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Intervention de Vincent Bretagnolle

Réunion du jeudi 28 septembre 2023 à 9h15
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Vincent Bretagnolle, chercheur au CNRS :

J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer à l'Assemblée nationale sur diverses problématiques de pesticides. Je suis chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), dans un laboratoire situé à Chizé, dans les Deux-Sèvres. En 1994, j'ai créé un laboratoire à ciel ouvert, qui est une zone atelier aujourd'hui. Les zones ateliers sont des outils du ministère de la recherche pilotés par le CNRS ; ces laboratoires à ciel ouvert associent des chercheurs, la société civile, des gestionnaires et des collectivités sur des questions environnementales d'intérêt sociétal majeur.

C'est notre trentième année consécutive de collecte de données sur la biodiversité, les paysages, l'agriculture, les agriculteurs et les politiques publiques. Il s'agit également d'une zone désignée Natura 2000 au titre de la directive oiseaux. J'ai assuré la mise en place des mesures agro-environnementales sur cette zone pendant dix-huit ans. C'est le seul endroit de France, voire d'Europe, où un laboratoire de recherche a été pilote sur le sujet. Entre 2004 et 2012 j'ai ainsi, en association avec l'Ebio, participé à la mise en place de l'agriculture biologique.

Cette zone est assez particulière puisqu'il s'agit d'une grande plaine céréalière, de polyculture et de polyélevage – les élevages demeurent nombreux. 19 % de la surface agricole utile est en bio, ce qui doit constituer un record en milieu de grande culture. Cela représente plus du double de la moyenne nationale et le triple de la moyenne de la région Nouvelle-Aquitaine.

Dans ce laboratoire à ciel ouvert, nous travaillons sur beaucoup de thématiques de recherche. Ces quinze dernières années, nous nous sommes largement focalisés sur la sortie des pesticides. À partir de 2007-2008, nous avons pris le plan Écophyto à la lettre, en interprétant le terme « éco » d'Écophyto comme signifiant « écologie » et non « économies ». Nous sommes partis de l'hypothèse de recherche que la baisse des pesticides dans l'agriculture conventionnelle était synonyme d'augmentation de la biodiversité et que les mécanismes de régulation naturelle pouvaient remplacer l'agrochimie.

Via des expérimentations menées directement dans les parcelles des agriculteurs – le propre de nos recherches est de travailler aux côtés des agriculteurs, qui sont associés à nos expérimentations et à leur construction – nous avons démontré qu'il était possible de réduire assez facilement l'utilisation des produits phytosanitaires et de l'azote de synthèse en agriculture conventionnelle sur les systèmes de grande culture. Il a ainsi été possible de réduire le recours à l'agrochimie de 30 à 50 % sans effet significatif sur les rendements. Cette étude a fait l'objet de publications dans de nombreux articles scientifiques.

Nous avons constaté que la marge des exploitants agricoles augmentait du fait de la baisse de charges. Pour le blé, cette augmentation peut représenter plus de 100 euros par hectare et par an. Pour le colza et le tournesol, l'utilisation indirecte des abeilles permet aux agriculteurs d'augmenter leur marge de 130 à 150 euros par hectare et par an.

Concernant les agriculteurs en bio de la zone, nous nous sommes intéressés à l'amélioration des pratiques, notamment de labour et de désherbage. Ce point constitue actuellement un enjeu important dans l'agriculture biologique.

Vous évoquiez l'utilisation de biocides en agriculture biologique. Pour ce qui concerne les grandes cultures – je ne parle pas pour la viticulture, l'arboriculture ou les cultures potagères, que je connais moins bien – très peu de biocides sont utilisés, car les agriculteurs ont plutôt recours à des mécanismes de régulation naturelle.

Je prendrai l'exemple des maladies fongiques, qui posent problème aux céréaliers conventionnels, et qui sont transmises par les insectes, et en particulier les pucerons. Les agriculteurs en bio n'ont pas de problème avec les maladies fongiques sur les céréales pour la simple raison qu'ils utilisent des variétés de blé résistantes. Ils n'ont donc pas besoin de recourir à des biocides. Cela ne veut pas dire que ces maladies sont absentes. Les relevés assez précis effectués avec Anne-Lise Boixel, chercheuse de l'INRAE, démontrent la présence d'un certain nombre de maladies, mais à bas bruit. En fait, ils ont plus de types de maladies et de rouilles que les conventionnels, mais ça n'a pas d'impact sur les récoltes.

Une autre problématique des agriculteurs bio de grande culture est la flore spontanée – ce qu'on appelle les adventices. Le principal mode de gestion de cette flore adventice est le labour ou le binage, qui consiste à passer entre les rangs de culture avec une charrue spécialisée afin de la détruire. Nous travaillons avec eux sur la réduction du labour et l'élimination du binage au profit de la herse étrille. Ici, il ne s'agit pas forcément d'améliorer la biodiversité, mais plutôt d'améliorer la qualité des sols. C'est une problématique clé dans l'agriculture biologique puisque le labour et le binage détruisent les horizons superficiels du sol et la biodiversité associée.

Nous avons beaucoup travaillé sur les externalités positives de l'agriculture bio, lesquels ne sont plus à démontrer. Le scientifique que je suis est souvent interrogé sur la controverse supposée tenant aux effets de l'agriculture biologique sur la biodiversité ou l'environnement. Il n'y a pas de controverse. Il existe des centaines de publications qui démontrent les effets positifs de l'agriculture bio sur la biodiversité, et des milliers de publications qui ont trait aux problématiques environnementales.

L'agriculture biologique a un effet extrêmement positif sur la biodiversité puisqu'elle augmente en moyenne le nombre d'espèces présentes de 30 %, qu'il s'agisse de la flore ou des animaux. L'abondance de ces espèces augmente en outre de 50 % pour tous les types de taxons. Ces chiffres moyens sont basés sur des centaines d'études, elles-mêmes fondées sur des méta-analyses. Nous observons également ces valeurs moyennes pour les abeilles, les criquets, les mammifères, les oiseaux, les papillons, etc. C'est valable dans tous les types de cultures.

Aujourd'hui, il n'y a pas de controverse sur les effets positifs du bio, pas même en matière de stockage de carbone. Les grandes cultures en bio stockent du carbone, contrairement aux systèmes conventionnels, qui ont plutôt tendance à en exporter. En effet, dans les systèmes en bio, ces grandes cultures sont souvent associées à de l'élevage et à la présence de prairies. En outre, les agriculteurs en bio en système de cultures arables ont besoin des légumineuses dans leurs rotations, et ces dernières stockent du carbone beaucoup plus facilement. Par ailleurs, les exploitations bio maintiennent davantage de haies qui ont des capacités de stockage du carbone.

Pour autant, tout ne va pas bien pour le bio aujourd'hui. Je ne suis pas spécialiste des filières de transformation ou de l'alimentation ; je me place plutôt du point de vue de la production des agriculteurs. Sur 450 exploitations, nous en dénombrons une centaine en agriculture biologique aujourd'hui : cela représente une forte proportion. Si nous n'avons pas de déconversions massives à déplorer, pour la première fois depuis 1998, trois exploitations se sont déconverties en 2022, alors que la part de la surface agricole utile en bio avait augmenté sans cesse pendant vingt-cinq ans. Nous attendons les chiffres de l'année 2023. C'est effectivement un motif d'inquiétude, tant il serait dommage de faire machine arrière.

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