La commission procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Hervé Berville, secrétaire d'État auprès de la première ministre, chargé de la mer, sur le traité international de protection de la haute mer, les négociations sur la lutte contre les déchets plastiques dans les océans et les zones économiques exclusives (ZEE).
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président
La séance est ouverte à 11 h 15
Mes chers collègues, nous auditionnons M. Hervé Berville, secrétaire d'État auprès de la première ministre, chargé de la mer.
C'est un honneur et un plaisir de recevoir celui qui fut un membre très actif de notre commission, dont il mériterait le titre de membre émérite tant il lui a rendu de grands services, comme peu d'entre nous en ont eu le privilège. Auteur de plusieurs rapports remarquables, son « chef-d'œuvre » est la loi de programmation du 4 août 2021, relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.
Texte phare s'il en est, il a été préparé avec ma chère prédécesseure, Marielle de Sarnez. J'ai fait, lors de son examen, mes premières armes de président de commission. Nous l'avons négocié ensemble en commission mixte paritaire (CMP), avec un certain succès, même si nous devons à présent lutter quelque peu pour la définition des modalités de sa mise en œuvre, avec une attention plutôt favorable de Mme Borne je dois dire, tout spécialement sur la question à laquelle vous étiez très attaché en tant que rapporteur du texte, monsieur le secrétaire d'État, de la commission indépendante d'évaluation de l'aide publique au développement (APD). Des polémiques ont surgi et je vous en ai tenu informé, même si vos fonctions vous interdisent d'intervenir dans le débat.
Nous sommes très heureux de vous auditionner en raison de vos compétences ministérielles, qui englobent des sujets d'attention et d'intérêt particulièrement marqués pour notre commission.
Depuis juillet 2022, nous avons été saisis de projets de loi autorisant l'approbation de plusieurs accords internationaux ayant trait à la protection des océans, à la lutte contre les pollutions marines ou à la coopération dans les zones maritimes proches des eaux françaises, notamment outre-mer. Nos débats ont montré une appétence particulière de la commission pour ces enjeux fondamentaux. Il était donc tout naturel que nous vous sollicitions pour avoir avec vous un échange approfondi sur ces questions.
Le moment de cette rencontre n'est pas anodin. La semaine dernière a eu lieu la signature officielle du traité international de protection de la haute mer, destiné à assurer la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine dans les eaux internationales. Après deux décennies de pourparlers, engagés en 2004, les 193 États membres de l'Organisation des Nations Unies (ONU) s'étaient mis d'accord sur ce texte le 19 juin dernier.
Ce traité, qui porte sur les zones maritimes situées au-delà des zones de souveraineté et des zones économiques exclusives (ZEE) des États côtiers, ouvre la voie à des avancées essentielles et inédites : la création d'aires marines protégées en haute mer ; des obligations, pour les États, d'évaluer l'impact environnemental des nouvelles activités qu'ils projettent en haute mer ; un partage juste et équitable des bénéfices de découvertes faites dans les océans, qui pourraient être déterminantes pour les sciences, les technologies ou la médecine ; le renforcement des capacités des États en développement en matière de recherche scientifique et d'aptitude à assurer une bonne gouvernance des aires marines.
C'est dire si cette signature était attendue. Notre commission a hâte d'entendre votre appréciation sur ce résultat et espère que vous nous dévoilerez de fortes ambitions du Gouvernement pour ratifier ce texte au plus vite.
Mais aussi important soit-il, celui-ci n'est pas une fin en soi. Il doit trouver des déclinaisons multiples. La question de la pollution plastique est un problème mondial fondamental. Chaque minute, quinze tonnes de plastique sont rejetées dans l'océan. Les débris de plastique constituent 85 % des matériaux polluants en mer. Les Nations Unies ont lancé, en 2022, des négociations pour un traité juridiquement contraignant : le traité mondial contre la pollution plastique.
La deuxième étape des négociations sur un projet de texte s'est tenue fin mai à Paris, au siège de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO). Elle a permis d'obtenir des avancées réelles, mais que nous avons tendance à considérer comme insuffisantes. Une nouvelle session de négociations est attendue au Kenya en novembre, avant un cycle au Canada puis en Corée du Sud l'an prochain. Nous serons heureux de vous entendre sur la stratégie de notre pays, qui joue un rôle pilote en la matière, pour aboutir à un résultat positif en 2024.
Outre ces rendez-vous internationaux, vous êtes chargé des politiques publiques qui, en raison des implantations territoriales de la France, outre-mer notamment, vous obligent à tenir compte de paramètres bilatéraux et multilatéraux essentiels et bien souvent évolutifs. Qu'il s'agisse de la surveillance maritime, de l'économie bleue ou de la définition de notre stratégie maritime, vous devez tenir compte, avec vos collègues des armées, des affaires étrangères, de la transition écologique et de la cohésion des territoires, du positionnement des autres grandes puissances maritimes qui nous concurrencent et parfois, pour reprendre un mot anglo-saxon que je n'apprécie guère, nous « challengent » dans des zones maritimes proches ou relevant de notre souveraineté, notamment dans l'Indo-Pacifique.
Notre commission aimerait donc vous entendre sur la défense de nos droits dans les eaux territoriales et dans les ZEE qui font de la France l'un des États maritimes les plus vastes du monde. Le diplomate qui l'a négociée, M. de Lacharrière, disait qu'il était le plus grand conquérant territorial de l'histoire de la France car personne d'autre que lui n'avait ajouté autant de kilomètres carrés à la zone d'influence française.
Nous avons bien conscience que la gestion d'un domaine maritime de 11 millions de kilomètres carrés représente autant un défi qu'un enjeu majeur. Elle revêt une importance capitale si on se remémore que, d'après l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la contribution des activités de la mer à l'économie mondiale représente près de 2,5 % de la valeur ajoutée brute mondiale. Cela, me semble-t-il, restitue les enjeux géopolitiques et économiques dans leur vraie dimension.
Mais ce tour d'horizon, déjà bien vaste, n'épuise pas l'étendue des interactions entre les enjeux internationaux et vos prérogatives.
Permettez-moi tout d'abord de m'excuser pour le léger retard de mon arrivée. J'ai parfaitement conscience des contraintes des parlementaires et de l'importance de l'exigence de ponctualité qui s'impose aux membres du Gouvernement auditionnés au Parlement. Il se trouve cependant que j'étais en discussion avec les pêcheurs et leurs représentants avant de vous rejoindre et nos échanges ont été très denses.
J'ai grand plaisir à revenir devant cette magnifique commission, sans doute la plus belle de l'Assemblée nationale car elle embrasse tous les sujets, de la souveraineté à l'économie, de l'écologie à ce qu'il se passe dans nos territoires ultramarins.
La cohérence de tout cela, c'est la capacité de la France à répondre à deux enjeux qui ne sont pas uniquement internationaux : comment renforcer la souveraineté économique, d'une part, et comment lutter contre le changement climatique, d'autre part ? Vos travaux, dont je salue la qualité et que je suis avec beaucoup d'attention, sont au cœur de la vie de nos concitoyens et de nos territoires qui, de la Bretagne à la côte méditerranéenne et de la Polynésie à la Guyane en passant par la Normandie, sont concernés par les sujets internationaux.
La lutte contre le changement climatique est inséparable de la capacité à introduire des clauses miroir dans les accords commerciaux et à lutter contre la déforestation importée. La capacité à accélérer la transition énergétique est inséparable de l'ouverture d'une discussion franche et équilibrée avec la Chine et de l'instauration de barrières permettant la production de véhicules électriques français. La préservation de la souveraineté alimentaire est inséparable de l'action de l'Union européenne (UE) vis-à-vis de pays tiers et de celle de nos territoires, et je ne parle même pas des enjeux de cybersécurité et de terrorisme. Bref, ce que vous faites au sein de cette commission, c'est à la fois : la Corrèze et le Zambèze, les Côtes-d'Armor et les Comores.
Dans le contexte de l'invasion russe en Ukraine et de la nécessité d'une action résolue s'agissant de l'effondrement de la biodiversité et du changement climatique, les travaux que vous menez – je le constate à chacun de mes déplacements, récemment encore en Jamaïque, où je me suis rendu avec Eléonore Caroit pour réclamer un moratoire sur l'exploitation des fonds marins – sont suivis par les gouvernements et les Parlements de nombreux pays. Ils savent qu'un travail rigoureux et méticuleux, essayant d'embrasser tous les sujets, est mené ici.
À l'international, vous êtes aussi la voix de la France. Nous continuerons donc à vous associer, autant que faire se peut, à nos travaux. La diplomatie parlementaire est l'indispensable complément de la diplomatie conduite par l'exécutif sous l'autorité de Catherine Colonna et du président de la République.
Chacun ici en est conscient : nous ne serons pas une puissance, au XXIe siècle, sans renforcer la puissance maritime de notre pays. Le retour des empires donne au fait maritime un rôle essentiel pour être en capacité de faire face aux menaces et de porter la voix la France sur tous les sujets. Pour reprendre une citation célèbre, qui commande la mer commande le commerce, qui commande le commerce commande la richesse du monde et, par conséquent, le monde lui-même. Qui donc tient la mer tient le monde.
La France, Catherine Colonna et moi-même le revendiquons sans cesse, est une nation océanique. Présente dans l'océan Pacifique, dans l'océan indien, dans l'océan Atlantique et en mer Méditerranée, elle est voisine de nombreux pays, ce qui nous confère une responsabilité particulière tout en justifiant que nous menions, dans le cadre d'une diplomatie des océans, une action internationale dynamique et située aux avant-gardes en la matière, en essayant notamment de concilier les intérêts de ce que l'on appelle désormais – je n'aime pas cette appellation – le « Sud global » et ceux des pays développés – expression que je n'aime pas non plus.
La France a 18 000 kilomètres de littoraux ; 75 % des approvisionnements et des exportations de notre pays empruntent la voie maritime – la moyenne mondiale est de 80 % – ; 95 % des échanges d'information à destination ou en provenance de la France empruntent des câbles sous-marins, ce qui fait de la protection des fonds marins un enjeu important qui doit être présent à l'esprit de nos concitoyens.
Dans ce cadre, le président de la République m'a nommé l'an dernier secrétaire d'État chargé de la mer. Les enjeux maritimes ressortissent notamment à l'écologie, à la souveraineté, à l'aménagement du territoire, à la souveraineté alimentaire, à la défense et à la transition énergétique. Être rattaché à la première ministre permet d'agir de façon interministérielle et de faire en sorte que le fait maritime et la puissance maritime soient au cœur du projet géopolitique de la France.
Les enjeux maritimes doivent être pris en considération avec beaucoup d'attention – à cet égard, je vous remercie, monsieur le président, de cette audition – car ils sont au cœur de la souveraineté économique comme du changement climatique et de l'effondrement de la biodiversité. Les océans couvrent 70 % de la surface de la planète ; nous ne connaissons que 3 % des grands fonds marins. Notre capacité à préserver la biodiversité et à lutter contre le changement climatique tient aux océans, qui absorbent l'excès de CO2. En prendre soin, c'est prendre soin de la planète. Par ailleurs, les océans ont une fonction nourricière pour de nombreuses communautés – un peu plus de 60 % de la population mondiale vit à moins de 60 kilomètres des côtes. C'est pourquoi le président de la République et la Première ministre ont souhaité que la diplomatie des océans soit au cœur de notre diplomatie environnementale et de notre diplomatie tout court.
À la tête du secrétariat d'État à la mer, j'ai trois objectifs : la protection des océans sur le territoire national ainsi qu'aux échelons européen et international ; le développement d'une économie maritime sinon décarbonée, du moins susceptible de réduire notre dépendance aux énergies fossiles, ce qui suppose de soutenir nos modèles de pêche – côtière, artisanale, hauturière – et nos pêcheurs, notamment ceux qui sont confrontés, comme ceux de Polynésie et de Guyane, à des difficultés particulières, en gardant à l'esprit que la politique de la pêche est une politique européenne ; la planification en mer, laquelle n'est plus le monopole des navigateurs, des explorateurs et des pêcheurs, ce qui exige d'assurer, dans le cadre de la planification écologique, la cohabitation des usages.
La planification en mer comporte trois volets : contribuer à la souveraineté énergétique par le développement des énergies marines renouvelables – nous visons une capacité de 40 gigawatts et les travaux ont commencé partout sur nos littoraux ; renforcer la protection de la biodiversité, notamment par la création de zones de protection fortes et par le renforcement des aires marines protégées, en arrêtant les interdictions et les autorisations sur la base de l'état des habitats marins ; réserver des espaces au développement des aménités positives que sont les activités maritimes, notamment halieutiques et touristiques, en favorisant les investissements dans la transition énergétique et les activités portuaires en lien avec les collectivités locales.
L'organisation, en février 2022, du One Ocean Summit a été un moment fondateur. Il a permis à la France et à l'UE de relancer les négociations sur la protection de la haute mer, laquelle couvre près de 50 % de la surface de la planète, en donnant le départ des négociations du traité sur la biodiversité au-delà de la juridiction nationale, dit « BBNJ » pour Biodiversity Beyond National Jurisdiction treaty – ou encore « traité international pour protéger la haute mer ». La haute mer est un espace insuffisamment régi par des règles, alors même que l'avenir du monde s'y joue.
Nous avons fait en sorte d'insuffler une dynamique politique à la négociation. Lorsque vous négociez un texte depuis quinze ans, vous finissez par ne plus très bien savoir quel est le sujet de crispation. Dès lors, une impulsion politique s'impose pour identifier les points d'accord.
Le président de la République a donc lancé, avec l'Union européenne, la coalition de la haute ambition sur la biodiversité au-delà des juridictions nationales, en disant ceci : si nous voulons être cohérents avec l'objectif de limitation du réchauffement à 1,5 degré fixé à la COP21 et avec les conclusions de la COP15 sur la biodiversité de Montréal, aux termes desquelles il faut protéger 30 % de la surface terrestre et 30 % de la mer, nous devons parvenir à nous mettre d'accord sur un traité de protection de la haute mer, sous peine de ne pas être crédibles et surtout de ne pas être efficaces dans notre capacité à mettre en œuvre les décisions de la COP15 sur la biodiversité. La France a donc parlé du traité BBNJ dans toutes les instances internationales – c'est le premier mandat que j'ai reçu –, notamment le G7, le G20 et les institutions européennes, en vue de le faire aboutir.
Nous sommes parvenus, en mars 2023, à un accord sur trois points.
D'abord, il faut un mécanisme de partage des bénéfices des découvertes potentielles avec les pays du Sud, qui ne disposent pas des moyens d'exploration permettant notamment de réaliser des progrès médicaux. Dans le monde dans lequel nous vivons, sans solidarité, il est difficile d'obtenir l'accord de nombreux pays. Nul ici n'en disconviendra.
Ensuite, il faut un mécanisme de prise de décision empêchant le blocage par un seul pays. De nombreuses délégations vivaient dans la hantise de discussions aboutissant à un traité qui ne serait jamais mis en œuvre en raison du blocage d'un seul pays. Pour la première fois dans l'histoire des négociations internationales, nous sommes parvenus à un traité juridiquement contraignant prévoyant un mécanisme de prise de décision à la majorité et non à l'unanimité. Ainsi, la création d'aires marines protégées en haute mer, sur le modèle de celles qui existent à proximité des côtes, visant à la préservation de la biodiversité et à la lutte contre la pollution, ne pourra pas être bloquée par un seul pays.
Enfin, la France et l'UE ont été intraitables sur l'obligation de mener des évaluations environnementales avant toute activité en haute mer, identifiant notamment leurs impacts potentiels sur la biodiversité. Le traité BBNJ aura donc des conséquences sur l'exploitation minière des fonds marins, qui relèvent du cadre juridique de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), en promouvant l'idée que l'on ne peut pas mener des activités en haute mer sans avoir mené au préalable une évaluation d'impact environnemental sérieuse, précise et rigoureuse.
La semaine dernière – j'ai assisté à cet événement avec plusieurs députés ici présents, dont Eléonore Caroit –, le traité a été signé par quatre-vingt-un pays, dont la Chine et les États-Unis, ainsi que des petits pays insulaires, ce qui était jugé inespéré il y a un an. Que les pays de l'UE, les États-Unis et la Chine votent un traité juridiquement contraignant sur un sujet environnemental dans le marasme ambiant du multilatéralisme mérite d'être salué.
Ce n'est que le début de l'histoire. Pour que le traité entre en vigueur, il doit être ratifié par au moins soixante pays. Nous avons pour objectif que tel soit le cas d'ici à la Conférence des Nations Unies sur l'océan, qui se tiendra à Nice en juin 2025. Nous travaillons avec l'UE pour définir les compétences des uns et des autres, en vue de présenter au Parlement un projet de loi portant approbation du traité en début d'année prochaine, ce qui permettrait sa ratification à l'été 2024. La France serait ainsi, avec le Costa Rica, l'un des premiers pays à ratifier ce traité, grâce à un système politique permettant de ratifier les traités avec efficacité.
Ce traité offrira un cadre juridique au sein duquel nous accentuerons nos efforts dans plusieurs domaines, notamment la lutte contre la pollution plastique et contre l'exploitation minière des fonds marins. Celle-ci est à mes yeux le combat du siècle si nous voulons être crédibles en matière de préservation de la biodiversité et de lutte contre le changement climatique.
Le traité mondial contre la pollution plastique relève du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Toutefois, il comporte une dimension maritime. On tend à aborder le sujet de la pollution en mer sous l'angle du nettoyage des océans. C'est très bien mais l'enjeu principal est d'éviter de polluer : 80 % des déchets qui sont en mer ont été produits à terre.
La première étape des négociations a eu lieu en Uruguay en novembre 2022. Elle a été émaillée d'obstructions de procédure, comme la deuxième, qui a eu lieu à Paris du 29 mai au 3 juin 2023. La France et l'UE, dans le cadre d'une coalition, ont insufflé une dynamique favorable aux discussions, pour en prévenir le blocage. Nous avons obtenu un mandat permettant au président du comité intergouvernemental de négociation (CIN) de rédiger une première version du traité, ce qui nous permettra d'être à la hauteur de nos objectifs, de tenir le calendrier que nous nous sommes fixé pour 2024 et de conserver une dynamique favorable à un traité couvrant l'intégralité du cycle de vie du plastique, de sa production à sa fin de vie.
S'agissant de l'exportation minière des fonds marins, la cohérence s'impose. On ne peut pas parler de préservation des océans tout en autorisant une activité consistant à faire descendre à plus de 4 000 mètres de profondeur des machines de la taille d'une baleine bleue pour extraire des métaux rares et précieux dont il n'est pas démontré qu'ils sont indispensables à la transition écologique. La position de la France est très claire. Elle a suscité la controverse et il a fallu en expliquer les tenants et les aboutissants. Je salue la position avant-gardiste de la Polynésie à ce sujet. La France est totalement opposée à l'exploitation minière des fonds marins. Nous ne nous y livrerons pas dans nos eaux et nous défendons cette position dans les instances internationales, en avançant trois arguments.
Premièrement, nous n'avons pas le recul scientifique nécessaire pour être certains que nous pouvons commencer des activités sans provoquer des dommages irréversibles sur la biodiversité et les océans.
Deuxièmement, avant de se lancer dans une telle exploitation, il faut discuter au sein de l'Autorité internationale des fonds marins. Certes, à sa création dans les années 1990, le but de cette organisation était l'exploitation minière, mais il faut ajuster ses objectifs avec les réalités contemporaines, notamment l'urgence écologique.
Dans ce dialogue multilatéral, nous travaillons à établir des règles strictes, rigoureuses, pour éviter qu'un pays ne se lance dans cette activité sans aucun cadre. Au G7 comme au G20, nous continuons d'expliquer qu'il ne faut pas autoriser l'exploitation minière, avec succès puisque, par la voie diplomatique, une coalition de pays est parvenue à empêcher un début de test en 2024. Les États insulaires du Pacifique se sont largement mobilisés dans cette coalition. Il y a un an, nous étions quatre pays favorables à un moratoire de précaution : nous sommes aujourd'hui vingt-huit, et nous allons continuer dans cette voie.
Enfin, la protection de notre zone économique exclusive, élément de souveraineté et de sauvegarde de la biodiversité, est fondamentale. Que ce soit dans l'océan indien, dans le Pacifique ou dans les Caraïbes, nous menons une action résolue de surveillance par satellites, avec les nombreuses données dont nous disposons sur les navires. Grâce à la loi de programmation militaire, nous déployons nos moyens aéromaritimes : la nouvelle loi de programmation nous donnera notamment des patrouilleurs supplémentaires pour les territoires ultramarins. Cela fonctionne : aucune infraction de navires n'a été signalée dans l'océan indien depuis 2013.
Face aux nouvelles menaces nous devons toutefois renforcer nos moyens technologiques. C'est la raison pour laquelle le secrétariat d'Etat chargé de la mer a signé une convention avec le Centre national d'études spatiales, afin de disposer de données en temps réel et de pouvoir mener des actions, notamment grâce à la marine nationale, les affaires maritimes et la gendarmerie maritime, pour appréhender ceux qui se livrent à la pêche illégale.
La préservation de la ZEE, la lutte contre la pêche illégale et la protection de la biodiversité sont les piliers de la stratégie indo-pacifique, pour laquelle nous nous donnons des moyens supplémentaires. Nous mettrons aussi l'accent sur la coopération régionale avec les pays qui nous entourent, pour préserver l'intégrité du territoire français et la souveraineté de notre pays.
Notre ambition maritime est forte : elle doit se concrétiser selon les spécificités des territoires. Dans les différentes instances, européennes ou internationales, nous continuerons à protéger les océans, à renforcer notre souveraineté et à accompagner les pays les plus vulnérables pour faire face aux enjeux maritimes, notamment, pour les territoires du Pacifique, à la montée des eaux.
Monsieur le secrétaire d'État, au nom du groupe Renaissance, je vous remercie de votre présence et, à titre personnel, de m'avoir associée à la négociation qui s'est déroulée à Kingston. Je peux témoigner de votre fermeté, de votre ambition et de votre courage pour mener cette diplomatie écologique. Je me réjouis que plusieurs pays aient suivi la position courageuse de la France, en faveur d'une interdiction ou d'un moratoire de l'exploitation minière des fonds marins.
Vous avez aussi évoqué la signature par la France du traité BBNJ, à New York, la semaine dernière. Après quinze ans de négociation, c'est une victoire pour le multilatéralisme et pour la planète car l'océan est un acteur majeur de la régulation du climat mondial. La haute mer, qui ne dispose d'aucune protection spécifique, représente plus de 60 % de la surface des océans. Nous nous réjouissons donc du calendrier de ratification que vous avez présenté.
La semaine dernière se tenait à l'ONU le Sommet des objectifs de développement durable (ODD). Il ne reste plus que sept ans pour atteindre les objectifs fixés dans le cadre du programme de développement durable à l'horizon 2030. L'entrée en vigueur du traité BBNJ y participera car elle permettra de progresser dans l'atteinte de l'ODD n° 14 de protection des océans, et de protéger 30 % des océans d'ici à 2030.
La prochaine étape, la ratification, se tiendra en amont de la Conférence des Nations Unies sur les océans, au Costa Rica en 2024 et à Nice, en 2025. Qu'attendez-vous de ce rendez-vous international ?
Merci pour votre implication dans ces négociations sur l'exploitation minière des fonds marins. Il est important de montrer aux pays que la demande provient non seulement du Gouvernement mais aussi des territoires et des représentants légitimes du peuple français. Votre présence a donné de la force à notre position, qui n'était pas toujours bien comprise.
Nous abordons le Sommet des Nations Unies pour les océans avec trois objectifs.
D'abord, il faut concrétiser certains dossiers prioritaires, notamment parvenir à un traité mondial pour mettre fin à la pollution plastique, ratifier le traité BBNJ et consolider, d'ici à 2025, un cadre solide, rassemblant un maximum de pays favorables à un moratoire sur l'exploitation minière des fonds marins. Cet enjeu de la protection des océans est de faire converger l'agenda océanique, pour parvenir à une vision commune et une ambition partagée par le plus grand nombre de pays possible. Tout est lié : de notre capacité à atteindre les objectifs de la COP21 dépend celle de protéger la biodiversité.
Ensuite, il faut que l'économie mondiale accélère la transition énergétique du secteur maritime, qui représente 80 % du commerce international. Nous devons notamment accompagner les pays les plus vulnérables, qui font face au changement climatique, dans cette transition. Au sein de l'Organisation maritime internationale (OMI), nous discutons d'une contribution du secteur afin d'accompagner ces communautés dans la transition énergétique de leur secteur maritime.
Troisième élément : nous voulons mettre la science au cœur du dispositif et organiser une grande conférence rassemblant les scientifiques pour fixer d'autres objectifs, tout en écoutant les peuples océaniques dans le respect de la diversité de ces territoires. Je crois beaucoup aux cultures océaniques, à leur rapport à la mer. Nous voulons agir dans le respect de la diversité de ces territoires, notamment ceux du Pacifique.
Protection des océans, économie maritime, science et culture océanique sont donc nos trois objectifs pour renforcer la protection de la biodiversité et lutter contre la pollution des mers.
Le traité sur la haute mer, dont le nombre de cosignataires ne cesse d'augmenter, sera un texte primordial pour la protection de la biodiversité marine. Juridiquement contraignant pour les États parties, ce texte vise à protéger la biodiversité au-delà des juridictions nationales. Il couvrira 60 % de la surface des océans et contribuera à lutter contre la pollution chimique et les déchets plastiques tout en favorisant une gestion plus durable des stocks de poissons.
Si ce texte part d'une idée louable, son application nous pousse à nous interroger. Parmi la liste des signataires figure l'Union européenne, non l'ensemble des pays membres. La République tchèque manque à l'appel : sans accès à la mer, elle n'a pas d'intérêt direct à signer le texte ; dans la même situation, la Hongrie est pourtant signataire. L'engagement de l'Union européenne sur ce traité produira-t-il des effets juridiquement contraignants sur les pays qui n'ont pas choisi d'y adhérer ?
Le caractère juridiquement contraignant du texte signifie-t-il que nous renonçons à nos droits d'exploitation au profit de pays qui ne sont pas parties ? Pour exploiter les nodules polymétalliques, par exemple, la France a, semble-t-il, déboursé près de 150 millions d'euros depuis cinquante ans : elle ne pourra bénéficier d'aucun retour sur investissement.
Votre secrétariat d'État fait de la lutte contre les déchets plastiques en mer un objectif, mais quid des déchets métalliques et du béton liés aux éoliennes maritimes ? D'une durée de vie d'une vingtaine d'années, ces dernières reposent sur des fondations métalliques bétonnées dans les fonds marins ; l'acier s'oxyde vite et pollue l'eau à proximité. De même, lors du démontage, l'extraction du béton injecté à plus de cinquante mètres sous le niveau de la mer produira certainement plus de dégâts que l'extraction des nodules polymétalliques.
Lors des négociations sur la lutte contre les déchets plastiques dans les océans et les zones économiques exclusives, évoquerez-vous également les questions liées aux déchets industriels laissés en mer, ainsi que l'avenir des parcs offshore obsolètes, qui deviendront des champs de ruines métalliques sur le littoral ?
Nous regardons toutes les pollutions. C'est la raison pour laquelle la France dispose d'un Observatoire de l'éolien en mer, doté d'environ 60 millions d'euros, qui examine toutes les incidences des éoliennes sur la biodiversité. Les éoliennes, l'industrie, la pêche, avec les filets abandonnés, le transport maritime et ses éventuelles pertes de conteneurs, aucun secteur n'est exonéré de ce travail sur les effets des activités en mer. Toutefois, pour l'éolien en mer, c'est une ambition de souveraineté énergétique, pour réduire notre dépendance au pétrole, que nous ne produisons pas. Dans un contexte de volatilité macroéconomique, plus que jamais, nous devons accélérer en la matière.
Nous ne renonçons pas à notre capacité à agir ; nous organisons les choses. La haute mer appartient à tout le monde. Plutôt que d'accepter la règle « premier arrivé, premier servi » – un pays peu regardant sur l'environnement pouvant arriver le premier –, on définit un cadre de coopération multilatérale. Cela sert nos intérêts, d'autant que notre diplomatie est présente partout, donc que nous pouvons faire entendre notre voix dans toutes les instances.
Enfin, certains pays n'ont pas signé le traité BBNJ mais ils y viendront. L'engagement de l'Union européenne donne l'appui d'une vingtaine de pays. À partir du moment où la ratification de soixante pays rend ce traité juridiquement contraignant et universel, ses dispositions s'appliquent à tous. L'enjeu est donc de disposer des soixante ratifications. Notre ambition est que ce traité soit ratifié le plus rapidement possible, pour qu'il s'applique à tout le monde.
Que la Hongrie signe le traité alors qu'elle n'a pas de façade maritime montre que chacun prend conscience que climat et océans sont liés. On ne réglera pas la question climatique si l'on ne s'inquiète pas de celle des océans. Il est de l'intérêt de pays sans façade maritime de s'intéresser à la santé des océans. C'est la raison pour laquelle certains pays qui, certes, ne sont pas de grandes puissances économiques, considèrent que ce traité et la diplomatie océanique sont des priorités. Plusieurs pays africains, pas forcément littoraux, m'ont ainsi contacté, parce qu'ils souhaitaient avancer sur ces questions.
Avec 11 millions de kilomètres carrés d'espaces maritimes, notre pays dispose du deuxième territoire maritime du monde : c'est une réelle opportunité mais aussi une véritable responsabilité pour la France. Il en est question quand il s'agit de se battre pour une entrée en vigueur rapide du traité international de protection de la haute mer, adopté ce 19 juin 2023 par les membres de l'ONU. Mads Christensen, le directeur exécutif de Greenpeace, appelle les pays à être ambitieux, à ratifier le traité pour s'assurer qu'il entre en vigueur en 2025 car nous avons moins de sept ans pour protéger 30 % des océans. Depuis des années, La France insoumise se bat pour que la mer soit reconnue comme un bien commun de l'humanité. Elle voit aujourd'hui se dessiner une réglementation visant à la préserver, quoique certaines failles dans la rédaction nous fassent craindre un manque d'efficacité dans la pratique. Rien n'est par exemple prévu pour contrôler, financer et surveiller les aires marines protégées.
Nous peinons à croire que les chantres de l'ultralibéralisme sauront rompre avec les logiques productivistes, le pillage des ressources et le saccage de l'environnement. La vision court-termiste du capitalisme empêche toute anticipation de l'avenir. Dans les années 1960, les habitants de la petite ville japonaise de Minamata ont été empoisonnés, pour permettre le redressement du pays. L'usine Chisso avait tant d'importance aux yeux des gouvernants, qu'ils ont préféré fermer les yeux sur le fait qu'elle déversait des métaux lourds dans la mer. Absorbé par les poissons, le mercure a fini dans l'assiette de milliers de personnes, qui sont mortes ou ont souffert de terribles séquelles neurologiques.
Encore récemment, alors que le traité international venait d'être signé, les eaux contaminées de la centrale de Fukushima ont été déversées dans la mer. Quelle est la logique de tels actes ? Les eaux usées de nos centrales françaises connaissent-elles un meilleur destin ? Il y a un an, les associations environnementales étaient vent debout face à votre décision de les déverser dans des cours d'eau reliés à cette mer que vous prétendez vouloir protéger.
Les intérêts économiques ne peuvent pas et ne doivent pas primer sur la préservation de nos écosystèmes. Nous nous ficherons bien de votre argent quand nous serons tous morts. Alors, quelles garanties pouvez-vous nous apporter : les aires marines protégées seront-elles autre chose que des aires de papier ?
Je dois reconnaître à Jean-Luc Mélenchon d'avoir défendu la mer pendant très longtemps, ainsi qu'à Jean-Paul Lecoq d'avoir évoqué cette question dès 2017 : il y a une cohérence de la part des députés communistes.
Détentrice de la deuxième surface maritime au monde, donc, potentiellement, de nombreux nodules, la France pourrait gagner des milliards avec l'exploitation minière des fonds marins ; elle ne le fait pas. Contrairement à la Hongrie ou à la République tchèque, pour lesquelles renoncer à cette exploitation n'emporte pas de conséquences, c'est nous qui nous coupons de ces intérêts ; cela a d'ailleurs été mal perçu par certains acteurs économiques. C'est nous qui assumons de faire primer la protection de la biodiversité sur les intérêts économiques. Nous avons interdit l'exploitation minière des fonds marins en Polynésie, en Guyane comme nous le ferons dans l'océan indien. Il n'y aura pas le début d'un commencement d'exploitation. J'ai même supprimé la ligne budgétaire, à hauteur de 20 millions, qui visait à tester des solutions pour exploiter les fonds marins. On utilise l'argent pour l'exploration, la connaissance, la recherche, car quand on connaît mieux, on protège mieux.
Le contrôle de l'application du traité s'effectuera dans le cadre de la conférence des parties, la COP BBNJ. Il faudra préciser les modalités de la gouvernance internationale de ce texte, ainsi que les contrôles à mener et leur fréquence ou les rôles de chacun en haute mer. Le traité vient d'être signé : nous entrons maintenant dans les travaux pratiques. Je n'ai aucun doute sur le fait que nous allons aboutir.
Les financements représentent un enjeu majeur. Il pourra s'agir de fonds internationaux dédiés aux océans, qui montent en puissance. L'Agence française de développement (AFD) dédiera 8 millions d'euros pour commencer à financer des aires marines protégées en haute mer ; 80 millions sont également prévus pour protéger la haute mer dans le cadre de la contribution française du Fonds pour l'environnement mondial, issu notamment de la Banque mondiale. Nous sommes le seul pays à avoir indiqué une voie pour ces financements. L'Union européenne le fera aussi, comme d'autres États.
Nous agissons pour la protection de la biodiversité ; il y a des financements et une gouvernance va s'organiser pour définir des modalités de contrôle pratiques, qui permettront une application effective du traité.
Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie d'avoir informé notre commission concernant l'adoption du traité international de protection de la haute mer à l'ONU, ainsi que les négociations en cours pour lutter contre les déchets plastiques dans les océans et les zones économiques exclusives.
Je veux revenir sur la pêche illicite dans l'Indo-Pacifique, dans une zone où l'espace maritime français représente plus de 10 millions de kilomètres carrés. À l'échelle mondiale, la pêche illicite compte pour près de 30 % des prises totales. Cela a des conséquences dramatiques pour les réserves halieutiques, notamment dans le Pacifique Sud, où, en 2017, 11 % des espèces maritimes recensées dans vingt-deux États insulaires, allant de la Papouasie-Nouvelle-Guinée aux îles Cook, étaient menacées d'extinction. Malgré ce constat alarmant, de nombreux pays de l'Indo-Pacifique sont victimes de pêches illégales dans leur zone économique exclusive. La surpêche fait également des ravages en haute mer. Ainsi, de nombreux pays, principalement asiatiques, se livrent au pillage des réserves : en l'espace de vingt ans, la Chine s'est par exemple constitué la plus grande flotte de pêche du monde, avec environ 3 000 navires, qui se déploient sur tous les océans.
Lors de la précédente législature, dans mon rapport d'information sur l'espace indo-pacifique, j'avais montré que de nombreux pays, notamment de petits États insulaires, étaient demandeurs d'un soutien dans la lutte contre l'insécurité maritime, en particulier la pêche illégale. Le 26 juillet dernier, à Nouméa, le président de la République a annoncé la création d'une académie du Pacifique, pour former des militaires de toute la région, dans une logique de partenariat avec les pays voisins, pour les aider à protéger leurs eaux. Pouvez-vous en présenter les ambitions et la façon dont cette académie contribuera à la lutte contre la pêche illégale ? Quels moyens utilise la France pour protéger son espace maritime et sa souveraineté face aux pays qui pratiquent la pêche illégale ?
On voit ici tout l'intérêt du travail parlementaire : avec ce rapport d'information, vous avez parlé de ces questions en amont de notre action.
La lutte contre la pêche illicite est un enjeu de préservation de la souveraineté et de lutte contre l'effondrement de la biodiversité. En Guyane, 95 % des pontes de tortues luth ont disparu en vingt ans, du fait de la pêche illégale. À ma demande et avec l'accord du président de la République, la France a rejoint l'Alliance internationale de lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (IUU).
Avec les moyens affectés par la loi de programmation militaire, nous renforcerons la lutte contre la pêche illégale, avec de nouveaux patrouilleurs, avec des inspecteurs, que nous mettrons à disposition de certains pays côtiers pour renforcer les contrôles, et avec des moyens satellitaires supplémentaires. Cette action résolue fera comprendre à ces acteurs qu'il est hors de question qu'ils viennent piller nos eaux, élément de souveraineté alimentaire pour les populations, notamment du Pacifique.
En outre, nous mettrons ces questions à l'ordre du jour des instances internationales. Lors du G7 au Japon, le président de la République a souhaité inclure un volet sur la pêche illégale et m'a demandé d'organiser avant la fin de l'année une réunion ministérielle, avec tous les pays du Pacifique, sur l'enjeu de la lutte contre la pêche illégale. Nous mettrons en avant les actions fortes de l'Union européenne, qui sanctionne avec des cartons rouges et des cartons jaunes les États qui se livrent à ces activités et qui adapte en conséquence ses relations commerciales et financières ainsi que l'accès à l'aide au développement.
La coopération entre les marines fait également partie des thématiques abordées par l'académie du Pacifique, dont les modalités sont à préciser avec les États du Pacifique notamment.
Vous avez raison de dire qu'il faut renforcer la coopération : je participerai en novembre au Forum des îles du Pacifique, puis me rendrai dans les îles Cook et dans les Samoa, dans le cadre de la signature de l'accord entre les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et l'Union européenne, ainsi qu'en Polynésie, à l'invitation du président Moetaï Brotherson.
Il faut contrôler, éloigner, appréhender, sanctionner, mais aussi occuper l'espace maritime : la nature ayant horreur du vide, s'il n'y a pas de navire de pêche dans nos eaux, d'autres pays les occuperont. En Guyane, nous avons signé un plan de relance de la pêche. Hier, à Wallis-et-Futuna, j'ai annoncé un financement de 550 000 euros pour favoriser la flotte hauturière. Avec le président Brotherson, nous travaillons à une stratégie pour développer la pêche polynésienne, afin de déployer des bateaux sur l'eau et renforcer la souveraineté alimentaire de ces magnifiques territoires.
Merci tout d'abord de m'accueillir dans votre commission.
Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de vous être déplacé trois fois à New York pour les négociations du traité BBNJ, qui doivent aussi beaucoup à vous, chers collègues. En effet, c'est d'une résolution, déposée par ma collègue Maina Sage, qu'est partie la volonté politique de donner à l'espace au-delà de 500 kilomètres de nos côtes, un vrai cadre juridique.
Ce cadre poursuit deux objectifs : d'une part, une bonne gestion de nos ressources, en acceptant de temps en temps de fermer certaines zones, pour que la ressource puisse se renouveler ; d'autre part, les aires protégées. L'objectif de 30 % d'aires protégées, dont 10 % de façon forte, n'est-il pas trop ambitieux ? Ne faudrait-il pas en limiter le nombre mais les tenir ? L'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) privilégie ainsi des zones presque fermées et sanctuarisées, que l'on pourra mettre en jachère.
Parmi ces aires protégées, il faudra travailler sur l'énorme zone de l'Antarctique Est. Ainsi, je remercie le président Bourlanges d'avoir cosigné la proposition de loi de programmation polaire, qui vise à donner à la France les moyens d'une stratégie polaire. Les chantiers sont nombreux : il faut que l'on reconstruise un quai et la base Dumont-d'Urville et que l'on donne aux chercheurs les moyens de découvrir l'Antarctique Est, cette dernière terre inconnue de la planète où aucun bateau n'a jamais hiverné. Pour cela, nous devons profiter du prochain One Planet - Polar Summit, qui sera organisé à Paris en novembre. Dans les sept à huit ans qui viennent, il faut que nous puissions donner aux chercheurs et à la stratégie polaire de vrais moyens.
Pour ce qui est des aires marines protégées, il faut toujours avoir une ambition forte, puis la décliner de manière réaliste et faire en sorte que des actions se matérialisent. Il existe d'ailleurs déjà des zones de protection intégrale : dans le parc national des calanques, par exemple, il y a des zones de cantonnement, sans activité ni de pêche, ni d'extraction minière.
Avec Agnès Pannier-Runacher et Christophe Béchu, le 6 juin 2023, nous avons envoyé une instruction à tous les préfets coordonnateurs de façade maritime, afin qu'en lien avec les parlements locaux de la mer, avec les conseils maritimes de façade, les pêcheurs, les organisations non gouvernementales (ONG), les utilisateurs de la mer, ils fassent remonter des propositions de zones de protection forte, de zones d'exclusion de certaines activités, et de zones de transition, aire par aire, façade par façade. Dans le traité BBNJ, on interdit les activités non de manière systématique, mais en prenant en compte l'état de la biodiversité et des habitats. Telle est la philosophie du traité, celle que soutiennent la France et tous les pays de l'Union européenne, pour la définition des aires marines protégées. Ce travail d'identification des aires doit aboutir avant la fin de l'année.
La question des pôles ne relève pas totalement de ma juridiction, si je puis dire, mais elle illustre bien les blocages liés à la règle du consensus. Si l'on ne parvient pas à créer des aires marines protégées (AMP), c'est parce que certains pays bloquent. Je sais que vous avez une ambition très forte en la matière, et je vous en remercie.
Nous continuons, avec l'ambassadeur chargé des pôles, Olivier Poivre d'Arvor, à travailler à des améliorations pour l'Institut polaire français, par des investissements. Surtout, il y aura cette année une réunion concernant spécifiquement les pôles : on ne peut pas régler les questions maritimes sans prendre vraiment en compte cet enjeu. Nous sommes dans une sorte de phase de décantation des nombreux travaux menés dans ce domaine : des décisions seront prises par le président de la République au cours des prochains mois.
Merci pour votre présentation des négociations et du texte signé la semaine passée. L'enjeu immédiat est de parvenir rapidement à sa ratification et à son entrée en vigueur. Les procédures suivies peuvent parfois sembler longues, notamment en France. Je forme le vœu que la soixantaine de ratifications nécessaires intervienne rapidement et que la prochaine conférence qui sera organisée en France, en 2025, constitue une date majeure pour la protection des océans, comme l'avait été la COP21 réunie à Paris en 2015.
La science a prouvé qu'il est important de protéger l'océan tout entier : il foisonne d'une biodiversité, souvent microscopique, qui fournit la moitié de l'oxygène que nous respirons et limite le réchauffement climatique en absorbant une partie importante du CO2 émis par les activités humaines. L'océan est néanmoins menacé par les changements climatiques, la pollution, la surpêche et les plastiques.
En plus de la création d'aires marines protégées, le nouveau traité prévoit notamment l'obligation de réaliser des études de l'impact sur l'environnement des activités envisagées en haute mer. Le texte ne liste pas ces activités, qui pourraient aller de la pêche à l'exploitation minière du plancher océanique en passant par le transport maritime et peuvent dépendre d'organisations internationales, comme l'AIFM.
Je sais que vous avez réitéré l'appel de la France à un moratoire sur l'extraction minière sous-marine. Pouvez-vous nous indiquer si, à brève échéance, cet objectif a des chances d'être partagé internationalement ?
Nous voulons notamment travailler avec les pays du G77. C'est pourquoi nous co-organisons la conférence de 2025 avec le Costa Rica. Le but, comme le président de la République l'avait voulu s'agissant du pacte de Paris pour les peuples et la planète, est de ne pas mettre en opposition l'amélioration des conditions de vie dans les pays en développement et notre ambition pour le climat. Il faut donc travailler très étroitement avec ces pays, notamment les États insulaires.
Un autre enjeu majeur de la conférence est relatif à la science et à l'état des données. On ne connaît que 3 % des grands fonds marins. Des espèces vitales pour la planète peuvent s'y trouver ; j'en suis, pour ma part, quasiment certain. Nous œuvrons en France au renforcement de la science en consacrant 350 millions d'euros à la connaissance des grands fonds marins.
S'agissant de nos chances d'aboutir, je rappelle que nous avons réussi cette année à stopper le début de l'exploitation minière des fonds marins, comme nous l'avions demandé l'an dernier avec trois autres pays. Le président de la République a défendu une position très ferme et très forte à la COP27 de Charm el-Cheikh et nous avons continué à plaider en ce sens à la COP15 de Montréal, à la fin de l'année 2022, lors d'une réunion qui s'est tenue au Costa Rica, ainsi que dans le cadre de l'AIFM.
Nous allons continuer ce travail de plaidoyer, sur la base de plusieurs éléments. Tout d'abord, c'est la science qui doit primer. Nous devons renforcer les connaissances et les partager, notamment avec les pays en développement. Je suis convaincu que cela permettra de montrer que l'exploitation minière des fonds marins conduirait à des dommages irréversibles et constituerait donc une folie. Ensuite, on ne peut pas commencer ce type d'activités, qui sont pour moi dangereuses pour la biodiversité et le climat, sans qu'un certain nombre de règles aient été établies. Le travail sur un code minier est ainsi important : nous avons besoin d'un cadre juridique solide.
Je tiens à aborder une question liée à notre souveraineté maritime, à savoir l'affirmation de la Chine en Méditerranée, laquelle concentre un quart du trafic mondial de conteneurs. De plus en plus de ports passent sous contrôle chinois, totalement comme celui du Pirée ou partiellement comme ceux de Tanger, Valence, Trieste et bien d'autres encore, dont certains sont français. Ce « collier de perles » permet désormais à la Chine de développer une logique, assez claire, de comptoirs et d'avoir une profondeur stratégique inédite en Méditerranée. Ces investissements chinois, réalisés dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie, se prolongent ailleurs en Europe : il y a tout juste un an, des capitaux chinois ont ainsi pris possession du port de Hambourg, qui est le troisième en Europe. Cette situation doit-elle nous inquiéter ?
Cette situation fait l'objet d'une très grande vigilance. Il est hors de question de voir notre souveraineté rognée. Nous ne sommes pas contre les capitaux étrangers mais nous devons maintenir notre souveraineté sur certains éléments stratégiques. C'est pourquoi le droit français comporte, grâce au travail des députés, des dispositions très fortes pour protéger les intérêts stratégiques de la France. Pour la même raison, nous avons déployé une stratégie indo-pacifique qui vise à réaffirmer la présence de la France et de l'Union européenne, de l'océan indien au Pacifique en passant par le sous-continent indien.
J'en viens à la Méditerranée. L'ambition qui nous anime depuis le discours du président de la République à la Sorbonne, en 2017, qui portait sur le renforcement de la souveraineté, est valable pour tous les secteurs, y compris la stratégie portuaire. Le premier ministre de l'époque, Édouard Philippe, qui est un maire portuaire, a relancé dans un autre discours Haropa, qui rassemble Le Havre, Rouen et Paris, afin de nous doter d'infrastructures portuaires au niveau, attractives et suffisamment capitalisées pour ne pas faire l'objet d'appétits de la part d'autres pays.
Parce que nous considérons les ports comme des lieux stratégiques, en particulier pour notre souveraineté énergétique, pour nos approvisionnements en matières premières et pour la circulation des marchandises, j'ai reçu pour mandat de renforcer notre souveraineté portuaire, comme le prévoit notamment la stratégie France Mer 2030. Nous nous employons à faire de même au niveau européen, grâce à un travail de planification en mer, relatif aux ports importants et aux connexions qui existent entre eux, de la mer du Nord à la Méditerranée en passant par Le Havre.
Lorsque j'ai rencontré mon homologue chypriote à Londres, il y a deux semaines, nous avons parlé de la coopération nécessaire, non seulement pour réaliser la transition énergétique dans les ports mais aussi pour y assurer une pleine souveraineté européenne. Il faudra pour cela veiller, en particulier dans le cadre de la prochaine présidence du Conseil de l'Union européenne, à porter une attention particulière à la bonne intégration de tous les enjeux maritimes, qu'il s'agisse des questions énergétiques, des infrastructures, du secteur portuaire ou de la formation.
La France a le deuxième plus grand domaine maritime au monde, ce qui implique pour elle une responsabilité particulière. L'adoption du traité international pour protéger la haute mer et l'implication de la France dans sa mise en œuvre sont de bonnes nouvelles.
L'océan est un acteur clef de la lutte contre le changement climatique. En effet, il absorbe environ 30 % du CO2 émis par les activités humaines, ce qui atténue le réchauffement global, mais cette absorption a un coût : l'acidification des océans a augmenté de 26 %, ce qui met en péril la biodiversité marine et les écosystèmes.
Selon les informations disponibles, la stratégie nationale pour la mer et le littoral qui est en cours d'élaboration prévoit une « protection forte » pour 5 % des façades maritimes et 15 % des bassins ultramarins. Ce serait, si c'était confirmé, un pas en avant mais celui-ci pourrait paraître insuffisant. Surtout, j'aimerais savoir comment les chiffres se traduiront sur le terrain. La définition européenne de la « protection stricte », qui est alignée sur les standards scientifiques internationaux, est un modèle de rigueur et d'exigence. Pourquoi la France ne s'aligne-t-elle pas sur des critères plus stricts, tels qu'ils ont été définis au niveau européen ? Par ailleurs, quelles seront les activités incompatibles avec les zones de protection forte ?
S'agissant de la pêche, qui est un secteur vital pour notre économie, on a l'impression que le dialogue est un peu rompu entre les différentes parties prenantes. La pêche artisanale, en particulier, ne se sent pas forcément entendue. La pêche sera-t-elle prise en compte et valorisée dans la future stratégie nationale pour la mer et le littoral ?
La France co-organisera avec le Costa Rica, d'ici à 2025, le sommet Un Océan. C'est une occasion unique de promouvoir une approche inclusive et collaborative de la protection des océans et de donner toute leur place aux pays du Sud et aux savoirs autochtones. La France défendra-t-elle la place des pays du Sud dans ce futur événement ?
Nous sommes le seul pays européen à avoir une telle ambition pour les zones de protection forte. Au-delà de la définition des critères, ce qui importe pour ceux qui ont à cœur de protéger la biodiversité, c'est l'existence de dispositions permettant de préserver effectivement les écosystèmes et les habitats. Nous partons, très simplement, de l'état des habitats marins et des principaux facteurs de pression sur eux pour définir la liste des activités autorisées, réglementées ou interdites.
La réalité d'une aire marine protégée chez moi, dans les Côtes-d'Armor, n'est pas exactement la même que celle d'une aire marine protégée en Méditerranée, où s'exercent plutôt des pressions liées à la plaisance et à la destruction de la posidonie, alors qu'il peut s'agir ailleurs de pressions liées aux activités de tourisme, d'extraction ou de pêche. Nous regardons les situations façade maritime par façade maritime, aire marine protégée par aire marine protégée. Il me semble que c'est l'approche la plus pragmatique et la plus efficace.
Je crois que c'est plutôt la pêche hauturière qui n'a pas l'impression d'être écoutée : elle considère qu'il faudrait davantage d'aide au carburant, alors que la pêche artisanale a été intégralement couverte, compte tenu du plafond existant – elle consomme très peu de carburant.
Tous les types de pêche doivent continuer à avoir une place dans la stratégie nationale pour la mer et le littoral. Nous sommes en train de recueillir les retours qui nous sont faits, et je note le vôtre. La pêche artisanale est déjà incluse mais il faudrait peut-être aller plus loin en la matière. Nous avons besoin de diversité, ce qui suppose de reconnaître et de prendre en compte tous les modèles de pêche.
La question de la place des pays du Sud est fondamentale. Il faut intégrer d'emblée ces pays dans les discussions climatiques, qu'elles portent sur les pertes et préjudices ou sur la responsabilité, laquelle doit être partagée mais différenciée. C'est pour cela que nous organisons la conférence de 2025 avec le Costa Rica et que je me suis rendu dans beaucoup de pays du Sud. L'enjeu des sciences et de la culture des peuples autochtones est également essentiel. J'aurai l'occasion de recueillir des propositions lors de mon déplacement dans le Pacifique, notamment dans les îles Cook et en Polynésie, et nous les intégrerons lors de la préparation du sommet.
Monsieur le secrétaire d'État, nous avons déjà eu l'occasion de nous rencontrer afin d'évoquer l'intérêt particulier et légitime des Polynésiens pour les questions maritimes et la volonté forte des élus polynésiens de discuter avec vous de ces sujets. Je vous remercie, à cet égard, d'avoir répondu à l'invitation du président Moetai Brotherson à vous rendre en Polynésie au mois de novembre.
La France possédant le deuxième espace maritime au monde, elle avait un rôle tout particulier à jouer dans le cadre des négociations sur le traité international pour protéger la haute mer. Cependant elle n'aurait jamais eu ce rôle et le traité aurait été de moindre importance pour elle sans ses collectivités d'outre-mer, notamment la Polynésie. En effet, les espaces maritimes d'outre-mer représentent 96 % de l'espace maritime français, dont près de la moitié est occupée par mon pays.
Ce nouveau traité international est un accord historique à la fois pour la protection des ressources marines et pour le partage des ressources issues de la mer. Seulement, s'il est question d'un partage entre États développés et États en développement, il faudrait qu'il en soit de même entre la France métropolitaine et ses collectivités d'outre-mer. Ces dernières subissent de plein fouet les conséquences de la montée des eaux et de la pollution marine. Il conviendrait de garder leurs intérêts en tête lors des négociations à venir. Le groupe des outre-mer du Conseil économique, social et environnemental (CESE) a préconisé en avril 2023 de consacrer, dans ce cadre, une place particulière aux régions ultrapériphériques.
Quelles mesures concrètes votre ministère envisage-t-il pour que la voix des populations ultramarines et les « savoirs autochtones », pour reprendre l'expression utilisée par mon collègue Taché, soient entendus lors des futures négociations, notamment au sujet de l'exploration des fonds marins ?
Merci pour votre implication dans toutes ces questions, que vous vivez, évidemment, d'une manière beaucoup plus forte, la montée des eaux et l'acidification des océans ayant une résonance toute particulière dans certains territoires.
C'est pour faire entendre la voix des territoires océaniques et des peuples autochtones que nous menons un dialogue, que je crois fécond, avec le président Moetai Brotherson, comme avec les élus de Wallis-et-Futuna et d'autres territoires. Ce dialogue vise à identifier les priorités dans le domaine maritime et à mener des politiques publiques partagées. Nous le ferons notamment en ce qui concerne le développement de la pêche, la formation maritime et les enjeux très concrets de la connaissance des grands fonds marins.
Sur ce dernier point, mon ministère finance – à hauteur de 2 millions d'euros, me semble-t-il, mais je ne voudrais pas dire des bêtises – un programme au titre duquel vous recevrez également des financements. Nous partons des savoirs locaux et c'est dans cette perspective que des ateliers seront organisés en Polynésie. Le produit des discussions qui auront ainsi lieu entre scientifiques des territoires ultramarins, notamment de la Polynésie et plus généralement du Pacifique, sera mis sur la table lors du sommet des Nations Unies de 2025. C'est très concret et très simple : des chercheurs participeront à la conception des politiques publiques, en lien avec l'IRD – l'Institut de recherche pour le développement –, mon ministère et les collectivités. Mener des politiques publiques vraiment adaptées aux spécificités des territoires est pour moi un enjeu fondamental. La Polynésie est elle-même un vaste territoire qui demande des politiques publiques peut-être un peu différentes de celles aux Marquises, aux Tuamotu ou à Tahiti.
Tout cela, je l'ai dit, est très concret : c'est du travail scientifique, du partage des connaissances, des financements – de notre part – et des coopérations en matière de politiques publiques.
Monsieur le secrétaire d'État, permettez-moi tout d'abord de vous adresser de chaleureuses félicitations au nom du groupe Renaissance pour la belle victoire diplomatique que vous venez d'obtenir pour la France et pour la biodiversité.
Outre le volet préventif, une action curative est nécessaire face aux conséquences du dérèglement climatique qui frappe d'ores et déjà nos océans. Ma question porte sur un phénomène bien connu sur les littoraux bretons, français et mondiaux, qui est la montée du niveau des eaux et le retrait du trait de côte. Pouvez-vous nous dévoiler, en la matière, le plan d'action prévu pour la conférence des Nations Unies sur l'océan ?
Nous comptons organiser, lors de la conférence, un moment consacré à cette question, un sommet des villes littorales qui portera principalement sur la manière d'accompagner la montée des eaux dans les territoires situés en première ligne, notamment en matière d'expertise, de prévisibilité des financements et de planification maritime. Il faut une planification au niveau central mais aussi des travaux et des politiques au niveau local.
Notre ambition est de réunir vraiment tous les acteurs et de faire en sorte qu'ils ne soient pas de simples spectateurs : nous devons leur donner les moyens de faire remonter des propositions pour mener des actions adaptées aux enjeux de l'érosion du trait de côte. Il faudra, pour cela, non seulement faire appel à la science, à de l'expertise et à des financements, mais aussi renforcer, notamment dans les pays en développement, les ministères de l'aménagement du territoire.
La question du climat, qui est parfois traitée comme une question de taxation, implique beaucoup les ministères des finances : ce sont eux qui siègent dans les différentes banques internationales. Pour ce qui est de la planification et de la protection de certaines zones, c'est plutôt aux ministères de l'aménagement du territoire qu'il revient d'être à la manœuvre. Or, dans les pays en développement, il faut le dire, ils ont souvent été délaissés par les institutions internationales. On doit donc redonner de la vigueur aux ministères chargés de l'aménagement du territoire, de la cohésion et de la planification.
La lutte nécessaire à l'échelle mondiale contre la pollution de nos océans par le plastique exige d'abord qu'on fasse preuve d'exemplarité en France. Or nous en sommes loin dans nos outre-mer. Je reviens de Mayotte, dont le lagon est pollué par des microplastiques et où la seule solution de retraitement des déchets en plastique demeure l'enfouissement. Alors que le Gouvernement achemine des centaines de milliers de bouteilles en plastique pour lutter contre la crise de l'eau dans ce territoire, allez-vous enfin y créer une usine de recyclage des déchets ?
Vous avez évoqué la souveraineté. Elle doit aussi être alimentaire, et pourtant la suppression prochaine de l'aide au carburant pour la filière de la pêche, qui est de 20 centimes par litre, obligera les navires à rester à quai et fragilisera encore plus un secteur toujours marqué par le Brexit. Pour réussir à verdir une flotte, encore faut-il qu'elle existe encore ! Vous devez donc entendre l'appel à l'aide qui vous est adressé. Au-delà des mesurettes que vous avez annoncées, allez-vous revenir sur la décision de supprimer l'aide au carburant pour la filière de la pêche ?
Si cela ne tenait qu'à moi, on continuerait l'aide au carburant mais vous savez parfaitement qu'on ne peut pas le faire parce que le cadre européen prévu en la matière prend fin. Je suis le ministre qui a prolongé quatre fois l'aide au carburant, pour 75 millions d'euros. Par ailleurs, la France s'est battue pour que le seuil passe de 30 000 à 330 000 euros.
La question de la souveraineté alimentaire est effectivement importante mais la pêche est une politique communautaire. Le président de la République et la première ministre ont dit dès le Salon de l'agriculture, en toute transparence, dans un discours de vérité, que c'était la dernière fois, dans le cadre actuel, que l'aide au carburant était prolongée et qu'il faudrait ensuite adopter d'autres mesures, notamment de solidarité au sein de la filière, pour pallier la fin de cette subvention publique. Nous avons prolongé les aides au maximum mais nos concitoyens comprennent bien qu'elles ne peuvent pas durer tout le temps.
Les mesures que j'ai annoncées ne sont pas des mesurettes. Il ne s'agit pas seulement de verdir le carburant mais aussi de réduire les prix à la pompe pour les pêcheurs de 13 centimes par litre, du côté des énergéticiens, notamment Total. Le travail qui reste à faire dans les prochains jours vise à continuer de trouver des solutions avec les régions, les départements et la filière pour organiser la solidarité et surtout mettre en place des mécanismes permettant de réduire les prix à la pompe. Nous devons, en outre, parvenir à enclencher dès maintenant la transition énergétique car toutes les grandes crises de la pêche sont des crises du carburant. On ne peut pas se retrouver tous les six mois pour en discuter : il faut aussi engager des transformations sur le plus long terme.
S'agissant de votre question portant sur Mayotte, c'est le ministère des outre-mer qui est compétent pour y répondre. Je souligne simplement un point important, que vous avez d'ailleurs évoqué : il faut s'occuper non seulement des déchets en plastique mais aussi, pour la santé des populations, des microplastiques et des nanoplastiques. Cela fait d'ailleurs partie du mandat pour la négociation du traité international contre la pollution plastique.
Sur ce dernier point, j'invite le secrétaire d'Etat à prendre exemple sur Jules César, qui résuma l'une de ses campagnes en trois mots : « veni, vidi, vici ».
L'adoption du traité international pour protéger la haute mer est une réussite historique : les États membres de l'ONU ont réellement pris conscience de la nécessité de protéger cet environnement qui fournit la moitié de l'oxygène que nous respirons tout en absorbant une partie du CO2. Longtemps ignorée dans le combat environnemental, au profit des zones côtières, alors qu'elle représente près de la moitié de la planète et plus de 60 % des océans, la haute mer fera désormais l'objet de mesures de conservation inédites.
En effet, le traité instaure un cadre réglementaire qui permettra de créer des aires marines protégées et internationalise les décisions relatives aux études d'impact environnemental. Toutefois, il ne concerne pas l'exploitation minière, activité pourtant dévastatrice pour les océans. Cette question fait l'objet d'une attention minutieuse de la part de l'Autorité internationale des fonds marins mais un réel consensus des parties prenantes n'a pas encore vu le jour. Quels sont donc les engagements de l'État en la matière ? Emmanuel Macron a déclaré lors de la COP27 qu'il fallait interdire purement et simplement toute exploitation des grands fonds marins : comment la France ambitionne-t-elle d'atteindre cet objectif ?
En effet, il n'existe pas de consensus en la matière mais c'est précisément pour cette raison qu'il faut redoubler d'efforts sur le plan diplomatique et mener un travail de conviction.
Notre premier objectif est de renforcer la dimension scientifique, afin de continuer à montrer que l'exploitation des fonds marins conduirait à des dommages irréversibles pour la biodiversité et pour notre capacité à lutter contre le changement climatique.
Il faut, par ailleurs, poursuivre le travail pour adopter des règles, qui doivent être cohérentes avec le traité BBNJ. Des études d'impact, sérieuses et rigoureuses, sont nécessaires avant toute activité de cette nature.
Enfin, nous avons besoin d'une cohérence entre tous les pays. On ne peut pas nous demander, dans le cadre de la COP28, de financer un fonds pour les pertes et préjudices liés à cinquante ou soixante ans d'activités industrielles, ce qui signifie en gros que les pays développés paieront pour un certain nombre de pays du Sud, et en même temps se lancer dans une activité telle que l'exploitation minière des fonds marins, dont on sait qu'elle aura des conséquences dramatiques pour la biodiversité.
Nous continuerons au Forum des îles du Pacifique et à la COP28 le travail de conviction et de mise en cohérence que nous avons engagé en ce sens.
Le Gouvernement français est-il hypocrite en matière de défense des mers et des océans ? La prestigieuse revue scientifique Nature a répondu oui dans un éditorial paru début septembre. Elle y dénonce l'incohérence entre les promesses et les actes des champions autoproclamés de l'océan, citant nommément la France.
Vous vous félicitez de la signature du traité sur la protection de la haute mer car il est bénéfique pour la biodiversité. C'est un premier pas que nous saluons également. Malheureusement, la France a dans le même temps fait enterrer en juin dernier une résolution contre la surpêche du thon dans l'océan indien, alors que cette mesure était soutenue par onze États côtiers de la région.
Vous saluez l'organisation à Nice de la prochaine conférence des Nations Unies sur les océans. Mais, la France défend le chalutage dans les aires marines protégées et s'oppose à différentes propositions somme toute modestes du plan d'action européen visant à sauvegarder ces zones. Vous justifiez cette position en agitant le chiffon rouge de la disparition de la filière halieutique française.
Monsieur le secrétaire d'État, quelle crédibilité pouvons-nous accorder à votre action quand celle qui concerne la pêche manque fortement de cohérence ?
Il ne s'agit pas du tout d'hypocrisie. Vous ne regardez que ce qui vous arrange, sans prendre en compte la réalité. La réalité, c'est que l'autorisation de certaines activités est accordée en fonction des caractéristiques propres à chaque aire marine protégée ; c'est d'ailleurs le même principe qui est retenu pour le traité BBNJ. Tous les pays, dont la France, font de même et cela permet d'obtenir des résultats. On n'autorisera pas les mêmes activités au large des Côtes d'Armor qu'en Méditerranée.
La proposition de la Commission européenne ne concernait pas seulement la pêche au chalut. Là encore, c'est à la fois de la désinformation et un manque de précision. Il était question d'interdire tous les arts traînants. Cela aurait conduit, dans les aires marines protégées, à interdire la pêche artisanale à la coquille en utilisant une drague. Or il a été prouvé que cette activité est compatible avec le respect de la biodiversité au large des Côtes-d'Armor, puisque la ressource a été multipliée par trois. La proposition de la Commission aurait aussi conduit à l'interdiction de la pêche à la crevette et même de l'ostréiculture, puisque cette activité suppose de toucher au fond de la mer.
Il convient donc de regarder la réalité en face et de ne pas prendre aveuglément des mesures qui ne tiennent compte ni des pratiques effectives dans certains secteurs économiques – qu'il s'agisse de la pêche ou des activités aquacoles –, ni des engagements pris par les États pour adapter les activités en fonction des différentes aires marines protégées.
Quant à la pêche au thon dans l'océan indien, ce que vous avez dit ne correspond pas à la réalité. Un certain nombre de pays voulaient exclure de cette pêche tous les navires français et européens. Cela ne date pas d'hier. Nous avons tenu bon et défendu la légitimité de la présence maritime française dans l'océan indien, tout comme est légitime celle de navires étrangers dans les eaux européennes et françaises.
Je salue votre engagement constant pour venir en aide au secteur de la pêche bretonne mais aussi sur les autres façades maritimes.
La pollution plastique constitue un fléau. Nous savons qu'elle triplera si l'on ne fait rien, sachant que 11 millions de tonnes sont déjà rejetées dans les océans chaque année. La France fait partie de la coalition de la haute ambition pour mettre fin à la pollution plastique d'ici à 2040.
Je peux témoigner de la réalité de cette dernière puisque je constate régulièrement la présence de microbilles plastiques sur les plages de la baie d'Audierne, dans ma circonscription du Finistère.
Les discussions sont en cours pour aboutir à un traité mondial contre la pollution plastique. Mais, lors de la dernière session de travail qui s'est tenue à Paris en mai dernier, certains États – comme la Chine, le Brésil, l'Inde et les pays du Golfe – se sont opposés à la possibilité d'adopter le texte à une majorité des deux-tiers si un consensus n'était pas trouvé. Cette situation de blocage ne risque-t-elle pas de nous faire passer à côté du combat contre la pollution plastique, qui est essentiel pour la protection des océans ?
Je vous remercie aussi pour votre implication constante sur tous les sujets maritimes, qu'il s'agisse de la pêche, de la pollution ou des enjeux internationaux.
Le zero draft du traité BBNJ est issu de propositions de la France et il constitue une bonne base. De nombreux blocages se manifestent parce que ce texte touche à des intérêts énormes et à des habitudes en matière de production de plastique. Cela suppose de réorienter cette activité économique dans un certain nombre de pays. Nous faisons tout pour adopter des règles qui permettent d'éviter qu'un pays puisse bloquer des avancées majeures.
Nous avons bien conscience qu'il faut accélérer, notamment à l'occasion de la prochaine réunion qui aura lieu au Kenya en novembre. C'est une question de cohérence : si l'on veut protéger la mer, il faut lutter contre ces pollutions.
Lorsque l'on prend connaissance des comptes rendus des négociations, on a en effet l'impression que les pays qui bloquent sont des producteurs d'emballages plastiques.
Je ne suis pas certain que cela soit juridiquement fondé mais ne pourrait-on pas envisager de contourner cette opposition en élaborant un accord qui serait signé par les seuls États consommateurs ? Cela permettrait de faire pression sur les pays producteurs, qui ont besoin de clients.
Il n'est pas normal de subir un blocage qui empêche d'agir contre l'horreur absolue que constitue la pollution des océans par les emballages plastiques.
C'est en effet l'une des stratégies possibles mais il existe souvent une corrélation entre production et consommation au sein d'un même pays.
Si l'on adoptait une stratégie consistant à s'appuyer sur les États consommateurs, il faudrait veiller à atteindre une masse critique qui permette de réduire la pollution déversée dans l'ensemble des mers et des océans car la pollution par les plastiques n'a pas de frontières. Il ne faut donc rien lâcher en ce qui concerne la réduction de la production, qui constitue à ce stade l'enjeu principal puisque 83 % de la pollution des mers a une origine terrestre. On ne peut pas séparer complètement le sujet de la production de celui de la consommation.
Le traité pour la haute mer est une avancée très importante. La nécessité d'une réglementation internationale pour protéger ce bien commun – qui représente 55 % de la surface du globe – est reconnue pour la première fois. Il faut saluer le rôle de la France, et en particulier le vôtre, lors de la phase finale de l'adoption de ce traité, même s'il comprend de nombreuses limites comme cela a déjà été souligné.
Cela dit, dans un souci de cohérence, il faudrait aussi appliquer fermement ce qu'il préconise dans la ZEE et dans les eaux territoriales.
En 2015, Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, avait signé un décret autorisant l'extraction de sable coquillier dans la baie de Lannion. Cela avait soulevé un tollé en raison des conséquences catastrophiques pour la biodiversité et pour la pêche artisanale, puisqu'il s'agit d'une zone de frayères. Le projet a été abandonné mais seulement en raison de la pression citoyenne et parce que l'entreprise concernée l'a bien voulu. Pouvez-vous garantir que l'État ne commettra plus ce genre de bêtise à l'avenir ?
J'en viens à la souveraineté, dont vous avez souligné l'importance. En 2016, Emmanuel Macron avait laissé vendre Alcatel Submarine Networks au finlandais Nokia. C'était un fleuron français des câbles sous-marins. Avez-vous prévu de reprendre le contrôle de cette capacité stratégique dans un avenir proche ?
Vous avez raison d'évoquer la cohérence qu'il convient d'avoir dans les décisions. Je connais bien ce projet d'extraction de sable coquillier, puisqu'il se situait dans mon département. Je peux vous assurer qu'il est définitivement abandonné et cela résulte en effet de la mobilisation de citoyens, mais aussi de celle de députés. Je rends hommage à Corinne Erhel, qui s'était emparée de ce sujet, ainsi qu'à Éric Bothorel, député de Lannion, qui a bataillé dans un esprit de cohérence.
Plus de 90 % des données qui circulent sur internet transitent par des câbles sous-marins potentiellement exposés aux sabotages. Ces câbles sont donc essentiels pour notre souveraineté, raison pour laquelle nous renforçons le contrôle des investissements étrangers dans ce secteur. Nous avons aussi la grande chance de disposer d'une flotte importante de navires câbliers, avec de belles entreprises qui montent en puissance et qui recrutent. En tant que parlementaire en mission, Yannick Chenevard m'a remis un rapport sur la redéfinition du dispositif de flotte stratégique. Il propose que ces câbliers, ainsi que les marins qui les font naviguer, soient pleinement intégrés dans cette flotte. Il faut que l'on prenne conscience au niveau européen du caractère stratégique des câbles sous-marins.
Disposez-vous d'éléments sur les causes et les responsables des sabotages des gazoducs en mer Baltique en septembre 2022 ?
Nous disposons d'un faisceau d'indices, qui pointent vers un certain nombre de personnes. Je ne peux en dire davantage en audition publique.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous vous remercions pour ces échanges vifs et francs. Je suis sûr que les membres de la commission ont pu apprécier la compétence et l'enthousiasme qui vous caractérisent.
La séance est levée à 13 h 00
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Xavier Batut, Mme Chantal Bouloux, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jérôme Buisson, Mme Eléonore Caroit, M. Sébastien Chenu, M. Alain David, Mme Ingrid Dordain, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Maud Gatel, M. Hadrien Ghomi, M. Philippe Guillemard, M. Michel Guiniot, M. Michel Herbillon, M. Alexis Jolly, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Brigitte Klinkert, Mme Stéphanie Kochert, M. Arnaud Le Gall, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Nathalie Oziol, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, Mme Béatrice Piron, M. Jean-François Portarrieu, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Ersilia Soudais, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy, Mme Laurence Vichnievsky, M. Lionel Vuibert, Mme Estelle Youssouffa, M. Frédéric Zgainski
Excusés. - Mme Véronique Besse, Mme Julie Delpech, M. Olivier Faure, M. Meyer Habib, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, M. Vincent Ledoux, M. Nicolas Metzdorf, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, Mme Sabrina Sebaihi, M. Éric Woerth