire national, puis reversés à l'OFB. Cet argent n'est pas fléché. Techniquement, ce fonds n'est pas géré indépendamment du reste de l'OFB. Comme dans tout budget, c'est un système avec des autorisations d'engagement et des crédits de paiement.
La maquette qui est notifiée chaque année permet de dégager des enveloppes d'autorisation d'engagement et de programmer les 41 millions d'euros selon les cinq axes. À ce stade, 37,3 millions d'euros ont été notifiés cette année. Le reste se compose notamment par les crédits dédiés aux fermes Dephy, qui n'ont pas encore été notifiés. Cette notification nous permet de passer les dossiers en conseil d'administration et en commission des dépenses. Pour l'année prochaine, nous discutons de ce qui n'a pas été engagé avec nos autorités de tutelle afin de savoir ce qu'on peut réengager. Les crédits n'étant pas fléchés ni automatiquement reportables, nous devons justifier de la réallocation chaque année.
Il ne s'agit pas d'un système mécanique, indépendant et figé. De fait, nous veillons à réengager l'argent qui n'aurait éventuellement pas été affecté. Il y avait par exemple 7 millions d'euros de sous-engagement l'année dernière. Nous avons proposé un appel à projets pour les engager. C'est passé en conseil d'administration d'octobre 2022. Or, nous n'avons eu le droit de lancer l'appel à projets que le 2 mai 2023. Nous récupérons actuellement la réponse pour engager cette somme. Cet argent a été remis dans notre budget initial de 2023, en sus des 41 millions de l'année dernière.
Pour les crédits de paiement, on les met en fonction de ce qui se fait réellement. Il me semble que ce point était soulevé dans le rapport. Nous faisons en sorte de dépenser les 41 millions d'euros d'engagement. Pour autant, certains dossiers sont parfois moins avancés que prévu. Nous payons en fonction de ce qui a été fait.
Vous dites qu'il y a un décalage entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement. Les quelque 40 millions d'euros de RPD vont-ils bien in fine à Écophyto ? J'entends les difficultés rencontrées, mais cette question est importante. À la veille d'une augmentation des RPD, pouvez-vous nous confirmer que les RPD vont bien au plan Écophyto ?
Aujourd'hui, l'OFB fait effectivement en sorte d'engager pour le montant de la redevance RPD, mais le paiement dépend de la réalisation des projets. Si vous cherchez à effectuer un fléchage strict entre ce que paient les agriculteurs et ce que les établissements publics font pour eux, vous constatez que ce qui est fait pour le monde agricole est beaucoup plus important que ce qu'il paie en redevance. Cette RPD représente 150 millions d'euros au total. Le plan Écophyto représente 41 millions d'euros au niveau national et 30 millions au niveau local, injectés dans le budget général des agences de l'eau. Cependant, ces dernières dépensent aujourd'hui beaucoup plus pour le monde agricole que les redevances qu'elles perçoivent de ce dernier. Aujourd'hui, c'est ainsi plutôt le consommateur d'eau du robinet qui paie pour les changements de pratiques de l'agriculture.
On ne peut pas se dédouaner par le fait que les agences de l'eau dépensent plus qu'elles ne reçoivent, ce qui permettrait à l'OFB de ne pas dépenser. Pour être clair, l'intégralité de la RPD qui revient à l'OFB est-elle bien dépensée pour le plan Écophyto ? Vous dites que les agriculteurs s'y retrouvent au final, mais ce n'est pas là ma question.
Ce n'était pas le sens de mon propos.
La réponse a été claire quant à la distinction entre autorisations d'engagement et crédits de paiement. L'essentiel des éclaircissements apportés par Monsieur Thibault figure dans le rapport qui nous a été remis.
Je ne cherche pas à cacher quoi que ce soit. Pour creuser le sujet, l'OFB fait beaucoup d'autres choses pour le monde agricole. Nous faisons notamment des choses sur les produits phytosanitaires qui ne figurent pas dans le plan Écophyto. L'argent que l'OFB met pour le monde agricole est incontestablement bien supérieur à 41 millions d'euros. Par ailleurs, je n'ai pas le droit d'intégrer un taux de chute dans l'élaboration du budget Écophyto. Or, les chambres d'agriculture surestiment toujours un peu la quantité d'argent dont elles vont avoir besoin pour les fermes Dephy et le BSV. Il y a généralement un taux de chute pour une partie qu'elles ne réaliseront pas. Les 41 millions d'euros sont bien inscrits et programmés. Nous ne cherchons pas à voler quoi que ce soit, mais compte tenu du système, certaines choses ne se font pas toujours complètement. Je le répète, l'OFB donne beaucoup plus que 41 millions d'euros au monde agricole.
Nous pourrons regarder plus précisément, mais je n'ai pas de doute sur le fait que nous soyons largement au-dessus des 41 millions d'euros.
Le sujet n'est pas obligatoirement de savoir combien d'argent l'agriculture récupère des agences de l'eau ou de l'OFB, mais plutôt de se centrer sur la question des pesticides, pour savoir ce qui est fait et comment. Vous avez appelé de vos vœux une plus grande territorialisation de cette politique. J'aurais aimé que vous nous apportiez de plus amples éléments sur les actions que vous mettez déjà en œuvre dans les différents territoires.
Je prends un exemple en lien avec les distances de traitement par rapport aux cours d'eau. Selon les territoires, les cours d'eau sont plus ou moins secs. Avez-vous déjà la possibilité de territorialiser dans vos actions quotidiennes ? À défaut, comment imaginez-vous cette territorialisation à l'échelle de l'agriculture ?
C'est un sujet important. Pour diminuer la quantité de produits phytosanitaires utilisés, il faut travailler sur différents axes qui sont complémentaires. Je n'ai aucun doute sur l'approche territoriale. Nous devons raisonner différemment sur des secteurs à enjeux, que ce soit pour la santé ou pour l'environnement, par rapport au reste de l'agriculture. Or, la structuration de la politique agricole ne nous permet pas de bien le faire.
C'est un axe de travail. Je pense essentiellement aux aires d'alimentation de captage, qui constituent un enjeu majeur, y compris pour le monde agricole. Il est difficile pour un agriculteur d'être accusé d'empoisonner des gens alors que son travail consiste à les nourrir. Les agriculteurs vivent mal cette contradiction apparente. Il faut éviter que les agriculteurs se retrouvent avec des modèles agricoles incompatibles avec les enjeux du territoire. L'agriculture est par essence hyper-territorialisée. Les produits phytosanitaires représentent également un enjeu pour un certain nombre de sites Natura 2000.
Il y a ensuite l'approche par filière, que nous avons du mal à assumer collectivement. L'agriculteur dépend de filières. Il est inutile de lui demander de changer sa pratique s'il est stipulé qu'il doit passer quinze fois dans le cahier des charges qui le lie au groupe. Il y a donc une discussion de filière à avoir pour organiser des évolutions, notamment sur les traitements obligatoires, par exemple pour les légumes. Ce sont de grands enjeux de filière à ne pas sous-estimer. C'est vraiment en travaillant avec la filière elle-même que les cahiers des charges pourront évoluer.
Si nous n'aidons pas les agriculteurs à organiser la prise de risque liée à une moindre utilisation des produits phytosanitaires, il n'y aura pas de massification, car tout le monde ne jouera pas avec ses revenus, ce qui est totalement légitime. La moindre utilisation des produits phytosanitaires est très technique. Il faut être certain d'observer correctement, de réagir suffisamment rapidement et d'avoir des éléments de réponse précis. Des mécanismes assurantiels sont donc nécessaires, qui n'existent pas forcément dans le système actuel.
Il y a plusieurs façons de faire. Les certificats d'économie de produits phytosanitaires (CEPP) étaient un moyen de répartir le risque entre les producteurs de produits phytosanitaires et les éleveurs ou les agriculteurs. Cela aurait pu permettre de relancer le processes. Ce sont des choix politiques qui n'ont pas été faits et sur lesquels nous pourrions nous interroger aujourd'hui.
L'approche territoriale, filière et risque sont des sujets, à défaut d'être la solution. Il faut également accepter collectivement de sortir d'un unique plan de substitution de substances. Lorsqu'on cherche une autre molécule, on se dirige vers un autre problème. Même si on gagne du temps, le temps de mesurer les impacts sur l'environnement, ça ne change rien au système.
Si on souhaite concilier les politiques environnementales et agricoles sur ce sujet-là, il faut évidemment faire de l'optimisation de process. De ce point de vue, les fermes Dephy montrent ce qu'on peut faire. L'agriculture de précision permet des avancées, mais il faut également accepter de reconcevoir des modèles. Plus on tarde à le faire, moins on aide nos agriculteurs à faire face aux enjeux de demain. Il est dommage d'attendre une interdiction par le Conseil d'État ou par voie contentieuse. Et nous savons que les enjeux sont devant nous pour un certain nombre d'herbicides.
Vous vous demandez vous-mêmes si nous sommes bien à la hauteur des enjeux. L'un de mes combats est le prix juste dans la rémunération des agriculteurs. Il n'est pas forcément nécessaire d'augmenter la RDP. Pour prendre un exemple, ce n'est pas en augmentant le prix des médicaments qu'on diminue leur consommation, sachant qu'ils peuvent être indispensables. Les agriculteurs pourraient être rémunérés au prix juste.
Je suis aussi producteur de pommes, ce qui m'oblige parfois à intervenir le week-end. Je n'ai pas le choix puisque le risque n'est pas partagé. Je dois rendre des comptes à mon banquier et à la Mutualité sociale agricole (MSA), alors que je fais du bio. Comment fait-on ? Se donne-t-on vraiment les moyens ? La réponse est non. En cette période d'inflation, je conviens que ce n'est pas forcément le moment de payer les choses à leur juste prix.
En regardant de manière factuelle l'évolution des indicateurs de biodiversité dans nos territoires, nous voyons que nous ne répondons pas au problème. Le nombre d'oiseaux et d'insectes dans nos terrains de grande culture continue de baisser fortement. Aujourd'hui, nous n'avons pas réussi à inverser la tendance de l'érosion de la biodiversité dans nos territoires agricoles. Nous ne sommes donc pas au niveau.
Pour autant, je ne dirais pas que la réponse se trouve dans la taxation. Il y a un certain nombre de rapports très étayés sur le sujet. Celui de Guillaume Sainteny montre la faible élasticité-prix des produits phytosanitaires. Il faudrait doubler, tripler voire quadrupler la redevance pour que ça devienne économiquement incitatif dans le choix des agriculteurs, ce qui est très difficile compte tenu de l'inflation. Aujourd'hui, la RPD n'est pas construite comme une redevance qui jouerait sur le comportement des agriculteurs, mais elle permet d'apporter de l'argent pour faire des choses, dont le plan Écophyto.
Dans une politique plus large que la seule politique agricole, qui devrait légitimement payer pour les actions visant à aider les agriculteurs à changer de modèle ? De l'argent des agriculteurs ou de l'argent public ? Est-ce l'impôt ou la fiscalité ? La balance globale de ce que le monde agricole reçoit, comparé à la fiscalité qu'il paie, est véritablement en sa faveur aujourd'hui. Est-ce pour autant aux seuls agriculteurs de payer l'effort d'adaptation du modèle agricole pour la prise en compte d'autres enjeux ? Il revient aux politiques de répondre à cette question ouverte. Il s'agit d'un arbitrage entre fiscalité individuelle et fiscalité globale.
Je pense que nous poursuivrons ce dialogue. Nous avons besoin de vos éclairages puisque vous êtes de ceux qui peuvent nous aider à concevoir des propositions pertinentes et écoutées.
Je vais signer tout à l'heure un courrier à madame la Première ministre. Un nouveau plan stratégique Écophyto va être publié au mois d'octobre. Je l'inviterai à vérifier la bonne conformité de ce plan avec le règlement européen en cours de négociation, et à intégrer les conclusions de notre commission d'enquête, ainsi que celles des travaux que j'ai conduits avec Stéphane Travert sur la séparation du conseil et de la vente. Nous pourrions peut-être retrouver la voie des CEPP.
Pour clarifier les choses, la politique de maîtrise de la phytopharmacie ne se réduit pas au plan Écophyto. Il n'y a pas de politique publique de maîtrise de la phytopharmacie qui ne soit pas intriquée dans d'autres politiques publiques. Aucune gouvernance ne permet actuellement de combiner la petite enveloppe du plan Écophyto avec la grande enveloppe de la PAC et ses grands déterminants, ni d'intégrer la politique phytosanitaire dans une politique plus globale.
Je suis pour ma part incapable d'inventer cette gouvernance performante, holistique. Néanmoins, la situation actuelle pour le moins défaillante mérite d'être corrigée. Il est pathétique de constater des difficultés à se mettre d'accord sur 41 millions d'euros en interministériel alors que l'enjeu est la réorientation des 9 milliards d'euros de la PAC et la réorganisation des marchés. L'interministériel s'épuise dans des négociations sur de petites enveloppes en l'absence de lieu de coordination et de cohérence sur de grandes politiques publiques et de régulations sur les déterminants.
J'ai une dernière question. L'Efsa ouvre la possibilité d'utiliser à nouveau le glyphosate. La France a la responsabilité de décider de la durée des usages, etc. Au regard de votre expérience, comment engageriez-vous la discussion autour de cette nouvelle donne ? Faut-il en limiter les usages ou en revoir la durée ?
Pour réagir à vos propos précédents, un enjeu de la stratégie phytosanitaire à construire consiste, je pense, à avoir une stratégie globale sur les produits phytosanitaires, et non une stratégie sur les 41 ou 70 millions d'euros du plan Écophyto. Cela fait partie d'un vrai sujet de politique globale. Je pense que la gouvernance à première vue complexe d'Écophyto est légitime et s'explique quand on prend l'ensemble de la politique phytosanitaire, au moins les 643 millions d'euros. Concernant les 41 millions d'euros, il faut fixer des objectifs beaucoup plus simples et pluriannuels tout en laissant l'établissement produire et rapporter sur la partie qui le concerne.
Le glyphosate est un sujet compliqué sur lequel les éléments de langage sont finement pesés. On parle autant du glyphosate parce que c'est l'un des trois grands herbicides utilisés en France. À ce titre, il a un impact sur les écosystèmes. Il y a actuellement deux attaques contradictoires – l'une par Bayer et l'autre contre Bayer – sur les effets intentionnels ou non intentionnels cachés de ces molécules.
Tout cela ne fonctionnera qu'à la condition de concevoir des modèles agricoles qui fonctionnent en utilisant moins d'herbicides, quel que soit le type de produits phytosanitaires. S'il s'agit d'interdire une molécule pour la remplacer par d'autres encore plus nocives, nous ne résoudrons pas le problème. Nous avons suivi l'histoire de l'atrazine dans les années 2000. Aujourd'hui, le métolachlore n'est jamais que le successeur de l'atrazine.
Tant que nous raisonnerons en termes de substitution de substances sans nous poser la question de l'utilisation du modèle, le problème restera le même. Le glyphosate présente l'avantage de poser le débat, mais il ne résout pas cette question. Il va être ré-autorisé pour moins de dix ans. Il s'agit donc de voir ce que la France compte en faire et l'ambition que nous souhaitons nous donner sur ce sujet.
La séance est levée à douze heures vingt.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Frédéric Descrozaille, M. Grégoire de Fournas, Mme Laurence Heydel Grillere, Mme Mathilde Hignet, Mme Nicole Le Peih, M. Éric Martineau, M. Dominique Potier